RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-Macaire MUNZELE Munzimi, “L’alimentation comme fondement de l’identité culturelle.” Un article publié dans la revue Mouvements et Enjeux sociaux, no 76, janvier-février 2013, pp. 15-30. [M Jean-Macaire MUNZELE Munzimi, nous a accordé le 1er mai 2014 son autorisation de diffuser électroniquement cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Jean-Macaire MUNZELE Munzimi

L’alimentation comme fondement
de l’identité culturelle
.

Un article publié dans la revue Mouvements et Enjeux sociaux, no 76, janvier-février 2013, pp. 15-30.

Introduction

I.  Décryptage conceptuel
Culture
Identité
Identité culturelle

II.  Approches théoriques de pratiques alimentaires
Approche primordiale
Approche subjective
Approche objective
Approche systémique

Conclusion

INTRODUCTION

L’homme entretient un rapport privilégié non seulement avec le milieu dans lequel il vit, mais également, avec les aliments dont il prend soin en y apportant une dose de culturalité spécifique. La perspective mésologique à laquelle je souscris ici, souligne la nécessité de prendre en compte ce que SAUVE L décrit en ces termes : « La dimension humaine de l’environnement, qui est construite à la jonction entre nature et culture. Elle s’intéresse au milieu de vie (d’où le préfixe grec «méso» qui signifie milieu), avec ses dimensions historiques, culturelles, politiques, économiques, affectives, symboliques, etc.» [1].

Cette perspective mésologique postule premièrement que, l’alimentation est un acte humain total à travers lequel se retrouvent les questions sociales et culturelles les plus fondamentales. Dans ce sens, l'analyse de l’alimentation peut renvoyer à la question de l'appartenance sociale, culturelle ou communautaire du groupe. Elle revêt également une forte charge symbolique comme en témoignent la valeur attachée aux aliments de base et aux interdits alimentaires.

Deuxièmement, l’alimentation est aussi un système de représentation. En effet, les aliments sont objets de classement comme le sont les saveurs ou les opérations culinaires. La manière d'associer et de présenter les mets comporte une dimension éminemment culturelle. Chaque société cherche à valoriser sa cuisine et à sauvegarder ses interdits alimentaires comme patrimoine gastronomique. Troisièmement, l’alimentation fournit des indices qui permettent d’identifier, de catégoriser et de situer socialement l’individu comme l’énonce Brillant de Savarin : « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es ».  Mais j’ajouterai à cette équation : « dis-moi comment tu as préparé ce que tu manges et comment tu le manges, je te dirai qui tu es ». Car les modes opératoires de la cuisine et de la consommation sont des déterminants culturels qui différencient les peuples ou les communautés, bien que celles-ci mangent les mêmes nourritures.

En accentuant l’effet de loupe, le choix des aliments, les modes de préparation et de consommation comme éléments structurants de la gastronomie obéissent à des contingences culturelles et sociales. Chaque groupement humain élabore son alimentation en fonction de son environnement et des possibilités combinatoires qu’il se crée avec les condiments piochés dans cet environnement. Il s’agit de démontrer en quoi l’acte alimentaire constitue t-il le fervent d’une construction culturelle au point de devenir une source d’identification. Autrement dit, quels liens peut-on établir entre bol alimentaire et identité culturelle ? Comment cette identité peut-elle persister à tout changement d’environnement, à un exode rural ou à une émigration ?

En émettant l’hypothèse que la consommation d’aliments contribuerait à la construction et au façonnement de l’identité culturelle, la réflexion proposée dans ces lignes s’appuie sur une démarche conceptuelle et théorique. Néanmoins, il est utile de mettre en discussion théorique la question identitaire-alimentaire en rapport avec les nouveaux modes d’alimentation introduits par la « modernité », l’urbanisation ou l’émigration. En effet, que reste-t-il de l’identité culturelle alimentaire si dans une ville comme Kinshasa les populations originaires de tel ou tel coin du pays se mettent à manger tel aliment qui n’est pas à l’origine celui de leur société ?

Outre la déclinaison des concepts d’identité et de culture, l’architecture textuelle présente quatre approches théoriques (notamment primordiale, objective, subjective, relationnelle et systémique) qui peuvent déboucher sur des applications pratiques. Applications susceptibles de fournir une dimension d’intelligibilité sur les habitudes alimentaires d’une société, de rechercher les causes d'une malnutrition chronique, d'introduire un programme éducatif ou de promouvoir la consommation d'un aliment particulièrement intéressant sur le plan nutritionnel dans un contexte culturel déterminé. Une réflexion est alors nécessaire pour reconsidérer l’identité culturelle alimentaire en raison des exigences nutritives pour une meilleure santé dans le contexte de l’urbanisation. De même, et dans ce même cadre, il est indispensable d’interroger cette même identité face aux propositions de l’industrie alimentaire présentes dans le paysage nutritionnel : les firmes internationales Coca Cola, Nestlé, ou à l’échelle plus réduite les sociétés comme Marsavco, Bracongo ou d’autres.

I. Décryptage conceptuel

Culture

Différentes définitions du mot culture reflètent les théories diverses qui permettent de comprendre ou d’évaluer l’activité humaine. En la considérant comme une programmation mentale collective propre à un groupe d’individus, nous tenons à mettre en évidence deux acceptions du dictionnaire français : la culture individuelle et la culture collective.

La culture individuelle de chacun est une construction personnelle de ses connaissances qui aboutit à la culture générale. Elle comporte une dimension d’élaboration, de construction (le terme Bildung est généralement traduit en éducation), et donc par définition évolutive.

La culture d'un peuple tend à souligner l’identité culturelle de celui-ci, la culture collective à laquelle il appartient. Elle traduit une unité fixatrice d’identités, un repère de valeurs relié à une histoire, un art, parfaitement inséré dans la collectivité. Cependant, la culture collective n’évolue que très lentement, sa valeur est au contraire la stabilité figée dans le passé, le rappel à l’histoire.

Ainsi, pour une institution internationale telle que l’UNESCO : « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd'hui être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions de valeurs, les traditions et les croyances ». Ce réservoir commun évolue dans le temps par et dans les formes des échanges. Il se constitue en manières distinctes d'être, de penser, d'agir et de communiquer. La culture est donc, ce qui est commun à un groupe d'individus, ce qui le soude.

Identité

Par la complexité et les controverses qu’elle soulève, l’identité est l’objet de nombreux débats dans la littérature scientifique [2]. La lecture qui en est faite ici, repose sur les approches proposées respectivement par Jacques Berque et Ismaël Serageldin.

Berque conçoit l’identité comme le fait qu’« un nombre d’individus se sentent liés les uns aux autres et aient la sensation de faire corps, passagèrement ou non, globalement ou non sous le signe de tel ou tel concept, telle idée, ou telle action, etc. Pareille définition procède de l’idée que le concept d’identité culturelle trouve toute son importance en l’appliquant à une communauté » [3].

L’approche de Berque met en évidence le caractère dynamique du concept, susceptible de mobiliser les énergies de toute une société à un moment donné et devenant ainsi un élément fédérateur, source de progrès. Même si le risque de dérives identitaires n’est pas à exclure lorsqu’une partie de la société se sent marginalisée.

Ismaël Serageldin [4] propose une vision holistique de l’identité culturelle. La culture correspond à une production collective qui définit l’identité, l’éthique et les valeurs d’une société. Dans cette optique, elle est quelque chose de continu qui a la propriété de tout englober du passé au présent et à l’avenir. Excellente dans son approche, cette vision généralise l’idée de la nature humaine, proclame l’unité de l’homme et tend vers une homogénéisation des cultures de base, source parfois de malaise et de malentendu.

En raison de son caractère multidimensionnel et dynamique, l’identité est une notion complexe et difficile à définir. Néanmoins, elle est le fruit d’une interaction entre les membres d’une société qui contribuent à son élaboration, et d’une interaction entre cette société et son environnement où elle s’approvisionne (zone de brousse, de savane ou de forêt, zone urbaine, etc.). Comme le souligne Bell, l’identité n’existe en soi qu’en tant que produit et support des luttes sociales et politiques.

