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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Serge MOSCOVICI et Philippe RICATEAU, “Conformité, minorité et influence sociales.” Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Serge Moscovici, INTRODUCTION À LA PSYCHOLOGIE SOCIALE. TOME I. Les phénomènes de base, chapitre 5, pp. 139-191. Paris: Librairie Larousse, 1972, 325 pp. Collection : Sciences humaines et sociales. [Autorisation accordée par l'auteur le 1er septembre 2007 de diffuser la totalité de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]


CONFORMITÉ, MINORITÉ
ET INFLUENCE SOCIALE
.”

par
Serge Moscovici et Philippe Ricateau

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Serge Moscovici, INTRODUCTION À LA PSYCHOLOGIE SOCIALE. TOME I. Les phénomènes de base, chapitre 5, pp. 139-191. Paris : Librairie Larousse, 1972, 325 pp. Collection : Sciences humaines et sociales.

5.0. Remarques préliminaires [139]
5.1. Deux modèles du processus d'influence sociale. [146]
5.1.1. Pourquoi commencer par la présentation des modèles
5.1.2. Le modèle de la réduction des incertitudes
5.1.3. À propos de quelques difficultés
5.1.4. Les modèles de négociation des conflits

5.2. Les trois modalités d'influence sociale [162]
5.2.1. Une recherche expérimentale relative aux processus de normalisation
5.2.2. Influence sociale et les phénomènes de majorité conformisme
5.2.3. L'influence sociale et les changements sociaux

5.3. Conclusion [187]
Références bibliographiques [189]

[139]

5.0. Remarques préliminaires

Nous sommes tous fascinés par ce qui advient dans la vie sociale lorsque des personnes sont amenées à accepter des idées, des jugements qu'elles ne partageaient pas, ou à imiter des gestes, adopter des expressions qui ne leur appartenaient pas. Face à cette soumission devant des manières de penser ou d'agir qu'elles ne cherchaient pas à faire leurs, nous parlons alors de « suggestibilité », de forces irrationnelles qui captent les individus et les entraînent à accomplir des actes contraires ou différents de ceux que dictait leur volonté première. Sur un autre plan, nous sommes également frappés par la force émotionnelle qui se trouve associée, dans le fonctionnement social, à l'établissement ou l'abolition des normes, et dans le vécu individuel ou collectif, à leur respect ou infraction.

Le vocable ou la notion d'influence en disent assez sur ce que nous attribuons à ces interférences et ces transgressions : envahissement par autrui, entrave au libre exercice du jugement individuel. Certes, on peut se demander s'il existe un état d'où autrui serait absent, si l'indépendance individuelle n'est pas une vue de l'esprit ou une illusion; mais tout se passe comme si nous estimions que cet état, cette indépendance sont possibles et qu'il nous faut lutter pour les défendre contre tout ce qui leur résiste ou les subvertit.

La raison pour laquelle nous consacrons un chapitre au phénomène de l'influence sociale ne réside pas, cependant, dans cette fascination et l'interrogation passionnée qui l'accompagne. Elle tient à ce que nous le considérons comme un point nodal pour notre discipline. Chaque science est centrée autour d'un phénomène qui soulève des questions essentielles, permanentes : la biologie autour de l'hérédité et l'évolution; la mécanique autour du mouvement; l'économie autour de la production, de l'échange, etc... Lorsqu'un point de vue nouveau, une théorie nouvelle, une démarche empirique inédite naissent dans une science, ils sont d'autant plus profonds, plus généraux qu'ils visent ces phénomènes centraux. Dans la psychologie sociale, tout ce qui a trait à l'influence occupe une place semblable. Un renouvellement théorique ou expérimental, opéré à son propos, implique nécessairement un renouvellement, théorique et empirique, [140] des questions que l'on se pose et des réponses que l'on formule dans les autres champs de la discipline. Évidemment, dans ce domaine qui est le nôtre, les pratiques sociales - la propagande, la manipulation publicitaire, le lavage de cerveau, la création des normes – constituent le motif et le fond de l'analyse scientifique. Toutefois, l'association de ces pratiques avec ce qui est étudié en tant qu'influence obscurcit quelque peu le problème, empêche de saisir son véritable intérêt. Pour le formuler clairement et en comprendre la portée, il ne suffit pas d'être attentif aux diverses facettes qu'il présente concrètement, il faut également revenir à des notions plus simples, susceptibles d'éclairer ce qui se passe dans l'interaction sociale au moment où vont intervenir des processus d'influence. Partons d'un cas très élémentaire : une personne perçoit un nuage de points, une ligne, juge les caractéristiques d'un individu, ou associe des mots. La situation que nous définissons ainsi suppose une relation simple entre une « personne » et un « objet » ou un « stimulus » et une « réponse »

P ------ O   ou   S ------ R

Fig. 1.

sans intervention de l'environnement social. Or nous avons déjà laissé entendre que l'on pouvait douter du bien-fondé d'une analyse posant un état d'indépendance individuelle complète. Et de fait, à regarder ce qui se passe dans la vie quotidienne, on constate que deux séries de circonstances peuvent rendre pareille situation irréelle ou perturber la solitude de l'individu.

Le jugement ou la perception de l'individu se situent dans la coprésence ou en rapport avec d'autres personnes dont la conduite, l'ego et le répertoire de réponses interfèrent avec les siens (Fig. 2).



On conçoit que la conduite et la réponse de chacun s'en trouvent modifiées, traduisant ainsi une affinité antérieure ou établissant un lien communautaire. Et aussi ténus qu'ils soient, ces liens ont un impact sur le comportement de l'individu.

La nature de la réponse aux stimuli, à l'objet, est déterminée par la finalité du jugement et par le contexte dans lequel il se situe : l'individu peut se référer à ses réponses antérieures quant au même objet ou quant à d'autres stimuli, c'est-à-dire à ses rôles ou personnages dont la totalité, [141] à travers l'espace et le temps, constitue son ego. Ainsi, c'est le lien interne qui est en jeu et qui infléchit la réponse au stimulus. Et il s'agit là d'influence puisqu'à chaque « moi » correspond une interaction différente, faite d'êtres et d'événements enfouis dans les plis du passé et ressentis à nouveau grâce à quelque madeleine dans quelque tasse de thé. De plus, le jugement, la perception et le répertoire des réponses tiennent compte des actions qui peuvent être associées à l'objet (par exemple : témoignage, compte rendu, évaluation que l'on aura à faire). En d'autres termes, les liens qui se tissent peuvent être tout à fait symboliques ou imaginaires. Cependant, parce qu'ils déterminent les réponses de l'ego, ils sont essentiels. En outre, la plupart des psychologues pensent que la perception, le jugement, etc... spécifient l'impact de ces liens et les changements qu'ils induisent. D'où leur conclusion que les lois du jugement et de la perception s'appliquent à l'influence et à l'explication du processus de celle-ci, thèse que les résultats théoriques n'ont guère confirmée. En fait, la présence de rapports et d'interférences inter-personnelles ou sociales relègue au second plan les mécanismes psychologiques et leurs lois. Si un individu perçoit l'inégalité de deux lignes différentes quand il est isolé et leur égalité quand il ne l'est pas, il est logique d'attribuer ce phénomène aux propriétés de l'interaction sociale plutôt qu'à celles des mécanismes perceptuels ou intellectuels. On a constaté que lorsque les membres d'un groupe jugent un stimulus, ils tendent à faire converger leurs estimations sur un point modal ou moyen. Si l'on en croit Sherif et d'autres, il s'agit là d'une manifestation des lois du jugement, hypothèse qui laisse dans l'obscurité le caractère outrancier que prennent les jugements dans certaines circonstances. En fait, nous verrons plus loin que cette convergence est directement liée à la nature des rapports qui s'élaborent à l'intérieur d'un groupe informel. De là, non seulement les lois psychologiques dites générales se modifient, leurs mécanismes exprimant les caractères propres au processus d'influence, mais en outre, en regard de celui-ci, les mécanismes et les fonctions psychologiques cessent de se différencier : les mêmes effets, les mêmes phénomènes se produisent, qu'il s'agisse de percevoir, juger, se remémorer, etc..., toutes ces facultés apparaissant comme des formes particulières de l'influence. Celle-ci est donc le signe du passage d'une psychologie bipolaire (ego-objet) à une psychologie tripolaire (ego-alter-objet), mutation nécessaire parce que plus conforme à la réalité.

Mais qui est ce tiers et quel est son rôle ? Il peut être un individu qui intervient dans la relation ego-environnement, ou un objet, un agent inanimé, la nature dans le rapport ego-alter. Quand des impossibilités ou des obstacles empêchent l'ego de maîtriser l'environnement (par exemple, s'il rencontre un objet complexe ou manquant de structure ou qu'il n'a pas la capacité d'appréhender), il a besoin d'un alter qui l'aide à éclairer son action sur le monde extérieur. Mais si l'ego est face à un alter différent de lui à certains niveaux (politique, idéologique ...), il doit, pour agir, le convaincre et l'amener à partager ses opinions. Force lui est de manier l'environnement, de s'allier avec la nature afin de dominer et maîtriser son alter. La création quotidienne d'objets nouveaux et de besoins qui [142] leur correspondent constitue une voie de transformation de l'environnement qui permet d'amener autrui à se ranger de son côté, de le mettre en situation de dépendance. En simplifiant, on peut dire que le tiers intervient nécessairement comme un allié ou une ressource dans la mesure où il contribue à réaliser un rapport de domination entre un ego autonome et un objet dépendant. Le tiers n'est donc jamais là innocemment : il permet de maîtriser soit l'environnement impersonnel, soit l'environnement social ou personnel. Ce fait demande à être souligné d'autant que la retenue des psychosociologues leur fait dire que l'individu est influencé dans la mesure où il veut appréhender correctement le monde extérieur et qu'il ne le peut sans l'aide du groupe ou d'autrui. Or, c'est justement l'aspect de maîtrise et de domination, et non la simple co-présence..., qui caractérise le processus d'influence. Ce processus tend vers un état que nous allons essayer de mieux cerner. Placés devant un objet ni trop complexe, ni trop simple, nous avons la possibilité de jugements à plusieurs niveaux et d'estimations très variées : une porte, par exemple, peut susciter toutes sortes de questions, quant à sa taille, sa couleur, la texture du bois.... avec toutes les nuances que cela suppose. Toutes les directions sont ouvertes, aucune ne prédominant a priori, et rien n'empêche de décrire ou de juger, à divers points de vue, les avantages et les inconvénients de cette porte. Il en va ainsi de toute stimulation émanant de l'environnement : diversité phénoménologique, faiblesse d'organisation. Toute orientation, toute conduite est donc difficile et exige un effort très grand. C'est pourquoi l'individu cherche à s'en libérer en sélectionnant, en éliminant certains aspects, élaborant ainsi une méthode qu'on attribue généralement aux attitudes psychologiques. Elles structurent les réponses de l'organisme, filtrent les informations qu'il possède, fixent les directions privilégiées qui rendront son comportement signifiant. S'il n'en était pas ainsi, l'organisme serait envahi par les stimulations et les informations venues de l'extérieur et serait incapable d'agir ou de se préparer à l'action. De la même façon, un individu, qui juge un objet ou une personne sous différents angles ou qui en évalue un grand nombre, se constitue une série de normes qui, d'une part, réduisent la variabilité de ses réponses, et d'autre part accentuent certains attributs de l'objet. Ainsi, avec le temps, le jugement se fixe sur tel ou tel critère. Mais parler de norme individuelle peut sembler surprenant quand on sait le sens purement social généralement attribué à ce mot. Oublions la métaphore et considérons l'individu comme une société de statuts, de rôles, de « moi », amenée à établir une règle à suivre en toutes circonstances. Un commerçant chrétien peut décider d'appliquer intégralement la norme qui interdit le vol, mais il peut aussi, tout en s'interdisant de voler l'argent d'autrui ou de tricher sur les poids, augmenter ses prix, ou tromper sur la qualité de ses produits, et considérer qu'il respecte la norme. Il peut encore refuser la norme : être honnête en tant que chrétien et voler en tant que commerçant. Mais utilisons autrement la métaphore et considérons un certain type de groupe assimilable à un individu : s'il se donne une norme sans l'intervention d'un autre groupe ou sans qu'il y ait de divergence interne, la [143] norme peut être considérée comme individuelle. Ceci donne à penser que la distinction entre norme individuelle et norme sociale est purement descriptive et anecdotique, et n'a aucune portée théorique : on peut aussi bien parler de l'une que de l'autre. L'important, c'est qu'elle réduit la variabilité de la réponse et manifeste la préférence du sujet : on parle alors d'une stabilisation de l'environnement. Elle rend le comportement de chacun prévisible : en effet, si l'individu peut prévoir quelle réponse de son répertoire il choisira face à tel objet ou à tel stimulus, il devient prévisible pour les autres. De même, le comportement des autres devient prévisible pour l'individu dans la mesure où il reconnaît l'existence de normes. Le professeur sait avant d'entrer dans une salle de classe que les élèves seront assis et non pas debout sur les chaises, le piéton sait que dans la rue les voitures roulent à droite... Dans la mesure où le rapport à autrui intervient au cours de cette stabilisation qui voit se constituer les règles rendant les conduites prédictibles, on peut dire que le processus d'influence contribue à structurer le champ social et à assurer l'invariance du comportement dans le cadre de celui-ci.

Pour résumer notre pensée de façon très générale en nous limitant à des notions très élémentaires, nous dirons que l'étude des processus d'influence implique d'une part que l'on passe d'une psychologie à deux termes à une psychologie à trois termes, d'autre part que l'on considère le mode de constitution des uniformités, des invariances, dans le champ des échanges interpersonnels ou sociaux, en vue de la maîtrise de l'environnement humain, social ou matériel. Insistons ici sur la portée de cette double perspective. S'agissant du passage d'une psychologie à deux termes à une psychologie à trois termes, nous avons dû suivre l'ordre usuellement retenu dans l'approche psychologique. Cet ordre traduit une conception du fonctionnement psychologique sur laquelle il y a lieu de s'interroger. Selon cette conception, le social, le relationnel sont des dimensions accessoires ou complémentaires des processus individuels, non relationnels, posés comme fondamentaux, élémentaires, et jusqu'à un certain point « naturels ». Dès lors le social apparaît comme une complication de l'individuel et l'on peut parler des jugements ou perceptions résultant d'une interaction comme de « déformations », d'« illusions », de « conventions », puisque le vrai, l'authentique, le nécessaire se révèle uniquement quand une personne juge ou perçoit seule. Une autre traduction de cette conception réside dans la hiérarchie établie entre les différentes psychologies : psychophysique, psychologie des facultés, psychologie de la personnalité, psychologie sociale. Mais la considération attentive des phénomènes psychologiques, en milieu social réel, incite à opérer un renversement du schéma traditionnel et à adopter un autre parti dans l'attaque de leur analyse : la situation d'interaction, de rapport à un autrui, effectivement ou symboliquement toujours présent dans le contact de l'homme à son univers de vie, est la situation normale, « naturelle ». L'individu seul n'est en fait qu'un individu isolé, tronqué, coupé du rapport aux autres, pour tout dire une abstraction. Le jugement et la perception en état de « solitude », pour être plus faciles à étudier, n'en [144] sont pas pour autant plus authentiques, vrais, ou nécessaires puisqu'ils sont élaborés dans des circonstances entièrement artificielles, et que les soi-disant « déformations », « illusions » ou « conventions » jouissent d'un degré de réalité. incontestable. Mais pour accepter ce point de vue, il faudrait que l'on accorde, dans les faits et non pour la forme, à la psychologie sociale d'être le fondement de toute psychologie et au phénomène d'influence d'être plus important du point de vue vital, adaptatif que la perception, le jugement et autres « facultés » classiques auxquelles on s'intéresse tant.

S'agissant des uniformités, des invariances réalisées dans le champ social par le biais de l'influence sociale, il faut écarter une conception fixiste où sont confondues, trop souvent et à tort, « uniformité » et « identité », « invariance » et « absence de changement ». Si certains processus de stabilisation, de « maintien de l'ordre » ressortissent à la pression ou l'influence sociale, celle-ci est aussi à l'œuvre dans les phénomènes de différenciation et de changement dans la mesure où ils obéissent à des actions organisées en vue de leur accomplissement. Le double aspect « statique » et « dynamique » de l'influence doit être souligné au départ de son analyse; nous y reviendrons. Enfin la notion de maîtrise, de domination nous paraît être fondamentale car elle seule permet de distinguer d'une part entre les interactions qui produisent de l'influence et celles qui concernent la résolution de problèmes, et d'autre part la recherche d'une association entre ego et alter en vue de provoquer un changement dans une direction souhaitée et l'établissement d'un simple lien coopératif ou compétitif.

Abordant maintenant l'examen des fonctions de l'influence, nous passons du domaine psychologique à celui de la sociologie car c'est la société, ce sont les groupes sociaux qui modulent ce phénomène, lui assignent ses buts, c'est-à-dire précisent son contenu.

On s'est d'abord intéressé à la formation des normes : Sherif, dont c'est l'objet de recherche essentiel, a voulu mettre en évidence l'intervention des normes dans les phénomènes perceptifs que l'on considérait, avant lui, comme relevant uniquement de la psychologie individuelle. Il a montré que des individus, placés dans une situation sociale où ils ont à juger un stimulus, tendent à constituer une norme commune, et que le jugement de l'individu placé ensuite dans une situation isolée reproduit en grande partie la norme commune. Nous examinerons plus loin la portée des études de Sherif; qu'il nous suffise pour l'instant de retenir sa conception de la formation des normes comme but de l'influence. Le fait est important puisqu'il permet, selon Sherif, de passer de la psychologie individuelle à de nombreux phénomènes sociaux.

La socialisation de l'individu constitue la deuxième fonction reconnue à l'influence. Il s'agit ici des raisons ou des circonstances qui permettent à l'individu de rechercher la présence d'autrui ou qui l'y obligent. Festinger a défini de cette manière l'intérêt porté aux phénomènes d'influence mais il ne s'en est pas occupé directement. Sa préoccupation se situe, ou plutôt se situait essentiellement dans le domaine de la comparaison sociale ou de [145] la communication. Toutefois sa perspective a inspiré trop de recherches pour qu'on la tienne sous silence. Léon Festinger constate que tout individu aspire à l'exactitude dans ses capacités ou dans ses jugements. Il est des cas où se trouve d'emblée garantie la correction des jugements formulés sur soi (on peut aisément mesurer certaines aptitudes physiques ou intellectuelles) ou sur l'environnement (un jet de pierres sur une vitre suffit à assurer que le verre se casse). Point n'est besoin alors de recourir à autrui pour s'en assurer. Par contre, certains types de jugements sont plus incertains : dans les jugements d'opinion, par exemple, la certitude des propositions que l'on est amené à émettre est délicate à établir; il se peut aussi que l'on doute de jugements portés sur un objet extérieur, faute d'informations suffisantes, ou d'instruments d'approche adéquats. Dans ces cas, l'individu est poussé à rechercher l'avis du groupe, à s'intégrer à l'unité sociale, à accepter ses conventions, qui sont pour lui autant de points de repère. D'où la nécessité de communiquer davantage avec ces « déviants » afin de les convaincre d'adhérer aux vues du groupe. On peut même considérer la société comme une immense machine à assimiler ou annuler les tendances non conformistes de manière à désamorcer toute possibilité de déséquilibre ou de conflit. Y contribuent toute éducation, toute institution politique.

La fonction de contrôle social résume en un sens toutes les autres. On estime à juste titre qu'un groupe, pour maintenir son intégrité, doit pouvoir canaliser, prévoir et accorder le comportement de ses membres. C'est pourquoi, au moyen de certaines conventions, règles ou sanctions, il fixe des limites à l'action de chacun et surveille celles-ci. Dans un sens, et plus directement, l'influence est un processus qui assure l'équilibre de l'ensemble social. Plus profondément, elle garantit même l'équilibre de l'individu que ne satisfait guère la solitude : l'isolement ou le manque de prise sur l'environnement le conduisent à souhaiter son intégration à la communauté humaine. On comprend alors que la psychologie sociale se soit penchée non sur la source d'influence et ses motivations mais sur les raisons qui poussent un individu ou un sous-groupe à être influencé. On peut répondre que l'individu, ne pouvant subsister seul, a besoin des autres. Mais si un groupe cherche à exercer un contrôle social, quelles sont les circonstances qui font accepter le contrôle par les individus ? La plupart des recherches des vingt dernières années se sont préoccupées exclusivement de l'analyse de ces circonstances, soit de la conformité et de ce qui la rend possible. Certes on a tenu compte des phénomènes de résistance aux pressions conformistes, de leur détournement par la « complaisance », - l'acceptation purement externe des opinions majoritaires - du contraste entre l'adhésion publique et l'adhésion privée aux normes, etc... Toutefois le contrôle social, la facilitation de celui-ci et ses limites demeurent au centre de la problématique. Les recherches les plus importantes là-dessus ont été celles d'Asch, de Deutsch et Gerard, de Kelley et de Milgram.

Une cinquième fonction de l'influence serait d'être un instrument d'échange. L'individu, dans son rapport avec autrui, cherche à attirer la [146] bienveillance de celui-ci. Certains individus, certains sous-groupes ont besoin d'être approuvés socialement. Un moyen d'obtenir l'approbation d'autrui, de retenir son attention ou d'entrer dans ses bonnes grâces, consiste à se laisser influencer par lui, à adhérer à ses opinions. La participation au processus d'influence répondrait donc à la nécessité affective de se trouver dans un contexte émotionnel avec ceux que nous valorisons ou ceux dont nous désirons la faveur. Cet aspect de l'influence a surtout été envisagé par Jones.

On peut objecter que ces fonctions sont redondantes et qu'elles renvoient les unes aux autres, mais la précision exigeait ce déploiement. Il nous permet d'examiner la problématique, les points saillants, l'angle d'attaque de recherches très différentes quant à un même processus. Plutôt qu'une redondance, il faut y voir une convergence vers le problème, le thème unique, l'objet véritable de l'étude sociale de l'influence. Ce qui importe est évident : c'est le rapport entre individu et société, entre les parties d'un groupe et l'ensemble de celui-ci. Pour ceux qui étudient l'influence, il s'agit de savoir comment l'individu vit en société, comment il recherche ou évite son contrôle, comment la société écarte le danger potentiel représenté par l'existence d'individus et de sousgroupes en évitant, prévenant ou assimilant les idiosyncrasies et les conflits latents : il leur faut découvrir les mécanismes qui permettent les actions, expliquer le comportement qui les accompagne et faire la taxinomie des situations et des comportements. Pour y arriver, ils sont tenus d'envisager le rapport de l'individu et de la société sous des angles différents, dans des contextes divers, d'où la multiplicité des fonctions mises à jour. En outre, des orientations normatives, éthiques et politiques sous-tendent leur démarche. Les prétendues objectivités ou froideur scientifiques sont subordonnées ici à bien des présupposés sur la nature humaine. Si certains recherchent essentiellement ce qui permet à la société de conserver son équilibre, de soumettre l'individu ou de l'aider à échapper à l'anxiété de l'isolement, d'autres veulent montrer que l'individu n'est pas un objet modelable et manipulable et explorent donc les voies de la résistance aux tentations et aux tentacules du conformisme.

5.1. Deux modèles du processus
d'influence sociale


5.1.1. Pourquoi commencer
par la présentation des modèles ?

Le processus d'influence sociale se manifeste à travers des phénomènes multiformes et souvent diffus dont l'abord n'est possible aux psychologues qu'en introduisant un ordre, en y opérant une sélection. Au cours de ce travail d'organisation, les chercheurs ont nécessairement recours à quelques principes généraux qui délimitent la région du réel sur laquelle leur intérêt se fixe. Pris ensemble, ces principes constituent une sorte de [147] modèle général qu'on ne saurait cependant considérer comme une théorie, dans la mesure où il peut s'étayer sur des théories différentes, voire contradictoires sans pour autant être remis en cause. On saisira mieux le rapport « modèle-théorie » auquel nous faisons allusion, en prenant l'exemple du modèle qui aborde le comportement comme réponse à un stimulus et se révèle susceptible de plusieurs traitements théoriques allant du behaviorisme à la psychologie de la forme. De manière analogue, le modèle du développement génétique - différent du précédent - ressortit à plusieurs théories : la théorie psychanalytique, celle du structuralisme génétique de Piaget, celle du développement de Wallon, etc...

Pour ce qui est de l'influence, les psychologues ont élaboré des modèles de ce genre que nous commencerons par exposer, car ils permettent de préciser l'orientation générale des approches qui déborde les phénomènes particuliers auxquels elles s'appliquent, comme d'élucider les problèmes qu'elles tentent de résoudre et les présupposés sociaux qui les justifient. Les diverses élaborations conceptuelles correspondant à ces modèles seront mentionnées chemin faisant de sorte qu'apparaissent en clair leurs déterminations par le cadre théorique dans lequel elles s'inscrivent. Eussions-nous limité notre examen à ces seules élaborations conceptuelles, leur fondement eût échappé au lecteur.

5.1.2. Le modèle de la réduction des incertitudes

La psychologie sociale moderne, édifiée principalement par nos collègues américains, a conçu le processus d'influence avant tout comme un processus de réduction des incertitudes. Ce faisant, elle s'est préoccupée de répondre à deux questions :

* comment et pourquoi un groupe cherche-t-il à imposer ses vues à un individu ou à un sous-groupe ?

* comment et pourquoi un individu (ou un sous-groupe) adopte-t-il les opinions de ses pairs (ou de son groupe) ?

Toute une série de propositions forment le contexte dans lequel on s'est efforcé d'éclaircir ces problèmes, propositions que nous allons examiner dans le détail.

5.1.2.1. L’INFLUENCE INTERVIENT DANS LES SITUATIONS D'INTERACTION SOCIALE MARQUÉES PAR L'ASYMÉTRIE DES PARTENAIRES. Les individus ou sous-groupes exerçant l'influence sont toujours vus comme appartenant à une majorité, représentant une autorité ou possédant une compétence supérieure à la moyenne. La minorité, l'individu ne sont envisagés qu'en tant que cible ou récepteur de l'influence. Cette direction privilégiée une fois postulée, il s'ensuit que seul le premier terme de l'échange est actif, le second se trouvant réduit à une passivité totale. Ainsi limité, l'individu (ou le sous-groupe) minoritaire ne semble avoir d'autres choix que l'acceptation ou le rejet de [148] ce qui lui est suggéré ou imposé par la majorité ; en cas de rejet, les seules positions qu'il est libre d'occuper dans le rapport social sont la déviance ou l'indépendance, assorties des sanctions d'isolement de la part du groupe ou de ses pairs. Eu égard aux exigences du groupe, la passivité, conformiste, prend une coloration positive et l'activité une coloration négative. Faute de se soumettre, le retrait, la résistance sont les seules issues permises, et non la remise en cause des prescriptions du groupe, la constitution de nouvelles normes.

5.1.2.2. LE BUT DE L'INFLUENCE EST, ESSENTIELLEMENT ET DANS TOUS LES CAS, L'ÉTABLISSEMENT ET LE RENFORCEMENT DU CONTRÔLE SOCIAL. En effet, on estime que c'est « seulement grâce à une forme ou une autre de contrôle social que les individus peuvent accomplir une action concertée ou constituer un groupe » (Hare, 1965, p. 23). Partant, toute l'attention des chercheurs va se localiser sur la manière dont les groupes préservent leur cohésion, et sur la manière dont la société préserve l'intégrité des leviers qui commandent le mouvement de convergence de ses parties vers des normes ou des opinions jugées légitimes ou de bon sens. L'orientation des attitudes et des comportements vers les positions qu'a adoptée la majorité ou l'autorité, grâce à ceux qui détiennent ressources et pouvoirs, devient alors le nerf de toute action collective. L'existence de divergences ou d'alternatives déviantes constitue, à cet égard, un obstacle. Dès lors que se manifestent, sous forme positive, des divergences ou des comportements déviants, des pressions pour les réduire, rétablir l'équilibre menacé se développent à leur tour. Par ailleurs, pour prévenir toute éclosion ou augmentation des incertitudes qui, dans le groupe seraient dues à une pluralité d'opinions ou à la présence de points de vue extrêmes, s'élabore un travail qui constamment résorbe le moindre signe de déviance. Les individus qui dirigent le groupe ont mission de définir la réalité valable pour tous, le caractère correct ou incorrect d'une pensée ou d'un acte, et d'exclure la possibilité d'une définition différente. L'établissement de l'équilibre d'une part, la résorption de la déviance de l'autre, sont les deux facettes du contrôle social, les origines des pressions qui s'exercent en vue de son maintien.

