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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jules Paquin, s.j., Morale et médecine. (1955)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jules Paquin, s.j., Morale et médecine. Montréal, L’Immaculée-Conception / Comité des Hôpitaux du Québec, 1955, 489 pp. Une édition numérique en voie de réalisation par Vicky Lapointe, historienne et responsable d'un blogue sur l'histoire et le patrimoine du Québec: Patrimoine, Histoire et Multimédia.

[11]

MORALE ET MÉDECINE

Introduction

I. La morale

La morale est cette partie des connaissances humaines qui dirige nos actions libres vers notre fin dernière.

Étant ordonnée à l'action (connaître pour agir), elle se distingue des connaissances purement spéculatives, qui ont leur fin en elles-mêmes (connaître pour connaître) : autre chose, en effet, est étudier pour connaître la géographie, et autre chose étudier pour préparer un voyage. Non seulement la morale meuble notre intelligence, mais elle nous apprend à agir ; elle est maîtresse de vie. La morale est donc une connaissance pratique, et, à ce titre, elle met de l'ordre dans nos actions.

Elle se distingue cependant des autres connaissances pratiques. La logique met de l'ordre dans les actes de l'intelligence, en les orientant vers le vrai ; les arts libéraux mettent de l'ordre dans les actes extérieurs où domine l'intelligence, en les orientant vers le beau ; les arts mécaniques mettent de l'ordre dans les autres actes extérieurs, en les orientant vers l'utile. La morale, elle, met de l'ordre dans les actes de la volonté, — les actes de l'intelligence aussi, et tous les actes extérieurs, mais considérés en tant que volontaires, — en les orientant vers le bien. Son objet propre, ce sont donc les actes libres ; et son rôle est de les diriger vers le bien, vers Dieu, Souverain Bien et fin dernière de l'homme.

II. La morale théorique

La morale théorique concerne les principes plus ou moins généraux. par opposition à la morale appliquée, qui considère les cas individuels avec toutes leurs circonstances concrètes. Elle peut être naturelle ou théologique.

La morale naturelle demande ses lumières à la seule raison, et n'a pour objet que les principes d'action que l'intelligence peut connaître par ses propres forces. La morale théologique, — celle que nous étudierons, — ne détruit pas la morale naturelle, mais l'inclut et la dépasse ; elle demande ses lumières à la foi, ainsi qu'à la raison éclairée par la foi, et elle a pour premiers principes les vérités de la Révélation.

Dans l'un et l'autre cas, la morale, considérée objectivement, comprend l'ensemble des principes qui doivent diriger notre conduite : « il faut faire le bien et éviter le mal », « il faut pratiquer la justice », « il ne faut pas [12] faire d'avortement direct », « il faut communier de temps en temps », etc. ; subjectivement, la morale, naturelle ou théologique, désigne les qualités de l'intelligence qui rendent celle-ci apte à comprendre ces principes ou à les accepter : la science morale, la foi, etc.

La morale devient le droit positif humain lorsque l'autorité légitime affirme, explicite, interprète, précise ou complète les principes de la morale naturelle ou théologique. À ce titre, les diverses lois ecclésiastiques ou civiles sont, elles aussi, des principes d'action, et le rôle de la science juridique est de les établir et d'en préciser le sens.

III. La morale appliquée

Les principes, si peu généraux qu'on les suppose, concernent pourtant des catégories de cas, et non tel ou tel cas en particulier. Aussi, après avoir appris les principes, sans lesquels on ne peut résoudre les cas qu'au hasard, il reste encore à les appliquer aux cas individuels, considérés avec l'ensemble de leurs circonstances concrètes. Cette application est particulièrement délicate : il est plus facile de connaître des recettes que de réussir un gâteau, plus facile de connaître la technique du tennis que d'être une étoile dans ce sport.

Objectivement, la morale appliquée désigne les solutions de cas individuels : « il faut éviter cette action concrète, bien individualisée ». Elle n'est pas objet de science, mais objet des exercices que l'on appelle cas de conscience ; elle constitue la casuistique, laquelle, sans être la morale proprement dite, en est cependant le complément.

