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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Laurent Mucchielli, “Violences urbaines, réactions collectives et représentations de classe
chez les jeunes des quartiers relégués de la France des années 1990
(1999)
Texte de l'article


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Laurent Mucchielli, “Violences urbaines, réactions collectives et représentations de classe chez les jeunes des quartiers relégués de la France des années 1990”. Un article publié dans la revue Actuel Marx, no 26, 1999, pp. 85-108. [M. Laurent Muchielli, sociologue et historien de formation, est chargé de recherche au CNRS et directeur du Centre de recherche sociologique sur le Droit et les institutions pénales au CNRS]. [Autorisation formelle des auteurs accordée le 8 septembre 2005]

Résumé

1.   Violence et modernité  : faux débats civilisationnels, vrais enjeux socio-politiques 

1      Le retour des classes dangereuses.
2.      Le retour de la barbarie, la crise de civilisation.
3.      Le conflit de culture.
4.      La lutte des classes 
Les représentations de classe : un genre de représentations sociales 

2.   La constitution d'une représentation de classe dans la société française des années 1990 est-elle possible ? 

L'obstacle des sondages d'opinion ?
Derrière la classe : une représentation de son destin social
La galère  : un obstacle à la prise de conscience collective ?
L'émergence apparemment sans lendemain du « mouvement beur » 

3. Hip hop et violences urbaines  : du nouveau dans les années 1990 ? 

Le développement de la culture hip hop et l'explosion du rap
Déconstruire la notion de « violences urbaines »
Actions collectives ou réactions défensives ? 

Conclusion : violence et politique 

Bibliographie 

Laurent Mucchielli (1999)
Violences urbaines, réactions collectives et représentations de classe chez les jeunes des quartiers relégués de la France des années 1990”. 

Résumé

Cet article propose une réflexion sociologique sur les « violences urbaines ». Il s'efforce de clarifier des débats parfois confus et des notions souvent mal définies. S'appuyant sur de nombreux travaux de terrain menés dans les quartiers relégués depuis une quinzaine d’années, ainsi que sur les recherches plus récentes sur la culture hip hop, il tente de comprendre certaines conduites violentes des jeunes à partir du sens que ces acteurs leur attribuent. Il est amené ainsi à s'appuyer fortement sur la notion de représentation sociale, dont la représentation de classe peut être considérée comme un exemple parmi d'autres.

1. Violence et modernité :
faux débats civilisationnels, vrais enjeux socio-politiques

Quel est le sens des violences urbaines ? Parmi le flot ininterrompu des discours médiatiques, politiques et sociologiques (qui ne sont pas nécessairement imperméables les uns aux autres, tant s'en faut), on peut repérer au moins quatre grands types de conceptualisation proposant des généralités stéréotypées dont il faut selon nous se méfier. 

1. Le retour des classes dangereuses. Ce premier type, aussi vieux que la société industrielle, est constitué par les préjugés bourgeois traditionnels à l'encontre des jeunes des milieux populaires. Sont ainsi incriminés le manque d'éducation ou la mauvaise éducation dispensée par les parents, l'oisiveté et l'errance noctambule, l'absence de normes provoquant le non-respect de la loi, de l'autorité, de la morale et de la politesse, la consommation de cannabis (jadis c'était l'alcool). Il y a trente ans, J.-C. Chamboredon et M. Lemaire (1970, 23-24) constataient déjà que « C'est dans les conflits qui naissent à propos des jeunes que l'on peut le mieux ressaisir tous les griefs portés contre les mœurs populaires. [...] C'est dans l'aptitude à transmettre la culture que l'on voit le signe le plus indiscutable de culture et c'est une accusation de barbarie que de dénoncer l'incapacité de donner une éducation correcte ». 

Ce type de discours alimente très clairement les discours politiques sécuritaires de tout bord (en particulier au plan local), il est très largement relayé dans les médias, mais rencontre heureusement plus souvent la méfiance des sociologues. En effet, si le thème des « carences éducatives » (comme celui de la « dissociation familiale ») a eu longtemps les faveurs d'une certaine médecine sociale, aucune étude empirique d’envergure récente ne permet d'établir qu'une « mauvaise éducation » des familles est une cause majeure de la délinquance des enfants. Il serait donc sage de s’abstenir provisoirement sur cette question.  

2. Le retour de la barbarie, la crise de civilisation. Dans sa version politique, ce deuxième type peut sembler réserver à quelques avatars des idéologies de la décadence et de la perversion des valeurs chères aux discours d'extrême droite. Pourtant il existe aussi une version psychosociologique (qui n'entretient avec la première absolument aucun rapport). Se réclamant de Norbert Élias, certains sociologues ont en effet parlé d'un coup d'arrêt et même d'un « retournement de tendance » dans le processus de civilisation des mœurs (centré sur l'auto-contrôle de pulsions) décrit par le sociologue allemand dans les années trente et redécouvert en France il y a une quinzaine d'années (Lagrange, 1995, 11-24, 291 ; Roché, 1996, 76) [1]. Le constat d'un retour de la violence interpersonnelle, symbolisé par le retournement de la courbe des homicides dans les statistiques de police, en constitue la principale preuve empirique. Or, si le constat est incontestable, l'interprétation ne l'est pas. Elle repose en effet sur une acceptation sans critique d'un modèle (d'Élias comme de Freud) qui puise ses racines dans de très vieux stéréotypes de la civilisation chrétienne : l'opposition de la civilisation à la barbarie, de la morale au corps, de la culture à la nature, de l'ange à la bête. Le problème avec cette explication, c'est qu'elle n'en est pas une (en tous cas pas une explication scientifique). En bonne méthode sociologique, on doit plutôt considérer d'abord que si les comportements changent c'est que les normes qui les régissent changent, ensuite que si ces normes changent c'est que les relations sociales qui les sous-tendent changent. C'est donc ce changement de normes et de relations sociales qu'il faut expliquer.

3. Le conflit de culture. Á nouveau, ce type d'explication fonctionne sur des registres très différents. Dans une version politique, on fait aisément des différences culturelles (pour ne pas dire ethniques) une explication des différences de normes (pour ne pas dire de valeurs). On s'inquiète notamment de la « montée de l'Islam » et de la « crise des valeurs républicaines ». Mais dans une version sociologique, il est également fréquent de parler de « multiculturalisme » ou de « société pluri-culturelle » comme une caractéristique majeure de la « modernité » (ou de la « post-modernité », terme tout aussi obscur et fourre-tout mais d'autant plus à la mode). Le problème est ici que la situation française se caractérise au contraire par sa grande homogénéité culturelle, les jeunes français issus de l'immigration n'étant nullement enfermés dans les normes culturelles de leurs parents [2]. Ainsi la très grande majorité des jeunes qui se convertissant à l’Islam pratiquent en réalité une religion largement laïcisée et qui vise avant tout à reconstruire une identité collective dans la situation de crise socio-économique (Cesari, 1997 ; Khosrokhavar, 1997) [3]. Ce qui fait aujourd'hui problème, c'est en réalité le décalage entre l'intégration culturelle des minorités d'origine étrangère et leur non-intégration sociale. Une fois encore, la question se pose donc avant tout en termes de relations sociales.

4. La lutte des classes. Si donc tous les chemins mènent aux relations sociales et aux effets normatifs et identitaires qu'elles déterminent, s'agit-il de ranimer le modèle marxiste de la lutte des classes ? Tel n'est pas notre propos. L'explication des violences urbaines ne se ramène pas simplement à la révolte des opprimés contre les oppresseurs. D'une part, la société française contemporaine n'est pas découpable en deux classes. D'autre part, l'analyse des violences urbaines se pose avant tout en termes identitaires et non simplement économiques. Il reste que, du point de vue sociologique, l'analyse marxiste a l'incontestable mérite d'attirer l'attention vers les rapports sociaux qui sous-tendent les normes et les comportements. Elle incite à chercher dans une voie qui nous semble déjà plus proche de la réalité. Commençons donc par définir les concepts de « représentation » et de « classe » que nous utilisons ici. 

Les représentations de classe :
un genre de représentations sociales

Le point de vue sociologique consiste à considérer une représentation de classe comme un genre particulier de représentation sociale, ce dernier terme faisant partie du vocabulaire ordinaire des sciences humaines. Nous le définissons de façon générale comme un ensemble de données cognitives permettant aux individus qui l'adoptent de concevoir des interprétations, des jugements de valeur et des normes de conduite, à partir des événements de leur vie quotidienne. De telles représentations existent sur plusieurs plans de généralité. Il en est de communes à l'ensemble d'une société moderne, mais il en est aussi de spécifiques à certains de ses groupes sociaux. Le cas de certaines professions (certains corps militaires par exemple) ou de certains groupes marginaux (les Gitans par exemple) vient spontanément à l'esprit car l'on conçoit aisément que la singularité des conditions de leur vie quotidienne détermine des attitudes spécifiques. Toutefois, il ne suffit pas de vivre différemment des autres pour se former des représentations sociales spécifiques, il faut encore que cette différence soit d'une part conçue comme essentielle dans l'identité de l'individu, d'autre part partagée au sein d'un groupe de pairs. Pour aller vite, l'individu véritablement désocialisé (ce sont par exemple les cas, rares, du clochard et du toxicomane solitaires qui ont rompu avec toute assistance et toute sociabilité) n'a pas de représentation sociale, il n'a plus qu'une représentation de lui-même face au reste du monde perçu globalement comme hostile ou étranger. Á l'inverse, une représentation sociale est donc un élément de socialisation.

2. La constitution d'une représentation de classe
dans la société française des années 1990 est-elle possible ?

Reste à définir le concept de classe sociale qui est aujourd'hui largement délaissé dans la pensée sociologique française et, lorsqu'il est employé, rarement clairement défini (Lemel, Oberti, Reiller, Traoré, 1996). La non distinction entre son usage sociologique et son usage politique (par le ou les marxismes) y est naturellement pour beaucoup. Encore une fois, c'est donc dans le cadre du premier usage que nous situons notre discussion. Ce qui ne signifie pas que cette dernière en soit simplifiée, bien au contraire : nombre de sociologues pensent qu'il est devenu impossible de parler de classes et de représentation de classes.

L'obstacle des sondages d'opinion ?

Le constat de base est ici celui du déclin du sentiment d'appartenance à une classe depuis vingt ans, caractérisé surtout par l'augmentation (de 21 à 38% entre 1966 et 1994) des réponses par lesquelles les individus se rangent dans une catégorie neutre « classes moyennes » (Michelat, Simon, 1996). Doit-on pour autant en conclure avec Forsé (1998, 93) que cette évolution, qui s'accompagnerait d'« un sentiment de brouillage et de moindre visibilité de la société », entérine la fin de toute conscience de classe et même plus généralement de tout processus d'identification en termes macrosociaux ? On peut sérieusement en douter. Tout d'abord, en 1994, même si le pourcentage a fortement décliné, il subsiste encore 22% des individus qui déclarent avoir le sentiment d'appartenir à la classe ouvrière. Ensuite, et plus fondamentalement, l'argument de la diversification et de la localisation des appartenances et des identités ne constitue pas nécessairement une preuve. Pourquoi le local et le global seraient-ils exclusifs l'un de l'autre ? Il nous semble que c'est d'une part supposer une relation de vases communicants toute théorique, d'autre part reconstruire a posteriori une conscience de classe idéale et exclusive qui n'a sans doute jamais existé (que sont les identités locales des années 1990 par rapport, par exemple, aux identités régionales du passé ?). Enfin, dans le commentaire de données issues de sondages, il nous semble qu'il faut toujours se demander si la question posée a le même sens pour tous les individus interrogés. En l'occurrence, deux problèmes se posent, l'un de génération, l'autre de position sociale. 

– Les jeunes qui ont 20 ans au milieu des années 1990 n'ont pas été socialisés politiquement comme ceux qui avaient 20 ans en 1968. En particulier, la notion de classe sociale ne peut pas avoir la même signification pour eux. Que cette notion ait du sens ou non d'un point de vue de stratification sociale, le fait est qu'elle en a beaucoup perdu dans les discours que ces jeunes entendent depuis qu'ils sont assez mûrs pour les comprendre. Dès lors, cette question n'est sans doute pas la plus pertinente qui puisse leur être posée pour savoir s'ils s'identifient à des groupes sociaux. Et ce problème est loin d'être indifférent puisque c'est précisément chez les plus jeunes que le sentiment d'appartenance à une classe sociale est le plus faible (ibid., 90). 

– Dans ces sondages, le sentiment d'appartenance à une classe sociale est également fortement corrélé avec la situation au regard de l'emploi. La principale ligne de clivage oppose non pas les différents types d'activités entre eux, mais avant tout le fait d'être actif ou inactif. En bref : on se sent d'autant plus appartenir à une classe sociale que l'on travaille. Par conséquent, là encore, la question n'est sans doute pas la plus pertinente qui puisse être posée aux chômeurs pour savoir à quels groupes ils s'identifient. 

