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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Patrick Pharo, “Qu’est-ce que la sociologie morale ?” Un article publié dans la Revue du MAUSS, vol. 28, no 2, 2006, pp. 414-426. Paris: La Découverte, Éditeur. [Autorisation accordée par l'auteur le 27 juillet 2008 de publier cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Patrick Pharo 

Qu’est-ce que la sociologie morale ?” [1] 

Un article publié dans la Revue du MAUSS, vol. 28, no 2, 2006, pp. 414-426. Paris : La Découverte, Éditeur.
 

Introduction
 
Le statut normatif des faits sociaux
Souffrance indue et sociologie morale
 
Bibliographie

Introduction

 

S’il fallait essayer de répondre en un mot aux questions formulées par La Revue du MAUSS sur la possibilité d’une théorie sociologique générale [2], je dirais que la construction de la discipline sociologique comme science spéciale du socio-historique humain se heurte depuis le début à une difficulté théorique majeure, qui tient à la structure normative et morale des faits sociaux. Cette difficulté se présente sous deux aspects étroitement associés : l’un concerne les rapports entre l’objet de la sociologie (disons, en gros, les sociétés humaines) et le reste du monde vivant ; l’autre concerne le statut, dans un monde de causes naturelles, des règles normatives abstraites élaborées par les humains. Les maîtres classiques de la sociologie, en particulier Weber et Durkheim, ont constitué la discipline en montrant comment ces règles normatives, valeurs religieuses ou sanctions sociales, structuraient le cours de la vie humaine, mais, malgré leurs efforts [3], ils n’ont pas complètement éclairci le problème du statut des faits normatifs. 

Cette difficulté explique à mon avis la situation actuelle de la discipline, partagée entre un fort courant constructiviste, inspiré de la tradition durkheimienne mais aussi de l’influence wébérienne sur les sociologies culturalistes, et un courant rationaliste, étroitement associé au paradigme utilitariste qui domine la science économique. La divergence entre ces deux courants porte essentiellement sur la conception anthropologique du fait social : on a d’un côté ce qu’on peut appeler une conception démiurgique des hommes en société capables de façonner, par la force de leur culture, non seulement leurs formes de vie et leur environnement, mais aussi leur propre nature ; et de l’autre une conception plus réaliste qui relie la rationalité humaine aux fins prosaïques d’autoconservation et d’autosatisfaction qui caractérisent l’ordre naturel du vivant et qui sont inscrites dans les propensions spontanées des individus. 

Peut-on réconcilier ou unifier ces deux courants ? Pour beaucoup de sociologues, la réponse à cette question ne présenterait à vrai dire qu’un intérêt limité, compte tenu de la fonction politique concrète de la sociologie, qui est surtout d’entretenir une information et une spécialisation compétente sur les domaines sociaux et les aires culturelles afin d’éclairer les débats médiatiques et les politiques. Mais si, au contraire, on prend au sérieux la dimension intellectuelle de la discipline sociologique, la question précédente ne peut pas être éludée. Certains auteurs pensent que l’unification devrait se faire autour de la théorie du choix rationnel, parce qu’elle est la seule à avoir un réel pouvoir explicatif [cf. Bouvier, 2004], tandis que le courant dominant en France ne voit pas de salut en dehors d’une perspective constructiviste, c’est-à-dire au fond culturaliste, bien mieux ajustée à ses engagements critiques. Lorsqu’on cherche à évaluer ces différentes prétentions à la lumière des faits scientifiques et sociaux contemporains, on voit que, d’un côté, le progrès des sciences cognitives donnerait plutôt raison à la première tendance, dans la mesure où ces sciences soulignent l’ancrage des phénomènes humains dans l’évolution et la sélection naturelle des espèces vivantes. Mais, d’un autre côté, les résistances des cultures sociales particulières aux différents processus de mondialisation semblent donner raison à la première tendance. Que doit-on alors conclure ? 

En ce qui me concerne, je ne crois pas à l’existence d’une solution susceptible de faire rapidement consensus parmi les sociologues. Mais en présentant dans cet article les principes et les perspectives de la sociologie morale [4], j’aimerais contribuer à une clarification du statut des faits sociaux normatifs humains dans le monde vivant naturel, clarification qui me semble indispensable pour faire avancer le débat de théorie sociologique générale. Je plaiderai ici en faveur d’une position tierce, qui accepte le réalisme naturaliste et certaines de ses manifestations dans les calculs pratiques rationnels des êtres humains mais qui, en se focalisant sur la dimension éthique de la vie sociale humaine, indique aussi les limites de ce naturalisme et la portée du pouvoir normatif et critique des hommes réunis en société. La sociologie morale n’est sûrement pas une solution à tous les problèmes de la sociologie générale, mais elle indique une porte de sortie du côté d’un réalisme de l’action à la fois sensible et rationnelle, c’est-à-dire l’action orientée réflexivement vers des fins qui peuvent aussi être des fins morales, portées par des individus ou par des groupes. 

Plus précisément, quand je parle de réalisme sociologique, je veux dire deux choses : la première est qu’il existe une base empirique, c’est-à-dire au fond physique, pour tous les faits sociaux, qu’ils soient vus sous l’angle pratique, cognitif ou normatif – ce qui signifie qu’il y a toujours quelque chose de matériel qui se passe ou, pour parler comme les scolastiques, un phénomène transitif à la base des faits sociaux ; la seconde idée est que, dans la plupart des cas de faits sociaux, leur apparition physico-empirique est accompagnée de façon immanente d’un sens réflexif abstrait accessible pour les agents ou pour les tiers. Cela s’applique à tous les états ou événements qui tombent sous les concepts d’action, de relation, de sentiment ou de qualité. Il y aurait évidemment beaucoup plus à dire sur ce réalisme sociologique, notamment dans son application à l’action et à la cognition [5], mais je n’en dirai pas davantage ici, cette remarque préalable ayant surtout pour but de fixer un cadre théorique qui, sans exclure la relativité culturelle des conceptions ou des valeurs, exclut en revanche tout relativisme dans la façon de les étudier.

 

Le statut normatif des faits sociaux

 

Les philosophes ont pris l’habitude de désigner sous l’expression « règle de Hume » le principe suivant lequel on ne peut passer de prémisses formulées en termes d’être à des conclusions en termes de devoir-être. Cette règle, à laquelle Weber adhérait lorsqu’il rejetait toute idée d’éthique normative en sociologie [6] et sur laquelle Durkheim exprimait au contraire des réserves [7], exprime certainement un bon sens logique qui semble irréfutable. La logique est en effet capable de transférer des valeurs de vérité des prémisses à la conclusion à la seule condition qu’elle retrouve in fine les mêmes chaînes de caractère qu’elle avait au début. Si vous dites par exemple que les cadres supérieurs sont riches, que Pierre est cadre supérieur et que donc Pierre doit redistribuer son argent aux pauvres, vous faites une faute logique. Mais il ne semble pas que vous en faites une si vous dites que les cadres supérieurs doivent redistribuer leur argent aux pauvres, que Pierre est cadre supérieur et qu’il doit donc redistribuer son argent aux pauvres. On peut donner évidemment beaucoup plus de détails et de raffinements logiques à ce genre de considérations mais, pour le présent propos, cette analyse semble suffire à établir que le problème de la règle de Hume se pose si les prémisses d’un raisonnement sont strictement descriptives, mais ne se pose plus si elles ne sont pas strictement descriptives ou si elles sont, comme dit H. Putnam [2004], enchevêtrées de jugements de fait et de jugements normatifs. 

Cela dit, pour mieux comprendre la nature de l’enchevêtrement, il me semble qu’il faut aussi s’écarter d’une autre idée de Hume, inséparable de la dichotomie jugements de faits et jugements normatifs, selon laquelle la normativité, et la morale en particulier, serait toujours attribuée extérieurement aux faits considérés. On se souvient peut-être d’un passage de Hume du Traité de la nature humaine, dans lequel Hume compare un parricide au remplacement d’un chêne par un arbrisseau [8] ? Selon Hume, il y a clairement dans ces deux exemples des différences de causes – la volonté d’un côté, ou la loi « de la matière ou du mouvement » de l’autre –, mais aucune différence de « relations », c’est-à-dire, dans sa conception, des relations d’idées concernant un « point de fait » [ibid., p. 584]. Or, contrairement à ce que dit Hume, il semble bien qu’il y ait une différence de « relation » entre les deux cas, qui est tout simplement le sens normatif interne du parricide (qui dit en gros que le parricide est interdit) pour le sujet qui le commet et qui sait qu’il le commet [9], et non pour l’arbrisseau. Et cette différence s’applique aussi à un autre exemple que prend Hume, celui de l’inceste des animaux qui, comme il le souligne justement, n’est habituellement pas jugé criminel [ibid., p. 583], ce qui n’a pourtant rien étonnant si on pense que les animaux, contrairement aux hommes, n’ont aucun accès au sens normatif de l’inceste. 