Identité culturelle

Conçu comme un système fonctionnant en une relation dialectique, l’identité offre aux individus vivant dans une société le sentiment de faire corps, d'affirmer leur appartenance au groupe et leur différence aux autres. N'étant véhiculée que par la culture, elle revêt un double caractère d’unité et de distinction. Ce qui explique la complémentarité des deux concepts.

Culture et identité ont en commun un même parcours historique [5], ils partagent également un même destin et tendent à expliquer une même réalité sous des angles distincts.

II. Approches théoriques
de pratiques alimentaires


Approche primordiale

Les tenants de l’approche primordiale [6] soulignent l’importance des groupements de base (famille, ethnie) dans l’intégration des personnes. Comme fondement de « toute appartenance sociale » [7], cette approche considère « La puissance des sentiments émotionnels qui est entretenue par le symbolisme des liens de sang comme primaire et fondamentale » [8]. L’identité ethnique est à la base de tout fondement social. Autrement dit, l'appartenance à une communauté ethnique est déterminante et essentielle dans la mesure où elle repose sur les liens généalogiques et permet de se situer dans le système des relations sociales. L’importance que les hommes attachent à leur terroir, leurs croyances, leurs pratiques alimentaires se justifie de ce point de vue.

Pour les tenants de cette approche, la socialisation de l’individu est au cœur de l’acquisition de l’habitus [9]. Conception qui condamne l’individu à l’acquis en lui reniant toute capacité d’action puisqu’étant socialisé en famille comme cadre social de référence. En son sein, il fourbit ses premières armes, déguste ses premiers aliments qui façonneront son goût.

Les arguments avancés par les tenants de cette approche présentent des limites. Car, ce qu’ils considèrent comme des attachements primordiaux sont avant tout des constructions sociales qui restent soumises aux dynamiques des interactions individuelles. TINE souligne assez pertinemment que les théories primordialistes ne rendent pas compte de la complexité sociale, enfermant l’individu et le groupe qui s’en inspirent dans une sorte d’universalisme autarcique et figé du particulier culturel, ethnique, religieux, linguistique ou sexuel.

Approche subjective

L’approche subjective analyse le sens que les acteurs sociaux attribuent à leurs actes et accorde une place prépondérante à leurs actions en tant qu’êtres pensants et doués d’ingéniosité. Cette approche explore de l’intérieur les motivations qui déterminent les agissements et insiste particulièrement sur les représentations que les acteurs ont de la réalité sociale. D’où, l’intérêt qu’il y a, à observer leur vécu au quotidien. Autrement dit, cette approche tend à ramener la réalité à celle du sujet pensant. Elle ne considère pour réalité que celle du moi.

L’acte alimentaire fournit une bonne illustration des représentations que les acteurs sociaux ont de leurs pratiques. Leur perception tient de la symbolique culturelle. L’importance accordée aux codes culturels, aux interdits alimentaires et aux aliments de base est essentielle dans la connaissance des comportements alimentaires d’autres sociétés. À cet égard, l’alimentation est non seulement une matière permettant à l'organisme humain de se maintenir en équilibre, mais est surtout perçue comme un moyen d’affirmer son identité, d’établir un lien entre les vivants (les présents) et les morts (ceux qui vivent dans l’au-delà) au travers de rites appropriés. Même les morts ont droit à une nourriture. En Afrique noire et dans d’autres coins du monde, l’imaginaire [10] collectif considère que les morts ne sont pas morts. La vie ne cesse pas avec la mort. Car celle-ci est un passage. Thomas [11] note chez les Dogons un parallélisme saisissant entre la cosmogonie de cette société et les pratiques alimentaires. Il constate que « Souvent même les défunts exigent de la nourriture en échange des services qu’ils peuvent rendre à la communauté des vivants » [12].

L’approche subjective privilégie le sentiment d’appartenance, la force d’impulsion, le dynamisme qui caractérise les acteurs sociaux et relativise l’importance des attachements primordiaux. Elle récuse l’immuabilité de l’identité et postule sa variabilité ainsi que son caractère éphémère.

