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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Napoléon III, L’Acadie et le Canada français. (1998)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de M. Robert Pichette, Napoléon III, L’Acadie et le Canada français. Moncton: N.-B.: Les Éditions d’Acadie, 1998, 222 pp. [Autorisation accordée par l'auteur le 5 mai 2004]

Avant-propos

Il y a bien de la différence entre un livre
que fait un particulier,
et qu'il jette dans le peuple,
et un livre que fait lui-même un peuple.
On ne peut douter que le livre
soit aussi ancien que le peuple.
Pascal

Que Louis Napoléon, d'abord comme président de la République française, puis comme empereur des Français, se soit occupé du Canada et de l'Acadie a de quoi surprendre. Son intérêt actif pour les communautés acadiennes de la côte atlantique du Canada actuel, pour discret et feutré qu'il ait été, n'en a pas moins été efficace et survint à point nommé.

Ce qui restait du peuple acadien, décimé par la tragédie de la Déportation entreprise en 1755, cherchait à affirmer son identité française dans un terri-toire géographiquement partagé avec le conquérant et les immigrants venus à sa suite. Après les avanies du XVIIIe siècle, tout était à faire au XIXe pour rétablir la dignité d'un peuple spolié par l'histoire, mais qui s'acharnait à main-tenir les valeurs identitaires françaises contre vents et marées.

Pour les Acadiens, traumatisés par une déportation massive au point où cet événement est resté la référence de son histoire contemporaine, le XIXe siècle sera un siècle d'effervescence, de grands travaux nationaux, qui deviendront les bases d'une affirmation de la spécificité acadienne à l'intérieur d'un pays qui se forge. Ce qu'on a appelé la Renaissance acadienne correspond à la révolution industrielle en Europe comme en Amérique. Les règnes de Victoria et de Napoléon III sont des règnes modernes.

De la France de cette époque, Octave Aubry affirme sans ambages et sur évidence : « jamais sans doute le pays n'a eu d'années plus heureuses que le Second Empire. » Le sort des Acadiens, occupés à écrire leur livre en dépit d'obstacles quasi insurmontables et, de surcroît, dans un climat d'hostilité, ne pouvait manquer de susciter la sympathie de l'empereur.

La discrétion avec laquelle il entoura ses dons, tant au Québec qu'en Acadie, afin de ne pas provoquer de réactions négatives de l'Angleterre, a bien servi Canadiens français et Acadiens. Loin d'être un simple fait divers à peine mentionné par l'histoire, l'action de l'empereur dans les domaines de l'éducation, de l'immigration et du commerce, a été assez importante en Acadie pour qu'elle mérite une étude. Si importante qu'à elle seule, elle aurait suffi à faire de Napoléon III Louis Napoléon le Grand si Philippe Séquin, son plus récent biographe, ne s'était chargé de rétablir la réputation du second empereur des Français qualifié par Victor Hugo de Napoléon le Petit.

Il est bon et utile de rappeler en cette fin de siècle morose et corrosive, pour enrayer le danger de l'amnésie historique, l'apport étonnant de l'empereur, mal aimé des Français et méconnu des autres, à la Renaissance acadienne comme au développement prodigieux de ce que l'on a longtemps appelé le fait français au Québec. Ce n'est que justice, car cette contribution à l'essor d'un peuple, attaché avec ténacité aux valeurs pérennes de la France, fait mentir l'opiniâtre fausse légende d'un abandon par la France des anciens Français du Canada et de l'Acadie après qu'elle eût perdu ses anciennes colonies d'Amérique «pour causes d'épreuves européennes», disait pudiquement le général de Gaulle.

La contribution de l'empereur est l'une de ces pierres vives qui s'ajoutent à l'édifice si péniblement reconstruit au cours des siècles. Plus qu'une page de l'histoire canadienne-française et acadienne, elle est un chapitre essentiel de ce livre que continue d'écrire le peuple lui-même. Il est donc juste de restituer à l'empereur la place qui lui revient de droit dans l'histoire de l'Acadie et du Canada français.

Cette place, Napoléon III l'occupe parce qu'il a voulu, dès lors qu'il fut devenu président de la République, redonner à la France son rôle de puissance maritime et commerciale. Le hasard a fait le reste avec le concours de deux curés canadiens à poigne, les abbés Belcourt et Girroir, et d'un Français, disciple de l'économiste Le Play, Edme Rameau de Saint-Père, qui avait ses petites et discrètes entrées aux Tuileries. C'est ainsi que l'empereur fut amené à prendre une part considérable à la fondation de deux paroisses canadiennes, Saint-Alexis-de-Matapédia, au Québec, et Saint-Paul-de-Kent, au Nouveau-Brunswick.

Ce devoir de mémoire envers un chef d'État trop mésestimé est dû à la volonté de feu mon ami Philippe Rossillon, secrétaire général émérite de l'Union latine, président fondateur de l'association française Les Amitiés acadiennes, docteur d'honneur de l'Université de Moncton. Celui qui fut le principal instigateur de l'intérêt que le général de Gaulle portait à l'Acadie, a souhaité que l'action de l'empereur en faveur du peuple acadien soit dépoussiérée et mise en valeur.

D'entrée en matière, disons ce que ce livre n'est pas: il n'est pas une bio-graphie de l'empereur Napoléon III, ni des étonnants protagonistes acadiens et français, tels Rameau de Saint-Père et les abbés Girroir et Belcourt, ni non plus le récit détaillé au jour le jour des établissements de Saint-Alexis-de-Matapédia et de Saint-Paul-de-Kent. Il existe pour chacun de ces sujets d'excellents ouvrages recensés dans la bibliographie que j'ai voulue aussi complète que possible.

En revanche, je me suis attaché à démontrer l'influence qu'a exercée au Canada français et en Acadie le prince Louis Napoléon, d'abord en qualité de président de la République, puis comme empereur des Français. On aura la surprise de constater que Rameau de Saint-Père, qui fut une sorte d'introducteur des ambassadeurs de l'Acadie auprès de l'empereur, était loin d'être un bonapartiste !

Le long silence de l'oubli qui recouvre la mémoire de l'empereur, des abbés Belcourt et Girroir et, jusqu'à un certain point, de Rameau de Saint-Père, est enfin rompu depuis qu'un buste de Napoléon III a été placé dans l'une des salles du Monument Lefebvre à Memramcook, au Nouveau-Brunswick. Ce fut Philippe Rossillon qui se mit en tête de faire honorer la mémoire de l'empereur en Acadie. Rossillon avait été le deus ex machina de l'invitation faite par le général de Gaulle, en 1968, à quatre éminents Acadiens qu'il reçut officiellement comme mandataires du peuple acadien.

L'idée de commémorer les dons de l'empereur en Acadie lui était venue après avoir lu l'essai que j'avais rédigé sur cette visite mémorable qui marqua un tournant dans les relations internationales des Acadiens. À peine débarqué de l'avion, à Moncton, en 1994, où il était accueilli en ami par le professeur Roger Ouellette, alors président de la Société nationale de l'Acadie et énarque comme lui, et par moi-même, Rossillon décida que rien n'était plus urgent que d'aller visiter le village de Saint-Paul-de-Kent.

Saint-Paul est un paisible et coquet village situé non loin de Moncton. Aussitôt dit, aussitôt fait. Les enthousiasmes de Rossillon étaient subits autant qu'irrésistibles. Il faisait un temps splendide et, dans les rues du village, pas âme qui vive. On visita l'église sise en face de la petite école. Sur cette placette, Rossillon envisageait rien de moins que l'érection d'une statue équestre de Napoléon III. On sonna en vain au presbytère comme au couvent voisin. Enfin, c'est dans une maison de retraités que l'on obtint le nom d'un notable, M. Marcel Henri, qui s'intéressait à l'histoire de Saint-Paul.

L'accueil de M. Henri fut naturellement chaleureux. Rossillon se sentait parfaitement à l'aise, et notre hôte n'était pas le moins du monde perturbé par cette visite inopinée, ni même étonné par le projet que Rossillon inventait et développait au fil de la conversation.

La beauté des lieux, l'hospitalité courtoise avec laquelle il était reçu par un parfait étranger aussi racé qu'un duc et pair d'ancien régime avivait, si c'est possible, la verve de Rossillon qui jamais n'en manqua. Le projet prenait corps dans le salon, se développait dans la cuisine et prenait son essor dans la voiture sur le chemin du retour. Rossillon avait trouvé une autre cause digne de son intérêt. Tout le contraire d'un rêveur, il voulait passer immédiatement à l'action.

Il avait jugé providentiel que l'histoire de Saint-Paul ait été écrite par M. Euclide Daigle, l'un des quatre délégués reçus à l'Élysée par le général de Gaulle. Il fallut coûte que coûte lui trouver sur le champ un exemplaire de ce livre devenu rare depuis sa publication en 1983 pour marquer le centenaire de Saint-Paul (
1). Nous eûmes de la chance auprès de M. Daigle lui-même. Rossillon distribua alors les tâches; il s'occuperait à Paris de dénicher la statue équestre de l'empereur - il devait bien s'en trouver une quelque part - et j'écrirais d'office le livre que voici.

À l'époque, Jacques Chirac était maire de Paris, énarque comme Rossillon qu'il avait connu comme condisciple au lycée Carnot, à Paris, puis à Sciences po et ensuite à l'École nationale d'administration, et avec qui il était resté ami. Hélas! les statues équestres de Napoléon III sont plutôt rares et, en y réfléchissant, Rossillon se rendit compte que la statue de l'empereur sur le tertre en face de l'église détonnerait incongrûment dans la paix bucolique de Saint-Paul. Il allait donc se rabattre sur un buste de l'empereur; il devait bien s'en trouver quelques-uns dans les caves ou les greniers de l'hôtel de ville de Paris. C'était oublier que la Commune était passée par là et que l'hôtel de ville de l'époque avait flambé.

En dépit de cette difficulté historique, il trouverait son buste. Il le trouva en effet en sollicitant M. Jean Gautier et M. Daniel Imbert, respectivement directeur et conservateur des Affaires culturelles de la Ville de Paris. Ces messieurs dénichèrent un très beau buste en marbre, sculpté par Alexandre Lequien (2) en 1868 et qui ornait, sous l'Empire, le Tribunal de commerce de Paris. Le buste lauré, oublié depuis longtemps, avait grand besoin d'une cure de jouvence. Le sculpteur Constantin Spourdos procéda au nettoyage aux frais des Amitiés acadiennes. M. Spourdos dut restaurer l'une des célèbres moustaches impériales ainsi qu'une partie du socle.


Le sculpteur Constantin Spourdos dans son atelier parisien après la restauration du buste de Napoléon III aimablement prêté à la Société du Monument Lefebvre (Memramcook, Nouveau-Brunswick) par les Services culturels de la Ville de Paris.


Restait à trouver un lieu qui convint et à la dignité impériale et à sa sécurité. Rossillon, à Moncton pour recevoir un doctorat honoris causa en études acadiennes, se mit en tête que le buste impérial serait du plus bel effet dans la salle de lecture de la Bibliothèque Champlain du campus universitaire de Moncton. le lui objectai que les moustaches impériales risquaient en cet endroit d'être sérieusement outragées par des étudiants peu enclins à respecter des monarques, morts ou vivants. Il songea au Centre d'études acadiennes situé dans le même édifice. Hélas! les locaux étaient beaucoup trop exigus et l'empereur, s'il s'y fût trouvé, se serait morfondu dans le silence studieux du Centre.

Je suggérai le Monument Lefebvre, ancienne salle académique de l’Université Saint-Joseph, fondée en 1864, précurseur à Memramcook de l'Université de Moncton. L'édifice, inauguré en juin 1896, a été nommé en l'honneur du fondateur de l'Université Saint-Joseph, le père Camille Lefebvre, c.s.c. Il avait été entièrement restauré par le gouvernement fédéral canadien et sa gestion avait été confiée à la Société du Monument Lefebvre, organisme à but non lucratif dirigé par un conseil formé de bénévoles. L'édifice, spacieux et, par un heureux hasard, construit dans le style du Second Empire, comprenait, en plus d'un superbe amphithéâtre, plusieurs salles qui servaient autrefois de laboratoires et de salles de cours, et qui aujourd'hui constituent un centre d'interprétation de l'odyssée acadienne depuis la Dispersion.

Rossillon s'y fît conduire en trombe par le secrétaire général de la Société nationale de l'Acadie, René Légère, improvisé chauffeur de cet homme remuant et toujours en mouvement. Il visita les lieux en compagnie d'un fonctionnaire du ministère du Patrimoine canadien. Rossillon fut enchanté par les lieux et déclara séance tenante, juste avant de prendre un avion qui l'amenait Dieu sait où en mission pour l'Union latine, que l'empereur serait mieux apprécié par plus de visiteurs en ce lieu qu'ailleurs.

Le site se recommandait aussi du fait que l'abbé Belcourt est enterré dans une fosse presque anonyme dans le cimetière voisin et que Rameau de Saint-Père fut parmi les premiers bienfaiteurs du Collège Saint-Joseph lors de sa fondation. Qui plus est, le père Lefebvre, correspondant de Rameau, avait songé à s'adresser à l'empereur afin d'en obtenir un appui financier pour son institution et, de surcroît, il avait fait du ministère paroissial auprès des colons fondateurs de Saint-Paul.

Restait à terminer le livre et à faire expédier le buste. Mais rien n'est simple. Que d'échanges de téléphones et de télécopies entre Rossillon à Paris, et moi-même à Moncton ! La veille même de sa mort subite, Rossillon s'enquérait péremptoirement des progrès du livre. Convaincre la Société du Monument Lefebvre de signer une convention de dépôt avec les Affaires culturelles de la Ville de Paris ne fut pas difficile. Le président, M. Bertholet Charron, s'en chargea et la convention fut dûment signée et expédiée à Paris où elle devança de justesse une énième grève des postes canadiennes. Le buste reste la propriété de la Ville de Paris qui en confie le dépôt sans limite de temps à la Société du Monument Lefebvre.

Entre-temps, Philippe Rossillon mourut brusquement à Paris. M. Bernard Oswald, vice-président des Amitiés acadiennes, se chargea de l'expédition du buste de Napoléon III. C'est ainsi que de procédures administratives en procédures administratives, l'empereur, symboliquement, traversa l'Atlantique pour la seconde fois, mais cette fois en avion.

De nouvelles péripéties administratives attendaient le buste à Moncton. Aucun problème pour les douanes. Toutefois, les fonctionnaires devaient trancher la délicate question de la taxe de vente fédérale-provinciale, car une exemption pour une oeuvre d'art prêtée à un organisme sans but lucratif n'était pas prévue dans le complexe code qui régit l'application de la loi. Heureuse-ment, les fonctionnaires préposés à la collecte de la taxe dite « harmonisée » furent d'une grande courtoisie et tout à fait coopératifs, aidés par le tact de Denis Laplante, secrétaire général adjoint de la Société nationale de l'Acadie, chargé des délicates tractations.

Enfin le buste impérial fut libéré et transporté sans autre cérémonie à Memramcook. Il y occupe depuis l'hiver 1998 une place d'honneur, qui lui revient de droit puisque Napoléon III fut l'un des artisans actifs de l'odyssée acadienne.

La générosité de l'empereur était proverbiale. Philippe Séguin écrit:

Du cœur, Louis Napoléon en aura jusqu'à l'excès, au risque de desservir ses propres intérêts. Il aspirera, pathétiquement, à être aimé, comme sans doute il l'eût mérité, et du coup sera souvent enclin aux générosités les plus folles, aux concessions les plus extrêmes. Mais cela n'explique pas tout. Nombre de ses gestes resteront discrets, sans espoir de contrepartie (3).


Désormais les gestes discrets de l'empereur en faveur de l'Acadie ont trouvé une honorable contrepartie.

Notes :

(1) Le livre a été réédité depuis.
(2) Alexandre-Victor Lequien (1822-1905), sculpteur officiel de Napoléon III, qui fit au moins trois bustes connus de l'empereur.
(3) Philippe Séquin, Louis Napoléon le Grand, Paris, Grasset, 1990, p. 28.

Retour au texte de l'auteur: Robert Pichette Dernière mise à jour de cette page le Lundi 10 mai 2004 14:40
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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