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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Éric Pineault, “Notes sur la question de l’après-capitalisme. Faut-il penser des alternatives économiques au capitalisme avancé ?.” Un article inédit rédigé à partir d’un texte préparé pour la revue Relations. Avril 2010. [Autorisation accordée par l'auteur de diffuser le texte de cet article dans Les Classiques des sciences sociales le 14 avril 2011.]

Éric Pineault

Sociologue, département de sociologie, UQÀM,
Directeur de recherche à la Chaire de recherche du Canada
en Mondialisation, Citoyenneté et Démocratie.

Notes sur la question de l’après-capitalisme.
Faut-il penser des alternatives économiques
au capitalisme avancé ?
”.

Un article inédit rédigé à partir d’un texte préparé pour la revue Relations. Avril 2010.

Penser et vouloir une alternative économique au capitalisme suppose que l’économie puisse exister indépendamment du capitalisme, c’est-à-dire que celle-ci ne soit pas que son reflet idéologique. Or, comme de nombreux critiques du néolibéralisme et du libéralisme nous le rappel (voir en particulier les travaux de Serge Latouche), le point de départ du discours de légitimation du capitalisme dans la modernité (et encore aujourd’hui) fut de naturaliser le rapport économique au monde comme un fatum inhérent à l’existence même de la société. “Il y aura toujours une économie”, comme il y aura toujours du travail, et des marchandises. Le coeur du travail idéologique de l’économie politique moderne et de la science économique actuelle est de démontrer que l’organisation de la production, de l’échange et de la consommation sur la base du marché et de la propriété privée demeure la forme la plus rationnelle et efficiente d’organisation de cette dimension de notre existence sociale. L’opposition d’économie politique au néolibéralisme apparaît dès lors comme un processus qui tente de légitimer un ordre économique constitué sur d’autres bases.

Opposer au capitalisme une autre forme d’économie implique que celle-ci aurait des caractéristiques et une nature qui lui serait irréductible. Le socialisme moderne a traditionnellement défini l’économie en termes de rapport de subsistance entre la société et la nature. Comme le soutien Karl Polanyi est économique l’activité par laquelle une collectivité pourvoie à ses besoins essentielles comme société en produisant et distribuant des richesses. La critique socialiste du capitalisme moderne voyait dans celui-ci un mode irrationnel et injuste d’organisation de la production et de l’échange parce que intermédié par le marché et la propriété privée, sans pour autant questionner la nature des besoins auxquels répondait le capitalisme, ni la forme des objets qu’il produisait ou la façon dont ceux-ci étaient produit. Forcément, puisque le mouvement ouvrier de la modernité classique qui portait cette critique parlait justement à partir de la position de classe des producteurs de ces marchandises. Le socialisme devait être un prolongement rationnel, juste et éclairé du processus d’accumulation capitaliste, rares furent ceux qui pensaient les choses autrement. Plusieurs l’ont déjà souligné, même les plus subtils ou radicaux critiques du capitalisme, un Marx, un Kropotkine ou un William Morris, avaient un rapport plus qu’ambigüe au productivisme économique de la modernité. Le “progressisme” de la gauche, des mouvements socialistes et communistes se matérialisait en termes économiques par cette adhésion au paradigme de la croissance et de l’accumulation.

La réponse concrète du socialisme prenait la forme d’une politique de socialisation de l’accumulation et des rapports privés du capitalisme libéral, essentiellement une socialisation du marché et de la propriété privée. Dans sa variante réformiste et social-démocrate la socialisation renvoyait à l’encadrement et à la régulation publique de ces institutions ainsi qu’à la création d’une sphère de production et d’échange hors marché par étatisation partielle de l’économie. À la valeur d’échange fut ainsi substituée une valeur social et politique comme mécanisme de formation des prix dans l’économie. Si la première est immanente à la sphère de l’échange marchand et donc semble “naturelle”, la seconde est le produit d’une pratique réflexive dont les critères sont politiques et donc contestables. C’est ici que la question des rapports de classes devenait névralgique et essentielle, la socialisation de l’économie était portée politiquement par une classe sociale, elle était une réponse à la contradiction capital/travail formulée à partir de l’expérience de la classe ouvrière mobilisée. La valeur politique et social qui se superposa à la valeur d’échange était l’expression d’une “économie morale” de la classe ouvrière dont les principes était la recherche de dignité, de justice et de bien être dans son mode de consommation et dans son expérience des rapports de production. Cette recherche a ainsi orienté ce processus de socialisation politique du capitalisme et donnée naissance à l’État providence et l’économie mixte du compromis keynésien ainsi qu’aux États du socialisme dit “réel”.

