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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Georges Nivat, Soljenitsyne (1980)
Repères


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Georges Nivat, Soljenitsyne. Paris: Les Éditions du Seuil, 1980, 189 pp. Collection: Écrivains de toujours, no 104. [Autorisation accordée par l'auteur le 27 mars 2006.] Une édition numérique réalisée par mon épouse, Diane Brunet, bénévole, guide de musée, Musée de la Pulperie, Chicoutimi, Ville de Saguenay. (le 2000e titre)

Repères

« Le grand-père Euthème racontait comment le tsar Pierre s'en était pris à son arrière-grand-père Philippe qui avait osé s'établir ailleurs sans autorisation : son courroux fut tel qu'il avait fait brûler tout le faubourg. Quant au père d'Euthème, il avait été déporté pour mutinerie loin de la province de Voronej ; ils étaient un certain nombre de paysans dans ce cas-là. Mais, une fois arrivés, ils n'avaient pas été mis aux fers, dispersés dans des colonies militaires ou encore asservis, on les avait simplement lâchés dans les steppes sauvages d'outre-Kouma, et ils avaient vécu là, indépendants les uns des autres, éloignés par l'abondance de la terre qu'ils n'avaient pas besoin de se partager, labourant et semant çà et là, sillonnant la steppe avec leurs chignoles ou tondant leurs brebis. Ils avaient fait souche » (Août 14). 

La famille paternelle de Soljénitsyne est une famille paysanne anciennement installée dans la région de Stavropol, au nord du Caucase. Son grand-père Sémione exploitait une ferme moyenne avec ses quatre fils et ses filles. Son fils Isaac, le benjamin (1), fait des études, à Kharkov puis à Moscou, s'engage comme volontaire pendant la guerre, se marie au front, dans l'été 1917, avec Taïssia Chtcherbak, est décoré pour sa bravoure ; de retour chez lui, il est blessé à la chasse et meurt le 15 juin 1918 de sa blessure mal soignée. Il est représenté dans Août 14 sous les traits de Sania Lajenitsyne. 

La famille maternelle de Soljénitsyne, les Chtcherbak, est une riche famille de la région du Kouban où le grand-père Zacharie, qui ne perdit jamais son accent ukrainien, possédait une « économie », vaste domaine qu'il administrait de façon très moderne. « Il avait été dans son enfance simple berger en Tauride, il paissait les veaux et les moutons pour les autres. Ils étaient venus “chercher l'embauche” jusqu'au Caucase et ils touchaient alors beaucoup moins qu'il ne donnait maintenant au dernier des journaliers » (Août 14). Tomtchak dans le roman Août 14, ce grand-père maternel de l'écrivain fit donner une éducation soignée à sa fille Taîssia, qui fréquenta les fameux Cours supérieurs féminins Bestoujev à Saint-Pétersbourg. Le frère de Taïssia, Romain, menait une vie dispendieuse et possédait une Rolls-Royce dont la Literatournaïa Gazeta reproduira une photo en 1972 pendant la campagne de presse contre Soljénitsyne.

 

1918. 11 DÉCEMBRE. Naissance à Kislovodsk (Caucase) d'Alexandre Soljénitsyne, six mois après la mort de son père. Son grand-père paternel meurt peu après. Son grand-père maternel se cache chez ses anciens paysans qui, jusqu'à sa mort, l'abriteront et le nourrirent.

 

1924. Taïssia Soliénitsyne s'installe avec son fils de six ans dans la ville de Rostov-sur-le-Don où, dix années plus tôt, son père venait acheter les machines agricoles anglaises du dernier cri. 

« Chaque retour à Rostov faisait battre le coeur ! et surtout des jours comme aujourd'hui, tôt le matin, quand fraîche et pure était l'abrupte montée de la rue Sadovaïa sous l'opaque couvert des arbres, tandis que le cocher poussait fougueusement son cheval dans la côte pour ne pas se laisser distancer par le tramway » (Août 14). 

Alexandre accompagne sa mère à l'église, mais bientôt on fermera la dernière d'entre elles. Il adhère aux jeunesses communistes et mène une vie de lycéen soviétique assez joyeuse, malgré les difficultés financières et le mauvais logement de sa mère. Néanmoins, il n'oubliera jamais « les heures passées à tant d'offices religieux et cette empreinte originelle d'une fraîcheur et d'une pureté extraordinaires que ne purent ensuite éroder ni les meules de la vie ni les théories intellectuelles » (Lettre au patriarche Pimène). 