5.1.2.3. LES RAISONS POUR LESQUELLES ON EXERCE, RECHERCHE OU ACCEPTE L'INFLUENCE ONT TOUJOURS RAPPORT À L'INCERTITUDE. Pour le groupe, sa majorité, son leader, tout écart met en péril, comme nous venons de le voir, la cohérence des comportements qu'il prescrit, des normes qu'il édicte. L'influence vise à éliminer les incertitudes menaçant son identité, son intégrité. Pour l'individu ou la minorité, c'est son incapacité à déterminer les contours d'un objet, qui l'incite à s'appuyer sur l'avis de ses semblables. L'incertitude individuelle peut avoir une source interne ou une source externe. La première réside dans l'anxiété, le manque d'information, [149] d'expérience ou de confiance, etc... La seconde est fonction du degré d'ambiguïté de la réalité, des objets, des événements, etc...

Se fondant sur ces diverses descriptions de l'incertitude, on a tenu pour assuré et établi par de nombreuses démonstrations que :

a) la pression du groupe vers l'uniformité s'accroît proportionnellement aux divergences qui s'y manifestent;

b) le conformisme d'une personne est d'autant plus grand qu'elle est plus incertaine (par anxiété, manque d'information ou de confiance, etc ... );

c) l'influence exercée est d'autant plus efficace que le stimulus ou l'objet à propos duquel elle joue est moins structuré.

Ces processus s'expliquent par un mécanisme relativement simple en vue d'éviter l'incertitude inconfortable pour le fonctionnement individue1 ou collectif, les membres d'un groupe sont amenés à accueillir les informations fournies par autrui, agir conformément à ses indications, se soumettre à ses injonctions.

5.1.2.4. LES EFFETS DE L'INFLUENCE, LA DIRECTION DANS LAQUELLE LES INCERTITUDES SONT RÉSOLUES, SONT DÉTERMINÉES PAR LA DÉPENDANCE. Celle-ci est, pour employer un terme technique, la variable indépendante majeure ou la source de l'influence. Dans toutes les études connues, on a cherché à analyser son impact quantitatif ou qualitatif. L'importance accordée à la variable « dépendance » a ses raisons au plan de la théorie.

Considérer les phénomènes d'interaction du point de vue des normes qui s'en dégagent conduit à parler de dépendance. En effet, certains systèmes de comportement déterminent des réponses relativement analogues face à l'environnement physique et social. Cette unanimité confirmant les choix assure ainsi une réduction de l'anxiété latente et la cohésion du groupe, d'où le privilège dont jouit ce système de réponse. Il devient la norme qui sert à définir les types de sanctions nécessaires à la cohésion. Les membres du groupe qui ne partagent pas ce système de comportement - privilégié dans la mesure où il appartient à la majorité - ne peuvent alors plus modifier le consensus majoritaire ainsi constitué dans le sens de leur propre système de comportement. La norme acquiert une force coercitive qui raidit l'interaction par le simple mécanisme de sa validation. Cependant, lorsque la rigidité de la norme accentue la divergence des systèmes de comportement, les deux sous-groupes se trouvent dans une situation de tension intense, et la norme majoritaire tend implicitement à se définir en terme de normalité, tandis que le système de comportement minoritaire est considéré comme déviationniste. La dépendance des minoritaires s'explique alors par la tendance au maintien du statut. En effet, s'opposer à la norme peut exclure définitivement du groupe. Mais la minorité doit en même temps conserver l'intégrité de son système de comportement. On comprend alors aisément que la réduction de tension quant à la dépendance se situe seulement au niveau de la satisfaction d'une des tendances aux dépens de l'autre. Lorsque la norme [150] est trop rigide pour permettre la présence d'éléments déviants, les individus minoritaires doivent étouffer leurs besoins d'intégrité pour ne pas perdre l'approbation des autres. Parce que l'intensité du besoin d'approbation est en étroite relation d'une part avec l'importance du groupe (Festinger, 1952) et d'autre part avec la pertinence de ses objectifs (Schachter, 1951), la dépendance détermine l'intensité de la pression sociale. Lorsque les membres minoritaires sont placés dans une situation où l'approbation sociale est vitale, ils n'ont pas d'autre issue que la soumission à la norme. Nous sommes donc ici contraints d'analyser le processus d'uniformisation en terme de soumission à la pression sociale, ce qui a pour conséquence immédiate une focalisation conceptuelle sur le conflit intra individuel induit par la présence de deux besoins fondamentaux, d'où le schéma explicatif suivant (Fig. 3) :



Une autorégulation s'instaure au niveau de ce mécanisme dans la mesure où la soumission à la norme majoritaire a pour effet l'apparition de l'approbation sociale. La satisfaction de ce besoin réduit le conflit intra individuel tout en augmentant la dépendance de la minorité à l'égard de la majorité.

Les implications de ce schéma s'expliquent tout d'abord par l'analyse du processus d'uniformisation selon la conception traditionnelle du pouvoir. À la notion de dépendance, en effet, sont liés des concepts semblables à ceux qui ont permis d'expliquer les relations de domination :

Dépendance

Différences d'aptitudes;

Différences de statut dans le système social;

Degré d'anxiété, d'insécurité, d’incertitude;

Différences de légitimité;

Besoin d'approbation sociale;

Capacité différentielle de récompense et de sanction.


Ainsi attribue-t-on à la même source les effets dus à l'exercice de l'influence ou du pouvoir.

[151]

À travers cet ensemble de propositions on relèvera la tendance à supposer que toute forme d'influence conduit à la conformité et que celle-ci est le seul résultat des interactions sociales où se repèrent des processus d'influence. Cette manière de considérer les choses a plusieurs conséquences. D'une part, l'individu n'est pris en considération que pour autant qu'il s'efforce de répondre à des questions comme : « Devrais-je suivre le groupe ou rester sur ma position ? » « Comment éviter d'être en désaccord avec le groupe ? » « Quels avantages puis-je espérer du groupe ou du leader en contrepartie de ma soumission ? ». D'autre part, on ne cherche à élucider que les points suivants :

a) quelle est la nature des facteurs individuels et sociaux qui conduisent le déviant à céder aux pressions du groupe ?

b) quel est le rôle joué par les pressions à l'uniformité dans l'équilibre de l'individu et du groupe ?

c) de quelle manière le contenu ou la structure des normes ou des stimuli sociaux déterminent-ils le mouvement des membres du groupe vers la majorité ou l'autorité ?

En bref, l'ensemble du modèle est orienté vers la description et l'analyse de la conformité. En cela, nous avons pu dire qu'il y avait un biais et nous remarquerons au passage que ce biais, cette orientation privilégiée vers la conformité, est présente, de façon relativement générale, dans les constructions conceptuelles de la psychologie sociale.

5.1.3. À propos de quelques difficultés

Le modèle que l'on vient d'exposer a inspiré la plupart des recherches connues dans le domaine qui nous occupe. Il est en accord avec l'expérience commune et on ne voit pas comment il aurait pu être différent, étant donné les questions auxquelles il était censé répondre. Cependant, on se prend à douter de sa généralité, de la pertinence des questions posées, de son adéquation à la réalité, dès lors qu'on y regarde de plus près. Tout d'abord, il y a le fait que, dans la vie sociale, les individus, les sous-groupes se demandent comment faire pour inciter les groupes à suivre leur façon de voir et de se conduire, et essaient d'entraîner la majorité avec eux. Les modifications de normes et les innovations, dans de nombreux secteurs de la société, comme l'art, les sciences, l'économie, sont le résultat d'un travail d'influence, travail qui veut être efficace, même si les personnes, les sous-groupes qui l'accomplissent n'ont aucun avantage du point de vue du statut, de la compétence, etc... Bien plus, dans toutes les sociétés mais surtout dans celles qui sont animées par le changement, la déviance, l'exploration de nouvelles idées, de nouveaux procédés, est encouragée, malgré leur caractère menaçant; ils permettent aux membres du groupe de s'ouvrir une voie vers les ressources matérielles et spirituelles qui leur étaient refusées. Le modèle exposé plus haut exclut théoriquement toute possibilité d'étudier de tels phénomènes et procède [152] comme s'ils n'avaient aucune compétence ou n'existaient pas. Ensuite, il convient de reconsidérer l'importance accordée à l'incertitude. Si l'on s'en tient au schéma proposé, une personne accepte ou recherche les opinions des autres personnes ou du groupe, uniquement lorsqu'elle a des doutes concernant ses propres opinions ou lorsqu'elle a besoin de structurer un environnement relativement ambigu. Là encore, la perspective est unilatérale. De nombreux exemples dans l'histoire ou dans la vie quotidienne nous montrent que certaines personnes ou fractions d'un groupe recherchent le consensus social, l'adhésion des autres, parce que, au contraire, elles n'ont aucun doute, parce qu'elles croient être dans le vrai et que cette vérité leur semble partagée, ou devoir l'être. Inversement, des personnes ou des fractions de groupe - et ceci est vrai en sciences, en art, en politique - même si elles ont des perspectives claires, des convictions enracinées, sont amenées à considérer, volontairement ou involontairement, les arguments ou les comportements qui leur sont opposés ou sont contraires aux leurs, etc... Certes, elles deviennent incertaines, mais l'incertitude, dans ce cas, n'est pas une donnée de départ, mais le résultat de l'influence exercée par les autres. Enfin, le choix de la dépendance en tant que source d'influence présente beaucoup d'inconvénients. Il élimine, nous venons de le voir, toute possibilité d'action sur le groupe émanant d'individus ou des sous-groupes, placés dans une situation défavorable du point de vue des sanctions, des récompenses, de l'autorité, etc... Ce qui est manifestement contraire à la réalité. Et l'histoire contemporaine nous a bien instruit sur ce chapitre, notamment dans l'université où les « minorités agissantes » ont eu le pas sur les « majorités silencieuses ». Mais même si on laisse cet aspect empirique de côté, on est en droit de se demander d'où vient cette dépendance, quelle est son origine. Prenons un exemple concret. Supposons une personne ou un groupe qui s'en rapportent à quelqu'un en tant qu'expert, en tant qu'autorité : un psychanalyste, un économiste, un psychologue expérimental, un musicien « pop », etc... Ils accordent beaucoup d'importance à son avis, son comportement et s'y conforment. Toutefois, avant de se soumettre à une telle relation de dépendance, la personne ou le groupe ont dû être persuadés que le psychanalyste est plus scientifique ou plus efficace que la psychiatrie classique, que la psychologie expérimentale est plus scientifique que la psychologie clinique, que la musique « pop » est plus en accord avec la sensibilité de l'époque que la musique de jazz, etc... En d'autres termes, pour qu'il y ait dépendance par rapport à une autorité ou une compétence, pour que celle-ci agisse, il est indispensable que la personne ou le groupe aient été influencés auparavant, par des moyens différents, sans le secours de celui avec qui s'établit la relation de dépendance. Or, il est impossible de considérer comme étant la cause d'un phénomène ce qui est, par ailleurs, son effet. Nous pourrions citer bien des exemples de ce type. Mais limitons-nous là pour dégager l'essentiel de notre démarche : la constatation que la dépendance ne peut recevoir le statut de facteur déterminant dans le processus d'influence et que, malgré les apparences, les preuves avancées en sa faveur ne présentent pas un caractère indiscutable. Arrivés là, il [153] reste à nous interroger sur un point : le bien-fondé de l'accent porté sur le conformisme. En effet, qu'on le veuille ou non, la psychologie sociale comme la plupart des sciences sociales, adhère à un credo commun : la conformité est une bonne chose, elle est facteur d'intégration pour la société et la personne. Force, énergies ont été dépensées pour découvrir les voies d'accès à cet état heureux. Maintes études empiriques et théoriques ont voulu démontrer que l'individu est incapable de vivre en paix sans consensus. Mais on n'a pas prouve que l'individu peut jouir indéfiniment de cette paix du consensus. Or, chacun sait que la conformité engendre l'ennui, la stéréotypie, la rigidité (Mandelbaum, 1963), la « morosité » dont parlait un premier ministre français. La norme majoritaire est ressentie comme violence par celui qui ne s'y soumet pas; elle représente une source de frustration pour celui qui s'y range trop fidèlement. La société, le groupe, nos semblables ont tendance à moins gratifier les actes de conformisme s'ils se répètent pour finir par considérer comme un devoir, une dette ce qui fut au départ apprécié comme digne d'estime, généreux, ou signe de bonne volonté. Le respect des règles se retourne contre l'individu qui en tire d'autant moins de satisfaction qu'il s'y plie plus scrupuleusement (Goulner, 1959). Il est dans l'évolution même des interactions conformistes de contraindre celui qui souhaite restaurer le niveau initial de sa satisfaction à abandonner les normes usuelles et rechercher de nouvelles normes. Loin d'être un élément de solidarité et d'équilibre psychologique, le conformisme s'avère, à long terme, être un facteur d'instabilité et de conflit (Littesnen, 1958/9). Dans cet éclairage, l'innovation devient un impératif pour la survie individuelle et collective.

Il eût donc fallu qu'approfondissant l'examen des manifestations de l'influence, on définisse aussi bien que le rôle légitime de la conformité, celui des processus d'interaction par lesquels le corps social se protège des effets néfastes de celle-ci. Mais une telle analyse ne pouvait intervenir tant qu'on adoptait, dans la saisie du phénomène, un cadre de référence étroit, faussé, comme nous l'avons souligné auparavant, par un biais privilégiant la dichotomie « conformité ou déviance ».

