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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

ADQ à droite toute! LE PROGRAMME DE L'ADQ EXPLIQUÉ (2003)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre sous la direction de M. Jean-Marc Piotte, à droite toute! LE PROGRAMME DE L'ADQ EXPLIQUÉ. Montréal: Les Éditions Hurtubise HMH, ltée, 2003, 252 pages. Cette édition numérique a été rendue possible grâce à la double autorisation, accordée le 27 novembre 2006, de l'auteur, M. Jean-Marc Piotte, professeur de science politique à l'Université du Québec à Montréal, et de M. Arnaud Foulon, Président-directeur général, Les Éditions Hurtubise HMH ltée, de Montréal.

 

Introduction 

“ADQ : à droite toute ! 

par Jean-Marc PIOTTE

 

L'Action démocratique du Québec (ADQ), lorsqu'elle se présente pour la première fois aux élections, en 1994, obtient 6,5% des suffrages et fait élire un député, Mario Dumont, dans le comté de Rivière-du-Loup. Aux élections suivantes, en 1998, elle double son nombre de voix, sans cependant réussir à élargir sa députation : encore une fois Mario Dumont est le seul représentant du parti à l'Assemblée nationale. Aux élections partielles de l'automne 2001, l'ADQ semble reculer, alors que le Parti libéral du Québec (PLQ) rafle trois comtés sur quatre. Cependant, lors d'une élection partielle au printemps 2002, elle arrache le château fort de Saguenay au Parti québécois (PQ). Enfin, aux dernières élections partielles, en juin dernier, trois de ses candidats sur une possibilité de quatre obtiennent la victoire. 

À l'été 2002, les sondages lui accordent 40% des intentions de vote et un gouvernement majoritaire si les élections se tenaient à ce moment-là. C'est l'euphorie chez les adéquistes, la consternation chez leurs adversaires et la stupéfaction chez l'ensemble des commentateurs politiques. Cette nouvelle - car c'est vraiment une nouveauté - suscite son lot d'articles, plusieurs éditoriaux et de nombreuses lettres des lecteurs dans les journaux, soulève des débats passionnés dans les tribunes téléphoniques et attire l'attention des émissions d'affaires publiques. 

Ces débats publics sont nécessaires et essentiels en démocratie, et cela indépendamment des fluctuations des sondages électoraux. Mais, pour aller plus loin dans les débats, nous devons approfondir notre connaissance de l'ADQ et comprendre sa nature, en étudiant attentivement son programme politique. C'est pourquoi nous vous présentons une analyse rigoureuse de celui-ci en nous centrant sur onze sujets auxquels ce parti accorde de l'importance. Divers spécialistes interviennent donc, dans une perspective de vulgarisation, sur la santé, l'économie, le taux d'imposition uniforme, la politique sociale, le remboursement de la dette, les relations de travail, l'éducation, la famille, la position constitutionnelle, la régionalisation et la réforme des institutions politiques. 

Pourquoi s'attarder uniquement au programme de l'ADQ ? C'est que, le Parti libéral du Québec et le Parti québécois existant depuis des décennies, l'électorat sait à quoi s'en tenir, à travers les inévitables modifications conjoncturelles de leurs programmes électoraux. Il n'en est cependant pas de même du parti de Mario Dumont, qui se targue de fraîcheur et préconise le changement. Au-delà des joutes oratoires et des tergiversations du chef, il nous semble important de juger la nouveauté et le changement prônés par le programme qu'ont peaufiné les militants de l'ADQ, au cours des divers congrès, depuis maintenant près de dix ans. Car ce programme, élaboré congrès après congrès, nous permet de comprendre les fondements idéologiques de ce nouveau parti, que tendent parfois à masquer les préoccupations opportunistes de tout programme étroitement électoral. 

Voyons de plus près en résumant les analyses proposées. Pour conclure cette introduction, nous ferons un rappel des origines de l'ADQ. 

Le programme expliqué 

1. Sur la santé 

En santé, André P. Contandriopoulos, Louise Rousseau et JeanLouis Denis montrent comment les propositions de l'ADQ valorisent la liberté et la responsabilité individuelles au détriment de la responsabilité commune, visent la destruction de nos grandes institutions collectives et favorisent la régression de la vie démocratique représentative au profit de la gestion marchande et de la participation individuelle. 