Approche objective

Par son souci d’exhaustivité et de rigueur, l’approche objective vise à appréhender les faits de manière la plus objective qui soit. Elle veut objectiver les faits. Mais les faits sont-ils réellement les faits ? En s’inspirant de la sociologie de Durkheim et de Comte, l’objectivation des faits requiert une prise de distance par rapport aux objets observés. La réalité existe-t-elle indépendamment de la perception des choses ? L’homme ne peut-il créer, inventer, altérer ou formater la réalité ? La réalité existe-t-elle objectivement en dehors du jugement humain ? Ce dernier se doit-il de se faire en fonction des prérogatives de la réalité ?

Objectiver la réalité, c’est affirmer le primat de la raison comme une nécessité objective. D’après Ayn Rand, « L’homme agit pour sa survie selon sa nature, il détermine ses besoins en fonction de ce qu’il est, en fonction d’une réalité objective (d’où la légitimité du primat de la raison) » [13].

Cette approche cerne la question identitaire en se basant sur des critères jugés objectifs, mesurables, localisables, contextualisables tels que l’origine, la langue, la culture, la religion, le territoire, l’ethnie, le village. L’identité est alors perçue comme stable, immuable et réifiée, c’est-à-dire préexistant à toute forme de rapports sociaux. L’individu serait un simple instrument inféodé au groupe social.

Cette perspective considère les pratiques alimentaires non pas comme une construction sociale mais comme des acquis. L’individu étant réduit à une portion incongrue. Et pourtant, elles ne sont pas figées comme je le souligne plus loin. Une telle perceptive se porte en faux au rôle joué par l’acteur social tel que l’entend Croisier.

Approche systémique

L’approche systémique se base sur l’idée que les éléments d’un tout sont interdépendants et complexes. Ceux-ci se caractérisent par leur globalité, leur totalité, leur interaction, leur homéostasie et leur équifinalité. Cette approche envisage les acteurs sociaux et leurs pratiques dans une globalité complexe, interagissant et indissociable.

L’approche systémique renvoie à « La théorie des systèmes. Dans sa dimension socio-économique, elle prend en compte la finalité de l’activité économique, les interrelations entre les agents de toute nature (y compris par exemple les nutritionnistes-prescripteurs, les médias, les associations de consommateurs, les pouvoirs publics nationaux et supranationaux, etc.), la structure du système alimentaire caractérisée par des variables d’état (par exemple, la concentration des entreprises à un instant), des variables imposées (par exemple, les taux d’intérêt directeurs dans le pays considéré) et des variables d’action (par exemple, le niveau d’emploi dans le système) » [14].

Appliqué à l’alimentation, le système peut s’entendre comme « Un réseau interdépendant d’acteurs (entreprises, institutions financières, organismes publics et privés) participant directement ou indirectement à la création de flux de biens et services orientés vers la satisfaction des besoins alimentaires d’un groupe de consommateurs dans un espace géographique donné » [15].

L’approche systémique est d’un intérêt certain, car elle permet de décortiquer la question de l’identité alimentaire suivant un double point de vue : d’abord, celui des auteurs sur le manger qui s’appuient sur une démarche inductive et horizontale. Ces auteurs voient dans la littérature traitant de leurs pratiques un moyen d’objectiver, de déceler les interrelations, les contradictions, les conflits et les complémentarités. Ces études participent à la mise en œuvre de la demande sociale supposée éclairer les rythmes sociaux de transformations, les innovations, les résistances et les solidarités objectives.

Ensuite, celui des acteurs sur le manger qui s’inscrit dans une relation d’interdépendance. Un même acteur est capable de cumuler des fonctions et des rôles différents. Il peut être à la fois éleveur des porcs et fournisseur sur le marché de détail et entretenir des relations avec les acteurs de deux côtés. Robert King Merton [16] considère le rôle de l’individu comme central dans l’interaction. Ainsi, parle-t-il de « status set » et de « role-set » pour désigner respectivement la fonction et les rôles que celui-ci occupe dans la société ainsi que les types de relations et la diversité des rôles qui caractérisent la position de ce dernier au sein de chaque institution.

