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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Réjean Pelletier, “L’idéologie du R.I.N.: une idéologie d’affirmation.” Un article publié dans l’ouvrage publié sous la direction de Fernand DUMONT, Jean-Paul MONTMINY et Jean HAMELIN, IDÉOLOGIES AU Canada FRANÇAIS, 1940-1976. Tome III. Les partis politiques — L’Église, pp. 213-234. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 1981, 360 pp. Collection: Histoire et sociologie de la culture, no 12. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, Chomedey, Laval, Québec. [Autorisation formelle accordée le 7 décembre 2009, par le directeur général des Presses de l’Université Laval, M. Denis DION, de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[213]

IDÉOLOGIES AU Canada FRANÇAIS,
1940-1976.

Tome III. Les partis politiques — L’Église.

L’idéologie du R.I.N. :
une idéologie d’affirmation
.”

par Réjean Pelletier

[pp. 213-234.]

La dimension politique : la volonté d'indépendance
La dimension socio-économique: planification et participation
Socialisme ou capitalisme d'État ?


Analysant l'évolution idéologique du Québec depuis le siècle dernier, Marcel Rioux distinguait trois types dominants d'idéologie durant cette période [1]. C'est d'abord l'idéologie de conservation qui domine la société québécoise, définissant cette société comme « porteur d'une culture » qui lui est propre et lui assignant le devoir de préserver l'héritage de ses ancêtres, héritage qui se compose essentiellement de la religion catholique, de la langue française et d'un certain nombre de traditions et de coutumes.

Avec l'industrialisation du Québec et le tournant de la Deuxième Guerre mondiale se développe peu à peu un mouvement de contestation. Il s'oppose à cette idéologie de conservation par une critique systématique du rôle de l'Église figée dans son dogmatisme étroit et son autoritarisme conservateur, par une critique du pouvoir politique incarné dans l'Union nationale qui appuie son maintien au pouvoir sur le conservatisme traditionnel et, au besoin, sur le capital étranger, et par une critique de tout le système d'éducation fondé sur les humanités gréco-latines et sur une interprétation traditionnelle de l'histoire nationale.

Dans sa partie positive, l'idéologie de rattrapage cherche à combler l'écart entre la culture québécoise au niveau de ses valeurs et de ses symboles et la société québécoise déjà largement industrialisée et urbanisée. Le modèle d'inspiration est celui des démocraties libérales des sociétés nord-américaines. De ce fait, le Québec doit imiter ce type de démocratie surtout sur le plan politique et s'intégrer pleinement au Canada.

[214]

Avec les années de la révolution tranquille se développe un troisième type d'idéologie qui prône le dépassement du modèle anglo-saxon et une affirmation de la spécificité québécoise allant jusqu'à l'indépendance du Québec. Elle nie donc avec force les idées maîtresses de l'idéologie de rattrapage. Marcel Rioux définissait cette dernière idéologie de la façon suivant : « C'est la négation de la négation que représente la deuxième idéologie - contestation et rattrapage ; sur le plan des moyens, cette idéologie rejoint l'idéologie nationale des patriotes de 1837-1838 et milite en faveur de l'indépendance du Québec [2]. »

L'idéologie du Rassemblement pour l'indépendance nationale se rattache à cette idéologie d'affirmation et de dépassement qui s'est imposée au Québec au cours des années 60. Bien plus, le R.I.N., par son programme, ses prises de position et ses actions, a contribué à définir davantage cette idéologie et à lui donner un contenu à la fois politique et socio-économique.

Dans sa dimension politique, l'idéologie du R.I.N. se caractérise par la volonté d'obtenir l'indépendance du Québec ; ce qui fut le trait distinctif de cet organisme aussi bien depuis sa création comme groupe de pression et mouvement d'éducation populaire en septembre 1960 que lors de sa transformation en parti politique en mars 1963 jusqu'à sa dissolution en octobre 1968.

Le R.I.N. a aussi tenté de donner un contenu socio-économique à cette indépendance en préconisant la planification des principaux secteurs d'activité, la décentralisation administrative et la participation des citoyens, cherchant aussi à définir un « socialisme » plus ou moins mitigé qui serait adapté à la situation québécoise.

Ce sont là les deux composantes majeures de l'idéologie du R.I.N. Ce qui donne en même temps un caractère particulier à ce parti puisque, contrairement aux mouvements indépendantistes antérieurs, le R.I.N. attache au moins autant d'importance aux aspects économique et social qu'à l'aspect proprement politique du problème canadien-français, problème qui sera circonscrit peu à [215] peu au seul Québec, considérant que le sort des minorités francophones dans le reste du Canada est un combat sans issue.


La dimension politique : la volonté d'indépendance

L'objectif principal du R.I.N., celui qui sert de fondement au parti et exprime sa raison d'être, se retrouve à l'article premier de sa constitution : « Le Rassemblement pour l'Indépendance nationale est un organisme culturel et politique [remplacé, après mars 1963, par l'expression « parti politique »] dont le but est de propager l'idée de l'indépendance du Canada français et de favoriser ainsi la création d'un État français souverain, dans les limites du Canada, englobant le territoire de la province de Québec [3]. »

Cette définition va demeurer en vigueur jusqu'au congrès national d'octobre 1967 où elle sera remplacée par la définition suivante qui assigne une tâche nouvelle au parti : « Le Rassemblement pour l'Indépendance nationale est le parti politique québécois voué à la décolonisation du Québec par la création d'un État souverain, démocratique et laïc en représentant pleinement tous les travailleurs (art. 1). » « Le parti a pour objectif d'instaurer un régime politique qui soit conséquent avec le programme politique (art. 2). » À la création d'un État souverain s'ajoutent désormais l'affirmation de la laïcité des structures de l'État et l'engagement du parti envers les travailleurs.