Ils décrivent ensuite ce que seraient les conséquences de la politique adéquiste sur le système de santé et indiquent qui seraient les gagnants et les perdants de cette réforme. Ils concluent en affirmant que la mise en oeuvre des propositions de l'ADQ promouvrait un individualisme porteur d'un accroissement considérable des inégalités, en lieu et place de la solidarité exprimée dans la façon dont est organisé notre système de santé depuis la Révolution tranquille. 

2. Sur l'économie 

À ce sujet, Richard Langlois montre pourquoi la critique adéquiste d'un État québécois hypertrophié ne repose sur aucun fondement. Puis il explique que, si les rapports des vérificateurs généraux mettent en évidence des cas de gaspillage des fonds publics, l'entreprise privée est loin d'être un modèle d'efficacité et que les nombreuses privatisations dans le monde ont créé plus d'inconvénients que de bénéfices. 

L'auteur déconstruit ensuite le mythe, qui alimente le programme de l'ADQ, d'une nouvelle économie fondée sur les nouvelles technologies de l'information (NTIC). Il remarque enfin que les orientations adéquistes, souvent incohérentes, négligent des pans entiers de la réalité économique.
 

3. À propos de l'impôt 

Jean Eddy Péan et Sylvain Charron commencent par montrer que la progressivité de l'impôt a été fortement réduite au Québec depuis J'année 1988 et que cette progressivité est encore plus restreinte si on tient compte des autres taxes que doivent payer les contribuables. Le taux unique d'imposition de l'ADQ ne viendrait donc que parachever le programme fiscal néolibéral déjà appliqué par les libéraux et les péquistes. 

Les auteurs déconstruisent ensuite les arguments favorables au taux unique : simplification de l'impôt sur le revenu, réduction de l'évasion fiscale, freinage de l'exode des cerveaux et stimulation du développement économique. Puis ils analysent l'application du taux unique en Alberta. La fiscalité, concluent-ils, repose sur des questions de valeurs, qui devraient être celles d'équité et de solidarité. 

4. Les politiques sociales 

Sur les politiques sociales, l'ADQ propose de remplacer, dit Pascale Dufour, l'ensemble des programmes actuels de soutien au revenu, dont celui de l'assistance- emploi (auparavant nommée aide sociale), par un impôt négatif qui consisterait à verser un revenu minimum à toute personne dont les revenus totaux se situent au-dessous d'un certain seuil, qui n'est pas précisé. Cet impôt négatif se distingue de l'allocation universelle dans la mesure où il n'accorde pas à tous un revenu garanti. Il se démarque aussi du revenu minimum garanti (RMG), qui s'adresse aux démunis, car il est conditionnel à la participation au marché du travail ou à la recherche active d'un emploi. 

L'ADQ ne prévoit donc rien pour ceux qui sont inaptes au travail. L’impôt négatif, dont la formule a été publicisée par Milton Friedman, n'existe, tel qu'il est proposé par l'ADQ, nulle part au monde. Il a pour but de lutter contre la pauvreté des travailleurs faiblement rémunérés et d'inciter à l'emploi les prestataires du système d'assistance sociale. Mais, en complétant les revenus des bas salariés, il encouragerait surtout les entreprises à multiplier les emplois flexibles à temps partiel. 

5. Du côté de la dette 

En ce qui concerne le remboursement de la dette, qui viserait à assurer l'équité intergénérationnelle, Pierre Beaulne démontre, chiffres à l'appui, que le parti de Dumont, en se plaignant indûment de ce que laissera en héritage la génération des baby-boomers, ne fait ainsi que renforcer les préjugés qui attisent les tensions intergénérationnelles. 

L'auteur décrit ensuite comment la spirale de l'endettement, qui avait pris son élan au début des années 1970, a été enrayée durant la dernière décennie. Puis, il aborde et évalue les plans de remboursement de la dette du gouvernement fédéral, de la Colombie- Britannique, de l'Alberta, puis du Manitoba. Beaulne explique pourquoi il est impossible de fixer des cibles de remboursement de la dette sans prendre en compte la conjoncture et juge enfin financièrement impossible que l'ADQ puisse, à la fois, réduire le fardeau fiscal des classes moyennes et supérieures, financer l'ensemble des mesures de soutien à l'individu et à la famille, tout en réduisant la dette. 

L'auteur conclut que la croissance économique et les faibles taux d'intérêt font davantage pour réduire le poids de la dette que n'importe quel remboursement financier direct et que celui-ci, pour avoir un impact important, doit être substantiel et s'exercer au détriment de priorités sociales, dont la santé, l'éducation et la lutte contre la pauvreté, y compris celle des enfants. 

