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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

L’engagement relationnel et bénévolat en milieu carcéral.
Du don et de la reconnaissance en institution totalisante
. (2017)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de texte de Bernard PETITGAS, L’engagement relationnel et bénévolat en milieu carcéral. Du don et de la reconnaissance en institution totalisante. Thèse de doctorat en sociologie sous la direction du professeur Philippe Chanial, Laboratoire CERReV, Centre d’Étude et de Recherche sur les Ris-ques et les Vulnérabilités, Département de sociologie, Université de Caen, Basse-Normandie, juin 2017, 538 pp. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 12 décembre 2017 et re-confirmée le 20 janvier 2018 de diffuser, en libre accès à tous, et en texte intégral, sa thèse de doctorat en sociologie.]

[17]

L’engagement relationnel et bénévolat en milieu carcéral.
Du don et de la reconnaissance en institution totalisante.

Introduction

1. ENJEUX ET THÉMATIQUES

Incarcéré depuis douze ans, l’auteur de ce présent travail a décidé à faire de son temps de détention un temps de recherche, et cela depuis sa première année d’inscription en licence de sociologie en enseignement à distance. Un temps d’observation, de participation sur le terrain, par nécessité, permanente, et qui acquiert progressivement la démarche sociologique et les outils de cette discipline, se proposant même d’en façonner de spécifiques. Dans une perspective épistémologique, il s’agissait de saisir l’opportunité d’étudier un milieu dans lequel on est soi-même circonscrit et d’interroger le rapport à la subjectivité pour réintroduire celle-ci dans un processus méthodologique. Dans une autre perspective, personnelle et complémentaire, cette démarche de recherche s’est rapidement inscrite dans le cadre d’un projet sociologique qui s’est défini par sa durée, ses étapes, et le statut particulier de celui qui le mène. Ce projet visait, et vise encore, à interroger les modalités de vie rencontrées en détention et à mettre en lumière celles qui apparaissent les plus opportunes à une resocialisation, dès l’intérieur des murs, et sous quelles conditions elles se manifestent.

Pour cela, la démarche qui fut poursuivie a rapidement constaté que l’institution pénitentiaire, en tant qu’institution close sur elle-même, hermétique au monde, n’existe pas, ni dans l’absolu, ni comme idéal-type, qui serait mis en opposition à un extérieur ouvert et infini. Il existe toujours des interfaces humaines, matérielles et temporelles entre les différents espaces sociaux, fussent-ils délimités par des murs et des barbelés. La multiplicité de ces interfaces est tout aussi riche à appréhender dans un lieu clos, qu’ailleurs. Il convient, pour aborder l’univers carcéral, particulièrement quand on y devient un détenu/chercheur, de considérer l’institution carcérale dans cette complexité d’interactions et cette plasticité relationnelle. C’est un lieu où se jouent continuellement des rapports conflictuels causés par des impératifs formalisés de conduites, et où, paradoxalement, des événements de relâchements informels des postures et des rôles sont tout aussi indispensables afin de mieux y répondre et s’y contraindre. Sont ainsi vécues, alternativement ou sans ordre apparent, de multiples formes de socialisation, des recompositions constantes de comportements et de saisies de sens attribués aux comportements des uns et des autres. Le centre de détention dans [18] lequel s’est déroulé ce présent travail ethnographique donne de pertinents exemples de cette tension vitale entre un univers répressif, normalisé et sécuritaire, et un autre, empli de réalités pragmatiques d’interactions quotidiennes, qui sont loin de ne concerner que la violence et la prédation car elles affichent aussi de l’entraide et de la convivialité. La complexité qui en résulte est à l’image de la société elle-même, dont la détention est une des composantes, et elle permet de mieux saisir la dynamique du rapport permanent des individus à leurs institutions.

Cette complexité sera considérée à travers le paradigme du don et la théorie de la reconnaissance qui seront mobilisés pour rendre compte de l’amplitude des formes d’interactions rencontrées en détention. Ils permettront d’étudier l’institution carcérale à travers ses différents acteurs, c’est-à-dire l’ensemble de celles et ceux qui ont, par choix ou par obligation, à intervenir dans un tel univers. C’est une particularité insoupçonnée de l’espace pénitentiaire que d’interroger ainsi l’étendue du vivre ensemble, quand, précisément, il est courant de le présenter comme un espace restrictif qui en serait dépourvu.

Au regard du travail de terrain opéré durant toutes ces années, il sera exposé comment, dans le cadre de l’enfermement, les relations sont formellement posées et polarisées, mais comment elles peuvent apparaître, aussi, aux acteurs moins superficielles et plus complexes. C’est dans ce cadre que sera étudié comment le sens à donner aux relations, imposé par l’institution pénitentiaire, est un sens dont elle sait qu’au quotidien, il est inadapté à couvrir tous les possibles des interactions. Il est étroit au regard de la richesse des échanges. Il n’est pas pertinent, non plus, pour maintenir ses exigences formelles de fonctionnement et de missions confiées par la loi. Dans les interstices créés par les règles formalisées, il existe des espaces socialisants qui permettent à des significations informelles données à leurs relations par les acteurs de s’exprimer.