C'est sous l'influence du groupe dirigé par Andrée Ferretti que le congrès national a adopté cette définition plus élaborée du parti de façon à y inclure les travailleurs et à identifier « la lutte du R.I.N. pour l'indépendance politique, économique et culturelle du Québec à la lutte des travailleurs québécois contre la domination américaine et contre l'acceptation inconditionnelle de cette dernière par tous les autres partis politiques québécois et canadiens [4] ».

Ces deux définitions soulignent donc avec force l'objectif premier du R.I.N. : l'indépendance du Québec par la création d'un État souverain et l'instauration d'un nouveau régime politique. [216] Lorsque le parti s'est orienté plus nettement vers la « gauche »sous l'influence surtout de la région de Montréal et du groupe formé autour d'Andrée Ferretti, il a cherché à donner un sens plus précis à l'indépendance du Québec - soit celui d'une « démocratie politique et économique dans un Québec gouverné par des représentants de toutes les couches de travailleurs [5] » - et aussi à se donner des structures et une organisation adéquate pour rejoindre les travailleurs, tentative qui ne fut pas vraiment couronnée de succès.

Pour les dirigeants du R.I.N., surtout ceux des débuts du mouvement, l'indépendance du Québec trouvait sa justification dans deux grandes réalités : sur le plan intérieur, l'éternelle situation de minoritaires face à une population anglophone de plus en plus majoritaire qui entrave le développement et l'épanouissement des Québécois, et sur le plan extérieur, la décolonisation qui atteint, à un rythme accéléré, tous les continents. Ce que soulignait Marcel Chaput, second président du mouvement : « Qu'on le veuille ou non, en cette ère de décolonisation mondiale, l'indépendance du Québec est inévitable. Lentement mais sûrement, l'idée d'un Québec libre fait son chemin et ce n'est pas l'ironie ni même l'opposition acharnée de quelques-uns qui empêcheront notre peuple de se libérer [6]. »

Cette justification extérieure ne valait surtout que par sa référence au monde intérieur, à celui de l'aliénation, de la dépossession et de la dépersonnalisation, qui renvoie à cette réalité extérieure qu'est la situation de l'être colonisé dans les pays du Tiers Monde. Mais au Canada, c'est parce qu'il est minoritaire que le Québécois se trouve aliéné : « La condition de minoritaire est essentiellement aliénante. Le minoritaire est un être scindé : il voudrait réaliser à la fois son être propre, conserver sa spécificité et participer, comme partenaire égal, à la réalisation d'une société dont le caractère est déterminé, presque exclusivement, par le majoritaire. Il ne se sent vivre que par la communauté et la communauté lui renvoie le visage de l'autre - il est nié dans le mouvement qui le porte à l'accomplissement de son identité propre [7]. »

[217]

Minoritaire, le Québécois se trouve aussi dépossédé. Vivant dans un pays qui ne lui appartient pas, « locataire » dans son propre domaine, il est dépossédé du sol, des richesses, de toute l'activité économique. Cette dépossession entraîne et accentue la dépersonnalisation puisque les structures de l'activité économique sont imposées du dehors et que les valeurs culturelles sont progressivement submergées par une culture étrangère. Si le Québécois veut retrouver son identité, il doit s'émanciper, faire l'indépendance, sinon il sera assimilé par le groupe majoritaire. C'est cette recherche de l'identité qui a servi de fondement le plus profond à la cause de l'indépendance.

À ce sujet, Pierre Bourgault, président du parti de mai 1964 à octobre 1968, écrivait dans le journal du R.I.N. : « Nos villes ne nous ressemblent pas, notre pays ne nous ressemble pas, nos institutions politiques nous sont étrangères et le monde est inconscient de notre existence. Aussi bien dire que nous n'existons pas. C'est pourquoi l'Indépendance du Québec est si importante, car elle sera le commencement de l'identification à quelque chose qui nous appartient et qui nous ressemble [8]. »

C'est aussi le thème de la dépossession et du colonialisme qu'a développé André d'Allemagne, président-fondateur du R.I.N. et l'un des chefs de file du Parti, lorsqu'il présentait le Québec comme un État dominé par Ottawa et les intérêts anglophones sur les plans politique, économique, social et culturel [9]. Résumant la situation québécoise par le mot de « colonialisme », il définissait ce terme comme « la domination d'une société par une autre, quels que soient les moyens, quelles que soient les formes de cette domination ». « Un peuple est colonisé, ajoutait-il, lorsque son histoire est faite par un autre peuple, lorsque les décisions dont dépend sa vie collective sont prises par d'autres [10]. »

Ainsi, sur le plan économique, selon d'Allemagne, les ressources québécoises sont exploitées par des étrangers et toute l'économie est développée en fonction des intérêts de ces étrangers et non des Québécois. Cette domination économique se répercute inévitablement sur le plan culturel où l'anglais est devenu la langue [218] de prestige et du succès social et où les entreprises étrangères ont imposé peu à peu leurs méthodes et leurs façons de vivre. En même temps, la domination économique entraîne la domination politique, consacrée dans une constitution où sont brimés les droits des Québécois.