5.1.4. Les modèles de négociation des conflits

Tous ces doutes et ces réinterprétations des données empiriques nous invitent à abandonner l'hypothèse que la conformité est la condition de base de l'équilibre psychique et social aussi bien qu'à refuser l'identification du processus d'influence à un processus conduisant au conformisme. Nous sommes dès lors en situation d'esquisser les contours d'un modèle différent dont les présupposés fondamentaux seraient les suivants.

5.1.4.1. TOUS LES MEMBRES, DU SYSTÈME COLLECTIF DOIVENT ÊTRE CONSIDÉRÉS EN MÊME TEMPS EN TANT QU'« ÉMETTEURS » ET « RÉCEPTEURS » D'INFLUENCE. En d'autres termes, qu'ils soient majoritaires ou minoritaires, possèdent ou non de [154] l'autorité ou de la compétence, ils sont actifs, participent à l'établissement des normes, cherchent à modifier réciproquement leurs comportements et leurs opinions. Nous sommes ainsi amenés à répéter la conception de la déviance selon laquelle l'individu, le sous-groupe se trouve sous la domination absolue de la majorité, des détenteurs du pouvoir, dans une attitude de dépendance passive. Nous sommes également enclins à mettre en question l'assimilation de la majorité à la « normalité » et de la minorité à la « déviance ». Nous pouvons fort bien envisager des majorités « déviantes » et des minorités « conformistes ». N'est-ce pas le cas de nombreux groupes religieux ou politiques qui dans le cadre habituel de leur action s'écartent de ce qu'ils sont supposés faire et de ces minorités ou individus qui les rappellent à l'ordre, les incitent à l'orthodoxie. En tout cas, la conception que nous discutons se révèle partielle et unilatérale, puisqu'elle ne prend en considération que les minorités dépourvues de point de vue personnel, sans assurance, animées du désir d'être acceptées par les autres, intégrées dans leur communauté, et néglige les minorités et les individualités actives, fortes de leur bon droit, sûres de leurs vérités qu'elles veulent propager et faire pénétrer dans les vues et les normes du groupe, de la société globale. La vie politique, artistique et scientifique, les cas de réformes et de révolutions si nombreux dans la réalité et l'histoire seraient inconcevables sans l'intervention de ces minorités, de ces déviants que ne satisfont ni la dissidence ni la résistance pure et simple et qu'anime le désir de réaliser leurs idéaux, faire partager leurs systèmes de croyance et de pensée, lesquels interviennent dès lors comme des alternatives aux systèmes existants. Les majorités elles-mêmes ne laissent d'ailleurs pas de se demander, dans bien des circonstances, si les conceptions minoritaires ne favoriseraient pas l'évolution bénéfique du groupe. La symétrie des échanges d'influence est, au-delà des cas concrets, une exigence théorique de l'étude de phénomène.

5.1.4.2. Si le contrôle social est assurément un des buts de l'exercice de l'influence, qu'il ne soit pas le seul est chose évidente : le changement social est également un but important.

Quotidiennement, les partis politiques, les organisations culturelles et économiques, les individus entreprennent de modifier les codes sociaux, les conditions dans lesquelles nous vivons, pensons et agissons. Dans tous les cas, à travers des efforts isolés ou coordonnés, les agents sociaux, qu'ils soient ou non membres de la minorité, exercent une pression sur la société ou le groupe pour l'inciter à se transformer; ils font également pression sur chaque individu en l'enjoignant de se rallier à un nouveau mouvement intellectuel, politique ou même simplement à une mode. L'innovation s'épanouit dans une atmosphère empreinte de son attente. La nouveauté a plus de chance de prendre place si elle correspond à une aspiration des membres de la société que si elle surgit de façon inopinée et sans signes avant-coureurs... Il existe d'ailleurs dans certaines sociétés une tradition d'attente du changement (Barnett, 1953, p. 56). Le renouvellement des normes et des institutions sociales entraîne une refonte des relations [155] interindividuelles et concurremment une émergence de nouvelles modalités d'action, de communication et même de nouveaux leaders. Point n'est besoin d'insister là-dessus pour démontrer que ce changement social est autant une fonction de l'influence que ne l'est le contrôle social et qu'à côté de la conformité, l'innovation doit entrer comme un élément essentiel dans notre cadre d'analyse.

5.1.4.3. LE STYLE DE COMPORTEMENT DE CELUI QUI PROPOSE UNE NORME A UN GROUPE, LUI OFFRE LA SOLUTION D'UN PROBLÈME ET LA SOURCE PRINCIPALE DE RÉUSSITE DANS L'ÉCHANGE D'INFLUENCE. En d'autres termes, ce n'est pas à l'autorité, la majorité, la compétence ou toute forme de dépendance que l'on doit attribuer la modification du champ psychosocial, la convergence des opinions, mais à l'organisation, à la « rhétorique » du comportement, pour ainsi dire. Sa signification jouerait un rôle décisif pour les partenaires de l'échange social, en particulier pour ce qui est de la consistance du comportement qui, ressentie comme un indice de certitude, comme l'expression de la décision de s'en tenir à un point de vue, de l'engagement dans un choix cohérent, a une force d'impact que l'on ne peut rapporter ni à une différence d'aptitude ni à une dépendance explicite. Les causes de l'impact de ce style de comportement particulier sont repérables dans le rapport entre les processus d'influence et la maîtrise de l'environnement, maîtrise qui pourrait être associée aux phénomènes d'attribution. Il nous faut supposer que chaque individu ou chaque groupe, pour garder l'emprise sur l'environnement matériel et social, l'organise et assure la connaissance qu'il en a. Dans cette entreprise, l'individu et le groupe s'adaptent à la réalité, font des prédictions à son propos, et contrôlent leur devenir en distinguant les conduites ou les événements variables, éphémères de leur fondement invariable et permanent; il introduit des séquences causales, temporelles là où tout pourrait sembler fortuit et arbitraire. Quand nous rencontrons quelqu'un, nous n'avons d'autres moyens pour communiquer et nous conduire avec lui efficacement que d'extraire d'innombrables impressions quelques traits dominants comme des intentions, des sentiments, des catégories d'appartenance, des aptitudes, etc... De même les objets donnent-ils lieu à des opérations similaires de comparaison, de classification, sélection des stimulations qui servent à caractériser des dimensions telles que taille, couleur, vitesse ou valeur d'usage. Que nous ayons à faire à des personnes ou à des objets, il faut que s'engage un processus d'inférence ou de perception des dispositions ou des propriétés de notre univers de vie. Heider (1958) a défini les conditions qui permettent cette différenciation du champ social et physique; il décrit ainsi la manière dont la personne l'arme de traits et dimensions stables quand elle doit affronter les entités (personnes ou objets) qui le meublent :

a) la présence supposée d'une cause entraîne la discrimination de l'existence d'un effet ; son absence celle de l'inexistence du dit effet;

[156]

b) la réaction à cet effet, produit par une personne ou un objet, quelle que forme qu'il prenne, reste identique;

c) pour un même effet, la réponse donnée est en accord avec celles des autres personnes, dans les mêmes circonstances.

En bref, la présence d'un caractère distinctif, la consistance à travers le temps et les modalités d'apparition, le consensus sont les quatre critères qui autorisent la séparation des propriétés phénotypiques et génotypiques et la validation des informations enregistrées à leur propos (Kelley, 1957). Allons plus loin : on remarquera que la consistance joue un rôle décisif dans le processus de découverte et d'organisation des informations fournies par l'environnement. Ce rôle correspond soit à une consistance interne, intra individuelle (consistance à travers le temps et les modalités dans le langage heiderien) soit à une consistance externe, interindividuelle, sociale (le consensus). Il ne fait pas de doute que nous sommes en présence de deux éclairages d'une même chose, car la consistance à travers le temps et les modalités est une sorte de consensus que chacun établit entre ses divers actes cognitifs et le consensus une forme de consistance imposée ou souhaitée entre des jugements ou des opinions exprimés par différents individus. Chacune de ces consistances réduit la variabilité des réponses. Cette réduction est l'indicateur le plus courant et le plus visible d'un modèle de conduite grâce auquel se dégagent les propriétés pertinentes, et sont validées les dimensions invariables de l'environnement et les normes qui règlent notre conduite à son égard. Du moins telle est l'impression produite par la réduction de la variabilité et la signification qu'il a pour nous.

Les résultats des expériences de Asch confirment pleinement ces conjectures. Ils montrent effectivement que ce n'est pas le nombre, la majorité qui expliquent le conformisme de l'individu minoritaire, mais la consistance des réponses du groupe. La substitution du style du comportement à la dépendance en tant que source d'influence conduit à deux séries de conséquences. En premier lieu, et c'est la conséquence la plus évidente, une minorité, un individu ou un sous-groupe, peut modifier les opinions ou les normes d'un groupe, d'une majorité, quel que soit son statut social, pourvu que, toutes choses étant égales par ailleurs, l'organisation de ses actions, de l'expression de ses opinions et ses jugements obéisse aux règles que l'on vient d'exposer. La deuxième conséquence ressortit davantage au niveau conceptuel. Dans le modèle prédominant actuellement, les variables auxquelles on a recours - toutes liées à la dépendance - sont des variables instrumentales, soit parce qu'elles se réfèrent à un état objectif - anxiété, pouvoir, affiliation - soit parce qu'elles établissent un rapport direct entre le stimulus et la réponse. Le style du comportement peut sembler, par certains côtés, appartenir à une famille de variables instrumentales : la définition que nous venons de donner de sa consistance en fournit l'exemple. Toutefois, nous ne nous sommes pas contentés de remplacer, dans l'analyse du processus d'influence, une série de variables instrumentales par une autre, nous avons [157] surtout substitué à leur dimension instrumentale une dimension symbolique. La signification qu'un système de comportement revêt aux yeux des partenaires sociaux est en effet décisive; elle a plus de poids que l'information échangée à propos de paramètres physiques de la situation d'interaction. Nous pouvons nous en convaincre en nous rapportant à une expérience de Serge Moscovici et Patricia Nève (1971).

Dans la vie courante, il n'est pas rare d'observer qu'une personne adhère plus fortement aux idées ou aux opinions avancées par une autre quand celle-ci se trouve absente; de même, dans le domaine des idées nouvelles, on peut constater bien souvent que les novateurs n'ont un impact réel et n'exercent une influence décisive qu'après leur mort. Jusqu'à ce jour, des phénomènes si généraux n'ont, semble-t-il, pas été étudiés et ils n'ont de ce fait pas été expliqués. A priori, il semble ressortir de ces observations que la fixation à ses propres jugements ou opinions est attachée à l'éventualité de devenir ou de paraître dépendant d'autrui; par contre, quand ce risque est écarté, quand autrui s'absente, on peut plus librement disposer des jugements ou opinions qu'il avait émis.

Supposons en effet qu'une personne se soit formé une opinion ou un jugement à propos d'un objet ou d'un stimulus. Elle s'attendra normalement à ce que toute autre personne ait à propos de cet objet ou stimulus des jugements similaires. S'il n'en est pas ainsi, si cette autre personne exprime un point de vue divergent, alors un conflit naîtra. Il revêtira une signification particulière et sera d'autant plus intense que ce point de vue divergent sera soutenu de manière consistante. En fait ce conflit présente deux aspects, cognitif et interpersonnel. D'une part, l'existence de deux réponses divergentes à propos d'un même objet ou d'une même réalité est peu soutenable; il crée donc chez le sujet une incertitude sur la validité de ses propres réponses, d'autre part, chacune des réponses est marquée socialement comme « propre » et « étrangère ». Au cours de l'interaction, les jugements émis de part et d'autre ne sont pas purement et simplement des informations physiques, mais ils expriment dans leur dynamique chacune des parties en présence. Ce type de conflit s'intensifiera lorsque le partenaire se maintiendra fermement à sa position, semblera affirmer son individualité et ne faire aucune concession, c'est-à-dire restera consistant. Au niveau cognitif, le sujet a la possibilité de résoudre son incertitude en tendant vers la position de l'autre; cependant, le conflit qui existe au niveau interpersonnel et qui s'intensifie à mesure que l'interaction se déroule, vient contrecarrer cette tendance, car la consistance du partenaire apporte une dimension manifeste, une volonté de ne rien concéder. Adopter son opinion signifierait alors lui céder, être influencé. Dans ces conditions, la seule issue, qui reste au fur et à mesure que l'interaction se déroule, c'est de rester fixé à sa position, d'essayer d'en accentuer les écarts, de polariser. Le conflit interpersonnel est de la sorte résolu, chacun a ses propres réponses et les différences de jugements peuvent être justifiées comme parfaitement arbitraires. Par contre, si au cours de ce type d'interaction, le partenaire vient à s'absenter, alors le sujet se sentira plus libre d'accepter ses jugements ou opinions. Par rapport à la situation [158] précédente, marquée par le conflit interpersonnel, le conflit cognitif est ici prévalent puisqu'il existe toujours deux réponses divergentes pour un même objet. Mais cette fois, les réponses de l'autre peuvent être prises en compte par le sujet du fait qu'elles ne sont plus attachées à un autrui; elles revêtent un caractère plus « objectif ». Dans ces conditions, l'autre n'a plus de raisons d'apparaître au sujet comme un agent d'influence auquel il faut résister; il devient un informateur potentiel : tenir compte de ses jugements ne peut plus apparaître comme une soumission ou un indice d'incompétence. Les observations et les remarques précédentes ont conduit les auteurs à réaliser une expérience afin de les confirmer. Ils ont montré que, si un agent d'influence, qui exprime un point de vue divergent de manière consistante reste présent pendant toute l'interaction, le sujet aura alors tendance à s'en éloigner, à polariser et à se considérer comme une cible d'influence; par contre, si cet agent d'influence s'absente, le sujet aura tendance à se rapprocher de sa position et à la considérer comme une information.

