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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jacques Parizeau, POUR UN QUÉBEC SOUVERAIN (1997)
Introduction générale


Une édition électronique réalisée à partir du livre M. Jacques Parizeau, POUR UN QUÉBEC SOUVERAIN. Montréal: VLB Éditeur, 1997, 355 pp. Collection: Partis pris actuels. [Autorisation formelle accordée par l'auteur de diffuser toutes ses publications accordée aux Classiques des sciences sociales le 18 septembre 2006.]
Introduction générale

En octobre 1967, je suis invité à prononcer une conférence à Banff sur le sempiternel problème du fédéralisme canadien. Je suis alors conseiller au bureau du premier ministre du Québec. Je l'ai été auprès de jean Lesage, je le suis auprès de Daniel Johnson, le père, et je le serai auprès de son successeur, Jean-Jacques Bertrand. 

En 1967, je suis fédéraliste ; je l'ai toujours été. D'abord parce que, sur le plan économique et social, je suis de centre gauche. Comme bien des gens à cette époque, comme les libéraux à Ottawa et comme les libéraux à Québec. Je n'ai cependant jamais fait de politique active. Depuis ma jeunesse, j'éprouve une profonde répugnance pour le duplessisme qui, pour moi, est le prolongement d'une forme de cléricalisme étroit qui sévit au Québec depuis le milieu du XIXe siècle, c'est-à-dire depuis l'écrasement des Rébellions de 1837-1838. Ce mélange d'idées primaires de droite, de nationalisme linguistique borné, de favoritisme et de conformisme me tape sur les nerfs. 

De retour d'Angleterre, en 1955, à la fin de mes études, je regarde, depuis mon poste de professeur à l'École des Hautes Études Commerciales, vers Ottawa où une grande réforme sociale est en cours depuis plus de dix ans. Le gouvernement d'Ottawa a bien géré l'économie durant la Seconde Guerre mondiale. Il a commencé à cette époque à mettre en place les filets de la sécurité sociale qui avaient tellement fait défaut durant la grande dépression des années trente. L'assurance-chômage, les allocations familiales et le régime universel des pensions de vieillesse, puis l'assurance-hospitalisation ne sont que les plus importantes de ces réformes. 

Une forme de péréquation est instaurée pour compenser les inégalités de revenus entre les provinces. L'accès à la propriété individuelle est considérablement facilité par la création de la Société centrale d'hypothèque et de logement. On révise les lois contre les monopoles. On crée de toutes pièces des outils financiers nouveaux. 

Bref, un pays se construit. C'est emballant, c'est excitant. Mais cela ne va pas sans inconvénient. En réalité, le fait d'être canadien plutôt qu'américain comporte un coût dont l'élément le plus important est le tarif douanier canadien, qui est très élevé. L'Ukrainien de la Saskatchewan a de la difficulté à comprendre pourquoi son voisin du Dakota, qui est pourtant arrivé en Amérique en même temps que lui de leur Ukraine natale, paie moins cher que lui pour son auto et reçoit plus que lui pour son blé. 

Mais le fait d'être canadien représente alors quelque chose de tellement précieux que l'on accepte volontiers le sacrifice. Et l'idée qu'un sacrifice est nécessaire pour être indépendant des États-Unis est tellement ancrée dans les esprits que, quand on voudra, quarante ans plus tard, persuader les Québécois qu'ils pourraient eux aussi aspirer à construire leur pays, beaucoup resteront convaincus qu'ils devront en payer le prix, qu'ils devront accepter de faire des sacrifices, perçus comme une sorte de punition. Pourtant, le contexte a complètement changé. Le libre-échange s'est étendu sur tout le continent, on sait que la société québécoise peut économiser plusieurs milliards de dollars par an en éliminant le chevauchement des services gouvernementaux. Jamais, à vrai dire, il n'aurait été aussi avantageux que le Québec soit indépendant du Canada. Mais, chez beaucoup de gens âgés, le vieux fond dogmatique est encore présent : devenir indépendant, ça se paye. 

Toujours est-il que Maurice Duplessis meurt, en 1959. Son successeur, Paul Sauvé, a à peine le temps de secouer la société québécoise avec ses discours qui commencent invariablement par le même mot : « Désormais », qu'il meurt à son tour. Et les libéraux arrivent au pouvoir en 1960. C'est le début de la Révolution tranquille. 

Je plonge avec enthousiasme dans ce qui se passe à Québec. Enfin ! La modernisation du Québec sera une tâche extraordinaire. Quel retard nous avons pris ! Quelque 54% des adultes québécois francophones n'ont pas dépassé la sixième année. L'État du Québec ne dispose d'à peu près aucun instrument d'intervention. Presque tous les centres de décisions économiques sont aux mains d'intérêts extérieurs à la communauté francophone. Sous-scolarisés, le plus souvent unilingues, non seulement les francophones ont-ils dans l'ensemble des revenus nettement inférieurs à ceux de la plupart des Anglo-Québécois, mais les membres des autres communautés ethniques se débrouillent mieux qu'eux. 

Le Québec, cependant, recèle des trésors d'imagination et de dynamisme ; il suffit d'aller les chercher : à l'université et à l'école, dans la presse, dans les syndicats et, oui, dans une partie du clergé, chez les jésuites en particulier. 

Ainsi commence la première grande aventure de la « respon­sabilisation » des Québécois à l'égard d'eux-mêmes, dans un cadre intellectuel tout à fait moderne, dans une grande naïveté sans doute, mais avec enthousiasme et avec une foi capable de soulever les montagnes : la réforme de l'éducation, les premières tentatives de planification à la française, les grands instruments d'intervention économique, l'instauration de mesures de sécurité sociale, toujours en gardant l'oeil fixé sur le taux de chômage, à une époque où l'expression « plein emploi » ne faisait pas rire. « Qui s'instruit s'enrichit », lisait-on sur des panneaux publicitaires le long des routes. 

Pour moi comme pour d'autres, l'arrivée au pouvoir de Daniel Johnson, en 1966, lui, le successeur de Maurice Duplessis, constitue une véritable catastrophe. La droite est de retour. Mais au bout d'un mois, on constate que non. Le mouvement amorcé est trop puissant. Il se poursuivra. 

Mais me voici en octobre 1967. Je m'en vais prononcer une conférence à Banff. J'ai eu tellement de travail dans les semaines qui ont précédé que je n'ai pas eu le temps d'écrire mon texte ni même d'y penser. Je prends donc le train pour l'Ouest en me disant que, au cours des trois jours que dure le trajet, j'aurai la paix et tout le temps nécessaire pour me préparer. 

Je suis monté dans le train. Je me souviens... avec comme arrière-plan les interminables forêts du nord de l'Ontario. Défilent alors dans ma tête tous les projets menés à bien durant la Révolution tranquille : l'apparition de l'État du Québec, les phases de son expansion, les assauts livrés contre Ottawa pour faire reculer ce gouvernement central qui, à la faveur de la Seconde Guerre mondiale, s'est emparé de tous les vrais pouvoirs et de presque toute la fiscalité, l'établissement de rapports directs avec l'étranger, et, grâce au général de Gaulle, particulièrement avec les pays de la francophonie. 

Quelques mois avant ce voyage vers Banff, j'avais présenté au Quai d'Orsay, à Paris, au nom du gouvernement du Québec, un projet de participation au lancement des satellites de communication franco-allemands appelés Symphonie. Ils seraient lancés à partir de fusées russes (en attendant que la fusée française Ariane soit prête). À ce moment, le Canada négociait sa participation au lancement de satellites, principalement avec les États-Unis, mais aussi avec la Grande-Bretagne et le Japon. 

J'étais assez fier de moi. En même temps, j'étais mal à l'aise. Les Québécois allaient-ils vraiment se payer deux systèmes de communication par satellite [1] ? Le Québec possède sans doute alors le dynamisme et les ressources financières pour s'engager dans des voies nouvelles, créatives, stimulantes. Il reste que nous sommes, tout fédéralistes que nous soyons, en train de miner la capacité d'Ottawa d'être un gouvernement véritable. 

Une des façons de maintenir une certaine cohésion dans les politiques gouvernementales des fédérations consiste à recourir aux plans conjoints. Le gouvernement central accepte de supporter, disons, 50% des frais de la construction d'une autoroute à condition que les États ou les provinces qui composent le pays acceptent le plan routier défini par le gouvernement central et des normes minimales de construction. Il y a évidemment, dans le pays en question, des États ou provinces plus riches que d'autres. La péréquation sert au gouvernement central à rééquilibrer les coûts en fonction de la richesse respective des États ou provinces. Pour reprendre mon exemple d'autoroute, le gouvernement central peut décider que sa contribution sera plus faible pour les États dits riches et plus élevée pour les États dits pauvres. 

Sans doute, les États ou provinces ont-ils leur propre mode de taxation, mais il faut trouver le moyen de coordonner l'usage qu'ils font de l'argent perçu. Si le gouvernement central baisse le taux d'imposition pour favoriser la relance de l'économie, il ne faut pas que l'autre palier de gouvernement en profite pour augmenter le sien. 

Dans certaines fédérations, seul le gouvernement central peut être en déficit en ce qui concerne les opérations courantes. Les gouvernements des provinces ne peuvent emprunter que pour les immobilisations. Il arrive aussi que seul l'État central peut emprunter à l'étranger. On cherche un peu partout à coordonner les grands investissements publics, pour éviter que, en période d'inflation, tout le monde investisse en même temps. 

Au Canada, sous les assauts répétés du Québec, à peu près tous les mécanismes de coordination ont sauté. jean Lesage a retiré le Québec de 29 programmes conjoints d'un seul coup contre pleine compensation fiscale et financière. La péréquation est généreuse et inconditionnelle. Chaque province, dans le champ des impôts directs, taxe maintenant comme elle veut. Chacune emprunte à son gré. Les grands investisseurs (les sociétés hydroélectriques et de transport, par exemple) ne se parlent jamais. 