En se fondant sur cette situation, le comité politique du R.I.N. tirait la conclusion suivante à la fois pour le citoyen et pour l'État québécois : « Jusqu'ici, le citoyen du Québec a pu se désintéresser de la politique parce qu'il était un étranger dans son propre pays. Les partis politiques qui briguaient ses suffrages étaient soudoyés par les capitaux anglo-américains et dans l'étau de la Confédération. Ils n'ont jamais servi les intérêts de la nation qu'après avoir servi d'abord les intérêts de leurs bailleurs de fonds et ceux de leurs maîtres à Ottawa. De plus, et ce qui est beaucoup plus grave, la Confédération a privé le Québec de tout pouvoir politique véritable, de tout pouvoir politique national. Pendant que nos élus, ici à Québec, construisent des routes et des ponts, la véritable politique, c'est à Ottawa qu'elle se fait. Et là-bas, est-il besoin de le rappeler, le Québécois francophone était et demeure doublement un étranger [11]. »

Afin de remédier à cette situation, le R.I.N. proposait l'indépendance qui permettrait aux Québécois de passer de l'état de minoritaires dans le contexte canadien à l'état de majoritaires dans leur propre pays. Pour atteindre ce but, il fallait s'attaquer à Ottawa qui maintenait cette domination à caractère colonial. C'est surtout dans les débuts du R.I.N., en particulier lorsqu'il n'était qu'un mouvement de pression et d'éducation, que celui-ci a concentré ses attaques contre, le gouvernement fédéral. Il s'agissait alors de montrer aux Québécois les griefs qu'ils pouvaient entretenir à l'encontre de la Confédération pour les convaincre ensuite de la nécessité de l'indépendance du Québec.

Mais, peu à peu, le R.I.N. a dirigé sa critique non plus seulement vers le gouvernement fédéral, mais aussi contre le gouvernement québécois. Cette transformation s'est effectuée surtout lorsqu'il est devenu parti politique. Commentant cette situation [219] nouvelle, Pierre Bourgault écrivait ; « Le sort en est jeté : le R.I.N. est devenu parti politique. [...] Cela, essentiellement, veut dire que le R.I.N. entend prendre le pouvoir à Québec et faire l'indépendance. [...] Cela veut dire que ceux qui ne sont pas pour nous sont contre nous et que nous les combattrons. Ne parlons pas des partis fédéraux : ils représentent la Confédération, ils représentent le gouvernement étranger, colonial. Ils cherchent à prendre le pouvoir à Ottawa. Nous le prendrons à Québec. Restent les partis « provinciaux ». Ils acceptent eux aussi la Confédération. Ils sont nos adversaires. Nous les combattrons [12]. » C'est donc au Québec que le R.I.N., comme parti politique, entend mener son combat pour l'indépendance. Cette indépendance permettra aux Québécois d'être maîtres de leur destin, majoritaires dans leur pays, puisqu'à Ottawa « il n'y aura toujours qu'une minorité de Canadiens français avec une force et des droits de minorité [13] ».

Mais indépendance ne signifie pas isolement. Tout pays souverain doit coopérer avec ses voisins et avec les autres pays du monde, ce qui traduit une forme de coexistence. Pour en arriver à cette coopération avec les autres, à cette interdépendance nécessaire dans un monde qui a aboli les distances, il faut passer par la phase de l'indépendance après avoir brisé les chaînes de la dépendance. C'est ce que soulignait Pierre Bourgault lorsqu'il écrivait : « Il est une chose qu'il ne faut pas oublier : on peut accélérer l'histoire, mais on ne peut pas la briser ; on peut brûler les étapes, mais on ne peut pas les sauter. Colonialisme. Nationalisme. Internationalisme. Dépendance. Indépendance. Interdépendance. C'est là le processus historique auquel aucun peuple n'a pu échapper. On ne peut passer d'un seul coup du colonialisme à l'internationalisme. On ne peut sortir de la dépendance et passer à l'interdépendance des États sans prouver d'abord au monde son existence en conquérant son indépendance [14]. » Dans cette optique, l'indépendance est une étape normale vers la coopération, la coexistence, l'interdépendance dans le monde moderne. Il ne s'agit donc pas de s'isoler en se séparant, mais de mieux s'affirmer au monde.

[220]

Ainsi, le R.I.N. a été fondé d'abord et avant tout pour faire l'indépendance. Ce fut là son premier objectif et cet objectif est demeuré prioritaire « parce que logiquement et théoriquement toutes les autres réformes, tous les changements profonds dont la société québécoise [avait] besoin, [étaient] subordonnés au préalable de l'indépendance » et « parce que dialectiquement et historiquement il est établi que la libération de l'individu passe par celle de la collectivité et que le progrès économique et social passe par l'indépendance nationale [15] ».

Tels sont donc les fondements les plus-profonds de l'idéologie indépendantiste incarnée par le R.I.N. À l'aliénation et à la dépersonnalisation, il oppose la recherche de l'identité québécoise. À la situation de minoritaires pour les Québécois, il oppose la situation de majoritaires dans son propre pays. À la domination économique, culturelle et politique, il oppose l'indépendance dans la coexistence et l'interdépendance.


La dimension socio-économique :
planification et participation

Le R.I.N. a aussi cherché à donner un contenu à l'indépendance projetée en scrutant les divers problèmes de la société québécoise et en proposant des solutions à ces problèmes. C'est de cette recherche qu'est né le programme du parti qui, par son application, devait façonner un nouveau régime politique, apporter un changement dans les structures économiques et sociales existantes, en un mot « instaurer un régime politique qui soit conséquent avec le programme politique ».

Outre la libération politique des Québécois, le R.I.N. souhaitait aussi leur libération économique. L'une ne va pas sans l'autre. Indépendance et révolution nationale ou indépendance et « socialisme » résument les deux objectifs majeurs du parti. Au début, le R.I.N. préférait parler de « révolution nationale », ce qui pourrait s'expliquer par la peur encore engendrée par le mot « socialisme » au sein de la population. De fait, à cette époque, le parti n'avait pas encore véritablement amorcé son « virage à gauche ». Il lui faudra attendre l'impulsion d'abord de Guy Pouliot, puis de [221] Pierre Bourgault, du moins dans les premières années de sa présidence. En 1967-1968, ce sont les dirigeants de la région de Montréal et quelques-uns de la région de Québec qui chercheront à orienter davantage le R.I.N. vers la gauche. Par ailleurs, les différentes résolutions adoptées dans les congrès nationaux du parti vont préciser peu à peu le contenu de cette « révolution nationale » et engager progressivement le R.I.N. dans une voie à caractère social-démocrate.

Déjà, à la suite d'une assemblée tenue en janvier 1963, le conseil central du parti émettait la déclaration suivante : « Nous croyons que le R.I.N. a un rôle original à jouer non seulement dans la lutte pour l'indépendance, mais aussi dans la politique québécoise et l'histoire du Canada français : un rôle qu'il est seul à assumer. C'est celui de rallier, autour de la cause de l'indépendance et de son idéal social, les éléments les plus progressistes et les plus dynamiques de la nation. Nous réaffirmons donc que notre aspiration à l'indépendance est intimement liée à notre aspiration à une véritable démocratie, à une plus grande justice sociale et à l'épanouissement de l'individu dans une société humaniste et ouverte sur le monde. Voilà ce que nous entendons lorsque nous parlons de révolution nationale. Pour nous, cette révolution est impossible sans l'indépendance et l'indépendance serait incomplète sans cette révolution [16]. » Mais quel est le contenu de cette « révolution nationale » ? Quelle utilisation va-t-on faire de l'indépendance, après l'indépendance ? Le programme nous éclaire à ce sujet puisqu'il s'agit précisément de le mettre en oeuvre dans le futur Québec indépendant. C'est un programme qui, par son contenu culturel, économique, social et politique, doit répondre aux aspirations de la population et donner au Québec contemporain une orientation plus « à gauche ».

Le premier « programme », adopté en octobre 1961, se présente comme une série de résolutions qui concernent avant tout les domaines politique et culturel. Certaines résolutions montrent bien les préoccupations des premiers dirigeants : outre la question de 1'unilinguisme français et du sort des minorités au Québec et en dehors du Québec, on y parle d'échanges d'étudiants avec le [222] monde français, d'une école d'administration et de diplomatie, de centres culturels, d'un institut cinématographique national, d'une agence de presse québécoise et même du drapeau national et des fêtes nationales. Les préoccupations économiques et sociales en sont pratiquement absentes, sauf quelques brèves références aux échanges commerciaux, aux richesses naturelles et aux sociétés mixtes.

Les résolutions adoptées au congrès national de l'année suivante [17] témoignent déjà d'une volonté d'élargir les horizons du parti et d'embrasser tous les aspects de la vie québécoise. En particulier, les domaines économique et social sont approfondis et précisés par les participants au congrès. On y retrouve les principaux thèmes qui seront à la base du programme politique du parti : la planification, l'étatisation, le statut des sociétés étrangères, le développement des coopératives dans le domaine économique et, sur le plan social, les droits du citoyen, le statut de la femme, le problème des vieillards, la gratuité des soins médicaux et le syndicalisme.

Ce n'est qu'au printemps 1965 que les résolutions votées par les différents congrès nationaux prendront la forme d'un programme politique cohérent. Ce programme fut élaboré par le comité politique du parti avec l'aide d'une trentaine d'experts qui ont présenté des rapports, exprimé leur opinion sur différents sujets ou participé à la rédaction du rapport final. Le congrès national de novembre 1966 apporta quelques amendements à ce programme, en particulier dans les domaines de la planification, de l'éducation, de la justice et de la sécurité sociale. Très peu de changements ont été apportés aux congrès suivants. C'est donc sur le texte de 1966-1967 que nous fondons notre analyse.

L'idée dominante du programme est celle de la planification, qui doit permettre de prévoir et d'organiser toute l'activité économique. Il ne s'agit pas seulement de « récupérer toute son initiative dans le domaine politique », mais aussi d'ordonner « l'activité économique à la satisfaction des besoins de la collectivité [18] ». Le régime de laisser-faire qui caractérise l'économie nord-américaine ne peut atteindre cet objectif. De même, ce n'est pas une série de [223] mesures isolées, si bonnes soient-elles, qui permettront de résoudre l'impasse dans laquelle est engagée cette économie, mais un plan général d'action, une politique globale qui aura pour but « d'assurer l'épanouissement culturel de la population, d'éliminer l'injustice sociale, d'assurer le plein emploi dans l'économie et de garantir l'exercice d'une démocratie réelle et efficace [19] ». En somme, la planification est présentée comme le développement harmonieux et rationnel des ressources du pays.

Cette politique globale comprend, outre la récupération totale des pouvoirs de l'État par l'indépendance, la mise en oeuvre d'une planification de toute l'activité du pays. Au chapitre des affaires économiques en particulier, l'État doit assumer son rôle face à l'investissement et à la consommation, exercer son influence sur le développement de l'industrie et l'aménagement des régions moins développées, mettre en place des structures pour intégrer les investissements étrangers sur le plan national de développement et pour rationaliser le commerce extérieur.

Une série de mesures concrètes adoptées par le parti visent précisément à changer les conditions de l'économie québécoise qui « présente la complexité même de la situation où nous place le libre jeu des forces du marché à l'intérieur d'un schéma de concurrence pure, où les facteurs de production sont considérés comme parfaitement mobiles, et cela sans compter qu'ici ces forces et cette conjoncture nous sont largement étrangères [20] ». La planification économique, dans l'optique du R.I.N., doit permettre à l'État québécois d'acquérir la maîtrise des facteurs de production et d'agir sur la conjoncture selon les besoins de l'économie québécoise.

