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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

“ Un avenir incertain ” (1977)


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de M. Jean-Marc Piotte, “ Un avenir incertain”. Un article publié dans l'ouvrage collectif sous la direction de Jean-François Léonard, La chance au coureur. Bilan de l'action du gouvernement du Parti québécois, “6e partie: Bilan politique du Gouvernement du P.Q. et perspectives”, pp. 230-244. Montréal: Éditions Nouvelle Optique, 1978, 253 pp. Collection: Matériaux.

Texte intégral de l'article

[Communication faite les 15 et 16 novembre 1977 au colloque "Un an après. Bilan de l'action du gouvernement du Parti Québécois''. Organisé par la Société Canadienne de Science Politique et l'Association Canadienne des Sociologues et Anthropologues de langue française, ce colloque réunissait des universitaires, des journalistes, des syndicalistes, et se proposait de porter un jugement critique sur la gouverne du Parti Québécois.] [Autorisation accordée par l'auteur le 26 novembre 2003].

Le Parti québécois gouverne la province du Québec depuis près d'un an. Il est trop tôt pour tirer un bilan définitif de ce gouvernement. Mais, en nous appuyant sur nos connaissances du Québec et de son environnement politique, en nous basant sur ce qu'est le P.Q., son programme et ses initiatives législatives, nous pouvons esquisser la portée et les limites de ce nouveau gouvernement.

Le Parti québécois s'affiche comme social-démocrate. Son programme serait d'inspiration social-démocrate et le type de société mis en place par l'État suédois y joue le rôle de modèle au même titre que, par exemple, l'idéal communiste, invoqué comme phase d'aboutissement du socialisme, pour les disciples de Marx. Son programme en serait un de transition: il doit tenir compte du voisinage des U.S.A. et de la présence massive de l'impérialisme américain au Québec et au Canada. Mais comment le P.Q. pourra-t-il convaincre l'impérialisme américain d'accepter que prenne forme au Québec le modèle suédois? Évidemment la Suède est un pays capitaliste, mais le capital y est national, tandis qu'au Québec, il est américain ou canadien, la bourgeoisie québécoise se contentant de se disputer les petites et moyennes entreprises (P.M.E.), si on excepte la place qu'elle occupe dans le grand capital par ses appareils d'État, le système coopératif Desjardins et les quelques capitalistes à la Desmarais. Pour faire une planification bourgeoise, même à la française, il faut une bourgeoisie nationale qui non seulement domine l'État, mais aussi exerce sa direction sur l'infrastructure économique du pays: ce n'est pas le cas de la bourgeoisie québécoise. Il faudrait donc que le P.Q. nationalise des secteurs économiques importants contrôlés maintenant par le capital américain ou canadien. Or le programme du P.Q. ne comprend qu'une nationalisation, celle des mines d'amiante possédées par la bourgeoisie canadian. Et le gouvernement n'a décidé de nationaliser que l'Asbestos Corporation, espérant par cette prise de contrôle amener les autres entreprises du secteur de l'amiante à collaborer avec l'État à la mise sur pied d'usines de transformation. Le Ministre Bernard Landry a aussi menacé d'étendre cette politique à d'autres secteurs, dont ceux de l'aluminium, de la sidérurgie et de la matière ligneuse, si les chefs de ces entreprises continuent de se montrer réticents à transformer sur place les matières premières produites au Québec. Mais cette politique dévoile ses limites lorsqu'on reconnaît que les installations de la seule entreprise nationalisée sont vieilles et vétustes et que le prix d'achat négocié de «gré à gré» sera très supérieur à la valeur marchande de celle-ci. Rappelons-nous à cet égard la nationalisation de l'électricité qui a permis à «Power Corporation» de devenir un des plus puissants «holding» du Canada et nous comprendrons alors que la politique du gouvernement péquiste, malgré les protestations officielles des représentants patronaux, ne s'attaque pas aux intérêts fondamentaux de ceux-ci. Le programme du P.Q. prévoyait aussi l'étatisation de l'assurance-automobile. Or le Ministre de la consommation, Lise Payette, ne nous propose qu'une réformette: les coûts de l'assurance-automobile ne seront guère diminués et l'entreprise privée continuera d'y participer. On le voit donc: la prudente politique du P.Q. ne peut conduire à une réelle planification économique du Québec dans la mesure où elle respecte un système économique contrôlé en grande partie par l'étranger.