Les sujets devaient estimer le déplacement d'un point lumineux, selon le dispositif classiquement utilisé par Sherif : ils sont plongés dans l'obscurité la plus complète, sans aucun repère perceptif possible. Une lumière s'allume durant quelques secondes, à une distance de quelques mètres. Le point lumineux est immobile, mais en fonction d'une illusion d'optique : l'effet autocinétique, le sujet a l'impression qu'il se déplace. Chaque sujet passait l'expérience en compagnie d'un compère. Après une courte phase de familiarisation avec la tâche, dans une première phase expérimentale, les sujets naïfs et les compères donnaient individuellement et par écrit vingt-cinq évaluations. Au cours de la seconde phase, la phase d'influence, les sujets inscrivaient et communiquaient oralement leurs évaluations, durant cinquante essais. Alors que le sujet naïf parlait toujours le premier, le compère donnait systématiquement des jugements plus élevés, entre dix et quinze centimètres, suivant un ordre aléatoire. La manipulation centrale portait, au niveau de la troisième phase, sur le retrait de la source d'influence : dans les groupes expérimentaux, au quarantième essai de la seconde phase un appel fictif par interphone permettait au compère de quitter la salle, tandis que, dans le groupe témoin il y restait jusqu'à la fin de l'expérience. Un questionnaire post-expérimental permettait de mettre en évidence les perceptions différentielles de la dépendance et de l'influence que nous nous attendions à trouver dans les deux conditions expérimentales.

Les résultats sont calculés d'une part au niveau des évaluations du déplacement du point lumineux, d'autre part au niveau des réponses au questionnaire post-expérimental. Ils confirment les prédictions quant à l'effet de la présence ou du retrait de la source d'influence.

D'une part, les évaluations fournies par le groupe témoin s'éloignent significativement plus de celles données par le compère au cours de la troisième phase que durant la seconde phase. Les sujets tendent donc à polariser du fait de la présence continue de l'autre. Pour le groupe expérimental, la tendance est inversée, le retrait du compère produit une [159] attraction vers ses réponses. Les évaluations sont donc plus proches de celles fournies par la source d'influence quand elle s'absente, et plus éloignées quand elle reste présente.

Les tableaux 1 et 2 résument les réactions à l'influence

TABLEAU 1
La phase 2 par rapport à la phase 1

Déplacement des sujets

s'approchent

s'éloignent

Total

Groupes expérimentaux

10

2

12

Groupes contrôles

11

1

12

21

3

24


TABLEAU II
La phase 3 par rapport à la phase 2

Déplacement des sujets

s'approchent

s'éloignent

Total

Groupes expérimentaux

10

2

12

Groupes contrôles

1

11

12

11

13

24


Réactions différentielles par rapport à la phase antérieure. Si la plupart des sujets ont tendance à se rapprocher du compère lors de la seconde phase, dans la phase suivante, c'est-à-dire, la phase critique, on note un comportement différentiel : tandis que dix sujets du groupe expérimental se rapprochent encore davantage, dix sujets du groupe contrôle s'en éloignent.

Ainsi, au niveau quantitatif, tous les résultats vont dans le même sens et corroborent largement l'hypothèse. Ces données sont par ailleurs confirmées par les résultats au questionnaire post-expérimental en ce qui  [160] concerne la divergence perçue des évaluations. De plus les résultats relatifs au degré de dépendance perçue aux intentions présumées de l'autre confirment les inférences des auteurs. Les sujets témoins ont effectivement tendance à percevoir une plus grande dépendance vis-à-vis de l'autre que les sujets expérimentaux. Enfin, le type d'intention attribuée à l'autre en tant que source d'influence diffère pour les deux groupes : les sujets témoins reconnaissent plus souvent que les sujets expérimentaux le fait d'avoir été influencés.

À la lumière de cette expérience et d'autres qui sont exposées dans ce chapitre, on voit que la signification, l'organisation du comportement qui le détermine apparaissent être les facteurs prépondérants aussi bien dans le maintien du contrôle social que dans le changement des normes, des attitudes ou des jugements collectifs.

5.1.4.4. LES PROCESSUS D'INFLUENCE ONT UNE RELATION DIRECTE AVEC LA PRODUCTION ET LA RÉSORPTION DES CONFLITS. En effet, toute personne ou fraction de groupe apporte dans l'interaction avec d'autres personnes ou fraction de groupe un système de valeurs et des réactions qui lui sont propres; elle dispose d'une latitude variable d'accepter le système de valeurs et les réactions de ses partenaires. La confrontation de ces systèmes qui se révèlent assez souvent incompatibles comporte le risque de paralyser très rapidement les relations dans la mesure où chaque partie tend à privilégier son mode de pensée, affirmer son propre point de vue face à ceux qui lui sont opposés. Le conflit consécutif à un tel affrontement signifierait dès lors la rupture des communications, l'isolement des participants et leur incapacité d'atteindre au but des échanges sociaux dans lesquels ils s'étaient engagés. Pour éviter pareille situation, ils sont contraints de tenter un réajustement du système des positions qui réduise, suspende ou résolve l'opposition. En fait, si le conflit semble à première vue un facteur de blocage, il induit nécessairement, à plus ou moins court terme, le changement. Mettre en présence des jugements ou des perceptions contradictoires suffit à provoquer l'incertitude, à semer le doute quant aux opinions les mieux établies. Point n'est besoin que l'objet soit ambigu, qu'une personne soit anxieuse pour que l'interrogation surgisse. En cet état, les écarts de jugement n'entrent pas seuls en jeu : l'absence de consensus est tout aussi critique. Qu'un des membres du groupe réponde de manière différente, adopte une conduite inédite et le groupe en entier se sent menacé. Les minorités n'ont certes pas beaucoup d'autorité et ne jouissent pas d'un statut élevé; elles possèdent cependant un pouvoir, à vrai dire, immense : celui de refuser ou nier le consensus social. Si elles l'utilisent sans qu'on puisse les exclure du groupe, comme c'est le plus souvent le cas, alors la table des valeurs communes perd de sa force et de sa légitimité, doit être remaniée selon des lignes nouvelles recevables par tous. La restauration du consensus intra ou interindividuel suppose une négociation entre les partis intéressés. Négociation et influence, dans la mesure où elles aboutissent à un résultat semblable, s'avèrent des phénomènes étroitement connectés. S'il en est ainsi, on doit [161] s'attendre à ce que chaque forme d'influence corresponde à une manière d'aborder le conflit social dont l'évolution suit une direction infléchie par la consistance du comportement (Fig. 4).



Pour n'être que brièvement esquissés, les contours de ce modèle manquent sans doute de fermeté. Bien plus, nous sommes contraints, dans le cadre d'un manuel, de passer sous silence nombre de ses implications. Nous voudrions cependant accorder la place qu'elle mérite à l'une d'entre elles, à savoir : le processus d'influence est susceptible d'apparaître sous diverses modalités qui sont, outre la conformité à laquelle on l'a trop souvent identifié, la normalisation et l'innovation. Chacune de trois modalités correspond à une manière de se situer à l'égard du conflit. La conformité vise la résolution du conflit, la normalisation son évitement, l'innovation sa création. Ces distingos nous aident à définir les tâches qui nous attendent. La théorie de l'influence ne saurait désormais se borner être à une théorie du comportement conformiste. Simon avait déjà montré en 1957 que la normalisation et la conformité devaient être distinguées et analysées indépendamment avant d'être intégrées dans une théorie. Faisant un examen systématique des hypothèses relatives aux pressions, à l'uniformité dans un groupe (Festinger, 1950), il concluait que ce dernier avait mélangé deux phénomènes distincts dont l'un se rapporte aux pressions à l'œuvre dans l'ensemble majoritaire (normalisation) et l'autre aux pressions qui s'exercent entre cet ensemble et le déviant (conformité). Il estimait qu'il fallait dégager un « modèle général implicite » intégrant ces deux phénomènes différents et leurs propriétés respectives. Pour qu'un tel « modèle » ait vraiment valeur générale, il doit pouvoir inclure un troisième cas spécifique. Ce cas spécifique devrait tenir compte des mécanismes d'innovation pour autant que la minorité est non seulement la cible de l'influence, mais aussi sa source. La marche qui reste à faire pour atteindre cet objectif est encore longue; il était important d'en dessiner clairement le tracé et de mesurer le chemin déjà parcouru dans ce sens.

[162]

5.2. Les trois modalités d'influence

5.2.1. Une recherche expérimentale
relative aux processus de normalisation


Afin de donner à l'analyse une résonance concrète, nous allons retracer une expérience qui appartient à la catégorie dite de dépendance à l'égard de l'environnement. La critique qui s'ensuivra tentera de reformuler la problématique dans le but de conformer l'analyse à la réalité des confits interindividuels.

5.2.1.1. L'EXPÉRIENCE. M. Sherif (1936, p. 2) pose le problème en soulignant que « tout groupe faisant preuve d'une certaine continuité possède un système d'attitudes, de valeurs, de lois et de normes qui régissent les relations entre les individus ».

Puisque le phénomène de système de référence semble général, Sherif en vient à se demander comment s'organisent les perceptions lorsque le point de référence est absent au niveau du champ de stimulation externe. Bien que l'élaboration d'une norme collective ait été au cœur de sa problématique, il fallait cependant déterminer préalablement des éléments de comparaison afin de dégager le mécanisme de normalisation. Aussi commence-t-il par étudier les réactions individuelles face à une situation ambiguë [1]. De nombreux résultats semblent indiquer que l'individu isolé établit alors un point de référence subjective ou interne. Mais que devient alors cette norme interne lorsque l'individu est confronté à d'autres personnes dans la même situation ambiguë ?

- Les individus conservent-ils leur propre norme subjective ou élaborent-ils une référence collective ?

- La norme collective, si elle se dégage, sera-t-elle la spécificité du groupe ou le reflet des caractéristiques de l'environnement ?

La problématique ainsi définie implique l'utilisation d'une situation expérimentale qui puisse être structurée de multiples façons par les individus. Dans le cas où le champ de stimulation externe est bien structuré, les caractéristiques du principe d'organisation sont déterminées par les facteurs propres à la situation externe. Par contre, écrit Sherif, lorsqu'il en est autrement « ... les facteurs internes jouent un rôle dominant dans ce processus d'organisation...; structuré ou non, le champ de stimulation externe est organisé en structures définies (patterns) ». Afin d'analyser l'intervention, lors d'une situation de groupe, de ces facteurs internes propres à l'individu, Sherif a l'idée d'utiliser le phénomène autocinétique, bien connu des astronomes qui avaient noté le mouvement apparent des étoiles lorsque l'observateur n'a qu'un ciel noir comme point de référence perceptive.

[163]

* La situation expérimentale. Les sujets de l'expérience, assis sur des tabourets, sont placés dans une pièce obscure (Fig. 5). À cinq mètres en face d'eux apparaît un point lumineux - une boîte contenant une ampoule de faible intensité a été percée d'un trou de la grosseur d'une tête d'épingle - immobile. Les sujets perçoivent rapidement, du fait de l'absence de référence objective, un mouvement erratique dont l'amplitude dépend de la durée du stimulus. Presque tous voient le point se déplacer.



* La procédure expérimentale. Le plan expérimental propose par Sherif répond à un double impératif : observer d'abord comment les facteurs  sociaux affectent l'élaboration de la norme (en présence d'autres individus), puis comment ils déterminent l'organisation ultérieure de la situation lorsque les individus sont isolés, ce qui exige donc deux conditions expérimentales.

a) Condition « sujet isolé - sujet en groupe ». On présente d'abord au sujet, seul avec l'expérimentateur, une série de 100 stimulations. Le point lumineux apparaît et le sujet déclenche le chronomètre dès qu'il perçoit le mouvement autocinétique. Deux secondes après le déclenchement du chronomètre, la stimulation cesse. Tous les sujets ayant subi isolément la même expérience sont ensuite mis en présence les uns des autres, situation sociale qui permet de détecter l'effet des facteurs sociaux, une fois établie la référence interne de chacun.

b) Condition « sujet en groupe - sujet isolé ». Ici, les deux phases de l'expérience précédente sont inversées, ce qui permet de déterminer dans quelle mesure la référence établie par les membres du groupe se maintient en tant que norme individuelle.

Les résultats de l'expérience a) indiquent nettement que les individus tendent à réduire les variations quand ils estiment le déplacement apparent du point lumineux : il se produit donc une normalisation subjective. Lorsque les sujets perçoivent un mouvement en l'absence de tout autre point de comparaison, ils établissent subjectivement une marge de variation et un point de référence (norme) à l'intérieur de cette marge qui diffèrent d'un sujet à un autre.

[164]

Il s'agit de savoir alors comment les individus vont concilier ces estimations différentes d'un même phénomène apparemment réel (le fait de l'illusion pose le problème de la validité de conclusions étendues aux situations sociales plus réelles au cours desquelles des processus de normalisation apparaissent). Les individus sont en effet placés dans une situation sociale où la consistance interindividuelle n'existe pas du fait de l'hétérogénéité des estimations relatives au déplacement du point lumineux. Cependant, il n'y a ni majorité, ni minorité a priori et l'incertitude à l'égard de la stimulation est importante. Le paradigme expérimental d'une telle situation peut donc être défini comme suit :

- il n'existe pas de norme collective préalable (si ce n'est le mouvement);
- il n'y a ni bonne ni mauvaise réponse, il n'y a pas de majorité;
- les sujets ne sont pas concernés par leurs estimations;
- l'environnement physique est ambigu.

On peut déduire des résultats obtenus : lorsque sont mis en présence des individus qui ont établi individuellement une norme subjective et une marge de variation, ces dernières tendent à converger.

Cette convergence est toutefois moins nette que dans la situation b) où la norme élaborée est le fait du groupe et sert de point de référence dans la phase isolée de l'expérience. Cette norme collective est stable (Fig. 6).



Sherif tire de ces résultats la conclusion qu'il existe une tendance générale à organiser notre expérience autour d'une référence. Il ajoute que [165] la pression sociale n'est pas mise en cause, mais que les individus dont la norme est trop divergente éprouvent une sensation d'insécurité et de déviance, d'où la tension que seule la modification de la norme pourra réduire.

5.2.1.2. TENTATIVE DE REFORMULATION DE L'ANALYSE : LA NÉGOCIATION. La formalisation des phénomènes observés tend à privilégier l'organisation structurée de l'environnement en tant que facteur explicatif. Le processus de réduction de l'hétérogénéité est donc appréhendé hors de la relation sociale, puisque la variabilité diminue même quand l'individu est isolé.

Aussi convient-il d'analyser ce mécanisme selon les principes que nous avons esquissés plus haut. Nous pouvons concevoir aisément en effet que l'individu ait besoin de confirmer sa norme subjective par le consensus, c'est-à-dire l'accord des autres dont il espère qu'ils feront la même estimation que lui, puisqu'ils sont censés avoir perçu le même mouvement. Or, l'hétérogénéité des estimations rend difficile l'établissement du consensus. La divergence des normes fait obstacle à l'élaboration du critère de consistance interindividuelle, essentiel au cours du processus d'attribution : les différents systèmes de comportement sont en conflit. Toutefois, aucun des sujets n'est fortement concerné par son système de réponse. D'autre part, nous avons vu que les modalités de résolution du conflit interindividuel dépendent des caractéristiques propres aux éléments conflictuels. Le processus de normalisation apparaît donc comme un mécanisme d'évitement du conflit : les individus n'étant pas engagés par leur système de réponse, les estimations convergent dans la mesure où la négociation instaurée n'a pas à privilégier une norme individuelle. La négociation évolue en fonction des concessions équivalentes et réciproques.

Cette conception des mécanismes en jeu, interdisant donc d'interpréter la normalisation comme issue d'une structure perceptive organisée, en fait « un mécanisme de négociation active conduisant à l'acceptation du plus petit dénominateur commun » (Moscovici, 1969).

5.2.2. L'influence sociale et les phénomènes
de majorité : conformisme


5.2.2.1. INFORMATION ET MAJORITÉ. Après avoir tenté de concevoir l'influence sociale en écartant la notion de dépendance, nous poursuivons notre analyse.

On. observe que nombre de situations sociales sont régies par une norme majoritaire et que les individus ont tendance à accepter le système de comportement qu'elle privilégie. La plupart des recherches entreprises ont assimilé les processus d'influence à ce mécanisme particulier et, centrées sur les facteurs qui nécessitent l'adaptation de la norme majoritaire, ont tenté de mettre en évidence les différentes modalités du mécanisme de conformité. Cette centration exclusive a introduit dans la recherche ce que l'on peut appeler un « biais de conformité ». Or, ce mécanisme suppose un [166] type de négociation possédant une spécificité qui le différencie de toute autre forme d'influence.

En outre, les expériences ont presque toujours eu trait à la perception. Dès lors, le matériel expérimental utilisé acquiert une signification pour les sujets par un processus qui tend à en déterminer les indices propres, lesquels doivent donc être réorganisés hors de l'ensemble complexe auquel ils appartiennent, pour que la situation devienne signifiante. Nous pouvons alors supposer que le rôle de l'information sera essentiel au cours de l'interaction. En effet, le processus d'attribution implique que les individus soient suffisamment informés pour pouvoir sélectionner les indices. L'ensemble des opérations de comparaison et de classification pourrait apparaître parfois insuffisant puisque l'incertitude quant aux caractéristiques stables de l'environnement n'est pas totalement réduite. Cependant, chaque individu, par son jugement au cours de l'expérience, donne une information relative à l'environnement. Or, nous savons que l'accord interindividuel caractérise essentiellement le mécanisme d'attribution. Aussi, face à une même situation, les sujets attendent-ils une information dont l'analogie avec celle de leur jugement valide ce dernier. Toute disparité au niveau des jugements est donc source d'informations conflictuelles qui interdisent l'élaboration de l'accord interindividuel, ce qui laisse présumer des tentatives de réduction du désaccord. Un processus d'information réciproque et implicite peut alors apparaître au cours de l'interaction et validera la réalité physique en constituant une réalité sociale. Dans ce cas, en effet, les individus ont tendance à définir les indices communs en tant que caractéristiques dominantes de l'environnement, et construisent ainsi une « réalité » permettant l'accord des jugements. Toutefois, il ne faut pas oublier que la réduction du conflit interindividuel repose sur une négociation. Si nous allons plus loin dans notre raisonnement, il nous faudra admettre que, si le processus d'influence repose sur un échange réciproque d'informations, l'information donnée par la majorité n'en est pas pour autant décisive et ne constitue donc pas une validation plus acceptable de la réalité que celle de la minorité. Il ressort de cette analyse que tout processus d'influence est censé se réduire à un mécanisme de normalisation dans lequel les individus élaborent une réalité sociale en confrontant toutes les informations.

Nous savons cependant que certains mécanismes d'influence sont loin de la normalisation : dans le cas de la soumission à la norme majoritaire, il n'y a pas réduction du conflit au « plus petit dénominateur commun » mais au contraire cristallisation autour de la norme majoritaire. Il faut donc rejeter l'hypothèse d'information réciproque au même titre que celle de dépendance.

Nous allons tenter d'analyser le processus d'information selon d'autres principes parce qu'il est un élément essentiel de la théorie de l'attribution. Nous savons que le consensus interindividuel contribue en grande partie à la validation sociale des caractéristiques de l'environnement. Si nous considérons l'information transmise, nous constatons [167] qu'elle varie moins, quant à ses modalités, d'un membre de la majorité à l'autre que dans la minorité. L'expérience quotidienne nous montre en effet que les minorités s'accordent rarement autour d'une thèse unique. Les minoritaires tendent au contraire à accentuer les écarts qui les différencient, fût-ce de la manière la plus subtile. Il n'en va pas de même pour la majorité dont le souci est l'efficacité maximum (il faut remarquer que la différenciation des thèses minoritaires est particulièrement évidente dans les relations politisées). On peut en conclure que la majorité connaît une certaine consistance interindividuelle dans les modalités de transmission de l'information, tandis qu'il semble y avoir hétérogénéité quant à la minorité. Dès lors, la « minorité considère le groupe à la fois comme une source de consensus et un moyen de réduire la variabilité » (Moscovici, 1969, p. 48), dans le cas où les individus sont confrontés à une même situation et ont donné préalablement des informations conflictuelles : « les jugements et opinions du groupe remplissent ce rôle et sont acceptables dans la mesure où ils sont consistants ». Nous pouvons supposer alors que le mécanisme de la négociation propre au processus de conformisme dépend de la consistance de l'information transmise par la majorité, ce qui interdit de concevoir le conformisme comme une pure soumission à la norme. Cependant la consistance interindividuelle de la majorité provoque un certain blocage des concessions au cours du processus de négociation. La minorité doit alors élaborer une stratégie qui tienne compte à la fois de la négociation et de la nécessité d'un accord interindividuel : la minorité « accepte » la norme de la majorité parce qu'elle est validée par la consistance interindividuelle de l'information.

5.2.2.2. UNE ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DU PROCESSUS DE CONFORMISME. La notion « d'information réciproque » [2] est issue de l'étude expérimentale qui a entrepris de mettre en évidence la confusion établie entre processus d'influence et conformisme, en proposant de distinguer l'influence normative de l'influence informative. Bien que cette distinction ne permette pas encore d'analyser les processus de négociation décrits plus haut, la notion de consistance interindividuelle devrait cependant s'expliciter au cours de l'exposé qui va suivre.

5.2.2.2 (1). L'expérience. M. Deutsch et B. Gerard (1955) remarquent que dans la plupart des expériences relatives au conformisme, les sujets ne savent pas explicitement qu'ils appartiennent à un groupe; « ... il faut (alors) admettre que, si l'influence du groupe intervient, cela ne se peut que de façon subtile et indirecte ». Ils proposent donc de distinguer deux formes d'influence sociale :

- L'influence normative vise la conformité aux attentes du groupe. Il s'agit des conduites, opinions et valeurs jugées acceptables par les membres du groupe, à propos desquelles ils espèrent un accord interindividuel. Il faut noter que leurs attentes - pas toujours explicites – [168] sont souvent définies par l'approbation sociale. Il apparaît alors un processus d'influence normative, dans la mesure où les individus se soumettent à des normes implicitement définies.

- L'influence informative amène les individus à considérer les jugements des autres en tant que véhicules d'une information relative à l'environnement. Les individus peuvent alors intégrer à leur jugement cette information en tant qu'élément pertinent, même si elle est en désaccord total avec les attentes du groupe, dans la mesure où elle constitue un éclairage nouveau et « instructif » de la réalité. On parle donc d'influence informative lorsque l'individu tient compte, dans son jugement ultérieur, de l'information transmise par les jugements de ses partenaires.

Bien qu'en rupture avec la sienne, l'opinion d'autrui apporte une information dont l'individu peut tenir compte en tant qu'évidence relative à l'environnement. Il faut donc distinguer des autres les phénomènes d'influence relevant de la dépendance interindividuelle. La problématique ainsi définie - proche du point de vue que nous avons adopté - a conduit les auteurs à établir un ensemble d'hypothèses dont certaines, situées dans la catégorie de la relation de pouvoir, font intervenir les concepts de dépendance, cohésion de groupe et incertitude. Elles ne sont cependant pas sans intérêt puisqu'elles visent à détecter les effets de l'influence informative.

* 5.2.2.2 (1-a) LES HYPOTHÈSES.

— L'influence normative sera d'autant plus nette que la cohésion du groupe sera plus grande.

- L'impact de l'influence normative sera d'autant plus petit que l'importance accordée au système de réponse personnel sera forte.

- Les individus seront d'autant plus sensibles à l'influence normative que leur incertitude sera grande.

- Les individus seront d'autant moins sensibles à l'influence normative qu'ils douteront de la valeur informative du jugement d'autrui.

Ces hypothèses tentent donc de cerner les modalités des deux mécanismes en jeu. Pour M. Deutsch et B. Gerard, tout se passe comme si l'adoption d'un système de réponse dépendait de pressions sociales propres au groupe ou de l'information reçue en tant que telle. Or, ni l'une ni l'autre ne sont en mesure de rendre compte de négociations dont nous pensons qu'elles constituent les mécanismes essentiels de l'influence sociale. En effet, quelle qu'en soit l'origine (normative ou informative), la pression sociale semble toujours proposer aux individus un seul mode de comportement qui consiste à intégrer les normes ou l'information. Dès lors, la minorité n'a que l'alternative de se soumettre ou de quitter le groupe. Cependant le processus d'influence doit évidemment être analysé à un autre niveau si l'on veut saisir l'ensemble des dimensions sous-jacentes. La distinction présentée ici ne s'écarte pas fondamentalement des modalités de ce processus, et tend donc à assimiler [169] toute tentative d'influence à un processus de soumission au cours duquel il ne semble pas y avoir de conflit entre les individus. En outre, l'analyse, montrant la relative neutralité des informations les unes par rapport aux autres, néglige les incompatibilités qui peuvent naître de leur rapprochement. Celles-ci sont en effet déterminantes dans la mesure où elles constituent le support du conflit interindividuel. Il est clair alors que le modèle d'analyse évoqué ne peut rendre compte des mécanismes de résolution du conflit. Ainsi, la formalisation de l'influence tend à laisser dans l'ombre un aspect important : les tentatives d'influence exercées au sein d'un groupe s'expriment dans une relation active qui fait intervenir chacun. Il est cependant essentiel de différencier la notion de soumission passive et celle de négociation active - (même si elles semblent se rejoindre dans leurs conséquences) -. La résolution du conflit interindividuel, dû à la présence de normes ou d'informations divergentes, détermine en effet l'apparition d'une négociation active qui concerne tous les membres du groupe. Nous sommes alors en mesure de considérer les différentes formes de réponse adoptées par les individus sans être contraints, en particulier, de concevoir la minorité comme soumise ou exclue. Enfin, la soumission passive à la norme majoritaire implique la stagnation du groupe. La réalité quotidienne nous apprend cependant que les normes évoluent, phénomène que le, mécanisme de négociation active permet d'appréhender, quelle qu'en soit l'origine.

* 5.2.2.2 (1-b) LA SITUATION EXPÉRIMENTALE.

— M. Deutsch et B. Gerard ont utilisé la situation expérimentale définie par A. E. Asch (Fig. 7) : les quatre sujets du groupe doivent désigner celle des trois lignes présentées qui est semblable à la ligne standard. Or trois sujets indiquent systématiquement la ligne qui est visiblement plus longue que la ligne standard : ce sont des compères. Le paradigme expérimental peut donc être défini comme suit.

- Il existe une seule réponse correcte.
- La norme majoritaire est constituée par les réponses fausses des compères.
- Le sujet naïf est seul, donc minoritaire.
- Le sujet naïf est confronté à deux informations incompatibles : celle du groupe et celle de la réalité perceptible.



[170]

* 5.2.2.2 (1-c) LA PROCÉDURE EXPÉRIMENTALE.

Un ensemble de conditions expérimentales sont définies afin de contrôler les différentes variables :

- condition 1 : face à face;

- condition 2 : anonymat; les sujets sont isolés dans des boxes munis de boutons lumineux qui font office de compères (appareil de Crutchfield);

- condition 3 : situation de groupe ; elle est semblable à l'anonymat, mais la possibilité d'une pression sociale est renforcée par l'indication d'une récompense attribuée aux cinq meilleurs groupes.

La transmission des réponses se fait selon plusieurs variantes :

- les réponses sont inscrites sur un papier et signées;

- les réponses sont inscrites sur un tableau lisible par tous (mais elles ne sont pas signées) et ne seront effacées qu'à la fin de l'expérience;

- les réponses sont inscrites sur une ardoise « magique » et effacées après chaque épreuve.

Enfin, l'incertitude quant aux réponses est estimée au moyen de deux modalités.

- Comparaison des lignes stimuli en présence de la ligne standard.
- Comparaison de mémoire, en l'absence de toute ligne.

Les résultats obtenus montrent que la cohésion du groupe, induite par la récompense, conduit les sujets naïfs à adopter la réponse fausse des compères et ceci d'autant plus nettement que les réponses sont incertaines (situation de mémoire). Dans la condition 2, l'adoption des réponses fausses est moins fréquente. L'implication née de l'inscription publique des réponses, incitant à adopter la réponse fausse des compères, semble équivaloir à une pression de groupe; cependant, il faut en distinguer deux dimensions : la première concerne la présence des autres membres tandis que la seconde réfère à l'implication due au propre système de comportement de l'individu. Dans l'un et l'autre cas, les individus sont soumis à une pression qui vise à uniformiser les comportements. L'implication, dans sa première dimension, conduit les individus à se conformer aux réponses données par les compères. La seconde dimension, par contre, induit un mécanisme de résistance aux réponses des compères : l'influence normative est exercée par les propres réponses du sujet naïf, qui est alors amené à se soumettre à son système et à maintenir la constance de ses estimations. Même si cette forme d'influence ne se distingue pas, dans ses modalités, de la pression de groupe, il importait de différencier, pour mieux les cerner, les notions de pression interne et de pression externe.

Enfin un résultat laisse présumer l'existence de l'influence informative : en effet, là où les sujets échappent le plus à la pression sociale (anonymat), on observe une soumission plus grande à la réponse majoritaire fausse que dans la situation contrôle (isolée). Deutsch et Gerard [171] en concluent qu'en l'absence de toute pression sociale il existe une influence : « Les informations fournies par les réponses des compères constituent une source de réalité confirmant les jugements. »

5.2.2.2 (2) Tentative de reformulation : la relation minorité/majorité. Ces conclusions ont l'intérêt de mettre en lumière la nécessité de distinguer l'influence sociale informative de l'influence déterminée par la relation de pouvoir. Cependant, elles n'ont pas exploité suffisamment cette rupture pour rendre compte de la totalité des phénomènes. Il convient donc de revenir sur les résultats obtenus afin de les analyser en fonction de ce que nous avons précédemment dégagé.

L'unanimité des réponses des sujets compères est un élément important dont la portée théorique n'a pas été soulignée par Deutsch et Gerard. En effet, il s'agit là d'une caractéristique essentielle du système de comportement de la majorité dans la mesure où il établit une consistance interindividuelle. Tout en proposant un consensus partiel, ce système de réponse permet une consistance intra individuelle importante puisque chaque compère choisit systématiquement la ligne la plus longue. Si nous tentons d'analyser les implications de ces caractéristiques selon les principes de la négociation sociale, nous pouvons alors comprendre les phénomènes dans leur ensemble. En effet, il ne faut pas considérer le sujet naïf en tant qu'élément passif soumis à la pression de la majorité, mais, au contraire, en tant que possédant un système de comportement qui lui est propre. L'influence sociale observée sera alors conçue comme le résultat de la confrontation active de deux systèmes de comportement antagonistes. Au cours de la négociation, les caractéristiques de chaque système de comportement déterminent les modalités du contrat social qui s'instaure entre tous les membres du groupe. La consistance interindividuelle des compères apparaît alors comme un facteur essentiel dans l'« adoption » de la réponse fausse par les sujets naïfs : elle bloque la négociation, justifiant ainsi cette « adoption ».

Avant de poursuivre, il faut signaler un deuxième élément important : Deutsch et Gerard constatent en effet qu'une pression sociale faible détermine moins de réponses conformistes. Ils en viennent à s'exprimer quantitativement et à associer le nombre d'erreurs à l'intensité de l'influence exercée. Ce point de vue rend suffisamment compte des différences fondamentales qui peuvent surgir entre les modes de conformisme. Nous venons en effet de voir que les deux systèmes de comportement possèdent des caractéristiques particulières. Il faut donc considérer la réduction du conflit en fonction de ces caractéristiques. Ainsi, le sujet naïf étant confronté à une majorité dont le système de comportement est validé par la consistance interindividuelle, la négociation implique le rejet de son propre système de comportement. Par contre, dans le cas des réponses anonymes, la négociation n'a plus la même signification : la réponse du sujet est inconnue des autres et ne peut donc créer de conflit au sens strict du mot. Il importe alors de concevoir les réponses fausses données par les sujets naïfs comme une « concession » et non une soumission. [172] Cette formulation du problème permet de comprendre les fluctuations du mécanisme de conformisme selon des concepts plus adéquats : chaque modalité du conflit interindividuel implique l'apparition de formes de négociation qui se différencient qualitativement les unes des autres. Les modifications relatives aux systèmes de comportement n'influent pas quantitativement sur le conformisme, mais produisent des formes de négociation qui sont différentes de par leur signification sociale et leurs modalités. Les résultats du groupe contrôle en offrent une preuve expérimentale : puisqu'il n'est pas en présence d'un système de comportement antagoniste, le sujet naïf isolé n'a aucune raison de se soumettre (de réduire un conflit qui n'existe pas). Il ne se soumet pas « moins »que les sujets en condition « anonymat », il ne peut ressentir la nécessité de négociation. L'expérience de Tudenham (1958) nous en fournit une seconde preuve : les sujets sont placés dans la même situation, mais les lignes à comparer sont au nombre de dix et leur longueur varie progressivement. Tudenham constate que les sujets naïfs ne répondent plus à la norme majoritaire mais choisissent au contraire une ligne stimulus qui concilie le système de réponse validé par la consistance interindividuelle de la majorité et leur propre système de réponse. La négociation entreprise alors n'induit pas « moins » de conformisme : ce sont les modalités du conflit qui créent un mécanisme de compromis.

L'analyse sous l'angle des modalités possibles de négociation des résultats obtenus par Deutsch et Gerard nous fait donc rejeter totalement l'interprétation, par la notion d'influence normative, des phénomènes observés, et conclure que la nature des mécanismes en jeu dépend des modalités de la relation majorité/minorité et non des pressions sociales attribuées au groupe ou à l'information. L'analyse de l'influence informative n'est pas assez profonde pour être exacte : le conformisme de la situation « anonymat » dépend en effet moins des informations en tant que telles que de la consistance interindividuelle de la majorité élaborée au travers d'un monde de réponse constant.

5.2.3. L'influence sociale
et les changements sociaux

5.3.3.1. LES PROCESSUS D'INNOVATION : PHÉNONIÈNES DE MINORITÉ. L'analyse intuitive de la stéréotypie des normes - nous l'avons vu rapidement - semble indiquer que les groupes sociaux ne proposent pas de norme unique. De très nombreux exemples montrent en effet que des normes nouvelles tendent à remplacer les anciennes. S'il ne semble pas contestable que l'on puisse attendre des modifications de la part des leaders de la majorité, il convient cependant de remarquer :

- la nécessité de se conformer aux attentes du groupe limite étroitement les leaders dans l'élaboration de nouvelles normes. Il est donc difficile de parler de « changement » dans la mesure où il n'y a pas rupture, d'où le paradoxe irréductible : le leader se doit d'être à la fois le plus conformiste et le plus déviant. Tout acte de leadership a en effet [173] comme préalable nécessaire l'acceptation des normes du groupe, ce qui impose au leader virtuel de répondre ultérieurement aux attentes de celui-ci pour justifier sa position. Mais, en même temps, il doit transgresser les lois de fonctionnement du groupe et rompre avec les systèmes de comportement privilégiés. Ainsi posée, la contradiction n'est pas simple à résoudre. En outre, le mécanisme propre à ces modifications repose sur le pouvoir, les aptitudes, la compétence, et le « crédit idiosyncrasique » (E. P. Hollander-1958-1960) du leader. Puisqu'il s'agit donc essentiellement d'un phénomène de pouvoir, il serait peu fructueux de concevoir les changements sociaux - qui relèvent de l'influence en tant que telle - par le biais de la relation de pouvoir;

- enfin, nous venons de le voir, toute modification implique que le leader - ou la majorité - s'écarte de la norme, du moins pour un temps, ce qui interdit définitivement d'interpréter ces phénomènes en termes de majorité et de pouvoir. S'éloigner de la norme majoritaire est en effet relativement incompatible avec le statut majoritaire.

Il nous faut donc cerner les mécanismes des changements sociaux en fonction des principes d'analyse propres à notre conceptualisation. Auparavant, cependant, il convient de se demander si ces mécanismes ne relèvent pas d'un simple apprentissage, bénéfique pour le groupe. Nous remarquons alors que changement - au sens strict où nous l'entendons - implique rupture. Il s'ensuit que de telles modifications sont en relation étroite avec la notion de déviance et qu'il ne peut s'agir d'un simple réajustement. En outre, cet état de rupture implique la présence d'un conflit, lequel est alors le résultat immédiat du renforcement de l'opposition du système de comportement propre à la majorité et de celui qui appartient à la minorité. Nous savons déjà que toute initiative de la part de la majorité s'inscrit dans la marge étroite des fluctuations acceptables de la norme majoritaire. La réduction du conflit en vue d'un changement social nécessite donc une négociation, favorable, non à la majorité, mais à la minorité.

La réalité quotidienne montre que les grandes modifications sociales sont le fruit d'écoles isolées ou d'innovateurs qui s'écartent de l'orthodoxie communément admise. Notre analyse doit cependant être menée plus avant : en effet, si le mécanisme de changement social semble être le fait des minorités et relever les phénomènes d'influence sociale, nous ne connaissons pas pour autant le rôle de la norme proposée activement par les minorités dans la réduction du conflit.

Selon notre formalisation du problème, les modalités de la négociation reposent sur les caractéristiques des systèmes de comportement antagonistes. La consistance interindividuelle entretenue par l'accord autour d'un système de réponse dominant constitue, dans une certaine mesure, le trait distinct du système de comportement majoritaire. Or, l'observation montre que les innovateurs qui proposent des normes aptes à modifier fondamentalement le champ psychologique du groupe, ont tendance à ne jamais modifier leur thèse. Cette persistance demande [174] à être soulignée, sans prétendre pour autant à l'évidence scientifique ; l'histoire en offre de nombreux exemples [3] dont le paradoxe dérive sans doute des modalités du phénomène de changement social en tant que rupture. En effet, cette persévérance à soutenir une thèse rejetée par la majorité semble correspondre à un comportement socialement aberrant - puisque l'individu se refuse ainsi tout échange social bénéfique - et en même temps socialement adapté - dans la mesure où il peut devenir le moteur d'un changement profond dans le champ psychologique des individus. Parler de changement interdit de considérer la consistance interindividuelle de la majorité en tant que facteur explicatif des changements. Nous pouvons alors supposer que la tendance à la répétition -caractéristique des minorités actives - est un facteur important dans l'analyse des processus de changement social, dans la mesure où elle crée une consistance intra individuelle propre à la minorité. Nous pouvons alors nous demander si la négociation nécessaire à la réduction du conflit majorité/minorité ne conduit pas nécessairement à un changement social. La consistance intra individuelle de la minorité bloque en effet la négociation - la minorité rejette la norme majoritaire - en même temps qu'elle valide la norme minoritaire - par la stabilité interne. Ainsi, nous pouvons penser que le type de négociation propre à l'innovation repose sur cette consistance intra individuelle, et de là qu'il est entièrement déterminé par le type de comportement de la minorité. Un comportement qui maintient la consistance intra individuelle est suscep-



[175]

tible défaire tomber les règles de la majorité. G. Lemaine et J. P. Desportes (1970) ont confirmé expérimentalement l'importance du comportement en tant que structure d'action : « Les sujets essaient d'instituer par négociation un contrat social... mais cette négociation est enracinée dans l'action. » Il convient donc de compléter notre schéma explicatif afin de rendre compte de l'ensemble des phénomènes d'influence au moyen des différentes modalités de négociation (Fig. 8).

5.2.3.2. DEUX RECHERCHES EXPÉRIMENTALES RELATIVES À L'INNOVATION.

5.2.3.2. (1) Un individu « minoritaire » face à une « majorité » unanime. Bien que cette expérience réalisée par S. E. Asch (1956) ait été analysée sous l'angle d'une conceptualisation inapte à la compréhension correcte des phénomènes, elle doit être présentée parce que son paradigme a servi à un grand nombre de recherches ultérieures.

* La situation expérimentale. On montre à des groupes de sept à neuf personnes des cartes sur lesquelles sont dessinées des lignes de longueur inégale. La ligne représentée sur la carte de gauche constitue la ligne standard. Celles de la carte de droite sont toutes inégales, une seule étant semblable à la ligne standard (A). (v. Fig. 7, p. 169).

Chaque fois qu'on leur présente une carte stimulus, les huit sujets doivent désigner, oralement et à tour de rôle, celle des lignes stimuli qui est égale à la ligne standard. Le premier sujet désigne la ligne B, le second et le troisième de même... jusqu'au septième, quand de toute évidence la réponse est fausse : ce sont les compères. Le sujet naïf, cependant, manifeste une anxiété de plus en plus grande. Asch signale l'activité importante des sujets naïfs au cours de l'expérience : ils se déplacent pour appréhender les objets sous le même angle que les compères, reviennent à leur place, hésitent longuement avant de faire leur choix... L'interview post-expérimentale a permis de relever certaines de leurs réflexions :

« ... Pourquoi le premier sujet dit-il ligne « » ? Elle est beaucoup trop longue. Je n'ai pas dû entendre correctement sa réponse. Le second sujet indique aussi la ligne « B » ! Que se passe-t-il ? Non, je n'ai pas dû bien entendre. Le troisième indique la ligne « B » ! Peut-être que je n'entends plus ? Bien, relaxons-nous un moment, il doit bien y avoir une explication... C'est mon tour, que vais-je dire maintenant ? Peut-être est-ce ma place qui entraîne une illusion d'optique ? Ils voient peut-être quelque chose que je ne vois pas ? Que vais-je dire, je sais que j'ai raison, mais si je ne dis par comme eux, ils vont croire que je fais une plaisanterie. Ceci est complètement fou. C'est mon tour, il vaut mieux que je dise ce que je vois. Ils vont certainement penser que je ne suis pas sérieux, mais que puis-je y faire ?... Mes mains commencent de trembler. Mais quelle importance, il ne s'agit que d'une expérience. Ils doivent avoir raison, mais comment puis-je répondre comme eux, [176] puisque je ne vois pas la même chose. J'avais toujours supposé voir les choses comme tout le monde, mais peut-être n'est-ce pas vrai... »

Cette anxiété s'explique par la présence d'un seul sujet naïf face à sept sujets compères. Le sujet naïf se trouve donc dans une situation de conflit intense due à la présence de deux forces antagonistes : d'une part, la consistance interindividuelle des compères - qui élaborent ainsi un consensus validant la « norme » de la majorité présente dans le laboratoire - et d'autre part, l'évidence perceptive du sujet naïf qui contredit la « norme » majoritaire. Asch, présumant que les sujets naïfs se soumettront à la pression sociale exercée par la majorité, l'interprète en termes de conformité : l'individu isolé accepte l'avis du groupe pratiquant le contrôle. Toutefois, la compréhension des mécanismes profonds échappe à l'hypothèse ainsi formulée, d'où la nécessité de poser le problème sous l'angle de la négociation. L'opposition des deux systèmes de comportement devrait être suivie d'une négociation en accord avec les caractéristiques de la relation majorité/minorité. Or, les conditions expérimentales définissent la consistance interindividuelle de la majorité. De là nous devons conclure que la négociation est susceptible de s'exprimer sous la forme d'un conformisme de la minorité à l'égard de la « norme » majoritaire, rejoignant ainsi Asch : « La majorité peut influencer la minorité même lorsqu'elle porte des jugements d'une incongruité flagrante avec la réalité physique. » Ceci n'est pas sans importance pour notre conception de l'influence, dans la mesure où l'accord social s'élabore indépendamment de la réalité objective et produit une réalité sociale à la seule fin de rétablir la consistance interindividuelle.