Cumulons les deux caractéristiques (jeunes et chômeurs) et convenons que les données quantitatives issues de sondages d'opinion sont trop incertaines pour constituer un obstacle rédhibitoire dans la discussion qui nous occupe, surtout si l'on adopte une définition des représentations de classes plus adaptée aux sociétés modernes contemporaines.

Derrière la classe :
une représentation de son destin social

Faute de place, nous ne pouvons situer que très rapidement ce que nous entendons pas représentation de classe. 

Héritier au moins partiel d'une tradition d'économie politique, Marx a posé la notion de classe au sein de l'analyse du travail et de la propriété. Ceci paraît en effet crucial pour l'analyse des rapports sociaux de la société capitaliste du milieu du XIXème siècle, mais beaucoup moins pour ceux de la société contemporaine d'État-providence. Davantage adaptées à cette société sont les analyses de Weber (Économie et société, 1921) qui ouvrent la voie à l'analyse de la mobilité sociale et posent au centre de la discussion la notion de Lebenschance, littéralement « chances de vie », que l'on peut traduire en suivant Louis Chauvel (1998, 13) comme « potentialités d'évolution dans la vie sociale ». Quoi qu'il en soit de la suite du débat dans le cadre de l'analyse de la stratification sociale, cette notion de Lebenschance nous intéresse directement. En effet, au sein de la société française actuelle, fondée sur l'idéal républicain de l'égalité des chances (i.e. de la mobilité sociale absolue), l'évaluation subjective par les individus de leurs potentialités d'évolution dans la vie sociale est une question cruciale. Parce que nous ne sommes plus dans une société de classes au sens de Marx, le fait que les individus se définissent de moins en moins par cette appartenance non seulement n'est pas surprenant, mais encore n'est pas pertinent. Ce qu'il importe de connaître, c'est la façon dont ils se représentent et dont ils anticipent leur destin social, entendu non pas simplement comme une réussite économique et un accès à la consommation, mais plus généralement comme une condition de vie sociale ordonnée par un statut déterminant des rôles, des droits, du pouvoir (ou au contraire de la domination), des compétences, des valeurs, toutes choses qui confèrent aux individus de l'identité. 

Dans cette perspective [4], on peut continuer à parler de situation de classe en adoptant cette définition a minima : ensemble d'individus se trouvant dans une situation statutaire similaire. Dès lors, on parlera de représentation de classe chez ces individus si on peut montrer non seulement qu'ils ont conscience de ce statut, mais encore qu'ils le perçoivent au moins partiellement comme collectivement déterminé et que cette conscience partagée d'un destin collectif les dispose à partager – toujours selon notre définition – un ensemble de données cognitives permettant de concevoir des interprétations, des jugements de valeur et des normes de conduite à partir des événements de leur vie quotidienne. 

Avant de tenter d'appliquer ce modèle à la jeunesse des quartiers relégués de la France des années 1990, il nous faut encore nous positionner par rapport à une importante analyse réalisée sur le même sujet mais sur une période antérieure. 

La galère :
un obstacle à la prise de conscience collective ?

Le lent déclin du monde ouvrier – déclin quantitatif (le nombre d'ouvriers) mais surtout qualitatif (la vie ouvrière, ses rituels, ses solidarités, ses luttes, etc.) –, l'emprise toujours croissante d'une culture de masse homogénéisante, l'arrivée au pouvoir régulière de gouvernements de gauche depuis 1981 : tous ces phénomènes impliquent-ils la disparition de la conscience de classe ouvrière ? C'est un problème auquel s'était confronté directement François Dubet, il y a une douzaine d'années, dans un livre important (La galère. Jeunes en survie). Selon lui, la galère c'est « la forme de la marginalité des jeunes liée à la fin du monde industriel qui ne peut créer des systèmes d'identifications stables, ni assurer l'intégration des nouveaux venus » (Dubet, 1987, 23). Son ambition est donc d'ordre sociétal, il s'agit de montrer que l'expérience de la galère « procède de la décomposition d'un type d'action sociale, celui de la société industrielle » (ibid., 171). 

En tant que description de la vie quotidienne des cités populaires des banlieues des grandes agglomérations, son analyse nous semble critiquable. En effet, elle néglige (logiquement) ce à quoi elle ne s'intéresse pas : les formes d'organisation infra-institutionnelles de la vie communautaire, les formes d'échanges, d'entraides, de conflits, le rôle des logiques d'honneur et de réputation [5]. Comme le disent très justement Bachmann et Le Guennec (1997, 9) : « la nature sociale ayant horreur du vide, avec le temps, une logique d’adaptation s’est lentement installée [dans ces quartiers]. La pénurie y est bien plus qu’un manque : elle devient un mode de vie » [6]. Cela étant, le livre de Dubet conserve toute sa valeur dès lors que l'on se situe sur le même plan d'analyse : l'étude des représentations de classe et des capacités de mobilisation collective de cette jeunesse reléguée. Dans cette optique, Dubet constate que si « le refus et la révolte sont partout », « la révolte affleure sans réellement définir les jeunes » (ibid., 14-15). En effet, « la domination subie n'a pas, à proprement parler, de sens. Dans le trou et le vide laissés par la destruction des anciennes formes de conscience de classe et par l'absence de nouveaux mouvements, les acteurs ne définissent aucun adversaire social et aucun enjeu du conflit qui pourrait les opposer à des formes de domination ». Au fond, la galère est donc définie comme « l'expression, chez les jeunes issus des classes populaires, de la décomposition du système d'action de la société industrielle, de la rupture d'un mode d'intégration populaire traditionnel, de l'épuisement d'un acteur historique, le mouvement ouvrier, et enfin du blocage et de la transformation de certaines formes de participation et de mobilité » (ibid., 167). 

