RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Georges Nivat, Georges Nivat, La « Journée de l’Unité nationale » ne fait pas l’unité en Russie (2006)


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Georges Nivat, La « Journée de l’Unité nationale » ne fait pas l’unité en Russie”. Un article publié dans le journal Le Temps, édition du mardi, 7 novembre 2006. [Autorisation accordée par l'auteur le 18 novembre 2006.].
Texte de l'article

Pour la deuxième fois on célébrait en Russie, samedi 4 novembre dernier, la Journée de l’Unité nationale. La Douma a imaginé cette nouvelle fête chômée, en remplacement du 7 novembre de naguère ; le 7 novembre fêtait l’anniversaire de la Révolution d’Octobre, c’est-à-dire le coup de force bolchevique du 25 octobre 1917. « Ancien style », bien sûr, puisque la Russie d’alors suivait encore le calendrier julien, c’est d’ailleurs toujours le cas de l’Église orthodoxe russe, et figurez-vous que certains députés ont demandé le retour à ce calendrier « russe », Juifs ou musulmans ayant le leur, pourquoi pas nous ? 

Selon le Centre d’enquêtes sociologiques Levada, un Russe sur cinq connaît le nom de cette fête, et presque personne ne sait répondre à la question : de quel 4 novembre s’agit-il ? le 22 octobre 1612 (« ancien style » !) est fêtée l’Icône de Notre-Dame-de-Kazan que le prince Pojarski plaça devant le Kremlin face aux troupes polonaises du voïévode Strouss. Pojarski emporta la citadelle, et promit d’édifier à l’emplacement de l’icône une église à sa dédicace. Ce qui fut fait, l’église est à gauche en pénétrant sur la Place Rouge venant des Portes d’Ibérie, mais les Soviets la firent exploser, on y établit même des latrines publiques, Elle a été reconstruite à présent, et rend témoignage de l’aide miraculeuse de la Mère de Dieu, tandis qu’à l’autre bout de la Place le groupe sculpté de Minine (marchand de Novgorod) et du prince Pojarski rappelle ce début d’un âge nouveau pour la Russie : l’élection, le 21 février 1613, par le Concile de la Terre russe du jeune Romanov, fils du patriarche Fiodor au trône tasrien. 

Sites et « chats » russes se disputent sur la date et le sens de cette fête. L’apparition d’une icône peut-elle devenir une fête de l’unité nationale pour un pays multiconfessionnel, et qui comporte 20 millions de musulmans ? 

À vrai dire la Russie du président Poutine est preneuse de tous les symboles, on pourrait dire qu’elle est « panthéonique »…Un exemple curieux en fut donné le 29 septembre dernier avec le retour des restes de l’impératrice Maria Fiodorovna à Saint-Pétersbourg. 

Maria Fiodorovna était une princesse de Danemark, elle épousa le futur Alexandre III (celui de l’alliance franco-russe et du pont de Paris). Lors de la Révolution et de la guerre civile russe, elle put passer de Crimée en son Danemark natal, assistant de loin au massacre de son fils Nicolas II, de ses petites filles, les grandes duchesses, et de son petit-fils, le tsarévitch Alexis. La dépouille cédée par la famille de Danemark arriva à Cronstadt sur un cuirassé danois, fut apportée à Péterhof, puis passa en grande pompe devant la monumentale statue de Lénine sur la Chaussée de Moscou, parvint à la Cathédrale Saint-Isaac où le Patriarche Alexis célébra une liturgie pour le repos de son âme, enfin poursuivit sur son affût de canon vers la forteresse Pierre-et-Paul afin de rejoindre la famille impériale au caveau des Romanov. Mais le patriarche ne se joignit pas à cette dernière étape car l’église ne reconnaît pas les analyses d’ADN qui ont permis d’identifier le peu qui subsistait des cadavres de la malheureuse famille massacrée à Ekaterinbourg. On eut la délicatesse de ne pas jouer l’hymne officiel de la nation, qui a conservé l’ancien hymne du parti de 1937, musique d’Alexandrov, paroles de Sergueï Mikhalkov, revues en 1943, en 1953 et en 2000… 

Funérailles officielles : la Russie rapatrie tous ses morts. L’an dernier le général Denikine était revenu, salué par l’hymne de l’armée qui l’avait vaincu, accompagné par le philosophe émigre Iline, dont la pensée nationaliste est un peu la source de l’idéologie officielle. Un syncrétisme de la mémoire étonnant, mais qui a des précédents : le drapeau français n’est-il pas l’amalgame des couleurs du roi et de la Ville où il fut décapité ? Toute Restauration doit être prudente et œcuménique. On restaure actuellement toutes les symboliques : celle de l’Ancien Régime, celle de la timide démocratie russe, celle de l’Union soviétique brejnévienne. ‘Une amnésie historique en habits de deuil », écrit sévèrement le père Guéorgui Mitrofanov dans le Messager de l’Église. «  Les obsèques s’accompagnèrent de débats sur la restauration de la mémoire historique. Et même les fonctionnaires d’État qui soulignent volontiers leur filiation juridique et spirituelle avec les destructeurs de la Russie au temps de la période soviétique se déguisèrent pour quelques heures en de patriotes orthodoxes portant le grand deuil, et supportèrent, debout, un long service funèbre» 

Et le peuple ? peu lui chaut le retour de la dépouille de la dernière Impératrice mère de toutes les Russies, il allonge le « pont » entre 4 et 7 novembre, il regarde les grands et beaux « serials » russes sur l’histoire du siècle dernier : le » Docteur Jivago », le « Maître et Marguerite », « Qui sommes-nous ? ». En somme il souffle… Ce n’est pas si mal. 

Au matin du 4 novembre des activistes du Mouvement russe contre l'immigration illégale, de l'Union slave, et autres groupes d'extrême droite se sont rassemblées près de la salle de concert «Oktiabrski», ont résisté aux forces de l'ordre, et environ deux cents d'entre eux sont parvenus à défiler avec Svastika sur la Perspective Nevski, faisant le coup de poing avec des jeunes du mouvement «Anti-Fa». Puis tout rentra dans l'unité nationale…


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 17 décembre 2006 18:39
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref