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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Les "déviations en affaire" et les crimes en col blanc” (1970)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article d'André Normandeau, “Les "déviations en affaire" et les crimes en col blanc”. Un article publié dans Déviance et criminalité. Textes réunis par Denis Szabo avec la collaboration d'André Normandeau, pp. 332-351. Paris: Librairie Armand Colin, 1970, 378 pp. Collection U2. [Source: « Les Déviations en affaire et le crime en col blanc », in Revue internationale de criminologie et de police technique, no 4, 1965, pp. 247-258.] [Autorisation formelle de l'auteur accordée le 31 mai 2005 de diffuser toutes ses publications sur le portail web Les Classiques des science sociales.]

Introduction

La violation des codes déontologiques, des lois et des règlements économiques sont les formes fréquentes, mais peu réprimées et peu blâmées, de la criminalité des classes supérieures.

 

Dès 1872, au Congrès international sur la prévention et la répression du crime, tenu à Londres, E.C. Hill reconnaissait l'importance grandissante du crime dans le domaine des affaires par la coopération des agents d'immeubles, des agents de placement, des manufacturiers... et d'autres personnes « honnêtes ». Le professeur Morris, en 1935, reprenait le thème afin de parler, selon son expression même, des « criminels de la haute ». Identifier ces « criminels » serait difficile, écrivait-il, car « nos notions d'éthique, en général, sont fortement ébranlées par l'universalité, tout compte fait, des pratiques malhonnêtes, sinon illégales, du monde des affaires ». Il n'en demeure pas moins vrai que ces « criminels de la haute » existent concrètement. Morris ajoutait également avec justesse :

 

« Contrairement aux criminels de la pègre, les criminels de la haute n'ont jamais, en tant que groupe, été stigmatisés, et la désapprobation du public ne s'est jamais portée sur eux. La police les a rarement malmenés ou mis en prison en tant que tels, de sorte qu'ils n'ont jamais pu être examinés, étudiés uniformément, et identifiés comme un type spécial d'êtres humains. Au contraire, ils ont toujours été dispersés parmi nous, comme amis et membres des mêmes associations professionnelles et religieuses. Ils ont même donné des fonds pour l'étude et le traitement des délinquants juvéniles, et ils ont fait passer des lois pour contrecarrer les méfaits du crime. La seule différence entre eux et ceux qui sont honnêtes parmi les gens de leur classe, est une question de moindre sensibilité éthique sur certains points, due, c'est possible, à leur nature et à leurs relations étroites avec le modèle criminel qui est le leur. Il est douteux qu'ils se considèrent comme criminels. Leur attitude n'est pas autocritique, et ils acceptent assez naïvement la « bonne opinion » que les autres manifestent à leur égard » [1].

 

Le grand mouvement de départ de la recherche scientifique sur les « criminels de la haute » devait venir, cependant, durant la période de 1940-1950, des États-Unis. Sutherland, à l'occasion de son allocution présidentielle devant la Société américaine de sociologie, en 1939, employa alors l'expression « crime en col blanc » pour désigner l'activité illégale des personnes de niveau socio-économique supérieur, en relation avec les pratiques normales de leurs affaires. Si un courtier tue l'amant de sa femme, ce n'est pas un crime en col blanc, car cette conduite n'est pas directement reliée aux activités professionnelles du violateur ; mais s'il viole une loi et qu'il est condamné dans ses rapports d'affaires, ce courtier est un criminel en col blanc [2]. L'étiquette de Sutherland fit sensation, les uns criant à la découverte, les autres critiquant l'aspect non scientifique et moralisateur du concept. Mais l'esprit des chercheurs avait été stimulé d'une façon ou d'une autre, une série d'études et de recherches devait en résulter, et la connaissance criminologique s'enrichir de nouvelles données pertinentes. C'était là, d'ailleurs, le but de Sutherland, qui maintenait que les explications causales de la criminalité concentrées sur la pauvreté, les taudis, et la désorganisation familiale - entre autres - donnaient une fausse image de la réalité, car elles reflétaient des conclusions fondées exclusivement sur des études dans les classes inférieures de la population, alors que des conclusions valables ne pouvaient se baser que sur une étude globale de l'ensemble des criminels, quelle que soit leur classe sociale. « Ses études, disait-il, ne prétendaient qu'à combler cette lacune en concentrant l'attention du chercheur sur le crime en col blanc ».