Subjectivement, la morale appliquée désigne les qualités de l'intelligence qui permettent d'appliquer correctement les principes aux cas particuliers, qualités qui se rattachent à la vertu de prudence.

Enfin, lorsque l'intelligence a vu clairement la conduite à tenir dans tel cas particulier, il lui reste un dernier jugement à formuler, le jugement d'élection par lequel elle embrasse l'un ou l'autre parti, le bien ou le mal. Ce sera le rôle de la prudence, naturelle et surnaturelle, de lui faire embrasser le parti du bien : « je veux faire (ou éviter) cette action concrète, bien individualisée ».

IV. Morale fondamentale, morale générale
et morale professionnelle


Il est impossible de présenter un cours de morale sans établir d'abord quelques principes de base, qui régissent toute notre activité volontaire. Ces principes sur la règle objective de la moralité, sur la conscience, sur [13] l'imputabilité de nos actes, etc., constituent ce qu'on peut appeler la morale fondamentale.

La morale générale [1] recense les devoirs communs à tous les hommes, ou, du moins, à tous les baptisés ou tous les catholiques [2]. Ainsi, la justice et la charité obligent tous les hommes ; l'assistance à la messe dominicale oblige tous les baptisés, ou, du moins, tous les catholiques.

Les devoirs généraux prennent des aspects particuliers, selon qu'il s'agit de tel ou tel genre de vie, de telle ou telle fonction ou profession. C'est le rôle de la morale professionnelle d'indiquer ces devoirs particuliers.

Nous donnerons ici quelques principes fondamentaux, et nous appliquerons à la profession de médecin ou d'infirmière les principes de la morale générale.

V. Morale et médecine

1. La morale doit diriger toute l'activité du médecin et de l'infirmière.— La médecine, en tant que telle, a ses principes propres qu'elle ne demande pas à la morale. L'activité du médecin et de l'infirmière ne saurait, cependant, être complètement indépendante : par cela seul qu'un acte est volontaire et libre, il appartient à l'ordre moral, puisqu'il doit nécessairement être dirigé vers la fin dernière de tout être humain.

« ... La personne du médecin, comme toute son activité, se meuvent constamment dans le cercle de l'ordre moral et sous l'empire de ses lois. Dans aucune déclaration, dans aucun conseil, dans aucune disposition, dans aucune intervention, le médecin ne peut se trouver en dehors du terrain de la morale, délié et indépendant des principes fondamentaux de l'éthique et de la religion ; et il n'y a aucun acte ou aucune parole dont il ne soit responsable devant Dieu et devant sa propre conscience [3]. »

2. La morale ne proscrit pas ordinairement ce que prescrit la médecine. — De l'avis même des médecins, il faut admettre, en général, que de la [14] bonne morale est de la bonne médecine. Cet accord habituel existe surtout lorsqu'il s'agit de la médecine dite personnelle, celle qui a pour objet l'homme vivant, corps et âme, celle qui s'adresse à l'homme malade, et non à la maladie de l'homme.

3. Lorsque la morale et la médecine entrent en conflit, la morale garde toutes ses exigences. — On ne peut nier que la morale et la médecine n'entrent parfois en conflit. C'est que, comme sciences, elles diffèrent : a) par leur objet, et b) par la norme de leur activité.

a. La médecine, en tant que telle, ne considère dans l'homme que les biens que nous appellerons naturels internes : la vie, l'intégrité des membres et de leurs fonctions, la santé.

La morale, elle, sans se refuser à l'analyse, juge la totalité de l'homme dans sa nature complexe d'être créé, d'être raisonnable appelé à la vie surnaturelle, d'être social ; elle tient compte à la fois des biens surnaturels, des biens naturels internes (vie, santé, etc.), des biens mixtes comme la réputation, et même des biens matériels. De plus, dans cet ensemble des biens de l'homme, elle juge selon une hiérarchie des valeurs, ne pouvant permettre que l'on sacrifie les intérêts éternels aux biens corporels, même les plus estimés, pas plus qu'elle ne peut permettre que l'on fasse passer ces derniers après les vulgaires caprices et les exigences des passions [4].

b. Au point de vue médical, c'est le résultat immédiat, d'ordre thérapeutique ou préventif, qui est la norme permettant de juger la valeur d'une action ; la médecine apprend à choisir, entre plusieurs techniques, celle qui est la plus apte à conserver ou redonner la santé. C'est une norme qui a sa valeur, et qui conditionne même tout succès médical, mais c'est une norme qui ne saurait être absolue, parce qu'elle n'est pas la norme dernière.