6. À propos du travail, du syndicalisme et de l'entreprise 

Sur le syndicalisme et les relations de travail, l'ADQ se porte, dit Mona-Josée Gagnon, à la défense de la liberté d'entreprendre et de gérer des employeurs, tout en accusant les syndicats d'y porter atteinte. L'ADQ manifeste de plus une hostilité ferme contre un appareil d'État solide dont la principale raison d'être est la lutte contre les inégalités sociales, car elle ne reconnaît pas que la société est segmentée, que les individus ne sont que théoriquement égaux et qu'ils ont besoin, en plus de l'État, de se regrouper pour défendre efficacement leur droit à l'égalité. 

Les syndicats forts, comme un État fort, sont ainsi les ennemis de l'ADQ, qui laisse entrevoir, explique Mona-Josée Gagnon, une méconnaissance abyssale des relations de travail. L'ADQ rejette le triangle État/associations patronales/centrales syndicales qui a été mis sur pied lors de la Révolution tranquille pour lui substituer un nouveau triangle social composé de l'État, des employeurs et des individus, ceux-ci n'ayant pas besoin d'organisations particulières, car ils seraient dignement représentés par le gouvernement adéquiste, qui en serait le reflet. L'auteure termine son exposé en indiquant les similitudes entre ce que propose l'ADQ et ce qu'a pratiqué le gouvernement Thatcher. 

7. Quant à l'éducation 

Là-dessus, Normand Baillargeon montre que les bons d'éducation (vouchers) viennent eux aussi de l'économiste Milton Friedman, leader de l'école de Chicago, qui a exercé une influence déterminante sur les politiques publiques en préconisant le libre marché, la concurrence, la déréglementation et la privatisation. Le système des vouchers assurerait le libre choix aux consommateurs d'éducation (parents et enfants) plutôt qu'aux producteurs (bureaucrates du ministère de l'Éducation du Québec, enseignants, syndiqués... ). 

Contrairement à ce que prétend l'ADQ, ce système a très peu été implanté aux États-Unis (ou ailleurs) et a été largement critiqué. Baillargeon nous présente ces quelques expériences et les analyses qu'elles ont suscitées. À la conception marchande et individualiste de l'éducation promue par l'ADQ, l'auteur oppose une conception humaniste fondée sur la recherche du bien commun et orientée vers la formation d'êtres libres et capables de penser par eux-mêmes. 

8. Pour la famille 

De son côté, Renée B. Dandurand affirme que, dans sa politique familiale, l'ADQ juge sérieux le problème de la dénatalité au Québec, mais pour dire que la principale cause serait, contrairement à ce que démontrent maintes études, de nature économique. Ce parti reprend une politique d'allocation à la naissance de chaque enfant, politique déjà appliquée sous le deuxième gouvernement de Robert Bourassa et qui s'était révélée peu efficace pour accroître les naissances. Il préconise aussi la réduction du prêt étudiant pour chaque nouvel enfant, politique qui ne favoriserait que les diplômés d'études supérieures... Il propose de plus un très généreux congé parental, dont l'application exigerait la participation financière du gouvernement fédéral. 

Enfin, l'ADQ, qui s'est à l'origine opposée aux « garderies à5 $ », propose un bon en garderie, un voucher, qui serait remis à chaque parent, qui l'utiliserait à sa guise, ce qui pourrait avoir des répercussions importantes sur le retrait du marché du travail des travailleuses à bas salaire. L'objectif éducatif poursuivi par les garderies publiques pourrait être assuré par les parents à domicile, outillés par des émissions de télévision, des sites Internet (pour ceux qui savent lire...) ou d'autres moyens guère plus efficaces. 

L'auteure montre ainsi que la politique familiale de l'ADQ nie la responsabilité collective des États contemporains envers les enfants et ignore deux domaines majeurs d'intervention : l'intervention éducative précoce pour la petite enfance et la conciliation famille-travail pour les parents. Cette politique s'inscrit au sein du conservatisme social, tout axé sur la régénération de la famine traditionnelle préconisée par la droite chrétienne américaine. 

9. La position constitutionnelle 

Sur la question nationale, Gilles Bourque commence par analyser le rapport Allaire déposé par le comité constitutionnel du Parti libéral du Québec, en 1992, après l'échec de l'Accord du lac Meech et dans le cadre de la Commission Bélanger-Campeau. 

