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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Le Devoir, Montréal, édition du mercredi, 28 août 2007, page A7- idées.

Danic Parenteau

Professeur adjoint à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa 

“Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles.

Pourquoi un tel débat au Québec ?”

 

Un article publié dans le journal Le Devoir, Montréal,
édition du mardi, 28 août 2007, page A7- idées.

Texte reproduit dans Les Classiques des sciences sociales avec l’autorisation formelle de l’auteur accordée samedi, le 28 août 2007. 

Courriels : danic@parenteau.info ou parenteau@gmx.net

 

Mots clés : accommodements raisonnables, différences culturelles, Culture, Québec (province)

 

 

Qu'est-ce qui justifie la mise sur pied d'une commission sur cette question ? Serait-ce donc, comme aiment à la croire certains, notamment au Canada, que les Québécois sont foncièrement moins tolérants, moins ouverts à la diversité, voire plus xénophobes que les Canadiens en général ? 

Les Québécois sont certainement aussi accueillants que les Canadiens. Nul doute également que l'on trouve, au sein de ces deux sociétés, en proportion semblable, des gens plus ou moins ouverts à la diversité des cultures. Malgré cela, si ces questions d'intégration et de gestion de la diversité des cultures donnent lieu à un tel débat, cela tient à deux raisons principales.

 

Réflexe minoritaire

 

La première est celle qui découle de la situation minoritaire de la nation québécoise au sein de cet océan anglo-saxon que représente l'Amérique du Nord. Pendant trop longtemps, sous le poids de ce rapport de force, la vaste majorité des nouveaux arrivants qui s'établissaient au Québec ont préféré s'intégrer à la culture dominante anglo-saxonne, plutôt qu'à celle minoritaire francophone. Aussi, est-ce naturel qu'une majorité de Québécois manifeste encore une certaine susceptibilité envers les autres cultures, trahissant ainsi un réflexe naturel de survie de leur culture --, et ce, malgré les quelques mesures adoptées depuis les années 1970 pour infléchir cette tendance, notamment les lois 22, 101 ou 104. 

Si cette première explication est incontestable, elle ne saurait toutefois être suffisante pour rendre pleinement compte de l'équivoque que peuvent susciter ici les questions liées à l'intégration des nouveaux arrivants. Une raison plus profonde se dissimule derrière ce réflexe minoritaire. Car, si les Québécois forment bien une minorité dans le contexte nord-américain dans son ensemble, ils représentent néanmoins, simultanément, une majorité à l'intérieur du Québec.

 

Deux modèles juxtaposés

 

Que ces questions d'accommodement à la diversité culturelle puissent faire enjeu au Québec est également largement attribuable à la coexistence ici de deux modèles de sociétés, soit deux manières de concevoir la nature et le rôle de la société, de se représenter sa place dans nos vies, desquels émanent deux modèles concurrents d'intégration des nouveaux arrivants. Le Québec est le terrain d'une tension irrésolue et permanente entre deux modèles de société; l'un de tendance plus républicaine, le second, inspiré du libéralisme anglo-saxon. 

Le premier modèle, d'inspiration républicaine -- le terme ne renvoie pas ici à un régime politique particulier, mais à un modèle de société et un modèle d'intégration y correspondant --, est celui qui est le mieux ancré dans la tradition et les moeurs de la nation québécoise. Suivant ce modèle, la société se conçoit comme étant dotée d'un contenu positif, et est porteuse d'une identité propre, qui s'exprime par des valeurs identitaires communes partagées par l'ensemble de ses membres. Ce modèle de société est celui qui a ses racines les plus profondément ancrées dans la coutume québécoise. 

Avant la Révolution tranquille, ce modèle s'articulait essentiellement sous la forme d'une identité chrétienne forte, d'expression française, que venaient renforcer des valeurs rurales. Sous l'impulsion des profonds bouleversements qui vont accompagner cette période, les Canadiens français, devenus Québécois, vont largement délaisser cet idéal. Pourtant, même s'ils ont massivement abandonné l'Église, au profit d'un État fort, et s'ils se sont détachés des valeurs rurales qu'ils associent aujourd'hui à un passé révolu, ils ont néanmoins conservé cette conception positive de la société; le contenu seul ayant subi une métamorphose en profondeur.

 

Valeurs communes

 

Aussi, la vaste majorité des Québécois s'entendent-ils aujourd'hui pour définir la société suivant ce modèle plus républicain: la société québécoise est porteuse d'une identité propre reposant sur le partage de certaines valeurs identitaires communes, parmi lesquelles une conception désormais laïque de la société (la religion étant désormais considérée une simple affaire privée), la reconnaissance de l'égalité des sexes ou la réaffirmation de la langue française comme langue publique commune. 

Le modèle d'intégration qui se rattache à ce modèle de société valorise inévitablement une inclusion de tous à la communauté nationale par l'entremise de l'adhésion à ces valeurs communes sur lesquelles se fonde l'identité de cette communauté. Par la conception positive de la société que promeut ce modèle, celui-ci encourage donc un vivre-ensemble établi sur la base d'une adhésion par tous à certaines valeurs communes. 

Le second modèle, de tradition libérale à l'anglo-saxonne, est celui qui a graduellement commencé à s'imposer au Québec, à partir des années Trudeau -- au Canada, ce modèle jouit depuis cette époque d'une emprise presque totale. Dans ce modèle de société, où l'individu s'affiche comme le centre du monde, celle-ci est généralement conçue comme étant dépourvue d'identité propre. La société s'affiche plutôt comme un simple agent au service de l'individu; son rôle ne se résumant ainsi qu'à une simple gestion des inévitables conflits entre individus membres de la communauté. 

De cette conception individualiste de la société émane un modèle d'intégration, appelé au Canada le multiculturalisme: la société n'étant pas porteuse d'identité, libre à tous les individus de préserver leurs propres cultures. Ainsi, en l'absence de valeurs identitaires communes à offrir en partage, ce modèle ne peut donc conduire qu'à une sorte de « vivre-dans-la-différence », dont témoignent les phénomènes de ghettoïsation, de repli sur soi des cultures arrivantes, qui affligent actuellement de nombreux centres urbains canadiens.

 

Malaise permanent

 

Or, de la concurrence de ces deux modèles d'intégration au sein de la société québécoise, l'un plus fortement ancré dans sa coutume, l'autre, d'origine plus récente et émanant d'une pratique canadienne, résulte une tension irrésolue et constante, un malaise permanent. Alors que le premier se fait le porteur d'une identité propre et qu'il travaille à fortifier un vivre-ensemble, le second, en appelle à une sorte d'effacement de la société, qui favorise plutôt un « vivre-dans-la-différence ». Dans ce contexte d'affrontement entre deux modèles de société et d'intégration largement incompatibles, rien de surprenant à ce que la question des accommodements reliés à la diversité culturelle puisse constituer un tel enjeu ! 

Ainsi, que les questions d'intégration des nouveaux arrivants et de la gestion de la diversité culturelle puissent susciter autant de débats au Québec ne tient pas du fait que les Québécois sont foncièrement moins tolérants que les Canadiens; cela résulte simplement de cette tension irrésolue qui pénètre l'ensemble de la société québécoise. 

Tant que le Québec n'aura pas fait le choix d'opter définitivement pour l'un ou l'autre de ces deux modèles -- ou bien en se débarrassant du modèle libéral anglo-saxon que nous impose le régime canadien, ou bien en abandonnant le modèle d'inspiration républicaine qui a accompagné son histoire jusqu'ici -- la question des «accommodements raisonnables» continuera inévitablement de faire débat au Québec.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 29 août 2007 8:21
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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