Le Parti québécois surestime beaucoup les possibilités de l'État. C'est au nom de cet État «providentiel» qu'il balaie du revers de la main la question que pose la planification d'une économie sous contrôle étranger. La souveraineté politique est posée comme un préalable à la résolution de toutes ces questions: c'est la solution. La planification promise dans le programme du P.Q. est donc reportée à un plus tard incertain et est dorénavant remplacée par la consultation et la concertation.

Toutefois, admettons, pour fins d'analyse, que le programme péquiste s'inspire de l'aile droite du courant social-démocrate, tout en étant structuré par le nationalisme. Mais les partis sociaux-démocrates s'appuient sur les syndicats pour conquérir le gouvernement: ils en sont le pendant politique, continuant les luttes syndicales sous une autre forme: le réformisme économique des syndicats est ainsi complété au niveau proprement politique. Or le P.Q. n'est absolument pas lié organiquement aux syndicats. De plus, lors même qu'il était dans l'opposition, il se situait de façon olympienne au-dessus de la mêlée, distribuant les blâmes à gauche et à droite, critiquant le radicalisme des syndicats et de la partie patronale, appelant les uns et les autres au compromis et à la conciliation. Un parti réellement social-démocrate, lorsqu'il est minoritaire au gouvernement, fait habituellement siennes les revendications syndicales. Lorsqu'il gagne les élections, il cherche à se démarquer des syndicats tout en s'y reliant et oeuvre à convaincre la bourgeoisie d'accepter une politique réformiste quoique bourgeoise. Il peut, pour des raisons économiques sérieuses ou pour des motifs électoraux fondamentaux, s'opposer aux luttes syndicales et briser des grèves comme l'a encore démontré l'ex-gouvernement Barrett. Mais, habituellement, et contrairement au P.Q., les partis sociaux-démocrates défendent les syndicats lorsqu'ils sont dans l'opposition et se montrent reconnaissants s'ils atteignent le pouvoir.

Le P.Q. prend très au sérieux son rôle de médiateur. Il a convoqué les représentants syndicaux et ceux de la bourgeoisie à une réunion d'information mutuelle qui était orientée par des documents «neutres» dont le garant était évidemment l'État dans sa belle «objectivité». La F.T.Q. a accepté presqu'immédiatement de participer à ces "États généraux". Mais il faut bien savoir ce qu'est la F.T.Q.: le bureau de publicité des sections québécoises des unions internationales et canadians. Le véritable pouvoir, en termes de revenus financiers et d'organisation bureaucratique (les permanents), est aux mains de ces unions. Somme toute la F.T.Q. est constituée de quelques individus dont la tête pensante et dirigeante est maintenant le péquiste et labor boss Gérin-Lajoie, directeur du district 5 des Métallurgistes unis d’Amérique. Avant la Commission Cliche, il existait, pour des motifs et des intérêts que j'ignore, une union quasi-sacrée entre Desjardins (alors directeur général du Conseil des Métiers), Brûlé (alors directeur général de la section québécoise du Syndicat canadien de la Fonction publique, S.C.F.P., et, maintenant, directeur de l'Office de la Construction), Laberge (président de la F.T.Q.) et Daoust (secrétaire de la F.T.Q.). La Commission Cliche, en démantelant l'empire de «Dédé» Desjardins, a porté un coup fatal à cette union, et la victoire du P.Q. a entraîné la F.T.Q. à refaire son unité autour de Gérin-Lajoie.