Cette régulation politique et sociale des prix à partir d’une autre conception de la valeur se déploya soit à côté ou même à l’intérieur de la sphère du marché capitaliste afin de baliser, orienter et endiguer le processus d’accumulation. Le socialisme révolutionnaire poussa cette logique plus loin en étatisant intégralement la propriété productive et en remplaçant le marché par des mécanismes étatiques de planification bureaucratique, tout en conservant la contrainte à l’accumulation propre au capitalisme.

Quelle est la distance qui sépare
le projet contemporain d’un après-capitalisme
de cette tradition socialiste
et communiste de la modernité ?

On pourrait soutenir que la première et plus grande victoire des tenants du capitalisme est d’avoir convaincu leurs opposant qu’ils devaient penser le socialisme ou le communisme comme une alternative “économique”. Ceux qui souhaitait une alternative au capitalisme était ainsi contraints de penser la séparation d’une sphère productive et d’échange des autres dimensions de la vie sociale, et pour se faire reconduire l’essentiel des institutions, catégories et rapports sociaux produit par le capitalisme moderne, dont: la séparation nature/culture ou entre l’économique et l’écologique, les catégories de besoin, de travail, le rapport au monde clivé par la séparation entre production et consommation et l’articulation de celui-ci aux rapports de domination de genre, l’intégration des pratiques ainsi détachées de la culture par le marché ou la planification dans un espace monétaire et finalement la fondation symbolique et fonctionnelle de l’ensemble de ces structures sur une forme de la valeur capable d’exprimer des prix monétaires. L’économie socialiste ou communiste était alternative par le recombinaison sur une base collective et socialisé de ces institutions et rapports sociaux.

Déconstruire et circonscrire l’économique

Une des premières tâches pour aller vers un après capitalisme serait d’un côté de déconstruire ces clivages et de l’autre de circonscrire et de réduire l’emprise de l’économie qu’elle soit marchande, étatisée ou socialisée sur d’autres bases, sur le plus de pans possible de la vie sociale, de permettre leur ré-intégration dans le flux d’activité sociale du quotidien et de l’ordinaire. La tendance immanente au capitalisme avancé est plutôt inverse, extension constante du domaine économique par la pénétration toujours plus profonde de la logique marchande dans le quotidien et le tissu social. La réaction progressiste à ce processus fut de poursuivre, voir de devancer ce procès de pris en charge formelle par l’économie, et donc à sa manière la socialisation est aussi un vecteur d’extension de l’économie dans la société. Il faudrait développer une capacité de résister voire d’inverser cette logique en soutenant des processus de valorisation non-économique de l’activité sociale. La réduction du temps de travail, la rédaction du temps de consommation, la revalorisation des savoirs et pratiques productives vernaculaires et plus généralement l’ensemble des activités que nos aïeules associaient à “l’ordinaire” et à l’habiter.

Déconstruire les clivages de l’économie capitaliste implique aussi de penser au delà de la séparation et de la fixation des rôles sociaux des individus en producteur et en consommateur, en pourvoyeur et en ménagère. Ce premier clivage, qui remonte à la formation d’une classe ouvrière contrainte de recourir au marché pour produire (travailler) et subsister (consommer) a marqué profondément la formation au 20e siècle de la classe plus large de travailleurs - salariés contraint à la surconsommation de subsistance. Les initiatives largement personnelles et éthiques comme la consommation responsable, les systèmes qui déconstruisent la barrière marchande entre production et consommation tel que l’agriculture soutenue par la communauté sont des illustrations concrètes d’un principe qui devrait trouver son incarnation dans une politique de socialisation plus radicale de l’économique.