Le schéma ci-dessous montre que les rôles joués par les acteurs du manger (acteurs traditionnels, spécialistes et chercheurs, médiaux et décideurs) sont dans une relation d’interdépendance. Rôles qui peuvent s’inverser et favoriser par-là non seulement les effets de composition comme source des malentendus, des conflits et des changements sociaux mais aussi des articulations qui sont soumises aux aléas du marché, à des régulations mixtes qui mettent en scène les agents économiques et les intermédiaires. Ce schéma illustre également que les interactions entre acteurs qui ont lieu dans une approche systémique réfèrent au « concept dialectique de filière du manger, constituée de zones en interaction, dans lesquelles le sens des messages peut s’inverser à n’importe quel moment.» [17]. Les différents cercles représentent le niveau d’interpénétration et de complémentarité qui crée des passerelles entre acteurs.

Schéma: filière du manger [18]

Légende : les acteurs du manger

I = acteurs traditionnels de la filière agro-alimentaire
II = spécialistes et chercheurs producteurs de savoirs
III = médias
IV = décideurs locaux, nationaux, internationaux

L’approche systémique intègre acteurs (traditionnels, spécialistes, médias et décideurs) et pratiques dans une même structure en vue d’une meilleure compréhension. Cette vision intégrante des acteurs permet une lecture appropriée des rôles et mécanismes qui régulent le fonctionnement de la filière. Ainsi, comme le montre le schéma ci-dessus, les acteurs traditionnels sont constitués des intervenants en amont et en aval de la filière [19] de production qui va de l’usine jusqu’au consommateur final en franchissant des étapes.

L’intervention du sociologue se situe à tous les niveaux du palier. Comme je l’ai souligné plus haut, sa démarche s’inscrit dans un cadre multidisciplinaire dans lequel les chercheurs des diverses disciplines peuvent confronter les résultats de leurs recherches.

Les médias jouent un rôle important de par les images et la diffusion d’informations qu’ils assurent. La publicité qui est faite autour de certains biens de consommation est parfois légère. D’où, l’intérêt indispensable pour élaguer les publicités fantaisistes car, ne reflétant forcément pas la réalité qu’elle véhicule. Il est plus facile de faire croire que le hamburger américain est plus nutritif que le termite africain.

Les décideurs locaux (populations cibles), nationaux (Etat et ses différentes organisations) et internationaux (institutions internationales) doivent privilégier l’intervention étatique afin que soient données les grandes orientations en matière de politique générale et soutenues les initiatives privées susceptibles de dynamiser la vie économique. Le schéma ci haut a permis de circonscrire le cadre de référence dans lequel s’organisent les pratiques alimentaires. Qu’elles soient locales, régionales, nationales ou internationales, le contexte situationnel et relationnel y joue un rôle non de moindre.

Le système économique mondial est régi par des acteurs internationaux pour qui les signifiants culturels associés aux aliments sont souvent fondés sur des notions contradictoires touchant la santé physique, l’esthétique, les goûts et le prestige social, qui reflètent les antagonismes existant entre le secteur privé et le secteur public, et dans les messages diffusés sur le marché. À l’instar des aliments, les identités n’échappent pas au métissage. L’expérience migratoire correspond à cette complexité. Ceci mérite ainsi un questionnement : comment les multinationales internationales alimentaires (Nestlé, Coca Cola, Pepsi, etc.) avec leurs nombreux produits alimentaires impactent-ils sur les identités culturelles ?

De même les programmes alimentaires internationaux qui œuvrent pour la bonne santé mondiale et proposent des formules d’équilibre alimentaire ne constituent-ils pas eux aussi des codes culturels à défaut d’être des identités culturelles à part entière ? Ces acteurs internationaux adaptent leurs produits en fonction des différents contextes dans lesquels ils sont amenés à se déployer. S’alimenter loin de son terroir implique une adaptation au nouveau contexte avec tous les changements que cela suppose. En faisant preuve de réalisme et de flexibilité, les immigrés par exemple intègrent dans leur diète l’apport de denrées issues de leur nouvel espace social. Un mix s’opère alors entre deux cultures alimentaires pour créer un syncrétisme.