Une des caractéristiques de l’institution carcérale, notamment dans le cadre de ses échanges entre le personnel encadrant et les détenus, est de ne pas laisser à ces derniers le soin de participer à la création du sens donné à la relation sociale. Outre les apories et les contradictions des injonctions paradoxales à l’autonomie et à la resocialisation exigées pourtant par l’institution, cela pose un autre problème : une bipolarité apparente entraînée par cette impossibilité d’accéder à une pluralité de sens des relations. Elle conduit à poser les relations en termes clivés de soumission ou de rébellion et consolide le fonctionnement de l’univers sécuritaire carcéral. La soumission n’est évidemment pas une mise en sens autonome ou négociée de l’interaction sociale, mais une reconnaissance de la mise en sens de la relation posée, imposée, par l’agent de l’institution liberticide. Cependant, à tout bien considérer, la révolte, qui pourrait [19] apparaître comme son contraire, attestant d’une liberté reconquise de mise en sens, relève paradoxalement d’une même logique. Elle valide le processus liberticide du fonctionnement institutionnel de la détention qu’elle conteste pathétiquement, et justifie une professionnalisation de la répression qui prend le pas sur des intentions, devenues secondaires, de réinsertions et de dialogues socialisants.

Or, ce qu’il s’agira de montrer dans ce travail, c’est qu’il il existe, à l’intérieur de la détention, des options à ce processus de renforcement institutionnel, qui présentent l’avantage de ne pas être en opposition à l’institution, mais complémentaires à son travail d’accompagnement des détenus vers un parcours de reconquête sociale, à condition que cet accompagnement redevienne une priorité pour elle et qu’il ne soit pas simplement formalisé dans des textes, mais réalisé au quotidien.

La première de ces options, nous l’avons déjà mentionné, est intrinsèque à l’organisation collective et confinée. Si l’institution carcérale se conforte dans l’illusion de croire qu’elle ne doit son efficacité et sa solidité qu’à ses règlements appliqués de la manière la plus stricte, conformément à une rationalité étudiée et budgétée, elle ne maîtrise pas pour autant la totalité des interactions qui se jouent au-delà ou avec ses velléités totalisantes. Il s’agit de ces micro-moments de relations spontanées qui permettent aux individus de se réapproprier, ne serait-ce que pour de brefs instants, des opportunités de rapports à l’autre différents, horizontaux, et qui, autant que possible, leur donnent la possibilité d’être avec autrui dans une représentation identitaire valorisante. De telles formes de socialisation, qui seront nommées engagements relationnels, feront donc l’objet d’une étude approfondie ponctuée d’exemples pris dans le quotidien de la détention. Il sera démontré à quel point ces dons de relations pacifiées sont indispensables tant aux individus qu’à l’institution.

Mais, une option plus originale, provenant du dehors de la détention, apporte aussi une richesse significative aux interactions et vient offrir une proposition relationnelle projetée vers l’extérieur, quand bien même elle s’appuie sur les réalités carcérales. Cette alternative n’est autre que celle du bénévolat exercé par des personnes qui, venant de la société civile, entrent en détention et s’engagent dans ce pari de la découverte de l’autre enclenchant cet autre pari sur la relation qui sera pris à leur égard par les détenus.

La particularité de cet engagement, qui sera nommé engagement bénévole, est de constituer une proposition de mise en sens commun donné à une relation, qui n’a pas pour objet le renforcement de l’institution, et qui, dès lors, offre la possibilité aux détenus d’être créatifs quant au sens à attribuer à leurs interactions. L’espace/moment de la relation instaurée par l’engagement bénévole est libre d’interprétation et plastique dans ses définitions. À travers des exemples concrets de modalités de vie quotidienne [20] des relations entre bénévoles et détenus dans la détention, mais aussi entre bénévoles et tous les autres acteurs intervenant dans l’espace carcéral, il sera montré comment de telles interactions peuvent être analysées, elles aussi, à l’aune du paradigme du don et de la théorie de la reconnaissance.

2. STRUCTURES ET DYNAMIQUES

De tels enjeux et thématiques seront déclinés en quatre chapitres. Il conviendra d’associer à leur structure, une dynamique qui les lie entre eux, pour déboucher sur un cinquième chapitre qui suggérera des propositions concrètes et nouvelles d’engagement bénévoles concernant le monde carcéral et la réinsertion des détenus.

Pour commencer ce parcours, il sera présenté, dans un premier chapitre, un projet sociologique particulier et original avec une méthodologie qui, précisément, s’en nourrit. Il précisera cette dimension ethnographique indispensable à la compréhension de l’étude et de la plasticité des propositions générées par l’expérience d’un terrain. Pour cela, une réflexivité constante sera établie entre la position d’un détenu en parcours de recherche sociologique, dans un dispositif pénitentiaire depuis 2005, et l’examen des problématiques liées à la socialisation, dans les conditions mêmes de son environnement liberticide. Il en découlera une expérience méthodologique du sensible qui se dote autant de moyens que de concepts nécessaires à cette pratique ethnographique singulière. Cette singularité entraînera des réflexions qui porteront sur les raisons mêmes d’une telle aventure, sur ses techniques et ses méthodes. Seront interrogées aussi ses modélisations et ses représentations, notamment temporelles, ainsi que les outils et les moyens d’enquête qu’elle se propose d’adapter quand ils viennent à manquer.

Une telle démarche saura aussi s’inscrire dans des cadres d’études ethnographiques qui ont fait leurs preuves, comme les observations et les descriptifs des lieux, le suivi et l’analyse des différents groupes d’acteurs. Il sera fait le choix d’un public spécifique, ici les bénévoles en institution carcérale et les détenus qu’ils rencontrent, afin, précisément, à travers leurs relations, d’éclairer l’ensemble du monde de la prison, leurs rapports à l’institution, et aux autres schémas de socialisation qu’ils sont amenés à vivre au quotidien.

Ainsi posée, cette dynamique de la relation entre le terrain et le vécu de ses acteurs, y compris celui du détenu devenu chercheur, entraînera, dans un deuxième chapitre, une étude des socialisations inhérentes à un tel espace. Ces socialisations qui portent en elles leurs propres justifications et leurs propres limites concernent une institution qui impose comme prioritaire, avant toute considération de vie collective, son existence même, sa nécessité, et sa pérennité. Il conviendra de définir cette institution, qui sera [21] nommée totalisante, par plusieurs de ses caractéristiques importantes qui témoignent de son ambiguïté fondamentale à vouloir gérer la totalité individuelle et sociale des détenus, mais aussi d’attester de sa richesse et de sa complexité dans l’espace où elle assure cette mission. Aussi, son rapport à la société dans son entier sera abordé, tout autant que ses temporalités, ses rationalités et ses interactions. Constamment, c’est avec des exemples illustrant le travail de terrain, des réflexions d’analyse, des références à d’autres travaux de chercheurs, que la dimension dynamique et socialisante de cet univers formalisé sera présentée. Dès lors, une double perspective sera présente dans cette deuxième partie : rendre compte du fonctionnement de l’institution pénitentiaire avec ce qu’elle contient d’apories et de limites, tout en insistant sur la force vitale et socialisante des interactions qui, quels que soient les contraintes et les murs, trouvent à s’exprimer par des arrangements relationnels nécessaires à toute vie humaine en collectivité. Ce type d’interaction informel sera présenté, au cours du chapitre trois, à travers les prismes du paradigme du don et celui de la reconnaissance, car tous deux proposent des aspects relationnels très présents en détention.

Il importera cependant de dépasser le constat de la richesse des socialisations présentes dans l’univers pénitentiaire, et cela pour deux raisons. La première est qu’il ne s’agit pas de cautionner les conditions dans lesquelles elles se déroulent ; la deuxième repose sur le constat que l’institution porte en elle cette ambiguïté fondamentale qui est de permettre aux acteurs de vivre dans un tel contexte tout en le renforçant. Il conviendra alors de présenter et d’analyser, dans un quatrième chapitre, d’autres types de socialisation qui échappent en partie à cette double pression. Ces derniers relèvent plutôt de dimensions projectives, et se caractérisent par des formes relationnelles nouvelles et originales, exprimées par l’engagement bénévole. Ces socialisations projectives seront étudiées avec leurs temporalités spécifiques, leurs interactions particulières, et leurs intentions qui mêlent en permanence une certaine éthique relationnelle à une attitude pragmatique qui n’oublie pas la réalité des projets et des activités qui les permettent. Il sera, dès lors, pertinent de montrer en quoi tous les acteurs, les détenus comme les bénévoles, ainsi que, parfois, le personnel du monde pénitentiaire, développent un rapport particulier avec ce qui concerne la mise en sens, la symbolisation, et la créativité de ces formes socialisation qu’ils savent interroger. Le concept de rationalité relationnelle sera présenté et travaillé pour expliciter ce processus socialisant, processus qui passe par la réflexivité des acteurs, et qui indique que, chez eux, la capacité de mise en sens de leur relation est constamment recherchée, proposée, et ratifiée. Nous faisons de cette disposition des personnes à se découvrir cette mutuelle compétence de mise en sens un fait social premier.

Après avoir ainsi analysé la pluralité des formes de socialisation à l’œuvre dans l’univers [22] coercitif de l’institution pénitentiaire puis montré que la perspective de réinsertion des détenus suppose que ceux-ci puissent s’affranchir de telles limites - bref qu’ils ont besoin de l’alternative et de l’altérité de l’engagement bénévole pour se projeter vers un social dynamique et reconstructif -, un cinquième chapitre s’attachera à dégager quelques-unes des conséquences à tirer de tels constats. Ces conséquences seront déclinées selon plusieurs champs de propositions concrètes de projet d’engagements bénévoles concernant les espaces carcéraux intra-muros et les contextes de réinsertion extra-muros. Ces propositions seront systématiquement constamment mises en perspective avec leurs aspects socialisants et au potentiel de réintégration sociale que l’engagement bénévole est susceptible de proposer.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 31 janvier 2018 8:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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