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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Psychologie sociale théorique et expérimentale. Recueil de textes choisis et présentés. (1971)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre sous la direction de Claude Faucheux et Serge Moscovici, Psychologie sociale théorique et expérimentale. Recueil de textes choisis et présentés. Paris-LaHaye: Mouton, 1971, 394 pp. Collection: Les textes sociologiques, no 8. Une édition numérique réalisée par Mme Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedy, Ville Laval, Québec. [Autorisation accordée par l'auteur le 1er septembre 2007 de diffuser la totalité de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[7]

Psychologie sociale théorique et expérimentale.
Recueil de textes choisis et présentés.

Introduction

Comme tous les ouvrages de la même collection, ce livre veut être un instrument de travail. Nous avons voulu mettre à la disposition des étudiants, enseignants et chercheurs une série de textes, fréquemment cités mais en fait peu connus, qui nous paraissent représenter différents courants de recherche importants en psychologie sociale.

Voici, dans la collection « Les textes sociologiques », le troisième recueil consacré à la psychologie sociale : tous trois ont été conçus pour former un ensemble. L'ouvrage de Gérard et Jean-Marie Lemaine traite des méthodes d'expérimentation - du « métier de psychosociologue » en quelque sorte - dont on a insuffisamment souligné, selon nous, l'originalité. Le recueil de Denise Jodelet, Jean Viet et Philippe Besnard présente un panorama documentaire très vaste, permettant à chacun de se référer et de s'orienter dans l'ensemble du champ de la psychologie sociale. Le livre que nous présentons aujourd'hui, plus « classique » peut-être, est un recueil de textes [1] choisis non seulement pour illustrer différentes parties d'un domaine mais aussi pour permettre la réflexion approfondie et le travail personnel dans quelques directions de recherche.

Décidés à choisir, à ne présenter que quelques-uns des domaines explorés par la psychologie sociale, à l'exclusion d'autres souvent fort importants, il nous faut donc expliciter ici les motifs de notre choix. Tout d'abord, nous ne présentons que des textes de psychologie sociale expérimentale. Au sens propre du terme : la seconde partie de l'ouvrage se compose de comptes rendus d'expériences. Quant aux articles de la première partie, qui sont des textes purement théoriques, ils ont cependant [8] été conçus par leurs auteurs eux-mêmes comme devant conduire à une expérimentation ou comme s'inscrivant dans le champ de la psychologie sociale expérimentale.

Nous avons longuement analysé ailleurs [2] le clivage - méthodologique et théorique - qui tend à s'établir dans notre domaine entre une recherche fondée sur l'expérimentation en laboratoire et une recherche fondée sur l'enquête et, plus largement, le travail dit « sur le terrain ». Cette rupture, selon nous, devrait être surmontée. Notre option pour le présent ouvrage n'a donc pas un sens polémique mais pédagogique. Nous ne voulons pas faire prévaloir une tendance contre l'autre mais simplement faire connaître celle des deux qui est, croyons-nous, la plus mal connue.

En effet, peut-être parce qu'elle a été développée surtout aux États-Unis, la psychologie sociale expérimentale est en France aussi critiquée qu'elle est, en réalité, peu connue et peu pratiquée. Elle est l'objet d'attaques tant de la part de chercheurs travaillant sur le terrain, que de psychologues expérimentalistes travaillant en psychologie générale. Tandis que les premiers lui reprochent son inadéquation quant à la réalité sociale, les seconds mettent en cause son insuffisante rigueur. Le plus souvent, le débat demeure confus et stéréotypé : il n'a guère évolué depuis de nombreuses années et ceci alors même que la discipline se transformait. L'originalité d'une méthode expérimentale spécifique, centrée sur la manipulation de situations d'interaction et la mise en jeu de variables sociales complexes, reste méconnue. Mais aussi on esquive, par ce biais, tout bilan véritable de la discipline, permettant de peser ses apports et de cerner ses insuffisances qui sont certaines. Confrontée non à une réelle analyse critique mais à une polémique, la psychologie sociale expérimentale risque de demeurer dans son état actuel : simultanément fermé, défensif et insuffisamment structuré.