Les discussions furent plus houleuses à la C.S.N. et à la C.E.Q. qui, finalement, allèrent à cette rencontre au sommet. Nous devons cependant avouer que le débat fut plutôt mal posé. Les directions syndicales défendaient la participation à ces rencontres sur des bases pour le moins confuses et ambiguës. La gauche, elle, opposait une fin de non recevoir à cette invitation gouvernementale, acceptant malheureusement ainsi de se faire isoler et de perdre au sein des centrales syndicales le leadership péniblement acquis depuis '70, soit la crise d'octobre. L'issue du débat, tel qu'engagé, était facilement prévisible: la plus grande partie des appareils syndicaux et la majorité des membres sont des sympathisants péquistes et on leur offrait comme choix un oui confus ou un non catégorique: ils ont opté pour le premier. La gauche défendait des principes, mais elle n'avait aucune réponse concrète à opposer aux arguments de ceux qui dévoilaient les inconvénients d'une non participation (approfondissement de la division syndicale, poursuite du démantèlement de la C.S.N. et isolement du mouvement syndical dans l'opinion publique) et les avantages d'une participation (obtenir du nouveau gouvernement, comme cela l'avait été sous le gouvernement Lesage au milieu des années '60, quelques réformes - notamment au niveau du code du travail - favorables aux travailleurs).

Ces États généraux furent suivis en septembre de quatre mini-sommets économiques sur le textile, le vêtement, la chaussure et le meuble. Chacun dut prendre sa pilule. Les syndicats furent taxés d'intransigeance - les salaires versés dans les industries du vêtement sont non seulement 10 à 12 fois supérieurs à ceux octroyés dans les pays sur-exploités - notamment Taiwan, Corée du Sud et Hong Kong - mais aussi de 6% au-dessus de ceux obtenus par le ouvriers américains. Les dirigeants syndicaux rétorquèrent que les syndicats américains verraient à aplanir cette différence en utilisant les gains des ouvriers québécois comme «pattern» de négociation (1). Les dirigeants des entreprises du meuble furent conviés à regrouper et à moderniser leurs usines afin de concurrencer les entreprises américaines mieux équipées. Le gouvernement québécois fut attaqué sur la politique de la Société de Développement industriel (S.D.I.) qui défavorisait ces industries à faible taux de productivité en utilisant comme critère de subvention la rentabilité moyenne de tout le secteur manufacturier. Mais, dans l'ensemble, la stratégie du Ministre Landry se révéla fort profitable, car elle réussit aussi à faire avancer d'un autre pas les centrales syndicales dans la voie de la collaboration. La C.E.Q. était de facto exclue de ces mini-sommets et la C.S.N. ne représente qu'une fraction très minoritaire des ouvriers de ces secteurs. La C.S.D., au contraire, y est fortement présente ainsi que les syndicats qui constituent l'aile droite de la F.T.Q. Il ne faut donc pas se surprendre que les dirigeants syndicaux, y compris ceux de la C.S.N., aient si facilement accepté le huis-clos. De plus, le P.Q. réussit à créer un front commun contre Ottawa dont les politiques tarifaires favorisent les industries lourdes, situées surtout en Ontario, au détriment des industries légères, les syndicats se plaignant des pertes d'emploi donc du chômage qu'entraîne cette politique et les dirigeants d'entreprises, de la baisse de leur volume de vente, donc de leurs profits. (Ce qui n'a pas empêché les hauts-fonctionnaires du Canada de signer, quelques jours après ces mini-sommets économiques, des ententes avec leurs vis-à-vis américains dont l'objectif est de réduire les tarifs canadiens sur six des produits du textile.)

On peut s'attendre à des miettes, à des réformettes du gouvernement péquiste, mais il ne faut pas en exagérer l'importance. Le gouvernement libéral de Lesage et le gouvernement enpédiste de Barrett s'appuyaient sur une phase d'expansion du système capitaliste: le gouvernement péquiste, au contraire, barbote dans une période de stagflation (impitoyable dialectique du mode de production capitaliste qui lie présentement l'inflation et le chômage) et le P.Q., ne voulant pas - que je sache -remettre en question le système capitaliste, ne peut rien contre cette crise et ses effets. Il ne peut non plus replonger sa main dans les poches des contribuables: le Québec a le triste honneur d'être la province canadienne dont le fardeau fiscal est le plus lourd. On ne doit pas juger un gouvernement seulement à ses intentions ou à son programme: on doit aussi étudier ses moyens, conditions évidemment essentielles à toute éventuelle réalisation.

