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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

L'idéologie altermondialiste ou le renouveau libéral de la critique sociale. (2011)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Ian Parenteau, L'idéologie altermondialiste ou le renouveau libéral de la critique sociale. Thèse de doctorat en science politique, UQÀM, décembre 2011, 398 pp. [Thèse diffusée en libre accès dans Les Classiques des sciences sociales avec l'autorisation de l'auteur accordée le 15 février 2017.]

Introduction

L’altermondialisme s’est rapidement imposé à partir de la fin des années 1990 comme nouveau pôle de la critique sociale. C’est désormais surtout lui qui formule les principales objections adressées au pouvoir établi. Le milieu associatif et militant accueille avec grand enthousiasme l’émergence de l’altermondialisme. De fait, tandis que le premier Forum social mondial (FSM) de janvier 2001 accueille 20 000 participants, l’édition de 2002 en rassemble 50 000 et celle de 2003, 90 000[1]. Des centaines d’associations à travers le monde se convertissent à l’altermondialisme, d’autres, telles qu’Attac[2], s’y engagent dès leur naissance. Une multitude de sites Internet assurent aussi la diffusion de la pensée altermondialiste qui dénonce entre autres les paradis fiscaux, le déficit démocratique des institutions du commerce international, la dette des pays du Sud, les organismes génétiquement modifiés et la « malbouffe »[3].

L’altermondialisme serait né en réaction aux conséquences de la mondialisation économique qui prend de l’ampleur à partir du début des années 1990. En effet, tout son discours est orienté en fonction d’une critique de la mondialisation économique, d’où le nom même par lequel ses militants désignent leur mouvement : l’altermondialisme – celui qui lutte pour la construction d’une autre mondialisation[4]. L’altermondialisme se définit en effet d’abord par opposition à ce qu’il rejette. Notamment, ses militants dénoncent les nombreuses injustices engendrées par le libre-échange, la libéralisation des marchés et la déréglementation financière. Les principales institutions économiques internationales comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et le Forum économique mondial (FEM) de Davos sont les cibles prisées de sa critique puisqu’elles servent de locomotive à ce programme économique. La mondialisation économique serait, aux yeux des militants de l’altermondialisme, responsable de l’accroissement des inégalités Nord-Sud. Elle entraînerait par ailleurs la destruction des écosystèmes, représenterait une menace – pour la diversité culturelle, l’égalité des sexes et, plus largement, la démocratie –, car elle réduirait le pouvoir des citoyens tout en augmentant celui des multinationales. Pour résoudre les problèmes qu’engendre la mondialisation économique, l’altermondialisme propose des mesures visant entre autres à revoir les règles qui régissent le commerce international afin que tous les droits des citoyens du monde soient mieux respectés. Parmi ses solutions se trouve la proposition phare d’Attac : mettre en place une taxe sur les transactions financières – la taxe dite Tobin[5] – dont les recettes serviraient au développement des pays du Sud.

La mondialisation économique dénoncée par l’altermondialisme tirerait ses racines du néolibéralisme. Le programme politique néolibéral, entièrement orienté vers la protection de la liberté économique, viserait à soumettre les économies nationales à la concurrence mondiale et prévoirait l’ouverture totale des marchés, notamment celui de la finance et des devises. La mise en œuvre de ce programme politique entraînerait la dérégulation de l'économie à partir de laquelle sera forgé le concept de la mondialisation économique[6]. Ainsi, l’opposition qu’exprime l’altermondialisme à l’endroit de la mondialisation économique conduit-elle ses militants à considérer mécaniquement le néolibéralisme comme l’adversaire idéologique de l’altermondialisme[7]. C'est de cette façon que Jean-Marie Harribey, ancien président d’Attac, résume le lien causal entre la mondialisation économique et le néolibéralisme :

Le terme [mondialisation économique] est utilisé pour désigner la phase actuelle du capitalisme qui voit le système productif passer sous la domination de la finance, avec l’appui des politiques dites du néo-libéralisme organisant la libre circulation des capitaux, la généralisation du libre-échange et le renforcement de l’exploitation de la force de travail par un accaparement plus grand des richesses entre les mains des classes bourgeoises [8].

La problématique

L’altermondialisme est né durant une période qui est secouée par de nombreux bouleversements. Sur le plan économique, la mondialisation entraîne des conséquences jugées néfastes pour l’ensemble des citoyens. Les accords de libre-échange et la taille immense de certaines multinationales réduiraient le pouvoir des États à soutenir et promouvoir le développement économique de leur population. Il serait désormais plus difficile pour les hommes politiques et les citoyens d’agir sur leurs communautés.

Sur le plan politique, l’effondrement du bloc de l’Est et l’éclatement de l’URSS, quelques années avant l’apparition de l’altermondialisme marquent la fin de la guerre froide et le triomphe de la démocratie libérale. La démocratie libérale s’impose alors à l’ensemble de la planète comme le seul régime politique valable[9]. Le monde après 1991 serait désormais, comme le soutient Francis Fukuyama dans son célèbre essai, La fin de l’histoire, celui où « toutes les contradictions humaines sont résolues et tous les besoins sont satisfaits[10] ». Ce triomphe du libéralisme et surtout la fin du régime soviétique fondé par Lénine entraînent aussi une autre conséquence : la fatigue de la gauche. D’une part, le soutien pour les partis politiques et l’intérêt pour la presse socialiste, communiste et anarchiste fléchissent. Les idées de gauche exercent dorénavant moins d’influence sur le champ de la pensée et de la politique. D’autre part, le programme des partis politiques plus centristes glisse davantage vers la droite. Des partis politiques comme le Parti Québécois (PQ), le Parti socialiste français (PS) et le Parti travailliste de Grande-Bretagne acceptent alors – comme s’il s’agissait d’une nouvelle norme universelle – que la libéralisation du commerce est la seule politique économique valable. Ainsi, le progrès ne passerait-il plus, à l’avenir, par la mise en commun de la production, mais résiderait plutôt dans la mise en concurrence des économies. L’ouverture des marchés devient, à droite comme à gauche, pour ce qui en reste, la nouvelle doxa de notre temps qui remplace dans le même temps les principes fondamentaux du modèle keynésien et ceux du dirigisme étatique qui prévalaient sous la forme d’une opposition tranchée depuis un demi-siècle de part et d’autre du rideau de fer.

Enfin, sur le plan idéologique, cette période est aussi marquée, de façon plus fondamentale j’estime, par l’idée selon laquelle le déclin de la gauche devrait s’interpréter comme la confirmation de la mort – encore une fois – du concept même d’idéologie. Les idéologies semblent s’être volatilisées tant leur présence se fait discrète à l’époque actuelle. Les débats politiques ne devraient plus conduire à des affrontements idéologiques, mais porter plutôt sur des enjeux « tangibles ». À partir du milieu des années 1990, l’horizon se dessinerait enfin débarrassé de toute guerre idéologique. Ainsi, faudrait-il désormais ranger les idéologies au musée des vieilleries dans la chambre des concepts éculés aux côtés des théories de Lyssenko et du darwinisme social. Beaucoup se réjouissent de voir l’histoire donner finalement raison au sociologue et essayiste Daniel Bell, qui pronostiquait dès 1960 la fin des idéologies[11].

C’est dans ce triple contexte économique, politique et idéologique de bouleversements profonds qu’émerge l’altermondialisme. Certains penseurs interprètent la naissance de ce dernier comme une simple évolution au sein de la gauche. Puisque le capitalisme emprunterait désormais la forme de mondialisation économique, il faudrait rafraîchir le discours critiquant ce système pour tenir compte de la réalité actuelle. L’altermondialisme serait alors la réponse sociale à la mondialisation économique. Cette dernière remplirait dans la pensée altermondialiste la même fonction qu’occupe le capitalisme comme source principale d’inégalités sociales dans la pensée de gauche. Ainsi, l’altermondialisme assurerait-il la relève de la gauche comme nouveau pôle de la critique sociale et, en cela, il serait en quelque sorte l’héritier de cette dernière.

Or, cette interprétation pose problème. Les implications idéologiques de cet héritage ne feraient pas l’unanimité chez les chercheurs et militants de l’altermondialisme. Ces derniers le rejettent ou encore plus fréquemment encore se montrent de manière générale plutôt indécis lorsqu’il s’agit de décrire, dans une perspective idéologique, la conception du monde et le programme politique altermondialistes ; et de définir sa coordonnée sur le clivage gauche-droite. Cette indécision aurait donné lieu à deux principales interprétations idéologiques de l’altermondialisme.

L’altermondialisme : une idéologie de gauche

Premièrement, une majorité de militants et chercheurs sentent instinctivement que c’est globalement à gauche que l’altermondialisme obliquerait. L’altermondialisme serait, selon eux, bâti en général sur les assises idéologiques de la gauche, soit comme un mélange d’anarchisme, de communisme et de socialisme. Le fait que sa critique porte, comme chez ces trois dernières idéologies, sur le pouvoir établi, apporterait la preuve de l’appartenance de l’altermondialisme à la gauche. Cette idée est confirmée par exemple par de nombreux militants qui, comme je le montrerai ultérieurement, présentent l’altermondialisme comme appartenant à la gauche, lorsqu’interrogés sur l’identité idéologique de leur mouvement[12]. C’est aussi ce que croient ses détracteurs de droite qui estiment que cette idéologie serait radicale et logerait à l’extrême gauche. Ainsi, pour Pierre Chailan, l’altermondialisme serait tout simplement une forme contemporaine de communisme[13]. Plus impétueux, Serge Champeau considère même que le refus de médiation politique de l’altermondialisme serait le signe le plus clair de sa proximité avec les « idéologies totalitaires du siècle dernier[14] ».

L’altermondialisme : ni de gauche, ni de droite

Deuxièmement, pour ceux étant de l’avis que la grille de lecture idéologique est aujourd’hui dépassée, l’altermondialisme serait, à l’image de l’époque actuelle, tout simplement ni de gauche, ni de droite : il ne défendrait aucune idéologie spécifique. Sur le plan conceptuel, le triomphe politique du libéralisme aurait entraîné non seulement le déclassement des idéologies rivales, mais plus encore la liquidation même du concept d’idéologie. En effet, puisque le libéralisme n’aurait plus de concurrents politiques, il faudrait aussi congédier toute forme de « brouillage » idéologique, c’est-à-dire qu’il faudrait cesser de fuir la réalité à l’aide des idéologies. Alors que les idéologies avaient été l’élément clé de « l’âge des extrêmes[15] » qui se termine à peine, le concept d’idéologie serait désormais un réflexe archaïque. Corollairement, malgré le vent de fraîcheur qu’insuffle l’altermondialisme à la critique sociale et en dépit de l’étonnante rapidité avec laquelle il réussit à mobiliser de nouveaux militants grâce à un discours critique inédit, celui-ci ne fournirait pas, à leurs yeux, l’indice d’un renouveau idéologique. Puisque l’émergence de l’altermondialisme coïnciderait avec la mue idéologique s’étant soldée par la mort même de ce concept, ce nouveau discours et cette forme originale de militantisme manqueraient forcément de consistance idéologique. En outre, il est vrai que l’on ne peut reconnaître dans aucune des idéologies politiques celle qui se présente comme refusant de s’engager en politique, qui ne cherche pas à prendre le pouvoir et qui malgré son engagement à critiquer le pouvoir établi, cherche volontairement à camper ses positions loin des idéologies de gauche. Ainsi, comme le soutient François Polet, l’altermondialisme serait « sans aucun centre, sans pôle de gravité fort[16] ». Pour Dominique Plihon, il serait simplement une « posture intellectuelle et politique[17] » qui lutte contre « l’idéologie et le pouvoir dominants[18] », soit le néolibéralisme. Pour Sophie Heine, l’altermondialisme revendiquerait à la fois « une filiation humaniste, libertaire ou (politiquement) libérale[19] ». Ou encore, comme le soutient Eddy Fougier, il n’aurait « pas non plus de doctrine [ni] d’idéologie spécifique[20] ».

Qu’est-ce que la pensée idéologique de l’altermondialisme ?

En sommes, l’altermondialisme serait : i) soit un mouvement de gauche, voire l’expression d’un totalitarisme idéologique ; ii) soit un mouvement n’affichant aucune filiation idéologique et pour cela un mélange hétérogène et insaisissable. Or, qu’est-ce que l’idéologie altermondialiste ? Voilà ma première question de recherche.

Pourquoi l’altermondialisme surgit-il vers la fin des années 1990 ? 

L’altermondialisme surgit vers la fin des années 1990 comme nouvelle forme d’action collective. Le dynamisme qu’il insuffle à la scène de l’action collective tient à ce qu’il oriente, de façon originale, toute sa critique de l’ordre actuel autour de la mondialisation économique. L’altermondialisme adopterait donc à la fois une forme et un discours novateurs. Pourtant, dans la période qui précède sa naissance, rien n’indiquait le dégel du militantisme qui ne semble plus porté par l’histoire comme un demi-siècle auparavant. Pourquoi l’altermondialisme surgit-il alors vers la fin des années 1990 ?  Ainsi se pose la seconde question de recherche.

Où se situe l’altermondialisme par rapport aux autres idéologies ?

Enfin, si l’orientation idéologique de l’altermondialisme reste ambiguë, un autre problème d’identification demeure : où se situe l’altermondialisme par rapport aux autres idéologies ? Voilà donc la troisième question de recherche de ma thèse.

L’analyse de l’altermondialisme

Depuis son apparition, les analystes de l’altermondialisme sont confrontés à un problème particulier : déterminer sa nature. Puisque l’altermondialisme serait, de manière générale, une forme originale d’action collective, ceux-ci orientent leurs recherches en prenant appui sur le postulat qu’il ne serait comparable à aucun militantisme antérieur[21]. Le caractère inédit de l’altermondialisme se manifesterait d’abord dans les moyens qu’il mobilise sur la scène de l’action collective, à travers notamment la formule des forums sociaux. Son originalité tiendrait aussi d’une part au plan des idées puisqu’il n’afficherait volontairement aucune appartenance idéologique et, d’autres parts, à ce qu’il s’est engagé à développer une analyse approfondie de la notion de mondialisation afin de mieux combattre ce phénomène[22]. À défaut de bien cerner la nature de l’altermondialisme, en particulier les fondements idéologiques de sa pensée, cette hypothèse de l’inédit constituerait ainsi la grille de lecture des premiers commentateurs de l’altermondialisme.

Cette grille de lecture est imparfaite. Qu’un phénomène soit inédit ne constitue en effet pas un critère pertinent d’identification de la nature de l’altermondialisme. C’est d’ailleurs le point de vue qu’adoptent certains sociologues et historiens de l’action collective qui contestent cette première hypothèse et cherchent à atténuer l’image devancière de l’altermondialisme[23]. Selon eux, l’altermondialisme ne serait pas né ex nihilo, mais serait plutôt le successeur des militantismes passés. Pour bien comprendre l’altermondialisme, il faudrait donc reconstruire son histoire. Il faudrait retrouver dans la période qui précède sa naissance, les traces de son émergence au sein de l’histoire récente de l’action collective. Voilà la façon dont il faut analyser l’altermondialisme. La science sociale adoptera donc une perspective essentiellement historique afin de déterminer la nature de l’altermondialisme. C’est sous cet angle que les principaux ouvrages sur l’altermondialisme abordent généralement ce thème[24].

Or, la perspective épistémologique de l’inédit et la perspective sociohistorique, à travers lesquelles les analystes de l’altermondialisme proposent de définir la nature de ce dernier, selon qu’il se démarquerait par son caractère avant-gardiste, ou qu’il marcherait au contraire dans les traces des militantismes passés, ne sont pas totalement convaincantes. Elles occultent en effet en bonne partie la pensée de ce militantisme contemporain et donc l’idéologie qui s’y cache derrière. Ces deux perspectives épistémologiques ne parviennent pas non plus à isoler les facteurs idéologiques ayant contribué à rendre plus propice, durant la période de la fin des années 1990, l’émergence de cette action collective. Enfin, elles peuvent encore moins situer la pensée altermondialiste par rapport aux autres idéologies. Par conséquent, contrairement à ce que soutient le politologue Dominique Caouette dans son analyse de l’altermondialisme, l’étude de ce sujet ne doit pas reposer sur les paradigmes de la sociologie politique et des relations internationales, mais sur une approche axée sur les idéologies[25]

L’altermondialisme s’impose en effet d’abord et avant tout comme « idéologie » défendant une conception du monde originale qui débouche sur un programme politique cohérent[26]. C’est parce que les militants de l’altermondialisme sont imprégnés d’une même idéologie, qui assure une cohérence minimale à leur action collective, qu’ils sont capables d’affirmer avec conviction et d’une même voie, qu’un « autre monde est possible ».

Ces deux principales hypothèses que formulent les sociologues et les historiens de l’action collective sur la nature de l’altermondialisme soulèvent une problématique qui se trouve au centre de la présente thèse. Certes, les travaux de recherche de ces deux disciplines ont permis de mieux connaître la dimension sociale et historique de l’altermondialisme. Ils ont par exemple montré la pluralité des réseaux dans lesquels s’inscrivaient les militants de l’altermondialisme et la façon dont ce dernier se situait thématiquement dans la continuité des luttes passées dans lesquelles s’était notamment engagé le tiers-mondisme[27]. En contrepartie, la sociologie et l’histoire de l’action collective éprouvent plus de difficulté à cerner la nature de l’altermondialisme et situer celui-ci par rapport aux autres idéologies étant donné qu’elles s’engagent peu dans l’étude des idées qui le composent. Or, je crois que la principale clé explicative de cette idéologie se trouve précisément dans ses idées. Ces deux disciplines échouent aussi généralement à définir les conditions d’émergence de l’altermondialisme dans la mesure où ces conditions se situent largement à l’extérieur du domaine de l’action collective. En d’autres mots, elles ne peuvent pas répondre adéquatement aux trois questions de recherche de ma thèse. Présenter l’altermondialisme comme étant le seul produit de l’évolution récente du militantisme social ou insister sur le rôle prédominant qu’a pu jouer la mondialisation économique dans sa genèse ne permet pas, ce me semble, de bien établir sa nature. Ainsi, est-il vain de chercher le terme « altermondialisme » dans l’atlas du militantisme social afin d’observer s’il s’inscrit en rupture ou en continuité des mouvements sociaux qui le précèdent, car cette démarche de recherche, qui reste trop attachée à la seule sphère de l’action collective, est d’une faible pertinence heuristique.

Pour déterminer la nature de l’altermondialisme, retracer ses origines et situer celui-ci par rapport aux autres idéologies, il faut plutôt analyser les idées qui le composent et restituer celles-ci dans le champ de l’évolution récente de l’idéologique contemporain[28]. En clair, il faut procéder à l’analyse idéologique de l’altermondialisme. Ce postulat de base, qui est différent de celui sur lequel s’appuient presque toutes les études sur l’altermondialisme, constitue la perspective épistémologique adoptée dans la présente recherche.

La thèse

La thèse que je défends se résume ainsi : l’altermondialisme est une idéologie qui défend une conception du monde cohérente et qui débouche sur un programme politique autonome fondé en entier sur le libéralisme. L’émergence de l’altermondialisme s’inscrit dans le processus récent par lequel le libéralisme a réussi à disqualifier les autres idéologies et à étendre son influence sur l’idéologique contemporain. Pour arriver à cette double fin, le libéralisme utilise une principale stratégie : fixer, au centre d’une conception du monde ayant la force d’une évidence et d’un programme politique efficace, l’idée que la mondialisation est un phénomène inéluctable. Ainsi, le « pivot de la mondialisation » a-t-il d’abord été l’élément clé du programme politique « néolibéral » qui conduit à la mondialisation économique à partir des années 1980. Ensuite, vers la fin des années 1990, la naissance de l’altermondialisme qui milite pour une « autre mondialisation » correspond à la seconde étape logique de la stratégie libérale. Ce détail n’est pas sans conséquence. Ayant rendu obsolètes les autres idéologies puisqu’elles ont refusé de consacrer la mondialisation comme nouvelle conception du monde et ayant désamorcé la critique sociale en l’obligeant à se fondre dans le sérail libéral, le libéralisme s’affirme désormais avec encore plus de liberté.

Contrairement à l’idée reçue, le néolibéralisme – qui se trouve associé, à tort ou à raison, au programme politique de la mondialisation économique – et l'altermondialisme ne sont pas des ennemis, mais davantage des adversaires qui militent tous deux à orienter le développement général de l’idéologie libérale. Le néolibéralisme et l’altermondialisme sont, en d’autres termes, des variantes à l’intérieur de la grande famille du libéralisme. Le premier agissant comme l’un des leviers idéologiques à l’origine de l’imposition de la politique de la mondialisation économique ; le second, constituant, pour sa part, le produit idéologique qui contribue plus qu’il nuit réellement au développement de cette politique.

L’altermondialisme représente donc l’une des conséquences des bouleversements qui frappent l’idéologique de la société contemporaine. C’est effectivement une série de conditions structurelles (relevant du domaine économique et des communications) et de conditions idéologiques (ayant trait au domaine des idées et des idéologies) propres à l’époque de la fin du XXe siècle, qui vont entraîner à la fois l’apparition, au sein du libéralisme, de l’idéologie altermondialiste et une plus grande affirmation du néolibéralisme. L’importance qu’occupe la notion de mondialisation dans le discours altermondialiste et dans le discours néolibéral rappelle la proximité idéologique de ces deux idéologies malgré le contentieux opposant leurs militants respectifs et des programmes politiques profondément différents. En clair, ces deux variantes idéologiques libérales se distinguent avant tout du libéralisme par le fait qu’elles s’affichent mondialistes. L’altermondialisme n’est donc pas né de la mondialisation économique – il n’est pas une réaction critique à cette politique de redéploiement du capital au-delà des frontières –, mais constitue plutôt son prolongement logique dans le domaine idéologique, politique et social.

L’influence considérable dont jouissent aujourd’hui le libéralisme et ses deux variantes entraîne des conséquences sur la composition de l’idéologique contemporain à deux niveaux. D’abord, cette influence constitue un point de rupture idéologique important. Non seulement l’apparition de l’altermondialisme n’est pas une simple mutation de la pensée de gauche, mais qui plus est, il en accélère le déclin. En se présentant comme le principal porteur de la critique sociale, l’altermondialisme contribue en effet au délitement de la gauche, car ce rôle lui échappe désormais. Ensuite, puisque l’altermondialisme appartient à la famille libérale, sa critique n’ouvre aucune perspective idéologique véritablement nouvelle. L’autre mondialisation se heurte en fait à l’impossibilité d’être autre chose qu’une simple réforme libérale de l’ordre actuel. Ainsi, jamais auparavant le centre de gravité de la critique sociale n’aura-t-il été à la fois si éloigné de la position de gauche qu’il a historiquement occupée et si proche du pouvoir établi[29]. Comme je le montrerai, le refus de la politique traditionnelle des partis politiques et la modération dont il fait preuve doivent donc s’interpréter non pas comme une stratégie efficace de lutte contre la mondialisation économique, mais bien plutôt comme la soumission de la pensée critique dominante à l’ordre idéologique dominant. En outre, le programme politique altermondialiste illustre jusqu’à l’absurde, comme une partie de la critique de gauche le rappelle, l’état d’ilotisme idéologique dans lequel le monde d’aujourd’hui se trouve plongé. Voilà donc la façon sommaire dont il faut comprendre le sens idéologico-politique de la rupture dans la pensée et dans le militantisme de gauche que provoque l’altermondialisme. En orientant spécifiquement sa critique contre la mondialisation économique et pour une autre mondialisation, il ne contribue en effet pas à l’évolution générale de la gauche.

Pourquoi l’altermondialisme n’est-il pas de gauche : parce qu’il n’est pas anticapitaliste. Contrairement aux idéologies de gauche, la conception du monde et le programme politique altermondialiste ne s’opposent pas au capitalisme. Ces militants ne croient pas en l’injustice flagrante de ce système économique. Ils ne militent pas pour l’abolition du capitalisme ni même pour sa réforme, car ils cherchent simplement à combattre les conséquences des « excès » de la mondialisation économique. Selon le titre d’un des livres publiés par Attac, ce serait en effet le « néolibéralisme » qui produit « les créatures » que sont la « pauvreté et les inégalités » et non le système économique associé à Adam Smith[30]. L’altermondialisme ne consacre alors plus, à la manière de la gauche, la condamnation exclusive des inégalités sociales à la seule propriété privée et à la possession, par une minorité, de l’ensemble des moyens de production. Il ne dresse pas de réquisitoire contre le capitalisme, mais s’en prend plutôt à la mondialisation économique et toute sa pensée s’oriente autour de ce vaste thème unique. Son programme politique, malgré la critique sociale mordante qu’expriment ses militants, se veut aussi à la fois individualiste et en définitive fort modéré puisqu’il s’inscrit dans une démarche qui se situerait exclusivement à l’extérieur de la scène politique. Voilà, derrière ces trois caractéristiques mises en italiques, l’indice de la proximité idéologique de l’altermondialisme et du libéralisme que j’entends montrer ici. L’altermondialisme est, en d’autres termes, une idéologie libérale qui propose un programme politique libéral.

La méthodologie

Pour valider ma thèse, j’utiliserai le paradigme de l’analyse idéologique et procéderai à trois étapes de recherche. D’abord pour répondre à la première question de recherche, soit « qu’est-ce que l’idéologie altermondialiste ? », je ferai une analyse de contenu de son discours. Dans une perspective avant tout interprétative et qualitative, j’examinerai les documents et les textes qui définissent cette idéologie. Cette analyse sera horizontale puisqu’elle permettra de mettre en lumière les liens logiques qui existent entre les idées de l’altermondialisme. Elle sera également verticale puisqu’elle contribuera à clarifier la relation entre ces idées et des éléments extérieurs au discours. Je n’utiliserai aussi aucun logiciel d’analyse de contenu, car je ne cherche pas à repérer la fréquence d’apparition de certains lexèmes, mais souhaite plus généralement dégager la cohérence idéologique générale des idées qui composent le discours altermondialiste. Ensuite, pour répondre à la seconde question de recherche, soit « pourquoi l’altermondialisme émerge-t-il vers la fin des années 1990 ? », je procéderai à une analyse historique. J’isolerai les conditions structurelles et les conditions idéologiques qui ont permis l’apparition d’une conception du monde centrée sur la mondialisation, puis de l’idéologie altermondialiste. Mon étude portera à la fois sur l’histoire des idées – qui concerne l’espace des débats – et sur l’histoire matérielle – qui se rapporte à l’économie et aux technologies de la communication. Elle permettra de comprendre les conséquences idéologiques qu’entraînent certains événements et phénomènes qui bouleversent l’époque des années 1980 et 1990. Enfin, pour répondre à la troisième question de recherche, « où classer l’altermondialisme par rapport aux autres idéologies ? », je vais, d’une part, comparer l’altermondialisme à la famille idéologique de la gauche puisque c’est avec les idéologies composant cette famille qu’il partage la fonction de critique sociale. D’autre part, je vais le comparer avec le libéralisme, car c’est cette idéologie qui assure le maintien de l’ordre idéologique dominant. Cette dernière réflexion s’inscrit donc dans une démarche essentiellement comparative. Ainsi, je crois que les perspectives historique et idéologique que j’adopte – en replaçant d’abord certaines idées dans leur contexte d’émergence ; et en établissant ensuite leur filiation dans la conception du monde de l’altermondialisme – me permettront de mener de façon satisfaisante l’analyse que je propose.

Les limites du corpus de textes étudiés

Pour faciliter ce travail, vu la grande taille du corpus des textes associés à l’altermondialisme, je lui ai fixé une limite principale : mon analyse portera presque exclusivement sur l’altermondialisme francophone. J’étudierai surtout les associations et les acteurs français, wallons, suisses et québécois de l’altermondialisme. Je crois que le sujet de l’altermondialisme est déjà assez complexe pour qu’il soit encore indiqué de l’aborder selon toutes ses déclinaisons nationales ou continentales. Aussi, j’estime qu’à partir de mon étude, il est possible de tirer des conclusions générales sur l’altermondialisme. De façon pragmatique, cette limite permet aussi de réduire considérablement les dimensions de mon sujet. De surcroît, pour être conforme à la réalité, ce choix s’impose d’une certaine façon en raison de l’influence profonde qu’exercent les altermondialistes français et tout particulièrement Attac France au sein du FSM et sur l’idéologie à l’extérieur de l’hexagone. L’idéologie altermondialiste est en bonne partie le fruit du travail réflexif et militant mené par un certain nombre de militants français et pour la plupart membres d’Attac, comme Bernard Cassen, Gustave Massiah, Susan George, Christophe Aguiton et José Bové. Dans ce sens, mon analyse accorde une place centrale à Attac, puisque cette association, plus que toute autre, est directement liée à l’apparition, la mobilisation sur le terrain de l’action collective et la construction de la pensée altermondialiste. Comme le soutiennent Éric Agrikoliansky et ses collègues, c’est bien « l’association ATTAC, qui constitue la principale organisation altermondialiste aujourd’hui dans le monde[31] ». En raison de l’empreinte de cette organisation sur l’altermondialisme français, mais aussi à l’international, j’estime qu’il faille donc accorder une grande place aux textes d’Attac dans l’analyse que je propose. Bien entendu, je conviens qu’il serait faux de réduire le mouvement altermondialiste à ce seul acteur. Il ne suffit pour s’en convaincre que de regarder la grande hétérogénéité des participants au FSM. Toutefois, les ressources économiques et culturelles dont dispose Attac lui permettent, plus que tout autre acteur, d’imposer son discours à l’ensemble de l’altermondialisme. C’est en somme Attac qui sanctionne les idées qui sont intégrées au corps doctrinal de l’altermondialisme.

Bien entendu, d’aucuns interpréteront ce choix comme introduisant un biais analytique : le sujet premier de ma thèse ne serait alors pas l’altermondialisme, mais plutôt l’une de ses tendances. Cela est en partie vrai. Au-delà de la thèse que je défends selon laquelle l’altermondialisme constitue une idéologie essentiellement libérale, il existe bien entendu une très grande diversité dans la composition de ses militants et une multitude d’idées s’y côtoyant. Il est alors juste de parler, de manière générale, comme le fait Francis Dupuis-Déri de clivages et de divisions entre les « réformistes » et les « radicaux[32] » par exemple. Toutefois et malgré cela, ces tensions concernent essentiellement, comme je le soutiens, la façon dont les militants cherchent à articuler dans une direction précise le programme politique altermondialiste. Elles ne concernent pas la conception du monde, puisque tous y souscrivent avec assurance. Être altermondialiste signifie, en d’autres termes, s’engager pour une autre mondialisation et contre la mondialisation économique. C’est donc ce partage d’une conception du monde commune, selon laquelle la mondialisation aurait fait naître une communauté mondiale et que le jeu politique traditionnel serait devenu obsolète, qui assure une consistance idéologique à l’altermondialisme. Ainsi, est-il possible, j’estime, suivant que l’on garde à l’esprit cette réserve, de parler au singulier de l’idéologie altermondialiste et d’aborder celui-ci dans une perspective synthétique.