En même temps, cette planification dans le domaine économique doit s'accompagner d'une planification dans les affaires socio-culturelles. Si la planification économique visait à augmenter la production, accroître la richesse nationale et améliorer la distribution de cette richesse dans le Québec indépendant, la planification socio-culturelle doit chercher à protéger les citoyens contre les risques [224] normaux de l'existence (accidents, maladie, chômage, etc.) ainsi qu'à organiser et démocratiser l'éducation, la culture et les loisirs.

« Le principe de “l'égalité des chances” doit nous amener à remplacer les privilèges par les droits : droits à l'éducation, à la culture, aux loisirs, à la sécurité, au travail ; autant d'éléments qui permettront à l'État de protéger les citoyens contre les inégalités des chances et réaliser dans le pays un équilibre social [21]. » Cette recherche de « l'égalité des chances » est un thème majeur du socialisme québécois où l'inégalité suit trop souvent la ligne du clivage ethnique. Mais si cette égalité est peut-être plus facile à réaliser dans les domaines culturel et social par suite d'une vigoureuse intervention gouvernementale, elle ne saurait être complète sans une action sur le plan économique. C'est pourquoi le programme du R.I.N. relie les secteurs économique et socio-culturel par l'idée-force de planification : planifier dans la sphère du socio-culturel ne saurait se concevoir sans une planification préalable dans celle de l'économique.

En somme, le R.I.N. préconise une planification à laquelle n'échappe à peu près aucun secteur important de la vie économique, sociale et culturelle. Mais ce n'est pas une planification qui serait conçue et imposée par l'État. Au contraire, le R.I.N. souhaite la participation de trois grands niveaux de décision - l'État, les travailleurs et le patronat – à l'élaboration et à l'exécution du plan. Cette planification économique et socio-culturelle doit aussi reposer sur un aménagement des structures politiques et sur une régionalisation ou une décentralisation très poussée afin d'assurer son efficacité. De là, la nécessité de créer des structures qui vont permettre aux citoyens de participer à l'élaboration et à l'exécution de la planification à tous les niveaux : « La politique (le plan) doit refléter les besoins réels du peuple, d'où l'importance de sa participation à l'élaboration, à l'exécution et au contrôle des politiques régionales. Le consentement de la population est essentiel [...]. Aucune politique ne sera nationale si le peuple n'y participe pas [22]. »

[225]

Afin d'atteindre cet objectif, le R.I.N. propose d'édifier des structures politiques, tels les gouvernements régionaux, les conseils économiques régionaux, le conseil économique et social national, l'assemblée nationale, qui vont permettre la participation des citoyens aux décisions et assurer ainsi le règne de la démocratie : « La planification vise essentiellement à une meilleure distribution de l'avoir (sur le plan économique), du savoir (sur le plan culturel) et du pouvoir (sur le plan politique) de la collectivité nationale. Elle implique donc une véritable prise en main, par cette collectivité, de ses destinées, une participation active à son gouvernement [23]. »

En résumé, si l'indépendance demeure l'objectif prioritaire du R.I.N., la planification à tous les niveaux devient l'instrument essentiel de la libération des Québécois. Mais il ne faut pas concevoir cette indépendance comme une fin en soi, mais plutôt comme un point de départ vers le progrès économique et social. Indépendance, planification, décentralisation et participation, tels sont les objectifs majeurs que s'était fixés le R.I.N. dans son programme. Ce sont des thèmes gaullistes dans leur essence, ce qui montre peut-être la fascination qu'a pu exercer de Gaulle sur certains membres du R.I.N. Mais ils résultent avant tout de l'influence qu'ont exercée des penseurs ou groupes politiques français (par exemple, le Club Jean Moulin) sur les « idéologues » et les dirigeants du R.I.N. (surtout si l'on songe à l'entrée tardive des thèmes de régionalisation et de participation dans le vocabulaire du général de Gaulle).


Socialisme ou capitalisme d'État ?

Si le R.I.N. avait une vision assez claire de la planification qu'il voulait mettre en oeuvre dans un Québec indépendant, sa conception du socialisme est demeurée plutôt vague et ambiguë. Certes, ses dirigeants ont souvent proclamé leur foi dans le socialisme, mais sans expliquer ce qu'ils entendaient véritablement par ce mot, comme en témoignent de nombreuses déclarations de Pierre Bourgault : « Le socialisme peut seul construire une indépendance économique », et « c'est par là que devront passer le [226] Québec et le Canada [24]. « On peut être indépendant sans être socialiste », ajoutant en même temps que le R.I.N. avait un programme « socialiste modéré [25] ». L'indépendance est viable pour les travailleurs, mais à condition qu'elle soit « à gauche [26] ». Ou encore, l'indépendance doit « s'accompagner de la révolution sociale, dans le sens d'une amélioration profonde des cadres sociaux actuels [27] ». Mais ces déclarations ne s'accompagnaient pas d'une conception précise de ce socialisme présenté comme le corollaire indispensable de l'indépendance.

De même, le programme du parti ne nous renseigne pas plus sur la signification profonde du socialisme prôné. Certes, le R.I.N. s'engage à encourager « la participation ouvrière aux profits et à la propriété des entreprises [28] », approuve la « cogestion industrielle », s'engage aussi à « nationaliser tout monopole ou tout secteur industriel qui opposerait à l'État la force de l'inertie contre la politique du plan [29] ». Mais le programme précise en même temps que la nationalisation ne saurait constituer « une fin en soi » et qu'elle n'est qu'un « moyen parmi d'autres pour assurer une planification véritable », que le R.I.N. créera des entreprises d'État, seulement lorsqu'il y aura « carence de l'initiative privée en présence de besoins indiscutables » et qu'un gouvernement riniste « encouragera les investissements étrangers dans la mesure où ceux-ci [tiendront] compte des objectifs fixés par le plan ». Il faut surtout souligner que, selon le programme du parti, « la production économique et la distribution des richesses sont deux fonctions différentes, qui doivent être dissociées » et que le R.I.N. « rejette le principe selon lequel un certain système de production entraîne automatiquement un certain système de distribution [30] ».