Ainsi, une étude du mode alimentaire effectuée en 1993 auprès des populations immigrées africaines en région parisienne par les étudiants en « Politique Alimentaire Internationale » de l’Université de Paris I – Sorbonne avait mis en exergue le terme de « substitution », comme recours des immigrés africains à reconstituer leur culture alimentaire à l’étranger. L’étude cherchait à comprendre comment ces populations réinventent l’alimentation culturelle emblématique nationale (un ou plusieurs des plats nationaux) dans un contexte étranger où de nombreux ingrédients n’étaient pas nécessairement ceux de leur pays d’origine (par la texture, la qualité, les apports en goût, etc.). Et comment les commerçants ou les industries alimentaires rentraient dans cette filière de « l’alimentation ethnique ». Le résultat des enquêtes avait montré que la population immigrée africaine de la région parisienne procédait à la « substitution » des ingrédients afin de coller au plus près (goût, aspect physique, etc.) à l’aliment emblématique, référence de l’identité culturelle.

À Kinshasa, Capitale de la RDC où cohabitent de nombreuses ethnies, l’alimentation quotidienne reflète cette tendance à la substitution d’aliments ethniques par d’autres trouvés sur le nouveau milieu de vie. Les Tetela, par exemple, une des ethnies congolaise, consommateurs à souhait du riz, se sentent obligés de recourir au manioc en lieu et place de cette céréale (leur aliment de base). Il en est de même des Ambuun qui, d’ordinaire consomment le millet (pour préparer leur boule de fufu) ingurgitent le riz pour calmer la faim. Pour eux, cette céréale ne constitue pas à proprement parler un aliment pour les hommes, mais bien pour les oiseaux. Des exemples de ce genre peuvent être multipliés à l’infini.

La tendance à la substitution d’aliments s’observe dans toutes les sociétés. Même les interdits alimentaires connaissent un glissement. Les oeufs jadis interdits aux femmes enceintes se consomment aujourd’hui par celles-ci sans que la société aie à redire.

En effet, les mutations (crise financière, échanges économiques, mondialisation, migrations…) qui affectent les sociétés contemporaines justifient les changements qui s’opèrent dans les comportements alimentaires de différentes sociétés.

Conclusion

Cet article s’est attelé à élucider les concepts qui ont servi de fil conducteur à la réflexion et à décliner les approches théoriques qui démontrent les liens combien étroits entre l’alimentation et l’identité culturelle. Les actes alimentaires reposent sur des déterminants culturels et sociaux, sans lesquels il est impossible de comprendre l’attachement y relatif.

Les goûts alimentaires sont donc tributaires de la conjonction de préférences personnelles, de la culture, de l’histoire et de la situation économique. Comme pratique culturelle, les aliments modèlent l’identité, définissent l’appartenance à la société. Donc, L'alimentation est un support de l'identité collective comme le prouve la consommation de pain dans la civilisation occidentale, le riz en Chine et le couscous au Maghreb. Donc, la cuisine, les manières de table renvoient à une représentation du groupe social auquel le mangeur appartient. Elles cristallisent une identité.

Jean Macaire MUNZELE Munzimi



[1] SAUVE L., « Complexité et diversité du champ de l’éducation relative à l’environnement », in Chemin de traverse, n°3, solstice d’été, 2006, pp. 5-10.

[2] De nombreux travaux analysent en long et en large la notion de culture et d’identité dont parmi lesquels Denys CUCHE., La notion de culture dans les sciences sociales, Paris, La Découverte, 1996, Claude LEVI STRAUSS., Pierre BOURDIEU., « L’identité et la représentation » in Actes de la recherche en sciences sociales, n°35, 1980.

[3] BERQUE J., ²Identités collectives et sujet de l’histoire², in Identités collectives et relations interculturelles, PUF, 1978, p. 11.

[4] SERAGELDIN I., ²La vision holistique et son enjeu: culture, moyen d’action et paradigme du développement², in Culture et développement en Afrique, Washington, 1992, p. 23.