L'émergence apparemment sans lendemain
du « mouvement beur »

À plusieurs reprises, Dubet nuance cependant ce constat et parle d'« un mouvement social latent ». Il n'écarte pas la possibilité de « renverser [la décomposition de la galère] en action organisée », « de façon souvent brutale et éphémère » comme lors des émeutes urbaines (ibid., 25). Par ailleurs, il observe – tout comme ses complices Adil Jazouli (1986, 1992) et Didier Lapeyronnie (1987) – que les jeunes d'origine immigrée, et tout spécialement ceux d'origine maghrébine, manifestent des capacités de mobilisation collective plus fortes. En effet, bien que plus fréquemment en situation de galère, la plus forte stigmatisation dont ils sont l'objet du fait du racisme renforce encore davantage leur identification positive au quartier et au groupe de pairs (ibid., 327-329). Ce sont eux qui investissent le plus la culture des cités, les modes vestimentaires, la danse, tous ces traits culturels empruntés aux Noirs américains ou parfois à la culture politique arabe (le keffieh). Enfin, les années durant lesquelles se déroulent les observations de Dubet et de son équipe sont celles qui consacrent l'apparition du « mouvement beur » symbolisé par l'organisation de la Marche pour l'égalité et contre le racisme d'octobre-décembre 1983. Cette action collective restera hélas exceptionnelle au deux sens de l'adjectif : exceptionnelle par l'ampleur par son succès immédiat, exceptionnelle car éphémère, ne parvenant pas à s'institutionnaliser car faisant apparaître des stratégies et des désirs déchirés entre « l'intégration démocratique » et « l'affirmation identitaire » (ibid., 349-366 ; Lapeyronnie, 1987, 307-309 ; Jazouli, 1992, 68-81). De fait, une partie des partisans de la première stratégie seront aspirés dans les mouvements nationaux (en particulier SOS Racisme) organisés avec l'appui (voire l'emprise) du parti socialiste au pouvoir, tandis que l'autre retournera à la galère quotidienne de la vie des cités. 

Á la suite des travaux d'Alain Touraine (1966), Dubet (1987, 208-209) proposait cette définition : « La conscience de classe ouvrière n'est pas réductible au sentiment d'une différence, d'une domination ou d'une exclusion, elle se construit à partir des relations conflictuelles qui opposent, dans le travail, ceux qui organisent le travail et ceux qui se perçoivent comme des producteurs directs dépossédés du contrôle de la production ». Et il précisait : « Ce qu'on appelle plus habituellement la conscience de classe est l'ensemble des attitudes, des opinions et des actions qui surgissent lorsque l'expérience est interprétée de ce point de vue ». Le rapport de travail ayant disparu, comment les jeunes des quartiers relégués peuvent-ils construire une conscience de classe ? Il y a là une impasse selon Dubet. Quant au mouvement social, les événements décrits ci-dessus n'en ont été qu'un embryon sans lendemain. Le sociologue estime ainsi qu’« aucun mouvement social ne peut se former complètement “en bas” sans l'influence d'intellectuels critiques, sans le travail idéologique qui consiste à construire un acteur en unifiant des significations diverses. Les acteurs de la galère sont trop faibles, trop marginalisés et trop dépendants pour être considérés comme les sujets d'un nouveau mouvement social. Comme ils arrivent au moment où ce que l'on a appelé les nouveaux mouvements sociaux sont épuisés, ils ne peuvent pas interpréter leur action, aujourd'hui, dans le cadre plus général d'une action collective organisée » (ibid., 320). 

3. Hip hop et violences urbaines :
du nouveau dans les années 1990 ?

Les années 1990 ont-elles été marquées par des phénomènes sociaux qui remettent en cause cette analyse ? La réponse doit être nuancée. De nouvelles formes d'actions collectives protestataires sont apparues (à travers le hip hop) ou se sont généralisées (les violences urbaines), témoignant clairement de la constitution de représentations de classe. Pour autant, ces actions ne débouchent pas sur un nouveau mouvement social.

Le développement de la culture hip hop
et l'explosion du rap

Lorsque Dubet parcourt des cités de la banlieue parisienne au début des années 1980, il constate certaines pratiques de danse et certaines distinctions vestimentaires importées des États-Unis, il note bien l'importance de la musique (« rock » et « reggae ») dans laquelle il voit « un témoignage, une mise à distance de la galère par elle-même qui n'est pas politiquement construite, mais qui ne peut pas non plus être réduite à un mécanisme habituel de la “société de consommation” ou du “marché de la jeunesse” » (Dubet, 1987, 16). Il entrevoit ainsi des « îlots de résistance » caractérisés par « un contenu culturel commun » : « activités expressives, centrées sur la communication et sur le corps, la danse, la musique, la moto, l'écriture même » (ibid., 307). Mais il ne s'y intéresse pas directement et, de fait, il n'observe que les balbutiements d'un style d'expression qui se cherche encore et qui apparaît alors comme un ensemble d'activités relevant davantage de l'expression personnelle que d'une forme d'action contestataire [7]. La danse (break ou smurf) y est prédominante, relayée notamment par une émission de la chaîne de télévision TF1 [8]. Le rap est encore essentiellement un support musical pour la danse, c'est un tempo plus qu'une prise de parole. Enfin, l'idéologie dominante de ce premier mouvement importé des États-Unis est plutôt la non-violence, la dignité, la maîtrise de soi, à l'image du leader noir américain Afrika Bambaataa (Dufresne, 1991, 21sqq). 

Le mouvement s'essouffle cependant rapidement dans la seconde partie des années 80. Les médias qui avaient si fortement contribué à l'émergence de cette nouvelle culture juvénile semblent s'en désintéresser. Symbole de ce tournant, TF1 arrête en 1985 sa fameuse émission. Le break retourne aux caves et aux parkings qu'il n'avait jamais quittés. Un nouveau phénomène apparaît alors. Á partir de 1986 environ, les tags se répandent de plus en plus, sur les murs des cités, le long des voies de chemin de fer, sur les rideaux baissés des commerces. Les chercheurs qui s'y intéressent discernent au moins quatre caractéristiques dans cette pratique : « le désir de visibilité [« de reconnaissance publique »], le défi [« par rapport à la loi et à la société »], la rage [qui « traduit le sentiment d'être dominé »] et la performance [« l'aspect ludique »] » (Kokoreff, 1991, 27-29). Une nouvelle phase de développement de cette culture de cités se prépare. 

Le tournant des années 80-90 consacre en effet l'affirmation du rap comme principal support d'expression des jeunes adeptes du hip hop. C'est le moment où les groupes qui vont dominer les années 90 se forment en tant que tels. Le rap s'impose alors rapidement non seulement comme une pratique reconnue, mais encore comme une forme d'expression collective exemplaire. Le succès inespéré que connaissent des groupes comme NTM et IAM, qui se réclament pourtant de la tendance hardcore du rap (par opposition à un style plus personnel et accrocheur qu'est sensé représenter MC Solaar), les propulse rapidement au rang de représentants et de leaders de la jeunesse marginalisée et victime du racisme de la société française. La dimension contestataire de l'ordre social devient alors primordiale. 

L'analyse du contenu des textes des groupes qui se réclament du même mouvement met en évidence une vision du monde assez claire (Boucher, 1999 ; Mucchielli, 1999a). Pour résumer très rapidement les choses, on peut dire que les rappeurs dénoncent un système de domination à la fois économique, social, spatial, culturel et politique dont ils sont les victimes sacrifiées directement (du fait du racisme) ou indirectement (du fait de l'inefficacité de dirigeants politiques corrompus et hypocrites). La police, sensée pouvoir tuer en toute impunité, et la justice, qui la protège, apparaissent alors comme les garants de cet ordre social et les symboles de cette domination. Chez de nombreux groupes, on s'approche ainsi d'une vision du monde organisée par la représentation centrale d'une véritable situation de ghetto et par une élaboration d'une théorie du complot enfermant les jeunes dans un rôle ontologique de victimes méprisées par le reste de la société [9]. 

Ce discours, qui comporte naturellement bien des nuances selon les groupes, se fonde sur un ensemble de représentations où se mêlent inextricablement d'une part des expériences vécues (par soi, des membres de sa famille, des copains, des gens de son quartier) ou racontées, d'autre part un certain nombre de normes, d'arguments contestataires stéréotypés, dont la transgression risquerait d'entraîner la désapprobation de l'entourage [10]. On peut penser que le rap a ainsi puissamment contribué à homogénéiser et renforcer la visibilité des sentiments d'injustice et des velléités de révolte de cette jeunesse française. Á cet égard, la réaction des syndicats de policiers et de certains magistrats qui ont poursuivi et sanctionné plusieurs groupes (NTM, Ministère AMER) est significative du rôle pris par ces discours. On peut faire l'hypothèse qu'ils fonctionnent désormais comme des supports essentiels de constitution de représentations de classe et de renforcement des potentialités de protestation collective [11]. 

Cela étant, ces pratiques du rap ne débouchent pas véritablement sur une action collective, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, à quelques exceptions près, les rappeurs ne se donnent pas pour objectif d'agir sur le monde, ils se contentent le plus souvent de « témoigner » d'une réalité et de dénoncer un système. Ensuite, même si la lutte contre le racisme constitue un combat susceptible d'engendrer des actions ponctuelles (ainsi l'enregistrement collectif du disque 11'30 contre le racisme [12]) et même si certains groupes qui ont réussi organisent localement des réseaux de production indépendants pour encourager leurs « petits frères » à la création, le monde du rap ne présente pas de véritable unité. Il est en effet parfois difficile de concilier les stratégies de réussite personnelles ou micro-collectives et l'idéal de solidarité de la « grande famille » du hip hop (Boucher, 1999, 245-257 ; cf. aussi Khosrokhavar, 1999, 265-270). En réalité, pour ceux qui réussissent le plus, encouragés par les maisons de disque et par une importante presse spécialisée, la comparaison, la concurrence, la rivalité, la suspicion, les sarcasmes, sont aussi le quotidien d'un petit monde qui fonctionne à certains égards comme un mini star system, les logiques d'honneur et de réputation qui organisent la vie des jeunes des cités constituant peut-être ici des structures prédisposantes (Lepoutre, 1997 ; Milliot, 1997). Enfin, tandis qu'ils sont souvent prêts à des compromis avec les médias et les maisons de disque, les rappeurs conservent une méfiance absolue envers les organisations politiques et sont (non sans raisons) particulièrement prompts à voir dans toute alliance même ponctuelle une « récupération » discréditante. Ceci se manifeste aussi bien au plan local qu'au plan national. Souvenons-nous par exemple que, quelques jours après la condamnation de NTM à trois mois de prison ferme, le 14 novembre 1996 à Toulon, les partis d'extrême gauche et les organisations anti-racistes avaient organisé une manifestation de soutien au groupe qui fut un échec du fait de l'absence des jeunes [13]. 

Déconstruire la notion de « violences urbaines »

Parmi les expressions à la mode dans les discours sur les banlieues, diffusées par les médias mais aussi par certains « experts » es sécurité, il en est deux qui sont employées sans que l'on sache toujours à quels comportements elles réfèrent : les « incivilités » et les « violences urbaines ». 

Le premier pêche d'abord par l'indétermination de son contenu. Où commence et où finit une incivilité ? Est-ce que le fait de cracher dans la rue ou de déambuler sur une mobylette bruyante constituent des incivilités ? Certains sondés répondent clairement : oui. Mais est-ce seulement l'acte ou également l'auteur de l'acte qu'ils désapprouvent ? Si le jeune en question a des parents blancs, le regard du sondé sera-t-il le même que si les parents du jeune homme sont Africains ? Il est possible que ce regard ne soit pas le même, que la tolérance à la gêne ne soit pas la même, que la peur ne soit pas la même, que l'agressivité ne soit pas la même. Ceci est important car c'est bien la peur et l'agressivité qui se cachent derrière cette notion fourre-tout d'incivilités qui, comme par hasard, sert surtout à décrire des comportements de jeunes dans les banlieues les plus pauvres, c'est-à-dire là où la concentration de familles immigrées est la plus forte. En définitive, cette notion issue du sens commun se révèle très utile pour l'analyse des sentiments d'insécurité dans et autour des quartiers en difficulté [14]. Mais ce ne saurait être ni une catégorie juridique, ni une catégorie d'analyse sociologique. 

Tandis que les incivilités désignent surtout des actes perçus comme insécurisants mais non nécessairement délictueux au regard du droit pénal, les violences urbaines désignent généralement des conduites clairement délictueuses : incendies volontaires et autres modes de destruction de biens privés ou publics, affrontements avec les forces de l'ordre, mise à sac de magasins, agressions en bande. Pour autant, le caractère d'infractions à la loi de ces comportements ne suffit pas à leur donner une cohérence suffisante pour constituer une catégorie scientifique. Encore faut-il que les auteurs soient les mêmes et qu'ils donnent à ces différents actes une même signification. En l'absence de recherches empiriques suffisantes, on peut seulement formuler ici des hypothèses. 

Avant tout, dans un contexte où les discours des médias, des policiers et parfois de sociologues (ou de politologues) mêlent trop souvent sous l'étiquette « délinquance en bande » des comportements très différents, il faut distinguer à tout le moins (et sans prétention à l’exhaustivité) :  

1/ ce qui relève des agressions et prédations entre jeunes (pour les motifs les plus divers : insulte, vol, dette, défense d'un « territoire » dans le cadre d'un trafic, etc. [15]) ; 

2/ ce qui relève des prédations et agressions souvent préméditées, commises par un ou plusieurs individus généralement hors des cités et dirigées contre des biens ou des personnes généralement inconnues ; 

3/ ce qui relève des destructions, prédations et agressions commises au contraire dans les cités, généralement sous le coup de l'émotion, par des groupes généralement moins structurés que les bandes précédentes, dirigées directement ou indirectement contre les représentants de l'État (dans l'immense majorité des cas la police, souvent aussi les transporteurs publics, parfois même les pompiers) et non pas dissimulées mais au contraire volontiers exhibées avec fierté [16]. 