Le Gouvernement a évidemment fait certaines concessions aux syndicats afin de favoriser leur collaboration. Il a retiré les accusations portées devant les tribunaux contre les centrales syndicales suite au dernier front commun. Cela supprime pour la C.S.N., la C.E.Q. et même la F.T.Q. (2), les amendes qui auraient plu, donc des inconvénients financiers certains. Il a aussi supprimé le gel des salaires dans la fonction publique et para-publique du Québec, donnant ainsi une jambette au gouvernement libéral de Trudeau. Il a augmenté le salaire minimum tout en l'indexant au coût de la vie. Il a enfin utilisé la fusillade intervenue à Robin Hood pour annoncer le dépôt du bill 45 visant à amender le code du travail afin de rendre obligatoire la formule Rand - réalisant ainsi une promesse non tenue du gouvernement Bourassa au syndicat de la United Aircraft (maintenant re-baptisé Pratt et Whitney Aircraft du Canada) - et afin d'interdire l'emploi de briseurs de grève durant un conflit. Ce bill a évidemment soulevé l'indignation des milieux patronaux, même s'il se situe bien en deçà des demandes syndicales, notamment de la F.T.Q. dont l'objectif premier est d'obtenir la sectorialisation des négociations, ce qui lui assurerait de facto le monopole syndical dans l'entreprise privée.

Au niveau de l'éducation, rien de changé. Le Ministre Morin a démontré, notamment lors de la grève de l'U.Q.A.M., qu'il se situait du côté des technocrates de l'appareil scolaire. La grève a duré quatre mois, dont trois sous le nouveau gouvernement. Pourtant les membres du S.P.U.Q. luttaient surtout pour protéger le statu quo sur la répartition des pouvoirs entre administrateurs et professeurs, statu quo qui était en deçà de ce que promettait le programme électoral du P.Q. Enlevons un mois pour que le nouveau gouvernement se retrouve dans les dossiers laissés en place par son prédécesseur: il a fallu quand même deux longs mois de grève, l'annonce d'un débrayage d'une journée par des syndicats C.E.G.E.P.s de la F.N.E.Q. et un travail intense d'information et de lobbying au sein du P.Q. (nous avons obtenu l'appui de l'aile gauche du parti, aile qui se réduit à peu près aux 17 comtés de la région de Montréal-centre) avant que le Conseil des Ministres penche en notre faveur (3).

Il ne faut donc pas nier l'existence d'un courant de gauche au sein du P.Q., mais il ne faut pas non plus en surestimer l'importance. La gauche péquiste a bien compris la réalité du pouvoir lors du premier congrès qui a suivi la victoire électorale: le programme ainsi que les propositions adoptées par les congrès - notamment celle sur l'avortement - n'ont qu'une valeur indicative pour le gouvernement qui est libre de leur donner suite ou de les mettre dans le tiroir. Certains représentants de la gauche péquiste se sont alors soumis: au nom du réalisme stratégique, ils défendent auprès des forces progressistes québécoises la politique actuelle du gouvernement au lieu de tenter d'orienter celui-ci vers la satisfaction des besoins des travailleurs. Ils jouent ainsi exactement le rôle que leur attribue René Lévesque. L'indépendance d'abord, ce vieux mot d'ordre éculé, sert alors de justification à toutes les compromissions.

Au niveau financier, le gouvernement péquiste fait preuve d'un conservatisme digne de celui dont il vient de sortir la statue (4). Le nouveau gouvernement a réussi, pour la première fois depuis Duplessis, à limiter le développement des dépenses de l'État: les patrons ont gloussé de satisfaction tandis que les centrales syndicales sont demeurées étrangement coites (5). Le député libéral André Raynault, qui n'est pas particulièrement connu pour ses visées progressistes, a pris un plaisir certain à démontrer, dans une perspective keynésienne, qu'un tel budget ne pouvait qu'accroître le chômage dont le niveau est déjà inacceptable. Mais l'arrogant Parizeau n'a pas bronché et a justifié ainsi sa politique: il faut reconquérir la confiance des milieux financiers américains et canadians ébranlée par la victoire du 15 novembre. Le Ministre Parizeau a aussi fait la gaffe de taxer les vêtements et les souliers d'enfants, mesure qui a réussi à susciter l'unanimité contre lui: les dirigeants des manufactures de vêtements et de souliers avaient suffisamment de problèmes avant que le gouvernement ne vienne les accroître en augmentant de 8% le prix de leurs produits destinés aux enfants; les consommateurs ne peuvent se résoudre à voir le caractère «social-démocrate» de cette taxe; enfin les nationalistes ne comprennent pas comment cette mesure peut favoriser une politique de natalité. Le même Parizeau - celui qui fut un des concepteurs de la politique patronale dans les négociations du secteur public sous l'Union Nationale - est l'architecte de la politique gouvernementale dans les négociations à venir avec les représentants de la C.S.N., de la C.E.Q. et de la F.T.Q. Cela en promet donc de belles. De plus, afin de rendre plus harmonieuses les négociations dans le secteur public et para-public, le gouvernement a créé une commission d'enquête dont le représentant syndical est un permanent de la F.T.Q., centrale qui, décidément, partage le même lit que le gouvernement. Les négociations du secteur public et para-public, qui doivent s'ouvrir en 1979, seront donc le véritable test social et du gouvernement et des centrales syndicales. Dans le rapport de forces qui les lie, il faut bien admettre que, depuis le 15 novembre dernier, celles-ci se sont affaiblies au profit de celui-là. Mais les dés ne sont pas encore lancés, et la possible fusion de la C.S.N. et de la C.E.Q. pourrait bien leur donner le souffle qu'elles sont en train de perdre.