Tout cela va finir mal. Je n'ai pas encore compris, alors, à quel point un tel désordre est susceptible d'entraîner un gaspillage éhonté de fonds publics, au fur et à mesure que la surenchère des deux paliers de gouvernement auprès du même électorat amène un dédoublement insensé des programmes et des services et, donc, un accroissement des dépenses. 

Je n'ai pas non plus prévu le fait que le gouvernement fédéral se raidira si rapidement après l'élection de Pierre Trudeau comme premier ministre. Mais je sens bien que, tôt ou tard, chacun des deux gouvernements des Québécois va être en mesure de gêner sinon d'empêcher le travail de l'autre. 

Un peuple, une nation, un pays doit avoir un gouvernement, un vrai. Et dans une fédération, il faut que le gouvernement central puisse définir des orientations, des politiques, en fonction d'objectifs précis, et qu'il s'assure qu'il a les moyens de mettre en oeuvre ses politiques. Dans toutes les fédérations, on a compris cela. 

Dressant alors la liste des pouvoirs que le Québec devrait accepter de remettre à Ottawa pour lui permettre de lutter efficacement contre le chômage, contre la pauvreté, contre l'inflation, je me dis que jamais on ne trouvera de parti politique au Québec qui consentira à cela. Et l'on continuera à dénoncer Ottawa, à l'attaquer, à se plaindre. 

Si donc, pour les Québécois, il est impensable que leur vrai gouvernement soit à Ottawa, alors qu'il soit à Québec ! 

Les premiers paragraphes de ma conférence à Banff reflétaient encore un point de vue fédéraliste. La longue analyse technique que je rédige en traversant les Prairies me sort du carcan intellectuel qui a été le mien pendant tant d'années. En arrivant dans les Rocheuses, la conclusion tombe, inéluctable : au fond, le Québec deviendra peut-être un pays indépendant. 

Je suis devenu souverainiste pour faire en sorte qu'un vrai gouvernement s'installe dans un vrai pays, un pays où les gens sont responsables d'eux-mêmes et où les dirigeants ne peuvent se décharger les uns sur les autres de leurs responsabilités. 

Je suis devenu souverainiste parce que j'ai vu que la souveraineté du Québec constituait l'une des deux avenues disponibles, mais la seule possible pour assurer la croissance de l'emploi et de l'économie, l'égalité des chances des citoyens, un bon filet de sécurité sociale protégeant vrai, ment contre les aléas de la vie, sans que ces protections fassent toutefois l'objet d'une surenchère ruineuse entre deux gouvernements qui courtisent le même électorat. 

La souveraineté ne rend pas automatiquement intelligent. Mais elle ne rend pas automatiquement imbécile non plus. Dans un pays industrialisé, moderne, le coût de la souveraineté, c'est le coût des mauvaises politiques que l'on adopte et que l'on applique. Si les politiques sont bien adaptées aux besoins, la souveraineté libère ; elle permet à l'économie d'avancer et à la croissance de se manifester, car les entraves sont moins nombreuses. 

Et la langue ? Et la culture ? Pour bien des gens, c'est de la langue et de la culture françaises qu'est issue la longue marche du peuple québécois vers son pays. Il m'a fallu beaucoup de temps avant de pouvoir communier à cette ferveur. Sous un certain angle intellectuel, je comprenais bien l'importance cruciale de la langue et de la culture françaises, là n'est pas la question. Mais ayant fait presque toutes mes études dans des institutions françaises ou britanniques, étant bilingue et n'ayant aucune espèce de « complexe » linguistique, j'ai eu autant de réticences à m'insérer dans la mouvance québécoise que bien des immigrés francophones pouvaient en avoir dans les années cinquante et soixante. 

On peut comprendre que, par sa pauvreté, une population puisse à la longue en venir à accepter d'être dirigée dans une autre langue que la sienne. On peut comprendre que la minorité qui possède l'argent et en maîtrise le mouvement puisse obtenir toutes les garanties constitutionnelles pour préserver ses droits linguistiques. Je n'ai cependant jamais admis que l'on fasse du bilinguisme institutionnel un idéal, un objectif moral, une sorte de vertu civique. On sait à quoi, en Belgique, a abouti une tentative de ce genre : une division claire du pays entre les deux communautés culturelles et linguistiques. Et en Suisse, trouve-t-on des écoles publiques allemandes dans le canton de Genève ou des écoles publiques françaises dans le canton de Zurich ? Non ! 

Mieux encore, pour préserver le droit d'affichage en anglais au Québec, on a été jusqu'à invoquer l'argument de la liberté d'expression tiré des chartes des droits. Quelle liberté d'expression ? Celle des entreprises ? Celle des sociétés commerciales ? Pourquoi pas la liberté de religion ou de conscience des entreprises ? Ces libertés fondamentales appartiennent, dans le monde normal, à l'individu, à l'homme ou à la femme, pas aux entreprises qui, contrairement aux personnes, sont des créatures de l'État. 

Que le poids de l'histoire, les contraintes de la politique ou la paix des âmes nous amènent à accepter des situations qui ne sont ni habituelles ni normales, soit ! Mais le peuple québécois, qui est un peuple francophone, doit d'abord protéger sa langue et faire s'épanouir sa culture, qui ne sont ni la langue anglaise ni la culture canadienne. Celles-ci, d'autres s'en occupent. 

C'est pour cela que la Charte de la langue française, dite loi 101, adoptée en 1977, a été pour moi comme un véritable courant d'air frais. La popularité même de la loi faisait plaisir à voir. Comme si, enfin, une voie praticable apparaissait dans le gâchis linguistique. 

Or, fait toujours partie du gâchis cette résistance d'un grand nombre de Québécois à reconnaître que, si le bilinguisme institutionnel est une aberration, le bilinguisme individuel est, par contre, nécessaire quand on est à ce point isolé en Amérique du Nord. Et les enfants apprennent d'autant plus facilement l'anglais et le parlent d'autant mieux qu'ils l'ont appris jeunes. On peut en dire autant d'une troisième langue, que l'élève peut choisir dans une liste des langues les plus parlées. 

Là encore il y a maldonne. Le multiculturalisme est une aberration, au même titre que le bilinguisme institutionnel et constitutionnel, mais être multilingue pour quelqu'un qui appartient à un petit peuple comme le nôtre s'avère utile, voire nécessaire, dans le monde de demain. 

Fait aussi partie du gâchis linguistique la vague de glorification du joual qui a déferlé pendant un certain temps chez beaucoup d'intellectuels québécois. Quel dégât cela a causé ! La pire des choses qui pouvaient nous arriver se produisit : l'apologie du ghetto linguistique. La tentation du patois est d'ailleurs d'autant plus vive que la disparition de l'histoire comme matière obligatoire à l'école a coupé les élèves des points de référence à la civilisation occidentale à laquelle ils appartiennent. (« Monsieur, qu'est-ce que ça veut dire, avant Jésus-Christ ? ») 

On l'aura compris, pour moi, contrairement à bien d'autres, la langue et la culture ne sont pas les éléments principaux qui ont inspiré mon désir d'indépendance pour le Québec. J'en comprends cependant toute l'importance. Je sais que, sans la langue et la culture, les chances de parvenir à la souveraineté seraient plus faibles. Je sais que ce sont les francophones qui vont faire la souveraineté ! 

Cela étant dit, pour moi, la langue, c'est le rocher de Sisyphe, et l'épanouissement de la culture québécoise est conditionné par sa capacité de se tailler une place en dehors des frontières du Québec. Il est sans doute très rassurant pour les Québécois de savoir que 47 de leurs 50 émissions françaises de télévision les plus populaires sont produites au Québec, et très bouleversant pour les Canadiens anglais de savoir que 47 de leurs 50 émissions les plus populaires sont produites aux États-Unis. Mais c'est dans le monde entier que la culture québécoise va manifester sa vitalité intrinsèque. Rien ne doit être ménagé en ce sens. 

Pas plus que l'on ne doit ménager les efforts pour avancer rapidement sur l'autoroute de l'information. Voilà un nouveau langage où le Québécois se sent à l'aise, où, sur le plan technologique, il participe pleinement à la mouvance des choses et donne libre cours à sa créativité. Sans doute, ce nouveau langage ne semble pas encore nécessaire aux gens qui ont dépassé la quarantaine. Il n'empêche qu'il est intéressant, commode, utile, très utile même, intellectuellement et culturellement valorisant. Les jeunes, eux, vont vivre dans un monde où ce nouveau langage sera nécessaire, où sa maîtrise conditionnera pour une part le succès. En fait, pour les enfants d'aujourd'hui, l'accès à l'autoroute de l'information fait partie de l'égalité des chances.

 

On le voit, je suis un souverainiste assez peu conformiste et, initialement, tout au moins, assez peu émotionnel. Ce n'est que petit à petit que j'ai appris à aimer le Québec pour ce qu'il est. Au fond, j'ai choisi un gouvernement avant de choisir un pays. 

Cela déteint sur toute mon activité politique et sur tous les discours que j'ai eu à prononcer pendant ma carrière politique. La politique doit servir à accomplir quelque chose, à réaliser un projet. Autrement, c'est une perte de temps. On a mieux à faire dans la vie. 

Revenons à la conférence de Banff. Une fois passé le scandale que mon discours provoque, le calme revient. Je ne peux prolonger mon intervention dans le monde de la poli, tique. Je préside à cette époque une commission d'étude sur les institutions financières, je continue, au bureau du premier ministre, à m'occuper de la politique salariale dans le secteur public, j'assiste, dans le conflit opposant le fédéral et le provincial, à la fin des charges de cavalerie et au commencement de la guerre des tranchées. 