À l'école, il se lie avec un groupe de jeunes gens qui l'accompagneront à l'Université et partageront, à des titres divers, son destin : « Koka » (Nikolaï) Vitkievitch, à qui l'on arrachera plus tard quelques déclarations déplaisantes sur la conduite de Soljénitsyne au camp, et qui était le correspondant du capitaine Soljénitsyne lorsque celui-ci fut arrêté ; Cyrille Simonian, devenu médecin et qui, cédant aux sollicitations, écrivit plus tard contre son ancien ami un pamphlet qu'utilisa le KGB ; Lida Iejerets, qui était la seule à avoir un logement confortable où les amis se réunissaient pour écrire des romans improvisés ou se livrer à des séances de spiritisme ; Natalie Rechetovskaïa, enfin, sa première femme, plus tard auteur d'un livre sur son mari édité à l'usage de l'étranger par l'agence de presse Novosti. 

« Responsable » de sa classe, aimant le football, adorant le théâtre et participant à toutes les représentations montées par son lycée (Tchekhov, Rostand, Lavrenev), le jeune Soljénitsyne doit certainement cette enfance relativement heureuse au dévouement de sa mère (qui ne se remaria pas à cause de lui) et à la relative paix sociale qui régnait dans le provincial Rostov.

 

1936. Admission à l'université de Rostov où Soljénitsyne choisit la faculté de mathématiques et physique, ses amis la faculté de chimie ; Natalie Rechetovskaïa étudie en outre au Conservatoire. Achat d'un vélo et premières grandes randonnées cyclistes au Caucase avec son ami « Koka ». « De la stanitsa à la gare, leur itinéraire était tel que les Crêtes restaient toujours droit devant eux ; c'est vers elles qu'ils allaient, c'est elles qu'ils voyaient : étendues neigeuses, saillies rocheuses dénudées, ombre où l'on devinait des défilés. Mais d'heure en heure, elles fondirent à la base, se séparant de la terre, non plus posées mais suspendues au tiers du ciel » (Août 14).

 

1937. Les grands procès de Moscou commencent. Plus tard, Soljénitsyne écrira à ce sujet, parlant de son ancien camarade Simonian : « L'année 1937 et ses épreuves - tu fus le seul d'entre nous à bien la saisir et tu essayas de m'ouvrir les yeux, mais moi je percevais mal les choses. »

 

1939. Soljénitsyne et son ami « Koka » s'inscrivent aux cours par correspondance de l'institut de philosophie, d'histoire et de littérature de Moscou. Il poursuit parallèlement ses études scientifiques, passe ses examens à Rostov et enseigne l'astronomie et les mathématiques dans la petite ville de Morozovsk, au nord de Rostov. Natalie Rechetovskaïa est nommée dans la même école et ils se marient le 27 avril 1940

 

1941. Soljénitsyne a terminé ses études scientifiques et vient passer ses examens littéraires à Moscou. 

Mobilisé en octobre 1941, Soljénitsyne est d'abord simple soldat, puis admis à une école d'officiers à Kostroma, sur la Volga, cependant que sa femme et sa mère sont évacuées de Rostov.

 

1942. ÉTÉ. Il obtient ses galons de lieutenant, passe deux semaines à la gare de Gorki dans un poste de transit (il en tirera plus tard le décor et l'atmosphère de son récit Un incident à la gare de Kretchetovka). Puis, il est envoyé à Saransk où se forme un groupe d'artillerie de reconnaissance ; le lieutenant Soljénitsyne prend le commandement d'une batterie de repérage par le son. Pendant les soirées d'inaction, il fait des essais de plume, rédigeant plusieurs petits récits, dont un intitulé le Lieutenant. Il est envoyé au front fin 1942 et avance, avec son unité, d'Orel jusqu'en Prusse-Orientale.

 

1944. 17 JANVIER. Mort de la mère de Soljénitsyne. Soljénitsyne reçoit successivement deux décorations. Il est promu capitaine.

 

1945. Sa correspondance avec son ami « Koka » Vitkievitch est surveillée par la Sûreté militaire. Ils y parlent à cœur ouvert de leurs « indignations politiques », désignant Lénine sous le « petit nom » de Vovka et Staline sous le sobriquet de « Caïd ». Le 9 février, le capitaine Soljénitsyne est arrêté dans le bureau de son chef, le général Travkine. « Mon arrestation fut sûrement du type le plus facile qui se puisse concevoir. Elle ne m'a ni arraché aux étreintes de mes proches ni coupé de notre chère vie domestique. Par un de ces précaires févriers d'Europe, elle m'a extrait de cette pointe avancée, au bord de la Baltique, où l'on ne savait trop qui, des Allemands ou de nous, était encerclé par l'autre ; elle m'a seulement fait perdre le groupe d'artillerie où j'avais mes habitudes et privé du spectacle des trois derniers mois de la guerre » (Archipel). L'instruction a lieu à la prison Lioubianka de Moscou, décrite dans le Premier Cercle ; puis, Soljénitsyne est transféré à la prison des Boutyrki. Le 27 juillet 1945, il est condamné à huit ans de camps de travail et de redressement, en vertu de l'article 58 du Code pénal (paragraphes I et II). « Pour faire l'éloge de cet article, il est possible de trouver encore plus d'épithètes que Tourgueniev jadis pour la langue russe ou Nekrassov pour la Bonne Mère Russie : le grand, le puissant, l'abondant, le ramifié, le diversifié, l'omni-raflant article 58 qui englobe le monde entier » (Archipel). 