La dénomination «social-démocrate», même avec des guillemets, masque bien plus la réalité du Parti québécois qu'elle ne la dévoile. Nous devrions parler de nationalisme populiste. Nationaliste, le P.Q. cherche à canaliser et à reprendre à son compte les aspirations plus que séculaires du peuple québécois à la libération, aspirations qui ont marqué toute l'histoire du Québec et qui se sont exprimées bruyamment lors des «troubles» de 37-38. Ce nationalisme diffère de celui de l'époque duplessiste qui était messianique: on voulait inonder le Canada entier de rejetons canadiens-français et convertir les «Anglais» en leur apportant notre culture supérieure, parce que française et catholique. Il s'oppose aussi évidemment au pancanadiénisme défendu par Trudeau ou par le principal actionnaire de Power Corporation. (Desmarais, bien représentatif en cela du nationalisme des Franco-ontariens, veut que les Canadiens-français se sentent chez eux tout partout au Canada, et pour défendre son point de vue, il n'a pu trouver mieux que cet intellectuel réactionnaire et radoteur: Roger Lemelin. Il est vrai que son patriotisme correspond bien à ses intérêts: Desmarais lutte contre le «Family Compact» de Toronto, non pas pour «séparer» le Québec, mais pour que le «Family» lui fasse une place de choix dans le marché financier ontarien). Le nationalisme du Parti québécois est populiste: il veut représenter le peuple québécois dont le mythique prototype serait le Québécois moyen, travailleur, dont l'ancêtre serait le folklorique coureur des bois. Le désir du P.Q. serait de satisfaire par des réformes les intérêts de ce Québécois moyen en «civilisant» le capital.

Ce nationalisme populiste, que représente actuellement le P.Q., coupe tout avenir à l'implantation d'un large courant social-démocrate au Québec. La domination de la nation québécoise fait que le réformisme - véhiculé par des intellectuels-petits-bourgeois-progressistes tant dans les appareils idéologiques que dans les syndicats - ne peut prendre ici que la forme du nationalisme populiste. Le N.P.D. - Québec continuera donc sa survivance, composé qu'il est d'une poignée d'intellectuels canadiens-français coupés complètement du peuple québécois et d'une poignée de canadiens-anglais progressistes. De plus, la loi 2, adoptée par l'Assemblée législative, rend illégal le financement des partis politiques par des personnes morales. Évidemment, cette loi crée des difficultés considérables à l'U.N. et, surtout, au P.L. dont le fonctionnement et les activités électorales étaient en grande partie financés par l'entreprise privée. Ils devront donc faire un pénible et très difficile recyclage pour faire face au P.Q. qui a les membres, la structure et l'expérience nécessaires dans les campagnes de financement populaire. Mais les syndicats constituent aussi des personnes morales. Et comment créer un parti social-démocrate au Québec si les syndicats ne peuvent le financer? La loi 2 est donc une entrave supplémentaire pour les quelques uns qui s'accrochent encore au N.P.D.

Mais le Parti québécois, sous l'intelligent leadership de Laurin, a fait un coup de maître en déposant le bill 1, qui amendé, deviendra par un subterfuge procédurier le bill 101, sur la langue française. À la fin des années '60, l'Union Nationale, sous la direction de Bertrand, avait fait voter la loi 63 qui avait réussi à susciter contre elle des manifestations dans tout le Québec, dont une de plus de soixante mille participants sur la colline parlementaire: la majorité des francophones faisait bloc contre cette loi. En légalisant les privilèges de la minorité anglophone, l'U.N. espérait s'attirer les votes de celle-ci qui, non reconnaissante, maintint sa fidélité aux Libéraux. Ces derniers, sous la gouverne de Bourassa, firent adopter la loi 22 qui ne réussit qu'à susciter l'hostilité dans les deux camps: la majorité dominée la trouvant trop conciliante et la minorité dominante, trop pointilleuse. Avec le bill 101, tout redevint clair: une nette majorité de la communauté francophone appuya fermement ce bill tandis que la communauté anglophone chercha désespérément et agressive-ment à défendre ses privilèges contre cette attaque (6).

Les éditorialistes de presque tous les quotidiens, y compris Le Devoir, défendirent avec intransigeance les «droits» de la minorité dominante, ce qui les isolèrent: la majorité de la communauté francophone épaulait le P.Q. sur la question de la langue (7). L'Union Nationale, sous le leadership du démagogue Biron, tint un discours incohérent qui cherchait à satisfaire tout un chacun. Le Parti Libéral du Québec, pour sa part, critiqua le bill 101 au nom des mesures «incitatives» que contenaient la loi 22 et se fit ainsi le porte-parole de l'aile conciliatrice de la minorité anglophone.

Le bill 101 est donc devenu loi. Les principales Commissions scolaires protestantes ainsi que les sections anglaises des Commissions scolaires catholiques ont décidé de défier la loi. Le Ministre de l'Éducation, Me Jacques-Yvan Morin, a annoncé que les Commissions scolaires ne seraient pas financées pour les enfants illégalement inscrits et que ceux-ci ne verraient pas leurs diplômes sanctionnés par le Ministère. Évidemment, les milieux anglophones peuvent facilement trouver le financement et les subterfuges légaux pour pallier à la première mesure de représailles ou encore ils peuvent accepter une baisse temporaire de la qualité de l'enseignement par l'accroissement du nombre d'élèves par classe ou par l'existence de classes non homogènes au niveau de la maîtrise de la langue. La seconde mesure de représailles est encore plus anodine dans la mesure où la loi 101 ne s'appliquant pas aux C.E.G.E.P.s et Universités, ceux-ci pourront facilement accepter les enfants illégalement inscrits au primaire ou au secondaire même si leurs diplômes ne sont pas tamponnés par le Ministère. Le Gouvernement aurait pu adopter des mesures plus sévères, dont la suppression totale des subventions pour les milieux qui préconisent l'illégalité. Mais il préfère la guerre d'usure à une escalade dont il craint de ne pouvoir maîtriser le déroulement.

Le gouvernement Trudeau est sur la défensive: il redoute d'apporter l'eau au moulin souverainiste en attaquant la constitutionnalité de cette loi devant les tribunaux et, encore plus, en utilisant ses pouvoirs législatifs pour la désavouer. Il demande aux citoyens anglophones du Québec de respecter la loi et d'en appeler, eux-mêmes, de sa constitutionnalité devant les tribunaux. Il s'est même déclaré prêt à reconnaître, par l'intermédiaire d'un amendement constitutionnel, les limites, passagères espère-t-il, à la liberté de choix des écoles par les parents au Québec. La puissante minorité anglophone du Québec s'est alors sentie délaissée par son protecteur fédéral (8). Le gouvernement péquiste a refusé cette offre du gouvernement canadian, même si elle lui faisait plaisir: le P.Q. est prêt à négocier, dossier par dossier, la souveraineté-association, mais il refuse évidemment que cette négociation commence par un secteur traditionnellement de juridiction provinciale. Les autres provinces canadiennes dandinent sur des charbons ardents: elles avaient refusé la clause de réciprocité du P.Q. par laquelle les immigrants canadians au Québec auraient pu envoyer leurs enfants à l'école anglaise si les nôtres avaient obtenu les mêmes privilèges dans les neuf autres provinces; elles hésitent maintenant à entériner la proposition fédérale qui rendrait constitutionnel le droit des francophones à l'école française dans les provinces anglophones. Pourquoi se préoccuperaient-elles des minorités francophones alors que - hormis pour celles qui vivent aux frontières du Québec - elles sont en voie d'extinction?