[5] CUCHE D., Op. Cit.,  p. 5.

[6] L’ethnie qui est au centre de cette approche a fait l’objet de nombreux débats. Max WEBER est le premier à s’investir dans sa conceptualisation. D’après cet auteur, l’ethnie est réellement fondée sur la croyance de ses membres en une origine commune. Mais cet effort de conceptualisation est resté sans lendemain. Le terme ethnie a été utilisé aussi pour identifier certaines sociétés soit disant ahistoriques, caractérisées par une absence totale d’organisation politique, d’écriture, etc. L’ethnie ainsi envisagée apparaît comme irrationnelle. Une perspective que je rejette. Voir aussi des discussions très intéressantes dans Jean-Loup AMSELLE et Elikia M'BOKOLO (éds) : Au cœur de l'ethnie. Ethnies, tribalisme et État en Afrique, coll. Textes à l'appui, sér. Anthropologie, La Découverte, Paris, 1985, 227 p.

[7] CUCHE D. op. cit, p. 85.

[8] LEBLON A., « Le pulaaku. Bilan critique des études de l’identité peule en Afrique de l’Ouest », in RAHIA, n°20, automne 2006, pp.1-8.

[9] C’est Pierre BOURDIEU qui a vulgarisé la notion d’habitus. Celle-ci réfère à un ensemble de dispositions  durables et transposables, structure structurée et prêt à fonctionner comme structure structurante (une référence au conatus, concept fondamental de l’éthique de Spinoza). Il s’agit de l’incorporation des expériences, cette incorporation permettra alors à l’agent de se mouvoir et d’interpréter le monde social. Le rôle des socialisations primaire (enfance, adolescence) et secondaire (âge adulte) s’avérant capital dans la structuration de l’habitus.

[10] L’imaginaire est une composante existentielle omniprésente dans toutes les sociétés humaines. Comme le note Georges Balandier ce concept a une efficacité magique ou émotionnelle remarquable. Même Lévy-Bruhl a fini par le reconnaître dans ses « Carnets ». Son usage dans les diverses disciplines des sciences humaines (psychologie, psychanalyse, l’anthropologie, la sociologie, …tend à démontrer tout l’intérêt qu’il revêt. Pour ce qui est de la sociologie, Balandier constate que Jean DUVIGNAUD est l’un des auteurs qui l’a mieux cerné. Mû par la volonté de constituer une Sociologie du théâtre, cet auteur fait apparaître la scène comme le lieu où se projettent les ombres collectives : où l’œuvre dramatique matérialise un monde imaginaire, transpose un ordre de société et de culture, exprime les désirs et les débats de l’homme en leur donnant figures », paru sous le titre « Imaginaire, religion et politique dans les cultures africaines, in Sociologie de la connaissance (J. DUVIGNAUD dir.), Paris, Payot, 1979, pp. 251-259, repris dans Bastidiana, « Sociologie de la connaissance », n°35-36, juillet-décembre 2001, pp. 194-202.

[11] THOMAS L V., « Essai sur la conduite négro-africaine du repas (L’alimentation comme fait humain total) », in Bulletin de l’I.F.A.N, T. XXVII, série B, n°3-4, 1965, pp. 573-634.

[12] THOMAS L V., op. cit, pp. 573-634.

[13] RAND A., La vertu d’égoïsme, Paris, Editions Les Belles Lettres, 1993, p. 73.

[14] ROSTOIN J L., « Dynamique du système alimentaire », in Agroalimentaria, n°3, décembre 1996, pp. 12-20.

[15] Ibidem

[16] MERTON R K., Eléments de théorie et de méthode sociologique, Paris, Plon, 2ème  éd., 1965, pp. 50-55.

[17] CORBEAU J P., op. cit, 1992, p. 50

[18] Ibidem

[19] La notion de filière alimentaire a été largement développée par Jean-Pierre Corbeau. Pour plus de détails, le lecteur pourrait utilement se référer à cet auteur, dans « Eléments sociologiques pour la compréhension des comportements végétariens », Université de Tours, CNAC, Tours, 1996, pp. 49-53.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 18 avril 2018 7:22
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref