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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Dissensions et consensus. Une théorie générale des décisions collectives. (1992)
Le problème


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Serge MOSCOVICI et Willem Doise, Dissensions et consensus. Une théorie générale des décisions collectives. Paris: Presses universitaires de France, 1992, 296 pp. Collection Psychologie sociale. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec. [Autorisation accordée par l'auteur le 1er septembre 2007 de diffuser la totalité de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

Le problème


I


Notre réflexion a pour sujet un fait simple et fondamental de la vie en commun : le consensus, nécessaire quand des hommes veulent s'associer, agir de concert, décider. Un fait difficile à comprendre pourtant, malgré sa banalité et celle des procédés - discuter, voter - à travers lesquels ils y parviennent. Quiconque s'y intéresse est surpris de voir qu'un fait si ancien, si familier, continue à soulever tant de passions. Mais on se prononce aujourd'hui de manière aussi tranchée pour ou contre le consensus que l'on se prononçait il y a peu pour ou contre la lutte des classes. Aux yeux des uns, les dissensions sont les signes d'un trouble social, d'un débordement de la raison qui font désordre. On les juge comme des résidus d'un temps dominé par les idéologies et on redoute que, à force de se prolonger, elles ne deviennent le support de conflits dogmatiques, potentiellement violents, bref d'une chienlit des idées et des politiques. Un certain ordre est dérangé par les débats sans fin, les polémiques interminables. Il devrait se rétablir par un dialogue approprié sur des thèmes choisis à la carte, ouvrant la voie aux plus vastes accords. En tout cas, mieux vaut abaisser le rideau du silence que de laisser le flot des paroles vociférantes donner une image brouillonne de la vie d'un parti ou de la nation.

[8] Aux yeux des autres, le consensus apparaît comme l'emblème d'une harmonie imposée par les pouvoirs, des manoeuvres des mass media qui le fabriquent. De nombreux côtés on s'insurge contre la tyrannie des sondages, la désinformation, l'apathie du public et la pauvreté des débats qui l'accompagnent. Tout se passerait comme si le reflux de l'époque des confrontations et des controverses chaudes avait laissé sur le sable un consensus atone. Et qui devient ainsi le symptôme d'un malaise dans la démocratie, d'une vie publique glacée. « Le consensus, déclare Rosanvallon, ce n'est pas simplement le fait que tout le monde pense complètement la même chose, mais c'est que les oppositions se sont singulièrement refroidies et qu'elles découlent des oppositions qui sont de diagnostic, de solutions, mais qui, de toute façon, restent dans un champ relativement unique » (1991, p. 95).

Il est vécu de façon négative comme un accommodement résigné à l'esprit du temps, un moindre mal qu'il faut accepter, faute de pouvoir supporter un mal plus grand mais rédempteur. Ou encore on y déchiffre l'illusion qui enveloppe hommes et femmes dans un faux sentiment d'harmonie au sein d'une société réconciliée. Dans un livre fougueux et inspiré, Cours de médiologie générale, Debray écrit : « Nos langues mortes ont des mots pour répondre. "Idéologie dominante", disait le marxisme. "Hégémonie", précisait Gramsci. Nous dirions aujourd'hui, pour cerner ce résidu envahissant et inclassable des charcutages disciplinaires, consensus". Le mot fait évidence » (1991, p. 307).

Si Rosanvallon assimile le consensus au compromis, et si Debray l'attribue à l'emprise de la majorité, tous deux parlent de résidu, d'un obscur rebut des vraies tensions et oppositions créatrices. Il nie toute politique, toute histoire, en réveillant les dissensions réelles. À croire que, jusqu'à un certain point, les institutions, puis les media, et ceux qui les surplombent, gèrent le consensus par des artifices de rhétorique donnant trop de poids aux opinions de certains groupes et biaisant nos choix. On les accuse de rapprocher, à l'aide d'images et de slogans, les préjugés des individus, avant de rapprocher leurs intérêts et leurs idées. Accordés avant de se mettre d'accord, ceux-ci inclinent, sans s'en rendre [9] compte, vers une solution convenue à l'avance. Somme toute, ils se conforment plus qu'ils ne forment un consensus.

Oui, cela est clair. Le consensus est un fait simple et fondamental de la vie en commun. Mais aussi un enjeu de celle-ci, dont le moins qu'on puisse dire est qu'il vaut la peine d'être examiné sur toutes les coutures. Puisque, si justifiées que soient ces critiques, les sociétés modernes recherchent de plus en plus le consensus. Pour une raison évidente. Disons que seules trois instances peuvent trancher les désaccords, mettre un terme à nos dissensions par un choix auquel chacun adhère. L'une est la tradition qui condense et accumule les expériences passées, héritage de règles et d'exemples indiquant en toutes circonstances la voie à suivre. L'autre est la science dont le jugement fondé sur l'observation et le calcul reconnaît la solution qui correspond le mieux aux données objectives. Enfin, le consensus explore les divers points de vue et possibilités qui sont en dispute, les endigue et les dirige vers une entente reconnue par tous. Or la tradition a perdu son ascendant séculaire sur les hommes, leurs croyances et leurs façons de vivre. La science, quant à elle, voit s'effriter depuis peu son autorité ; ses principes absolus de progrès ou de vérité ne commandent plus le respect, ne tracent plus la voie à suivre.

Ainsi, de ces trois instances, la dernière à résister, mais aussi à répondre au besoin qu'ont individus et groupes de décider, de résoudre leurs discussions, de délimiter le permis et l'interdit, demeure le consensus. Son rôle grandit aux dépens des deux autres, en amenant les partis pris opposés et les volontés rivales à découvrir un trait d'union. Non seulement il repose, tout compte fait, sur la raison ; de plus il s'élabore au cours d'un échange, d'une délibération. Bien davantage qu'une pratique de discussion servant à remédier aux conflits, c'est un type d'institution, œuvre de tous et acceptée par tous. Les individus ont conscience d'avoir consenti à une décision s'ils y ont pris part et fait sciemment les sacrifices requis. En bref, ce qui institue le consensus et le rend convaincant n'est pas l'accord mais la participation de ceux qui l'ont conclu. Donc il ne les contraint pas et n'a de légitimité que dans la mesure où chacun y participe. On pourrait dire que, moins les parties prenantes sont nombreuses, plus il est facile de les amener à une entente. Par contre, sa valeur dans ce cas est diminuée [10] par les abstentions qui sont le fait d'opposants ou d'apathiques. À bien y réfléchir, c'est une institution qui nous interdit de rester indifférents aux affaires publiques et de nous en retirer.

On comprend que le consensus soit d'autant plus nécessaire que la société change. En soulevant des problèmes nouveaux, en offrant l'exemple de comportements inédits, en créant des différences inattendues, elle provoque naturellement des dissensions et des ruptures de liens. La vie sociale n'a rien de plus physiologique que cette éclosion intermittente de contrastes entre termes qu'il faut rendre compatibles afin d'éviter ces ruptures, d'élire un cours d'action et de poursuivre correctement une tâche. Oui, la lutte peut être sans pitié, cependant un comité qui siège doit dégager une proposition, une commission d'experts opter pour un diagnostic précis, une communauté scientifique établir un programme de recherches, et le corps électoral doit voter. Le processus, vous le remarquez, exclut aujourd'hui de se réclamer des coutumes, voire de se fier aux méthodes de la science, rarement unanimes, pour les substituer aux débats publics où les participants affichent leurs opinions.

Il reste donc à stimuler leur envie de rechercher un consensus fonctionnant comme un cadre dans lequel résorber les nouveautés et les controverses autour de dilemmes nés sur un terrain mouvant. Comme c'est le cas quand on doit décider s'il faut accepter les risques de l'énergie nucléaire, autoriser l'euthanasie ou encourager le dépistage systématique du sida, et résoudre le reste des problèmes qui surgissent tous les jours et nous opposent les uns aux autres. Objectera-t-on que, de tout temps, il y a eu une institution du consensus ? Cela est certain. La nouveauté est qu'il prévaut désormais sur les autres moyens par lesquels attitudes et décisions individuelles se transforment en une attitude et une décision sociales. Voilà qui nous conduit à nous demander : comment le consensus naît-il ? Quelles sont ses sources diverses ? Comment les relations entre les individus s'expriment-elles dans leurs jugements et discussions ? Et vers quelle commune direction, si direction il y a, convergent-ils ? Ces questions font l'intérêt du consensus. Elles permettent de le considérer comme une ouverture aidant à mieux comprendre la nature des groupes.

[11] Toutefois il ne suffit pas de le circonscrire, il faut en préciser le sens. Voici les trois idées qui nous paraissent essentielles :

1 / Dans toutes les situations sociales où il s'élabore, le consensus a pour source caractéristique le choix. C'est une conviction répandue que la vérité et la force de ce dernier dépendent de l'existence d'un consensus qui élimine le danger de faire fausse route. On a recours à celui-ci en vue de vaincre le doute qui résulte de la comparaison des opinions, de l'échange des arguments pour ou contre, comme s'il était la seule chance possible de prévenir une erreur de jugement. Mais aussi pour mettre un terme à la division, aux incompréhensions entre les défenseurs de positions différentes. Nous pensons, en effet, que la critique réciproque, l'examen en commun des divers points de vue aboutissent à une décision libre de préjugés et de déformations subjectives. Des raisons solides militent en faveur de cette façon de faire, la meilleure étant peut-être qu'il n'existe pas de solution de rechange. Comment procéder autrement lorsque se présentent des alternatives dont aucune ne satisfait entièrement, et que ni la science, ni la tradition, n'offre de repère ?

Ainsi, par exemple, les responsables d'un hôpital disposent d'un organe à greffer. Ils sont placés devant un dilemme : pratiquer la greffe sur un de leurs patients, un grand artiste qu'ils pourraient éventuellement sauver, ou bien sur un enfant souffrant de la même maladie. Comment choisir entre eux deux ? Sur quelle balance peser des êtres humains et décréter que l'un ou l'autre a plus de poids, alors que chacun peut attendre de la greffe, au même titre, la guérison ? Aucun critère ne permet d'évaluer les diverses possibilités et d'établir que l'une est plus objective que l'autre. Il y a seulement une incompatibilité - sauver le grand artiste ou bien l'enfant -, c'est-à-dire qu'il faut sacrifier soit le second, soit le premier.

On se trouve devant une solution analogue, quoique moins dramatique, lorsqu'il s'agit de décider entre plusieurs projets scientifiques qui proviennent de plusieurs disciplines et réclament des dépenses aussi importantes qu'un super-accélérateur de particules, un projet de cartographie du génome, des explorations prolongées par satellite en réponse à une modification globale de l'environnement, etc. À supposer [12] que l'on ait des critères pour établir lequel a le plus de valeur scientifique et quels en sont les bénéfices escomptés, il reste qu'il faut opter. évaluer les diverses propositions émanant de diverses sciences et établir les priorités entre elles passe par un débat ayant pour conclusion un accord entre les parties prenantes. Rien d'étonnant que, ce genre de dilemmes se multipliant, des comités de sages ou des comités d'éthique soient créés qui les reprennent pour trancher, voire proposer des règles de décision entre les diverses possibilités. Dans ce cas, nous acceptons leur choix sur la base du consensus omnium qui en élit une seule comme étant la seule vraie, conforme à ce que nous savons et croyons. « Tant que la science expérimentale, écrivait Bergson, ne sera pas solidement constituée, il n'y aura de plus sûr garant de la vérité que le consentement universel. La vérité sera le plus souvent le consentement même » (Bergson, 1976, p. 209). Même une fois consolidé, celui-ci demeure comme un point de repère aussi fragile qu'indiscutable, une convention arbitraire mais contraignante.


2 / L'acte de consentir peut s'entendre comme la volonté d'un individu de s'associer aux autres. Mieux encore, comme le fait d'approuver leur système de valeurs et d'être disposé à partager leur sort, quel qu'il soit. Il suffit, la plupart du temps, de déposer un bulletin de vote dans une urne, d'apposer sa signature sur un document, de prendre la parole lors d'une assemblée. Dans toutes ces occasions, le consentement donné en public scelle notre engagement, atteste aux autres que nous sommes gens de même espèce qu'eux, que nous avons une attitude commune et qu'ils peuvent s'attendre que nous nous comportions en conséquence. Voilà qui leur donne le droit de compter sur nous pour entreprendre une action, de nous inclure dans leurs projets et de nous traiter en membres d'un même groupe, pays, entreprise et ainsi de suite. Il va sans dire que tout ceci concourt à leur unité, car, remarque Durkheim, « ce qui fait l'unité des sociétés organisées, comme de tout organisme, c'est ce consensus spontané des parties, c'est cette solidarité interne qui non seulement est aussi indispensable que l'action régulatrice des centres supérieurs, mais qui en est même la condition nécessaire, car ils ne font que la traduire en un autre langage et, pour ainsi dire, la consacrer » (Durkheim, 1978, p. 351).

[13] Donc, le consensus va bien au-delà de la simple adhésion et du pur accord. Disons-le d'emblée : la convergence des individus qui les engage mutuellement en matière d'intérêts ou d'idées nourrit leur confiance réciproque. Elle signifie que tout peut être discuté, mis en question par des actes ou des paroles, tout, sauf l'obligation de conclure en dernier lieu par des accords et de compter qu'ils seront tenus. De là vient que l'on ne craint pas la violence, s'épargne le soupçon et fait un pari sur la bonne foi de chacun. Si fragile que soit la confiance, les individus doivent néanmoins la conserver, sous peine de désarroi ou de désordre dans leurs relations. Et ce de manière volontaire, donc sans qu'elle leur soit imposée par une contrainte du dehors ou une conformité émotive du dedans. Car, tout le monde le sait, « ce qui résulte manifestement d'une pression extérieure ne peut pas être pris en ligne de compte en tant qu'entente. Celle-ci repose constamment sur les convictions communes » (Habermas, 1986, p. 149).

C'est pourquoi il ne faut pas que chaque individu se demande, réfléchissant seul dans son coin, s'il consent ou non aux attitudes et aux choix de la plupart. Ni que les membres d'un groupe décident en silence d'une solution avant de l'entériner par un vote. Il faut une rencontre, un débat, voire une expression publique qui préserve les consciences de l'engourdissement, leur donne l'occasion de renouveler le crédit qu'elles se font. Ceux qui y participent ont de la sorte la possibilité de considérer leur situation de manière objective et de concevoir ce qu'ils peuvent attendre des autres en des matières encore incertaines. Qui prendrait les risques inévitables dans la politique, oserait manifester une opinion personnelle, s'associerait avec d'autres, s'il n'avait reçu publiquement une marque de crédit, promesse d'accord ? Quelle que soit la forme sous laquelle on l'envisage - alliance, contrat, solidarité -, la propension au consensus est inhérente à un groupe de volontaires et doit être renouvelée sans cesse. Ce qui contribue à le renouveler, c'est la conviction partagée que l'état de confiance établi se poursuivra indéfiniment, à moins qu'on n'ait de bonnes raisons de supposer le contraire. Rien, bien sûr, ne dure éternellement. Mais, en accroissant le degré de liberté des individus sans diminuer le degré de contrainte du groupe, cette conviction apporte dans notre vie une mesure d'équilibre.

[14]


3 / Enfin, le fait incontournable est le lien du consensus à la pratique et à la culture de la raison. De Hobbes à Rousseau en passant par Spinoza, tout repose sur la conception qu'il existe un principe d'intelligence en vertu duquel les hommes s'associent et se donnent une forme de pouvoir. Persuadés que la nature humaine est la même sous toutes les latitudes et à toutes les époques, ils croient à l'harmonie entre les idées ou les buts une fois connus. Elle balaie les préjugés, écarte l'obéissance sans raison et l'imitation aveugle, pour mettre les individus sur la vole de la science et de la concorde. La seule façon d'aborder les choix difficiles de la vie en commun qui soit conforme à la raison est de s'informer, de reconnaître la réalité des conflits d'opinions et d'intérêts pour amener les parties à chercher une solution éclairée entre leurs positions antagonistes. En d'autres termes, découvrir ce qui, sous l'apparente diversité, peut rallier leur consensus. On suppose que, dans une démocratie où les hommes et les femmes sont égaux et libres d'exprimer leurs points de vue sans redouter une sanction, il n'y a pas d'autre moyen d'atteindre un accord et d'emporter l'adhésion. Du moins est-ce le moyen qui s'est peu à peu inscrit dans la constitution des États, les représentations sociales, les habitudes de la psychologie collective. Le consensus et le compromis sont ainsi devenus les véritables impératifs catégoriques de notre morale.

Les trois idées, choix, confiance, raison, se fondent dans celle de consensus. Elles sont ensemble les signes d'un lien entre les hommes, d'un engagement né de convictions communes et surtout d'une pratique inhérente à la démocratie moderne. Et de ce fait anonyme, n'ayant pas les prestiges de la tradition et de la science, mais à tous égards efficace.


II

Tout consensus sert, en définitive, à ménager une marge de désaccord permettant à une relation ou à une action en commun de se poursuivre. Savoir sur quelle base l'établir et quelles en sont les conditions, [15] voilà les inconnues de son équation. Les théories classiques sur la décision prise en vue du consensus ont tenté de le résoudre d'un point de vue général, sinon précis. Elles reposent toutes sur les deux postulats présumés aller de soi, à savoir :

a / Le consensus est d'autant mieux formé que l'on bénéficie d'informations plus exactes sur son objet et que des individus plus nombreux en discutent. Autrement dit, les choix d'un groupe auront d'autant plus de chances d'être rationnels qu'il aura rassemblé le maximum de connaissances et les aura soigneusement examinées. On fait l'hypothèse que, faute de critère expérimental, scientifique, on se rapproche d'autant mieux de la vérité qu'a été réunie une plus grande quantité d'idées et de faits distribués entre les individus. Dire que cela suffit serait bien entendu inexact. Mais cette démarche paraît si simple et si évidente qu'elle réduit l'incertitude de ceux qui y prennent part. Ainsi le verdict du corps électoral, comme celui d'une assemblée ou d'un jury, est estimé correct du moment que ses membres ont pris connaissance des faits, entendu des points de vue différents, comparé des arguments opposés. Ce pourquoi on y attache tant de prix. Nombreux sont ceux qui soutiennent que les comités sont inefficaces, les réunions et associations inutiles, n'étant qu'occasions de palabres et perte de temps. Ils proposent de les déserter et de déléguer leurs tâches à des personnes compétentes. Un arrangement raisonnable, en apparence, du point de vue des individus qui ont tant d'occupations. Du même coup cependant, les personnes publiques ou privées perdraient tout le profit de l'enquête ou de la discussion qui facilite la compréhension et assure l'objectivité des conclusions. « L'échange social, nous rappelle le psychologue américain Heider, parler à d'autres gens et prendre en considération leur point de vue, est estimé avoir une grande importance lorsqu'il s'agit d'établir une connaissance objective » (Heider, 1958, p. 228).

Ceci ne signifie pas que les participants adhèrent tous à la même conception de ce qu'il faut tenir pour objectif à l'issue de leurs délibérations. Mais qu'ils acceptent collectivement le droit de chacun à manifester son désaccord et le devoir de tous de prendre en compte les arguments de la majorité et de la minorité pour trouver le trait d'union [16] entre eux. Ce qui gêne la transmission et la discussion des informations empêche, par la même occasion, d'arriver à une décision rationnelle et affaiblit l'autorité objective du groupe sur les individus. Une autorité morale, de surcroît, dans une démocratie qui adopte la libre expression et la discussion des opinions comme « la technique la plus appropriée » (Arrow, 1963, p. 85) pour métamorphoser une opinion en une règle de conduite et de vie implicitement approuvée par tous.

b / La tendance normale du consensus est d'aboutir à un compromis. Les deux mots sont si souvent utilisés ensemble qu'ils sont devenus synonymes. Envisager le consensus et envisager un compromis revient très souvent au même, telle est la force que ce postulat de modération a acquise parmi nous. En d'autres mots, les différends entre les individus sont censés se régler par des concessions qui les rapprochent de la moyenne de leurs positions et les éloignent des extrêmes. La recherche de la moyenne dorée, du milieu de la route, ou la réconciliation d'opinions antagoniques vise à diminuer le conflit dans la vie en commun. Pour faire image, vous observez qu'il est assez courant de prévoir, avant même que les négociations ne débutent, qu'on va couper la poire en deux, en quatre ou en huit. On parle d'un partage 50-50 ou de concessions mutuelles, en indiquant d'emblée quel sera le point de convergence évident. Voilà pourquoi on s'attend, en psychologie sociale, que les choix des groupes soient plus modérés que ceux des individus. Ils représentent une moyenne (averaging), le plus petit dénominateur commun de ceux des individus. On peut invoquer beaucoup d'observations expérimentales pour appuyer ce point de vue dominant (Clark, 1971).

Ces convergences résultent parfois d'une réflexion pondérée, d'une prudence dans l'expression d'une opinion ou d'un jugement en présence d'autrui. Plus souvent, elles servent à éviter les affrontements qui risqueraient de faire éclater le groupe si chaque participant exprimait ses idées jusqu'au bout. Il est même du devoir de certains, par exemple le président d'un jury ou le secrétaire d'un parti, de veiller à ce que les protagonistes et les fractions lâchent du lest pour préserver l'intérêt commun. Ainsi, remarque un journaliste à propos du secrétaire du Parti socialiste français, « enserré dans cet étau collectif, M. Jospin était [17] contraint de tenir le langage du compromis permanent et d'exprimer une sorte de pensée moyenne » [1].

Chacun sacrifie, en l'occurrence, des fragments de sa conviction, des aspects de sa réalité propre ; il renonce à un degré d'individualité pour retrouver l'entente et une vision que tous partagent. Le compromis est donc la solution par laquelle chaque acteur d'un éventuel conflit renonce à ce qui lui est cher, mais non vital, afin d'obtenir l'appui des autres qui lui est vraiment indispensable. Tout en évitant l'extrémisme qui apparaît par contraste comme une solution anormale, voire contraire au bon sens. Ce que suggèrent deux économistes, en prenant pour principe que « la probabilité consensuelle tendra, en tant que moyenne, à absorber les points de vue les plus extrêmes. Ces derniers seront serrés vers le centre et, à cause de cela, l'iconoclasme sera réprimé » (Lehrer et Wagner, 1981, p. 65).

Mettons au crédit des chercheurs en psychologie sociale d'être allés plus loin et d'avoir essayé de vérifier par leurs expériences cette intuition du sens commun. On observe souvent que des personnes, après avoir pris connaissance de leurs positions respectives, s'efforcent de rapprocher leurs points de vue. Elles se tournent vers celui qui est le plus neutre, le plus fréquent, dont elles attendent un accord éventuel. Les individus qui se sont aventurés à exprimer une attitude excentrique se rallient à un choix plus modéré. À l'inverse, ceux qui demeuraient trop prudents s'enhardissent et adoptent la tendance centrale.

Sherif (1936) a transformé cette observation en une certitude dans une série d'expériences qui font partie du patrimoine classique des sciences sociales. Il montre que les individus convergent spontanément vers une norme même pour une chose aussi simple que de regarder un point lumineux gros comme une tête d'épingle dans une pièce entièrement obscure. Nul ne peut localiser la lumière avec précision, en l'absence de tout repère. Ainsi le point semble se déplacer d'une distance variable, même si l'on sait pertinemment qu'il ne bouge pas. Dans ces expériences, Sherif demande aux participants d'estimer [18] d'abord seuls le déplacement du point lumineux jusqu'à ce que leur jugement se stabilise, chacun se faisant une opinion personnelle sur la distance qu'il parcourt. Puis on réunit ces participants qui se sont fixé chacun une gamme de mouvement - l'un de 2 cm, l'autre de 4, un troisième de 7 cm, etc. - par groupes de trois. Et on les invite à évaluer ensemble et publiquement le prétendu déplacement du point lumineux. Que voit-on ? Sans qu'on le leur demande de manière explicite, ils convergent, essai après essai, vers un jugement commun proche de la moyenne des jugements individuels. Tout se passe comme si, les participants n'ayant aucune raison de diverger, ils l'évitent en se faisant des concessions mutuelles dans le but de parvenir à ce consensus. Leur mouvement d'ensemble illustre de quelle manière on aboutit sans doute à cet effet d'averaging que l'on tient pour inhérent aux groupes humains et aux normes qu'ils se donnent. Il s'y exprime une règle qui incite d'avance à converger pour s'approcher de la réalité et permet même de calculer les concessions nécessaires pour rejoindre la ligne d'accord possible. Un accord tel que chacun reconnaît une certaine valeur à la position des autres sans être obligé de désavouer la sienne.

Dans l'ensemble, ces théories classiques présupposent que les caractères rationnel et modéré du consensus vont de pair. Le libre flux des informations dont chacun dispose et qu'il peut échanger à sa guise le porte normalement à chercher un compromis entre les positions individuelles. Il représente les dénominateurs communs des choix et des opinions exprimés par les membres du groupe. De sorte qu'il n'y a pas gain en sagesse collective, ni perte d'orgueil personnel pour qui aurait cédé aux autres plus qu'il n'en aurait reçu, comme l'exige notre bon sens. Certes, il se pourrait que les individus soient si impétueux dans leurs décisions que leur consensus s'éloigne du compromis vers une position extrême. Ceci signifie que les réactions positives ou négatives ont atteint un degré élevé, mais surtout que l'atmosphère politique et sociale est favorable aux positions radicales. En tout cas, on y voit une exception à la tendance normale, sinon une faille du bon sens. Si ce n'est ni une exception ni une entorse au bon sens, alors toutes les déductions faites, les théories élaborées sur les comportements en [19] société et même la pratique en matière de décisions amenant au consensus seraient à revoir entièrement. Jugez-en plutôt, à la lumière de faits qui se multiplient.


III


Un constat prévaut sur tous les autres. Ce fut un choc, mais non une surprise, d'observer sur pièces, comme on le soupçonnait, que ces deux postulats ne s'appliquent pas ensemble à la réalité. Pour s'en convaincre, il suffit de penser à deux réactions courantes : l'abstention et, s'il est permis de dire, la combinaison, si répandues dans nos sociétés lorsqu'il s'agit de décider. D'un côté, en effet, nous avons la réaction de ceux qui n'exercent pas leur droit de vote, refusent de prendre part aux délibérations de leur association, etc., Certes, chaque assemblée, comité, jury, etc. connaît une proportion variable de silencieux et d'indifférents. Mais découvrir que les citoyens sont très nombreux à rester chez eux le jour des élections - aux Etats-Unis, par exemple, la moitié des citoyens inscrits - a causé une déception. Une double question se pose. Comment la démocratie fonctionne-t-elle ? Et encore : quelle est la valeur de ses choix ? Ceux qui s'abstiennent deviennent les spectateurs de délibérations qui les touchent de près et des consensus qui les engagent. Les spectateurs détachés, pourrait-on ajouter, de la suppression en pratique des valeurs auxquelles ils souscrivent en théorie. Sans doute cette abstention est-elle due, sur une grande échelle, à l'inégalité sociale des plus démunis, mais aussi à l'inégalité herméneutique des gens privés des facultés nécessaires pour s'exprimer en public, participer aux affaires communes. Ce sont des individus et des groupes, parfois dissidents, qui peuvent avoir quelque chose d'important à dire, mais n'ont ni l'accès aux media, ni les savoir-faire appropriés. Il est navrant qu'on ait fini par admettre que tant d'individus s'abstiennent dans une démocratie, et même par y voir de bons côtés.

Qui se plaint d'une entorse aux principes ne saisit pas qu'un certain degré d'abstention, donc d'inactivité, a pour compensation de faciliter le consensus en général. En décourageant les convaincus, les fanatiques, [20] en appauvrissant la diversité des intérêts et des arguments, il permet une convergence rapide et une entente propice au juste milieu. Non seulement parce qu'en diminuant le nombre de participants on diminue, bien entendu, les sources de tension et d'instabilité. Mais aussi parce qu'on évite de prendre en compte les informations et les alternatives extrêmes qui ne se sont pas affirmées avec une force suffisante, voire ne se sont pas affirmées du tout. Ceci, d'une certaine manière, conduirait à abandonner les décisions politiques, éthiques, etc., aux experts qui ont les connaissances nécessaires et le temps de s'y consacrer. Ainsi l'abstention, en démocratie, aurait pour effet bénéfique de permettre à ceux-ci de promouvoir les meilleures solutions, les plus conformes à la raison. Si ce n'était, comme on le verra dans un instant, que les experts ont d'autres handicaps qui les empêchent d'exprimer les mystérieuses vertus qu'on leur prête.

 On pourrait craindre que, moins les gens y prennent part, moins le consensus établi en leur nom est légitime. Toutefois, il est vrai, jusqu'à un certain point, que « qui ne dit mot consent », et cette crainte n'est pas fondée. Cela dénote que même des échanges et des discussions partiels, contraires à la rationalité aux yeux de certains, assurent mieux en pratique la viabilité de solutions modérées. Et en définitive d'associations qui, observait le sociologue Max Weber, « sont très souvent des purs et simples compromis entre des intérêts contradictoires qui n'excluent (ou du moins essaient de le faire) qu'une partie de l'objet ou des moyens de lutte et laissent au demeurant subsister l'antagonisme entre les intérêts ainsi que la concurrence à propos des chances » (Weber, 1971, p. 42). C'est alors la confiance qui manque le plus en démocratie, car on ne sait pas explicitement ce que les divers groupes et individus incluent ou non parmi les objets de lutte.

D'autre part, la combinaison se réfère à la propension des gens à se mettre d'accord sur une solution qui leur semble acceptable, dès l'instant où elle leur permet d'éviter les discussions et sauvegarde la cohésion du groupe. Par connivence de pensée et complicité d'intérêts, ils vident leurs débats de tout ce qui risque de nuire à cette cohésion. Dans un livre désormais célèbre, Janis (1972) a décrit plusieurs fiascos essuyés par la combinaison entre experts et hommes politiques dans les [21] comités du gouvernement des Etats-Unis. On aurait pu relever les mêmes dans n'importe quel pays. Ses observations ont d'autant plus retenu l'attention que c'est devenu une habitude d'affirmer que succomber aux partis pris et aux préjugés est le fait des masses, hors d'état de former des opinions pondérées et rationnelles comme seules le peuvent les élites. Or ce sont précisément des élites appartenant à des commissions mises en place par des présidents américains qui ont préparé les décisions et se sont mises d'accord sur des choix aux résultats franchement désastreux. Il suffit de prendre connaissance de quelques-uns des cas étudiés pour en convenir. Ainsi au cours de la seconde guerre mondiale en face de l'attaque japonaise à Pearl Harbour, ou lors de la guerre de Corée, ou dans la préparation d'une invasion de Cuba, etc. Dans chaque cas, le récit historique nous apprend comment se sont déroulés les événements.

Aux premières heures du 7 décembre 1941, une grande partie de la flotte américaine du Pacifique, basée à Pearl Harbour, fut détruite par l'aviation japonaise, alors que les autorités militaires américaines avaient estime que, pour des raisons techniques et stratégiques, c'est justement à Pearl Harbour que la flotte serait à l'abri de toute attaque. Une des raisons avancées pour justifier cette conviction était que les avions ennemis seraient détectés suffisamment à temps pour les empêcher d'atteindre leur cible. Or des recherches historiques ont montré depuis que l'on avait effectivement détecté dans la zone concernée des sous-marins japonais et des avions non identifiés. Cependant les informations reçues assez tôt pour déclencher l'état d'alerte furent négligées par l'état-major. Si forte était sa conviction en l'invulnérabilité de la flotte américaine abritée dans ce port du Pacifique qu'il a laissé l'abri se transformer en piège.

Un autre événement marquant se situe à l'automne de 1950. Les troupes du général américain Mac Arthur franchirent le 38' parallèle séparant la Corée du Sud de la Corée du Nord, après avoir reçu le feu vert d'un comité réunissant les plus hautes autorités politiques et militaires des États-Unis. Elles croyaient ainsi pouvoir assurer le contrôle du régime de la Corée du Nord par le gouvernement de la Corée du Sud. En riposte, les troupes chinoises franchirent à leur tour la frontière [22] coréenne le 28 novembre de la même année. Elles inversèrent le sort des armes et menacèrent d'expulser l'armée de Mac Arthur. De toute évidence, les responsables américains avaient pris le risque d'une défaite, en sous-estimant la probabilité d'une intervention chinoise.

Voici un dernier exemple. Deux jours après son installation à la Maison-Blanche, en janvier 1961, le président John Kennedy fut informé d'un plan d'invasion de Cuba préparé par les services spéciaux qui avaient recruté et entraîné à cet effet une brigade d'exilés cubains. Comme on le sait, cette brigade aidée par la logistique de l'armée américaine tenta de débarquer le 17 avril 1961 dans la baie des Cochons sur la côte cubaine. Ce fut le désastre. Il n'est pas douteux que, au cours de leurs réunions, les responsables de Washington avaient minoré la capacité de riposte de l'armée cubaine et majoré les chances d'un accueil favorable que cette brigade recevrait de la part des opposants au régime de Fidel Castro. Ce ne furent pas les seules erreurs commises en l'occurrence par le Comité d'une dizaine d'experts. Ni il ne laissa une possibilité de retraite aux envahisseurs de la baie des Cochons, ni il ne tint compte des réactions hostiles de l'opinion mondiale.

Comment des gens compétents ont-ils pu prendre des décisions pareilles ? En examinant les circonstances et les témoignages d'après les documents à sa disposition, Janis relève que la raison la plus importante est la complicité entre les membres de ces commissions en vue d'arriver au consensus que l'on attend d'eux et d'éviter toute pensée dissidente dans leur propre esprit ou dans celui d'autrui. Certains se posent en « gardiens de l'esprit » et veillent à écarter toute occasion de discuter les opinions opposées aux leurs et à tuer dans l'oeuf les désaccords naissants. Qu'on se soumette par loyauté ou par souci de carrière, le résultat est le même. On dirait que la croyance en l'infaillibilité morale et intellectuelle des membres de la commission, à un bout, et la volonté d'une solution unanime, à l'autre bout, ont limité leur aptitude à sonder les alternatives possibles, à examiner l'information disponible, et à réévaluer les solutions rejetées. De la sorte, des hommes brillants négligent ou écartent souvent des signes flagrants d'erreur dans les raisonnements et les conclusions. Quelque difficile que soit la notion, on cherche à préserver d'abord l'unité, la solidarité, [23] bref l'esprit de corps. Janis le note en écrivant : « Plus l'amabilité et l'esprit de corps seront présents parmi les membres des groupes politiques, plus le danger sera grand qu'une pensée critique indépendante soit remplacée par une pensée de groupe, qui pourra vraisemblablement aboutir à une action irrationnelle et déshumanisante vis-à-vis de groupes extérieurs » (1972, p. 13). En somme l'esprit de corps abaisse la qualité du jugement et de la prise de décision, avec pour effet d'aggraver les situations auxquelles on voudrait porter remède.

Il est temps d'arrêter ces observations. Un mot nous semble pourtant encore nécessaire. Le sentiment : « C'est mon groupe, qu'il ait raison ou tort », la loyauté qui autorise toutes les combinaisons, qui, contre l'évidence, bâillonne le doute et censure les divergences, est à coup sûr responsable de telles erreurs. On ne doit cependant pas s'y limiter comme on se plaît à le faire. C'est que nous avons une représentation de la vérité qui commande nos discussions et nos échanges. Elle a pour signe le consensus omnium et chacun lui obéit sans hésiter. En toute sincérité, on se croit obligé de se conduire de manière intolérante envers quiconque fait obstacle à ce consensus, la vérité ne pouvant se manifester tant que quelqu'un le refuse. Chacun a connu une telle situation où, de peur qu'une idée qu'il désapprouvait mais que les autres souhaitaient ardemment voir triompher soit rejetée par sa faute, il n'a pas osé la contredire et en dénoncer le caractère néfaste. Il est beaucoup plus étrange et déconcertant de voir certains en prendre le risque, quelles qu'en soient les conséquences.

Qualifier d'absolument mauvaise une décision historique, après qu'elle a produit ses effets, est toujours hasardeux. Ce qui semble au premier coup d'œil un échec total peut révéler, d'un autre point de vue, une réussite insoupçonnée. Dire en outre que l'échec résulte du conformisme de la pensée collective est une recette infaillible pour redorer le blason des vieux préjugés et entonner la vieille complainte sur les défaillances de la psychologie des hommes en société. Quoi qu'il en soit, il reste le paradoxe suivant : des individus en principe logiques et pondérés, après s'être renseignés et avoir délibéré, ayant en main toutes les informations utiles, se sont mis d'accord sur une proposition qui n'est ni pondérée ni logique. Il semble donc futile de [24] généraliser aux raisonnements et aux choix collectifs les déductions tirées des raisonnements et des choix des individus. Ce ne sont pas leurs qualités, ni les connaissances dont ils disposent qui importent, mais les relations d'échange et de connivence qui les amènent à éviter les dissonances pour satisfaire l'esprit de corps. À cet égard, l'abstention et la combinaison mettent en évidence les confusions à propos du postulat de rationalité sur lequel nos théories autant que nos pratiques s'appuient. D'un côté on évite l'accord, et de l'autre le désaccord ; d'un côté on renonce à la faculté de choisir, et de l'autre à celle de discuter ; d'un côté on se soustrait à la recherche du consensus, et de l'autre on répugne à s'engager dans un conflit. Des deux côtés, celui-ci est hâtivement résolu par la soumission de ceux qui s'abstiennent et la démission de ceux qui se font complices, sans mettre en concurrence les diverses positions ni les réconcilier vraiment.

Ce n'est pas le lieu de remonter à l'origine de ces confusions ni de les exposer. Elles viennent sans doute de ce que l'on laisse planer une ambiguïté sur le sens de la rationalité. C'était d'une philosophie saine, mais candide, que de l'appuyer sur la quantité de connaissances dont on dispose. D'imiter en somme la science et de traiter les dilemmes de l'économie, de la politique, de l'éthique, comme un savant traite ceux de la physique. Or un autre sens existe qui tient compte du fait que nous sommes des individus doués de la parole, libres de s'exprimer et utilisant toutes les ressources du savoir et de l'expérience pour aboutir à une solution, qu'elle soit ou non possible selon la science. Ce qui lui donne une valeur, comme aux règles d'une grammaire ou aux prières d'une religion, c'est l'adhésion des sujets parlants ou des fidèles. Nous ne discutons pas le point de savoir si le premier sens est plus fondé que le second. Nous nous bornons à dire qu'ils sont employés sans grand souci de distinguer entre une rationalité de monologue et une rationalité de dialogue, immédiatement sociale. Une rationalité qui, à la lumière des faits mentionnés, rend possible un consensus comme but de la discussion et mode de relation moderne. Lorsque, dans une société, ni les traditions du passé, ni le sens de l'histoire, ni même les valeurs de progrès de la science ne suffisent, seule cette rationalité de dialogue amène les membres d'un groupe agissant ensemble à se mettre d'accord.

[25]


IV


Le moment est venu de souligner un point important. Supposons un instant qu'on applique le premier postulat des théories classiques : personne ne s'abstient ni ne combine pour mettre un terme aux dissensions. Et même chaque participant à un comité, à une assemblée, à un conseil d'experts, est encouragé à s'exprimer aussi pleinement qu'il le souhaite, à formuler des critiques vis-à-vis de ses partenaires. De sorte que, quelles que soient leurs positions, extrêmes ou modérées, ils peuvent les afficher, certains qu'elles seront prises en compte. C'est cela, un choix sans contrainte, c'est cela, la démocratie, mais aussi le débat scientifique. En découle-t-il que, dans ces conditions, le consensus sera, comme on le suppose, un compromis entre ces diverses positions ? Pour des raisons qui apparaîtront dans la suite de l'ouvrage, la réponse est non. On prévoit que le résultat ne sera pas la moyenne des positions mais une réponse spécifique, produite en collaboration au cours des débats entre les membres du groupe et proche des valeurs qu'ils partagent. C'est, pour être précis, une réponse extrême. Tel est le point de vue qui a été confirmé par un vaste ensemble d'expériences qui en ont fait un phénomène majeur.

Toujours est-il que la tendance à prendre des risques, voire à parier dans les jeux de hasard, avait déjà montré que les individus sont plus audacieux ensemble qu'isolés. Mais ce phénomène, dénommé depuis polarisation de groupe (Moscovici et Zavalloni, 1969), se manifeste partout où des gens doivent exprimer une attitude, faire un choix ou résoudre un problème en commun. Il a été mis en évidence, de manière systématique, au Laboratoire de Psychologie sociale de l'École des Hautes Études en Sciences sociales, à Paris. Appliquant un scénario éprouvé, les expériences réunissaient des lycéens par groupes de quatre. Pour commencer, les participants expriment chacun isolément sur une échelle d'opinions, analogue à celles que les sondages ont popularisées, leur attitude envers le général de Gaulle et envers les Américains, comme le ferait n'importe qui au cours d'un sondage. Voici une proposition caractéristique du questionnaire portant sur de Gaulle : « Il est trop âgé pour ses tâches politiques importantes », et [26] une autre du questionnaire relatif aux Américains : « L'aide économique américaine est toujours utilisée à des fins politiques. » Des propositions choisies avec soin, car, ainsi qu'on pouvait s'y attendre, l'attitude envers de Gaulle est plutôt favorable et envers les Américains plutôt défavorable. Une fois ceci terminé, les participants à l'expérience se réunissent par groupes et discutent chaque question jusqu'à ce qu'ils se mettent d'accord sur une position commune et unanime, qu'elle aille dans le sens favorable ou défavorable, peu importe. Le consensus obtenu, ils se séparent, après avoir donné une nouvelle fois leur opinion individuelle sur de Gaulle et sur les Américains.

En examinant les résultats, on vérifie que les membres du groupe partagent, au cours de leur discussion, un consensus extrême et qu'après la discussion leur attitude individuelle est devenue plus extrême qu'elle ne l'était auparavant. Nous avons prévu que la direction de cette réponse extrême est préfigurée dans l'inclination d'origine des participants. Lorsque la plupart d'entre eux approuvent ou désapprouvent une certaine personne, un point de vue, un cours d'action, etc., ils l'approuveront ou le rejetteront plus fortement après. Et c'est ce qui se passe dans nos expériences : les participants deviennent encore plus positifs envers de Gaulle et plus négatifs envers les Américains.

Il est clair que leurs attitudes ont changé et que celles de tous deviennent les attitudes de chacun, puisque, même en privé, ils maintiennent le point de vue adopté en public. Ces effets ont été reproduits avec d'autres populations, dans de nombreux pays, à propos de thèmes aussi variés que la paix, le racisme, l'écologie, les dilemmes moraux, et ainsi de suite, et l'on n'y a opposé aucun démenti (Doise, 1971). Ils nous apprennent de façon incontestable que le consensus extrême, loin d'être une exception, représente la norme.


V


L'importance de ces découvertes tient pour une part au fait qu'on s'attendait, en général, que la discussion en groupe amène les individus à arrondir les angles, à niveler leurs attitudes, à modérer leurs choix, et [27] le reste. Or il apparaît au contraire qu'elle a pour résultat de les rendre plus extrêmes. Ainsi on a cru jusqu'à une date récente que l'individu tend à devenir extrême et le groupe modéré. Du coup, on saisit qu'il nous faut inverser cette idée. Ce n'est pas la seule, puisque l'idée qu'il faut assimiler le consensus au compromis disparaît, et que, par la même occasion, on voit naître l'idée qu'ils s'opposent. Le nouvel éclairage projeté sur les phénomènes collectifs a été décrit en termes concrets par un collègue américain : « Que les individus changent avant ou après la décision en groupe, ou que ce soit une conséquence de la seule discussion, la possibilité d'une extrémisation accrue dans l'opinion individuelle retint beaucoup l'attention durant la dernière décennie. Cet effet, nommé peut-être mal à propos polarisation de groupe, de la discussion de groupe, allait à l'encontre de la sagesse conventionnelle qui, ainsi que nous l'avons noté plus haut, impliquait que la décision de groupe ou ses positions soient modérées par rapport à la distribution initiale des préférences individuelles. L'effet de polarisation du groupe a été tout d'abord identifié par Moscovici et Zavalloni (1969) lorsqu'ils ont observé que les étudiants d'université en France faisaient montre d'attitudes plus extrêmes après une discussion par rapport à celles qui précédaient l'interaction. Associé à l'origine avec les attitudes, l'effet de polarisation a été observé plus récemment en tant qu'il se rapporte à un large éventail de tâches ayant trait aux jugements et aux décisions. Le rapport original de Moscovici et Zavalloni s'intégrait aisément au climat politique de l'époque pendant laquelle l'agitation estudiantine était intense et répandue. De tels résultats semblèrent confirmer les observations troublantes faites auparavant informellement par plusieurs personnes - en l'occurrence que les étudiants étaient parfois encore plus extrêmes dans leurs opinions après ce qui aurait dû être une discussion modératrice » (Davis, dans Brandstätter et al., 1982, p. 9).

L'observation est en tous points exacte et conforme à l'attente dans une situation où chaque participant, libre de toute contrainte, est incité à défendre un point de vue qui lui tient à cœur. On comprend pourquoi, dans certaines circonstances et dans certaines cultures, on oblige les gens à prendre la parole et à s'entendre de façon unanime. Est-ce [28] pour s'informer mutuellement, se former une opinion objective, ou faciliter leur entente ? Certainement pas, mais bien pour les faire converger vers une position commune, à laquelle adhérer dans leur for intérieur.

Vous voyez à quoi tendent toutes ces remarques. Plus d'une science de la société, et la psychologie sociale ne fait pas exception, traite de manière implicite les effets d'abstention et de combinaison comme s'ils n'appelaient pas des révisions significatives de la théorie. Or ce n'est pas le cas. Car, si la qualité d'une décision amenant le consensus ne dépend pas seulement de la possibilité d'être informé et de participer aux débats qui le préparent, alors se profile une limite au premier postulat qui laisse ouverte la question de ce qui détermine le consensus. On ne semble pas avoir compris que, si l'on ne fait pas intervenir les motivations du conflit, les règles de discussion, le sens de la vérité, les choses en resteront là. Il ne suffit pas, pour pallier ces manques, de prôner l'amélioration de la communication, une meilleure diffusion des connaissances, des normes positives et la bonne volonté de la part de toutes les personnes concernées. Essayer d'expliquer ces faits sans rien remettre en cause expose à des déboires. Tôt ou tard, on découvrira d'autres faits analogues, montrant à nouveau la rationalité des décisions prises en défaut par l'indifférence ou la conformité des hommes.

Il faut sans aucun doute résister à la tentation de simplifier ce qui n'est pas simple. Mais ce premier postulat appliqué de manière stricte et pratique conduit à des effets qui sont un démenti pour le second. Un examen attentif de ce qui se passe dans la situation habituelle dévoile que les tentatives des individus pour réconcilier les choix discordants ou les opinions contraires en groupe réussissent spontanément mieux autour d'une solution extrême que d'une moyenne. En vérité, nous avons tacitement admis une convention. Elle suppose, par essence, que la vie en société tempère les penchants des individus. Or il semble bien que, laissée à elle-même, cette vie les radicalise. Le phénomène de polarisation ne fait que le montrer et redéfinit ce qui passait pour contre-nature comme inhérent à la nature des relations collectives.

[29]


VI


Dans les chapitres qui suivent, nous allons proposer une théorie des décisions amenant au consensus. Nous garderons, certes, le premier postulat concernant leur rationalité, en le nuançant quelque peu. Nous mettrons notamment en relief les règles du dialogue et de l'interaction en tant que véhicules du choix, plus importants que le volume de connaissances des participants. Autrement dit, l'accent se déplacera de la compétence des individus vers leurs relations en groupe. Nous adopterons d'autre part un second postulat qui s'énonce : le consensus s'établit d'ordinaire, si rien n'entrave les débats et les échanges, sur une des positions extrêmes préférées du groupe. Celui-ci est moins enclin que les individus à tempérer les conflits, à éviter les différences, et plus disposé à prêter aux critiques et aux divers points de vue exprimés l'attention qu'ils exigent.

Pour mieux nous faire comprendre, prenons un exemple. Quelques experts et hommes politiques affirment qu'un accord s'obtient à condition d'exclure les partisans de points de vue extrêmes. Le Premier ministre hongrois se prononçait sur les chances d'entente entre le Parti communiste et l'opposition en ces termes : « Il y a des différences mais pas d'opposition. Je mets à part les extrémistes des deux bords, ceux de droite qui veulent supprimer complètement la propriété d'État et ceux de gauche qui envisagent de supprimer toute propriété privée. Avec les autres je crois qu'il est possible de trouver des points d'entente. » [2] Il admet ainsi implicitement qu'on limite le dialogue et la participation à une partie de la société. Or nous tenons à envisager le cas général où les extrémistes sont inclus, et où les limites de la société sont l'objet du débat, non sa condition. De la sorte, on embrasse une gamme plus étendue de situations, au lieu de s'en tenir à celles, fort particulières, de l'équilibre et de l'harmonie préalables que suppose l'averaging.

Mais le point essentiel est que le nouveau postulat ainsi conçu [30] inverse notre vision du rôle dévolu au consensus. Jusqu'ici, on a surtout insisté sur sa fonction de remède aux défaillances de la connaissance, en l'érigeant en moyen d'éviter ou de résoudre les conflits lorsque aucun calcul, aucune expérience n'est possible. Tant qu'il a pour optimum le compromis, il s'exprime par le plus petit dénominateur commun entre les avis exprimés, chacun ayant un peu raison et un peu tort, et il reflète le contraste entre idées et intérêts opposés sans les modifier. Donc le statu quo. Avant même de négocier, on sait ce qu'il sera, et la négociation laisse les choses en l'état. Un bon exemple nous en est fourni par la coalition entre partis, en Italie ou en Allemagne, si nécessaire pour y former un gouvernement. Le programme sur lequel elle s'appuie comporte un mélange d'éléments contrastés, libéraux en économie, socialistes en matière de travail, chrétiens sur le plan scolaire, etc. Il leur permet de gérer ensemble les affaires sans pour autant rapprocher les partis ou les doctrines. Mais, on l'a observé depuis longtemps, ces genres de compromis interdisent de trancher et d'impulser le pays dans une direction précise. Mutatis mutandis, ces remarques sont valables pour n'importe quel groupe, parti ou collectivité.

Voici donc le point où la polarisation introduit une différence. Elle suggère le consensus comme un moyen, voire une méthode, de changer les normes et les règles de la vie collective. Il n'a pas pour fonction d'éliminer les tensions et de préserver l'équilibre entre les propositions antagoniques, mais au contraire de les laisser se modifier les unes par les autres avec le moins de virulence, jusqu'à ce qu'un élément commun s'en dégage. La discorde, loin d'être un raté ou une résistance, est, en l'occurrence, le levier le plus précieux du changement.

L'excellence de la démocratie moderne est d'avoir institutionnalisé le consensus dans plusieurs domaines. Vu sous cet angle, il effectue le contraire de ce qu'il signifie. Ainsi nous remarquons que les divers comités et commissions chargés d'établir des programmes de recherche, de fournir des règles d'éthique en matière d'avortement, greffes d'organes, euthanasie, etc., ont pour mission de s'entendre sur une solution à préconiser. Leur véritable mission consiste pourtant moins à réconcilier des points de vue opposés qu'à faire avancer la [31] réflexion, changer les attitudes et les règles invétérées, innover dans les moeurs et les idées d'un public réticent. Ce genre d'innovation est d'autant plus inattendu, et même choquant, qu'il s'agit de discuter des dilemmes en principe sans issue, de faire un choix entre des possibilités a priori impossibles. D'ailleurs les personnes réunies autour d'une table ronde, sur un pied d'égalité, chargées de trouver un accord, sont des scientifiques, des représentants d'églises et de religion qui auraient naguère jugé une telle éventualité absurde.

Qu'il n'y ait plus désormais sur ces sujets d'autre issue que l'entente est quelque chose de neuf et de troublant, au point que personne ne s'étonne de la voir se faire sur une position extrême. Comme s'il y avait incompatibilité entre la recherche du juste milieu et la tentative de changer les croyances et les pratiques qui comptent aux yeux du public. Il semble bien que le rôle du consensus dans les sociétés modernes soit moins de mettre un terme aux incertitudes et aux tensions que de permettre aux mentalités d'évoluer, de transformer sans les briser normes et liens sociaux. Et, loin de stagner, de s'affadir en conformité, les sociétés se revigorent, en permanence.

C'est pourquoi le phénomène découvert il y a vingt ans nous montre les groupes changeant d'eux-mêmes, sans aucune intervention extérieure, leurs attitudes et leurs décisions. Il ouvrait sur une théorie de la créativité et de l'innovation telles qu'il faut les concevoir dans des collectivités en train de se faire. Parce qu'elle a été vérifiée à l'échelle des groupes restreints, certains voudraient l'y borner. Ce serait une erreur, analogue à celle qui limiterait la théorie de l'hypnose aux seules relations entre un médecin et son patient, en lui interdisant de nous éclairer sur les rapports d'un leader à la masse. Notre théorie explique les phénomènes décrits, sans restriction d'échelle, jusqu'à preuve du contraire. Elle prévoit des faits qui s'en déduisent et gardent une signification évidente pour la science politique, l'économie ou la sociologie, sans oublier les associations, commissions, jurys, conseils ou comités dont la pratique lui importe au plus haut point, si celle-ci y cherchait son inspiration. On discernera ainsi que les difficultés bien connues auxquelles se heurtent ces groupes sont dues aux postulats désuets qu'ils partagent et aux théories classiques qui les alimentent. Et [32] la meilleure façon de critiquer ces derniers est encore de proposer du neuf à la hauteur de l'ancien, pour le remplacer.

Nous exposerons les hypothèses de notre théorie de manière à les rendre intelligibles à tous ceux qu'elle concerne, sans oublier les spécialistes. Mais nous n'espérons guère satisfaire tout le monde. En psychologie sociale, pas plus que dans d'autres sciences, les recherches n'emportent pas également l'adhésion qui varie selon les écoles et d'un continent à l'autre. Il peut arriver que les résultats d'un travail infirment ceux d'un autre. Et la certitude d'être démenties tôt ou tard donne à nos explications ce parfum d'éphémère propre à toute recherche scientifique. Si c'est un motif de s'interroger, ce ne doit pas être une raison de douter, encore moins un prétexte pour interpréter les faits à sa guise et sans rapport avec les notions d'origine. Cette mésaventure a plusieurs fois frappé les nôtres que, avec un sans-gêne étonnant, certains se sont arrogé le droit de traiter de manière arbitraire. C'est aussi pour restaurer la vérité dans la mesure du possible et pallier la dispersion des faits, en les ramenant à leur théorie propre, que nous avons écrit ce livre.

Il s'agit, on le verra, d'une théorie cohérente, étayée par une longue chaîne de conjectures sur la vie psychique des groupes et qui résiste à l'épreuve de la réalité. Sur beaucoup de faits qui étaient considérés comme allant de soi, elle projette un nouvel éclairage - démarche essentielle pour qui veut s'émanciper de la dépendance du familier. D'ailleurs une histoire complète des décisions amenant au consensus, dans différentes sociétés et à diverses époques, aurait le plus haut intérêt pour la science sociale. Si, malgré les difficultés d'une pareille entreprise, la coopération loyale de nombreux chercheurs en venait à bout, la confrontation des faits recueillis, relatifs aux situations les plus variées, illuminerait nombre d'idées générales propres à faire du consensus comparé l'objet d'une science à part, et des plus utiles.



[1] Le Monde, février 1988.

[2] Le Monde, février 1988.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 23 septembre 2010 7:41
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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