C'est essentiellement ce rapport que reprend le programme de l'ADQ, en accentuant la tendance néolibérale qui y était déjà à l'œuvre, en ignorant les propositions des nouvelles institutions politiques canadiennes qu'il contenait et en banalisant le renvoi au peuple québécois, alors sujet politique des changements qu'il exigeait. L'auteur montre ensuite que le néolibéralisme et le nationalisme mou de l'ADQ renouent avec la conception duplessiste de l'État en rompant avec le nationalisme progressiste qui avait émergé au Québec au début des années 1960 et qui s'était constitué par et dans la promotion de l'État-providence. 

Enfin, Gilles Bourque pose comme hypothèse que la montée récente de l'ADQ et la régression du PQ pourraient signifier la décomposition du mouvement souverainiste, dont le développement avait reposé sur la croissance d'une classe moyenne au Québec, classe moyenne attaquée et déstructurée par la vague néolibérale que l'ADQ se propose d'amplifier au nom de la classe moyenne ! 

10. Les régions 

Sur le plan de la politique régionale, l'ADQ, dit Serge Côté, répond à la demande légitime des diverses régions du Québec qui veulent exercer un meilleur contrôle sur leur développement économique et social, en affirmant que les 17 régions administratives actuelles définiraient elles-mêmes les pouvoirs qu'elles veulent exercer dans plus d'une dizaine de domaines, dont ceux de la santé et de l'éducation. L'État en serait pratiquement réduit à être le pourvoyeur financier des régions. Même en supposant que le Québec reçoive d'Ottawa tous les pouvoirs que l'ADQ demande, le Québec deviendrait, et de loin, l'État le plus décentralisé du monde. 

Sur le plan régional, le pouvoir délibératif serait exercé par les actuels Conseils régionaux de développement, dont les membres sont nommés par les organisations qu'ils représentent. L'exécutif régional, choisi sans doute par les membres du Conseil, serait dirigé par un chef élu au suffrage universel. Comment s'harmoniseraient l'assemblée régionale (l'actuel Conseil régional), dont les membres sont nommés de façon corporatiste, et dont le seul dirigeant régional est élu démocratiquement, l'ADQ ne le dit pas. 

L'ADQ vise donc moins le développement économique régional ou le développement social régional (dont elle ne dit mot) qu'à démanteler l'État, perçu comme le fauteur de tous les maux, tout en épaulant les réseaux d'entreprises régionaux. 

11. La réforme des institutions politiques 

Sur le fonctionnement du régime démocratique, l'ADQ s'appuie, dit Gérard Boismenu, sur la méfiance des populations québécoise et canadienne envers les élus et leurs partis politiques pour affirmer que les institutions politiques devraient être subordonnées, voire réductibles à l'individu. L’ADQ critique les mécanismes de la démocratie représentative et propose comme solutions de remplacement diverses mesures s'inspirant de l'utopie de la démocratie directe, dont certaines sont contradictoires et incompatibles (par exemple, des députés, élus dans les conscriptions, qui pourraient être rappelés par leurs mandants, et des députés, élus selon la proportionnelle, qui ne pourraient l'être). 

Puis, l'auteur reprend et critique les arguments de l'ADQ visant à « réinventer » le législatif Enfin, Boismenu soutient qu'il ne faut pas laisser aux mains des adéquistes la thématique des pratiques démocratiques. Il faut que les progressistes la reprennent à leur compte en vue d'assurer l'accroissement des droits des citoyens, dont les droits sociaux. 

Voilà, résumée sous onze rubriques, notre analyse du programme de l'ADQ. 

L'ADQ accorde aussi de l'importance aux questions environnementales et certaines des mesures proposées semblent valables. 

Cependant, elles sont souvent mal intégrées et ne sont pas articulées à l'ensemble des autres dossiers abordés. 

On pourrait aussi ajouter à notre analyse du programme les deux pages consacrées aux affaires municipales, qui ne sont perçues que d'un point de vue régional : elles doivent y fonctionner de façon cohérente en vue d'en assurer le développement économique. L'ADQ propose aussi de renforcer l'autonomie des municipalités face à l'État, de mettre au pas les syndicats municipaux et de favoriser la privatisation de certains services municipaux. De même, moins de deux pages sont allouées au secteur de la justice. On y propose notamment de soutenir les victimes d'actes criminels en leur attribuant une partie de l'argent récupéré du crime organisé, de limiter l'accès au système de liberté conditionnelle, d'appuyer le recours aux systèmes privés d'assistance juridique et d'impliquer le secteur privé dans la gestion des prisons. Une page de plus est consacrée aux affaires culturelles, où il n'y a guère de nouveau, sauf peut-être dans leur promesse de soutenir la production multimédia, à l'instar de la production télévisuelle et cinématographique.
 