Son premier camp est à la Nouvelle-Jérusalem, près de Moscou, puis à Moscou même (un chantier de construction à la barrière de Kalouga). 

Sa femme s'installe à Moscou et a des entrevues avec lui. Cette première expérience du Goulag est reflétée dans la pièce le « Cerf » et la Putain des camps.

 

1947. JUIN. Soljénitsyne est envoyé à la « charachka » de Marfino, ou « prison spéciale no 16 », dans la banlieue nord de Moscou. Il y travaille dans un laboratoire d'acoustique, expérimente de nouveaux « modèles articulatoires ». Il lie amitié avec l'ingénieur Panine et le germaniste Kopelev. Les rendez-vous que l'administration lui accorde avec sa femme ont lieu à la prison de la Taganka ou à celle de Lefortovo. « Ces rendez-vous étaient un peu comme les stèles des Grecs anciens : bas-reliefs où l'on représentait à la fois le mort et les vivants qui lui avaient élevé le monument. Mais il y avait toujours sur les stèles une petite bande qui séparait l'autre monde de celui-ci. Les vivants contemplaient affectueusement le mort, et le mort regardait Hadès d'un regard ni gai ni triste - un regard transparent, qui en avait trop vu » (le Premier Cercle).

Il compose mentalement une épopée autobiographique ainsi que la pièce le Festin des vainqueurs.

 

1949. MAI Soljénitsyne est renvoyé dans un camp de « travaux généraux » en Asie, à Ekibastouz, au nord de Karaganda (Kazakhstan). Il est fondeur, puis maçon (comme son héros Ivan Denissovitch). Il devient chef de brigade. Rechetovskaîa divorce d'avec lui, est nommée à Riazan, se remarie.

 

1952. 22-28 JANVIER Soljénitsyne participe aux troubles du camp d'Ekibastouz. « Ce tranquille et unanime refus d'obéissance au pouvoir, à un pouvoir qui n'a jamais rien pardonné à personne, cette opiniâtre insubordination, étirée dans le temps, fait un effet bien plus terrible que de courir en tous sens et de vociférer sous les balles » (Archipel). Au lendemain de cette révolte (qui essaime aux camps de Djezkazgan et de Kenguir), Soljénitsyne est opéré par un chirurgien bagnard, àl'infirmerie du camp, d'une tumeur maligne au cou. La biopsie est envoyée à un laboratoire civil et se perd.

 

1953. FÉVRIER. Libéré du camp, Soljénitsyne est envoyé en « relégation perpétuelle » à l'aoul de Kok-Terek (le Peuplier vert), dans le district de Djamboul (Kazakhstan), à la lisière du désert. 

5 MARS. Mort de Staline et premiers pas d'homme libre de Soljénitsyne. « Quel est l'endroit de la terre qu'on élit entre tous ? Celui qu'on a découvert, petit enfant piaillant, rampant, fermé à tout, même au témoignage de ses yeux et de ses oreilles ? Ou bien est-ce celui où pour la première fois on a entendu : " Allons filez sans escorte ! " Maître de ses jambes ! “Prends ton grabat et marche !” » (Pavillon). 

Il s'installe dans une maison en pisé d'une pièce, chez une logeuse. Puis il s'achète sa propre maisonnette. Il se lie d'une profonde amitié avec un ménage de médecins relégués comme lui, les Zoubov, représentés sous le nom de Kadmine dans le Pavillon des cancéreux et dont l'histoire est rapportée dans l'Archipel. Il est instituteur à l'école du bourg. Il écrit la pièce le « Cerf » et la Putain, commence le Premier Cercle.

 

1955. Il doit subir un traitement de plusieurs mois à l'hôpital de Tachkent, pour une nouvelle tumeur cancéreuse. Il arrive à Tachkent quasi mourant, comme Kostoglotov (dans le Pavillon des cancéreux). « Cet hiver-là j'arrivai à Tachkent presque mort, oui, je venais là pour mourir. Mais on me renvoya à la vie, pour un bout de temps encore » (la Main droite).

 

1956. 6 FÉVRIER. Il est réhabilité par le tribunal suprême de l'URSS. En juin 1956, il quitte Kok-Terek, se rend à Moscou où il est accueilli par Panine et Kopelev, puis à Rostov, sur les lieux de son enfance. Il se fait nommer professeur de physique dans une école de campagne, à Torfoprodukt, près de Riazan. Il loue une chambre chez Matriona Zakharova au village de Miltsevo. Son ancienne femme vient le revoir. Dans l'hiver 1956-1957, Matriona est écrasée par un train. Rechetovskaïa et lui décident de se remarier.

 

1957-1958. Soljénitsyne s'installe à Riazan, chez sa femme et sa belle-mère. Il travaille au Premier Cercle en grand secret, tout en continuant d'enseigner. Il rédige également un scénario, Les tanks connaissent la vérité (inédit).

 

1959. Rédaction, en trois semaines, d'Une journée d'Ivan Denissovitch. Voyage à Leningrad. Première rencontre avec Natalie Svetlova. « Toutes ces années de création souterraine, je les vécus avec la conviction que je n'étais pas le seul à me contenir et à ruser ainsi. Que nous étions quelques dizaines comme cela, solitaires, têtus et renfermés, épars sur la terre russe, écrivant chacun en son âme et conscience ce qu'il sait de notre époque et ce qu'est la vérité capitale » (le Chêne et le Veau).

 

1960. Il écrit la pièce La lumière qui est en toi (Flamme au vent), inspirée par une situation concrète, mais transférée dans un Occident abstrait. Lui-même estime que c'est un échec.

 

1961. Rédaction des poèmes en prose Études et Miniatures. À la suite du XXIIe Congrès, il se décide à proposer Une journée à la publication. Il fait remettre la nouvelle à la revue Novy Mir par Kopelev. Fin décembre, il se rend à Moscou, sur la convocation de Tvardovski.

 

1962. DÉCEMBRE. Après de longues négociations avec les autorités, Tvardovski, qui a obtenu l'autorisation de Khrouchtchev, publie dans le numéro 11 de sa revue le texte d'Une journée d'Ivan Denissovitch, muni d'une courte préface. La nouvelle de cette publication est répercutée dans le monde entier. Soljénitsyne entre d'emblée dans la célébrité. Il sera présenté à Khrouchtchev lors d'une réception au Kremlin.

 

1963. Publication par Novy Mir de la Ferme de Matriona et d'Un incident à la gare de Kretchetovka, texte écrit en un mois pour la revue. Les premières voix hostiles à Soljénitsyne s'élèvent dans la presse soviétique, cependant que lui-même reçoit, à propos d'Une journée, un énorme courrier de lecteurs, dont il fera une anthologie (cf. Cahier de l'Herne, p. 212-223) : « Il s'est échappé alors comme un immense cri collectif. » 

Novy Mir publie le récit Pour le bien de la cause écrit pour la revue et propose la candidature de Soljénitsyne pour le prix Lénine. 

Encouragé par un immense public de lecteurs, Soljénitsyne est soulevé par une extraordinaire ardeur créatrice, entreprenant tout à la fois, « avec une prodigalité incroyable » : l'Archipel du Goulag (il reçoit des matériaux de tous les anciens détenus du pays), le Pavillon des cancéreux, un roman sur la révolution de 1917. 

Il entreprend d'expurger le Premier Cercle pour une éventuelle publication. Le plus souvent, il travaille à la campagne, à Solotcha, près de Riazan, dans une boulaie au bord d'un ruisseau.

 

1964. Soljénitsyne achète une petite maison d'été en bois, près du village de Rojdestvo, sur la rivière Istia (au sud-ouest de Moscou) et il abandonne son métier d'enseignant. À Pâques, Alexandre Tvardovski vient passer trois jours à Riazan pour lire le roman le Premier Cercle (dans sa version expurgée). 

Les Études et Miniatures, qui circulent en samizdat, deviennent très populaires. Fin de la vie commune avec sa femme, Natalie Rechetovskaïa. 

OCTOBRE. Khrouchtchev est renversé. Soliénitsyne se rend dans la région de Tambov pour y chercher d'anciens témoins de la révolte des paysans dans cette région en 1920-1921.

 

1965. SEPTEMBRE. Perquisition au domicile d'un ami de Soljénitsyne. Le KGB y saisit plusieurs de ses manuscrits, dont le Premier Cercle, les poèmes de camp, les pièces (en particulier le Festin des vainqueurs).