Il faut bien le voir: le véritable enjeu qui se profile derrière la loi 101 est le référendum sur la souveraineté politique. Le Parti québécois doit convaincre la majorité des habitants du Québec de voter pour la solution lors du futur référendum. Si la population du Québec - constituée aussi de 20% d'anglophones - vote contre la souveraineté, si la très grande majorité de la communauté francophone n'appuie pas ce projet, le P.Q. perdra alors la solution qui structure son programme et son parti. Évidemment, dans un tel cas, et pour calmer l'agitation sociale qui s'emparerait du Québec, la bourgeoisie canadian devra sans doute adopter des réformes constitutionnelles qui remettraient plus de pouvoirs aux mains du gouvernement du Québec.

Le Parti québécois croit aussi beaucoup à la puissance de la parole. De mémoire de Québécois, on n'a jamais vu autant de Ministres et de députés s'adresser à la communauté anglophone ou prendre la parole devant des associations patronales (celles-ci sont généralement contrôlées Par les capitalistes américains ou canadians brassant des affaires au Québec). La loi 101 et le projet de souveraineté-association ne veulent que permettre l'épanouissement de la nation québécoise: ils n'auraient pas comme objectif de faire «mal» à la minorité anglophone. Le gouvernement péquiste ne veut pas attaquer le capital américain ou canadien: il ne voudrait que les «civiliser» grâce à cet outil que serait un Québec souverain politiquement. Mais la minorité dominante ou anglophone, qui considère ses privilèges comme des droits, ne se laisse pas bercer par des beaux discours. Et le capital américain et canadian implanté au Québec, qui a plutôt bien profité du statu quo actuel, voit d'un mauvais oeil tout changement et, se jugeant très civilisé, s'offusque que le P.Q. puisse le considérer, même indirectement, comme un peu barbare. Les journaux, du moins ceux de langue française, firent, durant les six premiers mois de ce gouvernement, les manchettes de ces rencontres où nos Robin Hood québécois s'adressaient aux représentants du milieu des affaires ou à ceux de la communauté anglophone. Devant le lecteur médusé, les journalistes décrivaient ces joutes oratoires et évaluaient la performance de l'orateur selon la durée des applaudissements glaciaux et le nombre de sourires figés.

Notre voisin du sud préfère le statu quo. Pourquoi changer? Militairement, diplomatiquement, économiquement et culturellement, la Confédération a profité à l'impérialisme américain. Les affres de la guerre de sécession hantent son histoire: surtout, il ne veut pas de troubles à ses frontières. Le pays est calme depuis la liquidation des organisations noires révolutionnaires et les luttes étudiantes ont disparu avec la fin de la guerre au Vietnam; l'Amérique latine semble sous contrôle: l'impérialisme américain préfère qu'on ne joue pas avec le feu au Québec. Il fait confiance à la bourgeoisie canadian et à son État: elle saura bien trouver une solution «raisonnable» au problème québécois. Il appuiera les initiatives canadians allant dans ce sens, espérant que l'État canadian n'aura pas à utiliser des moyens plus hasardeux: l'impérialisme américain sait où sont ses intérêts et comprend le rapport de forces entre l'État canadian et la nation québécoise dirigée par le P.Q.

La décision se prendra donc dans la capitale canadian (9). Car le P.Q. peut bien gagner le référendum, il est loin d'être certain que la bourgeoisie canadian condescendra à accepter la souveraineté-association. Et elle a les moyens du refus: l'armée, que nous avons eu le malheur de connaître lors des événements d'octobre 1970, et l'efficace et omniprésente R.C.M.P. Lévesque et Parizeau contestent le bien-fondé de cette possibilité et enlèvent ainsi au peuple québécois tout moyen de contrer cette attaque. La bourgeoisie canadian, disent-ils, afin de ne pas susciter une vague d'agitation sociale sans précédent au Québec, et compte-tenu que ses intérêts économiques seraient protégés par la formule d'association, accepterait le compromis politique de la souveraineté, Peut-être: ce n'est pas certain. Pourquoi la bourgeoisie canadian n'accorderait-elle pas autant d'importance à son État que le P.Q. en accorde à un éventuel État du Québec? La bourgeoisie peut-elle séparer aussi facilement ses intérêts économiques de ses intérêts étatiques? Évidemment, si le référendum apporte une majorité de oui à la souveraineté-association, le refus armé d'Ottawa entraînerait des bouleversements, marqués par des grèves, des soulèvements et des attentats armés. Mais cette agitation spontanée serait laissée à elle-même, sans direction: l'État canadian aura vite fait de la mâter, même si c'est pour une courte période, de cinq à dix ans. Le gouvernement canadian pourrait aussi utiliser la menace de l'intervention armée afin de chercher à contraindre le gouvernement québécois à négocier une formule constitutionnelle en deçà de la souveraineté-association. Que ferait alors le P.Q.? Conservera-t-il son unité que la victoire au référendum lui aurait permis de maintenir?

Le Parti québécois a donc deux paris consécutifs à gagner celui du référendum et celui d'après le référendum. L'avenir est donc incertain.


Jean-Marc Piotte, sociologue, professeur retraité de l'enseignement à l'UQAM.

Notes

(1) La forte combativité ouvrière se manifeste donc même dans les syndicats les plus conciliateurs du Québec.

(2) Le local 298 et le S.C.F.P. participaient au front commun, même si c'était de façon négligeable: les syndicats de l'Hydro-Québec et ceux des employés d'universités négociaient ex parte. Le S.C.F.P., parce qu'il représente des ouvriers et des employés de la fonction publique, est l'allié naturel, au sein de la F.T.Q., de la C.S.N. et de la C.E.Q.

(3) Philip Resnick, «La social-démocratie au pouvoir - le cas de la Colombie-Britannique», Chroniques, numéro 28, avril 1977: pp. 12-23 indique que les réformes préconisées par le gouvernement Barrett se sont heurtées à la résistance passive des technocrates de l'appareil scolaire. Au Québec, il n'y aura pas de tels heurts, le Ministre Morin étant déjà sous tutelle technocratique.

(4) Même le gouvernement unioniste de Johnson n'avait osé ainsi consacrer ce petit despote. Mais le P.Q., cherchant à se rallier le vote des nationalistes conservateurs qui se porte encore sur l'U.N., est prêt à bien des compromis. N'est-ce pas le P.Q. qui, lors du congrès d'après la victoire, a adopté le vieux cheval de bataille de Duplessis: l'autonomie au sein de la confédération? Évidemment ce mot d'ordre est transitoire et ne viserait qu'à ouvrir la porte à des négociations, dossier par dossier, visant à atteindre par étapes la souveraineté-association.

(5) Cependant le conseil confédéral de la C.S.N. du 21-23 avril 1977 a pris connaissance d'un très bon document de F. Aubry et de P. Bakvis intitulé "Le budget Parizeau: rassurer le capital".

(6) Il faut relire les rapports de la Commission B.&B. pour connaître la profondeur et l'étendue de ces privilèges.

(7) Un sondage réalisé du 29 juillet au 5 août 1977, par la maison C.R.O.P. et pour le compte de Reader's Digest, dévoile les résultats suivants: 59% des francophones approuvent le projet de loi et 72% des anglophones s'y opposent, ce qui dégage une majorité de 52% de Québécois favorables à ce projet.

(8) Après le refus du gouvernement péquiste, le Premier Ministre Trudeau a reformulé son offre à René Lévesque, en oubliant la clause particulière pour le Québec...

(9) Le gouvernement péquiste ne s'attaque pas aux intérêts des U.S.A_ hormis pour Asbestos Corporation, le P.Q. ne prévoit aucune nationalisation d'entreprises américaines et René Lévesque vient d'annoncer que le Québec souverain continuerait d'être membre du NORAD et de l'OTAN. C'est pourquoi les dirigeants péquistes ne s'attendent pas à des représailles directes de la part des U.S.A., et ils ont raison. Mais les U.S.A., partisans du statu quo, sont évidemment du côté d'Ottawa.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Piotte Dernière mise à jour de cette page le Dimanche 22 août 2004 07:21
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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