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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La gestion sociale et pastorale de la prostitution: une étude praxéologique” (1987)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de “La gestion sociale et pastorale de la prostitution: une étude praxéologique”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Marcel Viau et Raymond Brodeur, Les études pastorales: une discipline scientifique ? Pastoral Studies as a Scientific Discipline ?, pp. 235-250. Québec: Université Laval, Groupe de recherche en sciences de la religion, 1987, 398 pp. Les Cahiers de recherches en sciences de la religion, vol. 8, 1987. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 5 octobre 2006 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

De 1971 à 1979, une travailleuse sociale ouvre son logement, rue Saint-Denis à Montréal, à des femmes qui vivent de la prostitution. Elles s'y rassemblent alors régulièrement avec un groupe de chrétiennes et de chrétiens intéressés à faire Église avec elles. Ce projet de pastorale informelle, que nous appellerons « Chez Marie », du nom de son animatrice, Marie Labrecque, se caractérisait par son souci de gratuité et de disponibilité, plutôt que de réhabilitation ou de conversion. Il aura permis à ses participants de vivre une expérience ecclésiale particulière que nous croyons significative aussi bien pour la tradition chrétienne que pour nos rapports sociaux. 

Les femmes prostituées ont pu s'y rencontrer hors de leur occupation professionnelle, partager une expérience qui doit souvent se taire puisqu'elle n'est pas acceptée, rencontrer des gens qui ne prétendaient pas les utiliser, les juger ou les réformer. Certaines enfin ont pu y découvrir un visage de l'Église ou du Dieu de Jésus-Christ qui leur était jusqu'alors inconnu ou interdit. Leurs partenaires, d'autres participants ou des animateurs du projet, y découvraient une parole originale et provocante, prenaient conscience de certaines parentés avec des femmes qu'ils avaient cru étrangères et dont ils éprouvaient enfin l'importance pour le projet ecclésial comme pour l'imaginaire social. 

Issue d'une participation de plus de cinq ans à cette pratique, notre étude en rend compte pour en dégager les enjeux concernant l'interaction socio-ecclésiale avec des personnes prostituées. Initialement, cette recherche universitaire visait à informer cette pratique dont elle apparaissait comme un moment critique. Conscients des limites et de la marginalité de leur projet, ses animateurs sentaient parfois le besoin d'en confirmer les options. Sa gratuité et sa discrétion étaient-elles justifiables relativement aux enjeux sociaux de la prostitution et du rapport aux femmes prostituées ? Le caractère privé et intime de l'accueil ne le rendait-il pas finalement illusoire ? Était-elle réaliste, cette prétention à révéler à des femmes prostituées qu'elles sont en réalité aimées de Dieu, alors qu'elles se trouvent marginalisées par leur Église ? Se posait enfin la question du partage eucharistique de cet amour, alors même que l'Assemblée des Évêques du Québec, qui se penchait sur les marginaux, les désignait encore comme des « non-sacramentalisables ». 

Ces questions nous ont conduit à rechercher les assises socio-personnelles et pastorales d'une pratique qui entendait se démarquer de l'ensemble des interventions (judiciaires, scientifiques, éducatives ou commerciales) relatives aux femmes prostituées. Une double pertinence, nous a-t-il semblé, demandait alors à être établie ou confirmée, tant du côté des prostituées et de leur vécu que du côté de la tradition chrétienne et de la mouvance du Royaume. Il s'agissait de dégager le rapport de la pratique et de ses discours avec la double quête portée, bien que peu affirmée, par ses « destinataires » et ses « animateurs ». Il s'agissait aussi de vérifier en quoi cette pratique, qui se voulait un espace d'ouverture dans l'enfermement des femmes prostituées, se démarquait des pratiques et des discours qu'elle soupçonnait de participer à cet enfermement. Il fallait donc prendre le temps d'étudier cette pratique, comme celles qu'elle contestait, de la situer en rapport à la tradition chrétienne, dont elle se réclamait, afin de pouvoir l'éclairer sur son interaction avec des prostituées, avec d'autres pratiques et avec le Règne de Dieu, pour proposer éventuellement une confirmation ou une transformation en profondeur de cette pratique. 

« Parti » de la pratique que nous continuions de mener, nous y « revenions » donc après une démarche critique susceptible de la rendre davantage consciente de ses enjeux et de ses positions. On aura peut-être reconnu les préoccupations de la praxéologie pastorale élaborée à la Section des études pastorales de la Faculté de théologie de l'Université de Montréal : à partir de l'analyse des modes de la pratique, de son milieu, du discours de ses acteurs et de leurs interactions, dégager les modèles explicites ou implicites de cette pratique et essayer d'en assurer la cohérence, la pertinence et l'efficience, en rapport au pays réel et à la tradition chrétienne. 

Le projet de « Chez Marie » s'est terminé avec le départ de son animatrice en 1979. Il a duré huit ans, ce qui est relativement long pour une intervention en milieu marginal, privée et libre d'attaches ou de supports institutionnels. La prospective de la recherche qui l'avait accompagnée jusque là s'en trouvait donc modifiée. Néanmoins, les questions qu'elle portait demeuraient pertinentes étant donné leur caractère d'universalité et leur importance fondamentale [1]. Sa dynamique et certains des discours qu'elle avait rencontrés menaient en effet à critiquer la privatisation massive de la problématique prostitutionnelle aux niveaux politique, scientifique et ecclésial, et sa réduction encore trop fréquente à un seul de ses acteurs : la femme prostituée. La réalité prostitutionnelle s'y révélait comme un phénomène beaucoup plus large, dépassant les plans commercial et moral auxquels on la limite souvent, et qualifiant même un certain nombre de comportements interpersonnels, collectifs et ecclésiaux sur lesquels nous étions amené à réfléchir.

[1] Le fait que la recherche se poursuive en ce sens témoigne de la portée de la pratique de « Chez Marie », dont elle est issue.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 9 avril 2007 14:30
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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