Sur les silences

 

Le programme du parti demeure silencieux sur un certain nombre de sujets. Ces silences sont d'ordre majeur. Ainsi, l'ADQ ne propose aucune politique internationale, même si elle juge que les compétences dans ce domaine devraient être partagées entre le gouvernement fédéral et le Québec. En fait, même si l'ADQ exige du reste du Canada un nouveau partage des pouvoirs, elle n'a aucune politique pour renforcer l'État des Québécois. 

Au contraire, elle promeut son affaiblissement en affirmant que chacune des régions administratives du Québec pourrait choisir les responsabilités qu'elle veut assumer dans les treize domaines suivants. éducation, développement économique, organisation de la santé et des services sociaux, sports et loisirs, services de garde, intégration des immigrants, culture, tourisme, infrastructures régionales de transport, environnement, ressources naturelles, municipalités et agriculture. 

Même si la souveraineté doit être partagée dans le domaine des affaires autochtones, le parti demeure coi sur le sujet. L'ADQ affirme aussi que la citoyenneté québécoise est multiculturelle, mais son ouverture s'arrête là. On ne trouve aucune indication de ce que seraient sa politique d'immigration, sa politique d'intégration des immigrants, une possible ouverture de la fonction publique aux membres des communautés culturelles, etc. L'ADQ accepte les résultats du dernier référendum et renonce donc à la souveraineté, mais ce renoncement, en l'absence de toute autre politique, demeure insuffisant pour briser l'hégémonie qu'exerce le PLQ sur la communauté anglophone et sur les communautés culturelles. L'ADQ vise donc, de fait, la même clientèle électorale que le Parti québécois. 

De même, l'ADQ demeure silencieuse sur les revendications portées par le mouvement féministe depuis les 20 dernières années, et pour cause : sa politique familiale, dont les bons pour la garde d'enfant, traduit un préjugé favorable envers la femme au foyer. Elle ne parle guère non plus des pauvres, sauf pour indiquer que sa politique fiscale, contrairement et en opposition à sa politique familiale, les incitera à retourner sur un marché du travail où subsiste une pénurie d'emplois. En fait, sous le masque de la défense de la classe moyenne, l'ADQ révèle, notamment en santé et en fiscalité, de la compassion pour les battants et les mieux nantis et une indifférence à peine déguisée pour les perdants et les démunis. 

Notons enfin que les analyses que nous avons faites montrent que le programme de l'ADQ manifeste une ignorance de certains domaines traités, qu'il est parfois contradictoire, qu'il souffre trop souvent de confusion et est financièrement irréalisable. 

Rappel : d'où vient l'ADQ et où elle va

 

Si on s'interroge enfin sur les origines du parti, il faut préciser que ceux qui contrôlent l'ADQ, Dumont et sa garde rapprochée, ont eu 20 ans, c'est-à-dire l'âge auquel on accède à la conscience politique, en 1990, alors que le néolibéralisme était triomphant. Ils sont restés accrochés à ce courant politique, même s'il n'a pu remplir ses promesses de création d'emplois et de progrès économique et social et même si ses conséquences, en ce qui a trait à la destruction de l'environnement, à la détérioration sociale et à l'élargissement scandaleux des écarts entre les riches et les pauvres, sont maintenant bien documentées. 

Comment peut-on, après l'éclatement de la bulle financière créée autour des entreprises de haute technologie et l'effondrement de firmes multinationales dirigées par des filous, croire encore en la supériorité incontestée de l'entreprise privée sur les entreprises publiques ? L'aveuglement des adéquistes se constate partout, y compris dans leur politique régionale, où ils sont incapables de reconnaître que l'écart grandissant entre grandes villes et régions provient d'un marché débridé et non pas de l'État. 

Dans les interstices du programme suinte une espèce de hargne contre la génération des parents des adéquistes, qui leur aurait transmis une monstrueuse dette et des institutions, notamment en santé et en éducation, dépassées. Cette hargne a été alimentée par les clauses « orphelin » et le travail précaire. Les syndicats ont assurément manifesté trop souvent de la complaisance envers les clauses « orphelin » et lutté avec mollesse contre la précarisation du travail. 