À partir de là, on pourrait poser comme une sorte de postulat que les faits sociaux sont essentiellement ou intrinsèquement normatifs, compte tenu du sens normatif qui les accompagne inévitablement chez les êtres réflexifs que nous sommes, leur réalisation effective incluant toujours un ensemble de compréhensions et d’attentes réglées qui fixent le cadre général de leur accomplissement. Suivant ce postulat, l’objectivation d’un fait normatif impliquerait toujours de le reconnaître dans sa puissance à la fois factuelle et normative. Par exemple, lorsqu’un observateur fait la différence entre un couple marié et un couple adultère, ou bien entre un patron et un employé, un policier et un délinquant, un propriétaire et un visiteur, etc., il assume quelque chose du sens normatif de ces différents rôles sociaux dans la société considérée. Évidemment, il peut le faire de différentes façons, en s’impliquant franchement dans le tableau normatif qu’il décrit ou en prenant déjà une plus ou moins grande distance, en pratiquant l’ironie ou en faisant des remarques critiques. Cependant, même s’il prend tout de suite ses distances, un peu comme Pierre Bourdieu qui décrit toute la vie sociale sur le mode critique et ironique, l’observateur doit malgré tout assumer une certaine communauté non seulement rationnelle au sens large, mais normative, dans un sens plus étroit, avec le groupe qu’il décrit, sous peine de perdre l’intelligibilité de ce qu’il observe. 

Si on admet ainsi que les faits sociaux sont essentiellement normatifs, la question à laquelle on pense immédiatement est de savoir comment ces faits normatifs ont pu émerger dans un monde de causes naturelles. Cette question fait aujourd’hui l’objet de nombreux travaux qui s’inscrivent dans la perspective du naturalisme évolutionniste et qui proposent des explications en termes d’avantages adaptatifs de la coopération, des normes sociales ou des sentiments moraux du type sympathie, attachement, sollicitude… Ces hypothèses paraissent assez convaincantes du point de vue de l’évolution naturelle des espèces vivantes, qui aurait pu en effet favoriser l’apparition des normes sociales et des sentiments moraux comme moyen de protection et de survie des groupes humains. Durkheim (1912) lui-même avait du reste anticipé sur certaines théories évolutionnistes actuelles en cherchant à expliquer comment la religion et les règles qui lui sont associées sont nées progressivement de la représentation d’une force sociale impersonnelle liée au respect que la société comme un tout impose à ses membres. La généalogie durkheimienne de la solidarité mécanique, puis organique, peut également être associée à ce fonctionnalisme évolutionnaire [10]. 

Toutefois, dans la mesure où les normes sociales ne se réduisent pas à des mécanismes homéostatiques se déclenchant mécaniquement suivant certaines conditions d’environnement, il faut évidemment s’interroger sur leur sens, c’est-à-dire sur la façon dont elles sont comprises pour être ensuite mises en pratique par les sujets sociaux. Or, là encore, c’est Durkheim qui, dans la tradition sociologique, a tenté pour la première fois une explicitation de ce qu’il appelait « la détermination du fait moral [11] » en proposant une interprétation morale des normes sociales. L’idée force de Durkheim était de rechercher ce qu’il appelait un « réactif » permettant de repérer la spécificité de certaines règles sociales par l’observation de ce qui se passe lorsque ces règles sont violées. Pour découvrir ce réactif, Durkheim remarque que, contrairement aux conséquences qui suivent mécaniquement (ou, dit-il, « analytiquement ») la violation de certaines règles techniques (par exemple une contamination microbienne), il existe des règles sociales qui ont pour conséquence le blâme et la louange et, plus généralement, la sanction sociale lorsqu’elles sont violées (par exemple un meurtre) ; dans ce cas, le lien de l’acte à sa conséquence est, dit-il, « synthétique » [Durkheim, 1974, p. 59-60]. Selon Durkheim, ce réactif suffirait à déterminer les règles et les faits proprement moraux et permettrait de retrouver « par une analyse rigoureusement empirique, la notion de devoir et d’obligation » [ibid., p. 61]. 

