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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Serge Moscovici, Essai sur l'histoire humaine de la nature. (1977). Paris: Flammarion, Éditeur, 1977, 579 pp. Première édition, 1968. Collection: Champ philosophique. Une édition numérique réalisée par Mme Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedy, Ville Laval, Québec. [Autorisation accordée par l'auteur le 1er septembre 2007 de diffuser la totalité de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[343]

Psychologie sociale théorique et expérimentale.
Recueil de textes choisis et présentés.

Troisième partie : Influence sociale

Le style de comportement
d'une minorité et son influence
sur les réponses d'une majorité
.” *

Par CLAUDE FAUCHEUX/ SERGE MOSCOVICI

L'innovation en tant que processus d'influence sociale
Les trois modalités d'influence sociale
Le contrôle social et le changement social

La dépendance et la consistance du comportement
Une nouvelle source d'influence
Majorité, minorité et style de comportement
La réinterprétation de l'effet Asch
Hypothèses et conclusions

L'attraction exercée par la réponse d'une minorité consistante
Description du paradigme expérimental
Première expérience
Deuxième expérience

Conclusion
Références

L'innovation en tant que processus
d'influence sociale
 **

Les trois modalités d'influence sociale

Le processus d'influence est un processus central en psychologie sociale. Du point de vue psychologique, il se rapporte à la transformation que subissent les mécanismes généraux du jugement, de la perception, de la mémoire, lorsqu'ils apparaissent comme les résultats des interactions de deux sujets, de deux groupes, etc., eu égard à un objet ou à un stimulus commun. L'appréciation du déplacement d'un point lumineux dans l'obscurité, la comparaison de la longueur d'une ligne à une longueur-étalon, ou le dénombrement d'une série de points, s'ils ont lieu dans un contexte social, traduisent davantage les lois de la pression que les individus exercent les uns sur les autres que les lois de la dynamique perceptive, cognitive, ou mnémonique. En fait, la spécificité de chacune de ces grandes fonctions s'estompe : elles se présentent toutes comme des formes particulières d'influence.

      Du point de vue sociologique, le processus a trait à l'établissement de relations à l'intérieur des groupes et entre les groupes, à l'élaboration de normes communes et à la socialisation des individus. Mais il concerne aussi les conflits qui se développent dans le cadre d'un groupe et entre les groupes, ou la transformation des règles et des échelles de jugement collectives. Bref, l'influence représente une des voies essentielles par lesquelles s'établissent des rapports et des codes propres à un système social. Nous insistons sur son rôle en psychologie sociale et sur l'éventail des problèmes qu'elle embrasse :

[344]

a) Pour rappeler qu'il s'agit d'un processus fondamental dont les lois ne sautaient se ramener à celles d'autres mécanismes censés être plus généraux (jugement, apprentissage) ni être expliquées, comme on le croit (Sherif, 1935 ; Montmollin, 1965 ; Mausner, 1954), à partir de l'analyse de ces derniers ;

b) Pour montrer qu'il ne suffit pas de se référer à une conception de la nature humaine (Asch, 1956), mais que l'influence renvoie à des phénomènes sociaux concrets ;

c) Pour noter enfin que, à l'encontre de ce que l'on croit généralement, elle n'aboutit pas seulement à instituer des uniformités sociales : la modification de ces uniformités s'inscrit aussi parmi ses effets. En d'autres termes, l'assimilation, courante dans la littérature spécialisée (Hollander, Willis, 1966), du processus d'influence au processus de conformité ne nous paraît pas correspondre à la réalité. Elle considère l'individu uniquement pour autant qu'il se pose la question : « Dois-je suivre le groupe ou la majorité ? ». Toutefois, l'individu se pose souvent la question inverse : « Comment faire pour que la majorité ou le groupe me suive, épouse mon point de vue ? ».

La multiplicité de ces interrogations plaide contre l'identification décrite. Sans recourir à un examen conceptuel trop poussé, et sans entrer dans les détails, on peut distinguer trois modalités d'influence : la normalisation, la conformité et l'innovation.

1. La normalisation exprime la pression qui s'exerce au cours d'une interaction en vue d'adopter une échelle acceptable par tous les individus, ou d'accepter une position voisine sur cette échelle. On peut dire que le but de cette pression est, d'une part, la convergence des opinions, et, d'autre part, l'adhésion à un compromis. Les différences antérieures à l'interaction s'estompent, d'où un nivellement ; et le consensus ou le compromis constituent, ultérieurement, le contexte ou le cadre de référence à partir desquels seront estimés tout stimulus inédit, toute figure nouvelle. La condition nécessaire pour que s'exerce cette forme d'influence est l'équivalence des partenaires du point de vu du statut ou des ressources (pouvoir, compétence, etc.). La condition suffisante est l'absence - de la part des individus ou des sous-groupes - d'une préférence trop marquée pour une position sur une échelle de jugement ou d'utilité. Après les expériences exploratoires de Jennes (1932), l'étude classique de Sherif (1935) a inspiré la plupart des recherches sur la normalisation. Comme on le sait, Sherif a employé le phénomène autocinétique en tant que source de stimulation. Le paradigme de base a les traits suivants :

  • La tâche ne permet pas la formulation d'une réponse correcte. Le point lumineux fixe dans une chambre noire, en l'absence d'autres repères, paraît se mouvoir, et chaque individu répond en fonction de l'illusion qu'il éprouve.

[345]

  • On donne une longue série d'estimations du « déplacement » du point lumineux.
  • La communication des jugements est la seule interaction permise entre les sujets.
  • La contrainte sociale n'apparaît pas comme étant intentionnelle. Cette contrainte naît uniquement de la différence observée par chaque sujet entre sa propre réponse et celle des autres, à propos d'un objet commun.

Sherif et ceux qui, a sa suite, ont fait des expériences à l'aide de ce paradigme, ont toujours trouvé une tendance constante du jugement des sujets à converger vers des valeurs communes. Le consensus ainsi obtenu représente un effacement des différences, un nivellement, car les individus établissent d'abord une norme personnelle quant au déplacement du point lumineux, et ensuite, lorsqu'ils apprécient ensemble ce déplacement, ils renoncent à leurs normes personnelles, quel que soit l'écart entre eux, pour constituer une norme nouvelle, collective. Celle‑ci est en quelque sorte la moyenne de celles‑là. Que la normalisation ait lieu par compromis, par effacement des jugements extrêmes, on le voit dans une série d'expériences, également classiques, de F. Allport (1924). Au cours d'une épreuve de jugement de poids, il observe qu'un sujet, en présence d'autres individus, sous-estime les poids les plus lourds et surestime les poids les plus légers. De même, dans des conditions analogues, un sujet juge les odeurs agréables comme moins agréables et les odeurs désagréables comme moins désagréables qu'elles ne le sont en réalité. Ainsi, l'interférence de l'assistance a pour conséquence l'élimination des réponses extrêmes et l'émission de réponses qui, en sous‑estimant les propriétés d'un stimulus, peuvent servir de point de rencontre à tous et réduisent le risque pour chacun de se voir démenti par le jugement des autres.

Pour nous conformer à une tradition répandue dans toutes les sciences et simplifier le discours, nous appellerons cet effet, caractéristique de la normalisation en tant que modalité d'influence, l'effet Sherif. De nombreuses expériences ont démontré sa généralité.

2. Le conformisme définit le comportement d'un individu ou d'un sous-groupe qui est déterminé par la règle d'un groupe ou d'une autorité ce à quoi ils s'attendent et qui a pour conséquence d'accroître la concordance des opinions, des jugements entre l'individu ou le sous-groupe d'un côté et le groupe de l'autre. Elle peut apparaître comme une soumission purement extérieure, instrumentale (Beloff, 1958 ; Jones, 1965) de la réponse individuelle à la réponse moyenne ou modale du groupe, ou comme une véritable adhésion de l'individu à la norme collective. De toute façon, la pression à la conformité suppose, d'un côté, une majorité et, de l'autre côté, une minorité, une différence de statut ou de ressources entre les deux termes de l'interaction sociale. Corrélativement, [346] on doit faire l'hypothèse que la majorité est nettement attachée à la règle, au code qu'elle veut imposer à la minorité ou vers lequel la minorité se sent attirée. La fonction de cette modalité d'influence est de réduire les déviations possibles, de faire partager par chacun les buts et les critères de conduite de l'ensemble. Par des sanctions appropriées, en échange des satisfactions désirées, individus ou sous-groupes sont amenés à renoncer à une série d'alternatives existant dans le champ psycho-social en ne conservant que celles dont les termes sont acceptés ou approuvés par la majorité. L'effet qui a suscité le plus d'intérêt et qui a illustré de la manière la plus frappante la répercussion des forces tendant à établir un conformisme est, sans conteste, l'effet Asch. On en connaît la réalisation expérimentale : un groupe de sujets qui donne des réponses erronées à propos d'un stimulus parfaitement structuré (des lignes droites de longueur inégale) induit un individu à donner une réponse également erronée, bien qu'elle contredise sa propre perception. Le paradigme utilisé pour produire la conformité (Allen, 1965) est différent de celui que nous avons décrit à propos de la normalisation. Plus précisément, on note que :

  • La tâche comporte une réponse correcte (mais elle pourrait être seulement modale ou moyenne).
  • Il existe un écart notable entre la réponse du groupe et la réponse de l'individu qui est isolé.
  • La communication des jugements est la seule interaction permise entre la majorité et l'individu minoritaire.
  • La contrainte sociale n'apparaît pas comme étant intentionnelle. Cette contrainte transparaît uniquement à travers l'écart de jugement qui sépare la majorité de la minorité.

Les expériences de Deutsch et Gérard (1955), Thibaut et Strickland (1956) ont montré que la tendance à la conformité est augmentée si on renforce la dépendance des individus par rapport au groupe. D'autres expériences ont prouvé que cette tendance peut être affaiblie si on diminue la dépendance, soit en mettant en question les aptitudes des membres majoritaires du groupe, la correction de leur jugement ou l'unanimité qui y règne, soit en renforçant la confiance que le sujet a dans ses propres réponses (Kelman, 1950 ; Kelley, Lamb, 1957).

Aucune d'entre elles, bien qu'on eût souhaité montrer l'inverse, n'a réussi à contester la validité de l'effet indiqué. Au contraire, poursuivant la ligne de recherches inaugurée par Asch, Milgram (1963) a pu fournir un exemple extrême de conformisme. Il a notamment montré que des personnes ordinaires, introduites dans un laboratoire de psychologie, peuvent être induites à infliger des souffrances considérables à un tiers.

3. L'innovation se réfère à la proposition et à l'adoption d'un modèle de réponse qui, soit rende caducs les règles ou les codes sociaux prédominants, [347] soit infléchisse dans sa direction la production de ces règles ou de ces codes sociaux. Bien entendu, toute innovation, toute influence qui conduit à la généraliser, supposent une minorité qui, à l'encontre de ce qui se passe à propos de la normalisation ou de la conformité, induit et détermine le comportement de la majorité. Nous le voyons dans la vie scientifique : une expérience nouvelle, une théorie nouvelle attire l'attention d'un petit groupe d'individus, se cristallise en un domaine, en une école, avant de devenir le savoir commun de toute la science. Il en est de même dans la politique, dans la mode, dans l'industrie ou dans l'art. On sait, par ailleurs, que pour innover il ne suffit pas qu'il y ait une différence perçue entre le modèle - la norme proposée - de la minorité et le modèle ou la norme de la majorité ; il faut également que la minorité soit résolue, c'est-à-dire manifeste une volonté, une certitude quant aux options prises. Parallèlement, elle provoque une certaine tension, en s'opposant à la pression à la conformité exercée sur elle, en témoignant de l'existence d'autres possibilités que celles offertes par l'action ou la pensée habituelles. L'influence d'une telle minorité tend consciemment à la modification des uniformités sociales généralement acceptées. Malheureusement, nous ne pouvons pas dégager les traits d'un paradigme de recherche expérimentale ayant trait à l'innovation. Le problème qui se pose dès lors est de savoir pourquoi ce phénomène a été pratiquement ignoré, ou, ce qui revient au même, pourquoi les psychosociologues se sont intéressés exclusivement à la normalisation et au conformisme.

Le contrôle social et le changement social

Nous venons de le voir : l'étude de l'influence s'est entièrement identifiée avec l'étude de la normalisation d'abord, avec celle du conformisme ensuite. Les raisons de cet état de choses sont évidentes.

En premier lieu, il semble que les psychosociologues se soient contentés d'envisager une région relativement limitée du champ social. Les interactions sociales, les groupes auxquels ils se réfèrent habituellement sont marqués par la société de masse (anonymes, temporaires) ou par le milieu familial, industriel, scolaire, etc. Dans ces groupes, le consensus, la soumission aux normes, l'abandon des préférences nettes, le besoin d'approbation ou d'adhésion, serait les conditions d'une coexistence sans conflit. La pression à se conformer, à éviter les divergences, à instaurer la similitude, paraisse indispensable à l'équilibre de chacun. Personne ne songe à nier l'importance de cet aspect de la vie sociale, des buts qui en découlent et des motivations qui les sous-tendent. Leur caractère partiel est néanmoins évident. Pour s'en apercevoir et en faire son profit, il aurait suffi de prendre en considération les milieux scientifiques ou les cercles artistiques, de jeter un regard [348] sur les mouvements politiques et les événements historiques les plus significatifs. Les valeurs d'originalité et de contestation y sont omniprésentes. Toutes les tentatives d'influence qui s'y développent ont pour objectif d'introduire une nouveauté et d'établir une différence. Le maintien du statu quo est jugé pernicieux ; la motivation principale n'est pas l'affiliation aux autres, ni le partage, à tout prix, des mêmes opinions et des mêmes codes. La modification des règles et des relations sociales y est une force motrice incontestable. Assurément, ces faits d'innovation sont moins fréquents que les faits de conformité : ils n'en sont pas moins décisifs dans notre société. Dès lors, il est difficile de prétendre toucher aux dimensions fondamentales du comportement ou de la dynamique des groupes tout en ignorant ces faits.

En deuxième lieu, il faut mentionner l'optique qui a prévalu au sujet de la fonction et du résultat de l'influence sociale. Sans conteste, le processus d'influence sociale est étudié, saisi, pour autant qu'il permet et renforce le contrôle social, puisqu'on estime que c'est seulement « avec un contrôle social d'une sorte ou d'une autre que les individus accomplissent une action concertée et deviennent un groupe » (Hare, 1965, p. 23).

On se préoccupe, dès lors, de savoir comment les groupes sont susceptibles de conserver leur cohésion, comment la société, à travers les moyens de persuasion, assure les liens de soumission de ses parties, la convergence de celles-ci vers les positions normatives communes. La canalisation des attitudes et des comportements en vue d'objectifs déterminés par ceux qui ont le statut ou le pouvoir leur permettant de le faire, s'avère être au cœur de toute action d'influence. Les individus y sont appréhendés uniquement pour autant qu'ils sont mus par le désir de ressembler aux autres, d'être approuvés par les autres. Ne pas observer une tendance de ce genre est un signe de perversité, car, comme le notent Secord et Backmann (1964), « dans certains cas, de telles personnes peuvent même éprouver quelque satisfaction perverse à ne pas être acceptées par les autres » (p. 348)

Le contrôle social que le groupe exerce au moyen de la normalisation ou de la conformité vise à apaiser ce besoin de dépendance, à favoriser l'équilibre psychologique et à libérer du conflit.

Mais quand l'individu est-il disponible, quand recherche-t-il ce contrôle ? Lorsqu'il ne peut parvenir par lui-même à établir une relation stable avec son entourage. Normalement, une opinion, un jugement doivent pouvoir être vérifiés pour être valides et sous‑tendre le comportement. Il existe cependant bien des cas où nous n'avons aucun moyen de vérifier par nous-mêmes qu'une opinion ou un jugement sont corrects. Un individu qui voit un point lumineux fixe se déplacer le perçoit ainsi parce qu'il est suffisamment éloigné, et parce qu'on a écarté d'autres indices qui, en fait, montreraient que le point ne se déplace pas. Devant [349] cette impossibilité et l'incertitude qui en résulte, de même que dans d'autres situations analogues, les individus ont recours au jugement des témoins, aux échelles de leur groupe, pour se faire une opinion ou valider l'opinion approximative qu'ils ont émise. Force est, en l'occurrence, de se reposer sur les estimations des autres, de partager les mêmes valeurs, d'adopter les mêmes positions. Le processus d'influence s'exerce à cette occasion, soit au niveau de la sélection des propriétés du stimulus (influence informationnelle), soit au niveau de l'élaboration des réponses (influence normative) (Deutsch, Gérard, 1955). Son effet est d'éponger l'incertitude - le rapport entre incertitude et influence a été maintes fois prouvé (Rosenberg, 1963 ; Jackson, Saltzstein, 1958) - et de permettre aux individus de se contenter d'une réalité sociale là où ils ne peuvent pas se baser sur une réalité physique (Festinger, 1950). On voit clairement quels sont les fondements de cette conception. La réalité objective est du ressort de l'individu, de ses capacités sensorielles ou intellectuelles, car il n'a pas besoin, pour en définir les attributs, de la présence des autres. Lorsque cela n'est pas possible, ou lorsqu'il a des doutes concernant ces capacités, il se trouve dans l'obligation de recourir aux autres pour aboutir à une autre réalité, factice, conventionnelle. Donc, si du point de vue du groupe le contrôle social représente la recherche de l'uniformité, la pression à éliminer ce qui s'y oppose, du point de vue de l'individu la réalité sociale répond à la nécessité de substituer aux incertitudes concernant l'environnement physique le consensus rassurant de ses semblables.

La possibilité de ramener le comportement de tous les membres de la collectivité à une ligne de conduite conformiste, et la définition de toute non conformité, y compris l'innovation, comme déviation, sont les corollaires de cette manière d'envisager les rapports sociaux. Merton (1957) n'écrit-il pas justement : « La première forme de comportement déviationniste identifiée dans la typologie exposée au chapitre précédent était décrite en tant qu'innovation » (p. 176) ?

Mais on peut aller plus loin. Non seulement l'innovation ne pouvait pas être considérée comme un phénomène important dans ce contexte, elle était de plus considérée uniquement en tant que forme de contrôle social. Ce qui a conduit, soit à des constatations banales, soit à d'étranges paradoxes. On le voit dans les rares études qui ont été consacrées à l'innovation. Ziller et Behringer (1960) notamment ont montré qu'un individu minoritaire imposant ses solutions est jugé plus positivement, dans un questionnaire, que les autres individus, si le groupe a échoué et si cet individu minoritaire paraît compétent. Dans une expérience souvent citée, Kelley et Shapiro (1954) se sont proposé d'analyser les répercussions de la déviation dans des situations où le contrôle social, le conformisme, sont nuisibles au groupe. Ils constatent que, lorsque la performance du groupe décroît parce que les membres du groupe hésitent [350] à s'écarter de la norme, ce sont les sujets les plus populaires, les mieux acceptés, qui prennent le risque de s'écarter de la norme et de changer le mode de réponse. Ici semble jouer l'ascendant affectif, les individus les moins dépendants étant en même temps les moins conformistes. L'expérience de Kelley et Shapiro démontre que l'adaptation d'un groupe à la réalité appelle le non‑conformisme, sinon l'innovation ; mais elle présuppose que seuls les individus ayant un statut élevé sont capables de réaliser cette adaptation, du fait qu'ils sont plus aptes à se rendre indépendants de la norme. Ceci est en accord avec des faits bien connus, à savoir que les individus qui tendent à appartenir à des groupes supérieurs (Zeff, Iverson, 1966) ou les leaders (Harvey, Consalvi, 1960) sont à la fois moins conformistes et plus influents. Qu'est‑ce à dire sinon que les individus susceptibles d'exercer le contrôle social sur les autres sont également capables de s'en libérer, et que celui qui a déjà une certaine influence peut en acquérir encore davantage ? Hollander (1958) a essayé de systématiser cette conception. Il avance l'hypothèse que chaque individu, dans un groupe, jouit d'un « crédit de particularisme » (idiosyncrasy credit) qui représente une accumulation de dispositions positives des autres envers lui. Plus ce crédit est grand, plus est grande la confiance que lui portent ses partenaires, et plus il peut se permettre de dévier, de se conduire sans tenir compte de la majorité. Cette métaphore fiduciaire dénote, symbolise le degré de dépendance (ou d'indépendance) qui résulte du degré de confiance que les membres du groupe s'accordent mutuellement. Dans une série d'expériences, Hollander a prouvé que l'individu qui, par sa compétence et sa conformité aux buts du groupe, a acquis beaucoup de « crédit de particularisme », peut se permettre de se conduire de manière non conformiste ou innovatrice. Il soutient aussi que, pour conserver son ascendant sur les autres membres, un tel individu est même obligé de recourir à un comportement non conformiste. Ainsi l'innovation ou le non-conformisme sont bien saisis dans le cadre du contrôle social recherché par les individus investis d'une autorité.

Les résultats de ces expériences, les hypothèses qui les sous-tendent paraissent être en contradiction avec d'autres expériences et avec l'opinion reçue suivant laquelle les leaders doivent généralement être plus près des normes du groupe que les autres membres. Pour concilier les deux points de vue, Hollander (1960) s'est efforcé de prouver qu'il s'agit là d'un phénomène temporel. Un individu doit commencer par être conformiste, atteindre un statut élevé, établir une position de domination ou devenir populaire. C'est seulement ensuite qu'il peut introduire des changements, s'écarter de la norme, en proportion de la dépendance qu'il a imposée ou de la compétence qui lui est reconnue.

L'ensemble de ces recherches présuppose que la minorité peut exercer une influence sur la majorité, à condition d'avoir du pouvoir ou des [351] ressources (une compétence, par exemple). Le leader est non conformiste ou novateur uniquement pour autant qu'il facilite l'adaptation du groupe et sauvegarde, pour ainsi dire, son prestige ou justifie la confiance que les autres ont mise en lui : il ne brave jamais la majorité. Bien plus, il la suit d'abord pour pouvoir en être suivi ensuite. Comme l'écrit Homans (1961) : « Se laisser influencer par les autres est le prix que l'on paie pour pouvoir exercer une influence sur eux » (p. 286).

On voit les conséquences paradoxales d'une telle conception. Premièrement, toute innovation est le résultat d'un compromis et les plus grands innovateurs sont aussi les conformistes les plus habiles. Il faut cependant remarquer que l'histoire nous enseigne le contraire. L'intransigeance la plus stricte a toujours été l'attitude des individus qui ont eu un grand impact sur nos idées et nos comportements. Copernic en astronomie, Freud en psychologie, Marx en sociologie, Galilée en mécanique et Robespierre en politique nous fournissent quelques exemples de choix. Deuxièmement, l'innovation ou le non‑conformisme paraissent toujours être un effet du leadership et non pas celui‑ci un effet de ceux-là. Si Lénine avait suivi le schème décrit par Kelley et Shapiro, Hollander ou Homans, il aurait dû devenir d'abord tsar de Russie pour la transformer ensuite en pays socialiste. Or, comme chacun sait, il a suivi précisément le chemin inverse : il a d'abord fait une révolution, et ensuite il est devenu le leader de l'Union soviétique.

De cette perspective conceptuelle découlent les orientations que nous connaissons actuellement (Allen, 1965 ; Hollander, Willis, 1966) dans le domaine de l'influence. Là où ils sont dépourvus des moyens indispensables pour décider de la vérité ou de la fausseté d'une assertion, les individus viennent obligatoirement se soumettre au décret du plus grand nombre. Par ailleurs, la minorité ne saurait être considérée que pour autant qu'elle se plie à la maîtrise que la majorité ou les puissants veulent s'assurer par le maniement des récompenses et des punitions. La poursuite du contrôle social relègue l'innovation à une place secondaire, ou alors on n'en aperçoit que l'aspect le plus compatible avec la conformité.

     Il est cependant évident que, si cette perspective est générale, non seulement elle n'est pas la seule possible, mais encore elle ne suffit pas à nous faire comprendre suffisamment la nature des relations entre individus et groupes. L'analyse du processus d'influence sociale en tant qu'il concourt au changement social est également légitime. Journellement, des groupes, des partis, des individus tendent à modifier les conditions dans lesquelles nous vivons, pensons ou agissons. Dans tous ces cas, par un effort isolé ou par une organisation adéquate, des agents marginaux ou minoritaires de la société font pression sur le système social dans son ensemble pour l'inciter à se transformer, et sur chaque individu pour l'inviter à se rallier à un mouvement intellectuel, [352] politique, ou tout simplement vestimentaire. Nécessairement, avec le renouvellement des normes et des codes sociaux, on assiste à un remaniement des rapports inter-individuels, conjoint à l'apparition de nouvelles structures d'action ou de communication, ou encore de nouveaux leaders. Ce point n'a pas besoin d'être développé davantage pour qu'il soit démontré que le changement social est une fonction de l'influence aussi réelle que le contrôle social, et que l'innovation n'apparaît pas de manière spécifique et prédominante dans ce cadre unique. Toutefois, il nous fait voir combien la plupart des théories élaborées en psychologie sociale, dans la mesure où elles concernent surtout la normalisation, la conformité, la domination de la minorité par la majorité, l'assimilation de l'individu par le groupe, sont inadéquates pour s'appliquer à de tels phénomènes. Nous devons donc avoir recours à d'autres notions et à d'autres modèles conceptuels pour l'étude que nous nous sommes proposée ici d'un aspect négligé des recherches relatives à l'influence sociale.

La dépendance et la consistance
du comportement
 *


Une nouvelle source d'influence

Jusqu'ici nous avons essayé de montrer que l'innovation est une modalité particulière d'influence et qu'elle acquiert de l'importance lorsqu'on s'intéresse au changement social, à l'action des minorités lors de l'établissement des normes et des codes sociaux. Il convient à présent de se demander quelle est la source, quelle est la variable indépendante qui rend compte de la production de ses effets. Dans la presque totalité des recherches sur le conformisme et la normalisation, on a eu recours, théoriquement et expérimentalement, à une seule source d'influence : la dépendance. Plus précisément, on a tenu compte de l'impact de :

a) La dépendance interne, exprimée par les ressources, c'est-à-dire les propriétés d'un individu ou d'un groupe qui lui permettent d'agir sur les jugements d'un autre individu ou d'un autre groupe. Ainsi on [353] a souvent démontré que la compétence ou la qualité d'expert est un facteur essentiel de la conformité. Dans la plupart des cas, chaque individu, notamment celui qui participe à une expérience, fait l'hypothèse d'une compétence également distribuée, vu la nature des épreuves auxquelles sont soumis les individus. Dès que l'on met en évidence une compétence différentielle, on constate une conformité envers les individus censés avoir une meilleure connaissance, une plus grande pratique dans un domaine particulier (Back et Davis, 1965 ; Gérard, 1953 ; Chalmers, Horne et Rosenbaum, 1963).

b) La dépendance externe née de la soumission à un agent social auquel on reconnaît ou qui s'arroge la capacité de canaliser le comportement d'un individu ou d'un sous-groupe, d'apprécier le degré auquel ce comportement s'accorde avec un critère normatif, répond à l'attente du milieu social. La présence d'une majorité, la différence de statut, de pouvoir, tout autant que le besoin de s'affilier à autrui, d'être approuvé par lui, déterminent la grandeur de cette capacité et la mesure dans laquelle la majorité peut appliquer des sanctions afin d'induire les conséquences que l'on estime désirables pour la survie du groupe. Nécessairement, moins le statut dont jouit un individu est élevé, plus il se sent en minorité, menacé d'exclusion ou mal accepté par la plupart des membres ou les membres puissants du groupe, et plus il tend à se conformer. Il en est de même pour les individus qui craignent la censure du groupe, éprouvent un faible besoin d'auto‑réalisation (need‑achievement) ou, au contraire, manifeste un besoin impérieux d'être acceptés ou de s'affilier. De nombreuses recherches ont établi ces faits (Dittes, Kelley, 1956 ; Mc Clelland et al., 1953 ; Hardy, 1957 ; Berkowitz, 1957 ; Kiesler, 1936 ; Miller, Tiffany, 1963). Assurément, sous quelque forme que ce soit, la dépendance apparaît comme une source d'influence dans la normalisation ou la conformité, parce qu'elle traduit l'écart séparant la majorité de la minorité, la hiérarchie des rôles et/ou la répartition différentielle des habiletés, des possibilités de récompense ou de punition dans un groupe. Néanmoins, pour certaines raisons, nous ne pouvons y avoir recours dans l'étude de l'innovation. Tout d'abord, il semble bien que la dépendance par rapport à un individu ou un sous‑groupe qui innove soit plutôt une conséquence qu'une cause de l'action influentielle. Par exemple, la nécessité de suivre le conseil des experts en matière de télévision, d'électronique, d'automobile etc. succède à l'adoption de la télévision, de l'électronique, de l'automobile ou de toute autre invention technique spécifique. Ensuite, une minorité qui innove vraiment, qui transforme la réalité sociale, n'a pas, du moins au début, et pendant longtemps, d'avantages du point de vue du statut ou du pouvoir, par rapport à la majorité ou aux structures sociales existantes. On pourrait également remarquer que les individus ou les sous-groupes qui changent les règles, les valeurs, les connaissances, ne sont pas mieux  [354] lotis que les autres, du point de vue des ressources, donc de la compétence. Bien que l'on vienne lentement à reconnaître la justesse de leur point de vue, au moment où ils l'énoncent, leur autorité n'est appuyée par aucun indice extérieur de supériorité quant à la compétence. Quand, immédiatement après la deuxième guerre mondiale, un groupe restreint a prôné activement la méthode expérimentale en psychologie sociale, personne n'a reconnu sur le champ à ses membres une meilleure connaissance ou une prévalence en tant que psychosociologues. Pour ne rien dire de Freud ou de Marx, le premier n'ayant obtenu une chaire de psychiatrie qu'après de longs efforts, et le second se voyant taxé par ses contemporains de piètre économiste ou sociologue. Ainsi la dépendance n'est, eus égard au phénomène qui nous intéresse, ni une variable indépendante ni un facteur différentiel qui puisse rendre compte de l'influence qui s'exerce. Nous avons donc été incités à chercher une autre source d'influence qui ne soit pas soumise aux limitations que nous venons d'indiquer. Nous avons cru la trouver dans la manière, le style du comportement de celui qui propose une solution à un problème, une norme nouvelle pour un groupe, et qui, en modifiant le champ psychologique, Peut avoir une répercussion sur le récepteur de son opinion, des normes, suivant l'expression de Rommetveit (1954). Les études sur la communication ont démontré à plusieurs reprises combien et comment l'organisation des stimuli, l'auto‑présentation de l'émetteur, la rhétorique inhérente aux messages, interfèrent avec la réponse de la plupart des auditoires et l'infléchissent. Bref, l'important n'est pas uniquement ce qui est dit mais aussi la manière dont, cela est dit. On a de bonnes raisons de supposer que des facteurs du même ordre peuvent intervenir dans le processus étudié. L'organisation du comportement pourrait donc suffire pour provoquer l'acceptation ou le rejet d'un jugement, d'un modèle proposé au cours d'une interaction sociale. Plus particulièrement, la consistance du comportement d'une minorité, le fait qu'elle s'en tient solidement à un point de vue déterminé et le développe de manière cohérente, semble devoir être une puissante source d'influence qui, en l'occurrence, ne saurait provenir ni d'une inégalité des ressources, ni d'une dépendance explicite. On peut se demander, à juste titre, pourquoi la consistance aurait des effets sur le plan de l'influence.

En premier lieu, elle provoque une stabilisation des propriétés de l'environnement, une invariance parmi les rapports qui le constituent. Comme l'a observé Heider (1958), l'homme saisit la réalité, peut prédire et contrôler son évolution, uniquement en reliant des comportements ou des événements éphémères et variables à un soubassement relativement invariant et récurrent. Il arrive à cette impression que ses réactions reflètent la disposition des objets, des êtres, uniquement lorsque a) toutes les fois qu'apparaissent ces événements ou ces objets, il répond de la même manière ; b) quel que soit le mode d'interaction avec l'objet ou [355] de rencontre avec l'événement, son comportement est à peu près le même. Bien plus, s'il y a un consensus avec d'autres individus, alors ces attributs, ces dimensions invariantes paraissent très assurés. On voit que la consistance est un facteur de stabilisation perceptive et qui permet de sélectionner parmi les informations les plus incertaines et les plus variées celles qui constituent le fondement sur lequel nous pouvons prendre appui. Si tel est le mécanisme perceptif, alors une personne ou un sous-groupe qui se tient fermement à une certaine organisation de ses réponses, confronté avec d'autres personnes ou d'autres sous‑groupes, dans la mesure où son comportement est prédictible ou bien dans la mesure où il s'exprime comme ayant dégagé les propriétés invariantes des objets ou des événements qu'ils ont à juger en commun, aura un effet stabilisateur sur l'ensemble des processus d'interaction avec l'environnement. Ceci d'autant plus que l'un de ses partenaires éprouve toujours quelque difficulté à établir des rapports invariants. On pourrait même dire que l'objet ou l'événement apparaîtront comme prédictibles ou stabilisés du point de vue de l'individu ou du sous-groupe qui émet des opinions, des estimations cohérentes, car ce sont les dimensions sous‑jacentes qui prennent le plus de relie£ On comprend dès lors que les minorités (Simmel, 1964) ou les savants, les artistes vraiment influents, répugnent à tout compromis (Kuhn, 1962) et s'expriment de la manière la plus radicale, donnant ainsi plus de relief à leur vision du réel et la faisant apparaître sous ses traits les plus permanents.

En deuxième lieu, un comportement conséquent à la fois symbolise la confiance dans les options prises par l'individu ou le groupe, son engagement, et délimite clairement les alternatives auxquelles chacun est confronté. Quand un individu ne se manifeste pas par la continuité de ses choix ou de ses réponses, ou qu'il passe trop souvent d'une réponse à l'autre parmi celles dont est composé son répertoire, la plupart de ses récepteurs ou de ses partenaires n'ont une indication précise ni de ce qu'il leur signifie, ni de ses attitudes. Il en est tout autrement lorsque chacune de ses manières de se conduire, de sélectionner parmi les stimuli présents ou d'y répondre, se rattache à un dessein plus général et s'écarte d'une manière opposée de se conduire, de sélectionner ou de répondre. D'une part, l'action de chacun se trouve facilitée et l'individu ou le sous‑groupe qui permettent cette facilitation deviennent plus attirants. Shaw (1963) a montré que les suggestions d'une personne qui présente deux solutions sont plus aisément acceptées que celles d'une personne qui présente quatre ou six solutions au problème que doit résoudre un groupe. On observe aussi que le sujet qui présente seulement deux solutions est jugé de manière plus positive. D'autre part, la clarté cognitive qui accompagne la consistance du comportement d'un individu ou d'une collectivité permet le changement, le passage d'un [356] cadre de référence à un autre. Pourquoi ? Parce que c'est dans ce cas seulement que les alternatives, sont clairement perçues et que les gens saisissent l'existence de possibilités distinctes de celles qui prédominent et semblent constituer la seule réalité intelligible et acceptable. Habituellement, comme l'écrit Asch (1959). « Chaque ordre social met ses membres en face d'une position choisie de données physiques et sociales. Le trait le plus distinctif de cette sélectivité est qu'elle présente des conditions auxquelles fait défaut l'autre terme de l'alternative perceptive. Il n'y a pas de solution de rechange au langage du groupe, aux relations de parenté qu'il pratique, à son régime alimentaire, à l'art qu'il prône. Le champ de l'individu est, en particulier dans une société relativement fermée, circonscrit dans une grande mesure par ce qui est inclus dans le cadre culturel donné » (p. 380).

Certes, on ne s'attend guère, dans ces conditions, que quelque chose se transforme ou qu'une partie du corps social innove. Le processus psychologique majeur, maintes fois décrit, qui conduit à un changement profond, présuppose qu'à l'horizon du groupe propre ou de son milieu social apparaissent des modèles, des règles, des visions différents et même opposés. Mais pour que ces modèles, ces règles ou ces visions deviennent des solutions de rechange que chacun puisse appréhender comme telles, il faut qu'ils soient proposés de façon constante et cohérente. L'expérience d'Asch, en un sens, prouve ce que nous venons de dire. Dans cette expérience les sujets naïfs ont été éduqués dans une culture qui a adopté une certaine géométrie, et donc une notion particulière de ce que représentent « deux lignes égales ». Si maintenant ces sujets sont transportés dans un milieu distinct, qui est celui du laboratoire, ils y rencontrent une deuxième culture, un groupe possédant une géométrie nouvelle et qui propose une nouvelle définition de la notion « deux lignes égales ». Notamment, les lignes inégales dans la première géométrie sont égales dans la seconde. D'après ce que nous venons de dire, le contraste entre les deux « cultures », l'existence d'une géométrie alternative à celle des sujets naïfs seront sensibles lorsque les compères répondront de manière plus consistante, donc feront plus d'« erreurs », que lorsque les compères répondront de manière moins consistante en faisant moins d'« erreurs ». L'influence est nécessairement plus forte dans le premier cas que dans le second, où les sujets naïfs sont plus désorientés et s'en tiennent à la règle, à la norme qui a été le plus souvent renforcée par le passé. Nous verrons que les résultats expérimentaux confirment l'importance de la consistance. Ici nous avons surtout voulu illustrer le rôle éventuel qu'elle jouerait dans le mécanisme de modification des rapports sociaux et des normes sociales.