Pourquoi Mario Dumont n'a-t-il jamais attaqué les dirigeants d'entreprise qui ont défendu ces politiques ? Comment ne voit-il pas que l'impôt négatif et la flexibilité qu'il préconise alimenteraient cette précarisation du travail ? Pourquoi ne reconnaît-il pas que la précarité affecte particulièrement, non seulement les jeunes, mais aussi les femmes et les travailleurs des communautés culturelles ? 

Mario Dumont, ici comme ailleurs, utilise des problèmes réels pour détourner l'attention de leurs causes complexes en présentant à l'opprobre populaire des ennemis créés de toutes pièces. 

Les générations se succèdent rapidement et celle qui a eu 20 ans à l'an 2000 a accédé à la conscience politique en luttant contre la mondialisation, elle-même le résultat du néolibéralisme prôné par l'ADQ. Car l'ADQ a des maîtres, l'école de Chicago, dont Friedman est un des phares, qui a influencé Pinochet au Chili, Thatcher en Angleterre, Reagan aux États-Unis, Harris en Ontario et qui continue de dicter les politiques de Bush aux États-Unis et de Klein en Alberta. 

L'ADQ veut, de fait, supprimer la société que les Québécois ont construite et qui repose, du moins en partie, sur la défense de valeurs collectives et la recherche d'un certain bien commun, pour la remplacer par une société de type étasunien, un décalque de l'Amérique des Républicains et de la droite, une société individualiste dont l'alpha et l'oméga sont l'intérêt des seuls individus. 

Nous ne pensons aucunement que les institutions collectives mises sur pied depuis la Révolution tranquille ne devraient pas être transformées. Au contraire, tous les collaborateurs de ce livre les ont déjà critiquées et ont proposé diverses réformes pour améliorer leur fonctionnement et les rendre plus conformes aux valeurs de liberté, d'équité sociale et de solidarité auxquelles ils adhèrent. Cependant, réformer des institutions pour faire face aux défis du présent est une chose et les saccager au nom d'une idéologie individualiste en est une autre. 

 

Les antécédents

 

L'ADQ a-t-elle des antécédents au Québec ? Il y a eu bien sûr les créditistes, dont le populisme, fondé sur un sentiment légitime d'aliénation régionale, ressemblait à celui de l'ADQ dans sa révolte contre l'establishment. Mais les créditistes s'en prenaient aussi aux requins de la finance et désiraient que l'État distribue aux citoyens des dividendes, tandis que l'ADQ ne diabolise que l'État, angélisant tous les dirigeants d'entreprise. De plus, les créditistes ont pu neutraliser, voire tirer à droite les gouvernements, en détenant la balance du pouvoir, mais ils n'étaient guère plus dangereux, ne pouvant prendre le pouvoir à Ottawa. 

Le phénomène adéquiste, lui, ne constitue pas uniquement un vote de protestation : il peut faire davantage de dommages que remorquer à droite tout gouvernement minoritaire. Si les adéquistes prennent le pouvoir, ils chercheront dogmatiquement à refaire le Québec à l'image de leur utopie, avec un dogmatisme qu'alimenterait vraisemblablement une inexpérience de gestion des affaires publiques et de l'exercice du pouvoir politique. Mario Dumont n'a-t-il pas dit qu'il admirait Harris parce qu'il avait eu le courage d'imposer ses politiques malgré toutes les protestations sociales ? 

Le plus grand danger qui nous guette est de croire que le ballon adéquiste va se dégonfler de lui-même. On a entretenu la même illusion attentiste en Ontario face au phénomène Harris. Évidemment, Harris avait obtenu l'appui de la puissante machine électorale du Parti conservateur ontarien avec laquelle ne peut se comparer celle de l'ADQ. Néanmoins, il ne faut pas mésestimer la menace que représente au Québec cette nouvelle droite organisée. 

L'ADQ a un autre antécédent : l'Union nationale de Maurice Duplessis. Comme ce parti, elle désire un État minimal, faisant entièrement confiance au marché. L'Église du Québec, dont le poids politique s'est considérablement réduit et qui s'est toujours préoccupée de justice, ne pourra plus gérer les institutions sociales comme cela se faisait sous Duplessis. 

Elle sera remplacée dans cette fonction par les entreprises de l'économie sociale, par les familles, par les régions et par les entreprises privées, qui, sauf les premières, dont guère, contrairement à l'Église de jadis, manifesté de compassion envers les pauvres et les démunis. Les fonctions de l'État, comme sous Duplessis, se réduiront idéalement à récolter les fonds et à les redistribuer à tous ceux qui oeuvrent au sein du marché. Dans notre système électoral majoritaire à un tour, que l'ADQ, avec le PLQ et après le PQ, propose de modifier, il ne peut y avoir durablement au Québec deux partis nationalistes qui aspirent réellement au pouvoir : l'ADQ, si elle réussit, remplacera le PQ, comme celui-ci s'était substitué à l'UN. On reviendrait donc au Québec, après plus de 40 ans, à un parti nationaliste de droite. 

La lecture du programme de l'ADQ permet de juger les déclarations de Mario Dumont qui dit une semaine une chose avant d'affirmer le contraire la semaine suivante, qui déclare défendre la classe moyenne alors que ses positions privilégient les nantis, qui proclame s'inspirer en santé de la social-démocratie suédoise alors qu'il est un thaumaturge du néolibéralisme, etc. En fait, Dumont utilise son look de jeune premier au service de clips publicitaires qui moussent le produit ADQ tout en voilant son contenu réel. Maurice Duplessis avait jadis réussi à convaincre des Québécois qu'un pont, qu'il venait de faire construire, s'était effondré à la suite d'un complot fomenté par les communistes... Espérons que la démagogie de Dumont ait moins de succès.

 

Pour conclure sur le mauvais rêve adéquiste

 

Comment en sommes-nous arrivés là, à un parti carrément de droite qui pourrait prendre le pouvoir ? il faut d'abord reconnaître que le PQ a involontairement favorisé la montée de l'ADQ. Le gouvernement de Jacques Parizeau avait calculé que, pour aller chercher l'appui des nationalistes mous lors du référendum, il lui fallait obtenir le soutien de Mario Dumont. Le gouvernement péquiste lui déroula donc le tapis rouge. Lors de son élection en 1994, on lui octroya un budget de recherche de 67 500 $, même s'il n'avait droit qu'à une somme de 10 000 $. Afin de gagner sa collaboration à la cause du OUI, on céda à la plupart de ses demandes lors des consultations régionales et sectorielles sur l'avenir du Québec et on lui consentit une place semblable à celle de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard sur les podiums. Au nom des intérêts supérieurs de la nation, le gouvernement péquiste posa donc des gestes qui favorisèrent la croissance du parti de Dumont [1]. 

Il ne faut pas non plus oublier que le Parti québécois est allé chercher, au nom de la souveraineté, un chef, Lucien Bouchard, qui était et est resté un conservateur, tandis que le Parti libéral du Québec, au nom du fédéralisme, a nommé à sa direction Jean Charest, lui aussi un conservateur, et qui l'est demeuré malgré le rappel des valeurs ancestrales du Parti libéral par Claude Ryan. Face aux deux partis traditionnels qui, en choisissant leurs chefs, ont démontré concrètement qu'ils privilégiaient le débat souveraineté ou fédéralisme, qui se répète depuis près de 40 ans et qui s'était amplifié au point de marginaliser toute autre question, l'ADQ reflète donc le sentiment majoritaire actuel de l'ensemble des Québécois en se désinvestissant de la sempiternelle question nationale et en centrant le débat sur les préoccupations de la population. 

Il faut encore ajouter que le néolibéralisme préconise par l'ADQ n'est pas un phénomène nouveau au Québec. Le PQ et le PLQ ont adopté, comme bien d'autres gouvernements ailleurs, certains éléments des politiques néolibérales en sabrant le système hospitalier, en appauvrissant le système d'éducation, en réduisant la progressivité des charges fiscales, etc. Les gouvernements, surtout péquistes, le faisaient souvent en reculant, en invoquant les contraintes de l'environnement économique, financier et politique, en s'excusant presque. 

L'ADQ reprend ces mêmes politiques, les radicalise et les défend comme si elles pouvaient remédier à tous les maux. Elle affirme apporter, contrairement à l'establishment politique, une solution aux problèmes vécus par les Québécois, dont le niveau de vie a diminué depuis une vingtaine d'années et dont les services publics se sont détériorés malgré une ponction fiscale qui s'est alourdie. Or, les solutions qu'elle propose, qui sont en continuité avec les éléments néolibéraux des politiques des deux partis traditionnels, ne feraient qu'empirer les maux qu'elle dénonce. 

L'actuelle mondialisation est le fruit du néolibéralisme et a pris au Canada la forme de l'Accord de libre-échange, puis de l'ALENA. Cet accord, préconisé par le gouvernement conservateur de Brian Mulroney, n'aurait jamais été appliqué s'il n'avait reçu l'appui du Parti libéral de Bourassa et celui du Parti québécois de Parizeau. Bernard Landry a été le grand propagandiste de cette entente, faisant le tour du Québec pour la louanger. Les raisons invoquées étaient essentiellement d'ordre économique. 

Comment préconiser l'intégration économique du Québec au pays le plus puissant de la planète et espérer préserver la culture spécifique qui est la nôtre ? Comment développer les protections sociales que nous nous sommes données face au « tout au marché » des Américains ? Pourquoi accepter que l'État soit soumis aux multinationales (chapitre 11 de l'ALENA) ? Que signifierait un Québec politiquement indépendant intégré économiquement à « l'empire » américain ? Ces questions n'étaient pas posées. Jacques Parizeau changera son fusil d'épaule lorsqu'il comprendra que l'AMI, rejeté, était inspiré de l'ALENA, qu'il avait appuyé. Louise Beaudoin vient maintenant de mettre sur pied un « observatoire » de la mondialisation. Bien. Mais l'ADQ n'entretient de son côté pas de doutes sur le sujet. Elle adhère à la mondialisation, à laquelle le Québec économique et social doit s'adapter, sauf sur le plan culturel, où ce parti reprend à son compte la diversité ou l'exception culturelle préconisée par les péquistes et les libéraux. 

Enfin, les dirigeants syndicaux, souvent associés au Parti québécois, dont ils se sentaient proches, subissent le même rejet de la population que l'establishment politique. Le néo-corporatisme, qui a animé sous le PQ les relations entre syndicats, associations patronales et gouvernement, a indéniablement permis des avancées sociales, notamment les garderies à 5 $ et la Loi sur l'équité salariale - mesures qui n'ont pas reçu, faut-il s'en étonner ? l'appui de Dumont - mais a aussi compromis les syndicats en les liant à des politiques néolibérales, dont celle de l'implacable déficit zéro sous le gouvernement Bouchard [2]. 

La gauche du Québec, à la remorque du PQ, qui unit en son sein diverses tendances politiques sous la bannière de la nation, n'a jamais réussi à regrouper autour d'objectifs progressistes les Québécois de diverses allégeances constitutionnelles et à se doter ainsi d'un parti, contrairement à la gauche canadienne, qui a le Nouveau Parti démocratique. Il faut avouer que la présente conjoncture internationale n'aide pas les Québécois qui œuvrent à la formation d'un parti de gauche : après l'écroulement des pays socialistes, les partis sociaux-démocrates, largement majoritaires il y a peu au sein de la Communauté européenne, ont été incapables de développer et d'appliquer une politique qui aurait contré le néolibéralisme. Les progressistes du monde entier sont à la recherche d'une nouvelle voie politique enthousiasmante et crédible. L'ADQ, sous l'étendard de la nouveauté, a comblé au Québec ce vacuum en ressassant les vieilles recettes de Ronald Reagan, dont le principal conseiller était Milton Friedman. 

Dans la page liminaire de son programme, l'ADQ affirme qu'il faut « retrouver le goût de rêver ». Nous partageons entièrement ce vœu, tout en nous opposant aussi catégoriquement au rêve adéquiste, qui deviendrait, une fois vécu, un cauchemar pour l'ensemble de la population, hormis peut-être la classe moyenne supérieure et les riches.


[1] Julien Béliveau, Mario Dumont. Le Pouvoir de l'image, Montréal, Trait d'union, 2002, chap. 10.

[2] En 1996, le nouveau gouvernement Bouchard propose de réduire un déficit dont le montant est supérieur à celui que prévoyait rembourser le gouvernement précédent de Parizeau. Voici comment. Dans le discours du budget de 1995-1996, le gouvernement Parizeau affirme avoir pris, en campagne électorale, « l'engagement d'éliminer dans deux ans le déficit des opérations courantes, c'est-à-dire de cesser d'emprunter pour payer les dépenses d'épicerie ». Le gouvernement élu de Parizeau, ayant ainsi promis de supprimer le déficit des opérations courantes, n'inclut pas dans ses objectifs budgétaires le coût des immobilisations, soit 1,8 milliard de dollars. Le gouvernement non élu de Bouchard, appuyé par « l'élite »syndicale, inscrit le coût de ces immobilisations dans le déficit à éliminer, avec les conséquences désastreuses que cela entraînera dans la « liste d'épicerie », le budget de fonctionnement des institutions scolaires et hospitalières.


Retour au livre de l'auteur: Jean-Marc Piotte Dernière mise à jour de cette page le lundi 1 janvier 2007 18:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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