Cette approche fait sûrement apparaître une distinction pertinente entre des règles naturelles et des règles ou normes sociales. Pour autant, il ne semble pas que Durkheim ait proposé une distinction décisive entre les normes sociales en général et les règles morales en particulier. On peut en effet lui objecter qu’il existe des louanges et des blâmes tout à fait extérieurs à la morale, par exemple lorsqu’un public applaudit ou siffle un artiste ou qu’un maître de musique ou d’ébénisterie félicite l’apprenti pour l’acquisition d’un geste habile. Toutes sortes de règles esthétiques, professionnelles, juridiques, ludiques, hédoniques, mais aussi socio-techniques, peuvent ainsi donner lieu à des louanges ou des blâmes, suivant qu’elles sont plus ou moins bien appliquées, sans que pour autant y soit nécessairement attaché un caractère moral. S’il en allait différemment, la vie sociale deviendrait d’ailleurs une sorte de protectorat éthique permanent, qui la rendrait étouffante et proprement insupportable. Une autre objection, un peu plus critique, consiste à remarquer que le blâme encouru par exemple par le membre d’une mafia qui viole la règle de l’omerta ne détermine pas un fait moral, mais plutôt un fait immoral. Il en va de même des louanges qui récompensent un dénonciateur d’activités subversives dans un État totalitaire ou un poseur de bombes destinées à des civils. Plus généralement, il existe de nombreux exemples de blâmes ou de louanges moralement problématiques, dont on peut expliciter les règles normatives sans avoir besoin de supposer une quelconque conscience morale associée à ces actes, fût-elle troublée ou distordue. 

Le « réactif » durkheimien met donc bien en évidence la pluralité de sens des normes sociales, mais il laisse encore largement ouverte la question cruciale du sens moral de certaines d’entre elles. La question qu’il faut alors se poser est de savoir si on pourrait lui trouver une alternative compatible avec l’idée qu’on peut se faire aujourd’hui des raisons morales. C’est à cette éventuelle alternative que je voudrais consacrer la seconde partie de cet article, en dessinant le projet d’une sociologie morale, démarche à la fois empirique et normative, dont l’axe essentiel consiste à s’interroger sur le statut moral, immoral, ou indifférent à la morale, des pratiques socialement réglées des êtres humains.

 

Souffrance indue et sociologie morale

 

L’idée sociologique fondamentale de Durkheim, largement inspirée de Hegel, était que les sociétés humaines sont fondées sur des bases morales, et qu’il existe une moralité intrinsèque de l’ordre social. Mais cette idée, qui fut reprise par la sociologie fonctionnaliste américaine, n’était pas du tout évidente pour des moralistes français comme La Rochefoucauld ou Chamfort, qui avaient plutôt tendance à trouver la société immorale. C’est d’ailleurs dans la tradition de ce moralisme social sceptique et critique que s’est rangé Pierre Bourdieu, en proposant une vision très prosaïque des structures normatives de la société. On a souvent et justement reproché à Bourdieu d’avoir construit sa sociologie sur une anthropologie hobbesienne, on pourrait même dire spencérienne ou darwinienne, qui voit dans la lutte pour les utilités ou la distinction, l’alpha et l’omega de la vie sociale et de la rationalité pratique. Pour critiquable qu’elle soit, cette approche rend compte néanmoins d’une structure concurrentielle et sélectionniste de la vie sociale qui, c’est le moins qu’on puisse dire, n’est pas toujours spontanément ou naturellement dirigée vers l’éthique et l’évitement des injustices. Et lorsqu’on fait un panorama des différents domaines de la vie sociale, on n’a pas trop de mal à retrouver les phénomènes de concurrence et de sélection caractéristiques de la production et de l’échange de biens sur un marché économique, dans tous les autres secteurs de la vie sociale : celui de l’éducation bien sûr, qui est au centre de la critique de Bourdieu, mais aussi dans les relations d’alliance et de connivence sociale, qu’on peut observer dans tous les milieux, ou encore dans les relations amoureuses et sexuelles, les stratégies reproductives, les structures de pouvoir ou la recherche des biens de santé [12]. 