La norme de l'activité. au point de vue moral, est différente : c'est, en définitive, notre fin dernière. Par là même, cette norme est absolue. Des atténuations ne pourraient venir que du sentiment, ou d'un utilitarisme qui justifierait toutes les infamies, pourvu qu'elles fussent utiles.

Il importe donc que le médecin et l'infirmière sachent bien distinguer les prescriptions de l'art médical et celles de la morale ; qu'ils sachent aussi que si, parfois, il y a conflit, la morale, parce qu'elle tend à un bien supérieur, garde toutes ses exigences.

[15]

4. La morale apporte une belle contribution à la médecine, ainsi qu'au médecin et à l'infirmière. — La morale donne au savoir technique un achèvement humain irremplaçable ; elle fait comprendre au médecin et à l'infirmière que l'homme malade est non seulement un corps souffrant, mais une âme immortelle aussi, appelée à vivre dès ici-bas de la vie de Dieu et destinée à l'éternelle vision de la Trinité.

Bien plus, il paraît difficile de nier que les défenses absolues de la morale aient déterminé bien des médecins à chercher d'autres techniques acceptables à leur conscience, et qu'elles aient ainsi favorisé les progrès de la science médicale elle-même.

5. Pour résoudre les cas concrets en toute objectivité, une collaboration franche s'impose entre le moraliste et le médecin. — Le moraliste n'est pas médecin. L'utilité ou la nécessité d'un traitement, ainsi que ses heureux effets ou ses conséquences fâcheuses, la technique d'une intervention chirurgicale et les dangers qu'elle peut comporter, tout cela est hors de sa compétence. Le jugement moral qu'il porte sur telle ou telle pratique de l'art médical doit se baser sur les données fournies par le médecin lui-même.

Par ailleurs, médecins et infirmières doivent reconnaître qu'ils ne sont pas des spécialistes de la théologie morale. Lorsqu'ils ne peuvent voir, dans la pleine lumière de la vérité, la licéité ou l'illicéité d'un traitement, ils doivent s'en remettre au jugement d'un prêtre versé dans ces matières.

VI. Les différents problèmes
de la morale médicale


Nous avons divisé comme suit les différents problèmes de la morale médicale : après avoir souligné quelques principes fondamentaux qui conditionnent l'exercice de toute vie morale (Première Partie), nous indiquerons les devoirs généraux du médecin et de l'infirmière (Deuxième Partie), et nous consacrerons les quatre Parties suivantes à l'étude des devoirs professionnels particuliers.

Ces devoirs particuliers sont nombreux, et ils sont très variés. Il n'est pas facile d'en présenter un tableau d'ensemble où chacun d'eux figure à sa vraie place, dans un tout harmonieux dont les composantes ne se compénètrent pas. Pourtant, nous croyons pouvoir, sans trop d'arbitraire, les grouper autour d'une idée que l'on se plaît aujourd'hui à exalter : le respect de la personne humaine.

Le médecin et l'infirmière doivent respecter la personne humaine, comprise adéquatement, intégralement, à la lumière de la raison et de la foi : le malade qui se confie à eux est un être créé et dépendant de Dieu, un [16] être composé d'un corps et d'une âme, un être social, un être élevé à la vie surnaturelle. Or, respecter la personne humaine ainsi comprise, c'est, en fait, respecter ses biens au sens le plus général de ce mot : ses biens surnaturels (Troisième Partie), c'est-à-dire la vie divine en lui ou la grâce sanctifiante, qui s'acquiert, se retrouve et s'accroît surtout par les sacrements ; ses biens internes (Quatrième et Cinquième Parties), c'est-à-dire la vie, l'intégrité des membres et de leurs fonctions, la santé, etc. ; ses biens mixtes, c'est-à-dire son droit à la vérité et ses secrets, et ses biens matériels eux-mêmes (Sixième Partie).

Cette présentation a l'avantage d'orienter toute l'activité professionnelle vers le malade lui-même, et non pas vers le médecin ou l'infirmière ; elle centre cette activité sur l'intérêt du patient, et non sur des honoraires à grossir ou une réputation à créer : la profession, on ne saurait l'oublier, est un service, et non un métier. Par ailleurs, une telle présentation a l'avantage d'éviter une vue partielle de la réalité, une vue qui se restreindrait aux seuls biens internes ; et, dans cet ensemble des biens du malade, elle souligne la hiérarchie des valeurs, en donnant la première place aux biens surnaturels, qui ne doivent jamais être sacrifiés aux biens internes eux-mêmes, si importants que soient ceux-ci.

Enfin, pour couronner cette étude des devoirs du médecin et de l'infirmière, nous dirons quelques mots du secret  professionnel et des  codes de morales médicale  (Conclusion)  [5].

VII. Méthode d'exposition

Né de l'enseignement, ce livre garde la marque de son origine : il se présente avec un caractère nettement didactique. Mais si des cours il a toute l'austérité, il en aura aussi, nous espérons, l'utilité.

Notre exposé insiste beaucoup sur les principes. Si l'on veut que la morale soit autre chose qu'un catalogue d'actions étiquetées bien ou mal, il faut expliquer la raison des jugements que l'on porte. D'ailleurs, il ne s'agit pas seulement de donner des recettes et de résoudre d'avance tous les cas imaginables ; il faut former le jugement pratique pour le rendre apte à résoudre le mieux possible, lorsque la chose est nécessaire, même [17] les cas imprévus, même les cas imprévisibles. Au fond, rien n'est plus pratique qu'un principe, parce qu'il inclut un nombre indéterminé de cas, tandis que la casuistique, dût-elle multiplier sans cesse les exemples, restera toujours limitée dans ses applications ; en assimilant un principe, on est infiniment plus riche qu'en retenant cinquante cas.

Pourtant, ces principes, il faut les appliquer. Or, une telle application ne se fait pas d'elle-même : la vertu de prudence, qui permet de passer, sans se fourvoyer, de l'universel au particulier, a besoin d'être cultivée. Même s'il est impossible de prévoir chaque cas, avec l'ensemble des circonstances qui l'individualisent, il faut du moins présenter les cas-types, qui sont assez près des cas individuels. A l'exposé des principes, nous avons donc ajouté l'étude des cas qui se présentent le plus fréquemment. Les inévitables répétitions que cela entraîne ne seront pas sans utilité pour une meilleure intelligence des principes eux-mêmes.

[18]



[1] Nous employons ici le mot morale dans un sens large, qui inclut le droit positif divin et ecclésiastique.

[2] De droit, les lois ecclésiastiques obligent tous les baptisés, à moins que l'Église n'exempte les non-catholiques. Quand il s'agit de lois qui sont ordonnées avant tout à la sanctification personnelle (messe dominicale, abstinence, etc.), on peut se demander si l'Église entend obliger même les non-catholiques (baptisés) ; quoi qu'il en soit, ceux-ci, s'ils ne se croient pas liés par ces lois, sont au moins excusés de toute faute subjective.

[3] Pie XII, allocution aux membres de l'Union italienne médico-biologique Saint-Luc, 12 novembre 1944.

[4] Voir Pie XII, allocution aux membres de l'Union italienne médico-biologique Saint-Luc, 12 novembre 1944.

[5] La matière est vaste. Là où le temps alloué à l'enseignement de la morale professionnelle ne dépasse pas quinze ou vingt heures, on devra nécessairement omettre l'étude de quelques problèmes. Ce sont des questions de la Première Partie (Principes fondamentaux) que l'on pourra sans doute passer avec le moins d'inconvénients, là surtout où le programme comporte, parallèlement au cours de morale professionnelle, un cours de philosophie morale.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 20 avril 2017 7:00
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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