À la suite d'un examen attentif du programme du parti et des déclarations des principaux dirigeants, le « socialisme » du R.I.N. s'apparente beaucoup plus à un capitalisme d'État qu'à un véritable socialisme. Il est certain que la planification de l'activité économique, la nationalisation de secteurs importants de l'économie et la redistribution du revenu par un rajustement de l'impôt et par l'octroi de mesures sociales constituent des pas importants [227] vers l'amélioration des conditions de vie des petits salariés et des travailleurs, mais ces mesures en elles-mêmes ne peuvent définir un « socialisme » québécois puisqu'elles peuvent toutes se concevoir dans le cadre d'une économie de type capitaliste. Et jamais, à notre connaissance, le R.I.N. n'a véritablement préconisé le renversement d'un tel cadre pour construire une économie de type socialiste fondée sur la socialisation des moyens de production. Les mesures que préconisait le R.I.N. étaient plutôt « de gauche » et progressistes, sans être véritablement « socialistes », ce qui permettait en même temps au parti de dénoncer le système comme étant celui « du socialisme pour les riches et de la libre entreprise pour les pauvres [31] ».

Quelques exemples viennent appuyer cette thèse. Lorsqu'il réclamait la nationalisation de certaines entreprises, la création d'entreprises d'État ou la redistribution du revenu, le R.I.N. ne présentait que des demandes conformes à l'esprit qui anime le programme du parti. Ainsi, à l'été 1962, au moment où l'on parlait beaucoup de la nationalisation des compagnies d'électricité, le R.I.N. recommandait d'y procéder sans plus tarder, appuyant en cela l'action menée par René Lévesque, alors ministre des Richesses naturelles dans le gouvernement Lesage. Plus tard, commentant la hausse de la taxe de vente décrétée par le gouvernement Johnson, Pierre Bourgault écrivait : « Le RIN, pour sa part, propose un régime beaucoup plus juste qui vise à éliminer le plus rapidement possible la plupart des taxes indirectes tout en opérant un rajustement de l'impôt direct. Un parti qui ne réussirait que cela, dans notre contexte, aurait déjà fait une révolution profonde qui soulagerait considérablement le petit salarié du Québec [32]. »

Exposant les grandes lignes de la politique du parti à l'égard des investissements étrangers, Bourgault déclarait : « Vis-à-vis des investissements étrangers à long terme, la politique de l'État du Québec ne saurait en aucune façon être une politique de restriction. Par l'intégration des investissements étrangers sur le plan national de développement, l'État du Québec entend que ces investissements s'inscriront, comme les investissements domestiques, dans les cadres prévus par la planification et qu'ils ne seront pas orientés [228] uniquement vers les secteurs complémentaires qui offrent une très grande sécurité [33]. »

Enfin, au cours du congrès national d'octobre 1966, l'une des principales résolutions à l'ordre du jour préconisait un système d'économie mixte (capitalisme privé et d'État) sur le plan de la production et un système de distribution socialiste comme étant « le seul moyen de parvenir à une répartition juste des richesses ». Cette résolution, qui résume en quelque sorte la position « socialiste » du parti, fut d'ailleurs renvoyée, par l'assemblée plénière, pour étude au comité politique du parti. L'aile gauche et l'aile droite, pour des raisons opposées, avaient fait front commun contre la tendance centriste du parti.

Ces quelques exemples illustrent la philosophie économique du R.I.N., axée surtout sur la planification et sur la redistribution du revenu, au besoin sur la nationalisation et la création d'entreprises d'État. D'ailleurs, la reconnaissance par le R.I.N. de trois niveaux de décision - État, patronat et syndicats - appelés à collaborer à l'élaboration et à l'exécution du plan, montre bien que le parti n'entendait pas transformer d'une façon radicale les structures économiques existantes et que, tout au plus, pouvait-il se définir comme « social-démocrate ».

Seule Andrée Ferretti (et le groupe qui l'appuyait) a prôné « la désorganisation totale de l'ordre économique actuel et l'avènement d'un ordre nouveau et de nouvelles institutions », devant conduire à la libération du Québec « dans et par la révolution, c'est-à-dire par la prise du pouvoir par les travailleurs québécois par tous les moyens nécessaires [34] ». Mais ce groupe, après certains succès au sein du parti, devait quitter le R.I.N. à la suite d'un désaccord profond avec la direction du mouvement, désaccord fondé à la fois sur des oppositions idéologiques et des conflits de personnalité : c'était alors l'aile radicale du parti qui s'en détachait.

En somme, la position suivante adoptée par les dirigeants du R.I.N. à la suite du congrès national de mai 1965 où le parti avait présenté son nouveau programme, résume bien la situation : « Nous sommes de gauche », disait Pierre Bourgault, alors président [229] du parti, tout en refusant l'étiquette « socialiste », alors que le vice-président, Guy Pouliot, ne refusait pas cette étiquette « si les travaillistes britanniques sont socialistes [35] ».

Pour résumer la situation, on peut dire que le R.I.N. souhaitait une plus grande intervention de l'État dans les affaires économiques, réclamait la planification des principaux secteurs d'activité, la nationalisation de certaines entreprises, une amélioration de la condition des travailleurs, bref un ensemble de mesures d'inspiration progressiste, sans aller cependant jusqu'à la réalisation d'un socialisme intégral. S'il y a socialisme, c'est plutôt du côté « suédois » ou « britannique »qu'il faudrait chercher le modèle, mais sans oublier la présence québécoise dans le grand tout nord-américain.