La composition de ce corpus

Le corpus de textes associés à l’altermondialisme est très vaste. Il serait hasardeux d’en proposer une analyse exhaustive. Recenser tous les écrits et les sites Internet associés à l’altermondialisme serait un travail colossal, qui ne permettrait pas nécessairement une meilleure compréhension de cette idéologie. Deux types de documents feront l’objet d’une analyse de contenu. L’étude d’un échantillon prélevé dans chacun de ces types permettra de tracer un tableau d’ensemble de l’altermondialisme.

Le premier type de documents assure la diffusion de l’idéologie altermondialiste. Il est composé de déclarations officielles et de textes rédigés par certains acteurs et associations clés de l’altermondialisme, au nombre desquels se trouvent : 

  • Appel de Morsang (2000)
  • Charte des principes du Forum social mondial (2001)
  • Déclaration d’un groupe d’intellectuels à Porto Alegre (2002)
  • Appel des mouvements sociaux (2002)
  • Manifeste 2002 d’Attac (2002)
  • Manifeste de Porto Alegre (2005)
  • Appel des mouvements sociaux (2005)
  • Appel de Bamako (2006)
  • Appel de l’assemblée des Mouvements sociaux (2006)
  • Le Manifeste altermondialiste d’Attac (2007)

Le second type de documents est composé de textes qui contribuent au fondement idéologique de l’altermondialisme. Ce lot est constitué de textes rédigés essentiellement par des membres d’Attac. Ces textes sont pour la plupart diffusés sur Internet et dans les publications électroniques de l’association comme dans l’infolettre « Grain de sable » (dont la fréquence de publication s’échelonne de juillet 1999 à mai 2008) et « La Lettre du Conseil scientifique » (février 2007 à avril 2010). Il regroupe aussi les principales monographies publiées par Attac, soit la série de livres parus aux Milles et une nuits dans la collection « Petits libres », ainsi que certains textes diffusés sur les sites Internet du Centre tricontinental (CETRI)[33] et du réseau d’organisations altermondialistes Alternatives international[34] par exemple.

Bien entendu, ce choix d’étudier ces trois associations est lui aussi limité si on compare à l’abondance d’associations qui militent dans l’altermondialisme. J’ai dû choisir les associations qui me semblaient plus solidement engagées dans l’altermondialisme et ainsi possiblement plus représentatives de l’ensemble. En d’autres mots, j’estime qu’Attac, le CETRI et Alternatives international sont plus spécifiquement altermondialistes que la Marche mondiale des femmes (MMF) par exemple qui s’affiche aussi altermondialiste. En effet, bien que le CETRI et Alternatives international aient été à leur origine tournées vers des thématiques tiers-mondistes, dès l’émergence de l’altermondialisme, elles ont rapidement intégré la conception du monde de cette idéologie et ont cherché à comprendre les problèmes de développement du Sud à la lumière de la mondialisation économique. En contrepartie, la lutte que mène la MMF pour l’égalité des femmes et des hommes n’est pas une problématique fondamentalement rattachée à la mondialisation économique. Cette lutte transcende d’une part historiquement l’altermondialisme, car elle existait bien avant la mondialisation économique, et l’on peut présumer qu’elle survivra bien après le déclin de l’altermondialisme et l’abandon du « consensus de Washington[35] ». D’autre part, d’un point de vue féministe, la MMF peut certes affirmer que la mondialisation économique aggrave les inégalités de sexe, toutefois, c’est bien davantage le patriarcat et non la mondialisation économique qui est à blâmer, même s’il convient d’admettre que la réorganisation de l’économie peut entraîner de nouvelles formes d’inégalités, notamment de sexe. L’« égalité dans le partage des tâches » et la nécessité de « sensibiliser la société à l’importance de démocratiser les structures familiales[36] », deux pétitions apparaissant sur la liste de revendications de la MMF, ne concernent pas par exemple la mondialisation économique. En définitive, la MMF, même si elle peut être perçue comme une « camarade de route » de l’altermondialisme, n’est pas spécifiquement altermondialiste puisque ses membres militent pour des enjeux qui ne sont pas, ou sinon auxiliairement, liés à la conception du monde altermondialiste centrée sur la mondialisation.

La démarche de recherche

Dans ma thèse, je m’oppose à trois principales idées qui s’expriment dans la littérature sur l’altermondialisme. La première, plus épistémologique, concerne la méthode générale à l’aide de laquelle les études sur l’altermondialisme ont jusqu’alors été conduites. Sommairement, je ne crois pas que la sociologie et l’histoire de l’action collective puissent réellement bien cerner la nature de l’altermondialisme et expliquer pourquoi celui-ci surgit vers la fin des années 1990. Cette difficulté tient en bonne partie à ce que ces deux disciplines omettent de prendre en compte les idées qui animent le mouvement. La seconde opposition est plus spécifiquement idéologique. Elle découle de la perception généralement admise par bon nombre de chercheurs et militants de l’altermondialisme, selon laquelle celui-ci ne serait cimenté d’aucune unité idéologique. La troisième opposition, plus générale, concerne leur ralliement à la thèse de la « faillite des idéologies », soit l’idée que les idéologies n’existent plus. Or, comme je le montrerai, on ne peut encore enterrer le cadavre des idéologies. Elles existent toujours et l’altermondialisme qui s’exprime à travers une action collective singulière nécessite l’adhésion minimale de tous les militants à une conception du monde commune et un programme politique particulier, sans quoi, il serait impossible de parler de l’altermondialisme au singulier.

Dans cette thèse, je cherche donc à résoudre à la fois un problème conceptuel – car il concerne la définition exacte de ce qu’est l’altermondialisme – et théorique – il porte sur les raisons derrière son émergence. Je ne propose donc pas d’étudier la portée sociale ou politique de l’altermondialisme, ni de mesurer le degré d’engagement individuel des militants dans l’altermondialisme, mais offre plutôt d’analyser idéologiquement ce sujet : soit ce qui compose ce que j’estime être l’« idéologie » altermondialiste ; ainsi que les conditions structurelles et idéologiques qui ont permis sa naissance.

La pertinence de la thèse et plus largement de la démarche de recherche que je propose tient à ce qu’elles permettent de mieux situer l’évolution de la composition de l’idéologique à travers le temps. Cette démarche de recherche donne lieu à des observations notamment concernant l’émergence de l’altermondialisme dans la dernière période de l’idéologique contemporain. Aussi, permet-elle plus largement, de prendre acte d’une tendance lourde prévalant partout en Occident depuis 1945 et qui s’est accélérée avec la période de la « mondialisation » : le glissement vers la droite de l’idéologique contemporain.

La démarche de recherche que je propose s’apparente à celle qu’utilisent les sociologues et politologues du vote et des élections. C’est en effet dans le but de répondre à un questionnement similaire et afin de dégager certaines tendances qui s’affirment sur la scène politique qu’ils analysent les résultats des scrutins, le profil des électeurs et les éléments clés des programmes politiques. Les questions des tendances politiques et des orientations idéologiques propres à une époque sont au centre des réflexions menées depuis le début des années 1950 par plusieurs politologues, notamment par Jean Ranger, Étienne Schweisguth, Pascal Perrineau et plus récemment par Alain Noël et Jean-Philippe Thérien[37].

Cette démarche correspond également aux grandes lignes des objectifs de recherche du Centre d’étude de la vie politique (Cevipol) de l’Université libre de Bruxelles. Son premier axe de recherche étudie les « acteurs électoraux et partisans que sont les élus, les adhérents et les militants de partis et les électeurs », mais aussi :

« les règles du jeu électoral et partisan (le système électoral) […], les processus de compétition idéologique et […] la mise à l'agenda des questions politiques (analyse des programmes, des campagnes électorales...) [38] ».

C’est un mandat similaire que s’est donné le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Celui-ci propose d’analyser :

« les grands courants politiques qui façonnent les forces et les institutions politiques, ainsi que les facteurs qui contribuent à orienter les comportements et les attitudes politiques de nos concitoyens [39] ».

La Chaire de recherche du Canada en études électorales (CRCÉÉ) de l’Université de Montréal, dirigée par André Blais, poursuit des objectifs de recherche qui sont aussi fort semblables[40].

Bien que la question idéologique ne soit pas au centre de l’analyse de ces trois groupes de recherches, elle se greffe en général comme l’une des composantes des études qu’ils proposent. Cette démarche de recherche s’oriente aussi dans la même direction des objectifs que poursuit le comité de rédaction du Journal of Political Ideologies. C’est en effet dans le but de fournir un espace « dédié à l'analyse de l'idéologie politique tant dans ses aspects théoriques et conceptuels, et en référence à la nature et aux manifestations concrètes et pratiques des idéologies[41] » que le journal est voué.

Enfin, ma démarche de recherche participe plus largement et de façon programmatique au travail de réhabilitation de la notion d’idéologie. Je cherche humblement par cette thèse, à réactualiser ce thème que les sciences sociales ont largement abandonné depuis 1980 et à ouvrir la voie à l’étude de ce que je nomme la composition de l’idéologique. Cette perspective de recherche permettra de mieux saisir la cohérence de certaines idées s’exprimant dans le domaine du militantisme social et de l’action collective. Elle devrait aussi servir au décodage de nombreuses formes contemporaines et inédites de militantisme, comme l’« hacktivisme », l’« activisme du canular » et le « pastafarisme », qui expriment, même de façon décousue et non explicite, des idées politiques originales et parfois idéologiquement cohérentes[42]. Ce travail permettra aussi de révéler la large influence qu’exerce le libéralisme, par le biais de l’altermondialisme et du néolibéralisme, sur l’idéologique contemporain.

Ma thèse s’inscrit alors dans ce programme de recherche plus large que je propose en ce qu’elle constitue en quelque sorte l’étude des mouvements s’étant opérés dans le dernier segment de l’idéologique contemporain qui s’est amorcé avec la fin de la guerre froide. Elle permet non seulement de montrer que l’altermondialisme émerge dans l’espace occupé par le libéralisme sur le clivage gauche-droite, mais aussi que la naissance de cette idéologie s’inscrit en continuité du déplacement général de la critique sociale vers la droite.

Enfin, de façon plus modeste, je cherche aussi par extension, à répondre à certaines impasses du « déterminisme matérialiste » en sciences sociales. En effet, bien qu’il soit juste de rattacher les phénomènes sociaux et politiques au domaine de la production, comme l’a brillamment montré Marx dans ses oeuvres, il faut toutefois accepter de voir derrière les idées et les idéologies, autre chose que de simples appendices aux faits matériels. Les idées et les idéologies constituent autant des moteurs de l’action collective que les conditions matérielles sont des facteurs facilitant la mobilisation. C’est à ce dessein que je livre en partie ma réflexion sur le thème de l’altermondialisme.

Le plan de travail

Afin de valider la thèse selon laquelle l’altermondialisme constitue une idéologie essentiellement libérale, qui émerge précisément dans un contexte où le libéralisme jouit d’une large influence sur l’idéologique contemporain, je conduirai mon analyse en cinq temps qui constituent autant de chapitres.

Chapitre 1 – L’altermondialisme comme sujet d’étude

Dans le premier chapitre, je ferai un survol de la production savante sur le thème de l’altermondialisme largement dominée, comme je le disais précédemment, par l’histoire et la sociologie de l’action collective. Ces chercheurs adoptent quatre principales postures épistémologiques :

1.   Ils considèrent l’altermondialisme comme un mouvement social ;
2.   Ils considèrent l’altermondialisme comme un discours ;
3.   Ils font le catalogage de l’altermondialisme ;
4.   Ils analysent l’altermondialisme à l’aide de l’observation participante.

Je présenterai d’abord chacune de ces postures et donnerai des exemples de travaux ayant eu recours à celles-ci. Ensuite, je montrerai qu'elles sont d'une faible capacité explicative et j'insisterai sur deux limites principales. La première limite tient à ce que l’étude des idées qui composent l’altermondialisme se fait dans une perspective qui réduit celle-ci à une fonction strictement utilitaire. Comment l’idée de « mondialisation » a-t-elle permis le recrutement de nouveaux militants ? voilà le type de questions que soulève cette approche. La seconde limite consiste à largement ignorer l’étude des idées dans l’analyse de l’altermondialisme. Or, pour bien saisir l’altermondialisme, il faut étudier les idées qui composent cette idéologie. Il faut comprendre les raisons pour lesquelles certaines idées ont pu se cristalliser au sein d’une nouvelle conception du monde, puis d’une idéologie. Toute l’originalité du discours altermondialiste tient à ce qu’il réussit à inscrire certaines idées dans un nouvel ensemble cohérent et que le produit de ce travail contribue à la fois au déclassement des idéologies de gauche, mais aussi au maintien de l’ordre idéologique dominant. Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les chercheurs qui étudient l’altermondialisme en tant que discours – la seconde posture épistémologique –, le succès du recrutement de nouveaux altermondialistes ne repose pas sur la désirabilité du discours altermondialiste – celui-ci offrirait une perspective de militantisme plus attrayante –, mais bien plus sur la très forte cohérence de ce discours avec les valeurs libérales que partage la société contemporaine. Bref, le succès de l’altermondialisme repose sur le fait que les idées qu’il défend sont idéologiquement proches des idées et des valeurs que partagent les citoyens des démocraties libérales. Ces quatre postures épistémologiques ne permettent donc pas de prendre conscience du caractère libéral de l’altermondialisme ni même d'expliquer pourquoi celui-ci attend la fin des années 1990 pour se manifester.

Chapitre 2 – Les fondements de l’analyse idéologique

J’expliquerai ensuite en quoi consiste l’analyse idéologique, puisque c’est la perspective épistémologique que j’entends utiliser pour valider ma thèse. En gros, l’analyse idéologique permet d’identifier la nature idéologique de toute action collective et de tous mouvements de pensée. Cette analyse est composée de trois volets. Un premier volet sert à identifier les idées maîtresses qui composent la conception du monde et le programme politique d’une idéologie. Un second volet consiste à déterminer, au sein d’une époque, les conditions idéologiques et structurelles qui permirent le façonnement d’une nouvelle conception du monde, puis son corollaire, l’apparition d’une nouvelle idéologie. Un troisième volet permet de situer cette nouvelle idéologie par rapport aux autres idéologies et sur le clivage gauche-droite. Puisque le paradigme de l’analyse idéologique est novateur, pour bien illustrer son fonctionnement, j’étudierai de manière succinte l’exemple de l’émergence du « gauchisme[43] » autour des événements de mai 1968 en France. La pression démographique de la génération d’après-guerre, les difficultés sociales auxquelles la jeunesse se trouve confrontée, la crise au sein du communisme international suivant le XXe congrès du Parti communiste d’Union soviétique de 1956 ainsi que l’écrasement par les chars soviétiques du soulèvement hongrois de la même année, constituent les conditions structurelles et conditions idéologiques qui ont permis la naissance d’une nouvelle conception du monde et, par conséquent, du « gauchisme » comme nouvelle idéologie. Je montrerai comment la naissance du « gauchisme » tient à des conditions structurelles et idéologiques que seule réunissait l’époque spécifique qui l’a vue naître.

Dans ce chapitre, je présenterai également les notions clés qui accompagnent le paradigme de l’analyse idéologique. Je présenterai dans l’ordre :

  • L’idéologie
  • L’idéologique
  • La composition de l’idéologique
  • Un tournant
  • Les conditions structurelles
  • Les conditions idéologiques
  • La critique sociale
  • Le centre de gravité de la critique sociale

Afin de mieux expliquer ce qui constitue la composition de l’idéologique, je montrerai sommairement les mouvements qui touchent chacune des périodes qui composent l’idéologique de 1945 à 2010, soit les périodes de :

  • 1945 à 1956
  • 1957 à 1968
  • 1969 à 1979
  • 1980 à 1989
  • 1990 à 1998
  • 1999 à 2010

Pour mieux expliquer ce que représente visuellement la composition de l’idéologique, je reproduis en annexe, le tableau 2 « Composition de l’idéologique de 1945 à 2010 ». Celui-ci permet de mettre en perspective l’idéologique en question afin de mieux exposer une double tendance[44]. La première concerne la réduction de l’influence des idéologies de gauche dans la composition de l’idéologique au cours de toute la période. La seconde tendance, qui tire largement ses racines de ce dernier mouvement, confirme l’influence croissante du libéralisme sur l’idéologique contemporain.

Chapitre 3 – L’idéologie altermondialiste

Le troisième chapitre sera consacré à la première partie de l’analyse idéologique de l’altermondialisme. Dans celui-ci, je présenterai ce qu’est l’idéologie altermondialiste. Je montrerai d’abord comment l’altermondialisme est une idéologie i) qui défend une conception du monde cohérente et ii) qui débouche sur un programme politique autonome.

La conception du monde altermondialiste

L’altermondialisme soutient comme première idée maîtresse que le « monde », c’est‑à‑dire l’ensemble des habitants de la planète, constitue une seule et même communauté. Puisque la mondialisation abolirait les frontières, elle toucherait donc indistinctement tous les habitants de la planète. C’est ainsi par le partage de cette condition commune que le monde aurait développé un sens d’appartenance collectif sur lequel se serait greffé un fort sentiment de solidarité. Le monde ferait désormais sienne l’image du « village global ». L’altermondialisme adhère en d’autres termes à un idéal cosmopolite. Cette idée maîtresse est l’élément central de sa conception du monde. Cette représentation du monde conduit logiquement l’altermondialisme à déclasser les sujets collectifs sur lesquels s’étaient jusqu’alors construites les communautés politiques, soit les classes sociales et les nations.

L’altermondialisme défend comme seconde idée maîtresse que la politique traditionnelle des partis est obsolète. À l’ère de la mondialisation, les partis politiques seraient désormais moins libres de leurs actions et auraient une moins grande prise sur la réalité. Deux principaux facteurs contribueraient à cette situation. D’abord, la mondialisation économique renforcerait le pouvoir des acteurs économiques au détriment des acteurs politiques. Ensuite, nonobstant la mondialisation économique, la politique traditionnelle serait également frappée d’une crise de légitimité sans précédent ce qui, selon l’altermondialisme, contribuerait à alimenter son impuissance.

Le programme politique alternatif de l’altermondialiste

À cette conception du monde correspond un programme politique alternatif : le « citoyennisme ». Pour l’altermondialisme, le citoyen constitue le pivot de tout ce programme par lequel il est appelé à se mobiliser, mais sur une base strictement volontaire et individuelle. Le programme citoyenniste se donne pour objectif de rééquilibrer la distribution du pouvoir politique et économique entre les citoyens, les États et le capital au profit des premiers. Par ce rééquilibrage, l’altermondialisme est convaincu qu’il serait possible de résoudre les injustices causées par la mondialisation économique. Le citoyennisme serait ainsi le seul programme politique capable de faire triompher une mondialisation « à finalité humaine[45] ».

Le citoyennisme s’articule autour de quatre principaux axes. Premièrement, il refuse le jeu de la politique traditionnelle des partis. L’altermondialisme refuse de prendre une part active dans le jeu de la politique traditionnelle. Ce refus ne désigne toutefois pas que ses militants croient que la politique n’existe plus. Simplement, pour les raisons qui se rapportent à la conception du monde que les altermondialistes partagent, il fonde peu d’espoir de trouver sur cette scène les ressorts nécessaires à la construction d’une autre mondialisation. Ainsi, l’altermondialisme refuse d’appuyer les partis politiques, il n’endosse aucune candidature aux élections et surtout, il tourne, dès ses débuts, le dos à l’idée de former un parti politique altermondialiste. « ATTAC n’est pas un parti politique et ne le sera pas[46] », voilà la façon dont Jean-Marie Harribey, coprésident d’Attac France, résume cette position. Bien entendu, des militants altermondialistes comme José Bové, Françoise David, Amir Kadir ou encore Hugo Chavez ont certes remis en question cette position en prenant une part active à la politique traditionnelle. Toutefois, comme je l’expliquerai au chapitre 3, dans la vaste majorité des cas, les altermondialistes acceptent de ne pas participer à la politique, puisque cela est parfaitement conforme à la conception du monde à laquelle ils adhèrent.

Deuxièmement, le citoyennisme vise à renforcer la démocratie et lutter pour les droits humains. Par le citoyennisme, l’altermondialisme cherche à mettre en œuvre une démocratie qui ne s’inscrit pas dans le cadre de la politique traditionnelle des partis ; une démocratie plus profonde, qui transcenderait la politique traditionnelle. Il soutient aussi que la construction d’une mondialisation plus humaine – parce que plus respectueuse des droits de tous et de la diversité en général – serait inséparable d’un renforcement de la démocratie à tous les échelons et d’une meilleure protection des droits humains.

Troisièmement, il fonde également le citoyennisme sur l’éducation populaire des citoyens. C’est par le transfert de connaissance que les citoyens prendraient réellement conscience des méfaits qu’entraîne la mondialisation économique. L’éducation populaire serait alors non seulement une condition nécessaire pour leur engagement au sein de l’altermondialisme, mais aussi la condition pour qu’ils puissent participer à jeter les bases de la mondialisation à venir. C’est d’ailleurs dans cet esprit, que dès ses origines, Attac s’est donné comme mandat premier d’agir comme « association d’éducation populaire tournée vers l’action[47] ».

Quatrièmement, il soutient que la lutte contre la mondialisation économique doit reposer sur le réseautage et la transnationalisation. Au-delà des nations et des frontières, toutes les organisations et les citoyens engagés dans une autre mondialisation devraient unir leurs efforts dans une lutte commune où le monde serait la scène de l’action d’un activisme citoyen altermondialiste. Étendre les maillages du réseau militant de l’altermondialisme tient alors lieu de nouvel impératif de lutte contre la mondialisation économique.

Chapitre 4 – Les origines de l’altermondialisme

Une fois que j’aurai bien défini l’idéologie altermondialiste, j’entamerai le second volet de l’analyse idéologique de l’altermondialisme et j'étudierai les conditions idéologiques et conditions structurelles qui ont permis sa naissance. J’expliquerai également comment cette nouvelle idéologie constitue un tournant dans la composition de l’idéologique contemporain[48].

La principale condition idéologique d’où jaillit l’idéologie altermondialiste est sans contredit la fin de la guerre froide. D’une part, la chute du mur de Berlin (1989), la fin du régime soviétique (1991) et surtout l’échec du « socialisme réellement existant » lézardent les charpentes mêmes de la conception du monde de la gauche. Le programme politique marxiste-léniniste avait peut-être fourni la preuve historique de son échec, mais c’est en fait, plus profondément, la certitude des idées maîtresses de toute la gauche qui s’en trouve ébranlée. L’altermondialisme émerge quelques années après le choc de cette période. Il permet de consolider, en faisant graviter autour de la notion de mondialisation, une nouvelle conception du monde qui incline à gauche. Nombreux sont les militants de gauche, victimes du « passé de leur illusion[49] » à chercher une nouvelle plateforme d’action et à adhérer à l’altermondialisme. Souffrant d’une « perte du sens critique[50] » – étant incapable de développer une critique claire et actuelle des mécanismes assurant le développement et maintien du nouvel ordre économique – l’altermondialisme offre à ces militants une forme originale d’engagement et dans ce sens il ouvre des perspectives à l’action militante fort en déclin. L’altermondialisme permettrait également de donner une seconde vie à certaines thématiques contestataires qui avaient cheminé en marge de l’orthodoxie de gauche tout au long de la période durant laquelle celle-ci exerçait une influence (démocratie participative, tiers-mondisme, annulation de la dette des pays les plus pauvres et la taxation financière, etc.). La forte dimension axiologique de l’altermondialisme qui s’inscrit en quelque sorte en « continuité de la préoccupation de la gauche traditionnelle » facilite aussi le recrutement d’« anciens » militants de gauche[51].

D’autre part, les événements de la période de 1989-1991 permettent au libéralisme d’élargir son influence et de renforcer sa position sur l’idéologique contemporain[52]. En réaction du succès du programme politique néolibéral, l’altermondialisme gagne aussi des militants. La naissance de l’altermondialisme et l’expansion du néolibéralisme contribuent donc à assurer le triomphe du libéralisme.

Internet constitue la principale condition structurelle d’émergence de l’altermondialisme. Internet occupe en effet un rôle déterminant dans l’apparition de cette idéologie puisqu’il sert de support matériel à la mondialisation comme conception du monde. Il permet, par le moyen de la virtualité, de donner corps à l’idée que le globe n’a pas de frontières et que nous tous sommes citoyens du monde. Ainsi, l’altermondialisme est l’un des corollaires logiques d’Internet qui occupe, en quelque sorte, selon la thèse développée par Benedict Anderson, la même fonction que la croissance du nombre de livres et de la presse populaire, ainsi que le développement technique de l'impression dans son ensemble dans l’affirmation politique du nationalisme vers la fin du XIXe siècle[53]. La crise environnementale et les attentats du 11 septembre 2001 ont aussi contribué à façonner cette conception du monde. Toutefois, c’est bien Internet qui agit comme la causa causans de l’altermondialisme par les fantasmes qu’il cultive chez les militants, notamment celui selon lequel le fait de clavarder et d’échanger des courriels à travers la planète entraînerait nécessairement l’émergence d’une nouvelle communauté mondiale. Sans le support formidable d’Internet, ni les critiques, ni les promoteurs de la mondialisation économique n’auraient pu souscrire à l’idée que la mondialisation constituait une nouvelle conception du monde.

Chapitre 5 – L’altermondialisme dans l’idéologique contemporain

Le dernier chapitre sera consacré aux derniers volets de l’analyse idéologique et permettra de répondre à la troisième question de recherche : où se situe l’altermondialisme par rapport aux autres idéologies ? Pour cela, je conduirai une réflexion en trois temps. Dans un premier temps, je vais circonscrire l’espace qu’occupe l’altermondialisme sur l’idéologique contemporain. Dans un deuxième temps, je vais situer l’altermondialisme par rapport à la gauche. Je vais montrer que l’altermondialisme n’est pas de gauche, car contrairement à cette famille idéologique, il n’est pas anticapitaliste. Alors qu’il concentre en lui la critique sociale du pouvoir établi, reprenant en cela la fonction historique de la gauche depuis sa naissance, il n’appartient toutefois pas à cette famille idéologique. La conception du monde et le programme politique altermondialistes ne proposent en effet aucune rupture avec le capitalisme. En fait, tout au plus, ses militants se montrent-ils largement ambivalents à l’égard de ce système économique, sinon, l’acceptent-ils avec résignation. Pour m’aider dans ce travail, je ferai intervenir une partie de la critique de gauche de l’altermondialisme. Cette critique permet d’apprécier, à partir de positions qui s’affirment à l’intérieur même du champ de la gauche, la proximité idéologique de l’altermondialisme et du pouvoir établi, car en substance cette hypothèse constitue le fil rouge de toute la critique de gauche de l’altermondialisme. Du point de vue de la gauche et de l’extrême gauche, la proximité de la position qu’occupent plus au centre l’altermondialisme et le libéralisme semble en effet encore plus manifeste. Dans la troisième étape, je vais montrer que l’altermondialisme appartient à la large famille idéologique du libéralisme. Pour révéler la nature libérale de l’altermondialisme, je vais procéder à une analyse comparative. Je vais montrer que l’altermondialisme partage avec le libéralisme, considéré à la fois comme une idéologie et l’idéologie qui détient le pouvoir politique à présent, trois principaux traits. Il possède certaines caractéristiques idéologiques du libéralisme et s’accommode parfaitement de l’ordre idéologique contemporain. Ainsi, je montrerai qu’il :

  • est individualiste comme le libéralisme ;
  • fait preuve d’une grande modération à l’endroit du pouvoir établi ;
  • est possible d’observer cette modération à travers son refus d’entrer en politique.

J’expliquerai enfin comment par exemple la conception du monde « mondialiste » et le réseautage constituent une sorte de repli individualiste, et que l’exigence du plein respect des droits humains les plus élémentaires peut, certes, être une demande pressante, mais celle-ci n’ébranle pas les fondements de l’ordre idéologique dominant. C’est donc par ce travail de recoupage que je propose de terminer ma démonstration.

Conclusion

Pour conclure, je résumerai les principaux arguments mis de l’avant pour répondre à la problématique de ma thèse. En somme, je propose de faire dans cette thèse l’analyse idéologique de l’altermondialisme afin de montrer comment l’émergence de cette idéologie coïncide avec la recomposition de l’idéologique contemporain ayant permis au libéralisme de coiffer tous ses adversaires idéologiques. Pour cela, il se sert du pivot de la mondialisation comme principale stratégie concurrentielle, stratégie qui contribue, à partir des années 1980, à l’affirmation du néolibéralisme et vers la fin des années 1990, à l’émergence de l’altermondialisme. À la toute fin, j’insisterai sur les effets importants qu’entraîne la thèse de la faillite des idéologies sur les militants et les chercheurs de l’altermondialisme.



[1] Les trois premières éditions du FSM ont lieu à Porto Alegre (Brésil). L’édition 2004 a lieu à Mumbai (Inde) et accueille 80 000 participants ; l’édition 2005 est de retour à Porto Alegre et accueille 155 000 participants ; l’édition polycentriste 2006 à lieu à Caracas (Venezuela), à Bamako (Mali) et à Karachi (Pakinstan), accueillent respectivement 100 000, 5000 et 35 000 participants. Ils sont 66 000 à prendre part à l’édition 2007 qui a lieu à Nairobi (Kenya). En 2008, le FSM a pris une pause. En 2009, il a eu lieu à Belem (Brésil) et accueille 133 000 militants. Enfin, l’édition 2010 ne s’est pas tenue à un seul endroit, mais a été organisée l’année durant à travers la planète dans le cadre d’initiatives locales. cf. le site du FSM : http://www.forumsocialmundial.org.br/.

[2] L’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac) (anciennement : Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens) est née à Paris en juin 1998. Elle est la principale association altermondialiste en France et dans le monde où elle possède des chapitres dans 24 pays, dont la Belgique (Wallonie-Bruxelles), la Suisse, le Québec et l’Allemagne. À la fin 2000, après seulement un an et demi d’existence, Attac France accueille déjà près de 25 000 adhérents. cf. Attac France, 2000, « Rapport financier 2000 » [http://www.france.attac.org/spip.php?article430]. Pour un bon survol de l’histoire d’Attac, cf. Raphaël Wintrebert, « Attac France et le mouvement altermondialiste », Courrier hebdomadaire, nº 1978-1979, 2007, p. 5-62.

[3] Il est très difficile d’évaluer le nombre de sites Internet que l’on pourrait associer à l’altermondialisme, car comme mouvement celui-ci est mondial et un même site peut à la fois, en raison de sa nature et de la grande labilité des idéologies, promouvoir plus d’une idéologie. Ainsi, outre le site d’Attac que je viens de mentionner, celui du FSM est une bonne ressource webographique.

[4] J’utilise le terme « mondialisation économique » pour désigner sommairement les transformations de l’économie mondiale à partir des années 1980. Le terme « mondialisation » désigne quant à lui, dans la pensée de l’altermondialisme, un phénomène historique sur le long terme à travers lequel les cultures des peuples se rapprochent. Le premier phénomène est plus précisément une politique économique d’ouverture des marchés alors que le second est le produit de plusieurs contingences qui ne sont pas toutes attribuables à la volonté explicite de l’homme. Je reviendrai au second chapitre sur les implications qu’entraîne cette distinction, notamment dans la pensée altermondialiste.

[5] La taxe Tobin tire son nom de l’économiste étatsunien James Tobin qui propose en 1978 de mettre en place une taxe sur les transactions financières afin de réduire la spéculation financière et monétaire. Dans une entrevue à Der Spiegel, Tobin soutient toutefois qu’il n’accorde pas son appui à la mise en place d’une taxe portant son nom puisqu’il n’est pas d’accord avec les réformes plus larges que propose Attac à travers l’emploi de ce nouveau régime international de taxation. cf. Christian Von Reiermann et Michaela Schießl, « Die missbrauchen meinen Namen », Der Spiegel, nº 36, 3 septembre 2001, p. 122-125.

[6] Certains auteurs et militants utilisent d’ailleurs l’expression « mondialisation néolibérale » plutôt que « mondialisation économique » afin de rendre encore plus explicite le lien entre cette politique et cette idéologie. cf. par exemple Dominique Plihon : « L’altermondialisme est, en premier lieu, une démarche intellectuelle et politique fondée sur la critique de la mondialisation néolibérale » (p. 31). Dominique Plihon, « L’altermondialisme, version moderne de l’anticapitalisme ? », Actuel Marx, vol. 2, nº 44, 2008, p. 31-40. Les auteurs de l’ouvrage Le G8 est illégitime utilisent, eux aussi, la même expression. Gérard Duménil et coll. (coord.), Le G8 est illégitime, Paris, Éditions Mille et une nuits, coll. « Les petits libres », 2003, p. 23.

[7] Cette façon de lier le néolibéralisme aux transformations récentes de l’économie mondiale et surtout le processus de libéralisation des marchés qui s’accentue à partir des années 1980 est toutefois sujette à caution. Le néolibéralisme n’est pas à proprement parler une idéologie, mais plutôt une doctrine économique qui se greffe sur le libertarianisme et qui met l’accent sur le laissez-faire économique. Il émerge au milieu du XXe siècle comme opposition à la variante dominante du libéralisme, c’est-à-dire la sociale démocratie. L’opposition du néolibéralisme à ce qu’il considère être le « faux » libéralisme tient à ce que ce dernier serait selon lui une menace à la liberté individuelle, à la démocratie et au bon déroulement du marché parce qu’il affiche un trop grand optimisme pour la planification et accorde à l’État un trop grand rôle social. Le néolibéralisme prend ainsi parti pour l’organisation de la société selon l’« état de nature ». Bien entendu, même si les similarités entre les politiques de libéralisation de l’économie et le programme politique de la Société du Mont‑Pellerin que crée les premiers penseurs du néolibéralisme à la sortie de la Seconde Guerre mondiale suggèrent un fort lien de filiation, on ne saurait en déduire que ceux qui font la promotion de la libéralisation des échanges sont tous des néolibéraux. Certes, il est vrai que les politiques économiques qu’adoptent la plupart des pays à partir des années 1990 s’orientent vers le laissez-faire, toutefois, comme le souligne Francis Dupuis-Déri, il serait toutefois plus juste de parler de « “pseudolibéralisme” pour désigner le système économique réel puisque la mondialisation est loin d’être complétée sous la forme d’un libre marché unique et unifié, tant dans les pays eux-mêmes que sur la scène internationale » (p. 19). Néanmoins, dans le but de simplifier l’argument que je développe, j’emploierai le terme néolibéralisme dans son sens le plus large qui désigne, comme dans la littérature sur l’altermondialisme, soit la doctrine économique aux fondements de la réorganisation récente du capitalisme qui prend la forme de mondialisation économique. J’ajouterais, enfin, que, sur le plan idéologique, le néolibéralisme se situe plus précisément au sein de l’idéologie libertarienne et en cela, il se situe à droite du libéralisme sur le clivage gauche-droite. cf. Maurice Lagueux, « Qu’est-ce que le néo-libéralisme ? », Les cahiers virtuels, Montréal, Université de Montréal, Département de philosophie, 2004  [http://www.philo.umontreal.ca/documents/cahiers/Lagueux_neoliberalisme.pdf]. Francis Dupuis‑Déri, L’Altermondialisme, Montréal, Boréal, coll. « Boréal Express », 2009.

[8] Jean-Marie Harribey, « Glossaire autour de l’accumulation, du développement, de la croissance, de la décroissance… », Université d’été d’Attac 2004 à Arles, 31 août 2004 [LIEN] p. 13-14.

[9] Zaki Laïdi, « La fin du moment démocratique ? », Le Débat, mai-avril 2008, p. 53.

[10] Francis Fukuyama, « The End of History », The National Interest, été 1989. Trois ans plus tard, il publie un livre dans lequel il poursuit sa réflexion entamée dans cet article. Dans cet ouvrage, il oriente plus précisément autour de l’idée que l’histoire de l’homme aurait un sens et que celui-ci « qui finira par conduire la plus grande partie de l’humanité vers la démocratie libérale » (p. 13) Francis Fukuyama, La fin de l’histoire et du dernier homme, Paris, Flammarion, 1992.

[11] Daniel Bell, La fin des idéologies. Sur l’épuisement des idées politiques dans les années 1950, Paris, Presses universitaires de France, 1960.

[12] L’impression chez les chercheurs que l’altermondialisme appartient à la gauche est bien entendu aussi renforcée par le fait que les militants s’affichent eux-mêmes, comme le soutient Donatella Della Porta, majoritairement à gauche. Donatella Della Porta, « Multiple belongings, tolerant identities and the construction of “another politics”: Between the European Social Forum and the local socialFora », dans Donatella Della Porta et Sidney Tarrow (dir.). Transnational Protest and Global Activism, Lanham, Rowman and Littlefield, 2004, p. 175-202. Boris Gobille soutient aussi cette idée dans une étude dans laquelle il analyse les participants au Forum social européen (FSE) de 2003. cf. Boris Gobille, « Les altermondialistes : des activistes transnationaux ? », Critique internationale, vol. 27, avril-juin 2005, p. 141. Je discuterai plus en détail cette question au chapitre 5 lorsque je présenterai la position qu’occupe l’altermondialisme sur l’idéologique contemporain. Aussi, la gauche se démarque en effet de la droite par la position critique qu’elle adopte historiquement à l’endroit de l’ordre établi. cf. Danic Parenteau et Ian Parenteau, Les idéologies politiques. Le clivage gauche-droite, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2008, p. 23-28.

[13] Pierre Chailan, L'altermondialisme est un communisme, Paris, Bérénice, 2006.

[14] Serge Champeau, « L’idéologie altermondialiste », Commentaire, nº 107, automne 2004, p. 702.

[15] Suivant la belle formule d’Eric J. Hobsbawm dans son livre sur l’histoire politique du vingtième siècle : L’Âge des extrêmes. Le court vingtième siècle : 1914-1991, Paris, Complexe, 1999.

[16] François Polet reprend cette citation de l’ouvrage collectif dirigé par Chiara Bonfiglioli et Sébastien Budgen. cf. François Polet, « Grille de lecture multiple chez les alters », Politique. Revue de débats, hors série nº 7, octobre 2007, p. 51 ; et Chiara Bonfiglioli et Sébastien Budgen (dir.), La Planète altermondialiste. Guide critique de la pensée de…, Paris, Textuel, 2006.

[17] Dominique Plihon, « L’altermondialiste, version moderne de l’anticapitalisme ? », Actuel Marx, vol. 2, nº 44, 2008, p. 31.

[18] Ibid., p. 32.

[19] Sophie Heine, « Quels principes communs pour une idéologie altermondialiste ? », Centre Tricontinental, 19 février 2009 [http://www.cetri.be/spip.php?article1066].

[20] Eddy Fougier, L’altermondialisme, Paris, Le Cavalier bleu, coll. « Idées reçues », 2008, p. 20. Aussi, il ne faut d’ailleurs pas se surprendre de constater que c’est également de cette façon que les partisans du « néolibéralisme » présentent ceux qui critiquent le programme politique qu’ils proposent, notamment les altermondialistes. Ces derniers seraient, selon ses adverses, incapables d’offrir une alternative cohérente en raison de la trop grande diversité idéologique de ses militants. cf. Eric Helleiner, « Economic Liberalism and Its Critics: The past as Prologue? », Review of International Political Economy, vol. 10, nº 4, novembre 2003, p. 686.

[21] Pierre Kalfha parle par exemple des « ruptures décisives qu'il [aurait] accomplies avec le mouvement d'émancipation qui l'a immédiatement précédé, le mouvement ouvrier. » Pierre Khalfa, « Le mouvement altermondialiste, nouveau mouvement d'émancipation », Attac France, mai 2004 [http://www.france.attac.org/spip.php?article2898].

[22] Les principaux acteurs de l’altermondialisme refusent toute appartenance à une idéologie, même si d’un point de vue individuel, certains militants réclament, comme je le disais précédemment, un rattachement à la gauche sur lequel je reviendrai.

[23] C’est le cas notamment de Éric Agrikoliansky, Olivier Fillieule et Nonna Mayer qui affirment, dans le chapitre d’introduction à leur ouvrage sur l’histoire de l’altermondialisme en France que celui-ci « ne surgit pas de rien […]. Il représente au contraire le fruit d’une série d’évolutions et de transformations dont cet ouvrage retrace précisément les séquences » (p. 27). « Introduction : Aux origines de l’altermondialisme français », dans Éric Agrikoliansky, Olivier Fillieule et Nonna Mayer (dir.), L'altermondialisme en France. La longue histoire d'une nouvelle cause, Paris, Flammarion, 2005, p. 13-42.