 

Un point précis à retenir avant toute discussion des recherches de Sutherland et d'autres auteurs, porte sur sa définition du « crime ». Cette définition est plus extensible que le strict point de vue légal, mais elle est toutefois très logiquement conforme à l'esprit des lois. La thèse de Sutherland est la suivante : étant donné que les délinquants en col blanc font partie de la classe supérieure de la société, et qu'ils sont très respectés dans leurs communautés, ils ont toujours réussi, au cours des années, à influencer le modèle des législations qui sont forgées pour réglementer le champ sans cesse croissant du monde économique, industriel et commercial. C'est ainsi que les procédures légales et judiciaires élaborées pour des fins de contrôle du monde des affaires ne sont tombées que rarement sous la juridiction des cours de justice criminelle. Ce qui remplace les poursuites pénales se résume à des auditions devant des commissions régulatrices, à des poursuites civiles pour dommages, et à diverses autres procédures en dehors du contrôle d'une poursuite en cour criminelle et d'une condamnation. Les sanctions civiles imposées pour ce genre de « crime » vont des amendes aux mises en demeure de cesser telles ou telles activités, des injonctions aux arrangements. De telles violations civiles, selon Sutherland, sont pourtant, en fait, des « crimes », car : a) la loi reconnaît ces violations comme dommageables au bien public ; b) des sanctions légales, appropriées, sont prescrites pour de telles violations ; et c) la conduite des infracteurs est habituellement « volontaire » et « inten­tionnelle », en ce sens qu'elle n'est nullement accidentelle et qu'elle s'est exercée « en pleine connaissance de cause » [3]. L'emploi du terme « crime en col blanc » devient alors justifié du point de vue de la recherche scientifique [4], mais demeure si ambigu, si incertain et prête tellement à controverse d'un point de vue « social », puisqu'il n'y a jamais eu de définition officielle ou légale, que certains chercheurs ne l'acceptent qu'en rapport avec des violations du code criminel [5]. Afin d'éviter cette ambiguïté, les études récentes se sont orientées vers une étude des « déviations professionnelles » (Occupational Deviant) [6] où les infractions contre le code criminel, contre le code civil, et même celles qui ne sont pas illégales, mais qui sont des violations allant à l'encontre du code éthique reconnu comme légitime par les membres d'une profession, sont analysées séparément, mais dans un cadre analytique global qui s'efforce de trouver les différentes causes de certains groupes de violations. Nous avons nous-même tenté ailleurs d'établir une typologie analytique afin de concilier les différentes approches du problème, et de faire un pas en avant, si possible dans la recherche [7]. Il nous semble cependant préférable, dans le cadre de cet article, de ne pas reprendre cette discussion, et d'employer le terme « crime en col blanc » - qui est mieux connu que tout autre – mais dans une perspective recouvrant les trois champs mentionnés, soit : 1) les violations criminelles ; 2) les violations civiles, et 3) les déviations éthiques. Nous ne voulons également pas entrer ici dans des discussions théoriques, mais rapporter pour le lecteur qui ne les connaîtrait pas le résultat de certaines recherches dans ce domaine. Nous examinerons successivement les violations en regard des lois antitrust, une étude de Sutherland sur les multiples violations de 70 corporations, parmi les plus étendues, la publicité frauduleuse, les assurances, les détournements de fonds, la corruption et le patronage, le non-paiement des taxes, la profession médicale, la profession légale et, finalement, les crimes en col bleu. Nous nous inspirons évidemment des études américaines car aucune étude n'a été faite encore en Europe dans ce domaine.


[1] MORRIS, A., Criminology (NY., Longmans, 1935), pp. 153-158.

[2] SUTHERLAND, E. H., « White Collar Criminality », 5, American Sociological Review, pp. 1-12 (1940).

[3] SUTHERLAND, E. H., « Crime and Business », 217, The Annals, pp. 112-118 (1941) ; aussi : « Is White Collar Crime Crime ? », 10, American Sociological Review, pp. 132-139 (1945) ; White Collar Crime (N.Y., Dryden Press, 1949).

[4] HARTUNG, F., « White Collar Crime. Its Significance for Theory and Practice », 17, Federal Probation, pp. 30-36 (1953) ; aussi : D. J. NEWMAN, « White Collar Crime », 23, Law and Contemporary Problems, pp. 735-753 (1958).

[5] CALDWELL, R. G., « A Reexamination of the Concept of White Collar Crime », 22, Federal Probation, pp. 30-36 (1958) ; P. W. TAPPEN, « Who is the Criminal », 12, American Sociological Review, pp. 96-102 (1947) ; G. GEIS, « Toward a Delineation of White Collar Offenses », 32, Sociological Inquiry, pp. 160-171 (1962).

[6] QUINNEY, E. R., « The Study of White Collar Crime ; toward a Reorientation in Theory and Practice », 55, Journal of Criminal Law, Criminology and Police S., pp. 208-214 (1964).

[7] NORMANDEAU, A., « A Prospects and Problems of Occupational Deviant Behavior Typology : A Redefinition and an Extension of the Concept of White Collar Crime » (rapport miméographié, Université de Pennsylvanie, 1965).


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 27 juillet 2006 11:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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