Telle est la conclusion à laquelle en arrive le Comité politique du parti lorsqu'il écrit :

Il est certain que si une orientation trop à gauche était adoptée dès le départ, les États-Unis ne manqueraient pas de réagir défavorablement. C'est d'ailleurs là un problème qui n'est pas seulement celui du Québec, mais celui de tous les pays du continent américain en face des États-Unis. [...] On peut en conclure que penser en termes de socialisme intégral au Québec aujourd'hui serait un suicide politique. Le nouveau type d'organisation de la société que recherche le Québec ne peut donc être de gauche extrémiste ; cependant, il aurait avantage à être de caractère socialiste : il est vrai que le régime de la libre entreprise basé sur le motif du profit et le souci de maintenir la capacité de concurrence accorde au système économique sa plus grande efficacité au niveau de la firme. Mais il n'en résulte pas nécessairement qu'il fasse de même sur le plan de la collectivité parce que la somme des intérêts particuliers ne coïncide pas du tout avec l'intérêt général. Sur ce plan, la planification des décisions à prendre vis-à-vis le développement économique, en vue de faire disparaître les inégalités sociales existantes, apparaît essentielle [36].

Ce texte résume bien les ambiguïtés de la pensée économique du R.I.N., tiraillé entre sa volonté d'instaurer une certaine forme de « socialisme » et la nécessité de reconnaître la présence encombrante du géant américain incarnant le capitalisme et s'opposant à l'instauration du socialisme au Québec. Le R.I.N. n'a pu trouver d'autre solution que de se situer entre les deux et d'opter pour une [230] voie à caractère social-démocrate où dominent les interventions de l'État.

*
*        *

Si l'on divise la production idéologique d'une société entre idéologies dominantes et idéologies de contestation, on peut classer l'idéologie du R.I.N. dans cette dernière catégorie. L'idéologie d'affirmation et de dépassement prônée par le R.I.N. apparaît, en effet, comme la contestation de l'idéologie dominante de son époque - l'idéologie de rattrapage - diffusée par les élites intellectuelles du Québec après la Seconde Guerre mondiale et mise en oeuvre au cours de la révolution tranquille.

C'est d'abord dans le domaine politique que l'idéologie du R.I.N. semble la plus contestataire. Elle préconise, en effet, l'indépendance du Québec afin de rendre les Québécois majoritaires dans leur propre pays et capables de s'opposer ainsi à la domination anglophone sur le Québec. Mais ce faisant, le R.I.N. s'inscrit aussi dans le vaste courant nationaliste qui a marqué le Québec au cours du vingtième siècle. D'un nationalisme que l'on pourrait qualifier de culturel où il s'agit avant tout de défendre la langue et la culture françaises en s'opposant à la domination anglophone afin d'affirmer, de cette façon, la spécificité française du Québec, l'État québécois est passé peu à peu à un nationalisme politique qui s'est incarné surtout dans ce que l'on a appelé la révolution tranquille. Il s'agit désormais d'assurer la défense du fait français par la reconnaissance d'une nation canadienne-française et donc d'un statut spécial pour le Québec qui est l'« expression politique »du Canada français et le point d'appui de tous ceux qui parlent français au Québec.

C'est ainsi que s'établit progressivement une distinction entre le Québec et le Canada français. De plus en plus, le Québec ne cherche pas à s'affirmer en s'opposant au Canada anglais, mais à se définir par rapport à lui-même. Il n'est plus question du sort des minorités françaises en dehors du Québec que certains qualifient de [231] combat sans issue, mais des pouvoirs nécessaires à l'État du Québec pour assurer sa survie et favoriser l'organisation et le développement de la vie collective des Québécois. Face à l'ancien nationalisme unitaire qui privilégiait les valeurs culturelles et reposait sur le caractère rural et catholique de la société québécoise, le nouveau nationalisme accorde une importance grandissante à l'État et au gouvernement et insiste sur une politique industrielle dont les Québécois auraient la maîtrise. Ce faisant, le Québec a voulu traduire dans des institutions économiques et sociales son passage d'une société traditionnelle à une société moderne.

Le R.I.N. s'est d'abord identifié au nationalisme culturel, surtout au cours des années 1960-1961, mais sans faire référence aux composantes rurales et religieuses du nationalisme traditionnel. Au contraire, il a cherché à les remplacer par des valeurs nouvelles, comme le laïcisme de l'État. C'est ce que soulignait Georges-André Vachon lorsqu'il a écrit : « La métaphore séparatiste exprime qu'au niveau de l'idéologie religieuse, morale et sociale, la séparation doit être aussi radicale que peut l'être, au niveau politique, le passage de la dépendance à l'indépendance [37] ». Mais, dès sa fondation, le R.I.N. s'inscrit aussi dans le courant du nationalisme politique en réclamant l'indépendance du Québec. Bien plus, il se situe pour ainsi dire à la charnière de ce courant en servant de point de référence aux autres partis politiques.

Cependant, sous l'influence même du R.I.N. (surtout avec le groupe formé autour d'Andrée Ferretti) et de revues à caractère socialiste comme Révolution québécoise et Parti pris, le nationalisme politique au Québec se double progressivement d'un nationalisme socio-économique. Dès lors, l'indépendance politique devient un moyen pour la réalisation du mieux-être des Québécois, pour leur libération de l'emprise « capitaliste »autochtone et de la domination « impérialiste » américaine. Il s'agit d'assurer avant tout le développement social et économique du Québec au bénéfice de la collectivité québécoise tout entière et non pas de la seule bourgeoisie, qu'elle soit de langue française ou de langue anglaise.