[24] Les trois plus importants ouvrages sur l’altermondialisme français et européen sont les suivants : Éric Agrikoliansky, Olivier Fillieule et Nonna Mayer (dir.), L'altermondialisme en France. La longue histoire d'une nouvelle cause, Paris, Flammarion, 2005 ; Éric Agrikoliansky et Isabelle Sommier (dir.), Radiographie du mouvement altermondialiste. Le second Forum social européen, Paris, La dispute/SNÉDIT, 2005 ; et Isabelle Sommier, Olivier Fillieule et Éric Agrikoliansky (dir.), Généalogie des mouvements altermondialistes en Europe. Une perspective comparée, Paris, Karthala ; Aix-en-Provence, IEP, 2008. Ceux-ci utilisent l’approche sociohistorique. Dans L'altermondialisme en France, les auteurs proposent de répondre à la « question des voies par lesquelles, dans chaque pays, ont émergé les thématiques altermondialistes, des porte-parole qu’elles ont suscités, des contextes qui les ont favorisés. » (p. 11) Dans Radiographie du mouvement altermondialiste, les auteurs proposent notamment de « considérer l’altermondialisme à travers l’histoire de ses ancrages nationaux. » (p. 10) Enfin, dans Généalogie des mouvements altermondialistes en Europe, les auteurs proposent entre autres de « rendre compte de l’émergence et du développement, ici et là, de luttes organisées contre les méfaits de la mondialisation ». (p. 14)

[25] Dominique Caouette, « Mondialisation et altermondialisation : dialectique ou dialogue ? », dans La politique en questions, Les professeurs du département de science politique, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2008, p. 240.

[26] Comme je le préciserai plus bas, l’« idéologie » altermondialiste constitue en fait plus précisément une « variante » de l’idéologie dominante. Ainsi, lorsque je désigne l’altermondialisme comme étant une idéologie, fault-il garder à l’esprit cette nuance.

[27] cf. Ariane Jossin, « Traversées altermondialistes : trajectoires de jeunes militants français et allemands », dans Généalogie des mouvements altermondialistes en Europe, p. 207-228 ; ou encore, Marco Giugni, Marko Bandler et Nina Eggert, « Contraintes nationales et changement d’échelle dans l’activisme transnational », Lien social et Politiques, nº 58, 2007, p. 41-55.

[28] L’idéologique, soit le substantif masculin, est le domaine des idées et de la politique dans lequel les idéologies exercent une influence relative. Je décrirai cette notion avec plus de précision au chapitre 2.

[29] La notion de centre de gravité de la critique sociale désigne la coordonnée qu’occupe la critique sociale sur l’idéologique d’une époque. La critique sociale concerne essentiellement la répartition du pouvoir dans la société et vise, par conséquent, le pouvoir établi. Je définirai plus en détail cette notion au chapitre 2.

[30] Bernard Cassen et Gustave Massiah (dir.), Pauvreté et inégalités, ces créatures du néolibéralisme, Paris, Éditions Mille et une nuits, coll. « Les petits libres », 2006.

[31] Éric Agrikoliansky, Olivier Fillieule et Nonna Mayer, « Introduction : Aux origines de l’altermondialisme français », dans L'altermondialisme en France. La longue histoire d'une nouvelle cause, Paris, Flammarion, 2005, p. 13.

[32] Francis Dupuis-Déri, L’Altermondialisme, Montréal, Boréal, coll. « Boréal Express », 2009, p. 56-61.

[33] Le Centre tricontinental (CETRI) est une organisation non gouvernementale qui agit comme centre d’information sur les thématiques tiers-mondiste. Il est fondé en 1976 et est basé à Louvain-la-Neuve en Belgique. Son site Internet : [LIEN].

[34] Alternatives international est un regroupement d’associations françaises, québécoises, africaines et sud-américaines altermondialistes. Son site Internet : http://www.alterinter.org/.

[35] Le « consensus de Washington » désigne le programme économique en dix points que résume l’économiste étasunien John Williamson en 1989 et qui correspondra largement aux politiques économiques associées à la mondialisation économique.

[36] Marche mondiale des femmes, « Revendications de la Marche mondiale des femmes, adoptées en 1998 et revues en 2001 », Marche mondiale des femmes, 13 janvier 2006 [http://www.marchemondialedesfemmes.org/revendications/].

[37] François Goguel, « Structure sociale et opinions politiques à Paris d'après les élections du 17 juin 1951 », Revue française de science politique, vol. 1, nº 3, 1951. p. 326-333 ; Tomas Amadeo Vasconi et Marco Aurelio Garcia de Almeida, « Le développement des idéologies dominantes en Amérique latine », Tiers-Monde, vol. 15, nº 57, 1974, p. 171-188 ; Jean Ranger et Jérôme Jaffré, « Les structures électorales de la gauche : élections présidentielles et élections législatives, 1965-1974 », Revue française de science politique, vol. 24, nº 6, 1974, p. 1149-1172 ; Jean Ranger, « Droite et gauche dans les élections à Paris : le partage d'un territoire », Revue française de science politique, vol. 27, nº 6, 1977, p. 789-819 ; Jérôme Jaffre et Jean-Luc Parodi, « La poussée et le reflux de la gauche (1973-1978) », Revue française de science politique, nº 6, 1978, p. 1006-1017 ; Jean Ranger, « Le déclin du Parti communiste français », Revue française de science politique, vol. 36, nº 1, 1986, p. 46-63 ; Théodore J. Lowi, « Avant le conservatisme et au-delà. Les idéologies et la vie politique américaine dans les années 1990 », Revue française de science politique, vol. 40, nº 5, 1990, p. 669-698 ; Etienne Schweisguth, « Quelle gauche et quelle droite pour la campagne de 2007 ? », CEVIPOF, 2007 ; Pascal  Perrineau (dir.), Atlas électoral 2007, Paris, Presses de Sciences Po, 2007 ; Alain Noël et Jean-Philippe Thérien, La gauche et la droite : un débat sans frontières, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 2010.

[38] « Priorités de recherche du Cevipol », Centre d’études de la vie politique [LIEN]

[39] « Présentation », Centre de recherche politique de Science Po [LIEN].

[40] Le site de la CRCÉÉ : http://www.crcee.umontreal.ca/index.html.

[41] Ma traduction. « Aims & Scope », Journal of Political Ideologies [LIEN].

[42] L’hacktivisme désigne sommairement le piratage informatique. Le Chaos Computer Club est parmi les acteurs qui utilisent cette forme de militantisme. L’activisme de canular milite en émettant de fausses nouvelles et en faisant des facéties. Le groupe les Yes Men (theyesmen.org) est l’un des acteurs qui utilisent cette forme de militantisme. Le pastafarisme désigne, au sens strict, les adeptes du Monstre en Spaghettis volant (www.venganza.org). Ils militent par l’absurde contre certains dogmes religieux.

[43] J’emploie le terme « gauchisme » pour désigner la variante idéologique qui s’affirme surtout chez les principaux acteurs des événements qui surviennent en France durant la période qui va du 22 mars au 31 mai 1968. La presse de l’époque utilise en général ce terme, dont elle encadre de guillemets. Bien entendu, l’utilisation de cette notion n’est pas totalement conforme à son emploi par certains auteurs parmi lesquels Lénine lorsqu’il forge ce concept dans son ouvrage de 1920 : la Maladie infantile du communisme (le « gauchisme »). Le « gauchisme » de 1968 n’est certes alors pas identique à celui que fustige le leader de la Révolution d’octobre. J’emploie plutôt ce terme dans un sens genus proximum. Ainsi, je crois qu’il est alors exact d’en faire usage selon le sens général qu’il a pris pour désigner la pensée de 68.

[44] L’idéologique auquel je fais référence concerne exclusivement le monde occidental, en premier lieu l’Europe de l’Ouest, où s’exprime une grande pluralité d’idéologies, pour des raisons qui sont liées à l’histoire, mais aussi aux structures politiques, notamment le fait des élections au scrutin proportionnel. Elle se rapporte aussi, dans une moindre mesure aux États-Unis, au Canada et au Québec. Également, comme c’est dans cet espace géoculturel que s’exprime d’abord et surtout l’altermondialisme, je crois qu’il est important à ce stade d’y concentrer l’ensemble de mon analyse.

[45] C’est dans ces termes qu’Attac-Belgique décrit l’objectif que poursuit l’association. cf. Bruno Jetlin et coll., ATTAC. Pour une mondialisation à finalité humaine, Paris et Bruxelles Éditions Syllepse et Éditions Vista, 2002.

[46] Jean-Marie Harribey, « Divagation théorique, Digression politique, Débridage du neurone. Éléments d’analyse du mouvement anti/alter-mondialiste », 22 novembre 2003 [LIEN].

[47] Attac France, « Attac » [LIEN].

[48] Les tournants ou watershed events, pour reprendre l’expression de Immanuel Wallerstein, constituent des événements charnières qui entraînent la recomposition de l’idéologique. Immanuel Wallerstein, « 1968, Revolution in the World-system. Theses and queries »,  Theory and Society, vol. 18, 1989, p. 431.

[49] Le passé d’une illusion constitue la thèse polémique que défend François Furet pour décrire le fonctionnement du « mirage communiste » qui s’est évanoui avec la fin de la guerre froide et de l’URSS. François Furet, Le Passé d’une illusion, Paris, Laffont/Calmann-Lévy, 1995.

[50] Jean-Pierre Le Goff, La barbarie douce. La modernisation aveugle des entreprises et de l’école, Paris, La Découverte, coll. « Sur le vif », 2003, p. 88.

[51] Roland Hureaux, « Les trois âges de la gauche », Le Débat, nº 103, 1999, p. 31.

[52] L’altermondialisme coïnciderait, en quelque sorte, avec ce que souhaitent certains penseurs socialistes, notamment Daniel Innerarity, soit de situer précisément l’avenir du socialisme dans le libéralisme puisqu’il serait nécessaire d’une part de se donner un « espace plus ample de liberté pour la gestion autonome de sa propre vie » et que pour cela, d’autre part, il faudrait que la gauche se défasse « de sa tendance à l’étatisation » (p. 19.) cf. Daniel Innerarity, « L’avenir libéral du socialisme », Raison publique, nº 4, mai 2006, p. 19-20.

[53] Benedict Anderson dans Imagined Communities: Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, Londres, Verso, 1991 [1983].



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 16 février 2017 16:07
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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