En vérité, l'expérimentation en psychologie sociale a abordé directement, « de front » pouvait-on dire, les phénomènes qui nous paraissent les plus spécifiquement psychosociologiques : ceux-là mêmes qui autorisent la science à se définir dans son autonomie. Autonomie qui ne va pas de soi : aujourd'hui encore, la psychologie sociale est considérée le plus souvent comme une discipline intermédiaire ou plutôt ancillaire : ainsi la voit-on comme une psychologie pour sociologues qui introduirait la dimension subjective dans l'étude des phénomènes sociaux. Du côté des psychologues, la situation n'est guère plus favorable : la psychologie sociale ne représente pour eux, le plus souvent, [9] que l'adjonction à l'étude du comportement individuel de variables « sociales ». considérées en fait comme très secondaires. Face, à cette double tentative pour limiter leur rôle et les asservir, les psychologues sociaux tendent maintenant à définir leur champ comme celui de l'étude des phénomènes d'interaction sociale. À cette définition, les expérimentalistes ont grandement contribué.

La dénomination d'un objet propre à la discipline a pu apparaître comme pleinement rassurante ; elle ne nous paraît pas dépourvue d'ambiguïtés. Nous croyons certes que la psychologie sociale correspond, en effet, à un objet propre, à l'existence de phénomènes spécifiques dont ni la psychologie générale ni la sociologie ne peuvent adéquatement rendre compte. Mais, en fait, le terme d'interaction sociale - chargé de connotations multiples et par là même trop souvent vide d'un sens spécifique - a été pris par les auteurs dans des acceptions fort diverses.

Selon nous, l'étude de l'interaction sociale se ramène le plus souvent à l'étude des variations, qualifiées de « sociales », affectant les relations qui s'établissent entre un individu, ou un ensemble d'individus et un objet, ou un ensemble d'objets - ou encore, entre un ensemble de stimuli et un ensemble de réponses. Ce modèle général a donné lieu à deux variantes. L'une, que nous avons nommée taxonomique, se représente le « social » comme une dimension des objets, des stimuli que l'on tente de classer en « sociaux » et « non sociaux ». Distinguer le social du non social, comme caractéristique des objets, y rapporter les différences de comportements, les variations des réponses qui, croit-on, en découlent, devient la tâche essentielle. Ainsi distinguera-t-on, dans l'étude des phénomènes perceptifs, la « perception sociale », perception de ces objets éminemment « sociaux » que sont les personnes.

Le point de vue que nous appelons différentiel est l'inverse du précédent : ici, c'est dans les individus, et non dans les objets, qu'il s'agit de saisir une dimension de « socialité ». Ce sont eux qui sont socialement différenciés, selon des dimensions qui se ramènent, en général, à des traits de personnalité ou à des caractéristiques de l'expérience antérieure. La diversité des réponses sociales reflète, à son tour, cette diversité des individus ; et la psychologie sociale tend alors à se confondre avec une psychologie de la personnalité ou plutôt des personnalités.

Dans les deux cas que nous venons d'analyser, la difficulté demeure de concevoir les phénomènes psychosociologiques comme processus véritablement sui generis. A cette psychologie qui demeure centrée sur un rapport Ego-Objet, à deux termes, dirons-nous, on a proposé de substituer une psychologie à trois termes : Ego-Alter-Objet. Elle doit se centrer directement sur l'élaboration et le fonctionnement du lien social et son rôle fondamental, tant dans le fonctionnement psychique individuel que comme facteur d'infléchissement des phénomènes sociaux. De [10] telles tentatives existent en psychologie sociale : nous croyons en montrer ici quelques exemples. C'est à aider une telle tendance à s'affirmer que nous souhaiterions que ce choix de textes puisse servir. Comme on voit, nos ambitions sont limitées et le plan que nous nous assignons, modeste. Peut-être qu'avec le temps, et avec une meilleure connaissance de ce dont il est question, étudiants, chercheurs et professeurs réussiront à se détacher d'une vision purement individualiste des phénomènes psychologiques et des normes qui veulent que les causes dernières soient d'ordre physiologique ou motivationnel. Les théories actuelles de l'évolution, les recherches sur les groupements de primates, qui commencent à mettre en doute la toute‑puissance de la sélection naturelle et de l'hérédité, sont prometteuses à cet égard. La structure de l'environnement, les systèmes sociaux se, révèlent partout des facteurs primordiaux dans l'adaptation et la survie des espèces. Des éthologistes de plus en plus nombreux reconnaissent que les phénomènes auxquels s'intéressent les psychosociologues affectent aussi bien le niveau génotypique que le niveau phénotypique. On a même pu voir, dans un ouvrage ayant pour titre Social behaviour in birds and mammals [3], discuter les études sur le rôle, sur le leadership, et le nom d'Asch, de Schachter, d'Argyle, de Sarbin, de Tajfel ou le mien figurer dans la bibliographie. A ces changements qui se profilent dans la science, on souhaite que s'ajoutent les changements du système de valeurs. Le pecking-order des sciences psychologiques met la psychophysique au plus haut de l'échelle et le psychosociologue au plus bas. Un tel ordre n'à aucune permanence, ni de justification intrinsèque dans les sciences. Il y a cinq siècles, la théologie était un sommet, et les mathématiques -qui n'avaient d'autre fonction que d'empêcher les étudiants d'aller boire dans les tavernes - au sous-sol. Pour nos sciences dites humaines, c'est la prééminence de l'individuel sur le collectif qui explique la hiérarchie en question. Certains diront que les raisons sont internes, parce que la psychosociologie est moins développée que les autres branches de la psychologie. À quoi on peut rétorquer que ce moindre développement, qui reste à démontrer, est l'effet du système des valeurs qui a empêché que moyens matériels et talents affluent vers ce domaine. Dans nos sociétés fondées sur l'écart du pouvoir et de la richesse, il vaut mieux connaître les mystères de l'individu qui les composent que ceux de cet écart qui les constituent. Le consensus semble général. Même les personnes qui, marxistes ou non, dans le discours ordinaire chargent le social de trop de vertus déterminantes, payent leur tribut de reconnaissance à la biologie, aux réflexes, comme aux fondements derniers de la personnalité et de la vie psychique. Et si ce n'est pas à la génétique biologique, c'est à l'appareil psychique inconscient décrit [11] par la psychanalyse (démultiplié en appareils économiques, scolaires, idéologiques, comme naguère les conditionnements pavloviens en primaires, secondaires, tertiaires) qu'ils confient leurs espoirs. L'échec guette ces réunions artificielles et ces synthèses éclectiques. L'espoir d'une articulation du psychique et du social est ailleurs. D'abord mettre en accord le discours général avec la pratique scientifique, ensuite rendre la psychologie véritablement sociale, quant à ses variables, ses concepts et ses modes d'interrogation du réel. Nous sommes loin du compte, nous pouvons cependant travailler pour y arriver.

Ce livre se compose de trois parties : la première présente des écrits purement théoriques. Les deux articles de Festinger (textes 4 et 5), analysant les processus de communication sociale informelle et de comparaison sociale, sont parmi les exemples privilégiés d'une psychologie sociale qui s'attaque résolument à l'élaboration du rapport Ego-Alter et à ses conséquences, tant dans le comportement des individus en groupe que dans le fonctionnement même de ces derniers. Plusieurs articles (textes 1, 2, 3) présentent des variantes de ce que l'on a appelé les modèles d'équilibre, dont le rôle a été essentiel dans le développement de la psychologie sociale. Apparemment cependant, ils ont trait à des phénomènes purement intra-personnels : à la cohérence des croyances, des attitudes, bref de l'univers mental d'un sujet. En fait, selon nous - et même si cela a été inégalement aperçu par les différents auteurs - l'équilibre et le déséquilibre, la cohérence et l'incohérence, ne peuvent être conçus en ces termes. On peut voir dans le déséquilibre des « cognitions » le reflet de l'appartenance d'un sujet à des groupes divers, l'impact de systèmes de référence cognitifs, normatifs ou idéologiques divergents et, plus largement, des conflits qui traversent la société [4]. La recherche de l'équilibre, quelle que soit la conception particulière de chaque auteur, est liée à l'élaboration et à l'unification de la conduite sociale dans ce champ mouvant.

Les expériences sur la dissonance cognitive que nous présentons en seconde partie (textes 6 à 13) représentent une des applications les plus fécondes de ce champ théorique des modèles d'équilibre. Sa particularité est d'avoir inversé le rapport habituellement admis entre attitude et comportement : c'est ici que le changement de comportement est expliqué par le changement d'attitude alors que tous les travaux antérieurs n'avaient exploré que la relation inverse. Par ce biais, certains des articles ici présentés le montrent clairement, est abordée l'étude des effets de la contrainte sociale et de l'engagement personnel de l'individu. Les travaux sur la dissonance cognitive nous semblent aussi [12] se signaler par leur exceptionnelle fécondité, par la variété et le nombre des expériences réalisées tout d'abord. Mais aussi, rares sont, en psychologie sociale, les phénomènes non évidents, originaux, mis en évidence à partir d'un modèle théorique simple. Les résultats des expériences sur la dissonance cognitive sont de ceux-là. On notera enfin l'extension récente de la théorie à des phénomènes physiologiques, jusque-là absents du champ de la discipline (texte 10).

Nous retrouvons avec les études portant sur l'influence sociale (troisième partie) l'accent mis sur les liens entre sujets et leur dynamique. Pour nous, l'influence représente à coup sûr le phénomène fondamental de la psychologie sociale. En l'étudiant, on démontre que les lois perceptives, cognitives, sont sous la dépendance des lois régissant les rapports interindividuels et collectifs. Son importance pour la compréhension du contrôle et du changement social est évidente. Jusqu'à maintenant on s'est préoccupé surtout des conduites qui instituent la conformité et l'uniformité sociales (textes 14 à 20). Toutefois l'innovation et la différenciation sociales, une fois la possibilité de leur analyse théorique et expérimentale prouvée, semblent devoir prendre, dans la science, la place qui leur revient (textes 21 à 24).

On laissera le lecteur juge de la qualité des traductions. En l'absence d'un langage technique français équivalent, la tâche des traducteurs a été difficile. Renaud Dulong, Paul Henri, François Léonard, Patricia Nève, ont contribué à rendre les textes plus lisibles. Claudine Herzlich nous a aidé à plusieurs titres. Nina Burawoy nous a évité bien des erreurs dans la documentation. Mais la patience et l'intelligence d'Elisabeth Lage ont été décisives pour que ce choix de textes voie le jour et nous la remercions tout particulièrement.

SERGE MOSCOVICI



[1] Outre les ouvrages cités ci‑dessus, le lecteur désirant un contact direct avec la recherche en psychologie sociale peut se référer au recueil de textes choisis d'A. Lévy (éd.) : Psychologie sociale. Textes fondamentaux. Paris, Dunod, 1965.

[2] Cf. notre préface au recueil de D. JODELET, J. VIET, Ph. BESNARD, La psychologie sociale, une discipline en mouvement, Paris-La Haye, Mouton, 1970, pp. 9-64, et plus particulièrement pp. 21-25.

[3] J. H. CROOK (ed.), Londres-New York, Academic Press, 1970.

[4] S. Moscovici, La psychanalyse, son image et son public, Paris, P.U.F., 1961.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 11 février 2015 10:14
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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