En troisième lieu, ce style de comportement constitue un pôle de persuasion dans le champ social. On le voit à deux niveaux. Au premier niveau, la reprise et la répétition d'une même réponse, d'un même point [357] de vue, sont nécessairement appréhendés comme autant d'essais d'influencer, d'infléchir le point de vue d'autrui, dans le sens souhaité. Or, il est probable que, dans la mesure où ces essais ne dépassent pas certaines limites, ils peuvent rencontrer un écho favorable. Non seulement les sujets qui parlent le plus, qui par là se montrent désireux de voir leurs solutions acceptées, y parviennent effectivement (Riecken, 1958), mais on constate également que les sujets qui ont souvent tenté d'influencer autrui sont désignés comme pouvant être leaders (Berkowitz, 1957). A un autre niveau, cette même consistance fait apparaître tout jugement, qu'il soit d'attribut ou d'utilité, comme un jugement de préférence. Supposons que nous soumettions à un psychologue une série de problèmes et qu'il nous réponde en termes de récompenses ou de punitions. Nous sommes en droit de penser que ses jugements ne reflètent pas seulement des propriétés de la réalité, mais également une préférence pour le behaviorisme. Il en est de même en ce qui concerne les opinions sur ce qui est permis ou défendu dans un groupe. Si un sujet estime qu'il ne faut pas porter des jupes courtes, des cheveux longs, etc., nous en déduisons obligatoirement que ses réponses expriment en même temps des jugements sur ce qui est plus ou moins utile pour la vie d'une collectivité, un choix de valeurs. En un sens, tout jugement d'attribut ou tout jugement d'utilité a sa racine dans un jugement de préférence ou surgit d'abord en tant que jugement de préférence. Ainsi, comme l'a bien montré Kuhn (1962), le choix, par les savants, d'un domaine de recherche ne s'impose pas toujours apriori grâce à un critère déterminé. C'est après coup seulement que les travaux se développent, les savants ayant convaincu d'autres savants, et que le paradigme élaboré dans un domaine devient à la fois la norme de ce qu'il est souhaitable d'étudier pour être reconnu par la communauté scientifique, et la carte des dimensions et des phénomènes qui caractérisent la réalité physique à un moment donné. Dès lors, si, de par sa consistance, tout jugement se présente comme un parti pris, un jugement de préférence, celui qui le formule, dans une interaction, prétend à la fois dire la vérité et emporter l'adhésion de ceux auxquels il s'adresse. Par là, tous ses actes, ses raisonnements sont perçus comme ayant une intention persuasive, et c'est dans ce contexte que l'interlocuteur réagit. Le psychologue qui, à travers tous ses raisonnements théoriques ou toutes ses expériences ne retrouve que le principe du renforcement ou de la gestalt, fait œuvre de savant, certes, mais aussi de propagandiste d'une certaine école, et il est perçu ou classé en conséquence. Les autres psychologues répondent, dans ce cas, soit suivant l'évidence qui est apportée, soit suivant l'attitude à l'égard, des principes et de l'école dans son ensemble.

Ces considérations générales et relativement, mais non pas entièrement, spéculatives rendent vraisemblable le statut de la consistance du comportement en tant que source d'influence. Nous allons maintenant [358] montrer l'accord de l'expérience avec cette façon de voir et en déduire quelques conséquences importantes.

Majorité, minorité et style de comportement

L'influence du jugement individuel. La répétition d'un même type de réponses est la manière la plus directe de rendre la consistance opératoire. Nous le voyons dans une série d'expériences de Luchins. Cet auteur (Luchins, 1945) utilise comme stimulus une série de 12 dessins au trait présentés toujours dans le même ordre : le premier représente un visage humain qui, dans les dessins suivants, par suite de la superposition de lignes irrégulières, s'estompe peu à peu tandis qu'apparaît progressivement la silhouette d'une bouteille. Chaque dyade comporte un sujet naïf et un compère qui parle tantôt avant le sujet naïf (situation d'interaction), tantôt après le sujet naïf (situation témoin). Lorsque le compère parle le premier, il donne toujours la même interprétation de tous les dessins, soit « bouteille », ce qui a pour conséquence de faire apparaître plus tôt cette réponse dans la série des réponses du sujet critique, soit « visage humain », ce qui a pour effet de retarder l'émission de la réponse « bouteille » dans la série des interprétations du sujet critique. Le compère n'exerce aucune influence pour les dessins non ambigus du début et de la fin de la série. Dans une autre expérience (Luchins, Luchins, 1961) le sujet naïf doit donner son opinion sur une personne à partir d'une série de onze « descriptions » présentant au début cette personne comme extrêmement introvertie et à la fin comme extrêmement extravertie. Le compère donne son avis avant le sujet naïf et cet avis tend à qualifier le personnage, pendant toute la durée de l'expérience, soit comme introverti, soit comme extraverti. On observe dans les deux cas une influence du compère. Ainsi, l'expression d'un point de vue cohérent entraîne l'adhésion, infléchit la perception d'un objet ou le jugement concernant une personne. Nous allons maintenant voir que cette possibilité de présenter une opinion de manière conséquente explique le fait qu'un individu peut exercer une influence plus grande qu'une minorité même importante. Certes, le témoignage auquel nous avons recours est indirect, mais il est indicatif. Torrance (1959) se propose d'étudier l'impact d'un individu sur un groupe dû au fait qu'il a fait une expérience préalable d'un objet dont le reste du groupe prend connaissance pour la première fois. Les groupes sont constitués de 6 à 12 individus et ont à consommer un produit appelé « pemmican ». Bien entendu les groupes sont composés de sujets censés avoir fait une expérience favorable ou défavorable et de sujets qui n'ont pas fait cette expérience. Un résultat secondaire par rapport au but général de l'étude nous intéresse ici. Torrance constate que les groupes où un seul sujet a fait une expérience défavorable réagissent de façon plus défavorable que les groupes où [359] cette expérience préalable défavorable est le fait de deux sujets ou davantage. Bref, le témoignage d'un seul sujet est plus influent que le témoignage d'un sous‑groupe. L'explication de Torrance est la suivante : « Apparemment, si un individu est le seul membre d'un groupe à avoir fait l'expérience de l'objet et de l'attitude, il est la seule « vedette ». Il peut parler sans crainte d'être contredit. Si d'autres ont fait l'expérience de l'objet de l'attitude, il est pour le moins réduit à partager ce rôle de vedette avec d'autres. Même si son jugement est en accord avec celui des autres membres qui ont fait l'expérience, il ne se sent probablement pas aussi affranchi de la crainte d'être contredit qu'il l'est lorsqu'il est seul à avoir fait l'expérience de l'objet. Bien entendu, si ceux qui ont l'expérience de la chose choisissaient de former une coalition et de consolider leurs témoignages, leur influence pourrait en être renforcée » (p. 255).

Autrement dit, l'individu tout seul a un plus grand impact sur l'opinion de la majorité parce qu'il organise de manière plus systématique ses arguments et par là non seulement donne une idée plus précise de l'objet de l'attitude, mais devient également une « vedette », donc un pôle de persuasion. Assurément, si plusieurs individus constituant la minorité pouvait atteindre un degré de cohérence intra-individuelle égal au degré de cohérence inter-individuelle, l'effet serait de même nature. De toute manière, cette expérience démontre non seulement que la consistance d'un sujet influence le jugement de la majorité, mais que cette consistance à une importance plus décisive que le nombre d'individus constituant la minorité.

Taille de la majorité et pression conformiste. La dépendance par rapport à la majorité a été considérée jusqu'ici comme une source importante de conformisme. C'est là, croit-on, une donnée du sens commun. Mais est-il absolument certain que la majorité constitue une variable critique ? Quelques résultats expérimentaux nous amènent à en douter. Tout d'abord on n'a pas encore trouvé de rapport direct entre la grandeur de la majorité et la grandeur de la pression à se conformer (Goldberg, 1954). Ensuite, un examen des recherches poursuivies depuis vingt ans oblige d'observer, comme le fait Graham (1962), que la cause de l'effet conformisant  réside moins dans la majorité que dans l'unanimité du groupe émetteur de normes. Plus exactement, une partie de l'influence peut être attribuée à la présence d'une majorité et l'autre partie à la manière dont elle se manifeste, c'est-à-dire à son unanimité. Pour comprendre le sens de cette unanimité, distinguons la consistance synchronique, c'est-à-dire la consistance qui résulte de l'identité de la réponse de plusieurs sujets à un même stimulus, de la consistance diachronique, qui caractérise l'identité de la réponse des sujets à travers une série de stimuli. La majorité unanime concrétise généralement la consistance synchronique, puisque tous les membres du groupe donnent la même [360] réponse à un stimulus déterminé. Il suffit qu'un seul membre appartenant à ce groupe fournisse une réponse différente pour que la consistance de son comportement disparaisse, bien que la majorité subsiste. Si la majorité est le facteur important du conformisme, à ce moment-là la présence ou l'absence de consistance synchronique ne devrait pas affecter de manière significative la quantité d'influence exercée par un groupe. Si, au contraire, la consistance est un facteur important, quelle que soit la taille de la majorité, son absence doit affecter le degré de conformité à la pression exercée par un groupe. Nous savons que c'est ce qui a effectivement lieu. Asch (1956) a montré qu'une majorité unanime de trois à neuf sujets provoquait l'acceptation de son jugement par plus d'un tiers de sujets naïfs, bien que ce jugement soit objectivement « erroné ». Néanmoins, si, dans un groupe de huit ou neuf compères, un seul de ceux‑ci donne une réponse « correcte » comme le sujet naïf, le nombre de personnes influencées tombe de 32% à 10,4%. Dans l'ensemble, on observe qu'une majorité qui n'est pas constante dans ses opinions, qui n'est pas unanime, même si elle est plus nombreuse, exerce moins d'influence qu'une majorité unanime. Autant dire que la consistance des sujets a plus de poids que leur nombre, et qu'il n'y a aucun rapport entre la taille de la majorité et l'efficacité de sa pression à la conformité. Seule son unanimité est en jeu.

La consistance synchronique, on vient de le voir, est une source d'influence dont l'importance excède celle de la dépendance par rapport à une majorité. La consistance diachronique semble remplir un rôle analogue. L'effet Asch repose sur deux types d'essais : les essais « neutres », c'est-à-dire des essais où les compères répondent de façon « correcte », et les essais « critiques », c'est‑à‑dire les essais où les compères répondent de façon « erronée ». Bien entendu l'influence est exercée lors de ces essais « critiques », puisque dans ces derniers on s'attend que les sujets naïfs répondent en désaccord avec l'évidence perceptive, mais en accord avec l'opinion du groupe. Ce groupe paraîtra, diachroniquement, d'autant plus consistant, plus systématique, qu'il y aura plus d'essais « critiques » par rapport aux essais « neutres ». Asch a varié la proportion des essais neutres par rapport aux essais critiques de la manière suivante : 1/6, 1/2, 1/1, 4 /1. Bien que les différences ne soient pas significatives, on observe une tendance claire : moins la majorité est cohérente avec elle‑même, d'un bout à l'autre de la série, et moins les sujets naïfs se conforment à ses réponses. Résultats retrouvés d'ailleurs par Iscoe et Williams (1963) dans une recherche analogue.

Une autre expérience, due à Jacobs et Campbell (1961) pourrait étayer ce phénomène. On peut affirmer qu'une tradition se transmet parce que la collectivité à laquelle elle appartient l'impose de manière persévérante à ses membres dans une génération et au cours des générations. Pour reprendre les termes employés dans cet article, la conservation [362] des normes culturelles appelle un comportement consistant à la fois synchroniquement et diachroniquement. Si ce dernier aspect temporel fait défaut, alors les normes se désintègrent progressivement et leur influence s'évanouit. Jacobs et Campbell ont créé, au laboratoire, les conditions de communication d'une tradition. La tâche était simple : il s'agissait d'estimer le déplacement d'une lumière dans le phénomène auto‑cinétique. Les groupes étaient initialement constitués d'un sujet naïf et de plusieurs compères qui donnaient, à haute voix, une série de jugements avant que le sujet naïf émette le sien. Dans les essais subséquents, les compères étaient remplacés, un à chaque fois, par des sujets naïfs. Quand tous les compères de l'expérimentateur avaient été remplacés, par la même méthode on éliminait les autres membres du groupe par ordre d'ancienneté. On remarque au début que la « norme » de la majorité se maintient, mais au fur et à mesure que la composition du groupe change, les sujets s'éloignent de la norme et tendent à suivre la pente de leur inclination personnelle. Si cette expérience nous enseigne quelque chose, c'est bien que la constance du comportement au cours des « générations » est une condition nécessaire de transmission et de conformité à une tradition.

Dans ce paragraphe et celui qui précède, nous avons montré que la consistance du comportement :

a) peut être une variable opératoire ;
b) est une source d'influence ;
c) rend compte d'effets habituellement attribués à la dépendance par rapport à une majorité ou à une minorité.

Ceci ne peut manquer d'avoir des répercussions sur l'interprétation des résultats d'une expérience dans son ensemble. Puisque l'on parle tant de l'effet Asch, et puisque cet effet est tellement central en psychologie sociale, nous allons le constater à son propos.

La réinterprétation de l'effet Asch

Comme on sait, dans les expériences d'Asch, on réunit dans un laboratoire sept à neuf sujets qui se trouvent devant un tableau sur lequel sont présentées successivement douze paires de cartons. Sur le carton de gauche figure une ligne verticale étalon, et sur le carton de droite sont dessinées trois lignes verticales d'inégale longueur, numérotées de 1 à 3, dont l'une est égale à la ligne étalon. Les sujets ont à désigner de vive voix parmi les trois lignes celle qui est égale à la ligne étalon. Répondant avant le sujet naïf, sept à neuf compères déclarent égales à la ligne étalon des lignes manifestement inégales. Nous voyons en présence deux forces, l'une représente la « norme » du groupe, qui, dans le laboratoire, est majoritaire, et l'autre qui est l'évidence perceptive de l'individu isolé. Il s'ensuit qu'une partie des individus se mettent [362] à chanceler dans leur opinion quant à l'information fournie par la réalité physique. Alors ils commencent à se rapprocher du groupe, de sa convention, pour échapper à l'incertitude et participer à la réalité sociale constituée, où des lignes censées partout ailleurs être égales, sont inégales. Après tout, de telles choses arrivent. Voltaire faisait remarquer, au XVIIIe siècle, qu'à Paris l'univers était plein et peuplé de tourbillons, tandis qu'à Londres il était vide et parcouru d'atomes. Pour revenir à l'expérience d'Asch, le contraste entre l'opinion des sept compères et la perception du sujet naïf provoque un doute dans l'opinion de celui-ci quant à sa capacité d'apprécier les lignes droites ; par là, la pression à se conformer agit en faveur du groupe qui exerce le contrôle sur l'individu isolé. Tous ses arguments ont conduit à une conclusion évidente : la majorité peut influer la minorité, même lorsqu'elle exprime des opinions contraires à l'évidence physique objective.

Faisons maintenant l'hypothèse que l'effet Asch (a) n'est pas dû à la pression de la majorité mais à la consistance de ses réponses et (b) que l'influence qui s'y manifeste a pour fonction le changement d'une norme dominante en provoquant la nécessité de choisir entre les termes d'une alternative ou entre plusieurs groupes. Dans cette perspective, il faut réintroduire la situation, le conflit qui se déroule au laboratoire, dans un contexte plus vaste. Le sujet naïf qui vient dans ce laboratoire est certes un individu isolé, mais il est aussi le représentant d'une collectivité plus étendue au sein de, laquelle règne un certain consensus quant à l'appréciation des deux lignes droites. Le jugement perceptif se double ici d'une convention établie, il fait partie des truismes de la culture que des milliers de personnes partagent et qui, pendant des années, ont été renforcés par l'action des parents ; le groupe psychologique auquel il est relié, qui détermine sa vision, est également présent entre les murs de la pièce où se déroule l'expérience. Dans cette pièce, le sujet dit naïf rencontre une série d'autres individus qui, de manière cohérente, semblent proposer une règle différente, un mode différent d'appréciation, à vrai dire l'inverse de celui qui est habituellement proposé. Constituent-ils, aux yeux du sujet, un échantillon représentatif de la collectivité à laquelle appartient le sujet, ou de la plupart des hommes, ainsi que le soutient Asch (1956) ? « L'individu minoritaire n'avait aucune raison de supposer que d'autres, non inclus dans le groupe, seraient plus susceptibles de se rallier à son avis. La majorité donnée symbolisait ce que perçoit n'importe quelle fraction de l'humanité » (p. 67)

Si tel est vraiment le cas, si cette « majorité » est une et si elle est censée symboliser une quelconque partie de l'humanité, on ne voit pas pourquoi les sujets naïfs, une fois seuls, reviennent à des jugements « corrects », plus conformes à ceux qui nous sont communs. On ne voit pas non plus pourquoi il suffit - les expériences l'ont montré - qu'un seul compère soit de l'avis du sujet naïf pour que l'influence des six ou [363] sept autres compères diminue fortement. Après tout, la « majorité » ne change pas radicalement. On est bien obligé de supposer qu'eu égard au groupe d'appartenance du sujet naïf, appartenance qu'il ne peut nier, les individus, dans le laboratoire, constituent une minorité. Les raisonnements que l'on entend faire en général omettent le fait que les normes, même éloignées, orientent constamment le comportement de l'individu, lorsque cela est possible ou nécessaire. À tout prendre, le sujet naïf de l'expérience d'Asch se trouve dans une situation analogue à celle des prisonniers de guerre (Schein, 1957) qui sont d'une part coupés de leur collectivité d'origine et d'autre part continuellement endoctrinés, jusqu'à perdre leur identité initiale et à être tentés de rechercher l'identité qui leur est offerte. Schein (1960) observe : « Une pratique fréquente dans les prisons, les hôpitaux psychiatriques, les ateliers éducatifs, les maisons de correction, les lieux de retraite religieuse, les centres d'entraînement, les monastères, les couvents, les pensionnats, etc., est de couper les pensionnaires de leurs relations sociales antérieures. Le personnel s'efforce aussi, systématiquement, de détruire l'organisation interne du groupe des pensionnaires... en même temps que l'aliénation sociale est favorisée par l'attribution de faveurs spéciales de récompenses ou de privilèges, à ceux qui coopèrent avec les autorités » (p. 169).

D'après ce que nous savons (Walters, Parke, 1964 ; Walters, Quinn, 1960), l'isolement social provoque une anxiété qui rend plus sensible à l'influence. Comme nous l'avons vu, il suffit d'un seul compère qui soit en accord avec le sujet naïf pour que celui-ci se sente soutenu par sa collectivité d'origine, moins isolé, et cesse de se conformer au jugement de la minorité constituée dans le laboratoire et pour laquelle deux lignes censées être inégales sont égales. Mais, même lorsque le sujet est seul, cette minorité doit montrer qu'elle tient à son point de vue, qu'elle y adhère systématiquement, pour qu'un conflit naisse entre les deux cadres de référence, entre le groupe auquel le sujet appartient momentanément et le groupe auquel il appartient en permanence, pour qu'une partie des sujets (un tiers) résolvent ce conflit en faveur du groupe dont ils sont les membres forcés, alors qu'une autre partie (deux tiers) demeure fidèle au groupe habituel.

On peut noter en outre que, dans l'expérience d'Asch, la perception de l'égalité des lignes est commandée, comme bon nombre de nos perceptions, par un truisme culturel. Dans ses expériences sur l'immunisation à la persuasion, Mc Guire (1964) a montré que ces truismes sont vulnérables à la propagande. Le consensus général, dans beaucoup de domaines de la vie courante, peut être mis en question par des communications insistantes, communications qui ne sauraient être, dans une société et à ce niveau, que l'œuvre d'une minorité résolue. Pour réduire cette vulnérabilité, il suffit d'immuniser ces opinions stéréotypées, de leur injecter, à petite dose, des arguments allant contre la [364] propagande. La communauté majoritaire se réaffirme de la sorte, reprend le contrôle de ses membres, ranime leur adhésion et retrouve la certitude quant à la validité de ses normes. Quelques expériences ont montré qu'il suffit d'accroître la confiance en soi, en soutenant par l'autorité de l'expérimentateur le sujet naïf, pour que celui‑ci, confronté à la situation conçue par Asch, soit beaucoup moins conformiste (Luchins, 1945 ; Di Vesta, 1959). En un sens, il est immunisé à toute attaque contre les truismes « géométriques ». Si tous ces raisonnements sont justes, si c'est bien la fermeté avec laquelle les compères maintiennent leur opinion qui aboutit à modifier le jugement des sujets naïfs isolés, alors les expériences d'Asch montrent en substance qu'une minorité cohérente transforme, dans des circonstances déterminées, une norme majoritaire. Cette conclusion est, on le voit, contraire à la précédente et l'effet Asch prend une signification différente si on le considère par rapport au changement social et non plus par rapport au contrôle social. Dans ce qui suit, nous allons valider cette inférence de façon expérimentale.

Hypothèses et conclusions

Partant du constat que la dépendance a été la seule source d'influence reconnue et utilisée jusqu'ici, nous avons vu qu'on ne saurait avoir recours à elle dans l'étude de l'innovation. En effet, une minorité, en général, n'a pas au départ une supériorité sur la majorité du point de vue du pouvoir, de la compétence. Par contre, une différence qui joue en faveur de la minorité peut exister du point de vue du comportement, notamment de la consistance de celui‑ci. Nous avons pu montrer par une analyse théorique et à la lumière d'un faisceau convergent de données que cette variable a réellement une existence autonome, que ses effets correspondent à certains mécanismes psychologiques généraux. Toutefois l'évidence sur laquelle nous nous sommes appuyés est indirecte ; il nous reste à la compléter par des preuves plus directes. Pour ce faire, nous allons vérifier les deux hypothèses suivantes :

1° Un sujet « minoritaire » exprimant une préférence consistante dans une situation de jugement induira les autres sujets « majoritaires » à adopter sa réponse.

2° Un sujet minoritaire exprimant une préférence consistante dans une situation de jugement induira les autres sujets, majoritaires, à adopter sa réponse, même si cela entraîne la modification d'une norme implicite du groupe.

[365]

L'attraction exercée par la réponse
d'une minorité consistante


Description du paradigme expérimental

Pour valider ces hypothèses, nous avons dû concevoir une procédure expérimentale qui ait les caractères suivants :

a) La tâche comporte le choix entre plusieurs dimensions ou valeurs qui sont toutes censées être vraies. On en comprend la raison. Pour que la validation soit indiscutable, et que l'effet ait pour unique source la consistance du sujet, il faut que la réponse ne concerne pas un stimulus dont on puisse mettre la vérité en doute (effet Asch) ni ne soit le résultat d'une illusion (effet Sherif). Si ce n'était pas le cas, si l'on pouvait interpréter la réponse de la minorité comme étant vraie ou fausse, on serait obligé d'attribuer son influence à sa compétence et non pas à son style de comportement. Il faut aussi que, devant une alternative de réponse, ni l'une ni l'autre des possibilités ne puisse être considérée comme la meilleure. Bref, la minorité ne doit pas être dépositaire ou représentative d'un choix qui lui donnerait quelque ascendant sur la majorité. Dans le cas contraire, toute influence serait une conséquence pure et simple de la dépendance. Bien sûr, à la suite des études de Crutchfield (1955), on a accepté comme une donnée de fait qu'il n'y a pas d'action influente dans le domaine des jugements de préférence. Nous croyons que ce postulat peut être mis en question dès l'instant où l'on reconnaît le rôle de la consistance en tant que source d'influence.

b) Les sujets donnent une série successive de jugements sur les stimuli présentés.

c) L'individu minoritaire émet toujours une classe déterminée de jugements à travers toute la série ; il s'agit d'une consistance diachronique.

d) Les différences entre les individus sont perceptibles et elles sont possibles aussi bien du point de vue du contenu que du style du comportement.

e) La contrainte sociale n'est pas intentionnelle : elle doit résulter uniquement des différences manifestées au cours de l'émission des jugements.

f) Toute communication qui n'a pas trait à la tâche est interdite.

Ce paradigme a été employé dans deux expériences. Dans la première expérience, aucune norme sociale n'est en jeu tandis que dans la seconde, une norme implicite intervient, autour de laquelle s'organise le matériel expérimental.

Première expérience

Procédure expérimentale. L'expérience est présentée aux sujets comme une recherche portant sur un problème de psychologie appliquée. Il [366] leur est expliqué qu'avec les développements récents de la transmission de l'information, notamment dans la navigation aérienne et spatiale, des opérateurs ont à lire des informations projetées sur des écrans cathodiques. Dès lors il importe de connaître les préférences des gens pour les différents codes possibles, afin de trouver le moyen d'augmenter la lisibilité et la discrimination de l'information transmise. Un exemple concret est fourni : celui des navigateurs qui, dans les tours de contrôle des aéroports, ont à suivre et guider simultanément un grand nombre d'appareils qui se préparent soit à atterrir soit à décoller. Pour la sécurité aérienne il importe de faciliter le plus possible le travail de ces opérateurs en leur présentant les informations utiles (altitude, position, vitesse, priorité, etc.) de la façon la plus distincte, au moyen des signaux les plus appropriés, leur permettant de prendre des décisions rapides et correctes.

On explique ensuite aux sujets qu'ils participent à une expérience qui réalise de manière simplifiée une telle situation de choix et de prise de décision perceptifs. Pour ce faire, ils vont voir une série de dessins variant suivant quatre dimensions : la taille (les dessins peuvent être soit grands soit petits), la couleur (ils peuvent être soit rouges soit verts), la forme (qui peut être soit arrondie soit anguleuse) et enfin le contour (qui peut être soit une ligne pointillée soit une ligne continue). Un échantillon de ces dessins est montré aux sujets.

On informe alors les sujets qu'on leur présentera une longue série de dessins et que pour chaque dessin il y aura donc toujours quatre réponses correctes possibles. Toutefois on leur demande de ne donner qu'une seule réponse : celle qui, pour quelque raison que ce soit, leur paraîtra la plus appropriée  à un moment donné pour un dessin particulier.

Chaque sujet doit donner sa réponse à voix haute et l'enregistrer sur une feuille de papier qui lui est fournie. L'ordre de réponse est varié systématiquement : le sujet qui a donné sa réponse le premier à l'essai précédent parle le dernier à l'essai suivant.

La série de stimuli comporte 64 dessins qui se succèdent de telle sorte que, d'un dessin à l'autre, une seule des quatre dimensions demeure inchangée, les trois autres étant permutées (exemple : grand-vert-arrondi-pointillé, puis grand-rouge-anguleux-continu, puis petit-rouge-arrondi-pointillé, etc.). Les sujets, réunis en groupes de quatre ou cinq occupent trois côtés d'une table rectangulaire, le quatrième côté étant occupé par l'expérimentateur qui présente les dessins l'un après l'autre. Dans les groupes expérimentaux, un compère de l'expérimentateur choisit la réponse couleur constamment depuis le premier jusqu'au dernier essai. Les groupes témoins ne comportent que des sujets naïfs.

Les sujets sont des étudiants américains de dix‑neuf à vingt‑deux ans qui suivent à Paris un cours de perfectionnement de leurs connaissances en langue française.

[367]

Résultats. Le tableau I montre que le nombre de réponses « couleur » augmente de manière significative dans les groupes expérimentaux comparés aux groupes témoins. On observe que cet accroissement du nombre de réponses « couleur » s'accompagne d'une diminution significative du nombre de réponses « forme ». Cependant on ne saurait attribuer cette variation à aucun facteur déterminé. La « forme » n'est pas la dimension le plus souvent choisie dans les groupes témoins et elle ne paraît pas être associée d'une manière particulière à la couleur.

TABLEAU I.

Première expérience : Comparaison des groupes expérimentaux
et des groupe témoins sur les moyennes de choix dans chaque dimension

Dimension

Couleur

Tracé

Taille

Forme

Moyennes des groupes expérimentaux

(k = 8)

20,80

16.18

16.09

10.88

Moyennes des groupes témoins

(k = 6)

15,28

18.93

14,20

15,59

t de student

2.46

1,67

.75

2.74

Degrés de liberté

12

12

12

12

Seuil de signification

.05 > p > 0.2 > .10 > 10   .2 > p > .05


Un deuxième indice de cette influence au sujet minoritaire est le suivant : lorsqu'une réponse représente un choix préférentiel des sujets, il est normal que ceux-ci l'émettent non pas de manière isolée mais en une série de deux ou plusieurs réponses successives. On observe que, dans les groupes expérimentaux, les jugements « couleur » sont émis davantage par séries de deux ou plusieurs réponses ( = 17,84, α < 0,001). Pour les autres dimensions, ou bien l'on ne trouve pas de différence significative (la taille) ou bien le nombre de réponses « isolées » augmente (forme : = 5,45, 0,05 < α < 0,02, contour :  = 22,39, α < 0,0001). Ainsi, le comportement consistant d'une minorité ne détermine pas seulement le taux de réponse de la majorité mais également son organisation.

Deuxième expérience

Procédure expérimentale. Une norme implicite est une norme qui régit notre comportement sans que nous ayons une conscience claire de sa généralité, ni du fait qu'elle détermine la plupart de nos choix. De telles normes sont omniprésentes dans le domaine de la mode, de la nourriture, du goût, du langage, etc. Pour des raisons de commodité opératoire, nous avons utilisé dans cette expérience du matériel linguistique. En [368] effet on peut dire que la plupart des habitudes verbales sont des régularités normatives dans une collectivité qui partage ces habitudes.

Nous avons extrait 89 associations d'une liste établie par Nunnally qui avait mesuré la fréquence des choix associatifs dans une population d'étudiants américains. À chaque mot-stimulus (p. ex. orange) correspondent deux mots-réponse, l'un étant un qualificatif (p. ex. ronde), l'autre étant un supra-ordonné (p. ex. fruit). Le sujet a devant lui un fascicule de 5 pages sur lequel sont imprimées les 89 associations. L'expérimentateur lit le mot-stimulus et les sujets doivent dire à voix haute lequel des deux mots se trouvant dans la même ligne leur semble le plus proche, celui qu'ils rattacheraient le plus volontiers au mot-stimulus. Ensuite chaque sujet enregistre sa réponse sur la feuille qu'il a devant lui. L'ordre de réponse est varié systématiquement, le sujet qui a répondu le premier à l'essai précédent parle en dernier à l'essai suivant. Les groupes, composés de quatre individus, sont assis de la même façon que dans l'expérience que nous avons décrite plus haut. Dans les groupes expérimentaux, un compère choisit toujours la réponse supra-ordonnée. Les groupes-témoins sont composés uniquement de sujets naïfs.

Les associations ont été arrangées par nous en deux listes différentes selon une probabilité croissante ou décroissante de choix du mot supra-ordonné dans la population générale. Dans la première liste (liste A) la probabilité d'association au stimulus des réponses supra-ordonnées est plus grande au début : l'association choisie par le compère se trouve donc correspondre à la norme. Au fur et à mesure que cette probabilité diminue, sa conduite apparaît plus « conservatrice » et de nature à freiner l'adaptation au changement des habitudes verbales. Dans la seconde liste (liste B) la probabilité d'association au stimulus des mots supra-ordonnés étant moindre au commencement, la réponse du compère est « déviante », c'est-à-dire contraire à la norme. Nous avons utilisé ces deux listes pour montrer que :

- la véritable source d'influence est la consistance du comportement de la minorité, et non pas son degré de déviation par rapport à la norme ; corrélativement

- le conformisme initial d'une minorité, contrairement à ce qui semble ressortir des travaux de Kelley et Shapiro (1954), et de Hollander (1960) peut amplifier la tendance à adopter sa réponse, mais n'en est pas la cause.

Le matériel expérimental que nous venons de décrire se rapproche, dans son principe, de celui employé par Luchins (1945). On se rappelle que Luchins a notamment présenté à ses sujets des dessins (de visage humain ou de bouteille) ou des textes concernant les traits d'une personne (introversion-extraversion) dont le caractère, dominant changeait au cours de l'épreuve (du visage humain vers la bouteille, de l'extraversion à l'intraversion). Bien plus, le compère avait reçu l'instruction, [369] dans certaines conditions expérimentales, de donner continuellement, dès le début de l'expérience, le même type de réponse. Les résultats obtenus ont été parfois contradictoires. Nous pensons que ceci est dû à la complexité du stimulus et au fait que la consistance du comportement n'a pas été manipulée avec toute la rigueur désirable.

Résultats expérimentaux. L'accroissement du nombre de réponses « supra-ordonnées » est significatif dans les groupes expérimentaux comparés aux groupes témoins, quel que soit le mode de présentation de la liste d'associations. Que le compère se comporte comme un déviant ou comme un conservateur, son influence sur la réponse de la majorité est certaine (tabl. II). On pourrait se demander de plus si l'effet du choix de l'individu minoritaire sur le choix des individus majoritaires s'exerce sur toute la liste ou seulement dans la partie de la liste où il est plus près de la norme. Cet effet traduit une modification de la norme de chacun, de son mode de catégorisation, uniquement s'il concerne l'ensemble des associations. En fait on observe bien une telle modification, car la proportion des associations « supra-ordonnées » des sujets appartenant aux groupes expérimentaux est significativernent plus élevée que la proportion des associations supra-ordonnées des sujets dans les groupes témoins, dans la seconde moitié de la liste A t = 3,41, p = 34, .01 > α > .001) et dans la première moitié de la liste B (t = 2,38, p = 34, .01 > α > .001).

TABLEAU II.

Deuxième expérience :
Comparaison des groupes expérimentaux et des groupes témoins
sur les moyennes de réponses « supra-ordonnées »

Liste A

Liste B

Moyennes des groupes expérimentaux (k = 6)

74.01

63.67

Moyennes des groupes témoins (k = 6)

57.61

53.89

t de students

2.24

1.91

Degrés de liberté

10

10

Seuil de signification

< .05

.10 > p .05 >


Quelle est l'influence relative du compère quand il est déviant ou conservateur ? Partons d'une constatation : l'ordre de présentation, en soi, ne détermine pas la direction des associations. La proportion des réponses « supra-ordonnées » dans les groupes témoins est la même, qu'il s'agisse de la liste A ou de la liste B. Une différence entre les deux listes sera nécessairement due à la position du compère. Effectivement, la fréquence d'émission des associations supra-ordonnées est plus élevée (t = 1,91, [370] v = 10, 10 > α > .05) dans les groupes expérimentaux où il est conservateur (liste A) que dans les groupes où il est déviant (liste B). Ainsi le conformisme initial permet à la minorité d'être plus influente, mais il n'est, en aucun cas, la condition nécessaire de cette influence.

Conclusion

Les résultats obtenus sont donc conformes à nos hypothèses. Ils prouvent que la consistance du comportement d'un individu minoritaire détermine la réponse de la majorité. Cette influence ne saurait être attribuée à aucune autre variable parmi celles que nous avons contrôlées. Ni le sexe des sujets, ni la personnalité du compère, ni la distance écologique par rapport à lui n'ont produit, dans aucune des deux expériences, d'effet significatif.

     Certes, ces expériences ne constituent qu'un début dans l'étude de l'innovation, des pressions qui naissent dans un groupe pour changer ses normes, ses jugements, et des processus par lesquels un individu ou un sous-groupe réussissent à modifier les valeurs, les opinions, les règles des membres d'un groupe. Les concepts nous manquent encore et les problèmes qui sont soulevés à cette occasion sont à contre‑courant par rapport aux problèmes qui retiennent l'attention des psychosociologues, surtout lorsqu'ils analysent les phénomènes d'influence. Nous pensons cependant avoir non seulement montré qu'une minorité résolue peut orienter les jugements d'une majorité, mais aussi avoir mis en lumière la cause de cet effet et l'avoir rendue opératoire à l'intérieur d'un paradigme expérimental.

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* Article paru dans le Bulletin du CE.R.P., 1967, 16, 4, 337-360.

** Mlle Naffrechoux nous a aidés, très efficacement, au dépouillement et à l'analyse des données expérimentales.

* Si le terme de consistance est surtout usité dans son sens physique, le dictionnaire Robert notamment en donne de nombreux exemples au sens figuré, synonyme de fermeté, de fixité, et au sens logique, où l'on peut parler de la consistance d'une pensée, d'un argument. C'est pourquoi nous avons préféré ce terme à celui de constance, qui a plus de connotations morales. Il est évident que nous entendons suggérer par là un équivalent du terme anglais « consistency », c'est-à-dire un comportement : conséquent. En écartant le terme de cohérence, qui suppose quelque chose de prémédité, il nous reste celui de consistance, bien français comme l'atteste cette phrase de Rousseau : « C'est durant ce précieux intervalle que mon éducation mêlée et sans suite ayant pris de la consistance m'a fait ce que je n'ai pu cesser d'être (etc.) » (Confessions).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 11 février 2015 19:37
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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