 

1966. Soljénitsyne poursuit, en différents lieux (Rojdevstvo-sur-Istia, Solotcha et autres « repaires »), la rédaction de l'Archipel, achevé en 1968. « Que le KGB déboule en ce moment - la lamentation confondue, le murmure de millions d'agonies, tous les testaments imprononcés des disparus - tout tombe entre leurs mains ; je n'arriverais plus désormais à le reconstituer, ma tête se refuserait à y travailler. » 

Parution de Zacharie l'Escarcelle dans le numéro de janvier de Novy Mir. Soljénitsyne confie à la revue de Tvardovski le manuscrit du Pavillon des cancéreux. 

FÉVRIER. Procès et condamnation des écrivains Andreï Siniavski et Jules Daniel. Débuts de la « dissidence », déclarée. 

SEPTEMBRE. Novy Mir publie un long article du critique Lakchine contre les détracteurs de SoIjénitsyne. 

17 NOVEMBRE. Réunion, à la demande de l'écrivain, de la Section de la prose de l'Union des écrivains à Moscou. Interventions favorables de Kavérine. La publication du Pavillon est recommandée par cette instance.

 

1967. PRINTEMPS. Retrouvant des notes et brouillons vieux de vingt ans, Soljénitsyne s'adonne à son grand roman historique sur la révolution de 1917 (« R 17 »). « Ce roman-ci, cela faisait trente ans - depuis la fin du lycée - qu'il s'élaborait en moi, qu'il se débarrassait de sa gangue, qu'il mûrissait, qu'il gonflait, il avait toujours été le but essentiel de ma vie, mais il n'était pratiquement pas encore commencé, toujours quelque obstacle surgissait qui le renvoyait à plus tard » (le Chêne et le Veau). 

MARS. Interview accordée au journaliste slovaque Pavel Licko. 

22 MAI. Ouverture du IVe Congrès de l'Union des écrivains. Soljénitsyne adresse aux délégués une lettre publique dans laquelle il dénonce les méfaits de la censure ainsi que les persécutions dont il est l'objet. « Infiniment rudes sont tous ces commencements, quand on n'a que le verbe pour mettre en branle le bloc inerte de la matière. Mais il n'est pas d'autre chemin quand toute cette matière n'est déjà plus la vôtre, n'est déjà plus la nôtre. Et malgré tout, un seul cri suffit parfois à déclencher l'avalanche dans les montagnes » (le Chêne et le Veau). 

Cholokhov déclare : « Il faut interdire Soljénitsyne de plume. » 

De ce mois de mai 1967, on peut dire que date la lutte ouverte et sans merci de l'écrivain Soljénitsyne contre le pouvoir soviétique. 

Il commence à en consigner les grandes étapes dans une « esquisse de la vie littéraire » qui aura pour titre le Chêne et le Veau. « Les chasseurs savent que la bête blessée est dangereuse » (dernière phrase écrite pour le Chêne et le Veau, à la veille de l'envoi de la lettre au Congrès). 

12 SEPTEMBRE. Soljénitsyne revient à la charge, demandant àl'Union des écrivains de désavouer les calomnies qui se multiplient contre lui. 

22 SEPTEMBRE. Soljénitsyne, convoqué au secrétariat de l'Union, reste sur ses positions.

 

1968. Soljénitsyne se réfugie à Solotcha, près de Riazan ; il y travaille d'arrache-pied au premier nœud de « R 17 », Août 14. « Je m'étais entouré des portraits des généraux de Samsonov et je m'aventurai à attaquer le livre capital de ma vie. » 

16 AVRIL. Soljénitsyne diffuse parmi les membres de l'Union des écrivains le dossier de sa querelle avec le secrétariat. 

Le Pavillon des cancéreux et le Premier Cercle paraissent à l'étranger. 

26 JUIN. La Literatournaïa Gazeta publie une brève lettre de Soljénitsyne qu'elle détenait depuis quelques mois. Il y désavoue ces publications et la « hâte » des traductions. La lettre est accompagnée d'un long article hostile à l'écrivain. Cependant, Soljénitsyne réussit à faire passer en Occident le microfilm du manuscrit de l'Archipel. « Comme sur le ressac de Hawaii chez Jack London, dressé de toute ma hauteur sur une planche lisse, ne me tenant à rien, fixé par rien, sur la crête de la neuvième lame, les poumons déchirés par le vent - je devine ! je pressens oui, cela passera ! oui, cela réussira ! oui, cela, les nôtres devront l'encaisser ! (Le Chêne et le Veau.) 

Parution d'extraits du Pavillon des cancéreux dans la revue tchécoslovaque Plamen (Prague). 

21 AOÛT. Invasion de la Tchécoslovaquie. SoIjénitsyne écrit le brouillon d'une proclamation : « Quelle honte d'être soviétique ! » mais renonce à la publier pour ne pas compromettre le destin de son livre l'Archipel. » Il faut garder sa gorge pour l'essentiel. Il n'y a plus longtemps à attendre. » 

DÉCEMBRE. Soljénitsyne se voit décerner, à Paris, le prix du Meilleur Roman étranger.