[232]

C'est ce qui se passe aussi au sein du R.I.N. Ce parti, en effet, va s'employer non seulement à réclamer l'indépendance politique du Québec, mais aussi à élaborer et faire connaître son programme de développement économique et social pour le futur Québec indépendant. On pourrait ajouter que là aussi le R.I.N. fut un élément moteur de ce nationalisme socio-économique, bien que le caractère « socialiste » de son programme fût nettement moins accusé que celui d'autres groupements de moindre importance et plutôt marginaux. Ce mariage du « national » et du « social » s'est surtout opéré au moment où le R.I.N. est devenu parti politique et a songé, de ce fait, à se doter d'un programme qui fût différent de celui des partis traditionnels.

Parmi les différentes options offertes à la population québécoise au cours des années 60, allant du statu quo jusqu'à l'indépendance, c'est probablement l'idéologie indépendantiste qui exerça l'influence la plus profonde. Comme toute idéologie, elle a émergé d'abord parmi des groupes restreints et d'une façon plutôt incohérente et fragmentaire. En s'affirmant, surtout au moment où le R.I.N. est devenu parti politique, cette idéologie a pris corps, elle s'est habillée d'un contenu social et économique. En même temps, elle a forcé les autres partis politiques à se définir par rapport à l'indépendance. Certains ont annexé le vocabulaire indépendantiste (État du Québec, autodétermination ... ) ou se sont servis de cette menace pour appuyer leurs revendications ou simplement pour se constituer un capital électoral. De ce fait, on peut affirmer que le R.I.N. et l'idéologie qu'il véhiculait ont servi de catalyseurs et de points de référence aux autres partis politiques et ont ainsi marqué la vie politique québécoise. La pression qu'a exercée le R.I.N. a provoqué le réveil de la collectivité québécoise, comme l'a fait la révolution tranquille, ce qui peut montrer la nécessité de ce mouvement. André Laurendeau, à ce sujet, rappelait la boutade d'un homme d'affaires : « Les séparatistes croient l'indépendance nécessaire. Je crois qu'ils ont tort. Ce sont les indépendantistes qui sont nécessaires [38]. »

Réjean PELLETIER.



[1] Marcel Rioux, la Question du Québec, Paris, Seghers, éd. revue et augmentée, 1971.

[2] Idem, p. 100.

[3] Article 1 de diverses constitutions du R.I.N. (de 1961 à 1967).

[4] Cité dans le Devoir, 10 octobre 1967.

[5] Luc RACINE, « Après le congrès », le Bélier (bulletin de liaison de la région de Montréal), vol. 1, n° 7, novembre 1967.

[6] Extrait du premier numéro du journal du R.I.N., l'Indépendance, octobre 1962.

[7] Paul CHAMBERLAND, « De la damnation à la liberté », Parti pris, nos 9-10-11, été 1964, 63.

[8] Dans l'Indépendance, vol. 1, n° 4, janvier 1963.

[9] Dans le Colonialisme au Québec, Montréal, Éditions Renaud-Bray, 1966, 191 p.

[10] Dans le Québec, pays colonisé, p. 3. Document du parti, non daté.

[11] Rapport du comité politique central du R.I.N. au congrès de Québec, le 10 juin 1962, p, 1. Document du parti.

[12] Dans un éditorial intitulé « C'est la guerre », l'Indépendance, vol. 1, n'°7, avril 1963.

[13] Déclaration de Pierre BOURGAULT reproduite dans l'Indépendance, vol. 5, n° 15, 16-30 juin 1967.

[14] Dans l'Indépendance, vol. 1, n° 4, janvier 1963. Souligné dans le texte.

[15] André D'ALLEMAGNE, la Crise du R.I.N., mars 1968, p. 2. Document du parti.

[16] L'Indépendance, vol. 1, n° 5, février 1963.

[17] Congrès du R.I.N., les 20 et 21 octobre 1962.

[18] Le R.I.N., parti populaire. Préambule du programme politique 1966-1967, p. 3.

[19] Ibidem.

[20] Idem, p. 6.

[21] Idem, p. 16.

[22] Idem, pp. 26-27.

[23] Idem, p. 3.

[24] Pierre BOURGAULT au Congrès des affaires canadiennes tenu à l'Université Laval en 1964. Extraits de son discours parus dans le Devoir, 23 novembre 1964.

[25] Le Devoir, 1er décembre 1965.

[26] Lors d'un débat qui l'opposait à Gérard Pelletier, alors député fédéral d'Hochelaga. Propos rapportés par le Devoir, 16 janvier 1967.

[27] Le Devoir, 5 mars 1963.

[28] Programme politique 1966-1967, recommandation n° 4.

[29] Idem, recommandation n° 8.

[30] Programme politique 1966-1967, pp. 4, 6, 7.

[31] Guy POULIOT, alors président du parti, dans l'Indépendance, vol. 2, n° 3, mars 1964.

[32] Éditorial de l'Indépendance, vol. 6, n° 7, 1er-15 février 1968.

[33] Discours prononcé à Buckingham au cours de la campagne électorale de 1966. Propos reproduits dans le Devoir, 31 mai 1966.

[34] Cité dans le Devoir, 12 septembre 1967.

[35] Propos rapportés par Réal PELLETIER dans le Devoir, 25 mai 1965.

[36] Manifeste, pp. 5, 6. Il est à noter que ce projet de manifeste fut relégué au second plan à la suite de l'annonce d'une élection générale au Québec, fixée au 5 juin 1966. Le parti a alors concentré toute son attention sur la préparation de la campagne électorale.

[37] Georges-André VACHON, les Idées politiques des Canadiens français, étude présentée à la Commission Laurendeau-Dunton, deuxièmes conclusions, décembre 1965, p. 23.

[38] Dans un éditorial du Devoir, 12 janvier 1963.


Retour au texte de l'auteur: Réjean Pelletier, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le lundi 25 juillet 2011 16:52
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retrait du Cégep de Chicoutimi.
 



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