C'est à la troisième catégorie d'actes que nous réservons le qualificatif de « violences urbaines ». Il s'agit de comportements de groupe (premier critère), auxquels les acteurs donnent le sens de manifestations légitimes de colère et de vengeance (deuxième critère), dirigés contre un adversaire institutionnel (troisième critère) même si elles peuvent parfois s'accompagner de prédations diverses selon les opportunités qui se présentent. Ce type de situation offre une visibilité toute particulière lors de ce que l'on appelle les « émeutes urbaines ». Dans l'immense majorité des cas, ces émeutes se déclenchent en effet dans un quartier à la suite de la blessure grave ou de la mort d'un jeune du fait de policiers. Toutefois, ces situations nous semblent ne constituer que la dernière extrémité sur une échelle de réactions (un « répertoire d'actions collectives » comme dit Tilly [1986]) liée à un état de relations sociales beaucoup plus ordinaire et permanent dans ces cités. Christian Bachmann et Nicole Leguennec (1997) l'ont bien montré dans leur « histoire exemplaire du soulèvement d’un quartier » [17]. Leur étude est largement généralisable [18]. 

La vie quotidienne de nombre de cités met en présence d'une part de nombreux jeunes qui fonctionnent dans la vie quotidienne avec des normes contraires au droit pénal (conduite automobile ou motorisée sans permis, détention de biens volés divers – vêtements, équipements audiovisuel, deux-roues, etc. – assimilable en droit à du recel, consommation de cannabis, organisation spontanée de jeux et concours collectifs impliquant de nombreuses transgressions – par exemple des « rodéos » automobiles), d'autre part des policiers qui sont chargés par leur hiérarchie de faire cesser les conduites délictueuses. Le conflit est donc structurel, contenu dans les données même de la situation. Les choses se compliquent encore lorsque l'on ajoute, premièrement que les jeunes partagent plus ou moins fortement les représentations sociales décrites plus haut (la police étant par conséquent à leurs yeux le symbole de la domination et de l'injustice dont ils sont les victimes structurelles), deuxièmement que les jeunes qui cherchent fondamentalement à se faire entendre trouvent aussi dans le rapport de force avec la police un moyen d'expression qui s'adresse, au-delà, aux hommes politiques et à la société tout entière (ce qui explique la complaisance avec laquelle ils se laissent filmer par les médias en cours d'émeutes, voire viennent les chercher), troisièmement que les policiers présents dans ces quartiers sont parmi les moins considérés au sein de leur profession et qu'ils développent rapidement durant leur socialisation professionnelle des préjugés racistes (Lévy, Zauberman, 1999), quatrièmement que les acteurs en présence se connaissent souvent personnellement. Le conflit prend donc une dimension psychologique très importante. 

La situation met ainsi en présence des acteurs qui non seulement s'opposent radicalement dans leurs intérêts pratiques, mais encore sont fortement enclins à nourrir l'un envers l'autre de l'agressivité pour des raisons extérieures au conflit d'intérêts pratiques, le tout dans un univers d'inter-connaissance. Le résultat est une situation permanente de tension, de rapport de force, qui peut très rapidement amener les policiers de terrain à entrer dans le cercle vicieux des défis et des provocations réciproques : les insultes et les jets de pierre du jour répondant aux interpellations musclées sur un parking ou à la sortie d'une boîte de nuit de la veille, et étant suivis le lendemain par des contrôles d'identités au faciès, des fouilles au corps et des insultes racistes humiliants, auxquels répondront les jeunes le surlendemain, etc., etc. On se trouve alors face à un conflit permanent qui, au moindre excès dans la répression policière, peut amener à l'émeute. 

Actions collectives ou réactions défensives ?

Des événements de Vaulx-en-Velin en banlieue lyonnaise en 1990 à ceux du Mirail à Toulouse fin 1998, les années 1990 ont ainsi vu se multiplier ce genre de situations au point de prendre une ampleur sans doute inédite à l'échelle du dernier demi-siècle. Et il nous semble que cette situation émeutière larvée s'apparente non pas certes à une véritable action collective organisée, mais néanmoins à une forme de réaction collective défensive permanente menée contre le représentant de l'ordre social, dans le cadre des représentations de classe décrites précédemment. Les émeutes urbaines constitueraient alors le point d'apogée de ces représentations sociales, un temps au cours duquel elles acquerraient une force émotionnelle et une légitimité telles qu'elles s'imposeraient au delà des acteurs permanents du conflit ordinaire, en s'étendant plus largement dans la jeunesse des quartiers impliqués [19]. 

Pour autant, peut-on parler de mouvement social, ou même simplement d’action collective ? C’est peu probable. Une réaction collective défensive ne débouche sur une véritable action collective que si elle s’organise durablement. Certes, les jeunes peuvent parfois utiliser la violence comme mode de pression sur des autorités locales afin d’obtenir telle ou telle chose (Duprez et alii, 1996, 227-230). De même, les moments de « condensation politique » que constituent les émeutes débouchent parfois sur d'autres modes d'action plus pacifiques et traditionnels (Labat, Rebughini, 1999, 214-215). Enfin, les chansons de rap tout comme certaines initiatives récentes – comme le manifeste « Stop la violence » lancé en mars 1999 par un groupe de jeunes encadrés par des journalistes du magazine Nova – prouvent que les jeunes des quartiers relégués ont conscience du cercle vicieux dans lequel ils sont enfermés et auquel leur violence participe. Cela étant, malgré son immense succès le rap n’a pas débouché sur une action collective (Mucchielli, 1999b) et, malgré ses forts soutiens médiatiques, il est très peu probable que le manifeste évoqué puisse se développer et perdurer par lui-même et dans sa forme actuelle. Une vision marxiste romantique des mouvements sociaux a, notamment en France, longtemps conduit à ne mettre l’accent que sur l’identité des acteurs et sur leurs revendications immédiates. En réalité, il nous semble bien établi qu’un mouvement social ne parvient à ses fins qu’en constituant une organisation capable de structurer le travail de ses militants, de fixer son discours général et de rationaliser ses actions sur une certaine durée. 

Conclusion : violence et politique

Lorsque des agriculteurs mettent à sac une préfecture ou même (comme en janvier 1999) un ministère, leur violence est reconnue par tous comme politique et est analysée comme une forme de protestation collective. Á l’inverse, la violence des jeunes de banlieue n’est créditée d’aucune signification, elle est souvent présentée comme gratuite ou simplement ludique [20]. Or, si jeu dangereux il y a, il trouve en réalité son sens dans un certain état d’exaspération de populations qui se perçoivent comme des victimes, et de (non) dialogue entre ces populations et les pouvoirs publics. Les violences urbaines, telles que définies ici, sont fondamentalement une action politique au sens où elles interpellent des adversaires dans ce qui est conçu comme un conflit. Certes, ce n'est pas une violence politique au sens des errements idéologiques révolutionnaires du passé ou du terrorisme à caution nationaliste du présent. C'est néanmoins une violence politique qui met en cause l'absence de statut de citoyen fabriqué pour une partie de la jeunesse par un système économique et social d'une part, une tradition historique xénophobe d'autre part, un système politique aveugle enfin. 

L'exclusion socio-économique qui frappe plus durement dans ces quartiers est trop connue pour qu'on y insiste. Ajoutons simplement que, aujourd'hui plus que jamais, elle met en cause les processus de sélection à l’école (et donc les pratiques pédagogiques). La xénophobie latente de la majorité de la population française et celle manifeste d'une minorité (principalement dans les milieux populaires) sont une donnée bien réelle de la société française contemporaine [21]. Les jeunes issus de l'immigration africaine doivent construire leur identité avec ce handicap intériorisé très tôt dans l'enfance (Vinsonneau, 1996) et auquel s'ajoute la stigmatisation du quartier. Ceci détermine logiquement un besoin de reconnaissance identitaire et une agressivité réactive larvée qui rend plus cruciale encore la question de l'accès à la parole politique. 

Si le déficit d'offre politique n'est pas seul en cause, il n'en constitue pas moins une des raisons des violences urbaines et une des voies principales de leur possible prévention. Il faut évoquer ici le paradoxe d'une gauche qui a permis l'ouverture du processus de constitution d'un nouvel acteur politique mais pour l'instrumentaliser et, en fait, contribuer à le casser. Tout commence dans le quartier des Minguettes en 1981 lorsque les méthodes de protestation pacifiques (grèves de la faim) lancées par un prêtre héroïque obtiennent gain de cause auprès du nouveau gouvernement. Au même moment, la libéralisation des ondes radiophoniques permet l'importation du hip hop en France. Mais les choses vont trop vite pour les politiciens de gauche qui sont mis rapidement devant le fait accompli des balbutiements d'un nouvel acteur politique. Ils tentent tardivement de le récupérer par le biais notamment de la création de SOS Racisme. Ce faisant, ils intègrent au passage une partie des premiers leaders du « mouvement beur » et en retirent quelques profits politiques évidents (en particulier avec le mouvement étudiant de 1986) mais qui ne servent pas la cause de la majorité des jeunes de banlieues. Cela étant, le parti socialiste n'est pas seul en cause. Les maires communistes des anciennes « banlieues rouges » n'ont guère œuvré pour cet acteur politique qu'ils craignent (Labat, Rebughini, 1999, 216). Ils confondent souvent démocratie locale et animation socio-culturelle (Battegay, Boubeker, 1992, 66). Parfois aussi, ils cèdent autant que les autres aux sirènes électoralistes sécuritaires [22]. Partis et syndicats communistes ou d'extrême gauche savent en effet que leurs bases ouvrières ne sont guère favorables aux populations immigrées, l’analyse de l’évolution du vote d'extrême droite l'a hélas démontré [23]. 

Pourtant, si elle n'était pas depuis longtemps blasée, c'est bien des forces politiques de gauche que la jeunesse des quartiers relégués devrait attendre une aide forte pour se constituer en acteur politique local d'importance. Il faudrait pour cela que les dirigeants politiques aient premièrement une bien meilleure analyse des difficultés propres à cette jeunesse, deuxièmement une réelle volonté de les aider – sans arrières pensées – à exprimer leur révolte légitime autrement que par la violence, troisièmement une plus claire conscience des ravages que produit chaque jour davantage l’absence parfois totale des militants dans ces quartiers réputés difficiles, absence qui ne peut que renforcer le sentiment d’abandon et l’extrême méfiance des jeunes. 

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[1] Dans l'introduction de son dernier livre collectif, Wievorka (1999, 7) semble hélas accorder également du crédit à cette thèse. Il s'interroge en effet – certes avec prudence – sur la « spirale d'une décivilisation ou, pour parler comme Alain Touraine, d'une "démodernisation" qui deviendrait synonyme, tout à la fois, de décadence culturelle et de décomposition de notre État-nation ».

[2] Á l’exception sans doute de certains stéréotypes sur les rôles masculins et féminins, contre lesquels les jeunes filles résistent cependant souvent.

[3] Comme le notait D. Lapeyronnie (1992, 11-12), « Le paradoxe est que les banlieues ont un niveau d'intégration culturelle beaucoup plus élevé que le monde ouvrier. [...] Les individus ont souvent suivi une scolarité globalement supérieure à celle des populations ouvrières traditionnelles. [...] Les médias ont aboli les distances [...]. Aussi, l'univers culturel des banlieues n'est pas fondamentalement différent de celui des classes moyennes intégrées. Il est dominé par le souci de la personne, de son intégrité et de sa réalisation. L'individualisme y est aussi fort et aussi légitime. Il y prend souvent une forme exacerbée. La dimension personnelle de l'existence est d'autant plus importante que l'absence de réussite sociale ne permet pas de compensation ».

[4] Qui s’inspire aussi en partie de la fameuse distinction de Marx entre « classe en soi » et « classe pour soi ».

[5] Globalement, l'image de vide social qui domine son analyse est en partie biaisée par la méthodologie elle-même. L’« intervention sociologique » consiste en effet en la création de groupes de parole animés par les chercheurs qui font se rencontrer divers acteurs sociaux dans un lieu de discussion créé pour cette occasion, ce qui est très différent de l'observation participante ou même des entretiens individuels approfondis. D'autres travaux amènent ainsi à nuancer l'idée d'une désorganisation sociale telle qu'en fin de compte elle « interdit la formation d'une sous-culture stabilisée dans cette marginalité » (Dubet, 1987, 166). Nous pensons notamment au travail de l’équipe de D. Duprez (1996) dans la région lilloise, à la recherche d'inspiration ethnologique de D. Lepoutre (1997) dans une cité de la banlieue parisienne, à celle de V. Milliot (1997) à Lyon, ainsi qu'aux recherches qui se développent depuis quelques années sur la place des économies informelles et autres bizness dans la vie des quartiers relégués.

[6] « Ce qui, de l’extérieur, peut apparaître comme un dysfonctionnement, une absence de lien social, peut se révéler, de l’intérieur, être un autre type de rapport à l’autre, une autre logique d’être ensemble » rappelle aussi très justement V. Milliot (1997, 15).

[7] Il ignore hélas le travail de Christian Bachmann et de son équipe (Bachmann, Basier, 1985).

[8] Sur l'histoire française du mouvement hip hop, cf. notamment Bazin (1995).

[9] Cette vision du monde est corroborée par de nombreux travaux de terrain (par exemple Khosrokhavar, 1999). L'étude de Lepoutre (1997) auprès de pré-adolescents souligne également que les sentiments d'exclusion se forment très tôt chez les jeunes des quartiers relégués. Lapeyronnie (1992, 13-14) insiste sur l'importance du besoin de dignité et de reconnaissance face au sentiment d'être méprisé. Il fait même de la recherche d'une reconnaissance politique et d'un accès aux décisions la toile de fond des émeutes urbaines (ibid., 17). Quant à l'importance de la perception très négative de la police, Dubet (1987, 84-87) remarquait déjà l'importance de la mémoire des bavures policières chez les jeunes des cités. Cette mémoire puise d'ailleurs dans une histoire plus longue que celle inaugurée symboliquement au début des années 1980 (Begag, Delorme, 1994, 112-119).

[10] S'engouffrant dans les brèches du succès commercial ouvertes par les maisons de disques (qui ont rapidement compris le potentiel de diffusion du rap), certains groupes ont fait les frais de cette désapprobation au sein même des quartiers d'où ils sont issus.

[11] Ceci vérifierait les propositions d'Alberto Melucci. Pour une présentation claire et complète des théories de la protestation collective, cf. Lafargue (1998).

[12] Á l'initiative non pas d'un collectif de groupes mais d'un militant, auteur également du film Ma 6-té va cracker (1996).

[13] La manifestation eut lieu à Paris le 23 novembre après-midi, à l'appel d'une vingtaine d'associations et de partis politiques (dont les Jeunesses communistes, le MJS, la LCR, les Verts, le MRAP et SOS Racisme). Elle ne réunit qu'environ deux mille personnes (Le Monde, 26 novembre 1996, p. 11). Les deux chanteurs d'NTM avaient en effet rejeté par avance toute participation.

[14] Ce n'est pas un hasard si l’auteur qui a le plus popularisé cette notion (Roché, 1996) a fait à l'origine sa thèse sur le sentiment d'insécurité.

[15] Aux agressions et vols, s’ajoutent les incendies de voitures qui constituent souvent aussi un mode privé de règlements de compte (Esterle-Hedibel, 1996, 133-134).

[16] Ces distinctions nous semblent fondamentales sous peine d’aboutir, comme la commissaire Bui-Trong (1993), à un discours dans lequel, une fois encore, seul l’acte matériel est pris en compte et non l’auteur et ses motivations. En effet, sa célèbre « échelle d’évaluation des violences urbaines », qui distingue huit degrés allant progressivement du vandalisme à l’émeute, a pour effet évident d’enlever tout caractère politique à l’émeute pour en faire une simple délinquance en bande.

[17] Exemplaire à ceci près qu’elle fait tout de même la part assez belle au discours policier et multiplie les références élogieuses envers l’échelle d’évaluation de la commissaire Bui-Trong et envers le commanditaire institutionnel de cette étude (l’IHESI, dépendant du ministère de l’Intérieur).

[18] Cf. aussi les analyses de Battegay et Boubeker (1992) à Vaulx-en-Velin, de Macé (1999) au Havre, Labat et Rebughini (1999) en région lyonnaise, Khosrokhavar (1999) à Strasbourg.

[19] Ceci vérifierait du reste les expériences traditionnelles (mais artificielles) menées en psychologie sociale sur les normes de justice dans les situations de renforcement de la conscience de groupe (Kellerhals, Modak, Perrenoud, 1997, 75-85).

[20] Alors même qu’elle permettrait de renouveler un débat classique sur la violence politique des minorités (Gurr, Oberschall, Tilly, etc.), débat dans lequel nous ne sommes pas entré faute de place, il est sans doute significatif que la violence politique des jeunes de banlieue (en France, mais aussi aux États-Unis ou en Angleterre) ne soit pas traitée dans un ouvrage collectif consacré à La violence politique dans les démocraties européennes occidentales (Braud, 1993).

[21] Indépendamment des analyses du vote d’extrême droite, les diverses enquêtes d’opinion convergent sur ce point et indiquent qu’un peu plus de la moitié des Français répondent positivement à des questions du genre : « Pensez-vous qu’il y a trop de travailleurs immigrés en France ? ». Les réponses positives sont fortement corrélées avec l’âge (les plus âgés sont les plus xénophobes) et avec le niveau de diplôme (les moins diplômés sont les plus xénophobes). En termes de catégories socio-professionnelles, les plus xénophobes sont les retraités, les agriculteurs, les artisans-commerçants et les ouvriers non qualifiés. En termes de préférences politiques, les électeurs de l’Extrême Droite puis du RPR sont les plus xénophobes, mais ceux du parti communiste le sont ensuite pratiquement autant que ceux de l’UDF (cf. par exemple Durand, Pagès, Pagès, 1998).

[22] Outre la sordide histoire du bulldozer de la mairie de Vitry en décembre 1980, on se souviendra que Robert Hue (alors maire de Montigny-les-Cormeilles) avait organisé en 1981 une manifestation pour stigmatiser une famille maghrébine dont certains enfants auraient été des dealers locaux ; on se rappellera aussi le maire communiste d'Évreux (Roland Plaisance) proposant la suppression des allocations familiales aux familles de délinquants dès 1993.

[23] Nonna Mayer explique très bien qu’il existe en effet non pas un « gaucho-lepénisme » (P. Perrineau) mais un véritable « ouvriero-lepénisme » qui joue un rôle déterminant dans le succès de l’extrême droite : « Au premier tour des législatives de 1997, chez les ouvriers et les ouvrières de moins de quarante ans, dont le père et le conjoint sont ouvriers, les candidats du FN ont recueilli 47% des suffrages exprimés » (Mayer, 1999, 24).


Retour au texte de l'auteur: Jean--Christophe Marcel, sociologue, Sorbonne Dernière mise à jour de cette page le mardi 7 mars 2006 14:40
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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