 

1969. ÉTÉ. Voyage dans le nord de la Russie, sur la rivière Pinega, aux sources de l'esprit de résistance des Vieux-Croyants. SoIjénitsyne est accompagné de Natalie Svetlova avec qui il conçoit le projet d'une revue nationale éditée par le samizdat (le projet recevra un début de réalisation, quelques années plus tard, avec le recueil Des voix sous les décombres). 

4 NOVEMBRE. Exclusion de la section de Riazan de l'Union des écrivains. SoIjénitsyne, présent à la séance, s'y défend avec vivacité. À l'intention de ses collègues, il cite le poète Nekrassov : « Qui ignore la tristesse et la colère / Celui-là n'aime pas sa patrie. » 

12 NOVEMBRE. Annonce officielle de l'exclusion. Soljénitsyne adresse à l'Union des écrivains une lettre publique. Il prend violemment à partie les membres du secrétariat : « Vos articles bouffis n'ont aucune consistance [...] Vous ne connaissez que la mise aux voix et les mesures administratives. » Il les accuse de ne penser qu'en termes de haine et leur lance : « Il est temps de se rappeler que nous appartenons d'abord à l'espèce humaine ! » 

À l'occasion de son cinquantième anniversaire, SoIjénitsyne reçoit d'innombrables messages de sympathie. 

Soljénitsyne, qui vit maintenant maritalement avec Natalie Svetlova, une mathématicienne moscovite très active dans le milieu des dissidents, tente d'obtenir le divorce avec sa première femme. N'ayant plus de résidence à Riazan (où vit sa première épouse), il n'a pas non plus l'autorisation de résider à Moscou, où vit N. Svetlova. Il trouve refuge chez le violoncelliste Rostropovitch, au village de Joukovka.

 

1970. Naissance du fils aîné de SoIjénitsyne, Ermolaï.

 

1971. Soljénitsyne charge un avocat zurichois, Me Heeb, de gérer ses intérêts. Il lui fait parvenir son testament par l'écrivain allemand Heinrich Ball. Parution à Paris, en russe, du premier noeud du roman historique « R 17 », Août 14, accompagné d'un appel aux lecteurs de l'émigration russe. Perquisition du KGB à la maisonnette de Rojdestvo. 

18 NOVEMBRE. La revue allemande Stern publie une interview de la tante maternelle de Soljénitsyne faisant allusion à son origine sociale. L'article est aussitôt repris par la Literatournaïa Gazeta. Naissance du second fils, Ignace.

 

1972. Lettre de Carême au patriarche Pimène. Mort de Tvardovski. 

30 MARS. Interview accordée au New York Times et au Washington Post.

Soljénitsyne dénonce les « calomnies proférées du haut des tribunes secrètes » et l'interdiction d'accès aux archives de son pays (« il m'est plus difficile de réunir des documents que si j'écrivais quelque chose sur la Polynésie »). Dénonçant l'article de la revue Stern, il fournit des explications sur ses ascendants. 

Parution d'un ouvrage malintentionné d'un journaliste finlandais dénonçant le « progermanisme » de l'auteur d'Août 14. 

AVRIL. La remise à Moscou du prix Nobel à Soljénitsyne par un représentant de l'Académie suédoise est annulée à la suite des tergiversations de l'ambassade de Suède. Soljénitsyne s'en explique dans une déclaration publique. 

21 AOÛT. « Lettre ouverte » au ministre de l'Intérieur pour protester contre les persécutions dont il est victime dans sa vie familiale (atermoiements des tribunaux pour son divorce, refus de l'autoriser à vivre à Moscou dans l'appartement de sa nouvelle compagne, N. Svetlova) : « Je profite de l'occasion pour vous rappeler que le servage a été aboli dans notre pays il y a cent douze ans. Et, dit-on, la révolution d'Octobre en a supprimé les dernières traces. » 

23 AOÛT. Interview accordée au Monde et à Associated Press. Reprenant la dénonciation des brimades qu'il subit (« Je ne vis plus nulle part »), SoIjénitsyne fait appel à l'esprit de sacrifice et déclare : « Notre prison recule et se cache. »

 

1973. AOÛT. Le procès de Iakir commence à Moscou. Sakharov déclare, dans une conférence de presse : « L'URSS est un vaste camp de concentration. » 3 SEPTEMBRE 1973 Soljénitsyne apprend qu'Elisabeth Voronianskaïa, qui avait dactylographié l'Archipel et en avait enterré un exemplaire (à son insu), a été interrogée trois jours durant par le KGB, a indiqué l'emplacement de la cachette : elle a été trouvée pendue chez elle. Deux jours après, Soljénitsyne divulgue la nouvelle et donne instruction de publier l'Archipel à l'Ouest. « La forêt de Birnam va se mettre en marche. » Menaces et lettres anonymes se font plus nombreuses. 

FIN DÉCEMBRE. Parution à Paris, aux éditions YMCA-Press, dirigées par Nikita Struve, du premier tome de l'Archipel du Goulag. « Le voici déchargé de mes épaules et à l'endroit qu'il faut, ce rocher écrasant, cette larme pétrifiée. » 

OCTOBRE. Naissance du troisième fils, Étienne.

 

1974. JANVIER. La campagne de presse soviétique contre Soljénitsyne atteint une violence inouïe. Le 19 janvier, il accorde une interview à la revue Time : « Je crois en notre repentir et notre purification spirituelle. » 

12 FÉVRIER. Il lance son « Appel de Moscou  » : appel à la résistance et au refus de tout mensonge. 

13 FÉVRIER. Arrestation, incarcération à la prison de Lefortovo. Déchu de la nationalité soviétique et proscrit, Soljénitsyne est envoyé par avion spécial en Allemagne fédérale. Accueilli à l'aéroport de Francfort par l'écrivain Heinrich Böll, il s'installe aussitôt à Zurich, où réside son avocat, et où il retrouve les traces de Lénine émigré. 

3 MARS. Divulgation de la Lettre aux dirigeants, envoyée six mois plus tôt aux chefs de l'URSS pour les inviter à mettre fin au monopole idéologique du marxisme et à développer le nord-est de l'espace russe. 

Natalie Svetlova-Soljénitsyne est autorisée à rejoindre son mari, ainsi que ses quatre enfants (L'aîné est d'un premier mariage) et sa mère. 

17 JUIN. Dans une interview à l'agence de presse CBS, Soljénitsyne critique ceux de ses compatriotes qui émigrent volontairement et déplore la faiblesse des Occidentaux. Il annonce la création d'un « Fonds social russe pour les personnes persécutées et leurs familles ». Les droits d'auteur de l'Archipel du Goulag iront intégralement à ce fonds. 

NOVEMBRE. Dans sa villa zurichoise, Soljénitsyne convoque une conférence de presse pour présenter le recueil Des voix sous les décombres. D'inspiration religieuse et nationale, le recueil comprend trois articles de Soljénitsyne (ainsi que l'avertissement). Ce sont « Quand reviennent le souffle et la conscience » où il fait le point sur son ancienne polémique avec Sakharov au sujet de la notion de « progrès », « Du repentir et de l'auto-restriction comme catégories nationales », où il développe les thèses de la Lettre aux dirigeants sur la nécessité d'un développement « intérieur ») et limité pour la Russie, et « La tribu instruite » où il fait le procès d'une intelligentsia soviétique attachée à ses privilèges et en appelle à l'esprit de sacrifice. 

DÉCEMBRE. Au cours d'une visite à Zurich de Paul Flamand et de Claude Durand, Alexandre Soljénitsyne confie aux Éditions du Seuil la gestion mondiale de ses droits (à partir de juin 1978, ces droits continueront d'être gérés par Claude Durand dans le cadre des éditions russes YMCA-Press).

 

1975. AVRIL. Voyage à Paris pour la parution du Chêne et le Veau. Débat télévisé (« Apostrophes ») et conférence de presse où Soljénitsyne révèle l'aide que Heinrich Böll lui a apportée. 

JUIN. Voyage aux USA, à l'invitation de la centrale syndicale AFL-CIO. Soljénitsyne prononce deux importants discours (30 juin à Washington, 9 juillet à New York) et il est reçu solennellement par le Sénat américain. Les « discours américains » sont une mise en garde contre l'aveuglement des démocraties occidentales, et un appel à la fermeté. 

OCTOBRE. Parution de Lénine à Zurich, chapitres extraits des premier et deuxième « nœuds » du grand roman historique « R 17 » baptisé maintenant la Roue rouge. 

Parution des Mémoires de la première femme de Soljénitsyne en russe et à Moscou (mais la vente en est réservée à l'étranger). 

1976. MARS. Nouveau voyage à Paris à l'occasion de la projection du film tiré d'Une journée d'Ivan Denissovitch (« Dossiers de l'écran »). 

FIN MARS. Voyage en Espagne. Déclarations jugées scandaleuses par la presse espagnole de gauche (concernant le caractère bénin de la dictature en Espagne). AVRIL Interview accordée à la télévision britannique. Soljénitsyne y définit le genre de Lénine à Zurich comme une « enquête créatrice ». Boris Souvarine publie dans Est-Ouest un article où il condamne cet ouvrage pour ses erreurs historiques. 

OCTOBRE. Soljénitsyne quitte Zurich et s'installe aux USA dans l'État de Vermont, près de la petite ville de Cavendish. Il y possède une vingtaine d'hectares et y aménage, outre la maison d'habitation, une bibliothèque destinée à recueillir des manuscrits et ouvrages consacrés à la Russie. Plusieurs reporters, mécontents de ne pas être reçus, décrivent dans la presse américaine le « nouveau goulag électrique » de Soljénitsyne.

 

1977. SEPTEMBRE. Appel aux émigrés russes pour l'aider à fonder la « Bibliothèque de la mémoire russe ». 

1976-1979 Soljénitsyne se rend discrètement aux différentes universités
américaines qui possèdent des archives russes : le Houghton Institute (Californie), Yale, Harvard. Il travaille opiniâtrement à la Roue rouge, remaniant le premier « noeud » (Août 14) et rédigeant les deux « nœuds » suivants (Octobre 16 et Mars 17) dont quelques extraits paraissent dans le Messager russe, à Paris.

 

1978. AVRIL. Natalie Soljénitsyne vient à Paris pour défendre publiquement A. Guinzbourg, Orlov et Chtcharanski. Guinzbourg avait géré en URSS le fonds d'aide financé par les droits de l'Archipel. 

MAI. Sortant de son mutisme, Soljénitsyne accepte de présider le Commencement Day (dies academicus) de l'université Harvard. Il lance de cette tribune un solennel et sévère avertissement au monde occidental, coupable d'avoir adopté le « bonheur » comme critère suprême, d'être aveugle à l'autonomie des autres cultures (y compris la russe). L'humanisme occidental est dénoncé comme la racine du mal. Renvoyant dos à dos le « bazar idéologique » de l'Est et le « bazar mercantile » de l'Ouest, Soljénitsyne déclare que la seule issue est dans le courage individuel, dont la Russie donne l'exemple. 

Ce discours provoque de nombreuses polémiques. Certains commentateurs le rapprochent du discours, trente et un ans plus tôt, de George Marshall. Ce n'est plus un plan d'aide matérielle, mais d'aide morale qui est proposé à l'Occident. 

D'autres dénoncent le « droit de ne pas savoir » revendiqué par Soljénitsyne face aux excès de la presse occidentale, ainsi que son apologie de la « théocratie » et l'étroitesse de ses jugements sur l'Amérique. 

8 JUIN. SoIjénitsyne dénonce les « mensonges » d'Olga Carlisle dans son livre The Secret Circle où elle expose l'aide qu'elle a apportée à l'écrivain et son « ingratitude ». 

DÉCEMBRE. Publication des deux premiers tomes des Oeuvres complètes en russe d'Alexandre Soljénitsyne, édition préparée à Cavendish par Soljénitsyne et sa femme, publiée à Paris aux éditions orthodoxes YMCA-Press. Les deux premiers tomes livrent la version « authentique » du Premier Cercle (en 96 chapitres au lieu de 87).

 

1979. FÉVRIER. Parution d'un « complément » nouveau au Chêne et le Veau (Dans les relents). SoIjénitsyne répond aux calomnies d'un nouvel ouvrage confectionné à Moscou contre lui et sa famille. 

Interview accordée à J. Sapiets, de la BBC (pour le cinquième anniversaire de son expulsion d'URSS). Soljénitsyne y précise sa nouvelle conception de la révolution de Février 1917, considérée comme une catastrophe dont les libéraux russes sont les principaux responsables. Mise en garde de l'Occident qui se prépare un « Février 1917 ». Soljénitsyne affirme que la vraie libération morale des personnes a lieu en Russie, grâce au refus du mensonge. Il refuse de se dire « émigré » et indique que, pour lui, c'est en Russie qu'est, aujourd'hui, le « noeud de toute l'histoire humaine ». 

28 AVRIL. Libération d'A. Guinzbourg et de quatre autres dissidents échangés contre deux espions soviétiques. Soljénitsyne accueille Guinzbourg chez lui. 

JUILLET. Parution des tomes III et IV des Œuvres complètes en russe, ainsi que des premiers ouvrages de la Bibliothèque de la mémoire russe, 

SEPTEMBRE-NOVEMBRE. Plusieurs membres du mouvement dissident en exil accusent Soljénitsyne de fanatisme « khomeinien ». Soljénitsyne réplique en dénonçant ce « passe-passe persan ».


[1] 1. Curieusement, Soljénitsyne a changé de patronyme : Isaïevitch (fils d'Esaïe) au lieu d'Isaakievitch (fils d'lsaac).


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 11 juin 2006 11:10
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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