Il est possible en fin de compte que la société soit beaucoup moins morale que ne le croyait Durkheim, tout en l’étant peut-être un peu plus que ne le pensait Bourdieu. C’est en effet parce que les phénomènes de concurrence et de sélection sociale existent spontanément ou naturellement et qu’ils déterminent toutes sortes de souffrances et d’injustices qu’ont pu être développées dans différentes sociétés, y compris la nôtre, certaines actions, normes et institutions publiques visant justement à réduire les injustices ou à égaliser les chances. Que ce soit en matière de redistribution sociale, de médecine, de prise en charge des vieillards ou des personnes malades, de traitement des minorités ou des parias, d’accueil des étrangers, l’exigence éthique semble toujours se manifester comme effort pour soustraire les sujets les plus vulnérables aux mécanismes les plus brutaux ou les plus éliminatoires de la concurrence sociale, à commencer, bien sûr, par le crime pur et simple qui justifie la mise en place d’un État de droit, et en poursuivant avec les mesures de protection sanitaire, sociale, éducative et autres, qui caractérisent l’État social ou l’État-providence dans les démocraties modernes [13]. 

Lorsqu’on a en tête ces éléments et qu’on essaie de réfléchir sur certaines tendances du jugement moral dans les sociétés libérales contemporaines, on sera sans doute enclin à rejeter l’idée d’une moralité ou d’une immoralité globale de la société, et à rechercher au contraire un critère plus restreint capable de justifier le sens moral ordinaire qu’on peut donner à certaines pratiques ou domaines de pratiques. Or, ce critère pourrait être tout simplement la souffrance indue, au sens d’une souffrance qui ne devrait pas avoir lieu parce qu’elle est causée par une action injuste ou qui devrait être évitée ou réduite, même si elle n’est pas causée par une action injuste [14]. La souffrance indue ainsi comprise apparaît aujourd’hui comme une sorte d’équivalent séculier du mal, qu’il faut essayer de réduire par tous les moyens, du moins aussi longtemps qu’on prétend parler et agir au nom de l’éthique [15]. Elle est la cible et le pivot de toutes les critiques, dénonciations, propositions, recommandations, incantations morales du monde actuel, que ce soit en médecine, avec la prise en charge de la douleur ou les soins palliatifs, dans les questions de moeurs et de sexualité où elle est peut-être la seule limite encore opérante à la libéralisation, en matière économique et sociale, avec le dégoût pour les licenciements boursiers ou les délocalisations, dans les questions urbaines ou ethniques, avec le rejet des stigmatisations spatiales et raciales, dans les relations internationales et en particulier les relations Nord-Sud, avec le souci du sort des populations civiles en cas de conflit armé, de famine ou de catastrophe naturelle, ou encore avec la proclamation par l’ONU des objectifs du Millénaire… De plus, loin de s’opposer à la protection des droits, l’évitement de la souffrance indue constitue au contraire la justification d’arrière-plan des grandes déclarations de droits issues de l’expérience de la Seconde Guerre mondiale, et anime constamment, par les sentiments moraux qui l’accompagnent, les luttes modernes pour la reconnaissance des droits des personnes opprimées pour leur genre, leur orientation sexuelle, leur origine culturelle ou raciale [cf. Honneth, 2000] : le fait d’être privé de liberté ou de subir des humiliations apparaît en effet comme la pire des souffrances indues. 

La thématique caritative et compassionnelle de la conscience morale contemporaine tranche ainsi singulièrement avec celle qui motivait la démarche de Durkheim, pour qui la sanction sociale était le pendant naturel de vertus morales prioritaires telles que le désintéressement et le dévouement à la cause collective. Ces vertus ne sont certes pas abandonnées, mais nous serions plutôt aujourd’hui dans une logique d’action réparatrice inspirée par la sensibilité et la solidarité à l’égard des personnes les plus faibles ou les plus vulnérables : personnes âgées ou malades, travailleurs exploités, étrangers stigmatisés, femmes battues, enfants maltraités, collaborateurs harcelés, prisonniers torturés, populations civiles terrorisées… Et les sciences sociales du XXe siècle, avec en particulier les figures de Michel Foucault ou d’Erving Goffman, se sont progressivement éloignées du thème punitif promu par les durkheimiens [16], au nom d’une idée qui est peut-être simplement celle de l’injustice de la justice qui, lorsqu’elle s’exerce de façon purement répressive, corrompt le justicier et a toujours tendance à frapper plus fort que ce qu’aurait simplement exigé la justice. D’une certaine façon, la critique féministe de la justice impersonnelle, menée au nom d’une éthique du care et de la responsabilité à l’égard des besoins d’autrui [cf. Gilligan, 1986], est aussi une façon de mettre en cause l’injustice potentielle de la seule justice impersonnelle [17]. 

Il n’est pas sûr cependant que ce contraste avec l’approche républicaine des durkheimiens soit essentiellement historique car, après tout, c’est bien déjà le sort des pauvres et des faibles qui, pendant des décennies, a inspiré le mouvement socialiste ou anticolonialiste, sans même parler des multiples traditions caritatives et chevaleresques qui ont existé dans l’histoire chrétienne ou d’autres cultures religieuses. La différence serait plutôt que Durkheim a voulu donner un sens d’intégration collective à la solidarité sociale, alors que la même exigence de solidarité peut aussi bien être comprise et structurée autour des souffrances individuelles suscitées par un système social ou juridique, les guerres ou les calamités naturelles. À l’inverse, d’ailleurs, les dérives que l’on dénonce aujourd’hui à propos du business de la compassion ou de la sacralisation des victimes [18] ne sont pas des nouveautés de notre temps, et on n’aurait aucun mal à en trouver d’autres exemples dans bien d’autres époques, dans l’Europe chrétienne du Moyen Âge par exemple ou dans le monde musulman contemporain. Le thème de la souffrance indue, tel qu’il s’exprime dans le débat moderne, semble ainsi révéler quelque chose de beaucoup plus constant de la conscience morale inhérente à la vie sociale. Et la sensibilité fondamentale des humains à la souffrance indue pourrait même avoir des bases éthologiques ou évolutionnaires très anciennes, si l’on en croit un certain nombre de travaux actuels sur les dispositions animales et humaines à l’empathie ou la sympathie [19], qui renouent d’ailleurs avec les analyses des philosophes écossais du XVIIIe siècle [20]. 

Au demeurant, la souffrance indue ne détermine pas immédiatement un fait moral, car on ne voit pas très bien ce qu’il y aurait de moral dans la souffrance, mais plutôt un fait social normatif, au sens que j’ai indiqué, c’est-à-dire pourvu d’une base physico-empirique et d’un certain sens normatif intrinsèque qui dit simplement, chez la victime ou le témoin : ça ne devrait pas avoir lieu ! Ce fait exprime la condition sensible constitutive des humains qui, comme le soutiennent aussi les utilitaristes, sont des êtres capables de jouissances et de souffrances, et qui préfèrent en principe les premières aux secondes, qu’il s’agisse de souffrances physiques ou morales [21] ; et cet élément sensible est un élément fondamental de la rationalité humaine, au sens utilitaire comme au sens moral. On a d’ailleurs aujourd’hui de nouveaux arguments évolutionnaires, liés à la survie et à la reproduction de l’espèce, et neurophysiologiques, liés notamment à ce qu’on appelle le système de la récompense, qui soulignent le rôle fortement motivationnel du plaisir, qui est généralement ce qu’on recherche, par opposition à la souffrance que l’on cherche plutôt à éviter – sauf évidemment si elle est elle-même source de plaisir [22]. 

Pour ajouter ici une note plus philosophique, on pourrait se demander pourquoi, en dehors des considérations historiques que j’ai rappelées, il faudrait mettre le sens moral à cet endroit-là, et pas dans la sanction comme l’avait fait Durkheim, ou encore ailleurs. Or, l’argument principal qui permet de considérer la souffrance indue comme un fait normatif originaire pour le jugement ou le sens moral ordinaire, semble pouvoir se formuler comme suit : si la souffrance n’existait pas, tout serait permis, puisque personne n’en souffrirait ; personne, c’est-à-dire ni moi, ni toi, ni elle, maintenant, hier ou plus tard. Dans une telle situation, on pourrait certes écarter certaines jouissances, par exemple d’un point de vue esthétique, comme n’étant pas assez belles, ou d’un point de vue fonctionnel, comme n’étant pas assez utiles, ou même d’un point de vue hédonique, comme n’étant pas assez intenses, mais il n’y aurait aucune raison morale de s’en priver ou de se gêner. Le problème des interdits, des devoirs et des limites ne commence en effet à se poser que parce qu’il y a des biens sensibles qui ne sont pas bons ou pas accessibles pour tout le monde, y compris moi-même dans un autre moment de ma vie. 

Sous sa forme la plus forte, l’argument précédent repose sur l’idée que toute objection qui se prétend morale, et qui n’est pas d’une façon ou d’une autre reliée à une souffrance indue, est nulle et non avenue en tant qu’objection morale. Cette formulation a l’avantage d’inclure de nombreuses expressions du sens moral qu’on observe dans la vie sociale, en particulier certaines vertus issues des sagesses philosophiques ou sociales : générosité, solidarité, sollicitude, tempérance…, mais aussi, sur un plan plus procédural, ce qu’on peut appeler la « politique de la justice d’autrui », c’est-à-dire la chance qu’on peut laisser à autrui de formuler lui-même la norme qu’il pense acceptable non seulement pour lui, mais aussi pour nous, ce qui semble en effet la condition la plus respectueuse ou la moins humiliante pour sortir d’un conflit [23]. 

On pourrait enfin objecter que le critère de la souffrance, qui relève d’abord de l’expérience subjective, n’est pas suffisant, et peut-être même pas nécessaire pour rendre une pratique immorale. Car, après tout, il est immoral de tuer quelqu’un, même sans le faire souffrir, ou encore, suivant une objection qui m’a été faite, de le transformer en esclave en lui administrant une pilule du bonheur qui lui épargnerait toute souffrance. Mais la question est surtout de savoir si un humain peut vraiment être tué par surprise ou réduit à l’esclavage sans avoir eu à souffrir de quoi que ce soit, en tant qu’humain. Or, il semble ici que notre idée de l’humain et des relations entre humains inclue le droit de vivre et exclue le malheur de l’esclavage, d’où la souffrance réelle ou virtuelle (il souffrirait s’il savait ce qui lui arrive) de quiconque est privé de sa vie ou de sa liberté. C’est du reste pour les mêmes raisons que l’on considérera une aliénation totale à un groupe ou à un individu ou à un produit comme une souffrance ou un malheur objectif, même si le sujet n’en a pas conscience quand il le subit. Dans ce cas, l’autorité subjective est remplacée par l’autorité de la condition humaine, telle que nous la concevons. 

Finalement, ma conclusion est que si on avait une idée suffisamment précise de la rationalité morale pour l’inclure dans la théorie du choix rationnel, et si on introduisait en outre la dose de réalisme indispensable pour tirer le constructivisme social de son relativisme sceptique, il ne serait pas impossible d’envisager une perspective sociologique à la fois réaliste, critique et opératoire sur le plan de la recherche pratique. Une telle perspective peut évidemment se présenter sous différents aspects, mais pour ce qui concerne la sociologie morale, elle consiste principalement à explorer les différents domaines normatifs de la vie sociale : politique, économie, éducation, religion, sexualité, médecine…, en se demandant jusqu’à quel point et pour quelles raisons clairement articulées ils relèveraient (ou non) d’une problématique morale – ce qui est précisément le problème qui se pose en permanence dans le débat social, mais sans que les raisons morales, ou extérieures à la morale, soient toujours clairement explicitées. L’intérêt de cette démarche est en particulier d’éviter de moraliser abusivement toutes sortes de pratiques dont les normes et les raisons ne relèvent pas nécessairement de la morale, mais d’autres fonctionnalités normatives.

 

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Pharo Patrick, 1996, L’Injustice et le mal, L’Harmattan, Paris.

– 1997, Sociologie de l’esprit, conceptualisation et vie sociale, PUF, Paris.

– 2004, Morale et Sociologie. Le sens et les valeurs entre nature et culture, Gallimard, « folio », Paris.

– 2006a, Raison et civilisation, Éditions du Cerf, Paris.

– 2006b, « R espect et justice d’autrui », in Zaccaï-Reyners N. (sous la dir. de), Les Figures du respect, Éditions de l’Université libre de Bruxelles (à paraître).

– « How is sociological realism possible ? », European Journal of Social Theory (à paraître).

Pinker S., 2002, The Blank Slate : The Modern Denial of Human Nature, Viking-Penguin, New York.

Putnam H., [2002] 2004, Fait-Valeur : la fin d’un dogme et autres essais (traduit par M. Caveribère et J.-P. Cometti), L’éclat, Combas.

Salas D., 2005, La Volonté de punir. Essai sur le populisme pénal, Hachette, « Littératures », Paris.

Smith A., [1759] 1999, Théorie des sentiments moraux (traduit par M. Biziou, C. Gautier, J.-F. Pradeau), PUF, Paris.

Weber M., [1917] 1965, « Essai sur le sens de la “neutralité axiologique” dans les sciences logiques et économiques » (traduit par J. Freund et alii), in Essais sur la théorie de la science, Plon, Paris. [Texte disponibles dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

– [1921] 1971, Économie et société (traduit par J. Freund et alii), Plon, Paris.



[1] Le présent texte est issu de deux exposés présentés le 23 février 2006 au séminaire du CER SES, « Sociologie et réflexion morale », et le 3 mars 2006 dans un séminaire du LISTO à Dijon sur la souffrance animale.

[2] La Revue du MAUSS semestrielle, n° 24, « Une théorie sociologique générale est-elle pensable ? De la science sociale », 2e semestre, p. 47-48.

[3] Cf. Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse (1912), et Weber, Économie et société (1921).

[4] Durkheim lui-même parlait de sociologie morale et juridique ou de sociologie des faits moraux. Sur l’état de ce type de sociologie, je me permets de renvoyer à Morale et sociologie. Le sens et les valeurs entre nature et culture [Pharo, 2004], et au numéro de l’Année sociologique que j’ai dirigé, « Éthique et sociologie. Perspectives actuelles de la sociologie morale » [2004].

[5] Pour plus de détails, cf. Sociologie de l’esprit, conceptualisation et vie sociale [Pharo, 1997], et l’article « How is sociological realism possible ? », European Journal of Social Theory [Pharo, à paraître].

[6] « Essai sur le sens de la “neutralité axiologique” dans les sciences logiques et économiques » (1917).

[7] « Jugements de valeur et jugements de réalité » (1911).

[9] À condition bien sûr qu’il ne soit pas dans la fatale ignorance d’Oedipe !

[11] « Détermination du fait moral » (1906), dans Sociologie et philosophie [1974].

[12] J’ai développé le parallèle entre cette thématique de la concurrence sociale et celle de la sélection naturelle dans Morale et sociologie [Pharo, 2004] et Raison et civilisation [Pharo, 2006a].

[13] Cf. Esping-Andersen [1999].

[14] La classe des souffrances indues est plus large que celle des souffrances injustes, puisqu’elle inclut des souffrances qu’on ne pourrait pas relier de façon claire ou directe à une cause injuste, tandis que les souffrances injustes ont le sens plus étroit de souffrances occasionnées par un acte humain (d’un tiers ou du sujet lui-même) qui, au sens fort, n’aurait pas dû avoir lieu. L’idée de souffrance indue permet d’autre part de faire la distinction avec des souffrances qui, sans être dues, semblent parfaitement inévitables ou qui pourraient avoir une justification fonctionnelle.

[15] J’ai développé pour la première fois cet argument dans L’injustice et le mal [1996] et l’ai repris ensuite dans différents ouvrages.

[17] Cf. aussi la critique d’A. Margalit dans La Société décente [1999].

[18] Cf. par exemple D. Salas [2005].

[19] Cf. Berthoz, Jorland (sous la dir. de) [2004], ou, plus avant, Bowlby [1978].

[20] À commencer évidemment par la Théorie des sentiments moraux d’Adam Smith (1759).

[21] Cf. J. Bentham, Introduction aux principes de la morale et de la législation (1789).

[22] Cf., dans une littérature de plus en plus importante, Abramson, Pinkerton (sous la dir. de) [1995], Kahneman, Diener, Schwarz (sous la dir. de) [1999] et, sur un plan plus technique, le numéro spécial, « Reward and decision », de la revue Neuron [2002].

[23] Cf. sur ce thème « Respect et justice d’autrui » [Pharo, 2006b].



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 14 septembre 2008 8:03
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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