En septembre 1969, je remets au gouvernement du Québec le rapport de la Commission d'étude sur les institutions financières et, le mois suivant, j'entre au Parti québécois. Quelques semaines plus tard, je suis élu président du comité exécutif national du parti. J'ai plongé ! Le Parti québécois est tout jeune. On se cherche, on brasse des idées, on refait le monde. Mais d'abord et avant tout, on cherche un scénario qui permette d'accéder à la souveraineté. 

Le scénario a débuté avec la publication du livre Option Québec de René Lévesque en 1968. C'est l'acte de naissance du Mouvement souveraineté-association (MSA) que René Lévesque crée après sa sortie fracassante du Parti libéral. C'est un point de départ, Option Québec, mais c'est aussi un point d'aboutissement. 

C'est le point de départ du premier mouvement souverainiste québécois capable de prendre le pouvoir et, donc, de réaliser la souveraineté du Québec. Et c'est le point d'aboutissement de la Révolution tranquille. Tous les Québécois qui ont collaboré à une révolution complète du système d'éducation, qui ont créé ce qui deviendra une série d'instruments de décisions économiques de premier ordre, qui ont complètement transformé le système de santé et de services sociaux, qui ont mis en place la diplomatie québécoise à l'étranger, et qui ont accompli tout cela en gagnant à peu près toutes les batailles contre le gouvernement fédéral, en lui faisant rendre gorge d'une partie de ce qu'il avait enlevé au Québec à l'occasion de la Seconde Guerre mondiale, ces Québécois, dis-je, sont assez fiers des résultats obtenus, comprennent qu'ils peu, vent faire encore de grandes choses, à condition que le carcan politique et constitutionnel se relâche. Tout fédéralistes qu'ils soient, ils sont aussi latins, cartésiens, raisonneurs. Ils ne se contentent pas d'agir par à-coups. 

Le Québec, comme la Révolution tranquille l'a bien montré, n'est pas une province comme les autres. Il lui faut un statut particulier, c'est-à-dire des pouvoirs de nature juridique, de nature constitutionnelle même, qui lui soient propres. Des deux peuples fondateurs, celui qui s'était endormi s'est enfin réveillé : il réclame la reconnaissance de son statut politique. C'est insuffisant, diront certains, regroupés autour du ministre de l'Éducation de l'époque, Paul Gérin, Lajoie, l'un des deux grands artisans de la réforme de l'éducation (l’autre étant Arthur Tremblay) ; ce qu'il faut vraiment, ce n'est pas un statut particulier pour le Québec, ce sont deux États associés, l'un étant constitué du Québec, l'autre, du reste du Canada. 

Tandis que les libéraux cherchent encore des formes d'autonomie à l'intérieur du cadre fédéral, de nouvelles formations politiques commencent à aborder de front la question de l'indépendance du Québec. Aux élections de 1966, cette question sera le fondement même des programmes du Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN) de Pierre Bourgault et du Ralliement national (RN) de Gilles Grégoire. Ils ne remporteront pas beaucoup de votes, mais l'idée est maintenant lancée et le slogan de Pierre Bourgault, « On est capable », qui exprime alors un voeu plus qu'une constatation, ne sera jamais plus oublié. 

L'élection de 1966 porte au pouvoir l’Union nationale qui, sous la direction de Daniel Johnson, le père, propose une idée géniale parce qu'elle correspond tellement bien à ce que tant de gens souhaiteraient : « Égalité ou indépendance ». 

Au bout de quelques mois, on se rendra bien compte que ce ne sera ni l'une ni l'autre. On verra, un peu plus loin, à quelle pression le gouvernement Johnson fut soumis. On ne peut lui tenir rigueur de ne pas avoir atteint son but. Il n'avait pas les moyens de son objectif. L'idée, cependant, selon laquelle « on obtient ce qu'il faut du fédéral ou on sort » va demeurer jusqu'à nos jours la bonne façon d'attendre Godot. Ou, pour parler comme Marius : « Retenez-moi ou je fais un malheur. » 

En tout cas, le départ constitutionnel du nouveau gouvernement est foudroyant. Daniel Johnson, à peine installé dans son fauteuil de premier ministre, passe la commande aux conseillers qu'il a gardés de l'époque de Lesage de justifier la demande du Québec à Ottawa de récupérer la totalité des trois grands impôts dits directs : l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les profits des sociétés et l'impôt sur les successions. 

L'exercice de justification, merveilleusement réussi sur le plan stylistique, n'est pas convaincant. Il faudrait que des champs entiers de dépenses, jusque-là à la charge du gouvernement fédéral, passent sous la compétence du Québec : ce n'est pas seulement un statut particulier, mais un statut très particulier. C'est en fait un statut inimaginable. 

Les trois colombes - Jean Marchand, Gérard Pelletier et Pierre Trudeau - viennent de se percher à Ottawa pour sauver le Canada du nationalisme québécois. 

À la première conférence fédérale-provinciale des premiers ministres, Pierre Trudeau, alors ministre de la justice, clarifie une fois pour toutes la question du statut particulier : il ne peut y avoir au parlement d'Ottawa des députés élus au Québec qui votent des lois et des impôts applicables à tous les Canadiens, sauf aux Québécois. Quant à maintenir dans le même Parlement deux catégories de députés, les uns, selon leur origine, n'ayant droit de vote que pour certaines lois ou certains impôts, les autres votant toutes les lois et tous les impôts, ce serait une perversion du système parlementaire. 

En somme, on est dans le système ou on est en dehors du système. Ou encore, on est canadien ou on est québécois. C'est la logique même. 

Daniel Johnson cherchera pendant un moment une consolation dans les relations interprovinciales. Les libéraux du Québec, quant à eux, ne sauront plus à quel saint se vouer, du moins jusqu'à ce que Robert Bourassa trouve enfin la pierre philosophale : le Québec serait reconnu comme société distincte par le Canada, mais cette reconnaissance n'aurait pas de conséquences juridiques. 

René Lévesque, qui a été le ministre le plus populaire du cabinet de jean Lesage, va tirer à peu près la même leçon que Pierre Trudeau des velléités autonomistes québécoises. Mais sa conclusion sera à l'inverse. Alors que Trudeau veut que le Québec demeure une province ayant le même statut que les autres, Lévesque conclut que les particularités qui rendent le Québec si différent du reste du Canada ne peuvent plus être respectées, même par le statut d'État associé. L'aboutissement normal serait la souveraineté. 

La définition du concept de souveraineté qui sera donnée dans Option Québec mène tout droit à celle, plus explicite, que le Parti québécois fera graduellement accepter. Le peuple québécois doit avoir le droit de voter les lois qui s'appliquent à lui. Il doit avoir le droit de voter les impôts que les contribuables auront à payer. Et les traités qui lient le Québec aux autres pays doivent être approuvés par son gouvernement ou son Parlement. 

Il est curieux que, depuis un quart de siècle que cette définition existe, il ait fallu tant de temps pour qu'elle soit comprise. Pas seulement dans les milieux où l'on ne s'intéresse pas particulièrement à la politique, mais par des gens qui devraient, comme on le dit joliment en anglais, savoir mieux. 

Une partie de l'explication réside dans la résonance des mots. La souveraineté, c'est l'indépendance, et l'indépendance, c'est la séparation d'avec le Canada. 

Subjectivement, c'est une autre histoire. Le mot « souveraineté » fait moins peur que le mot « indépendance », et le mot « séparation » fait trembler. En même temps que l'on rêve d'être un jour responsable de soi-même, on veut maintenir un lien, un rapport privilégié avec le Canada. En ce sens, psychologiquement, il y a trente ans, il fallait une « souveraineté-association » de la même manière que de nos jours on cherche une « souveraineté-partenariat ». 

Et il ne faut surtout pas croire que cette recherche de la deuxième face de Janus ne touche qu'un public fragile et par définition craintif. Bien au contraire ! Beaucoup de dirigeants connaissent des accès d'inquiétude, un manque d'assurance que le public perçoit périodiquement. Il ne se trompe pas. 

La propagande joue un rôle important dans la persistance de ce climat d'anxiété. Elle découle de la mainmise sur les médias d'un petit nombre de personnes et du gouvernement fédéral. Quand la plupart de ces « décideurs » ont le même point de vue sur une question politique fondamentale, la propagande envahit tout. Et on ne peut rien y faire. C'est comme la pluie ou la grêle, on attend que ça se calme. 

Il n'est pas nécessaire de remonter bien loin dans le temps pour trouver des exemples de désinformation. En voici un tout récent : la séparation de la Slovaquie de la République tchèque en 1992. Elle a posé un sérieux problème aux fédéralistes canadiens. 

Voilà un pays qui devient indépendant sur un simple vote de son Parlement, avec l'accord des Tchèques qui sont excédés. Le partage de l'actif et des dettes se fait rapidement. Il n'y a pas de violence. « Enfin chez nous », disent les Slovaques. « Bon débarras », disent les Tchèques. 

Quelques mois avant notre référendum de 1995, la Slovaquie devient tout à coup l'objet d'une curiosité vorace de la part des plus grands noms des médias canadiens et québécois. Le Globe and Mail publie en page éditoriale quelques mises en garde bien senties. Radio-Canada envoie, pour l'émission Le Point, un de ses animateurs faire une enquête sur place. Pendant quelque temps, les commentateurs de nos médias manifesteront à l'égard de la Slovaquie une belle unanimité. N'est-ce pas que l'économie slovaque est plus petite que l'économie tchèque, donc plus fragile, que le chômage est plus élevé en Slovaquie, que l'union monétaire chère aux Slovaques s'est effondrée, que le marché tchèque va se fermer aux produits slovaques [2] ? Tout ça pour dire aux Québécois. Méfiez-vous, regardez vers quel gouffre on veut vous entraîner. 

Par la suite, la Slovaquie disparaît de nos médias comme par enchantement. Sa vie utile pour la cause fédéraliste est terminée. Quelques mois plus tard, je reçois une longue analyse effectuée par le service de recherche du Morgan Guaranty Trust, publiée à Londres et intitulée Slovakia : Is Rapid Growth Sustainable ?, c'est-à-dire : « La Slovaquie : la croissance rapide peut-elle être maintenue ? » Un des sous-titres se lit comme suit : Slovak Economy Continues to Impress (« La performance économique slovaque continue d'impressionner »). 

Je comprends que l'on soit impressionné ! En 1995, le taux de croissance de la Slovaquie, en termes réels, a été de 7%, un des plus élevés, sinon le plus élevé de tous les pays d'Europe. Déjà en 1994, le taux de croissance avait été de 6%. Les exportations et la consommation intérieure sont très vigoureuses et la Slovaquie vend plus de produits à la République tchèque qu'elle ne lui en achète. 

En somme, tout ce qu'on nous a laissé entendre est faux. Mais cela, après tout, n'a pas d'importance... Ce qui compte, essentiellement, c'est que le NON l'emporte au référendum de 1995... 

L'histoire des trente dernières années est jalonnée d'opérations de propagande du même genre. J'en donnerai plus loin deux autres exemples, anciens ceux-là, qui ont trait aux fuites de capitaux, bon vieux thème de propagande absolument inusable. 

Heureusement, tout n'est pas qu'affaire de psychologie et de propagande. Les faits sont là : les risques doivent être calculés. Un politicien responsable ne peut se contenter de brasser des images et des slogans. C'est dans ce contexte-là que s'est manifesté le génie intuitif de René Lévesque et qu'est apparu le concept de « souveraineté-association ». 

En 1967, la souveraineté-association n'était pas seulement utile pour rassurer les Québécois frileux. Elle répondait à une lecture réaliste de la situation. En fait, elle correspondait à une nécessité absolue. Et même si, plus tard, en 1980, elle deviendra un véritable piège, rétrospectivement, je ne vois pas comment nous aurions pu l'éviter. 

C'est à la démonstration de cette nécessité que les prochaines pages sont consacrées. On comprendra mieux l'émergence et le sens du nouveau concept de « partenariat ». Est-ce la même chose ? Les contraintes, les obstacles à la souveraineté seraient-ils aujourd'hui ce qu'ils étaient hier ? 

Au-delà des mots, des procès d'intention, des dénonciations dogmatiques et des symboles rassurants ou emballants, il faut regarder les faits, les faits têtus. 

En 1967, un Québec qui veut devenir indépendant peut avoir à surmonter des obstacles redoutables. Le plus important de ces obstacles est de nature commerciale. 

En effet, les droits de douane sont encore très élevés dans le monde occidental. Bien sûr, les réunions successives du GATT ont contribué, depuis 1947, à abaisser les barrières douanières. Mais les tarifs restent élevés. De plus, les quotas et les embargos sont des choses courantes. Cela est vrai autant du Canada que des États-Unis. Pour le Québec, le marché canadien est bien plus important que le marché américain, qui n'est vraiment très ouvert que pour les matières premières. Le traité de libre-échange relatif à l'automobile vient alors à peine d'être signé. 

Si un Canada hostile avait décidé de traiter les produits d'un Québec souverain comme il traite ceux des pays étrangers, nous aurions été coincés entre les murailles tarifaires et les quotas de nos deux principaux marchés. On allait au casse-pipe. 

Trente ans plus tard, on ne se rend plus compte du degré de sauvagerie qui régnait encore dans les rapports commerciaux. Que l'on en juge par cet épisode qui est contemporain de l'apparition de l'idée de la souveraineté-association. 

En 1961, à la suite des recommandations de la commission d'enquête Borden, le gouvernement fédéral décide de réserver le marché de l'Ontario au pétrole de l'Alberta pour y encourager l'expansion de la production. Montréal est à cette époque le plus grand centre de raffinage au Canada et une industrie pétrochimique considérable s'y est développée. Pendant plusieurs années, le partage du marché se fera à l'amiable entre les grandes compagnies et les gouvernements. Les raffineries prendront de l'expansion en Ontario, fermeront au Québec, l'industrie pétrochimique filera vers Sarnia et Edmonton, en dépit des protestations des Québécois qui n'y peuvent rien. 

Quand, cependant, des compagnies indépendantes refuseront la discipline du cartel et se mettront à vendre des produits pétroliers de Montréal à l'Ontario, l'Office national de l'énergie ordonnera l'arrêt de ces transferts, la ligne Borden (le long de la rivière des Outaouais) deviendra étanche et la police patrouillera les routes pour empêcher les wagons-citernes de circuler ! À l'intérieur d'un même pays ! 

Face à un tel geste, peut-on reprocher à ceux qui cherchaient à faire du Québec un pays souverain d'avoir tellement voulu d'un contrat d'association économique avec le Canada ? Peut-on leur reprocher d'avoir accordé une telle importance au trait d'union placé entre les mots « souveraineté » et « association », tant et si bien que l'on a fini par croire que, sans association, aucune souveraineté n'est possible ? 

Le manque d'assurance des souverainistes à la fin des années soixante est d'autant plus compréhensible que les institutions économiques et financières dont le Québec s'est doté, et qui doivent éventuellement lui fournir des leviers et une protection efficaces, n'ont pas été vraiment éprouvées. 

La relative facilité avec laquelle avaient été renversés tous les obstacles dressés contre la nationalisation des compagnies privées d'électricité en 1962 ne doit pas faire illusion. À quel point la construction était fragile, on le vit bien, peu après l'arrivée au pouvoir de Daniel Johnson. La Caisse de dépôt et placement du Québec venait tout juste d'être créée et on n'avait pas encore appris à s'en servir. 

Pour bien marquer le danger du flirt du premier ministre Johnson avec l'indépendance, une fuite de capitaux est organisée en 1967. De la présidence de la Bourse de Montréal aux conseillers des grandes banques, en passant par les analystes financiers des quotidiens et des autres médias, tous affirment que les capitaux fuient le Québec. Daniel Johnson est à ce moment en convalescence à Hawaii. Il y reçoit la visite de Marcel Faribault, alors président du Trust général du Canada, de Marc Carrière et de Paul Desmarais qui vient d'acheter La Presse. Les trois visiteurs assurent que la fuite des capitaux cessera si le premier ministre signe la déclaration qu'ils lui ont apportée et par laquelle il s'engage à renoncer à l'indépendance, à ses pompes et à ses oeuvres. 

Daniel Johnson appelle Paul Dozois, son ministre des Finances, qui ne peut que lui confirmer que tout le monde lui souligne l'extrême gravité de la situation. Daniel Johnson signe. La déclaration est publiée en première page de La Presse. La prétendue crise se termine quelque temps après. 

Du bureau du premier ministre où je travaille, je demande à la Caisse de dépôt de me faire un relevé quotidien des transactions et des prix sur le marché des obligations du Québec. Les titres les plus exposés en période de fuite des capitaux sont les obligations émises par le gouvernement du Québec et par Hydro-Québec. C'est de ces obligations-là que l'investisseur nerveux veut se débarrasser : ce sont celles qui comportent le plus de risques. 

Les résultats de mon enquête sont éloquents : pendant toute cette prétendue crise, le marché est en fait fort calme, aucun mouvement de panique n'a touché les titres québécois. On s'est fait rouler. Il n'a même pas été nécessaire de déplacer des capitaux. La seule peur diffusée par les médias a suffi. 

Combien étions-nous à être au courant ? Une dizaine, pas plus. Pour l'ensemble du Québec, un premier ministre avait été élu, dont le mandat était de réaliser l'égalité ou l'indépendance. Or il faisait peur aux investisseurs, il mettait selon eux les emplois en péril. Mais heureusement, les « grands hommes d'affaires » veillaient au grain. Le premier ministre s'est excusé et s'est engagé à bien administrer le Québec dorénavant. 

Et ça continue comme cela depuis lors. Paul Desmarais a encore essayé de nous faire le coup en 1995, avec l'aide d'autres grands hommes d'affaires, dont Laurent Beaudoin et Michel Bélanger. Toutefois, il n'est plus aussi facile de faire peur. Après trente années, les arguments sont usés. Il faut les modifier, les adapter. 

Il a fallu du temps et la prise du pouvoir, en 1976, par le Parti québécois pour que l'on apprenne comment se protéger contre ce genre de pression. Il fallait aussi que le Parti québécois règle la question de la monnaie. Autrement, la crise appréhendée relativement à une monnaie québécoise empoisonnerait constamment le climat politique et économique. 

Tout naturellement,, pour moi, un pays indépendant doit avoir sa banque centrale, sa monnaie et sa politique monétaire. En fait, plus le danger est grand sur le plan commercial, plus les risques de pressions financières sont élevés, plus il est important de disposer d'une bonne marge d'autonomie monétaire. 

Pour René Lévesque, le maintien de la monnaie canadienne était une condition fondamentale de la réalisation du projet souverainiste par les Québécois. Le raisonnement était politique. C'est René Lévesque qui avait raison. 

Ce que cette question de la monnaie a pu nous faire de tort ! La première campagne électorale que mena le Parti québécois, en 1970, fut l'occasion pour ses adversaires de lancer « la piastre à Lévesque », dont on prédisait d'ailleurs l'effondrement à 65 cents, ce qui, en pensant à ce qui est arrivé depuis au dollar canadien, peut faire sourire. 

Cette élection de 1970 fut aussi, rappelons-le, l'occasion d'un autre coup monté par les fédéralistes. Quelques jours avant le scrutin, à l'aube, plusieurs camions blindés de la Brinks s'arrêtent devant le Royal Trust, à Montréal, et une nuée de gardes transportent de la porte principale aux camions des dizaines de grands sacs. Les camions partent ensuite pour Toronto. Des journalistes et des photographes de presse - qu'on a sortis du lit pour l'occasion - se trouvent sur les lieux. 

Le coup fut superbe. Pour bien des gens, les dollars fuyaient le Québec. Une monnaie québécoise s'effondrerait donc forcément. Avec quelle monnaie allait-on pouvoir payer son hypothèque ? Les votes nous glissaient entre les doigts. Le Parti québécois remporta malgré tout 23% des voix et sept sièges. 

À l'élection de 1973, la question de la monnaie n'était toujours pas réglée au Parti québécois. En dépit des campagnes de peur, le PQ obtint 31% des voix, mais prit six sièges seulement. 

À partir de là, la prudence devint de rigueur. Le trait d'union entre souveraineté et association sera alors coulé dans le béton et l'association sera élargie bien au-delà de ce qui a trait aux courants commerciaux. Évidemment, le dollar canadien en sera un des éléments essentiels. 

Le Parti québécois prendra le pouvoir, on le sait, en 1976, avec seulement 41% des voix et sans s'y attendre vraiment. Enfin, ça y est ! Il y a là comme une minute de vérité. Les souverainistes, pour la première fois, n'ont plus à s'excuser d'exister ni à se défendre de nuire à l'emploi et au développement. Ce qu'ils peuvent faire, on va le voir. 

Pour les fédéralistes aussi, le moment est crucial. S'ils veulent mettre le nouveau gouvernement à genoux, c'est maintenant qu'ils doivent le faire. Toutes les fausses fuites de capitaux étaient des expériences, des ballons d'essai en vue de ce qui vient d'arriver. 

Sauf que les leviers économiques et financiers dont le Québec s'est doté dans les années soixante sont maintenant rodés. On les attend de pied ferme, les fédéralistes. 

La presse anglophone du Québec et du Canada répand partout en Amérique du Nord que le nouveau gouvernement québécois, c'est le « Cuba du Nord ». Et Cuba, c'est la peste [3]. À la fois socialiste et séparatiste, le Québec constitue une menace pour les capitalistes, les vrais démocrates et les anglophones. Ça fait beaucoup de monde ! 

La Caisse de dépôt et placement dispose de plusieurs centaines de millions de dollars en liquidités à court terme. Durant les jours qui suivent l'élection de 1976, des dizaines de millions de dollars en obligations du Québec et d'Hydro-Québec sont lancées sur le marché. La Caisse laisse un peu tomber les cours, histoire de faire perdre de l'argent à ceux qui vendent, puis elle achète. En fait, deux jours après l'élection, il est clair que la Caisse n'est pas « traversable ». 

Mais les marchés financiers de Montréal, de Toronto et de New York se ferment alors aux nouvelles émissions d'obligations du gouvernement du Québec. Ce qui est surprenant de la part de New York, car la concurrence y est normalement très vive. C'est d'ailleurs grâce à cette concurrence que nous avons pu assurer le financement de la nationalisation des compagnies d'électricité. Mais l'évocation constante du socialisme et de Cuba a malheureusement fait son oeuvre. À titre de ministre des Finances, j'arriverai à réaliser quelques placements privés en 1977, mais dans l'ensemble, le boycott tient. 

La Caisse de dépôt achète sans doute de grosses quantités de titres d'État, mais c'est insuffisant. Je vais donc emprunter loin de l'épicentre du séisme... avec la plus grande facilité. Il faut dire que l'abondance des pétrodollars à cette époque favorise l'opération. 

Je vais donc emprunter tout ce qu'il nous faut en Suisse, en Grande-Bretagne, en Allemagne, au japon et en Belgique. Les milieux financiers canadiens et américains commencent alors à se rendre compte que le seul effet de leur boycott a été de leur faire perdre de lucratives commissions. 

C'est ainsi que nous redevenons des gens honorables. Les marchés s'ouvrent à nouveau grâce à l'action de nos nouveaux syndicats financiers au Canada, dirigés par Lévesque Beaubien. C'est la première fois dans l'histoire du Québec qu'une maison francophone dirige le placement et la mise en marché des obligations du gouvernement du Québec. Nous ne cachons rien : chaque prospectus d'émission indique clairement que l'objectif politique principal du gouvernement est de réaliser la souveraineté du Québec. 

Et que dire de l'économie maintenant ? L'incertitude, les querelles fédérales-provinciales, la social-démocratie, tout cela n'a-t-il pas influé profondément sur l'économie ? Tout cela n'a-t-il pas à coup sûr fait fuir les capitaux étrangers ? 

Qu'on en juge ! Les plus volatils des capitaux sont ceux qui sont investis dans l'industrie manufacturière. Pas ceux qui sont investis dans les richesses naturelles. Il n'est pas question, par exemple, qu'Alcan renonce, pour produire son aluminium brut, à l'électricité qu'elle tire de ses propres barrages à un coût réel équivalant au sixième du prix auquel Hydro-Québec vend sa propre électricité à l'industrie. Mais la fabrication des casseroles ou des poutrelles d'aluminium peut se faire n'importe où. 

Pendant trois années consécutives, soit en 1977, 1978 et 1979, les investissements manufacturiers ont augmenté au Québec plus rapidement qu'en Ontario. Vive l'incertitude politique ! 

Quelques opérations réussies, comme le programme OSE, la nationalisation de l'assurance automobile et le zonage agricole, viennent démontrer que non seulement le nouveau gouvernement a résisté aux premiers assauts fédéralistes, mais qu'il sait y faire. 

La prudence reste cependant terriblement de mise. Le Parti québécois s'est engagé à son congrès de 1974 à tenir un référendum avant d'entreprendre quoi que ce soit au chapitre de la souveraineté. J'ai personnellement mené le combat contre l'idée même d'un référendum. Pour moi, le Québec était entré dans la Confédération par un vote de ses députés ; pourquoi ne pourrait-il pas en sortir de la même façon ? Mais, le principe de la tenue d'un référendum ayant été adopté par le congrès du Parti québécois, en bon soldat, j'ai accepté la nouvelle donne. 

Bien des années plus tard, en voyant avec quelle facilité la Slovaquie se sépare paisiblement de la République tchèque avec un simple vote de son Parlement, j'aurai comme un coup au cœur. Mais il est trop tard maintenant. Renoncer volontairement à l'engagement pris de ne se séparer du Canada qu'après un référendum gagné serait trahir le mandat que le peuple québécois a confié à ses dirigeants. À moins que l'on ne nous y force, évidemment. Si, à Ottawa, on tient à rendre un référendum québécois illégal... « Ceux que Jupiter veut perdre, il les rend fous », disait-on autrefois. 

Quoi qu'il en soit, plus le temps passe, plus la problématique référendaire se complexifie. En 1976, le Parti québécois a promis de former un bon gouvernement et de chercher, plus tard, par voie de référendum seulement, à obtenir un mandat quant à la souveraineté. 

Sans doute le gouvernement formé est-il très bon. On en convient volontiers, mais les années se succèdent et il ne se produit pas grand-chose sur la question du référendum ni, conséquemment, sur la question de la souveraineté. Les résultats des sondages ne sont guère excitants ; ce qui est normal dans la mesure où il est impossible de voir une idée progresser dans l'opinion publique si l'on n'en parle pas ; c'est la règle en démocratie. Et surtout, on ne peut demander aux électeurs d'avoir de l'assurance quant à l'avenir si l'on n'en a pas soi-même comme député ou ministre de ce bon gouvernement. 

Or, plus le temps passe, plus les périls du trait d'union se manifestent. Au moyen de mémoires, d'études, de consultations, on précise, on polit le contenu et les perspectives de l'association, en se disant qu'un jour tout cela va servir. Mais ce qui a été élaboré pour rassurer les Québécois, c'est avec Ottawa et le Canada anglais qu'il va falloir le négocier. 

Et s'ils refusaient de négocier ? Pas après le référendum... mais avant ? Qu'est-ce que l'on aurait alors à dire à ceux que l'on doit rassurer ? Et pendant que d'aucuns voient déjà s'établir à Hull le siège de la future banque centrale commune, ou de la commune Cour suprême, il faut bien se poser la question : Pourquoi les Canadiens accepteraient-ils de rassurer la clientèle de leurs adversaires ? 

Dans cette logique, nous devons donc démontrer que nous ne sommes pas leurs adversaires, qu'au fond, il est dans l'intérêt des deux « États associés » de trouver des terrains d'entente, que l'on vivra mieux si nous formons deux pays distincts que si nous agissons, selon les mots de René Lévesque, comme « deux scorpions dans une bouteille ». En somme, c'est tout autant pour le bien des Canadiens. En somme aussi, on les aime. J'exagère, bien sûr, en pensant à d'autres événements qui se produiront quinze ans plus tard. 

Le question référendaire de 1980 sera finalement longue, douce et compliquée : la plus rassurante possible pour les francophones et la moins choquante possible pour les anglophones. Un deuxième référendum est prévu pour soulager les uns et les autres. 

Voici le libellé de la question :

 

Le Gouvernement du Québec a fait connaître sa proposition d'en arriver, avec le reste du Canada, à une nouvelle entente fondée sur le principe de l'égalité des peuples ; 

cette entente permettrait au Québec d'acquérir le pouvoir exclusif de faire ses lois, de percevoir ses impôts et d'établir ses relations extérieures, ce qui est la souveraineté - et, en même temps, de maintenir avec le Canada une association économique comportant l'utilisation de la même monnaie ; 

aucun changement de statut politique résultant de ces négociations ne sera réalisé sans l'accord de la population lors d'un autre référendum ; 

en conséquence, accordez-vous au Gouvernement du Québec le mandat de négocier l'entente proposée entre le Québec et le Canada ? 

Il s'agit, on le voit bien, d'une demande de mandat de négocier. La population, cependant, ne s'y trompera pas : ceux qui répondront OUI sont favorables à la souveraineté ; ceux qui voteront NON sont contre. 

La riposte des fédéralistes s'articulera autour de trois thèmes. D'abord, la réponse à la demande de négociation : NON merci ! Plusieurs premiers ministres des autres provinces vont joindre leur voix à celle d'Ottawa : NON merci ! 

En deuxième lieu, nous aurons droit aux arguments fédéralistes classiques : les pensions de vieillesse ne seront plus payées, l'incertitude va continuer de régner, le chômage va s'intensifier, sans compter que le prix de l'essence va grimper. Notons que la politique nationale de l'énergie est en vigueur : elle coûtera 50 ou 60 milliards de dollars aux provinces de l'Ouest qui doivent fournir à l'Ontario du pétrole à un prix inférieur au cours international. Le Québec, qui s'approvisionne sur les marchés internationaux, reçoit des subventions fédérales pour maintenir ses prix au niveau ontarien. C'est complètement absurde, ce programme est intenable et il ne durera pas. Mais il est arrivé au bon moment. Le premier ministre actuel, Jean Chrétien, alors ministre dans le gouvernement Trudeau, bat la campagne sur le thème : « Si vous vous séparez, le prix du gaz va monter. » On ne fait pas dans la dentelle ! 

Et puis, comme troisième thème, Pierre Trudeau s'engage solennellement, à l'occasion d'une grande assemblée au centre Paul-Sauvé, à modifier la Constitution, si majoritairement les Québécois votent NON. Tout le monde comprend que ce serait dans le sens d'élargir les pouvoirs conférés au Québec. On verra un an plus tard que c'est tout le contraire qu'il avait en tête. Il enlèvera des pouvoirs au Québec. Nous avons été roulés une fois de plus. 

Les résultats du référendum de 1980, 40% pour le OUI, 60% pour le NON, montrent que les francophones sont divisés en deux groupes d'importance égale. Ce résultat a de quoi faire peur. La question qui se voulait douce, pour simplement obtenir un mandat de négocier, revient comme un boomerang. Ce que les Québécois ont refusé à leur gouvernement, ce n'est pas de faire la souveraineté ; après tout, ils pourraient se reprendre plus tard en invoquant que les esprits n'étaient pas suffisamment préparés, que l'adversaire a été déloyal, et que sais-je encore. Non, ce que les Québécois ont refusé à leur gouvernement, c'est le mandat lui permettant d'aller voir ce qu'il en est. 

Une sorte d'effondrement psychologique chez les souverainistes va suivre 1980, effondrement que la nouvelle victoire électorale du Parti québécois en 1981 ne réussira pas vraiment à corriger. La réforme constitutionnelle unilatérale par Ottawa, la trahison commise contre le Québec par les provinces avec lesquelles il s'était temporairement allié (on n'oubliera jamais la « nuit des longs couteaux ») et la récession qui commence entraînent un profond découragement. 

Et pourtant, le Québec ne se débrouille pas si mal. Il sortira de la récession plus rapidement que toutes les autres provinces. La garde montante des gens d'affaires d'ici fait des merveilles. 

Mais à quoi bon déployer tant d'efforts quand le rêve est brisé ? En 1984, avec l'avènement du « beau risque » que le premier ministre du Québec accepte de prendre avec le gouvernement conservateur de Brian Mulroney, on comprend qu'une page a été tournée. Le texte que publiera René Lévesque le 20 novembre de cette année-là marque pour moi la fin d'une époque. Je démissionne à la fois comme ministre des Finances et comme député. Plusieurs autres députés et ministres du Parti québécois partent, dont Camille Laurin, le père de la loi 101. 

En 1988, je reviendrai aux affaires en me portant candidat àla présidence du Parti québécois. Pendant les quatre années de ma retraite, j'ai souvent réfléchi à ces quinze années (1969-1984) durant lesquelles la pensée et l'action souverainistes se sont développées. Avec un peu de recul, j'en suis venu à la conclusion que l'on n'irait pas plus loin dans le sens de notre objectif en utilisant les mêmes formules, les mêmes moyens, le même cheminement. 

En outre, le contexte économique a beaucoup évolué au cours du dernier quart de siècle. Des appréhensions, justifiées, on l'a vu, dans les années soixante, ne le sont plus de nos jours. Il y a des risques dans tout, la vie est comme cela, mais ils ne sont plus les mêmes, et on se protège autrement contre ces nouveaux risques. 

Rien dans ce que je vais maintenant présenter ne doit, même implicitement, être vu comme une critique de tel ou tel aspect de la pensée ou de l'évolution politique de René Lévesque. J'ai essayé de montrer ce que je pense qu'elles ont été. D'accord ou non avec lui, d'événement en événement, j'ai été solidaire. Et quand je n'ai plus été solidaire, je suis parti. Renier René Lévesque serait me renier moi-même. 

La première leçon que j'ai tirée du référendum de 1980, c'est que, si on veut réaliser la souveraineté, il faut le dire, sans détour. Dieu sait combien, dans le cheminement qui va de l'échec de l'accord du lac Meech au référendum de 1995, les propositions ont été nombreuses pour tenter de faire du Québec un pays souverain sans que ce soit tout à fait la vraie chose, en cherchant divers moyens de rassurer les indécis, en prétendant s'inspirer de l'Union européenne sans toutefois passer par la souveraineté des États, ou encore en offrant des choix multiples dans une même question référendaire. 

Je ne crois pas à la confusion comme instrument politique pour faire avancer les choses. Et je ne crois plus ceux pour qui le moment n'est jamais le bon. 

J'ai rompu avec ces hésitations répétées, ces constructions constitutionnelles biscornues, ces tactiques dilatoires, en m'appuyant sur deux formules simples. Premièrement, le Parti québécois est souverainiste avant, pendant et après les élections ; la souveraineté est sa principale raison d'être. Deuxièmement, un référendum devra être tenu pour obtenir le mandat de réaliser la souveraineté du Québec ; après avoir pris le pouvoir, on tiendra rapidement ce référendum. 

Tout ce qui va s'ensuivre repose sur ces deux idées-là. Elles me guideront dans tous les débats constitutionnels qui commencent avec la négociation de l'accord du lac Meech. 

Sans reprendre ici toute la litanie des grand-messes constitutionnelles qui se sont déroulées année après année, il est vrai que je ne me suis pas laissé distraire de mon objectif et que j'ai habitué mon parti à la même rigueur. On m'a déjà accusé d'être le vrai responsable de l'échec de l'accord du lac Meech. Il y a du vrai dans cette affirmation. Aussi futiles qu'aient pu être les dispositions de cet accord, j'étais profondément convaincu, peut-être parce que je les fréquente depuis fort longtemps, que les Canadiens anglais n'accepteraient pas l'accord proposé par leurs dirigeants. Ils jugeraient que c'était encore trop généreux pour le Québec. Alors j'ai passé des mois à implorer, à l'Assemblée nationale et en dehors de l’Assemblée nationale, « mon » premier ministre Robert Bourassa de ne pas reculer, même d'un pouce, par rapport aux cinq conditions qu'il avait posées. 

La commission Bélanger-Campeau fut, paradoxalement, un moment de grand péril. Jamais l'option souverainiste n'avait été aussi forte dans l'opinion publique. Mais il subsistait encore un espoir tenace selon lequel il fallait donner une dernière chance au système fédéral. Donnerait-on une dernière chance au Canada avant de proposer un référendum sur la souveraineté ? Et qui jugerait de la qualité de cette dernière chance ? 

Sans reprendre dans les menus détails les tractations entre les membres de la commission Bélanger-Campeau, disons simplement que mon entêtement n'est pas venu à bout de l'espoir que continuait de susciter l'idée d'une dernière chance. Mais au moins, la recommandation fut faite de tenir un référendum sur la souveraineté et de le tenir au plus tard en octobre 1992. 

Les représentants du gouvernement signèrent le rapport Bélanger-Campeau. Le gouvernement présenta un projet de loi (la loi 150) qui reprenait mot pour mot les recommandations de la commission Bélanger-Campeau, mais en les faisant précéder de considérants qui soulevaient des doutes sérieux quant à l'intention véritable de tenir le référendum prévu par la loi. Après que les deux commissions parlementaires créées par la loi 150 eurent siégé pendant des mois (l'une traitant des conséquences de l'accession à la souveraineté, l'autre se penchant sur les balises d'une offre fédérale acceptable), le gouvernement annonça qu'il n'y aurait pas de référendum. Les Québécois s'étaient encore fait rouler. 

À Ottawa, pendant ce temps, on cherche toujours une solution. De commissions d'enquête en spectacles télévisés, on arrive finalement à un accord entre le premier ministre canadien, les premiers ministres des provinces et les chefs autochtones sur un projet de vaste réforme constitutionnelle, projet qui sera soumis à l'approbation des électeurs dans le cadre d'un référendum pancanadien. Ce sera le référendum de 1992 sur l'entente de Charlottetown. Pas celui que je souhaitais. Qu'importe. L'occasion est belle de descendre ce canard de la dernière, dernière chance du fédéralisme canadien. 

Les Québécois votèrent majoritairement contre le projet ; les Canadiens des provinces anglaises se prononcèrent eux aussi majoritairement contre, de même que les autochtones. Le cirque constitutionnel se terminait donc par un vote des trois électorats contre tous les dirigeants du Canada. Du jamais vu ! 

À partir de là, mon programme devint clair. En 1992, on a gagné le référendum de Charlottetown. En 1993, la majorité de la députation du Québec à Ottawa est composée de souverainistes. En 1994, le Parti québécois reprend le pouvoir au Québec. Et en 1995, le référendum sur la souveraineté aura lieu. 

Comment allait-on accéder à cette souveraineté ? Sur quelles bases ? Il est clair que, depuis plusieurs années, je ne parlais à peu près plus que de souveraineté. Le trait d'union s'était estompé. On pouvait, j'en étais persuadé, réaliser la souveraineté même si les Canadiens étaient pendant un temps intraitables. Je voulais que plus jamais nous ne soyons placés devant un « NON merci ! » Par ailleurs, j'étais convaincu que la vaste majorité des anglophones et des allophones du Canada et du Québec seraient de toute façon contre toute forme de souveraineté tant et aussi longtemps que les Québécois ne se seraient pas prononcés démocratiquement en faveur de celle-ci. 

J'ai fait hurler la presse et les bonnes âmes en soutenant durant un conseil national du Parti québécois qu'il nous fallait obtenir une partie suffisante du vote francophone de sorte que le vote anglophone et allophone ne nous soit pas nécessaire. Rien de ce qui s'est déroulé par la suite n'a remis mon affirmation en question, bien au contraire. Je demeure convaincu que le seul critère important quant à l'orientation du vote sur la souveraineté, c'est la langue. Ce n'est ni la race ni la couleur ; c'est la langue. Je connais beaucoup de souverainistes d'origine haïtienne alors que je n'en connais aucun chez les jamaïcains... 

Quand on veut évaluer les chances pour le Parti québécois de remporter une circonscription, le premier élément retenu est le pourcentage de francophones. Après tout, les francophones comptent pour 83% de la population du Québec. Il y a là toute la place nécessaire pour obtenir une décision majoritaire. 

Et les autres Québécois, les anglophones, les allophones ? On les déteste ? Non, on attend tout simplement que la souveraineté soit chose faite et ensuite, la nature humaine étant ce qu'elle est, on découvrira enfin des Québécois là où aujourd'hui on ne trouve que des Canadiens, avec quelques exceptions proprement héroïques. 

Cela dit, envisager de réaliser la souveraineté en indiquant bien aux Canadiens que nous sommes prêts à négocier, mais que s'ils refusent de discuter, nous procéderons quand même, est-ce faisable sans exposer la société québécoise à des risques indus ? 

Il ne faut pas donner une réponse émotive à cette question. C'est comme quand on joue aux cartes. Avant d'annoncer, on regarde son jeu. Le jeu qu'avait en main René Lévesque à la fin des années soixante l'amenait nécessairement à la souveraineté-association. Le jeu que moi j'avais en main au début des années quatre-vingt-dix m'amenait à vouloir réaliser la souveraineté avec l'accord du Canada de préférence, mais sans son accord au besoin. Cela, il faut l'expliquer. 

Je vais le faire en montrant quatre cartes : les courants commerciaux, la monnaie et les courants financiers, la citoyenneté et la reconnaissance internationale. La démonstration sera forcément schématique dans le cadre de la présente introduction, mais plusieurs de mes discours portent sur ces questions ou y font référence. 

Le monde économique et commercial a beaucoup changé en un quart de siècle. Les barrières douanières ont été, grâce au GATT, très substantiellement abaissées. L'utilisation des quotas est précisément réglementée. L'intégration commerciale des pays de l'Europe de l'Ouest est à toutes fins utiles terminée. Les barrières tarifaires américaines ont suivi le mouvement général. Mais voilà qu'à partir de 1987, le Congrès américain est devenu très protectionniste et que ses membres ont multiplié les projets de lois en vue de réduire ou de bloquer les importations qui font du tort à tel ou tel lobby associé à l'un ou l'autre des membres de la Chambre des représentants ou du Sénat. 

1 Pour le Canada, premier partenaire commercial des États-Unis, la menace est terrible. Qu'un quart seulement des mesures protectionnistes proposées soit adopté et voilà le Canada plongé dans une profonde récession. La Maison-Blanche, beaucoup moins protectionniste que le Congrès, voit le danger et, prenant l'offensive, propose un traité de libre-échange complet avec le Canada. Le premier ministre Mulroney n'a pas le choix. Il doit accepter, car, autrement, le Congrès aurait les mains libres et pourrait agir à sa guise. 

Le libre-échange comporte pour les diverses régions du Canada des avantages et des inconvénients différents. Prenons le cas de l'Ontario où les investissements américains sont considérables : un grand nombre de filiales s'y sont installées uniquement à cause des droits de douane canadiens, ou, dans le domaine de l'automobile, à cause des clauses du Pacte de l'automobile qui protège la construction de véhicules au Canada. Le libre-échange peut donc vouloir dire de sérieux bouleversements pour l'Ontario. David Peterson, alors premier ministre de cette province, refuse d'appuyer le gouvernement fédéral et menace d'aller devant les tribunaux pour l'empêcher de conclure ce traité de libre-échange avec les Américains. J'ai à cette époque eu l'occasion, à Toronto, de causer tout un émoi en affirmant que, si j'étais ontarien, je serais d'accord avec lui. 

Mais je ne suis pas ontarien. Au Québec, une part bien plus importante de l'activité économique est entre les mains d'entrepreneurs locaux. Pour eux, pouvoir vendre, sans entrave, leurs produits aux États-Unis est un véritable cadeau du ciel. Mais comme les syndicats québécois ont tendance à emboîter le pas aux syndicats ontariens dans leur opposition au libre-échange, le Parti québécois hésite à en appuyer le principe. 

Avec l'aide hautement efficace de Bernard Landry, je réussis à faire effectuer un virage à 180 degrés au Parti québécois dont je viens de prendre la présidence. D'abord parce que nous pensons que le libre-échange favorise le Québec, et aussi en raison des répercussions politiques immenses que la signature de ce traité va entraîner. Le Québec, d'un seul coup, se mettrait ainsi à l'abri de toutes les représailles commerciales ou économiques que le Canada pourrait envisager à la suite d'une déclaration de souveraineté. C'était, en somme, faire appel aux Américains pour nous protéger contre les Canadiens. Le libre-échange sonnerait aussi le glas des menaces dont on nous abreuvait depuis si longtemps : « On n'achètera plus vos vêtements ; on ne vous vendra plus notre boeuf. » 

Les Américains n'ont jamais aimé le rôle que le Québec leur a fait jouer face à leurs amis canadiens, mais ils ont bien été forcés de reconnaître qu'au Québec le traité de libre-échange recevait l'appui des deux partis politiques (autant des députés libéraux que des députés péquistes) et que ce fut grâce à cet appui non partisan (mais non dénué d'arrière-pensée) que Brian Mulroney put signer le traité. 

Par l'ajout du Mexique, ce traité deviendra l'ALENA, toujours avec l'appui à peu près unanime du Québec (exception faite des réserves compréhensibles exprimées par les syndicats quant aux conditions de travail et à la protection de l'environnement). 

Finalement, en 1994, à Miami, les dirigeants des trois Amériques souscriront au principe d'une zone de libre-échange s'étendant du pôle Nord à la Terre de Feu. « Sans le Québec », diront quelques rigolos. 

Dans leur embarras, et au fur et à mesure que l'on se rapprochait du référendum québécois de 1995, les Américains soulignaient que la reconnaissance d'une place spécifique dans l'ALENA ne serait pas automatique, qu'il faudrait discuter de certaines choses. Bien sûr, mais le Québec est déjà inclus dans l'ALENA. Et le commerce total entre le Québec et les États-Unis est égal au commerce total entre les États-Unis, d'une part, et le Brésil, l'Argentine et le Chili réunis, d'autre part. Cela n'est pas marginal. Cela se sait. 

Dans ces conditions, le débat sur les représailles éventuelles que pourrait exercer contre nous un Canada de mauvaise humeur s'est petit à petit apaisé. « Mais les quotas de lait seront perdus », ont continué de clamer quelques attardés. jusqu'à ce qu'ils se rendent compte que les dernières négociations du GATT avaient miné les quotas ! 

Comme on dit en anglais : The proof of the pudding is in the eating. Les ventes du Québec au Canada plafonnent depuis sept ans alors qu'elles augmentent très rapidement sur le marché américain, maintenant bien plus important pour nous que le marché canadien. 

La question de la monnaie reflète aussi l'intégration des marchés. De nos jours, les mouvements, de part et d'autre des frontières, d'argent à court terme, c'est-à-dire l'argent placé pour quelques jours ou quelques semaines seulement, équivalent à certains moments à 30 ou 40 fois la valeur des transactions commerciales portant sur des produits ou services. Aussi bien dire que des intérêts hostiles peuvent jeter une nouvelle monnaie par terre en quelques jours. 

Donc, vive le dollar canadien ! On n'aura alors au Québec aucune influence sur la politique monétaire ? C'est vrai, mais on n'en a jamais eu. Est-ce une décision prise pour l'éternité ? « Éternité » est un bien grand mot. « L'avenir dure longtemps », disait le général de Gaulle. 

Comment réagira le Canada quand le Québec souverain va lui annoncer sa décision de garder le dollar canadien comme monnaie légale ? Ce serait un euphémisme que de dire qu'il ne sera pas content. Mais il ne pourra rien y faire. Les Québécois sont propriétaires de plus de 100 milliards de dollars canadiens. Ce n'est pas une dette cela, c'est un actif Il n'y a aucun moyen de leur enlever ces milliards. Si les Québécois veulent les garder, ils les gardent. 

Les Canadiens peuvent-ils, cependant, limiter ou même arrêter l'arrivée de nouveaux dollars canadiens au Québec, ces dollars étant nécessaires pour parer à la hausse de l'activité économique ? 

Des techniciens anglophones, les seuls crédibles en l'occurrence, se sont penchés sur cette question et ont finalement conclu que pour empêcher les Québécois de se servir du dollar canadien pour répondre à leurs besoins de tous les jours, il faudrait astreindre les Canadiens à des contrôles des changes insupportables. Un de ces contrôles, par exemple, parmi les moins draconiens, consisterait à leur interdire de se servir de leurs cartes de crédit à l'étranger. 

La conclusion de tout cela a été bien exprimée par le titre d'un éditorial paru dans La Presse : « C'est la fin du débat monétaire ». Le message est clair aussi pour les fédéralistes du reste du Canada : les menaces exagérées quant aux conséquences économiques de la souveraineté du Québec sont susceptibles d'affecter le cours de leur propre monnaie. 

Ainsi, on a bien pu annoncer l'apocalypse en cas d'un rejet de l'entente de Charlottetown. Personne n'y a cru. Tout a été calme. 

D'ailleurs, la Banque du Canada n'est pas dépourvue de moyens pour agir sur le marché des changes. Et le gouvernement du Québec n'est pas dépourvu de moyens non plus pour agir sur les marchés monétaires et financiers en dollars canadiens. À la veille du référendum de 1995, on se souviendra longtemps que le ministre des Finances, Jean Campeau, avait réuni près de 17 milliards de liquidités pour pouvoir parer à toute éventualité. 

La question de la citoyenneté est apparue également comme un des aspects de l'intégration des marchés. jusqu'ici, nous avions parlé de libre-échange des produits, des services et des capitaux. Que faire en ce qui a trait à la mobilité des personnes ? Non pas s'il s'agit de touristes, car à ce chapitre, cela va de soi, mais s'il s'agit plutôt de travailleurs. 

Les échanges de personnel cadre des entreprises sont fréquents entre Montréal et Toronto. Une quinzaine de milliers de personnes de la région de Hull travaillent dans le secteur privé à Ottawa et dans ses environs. Des cas semblables ont été réglés par voie de négociations entre le Canada et les États-Unis, par exemple à l'égard de la main-d'oeuvre frontalière qui se déplace chaque jour entre Windsor, du côté canadien, et Detroit, du côté américain. 

En vertu de mon hypothèse, après que le Québec aura pris la décision de devenir un pays souverain, les Canadiens, pendant un certain temps, seront furieux. J'imagine mal que des négociations puissent aboutir rapidement sur une question aussi délicate. 

La double citoyenneté permettrait d'arranger les choses. Cette affirmation appelle bien sûr quelques explications. Au moment où le Québec deviendra souverain, tout citoyen canadien résidant au Québec obtiendra automatiquement sa citoyenneté québécoise. Certains Québécois, je pense ici aux anglophones, aux allophones et aux francophones fédéralistes les plus convaincus, vont vouloir garder leur citoyenneté canadienne. Il sera alors très difficile pour le gouvernement du Canada, qui autorise au moyen d'une loi la double citoyenneté avec tous les autres pays du monde, de ne pas accorder à ces gens la citoyenneté canadienne. 

D'ailleurs, si Ottawa refusait la citoyenneté canadienne à ceux qui veulent la garder, à qui la refuserait-il ? À ses alliés, à ses amis, aux troupes fédéralistes ! 

Il y aurait, bien sûr, des contraintes administratives. Le citoyen québécois désirant conserver la citoyenneté canadienne devrait sans doute en faire explicitement la demande. Et pourquoi pas ? Le gouvernement du Québec, lui, n'y verrait certainement pas d'objection. Mais ce n'est pas à lui de prendre la décision. 

En somme, les cartes que l'on a en main pour préparer le référendum de 1995 permettent d'éviter d'avoir à demander l'autorisation de se proclamer souverain à qui que ce soit d'autre qu'au peuple québécois. Et on possède désormais les moyens de réaliser la souveraineté. 

On sent cependant, sur le plan politique, même chez les souverainistes les plus convaincus, une sorte de nostalgie à l'égard du Canada. Au moment de se séparer, on aimerait bien pouvoir garder des liens avec les voisins, les amis. Les Commissions régionales sur l'avenir du Québec refléteront d'ailleurs très bien cette réalité. On cherche une façon de démontrer sa bonne foi, l'ouverture à des négociations. 

Les préoccupations ne concernent pas les négociations sur le partage de la dette et des actifs qui, elles, sont inévitables., Dans ce cas-là, il n'y a rien à craindre : le Canada anglais voudra sûrement négocier, car c'est lui qui va recevoir de l'argent. Pour la première fois, les Québécois seront payeurs (à même les impôts qu'ils vont récupérer). Il faut s'habituer à cette idée. C'est une force pour le Québec, et non pas une faiblesse. 

Ce qui préoccupe beaucoup de Québécois, c'est autre chose, c'est un éventuel accord économique. Cette préoccupation se traduit sous la forme concrète d'une offre de partenariat. J'ai été initialement très réticent à accepter un tel concept. À notre époque, a part la Corée du Nord et quelques autres contrées, je ne vois pas très bien qui n'est pas en partenariat avec un ou plusieurs autres pays, sous une forme ou sous une autre. Tout est tellement intégré. Et des structures de gestion de cette intégration, le monde en est plein. 

On ne peut être contre le partenariat, pas plus qu'on ne peut être contre la vertu ou contre la maternité ! Cette réalité n'implique pas que l'on doive parler de « souveraineté-vertu » ou de « souveraineté-maternité ». Pourquoi alors la « souveraineté-partenariat » ? 

Le danger est alors grand que nous retombions dans le piège de 1980, d'autant plus que certains ou bien l'ont oublié et ne se souviennent que de la « belle époque », ou bien ne l'ont pas vu et croient encore que si on aime suffisamment les Canadiens, ils nous donneront leur bénédiction. 

L'entente du 12 juin 1995 a été signée par Mario Dumont pour l'Action démocratique du Québec, par Lucien Bouchard pour le Bloc québécois et par moi-même pour le Parti québécois. Cette entente tripartite décrit une proposition de partenariat. J'en ai examiné mot par mot quatre versions successives. Celle qui a été signée nous permet d'éviter les pièges. À condition que l'on se souvienne de son contenu. Ce qui pourrait arriver de pire, c'est qu'elle soit transformée en icône... L'objectif est la souveraineté, pas le partenariat. 

Cela étant, j'ai alors la profonde conviction que personne au Canada ne voudra discuter de partenariat tant et aussi longtemps qu'une majorité de Québécois n'auront pas voté OUI à un référendum spécifiquement destiné à réaliser la souveraineté du Québec. Tout de suite après, les Canadiens voudront entamer des négociations avec nous, dans un premier temps sur des questions incontournables comme le partage de la dette et des actifs, la voie maritime du Saint-Laurent et la liberté de circulation entre l'Ontario et le Nouveau-Brunswick. L’entente finale entre les deux pays s'appellera « partenariat » si les deux pays le souhaitent, et son contenu sera peut-être passablement différent de ce qui a été proposé dans le document du 12 juin 1995. Mais il sera peut-être analogue, qui sait ? 

Tout n'a pas été traité, tant s'en faut, dans cette introduction. La question des droits des anglophones ainsi que celle de l'autonomie gouvernementale des autochtones, par exemple, ont donné lieu à la rédaction de plusieurs discours, dont on trouvera plus loin des extraits. 

Il me reste à aborder une question essentiellement politique, celle de la reconnaissance internationale du Québec. Le problème m'a longtemps préoccupé. J'en ai beaucoup discuté, à Washington et à Paris notamment, et cela à plusieurs reprises. J’en suis arrivé à la conclusion que le Canada fera l'impossible, après un référendum gagne par le camp du OUI et une déclaration d'indépendance adoptée à l'Assemblée nationale, pour empêcher la reconnaissance du Québec à l'étranger, en commençant par les États-Unis. Et les États-Unis obtempéreront aux désirs du gouvernement canadien. Quand on voit combien de temps ont mis les États-Unis pour reconnaître la Lituanie afin de ne pas déplaire à Boris Eltsine, on peut imaginer ce qu'ils accepteront de faire ou de ne pas faire pour ne pas peiner leurs cousins canadiens. 

La seule chose qui pourrait faire bouger les États-Unis, ce serait que la France annonce qu'elle va reconnaître le Québec. Et cela aiderait qu'elle soit entourée dans cette démarche par d'autres pays membres de la francophonie. Mon voyage officiel en France, en janvier 1995, a pavé la voie à cette reconnaissance. 

Une semaine avant le jour du référendum de 1995, l'opération destinée à faire aboutir la reconnaissance du Québec par la France avait été engagée. Deux jours après le référendum, si le résultat avait été OUI, l'Assemblée nationale du Québec aurait été convoquée. Et les réserves financières requises étaient en place... 

La question référendaire était ainsi formulée : 

 

Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du projet de loi sur l'avenir du Québec et de l'entente signée le 12 juin 1995 ? 

 

Les résultats furent les suivants : OUI, 49,4%, NON, 50,6%.

 

Quelque 61% des francophones ont voté OUI. Un déplacement de 26 000 voix (sur 5 millions) aurait placé les OUI et les NON à égalité. J'ai annoncé ma démission le lendemain du référendum. 

On a failli réussir. C'est pour cela qu'il ne faut pas que les leçons se perdent. Il faut se souvenir de quelle façon, avec quels arguments, grâce à quelles stratégies, on a pu convaincre cette majorité de francophones, et passer aussi près du but. 

Les pages qui suivent mettent, bien sûr, l'accent sur mon propre cheminement, mais elles ne devraient pas être inutiles, je l'espère, pour ceux qui préparent la prochaine étape de notre marche vers la souveraineté. 

La conclusion de l'ouvrage est tout entière tournée vers cette prochaine étape... avec mes meilleurs vœux de succès.


[1]     En fait, le projet québécois n'aboutira pas.

[2]     Les Slovaques ont annoncé qu'ils garderaient comme monnaie nationale la couronne tchèque, mais pour six mois seulement. La spéculation s'en est donné à cœur joie et une monnaie slovaque a dû être créée en catastrophe.

[3]     Ce n'est que plus tard que Fidel Castro deviendra un champion de l'unité canadienne !


Retour au texte de l'auteure: Colette Parent, criminologue, Université d'Ottawa Dernière mise à jour de cette page le mercredi 25 avril 2007 17:58
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue,
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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