Le second clivage, articulé au premier, s’enracine dans une structure de domination domestique dont les origines et l’évolution renvoie aux rapports de genre et à leur transformation. Revaloriser l’ordinaire doit nécessairement s’arrimer au questionnement et à la reconstruction des rôles et rapports de genres dans l’espace public, dans le monde du travail et dans la sphère domestique, en particulier la redistribution des tâches et rôles genrés en appui aux avancés du mouvement féministe contemporain et aux transformations de la culture parentale.

Les divisions à défaire sont multiples, quelques unes remontent dans le passé lointain de l’imaginaire socialiste et communiste telles que l’exigence de déconstruire la séparation ville et campagne ainsi que celle plus générale entre nature et culture. Cela se traduit en termes contemporains, dans un effort de repenser un habiter productif urbain et rural du territoire qui va à l’encontre de la tendance à l’étalement péri-urbain, de relocaliser nos pratiques économiques et plus globalement de dépasser le clivage entre économie et écologie, en reconnaissant que notre “oikos” inclut autant les communautés du vivant que la société. Encore une fois des pratiques qui relèvent de cette logique existent de manière marginale dans plusieurs secteurs d’activité, par exemple sous la forme du mouvement de la permaculture dans le monde anglo-saxon.

Pour une écologie sociale

Si le socialisme et le communisme moderne avait comme fondement politique “l’économie morale” de la classe ouvrière, le point de départ contemporain d’une politique pour un après capitalisme doit avoir comme fondement une “écologie sociale” qui puise ses principes non seulement dans les valeurs socialistes mais aussi dans les expériences d’alternatives écologiques et de résistance au capitalisme corporatif et de rupture radicale avec sa logique d’accumulation.

Malgré sa radicalité celle-ci doit aussi reconnaître l’existence actuelle d’espaces de pratiques économiques “socialisés” non capitalistes qui sont un héritage des politiques social-démocrates et de l’effort de construction de l’État providence au 20 siècle. Au Québec, notre infrastructure hydro-électrique, nos services publiques, nos institutions d’enseignements, nos systèmes de transport collectif, notre tissu d’organismes communautaires, certaines entreprises publiques et même des pans du mouvement coopératif relèvent tous de ce processus de socialisation. Or, malgré leur caractère publique ou social ces espaces économiques ont ceci de particulier qu’ils participent à la triple logique productiviste, travailliste et consumériste du capitalisme avancé. En plus, le tournant néolibéral a pour effet de radicaliser l’emprise de ces logiques sur ces espaces et ces structures, comme en témoigne l’évolution de la gestion des sociétés d’état au Québec. Une alternative économique devrait plutôt chercher à mobiliser ces espaces et ces sociétés en vue de circonscrire l’économique en lui imposant un registre de valeur qui lui aussi ne se fonde pas tant sur les anciens principes de l’économie morale de la classe ouvrière mais sur les nouveaux principes d’une écologie sociale. Cela pourrait - par exemple - orienter tout le débat entourant la politique énergétique au Québec.

Circonscrire l’économique signifie finalement reposer la question de la socialisation plus radical du capital en fonction de cette écologie sociale. Traditionnellement l’alternative économique au capitalisme prenait le forme d’une alternative sociale au marché et à la propriété privé. Le registre historique des alternatives à ces formes est riche et important allant du marché administré, à la planification participative, à la planification centralisé par l’État d’un côté, de la petite propriété individuelle et limité, à la coopérative, à la propriété de l’État de l’autre. Si pendant la modernité le mouvement socialiste a priorisé ces alternatives en fonction de leur capacité à entretenir un système productif qui visait l’accumulation, il s’agit aujourd’hui d’inverser la hiérarchie entre ces formes à partir d’une exigence de décroissance, d’ancrage local de la production, de contrôle démocratique des entreprises, sans pour autant renoncer à notre capacité comme société à se doter d’organisations collectives d’envergure nationale et même globale quand cela est nécessaire.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 28 octobre 2011 13:06
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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