Cependant, examiné avec soin, le paradigme expérimental suggère plusieurs réflexions quant au mode de réponse des compères. En premier lieu, le fait de « percevoir » égales des lignes qui ne le sont pas (la consistance) ne constitue-t-il pas une forme de rupture ? Ce comportement est aberrant du point de vue des jugements habituels et il présente une nouvelle conception de la notion d'égalité.

Bien que le comportement aberrant et le comportement novateur ne soient pas toujours aussi nettement liés, il est clair que la nouvelle norme ainsi définie constitue à la fois une déstructuration du mode de pensée habituel et une perception novatrice. Toutefois, parce que cette nouvelle « norme » appartient à la majorité, nous sommes encore conduit à formaliser le processus d'innovation en nous référant à cette dernière.

Il ne faut pourtant pas oublier que le conflit interindividuel dépend d'une seconde force : l'évidence perceptive du sujet naïf. Ce dernier est apparemment isolé dans le laboratoire, mais ses réponses correspondent à la notion d'égalité unanimement reconnue. Dès lors, il faut concevoir la réponse du sujet naïf - la réponse correcte - en tant que véritable norme majoritaire, puisqu'elle correspond à celle qui serait donnée par « tout individu ». La collectivité latente et unanime, à laquelle le sujet naïf se réfère au cours des différentes estimations, transforme le monde de réponse

[177]

TABLEAU I
Les réponses de la majorité et les lignes stimuli
(extrait de E. E. Jones et H. B. Gerard, 1967)

Essais

Ligne standard
(en inches)

Choix de
la majorité

Longueur des Lignes (stimuli) (en inches)

1(n)

10

10

8,75        10          8

2(n)

2

2

2             1            1,5

3

3

3,75

3,75        4,75       3

4

5

4

5             4            6,5

5 (n)

4

4

3             5            4

6

3

4,25

3,75        4,35       3

7

8

6,75

6,25        8            6,75

8

5

6,5

5             4            6,5

9

8

6,25

6,25        8            6,75

10 (n)

10

10

8,75        10          8

11(n)

2

2

2             1,5         1

12

3

3,75

3,75        4,25       3

13

5

4

5             4            6,5

14 (n)

4

4

3             5            4

15

3

4,25

3,75        4,25       3

16

8

6,75

6,25        8            6,75

17

5

6,5

5             4            6,5

18

8

6,75

6,25        8            6,75


(n) =  essai neutre : les compères donnent la bonne réponse.


correcte en norme majoritaire, interdisant ainsi de comprendre comme tel le type de réponse des compères. Nous pouvons supposer que l'unanimité définie par la consistance interindividuelle est relativement moins prégnante que celle de la norme collective latente. Aussi convient-il de considérer les réponses des compères en tant que minoritaires, bien qu'ils soient majoritaires dans le laboratoire - (cette distinction de la majorité physique et de la majorité réelle, sans être tout à fait éclaircie, semble avoir des implications importantes quant à la formalisation des mécanismes d'influence) -. Ces deux questions, explicitées, remettent évidemment en cause les conclusions formulées par Asch : l'adoption de la réponse des compères ne peut plus être interprétée en tant que soumission à la norme majoritaire. En outre, la problématique de cette expérience doit être reconsidérée, puisque la tentative d'influence s'exprime par une déstructuration du mode de pensée habituel. L'opposition des deux systèmes [178] de comportement induit un conflit interindividuel dont nous pouvons alors penser qu'il sera résolu par le sujet naïf. Ainsi, les caractéristiques de la relation majorité/minorité seront déterminantes dans l'élaboration du contrat social. Les compères proposent un type de réponse qui définit à la fois une consistance interindividuelle - puisqu'ils choisissent tous la même ligne - et une consistance intra individuelle novatrice - puisqu'ils donnent, dans plus de 60% des cas, une réponse qi remet en cause le mode de perception habituel -. Ces deux formes de consistance bloquent la négociation entreprise par les membres du groupe puisque la réponse des compères n'en sera pas modifiée. En outre, la consistance interindividuelle ainsi définie valide le mode de perception minoritaire. Nous pouvons donc supposer que le contrat social sera favorable aux compères : si les sujets naïfs « acceptent » la réponse de ceux-ci, le résultat de la négociation constituera bien une innovation imputable à une minorité.

Dans ce cas, il faut reformuler les conclusions de Asch et affirmer une minorité consistante peut modifier une norme majoritaire.

Les résultats obtenus par Asch concordent avec cette thèse, puisque 32% des sujets naïfs donnent finalement une réponse qui correspond à la nouvelle conception de la notion d'égalité - (le pourcentage peut sembler faible; il constitue pourtant un résultat important et indiscutable. La simple adoption de la réponse fausse est à elle seule une preuve capitale du processus d'innovation) -. Sans préjuger de la constance d'un tel processus d'influence, il convient de souligner l'importance du type de comportement consistant de la minorité en tant que facteur essentiel au cours de la négociation sociale. Les recherches de V. L. Allen et J. M. Levine (1968) prouvent expérimentalement cette conclusion. Asch avait en effet constaté que la présence d'un compère en désaccord avec les autres suffisait à réduire de 30% à 5% la fréquence des réponses fausses. Allen et Levine ont repris cette analyse afin d'expliciter ce phénomène de conformisme restreint (5%). Dans toutes leurs expériences, le consensus social des compères est rompu par la présence d'un compère « déviant ». Dans l'une d'elles, cependant, ce dernier donne la réponse correcte, apportant ainsi confirmation à la réponse du sujet naïf. Or, pour des stimuli analogues a ceux de Asch, la destruction du consensus des compères « réduit » le conformisme d'autant plus nettement que la réponse du compère « déviant » établit une consistance interindividuelle avec la réponse du sujet naïf. Les modalités de la relation majorité/minorité sont modifiées par l'apparition de cette nouvelle consistance majoritaire réelle et la négociation s'exprime par un compromis. Là encore, le conformisme n'est pas réduit quantitativement mais qualitativement : les sujets naïfs ne se montrent pas moins conformistes, ils choisissent une autre forme de négociation.

Asch (1956) offre une seconde preuve expérimentale du mécanisme de négociation lors du changement de code : il se sert du même paradigme expérimental pour faire varier le nombre des réponses incorrectes par rapport à celui des réponses neutres chez les compères dont il constate [179] que la consistance intra individuelle faiblit avec la diminution des réponses aberrantes. Il observe aussi que le sujet naïf répond moins incorrectement quand les réponses neutres augmentent.

TABLEAU II
Effet de la réduction de la consistance intra individuelle des compères

Réponses
incorrectes

Réponses
neutres

Fréquences de réponses
conformistes (en%)

6

1

53

2

1

36,8

1

1

38,6

1

4

26,2


(Les chiffres correspondant aux réponses incorrectes et neutres représentent les rapports de réponses correctes et de réponses neutres.)


La réduction du nombre de réponses conformistes s'explique parfaitement par référence à la formalisation du mécanisme d'innovation. L'inconsistance relative de la minorité (les compères) réduit en effet l'intensité du blocage de la négociation. La conception nouvelle de l'égalité est validée différemment, justifiant relativement le système de réponse du sujet naïf. Là encore, les modalités de la relation majorité/minorité sont décisives : la réduction de l'intensité du conflit peut permettre des réponses-compromis.

5.2-3.2 (2) Un processus d'innovation : changement de code culturel. S. Moscovici, E. Lage et M. Naffrechoux (1969) ont vérifié expérimentalement cette analyse des processus d'influence exercés par les minorités actives, en utilisant le paradigme issu de la reformulation des conclusions de Asch. Ainsi, le mécanisme d'innovation imputable à une minorité active est cerné plus directement puisque les compères sont effectivement minoritaires par leur nombre et innovateurs par leur mode de réponse.

- La procédure expérimentale. On informe les sujets (chaque groupe comprend six personnes dont deux compères) que l'expérience concerne la perception des couleurs. Les stimuli utilisés sont six diapositives de couleur uniformément bleue - (trois d'entre elles ont une intensité lumineuse réduite mais possèdent la même longueur d'onde que les trois autres) -. Les sujets doivent déterminer la couleur de chacune d'elles.

On soumet auparavant les sujets à un « test » de discrimination perceptive entre le vert et le bleu, afin de « détecter les sujets inaptes à [180] l'expérience ». En fait, cette phase pré-expérimentale est destinée à montrer aux sujets naïfs que les autres perçoivent correctement les couleurs. En effet, les compères y répondent comme les sujets naïfs conformément à la réalité objective des stimuli.

Au cours de l'expérience, les compères donneront invariablement la réponse « verte », rejoignant ainsi le mode de comportement des compères de Asch. En effet, une consistance interindividuelle s'établit entre les deux compères, menant à une nouvelle conception de la perception des couleurs : la norme proposée ainsi par les sujets minoritaires est novatrice dans la mesure où elle constitue une déstructuration du mode de perception. En outre, elle est effectivement minoritaire puisqu'il n'y a que deux compères pour quatre sujets naïfs. Enfin, le type de comportement de la minorité tend à valider le mode de perception de celle-ci puisque la consistance interindividuelle en dépend. En effet, les sujets minoritaires ne modifient jamais leur réponse malgré le désaccord flagrant de celle-ci avec la norme explicitement admise par les sujets naïfs. Cette consistance interindividuelle joue un rôle déterminant dans le processus d'attribution de constantes à l'environnement dans la mesure où elle permet l'organisation du champ selon un système signifiant cohérent.

- Le paradigme expérimental. La réponse consistante de la minorité - définissant un consensus inter - et intra individuel - s'opposant à l'évidence perceptive des sujets naïfs, crée un conflit interindividuel : le mode de perception de la minorité affaiblit celui de la majorité. En outre, la nature de la réponse ne peut relever de l'aptitude puisque tous les sujets ont « réussi » le test. Le mode de perception habituel constitue la norme majoritaire préalable.

- Les résultats. On constate 8,42% de réponses « vertes » parmi celles de 128 sujets. (Ce pourcentage peut sembler faible, mais l'aberration des réponses induit une déstructuration perceptive importante. Aussi ces résultats sont-ils essentiels, d'autant qu'ils traduisent assez correctement le mécanisme profond de l'innovation. En effet, une nouvelle norme a toujours peu d'adeptes au début.) Par contre, dans le groupe contrôle, un seul sujet naïf sur vingt-deux donne deux fois la réponse « verte » (Le test statistique du U de Mann Whitney indique une différence significative à P = 0,19).

Ces résultats montrent que le type de comportement définissant une consistance interindividuelle peut entraîner le rejet (partiel) d'une norme fortement validée par le consensus social : il s'agit donc bien d'un processus d'innovation. Quand on sait que la négociation dépend des caractéristiques du conflit interindividuel, on comprend que la majorité (les sujets naïfs), confrontée à une minorité dont le système de comportement est consistant, consente à la réponse novatrice afin de rétablir le consensus social. Cette formulation des mécanismes d'influence sociale rejette donc définitivement l'assimilation de l'influence sociale à un problème de pouvoir. Nous constatons en effet que la réduction d'un tel conflit se fait en faveur de la thèse proposée par la minorité. Or, cette dernière n'ayant [181] pas un statut de pouvoir, il faut interpréter le mécanisme de soumission des sujets naïfs sous d'autres dimensions. La consistance intra individuelle de la minorité définit un type de comportement actif dans la mesure où elle bloque la négociation. On comprend alors que le contrat puisse être établi en fonction de la réponse minoritaire, qui, bien qu'en contradiction avec le mode de perception habituel, est validée par la consistance intra individuelle. Elle acquiert ainsi virtuellement le statut de réponse perceptive plausible dont l'invariabilité intra individuelle confirme la signification sociale, en même temps que s'établit un renforcement du conflit interindividuel. La réponse des sujets naïfs doit alors être conçue comme une manière de réduire le conflit, soit un moyen de rétablir la consistance interindividuelle rompue par la présence d'une norme novatrice.

Les auteurs, cependant, supposent qu'un refus verbal de la norme novatrice ne traduit pas un effet nul de l'influence exercée par la minorité. Afin d'en déceler éventuellement l'acceptation latente, ils soumettent immédiatement les mêmes sujets à une seconde expérience. De surcroît, il est important de savoir si les sujets naïfs, qui ont changé de réponse verbale, ont aussi modifié leur code perceptif, afin de distinguer acceptation et soumission. Cette seconde expérience est censée concerner la fatigue visuelle. En réalité, on cherche à déterminer, en se servant de disques verts et bleus, où se situe le seuil de discrimination entre les deux couleurs. (Certains disques sont ambigus.)



Cette expérience vise à détecter l'effet latent de l'influence minoritaire. Aussi relève-t-on le pourcentage des réponses « vertes » à chaque [182] présentation de disque - (on fait de même pour les réponses « bleues ») -. L'observation du graphique (Fig. 9) permet de constater une différence entre la courbe du groupe contrôle et celle du groupe expérimental. Ce dernier perçoit tous les disques comme ambigus, puisque aucun disque n'obtient 100% de réponses « vertes », alors que l'on peut considérer les disques 41, 42 et 43 comme verts (et les disques 54, 55 et 56 comme « bleus »). Il semble donc que la présence d'une norme minoritaire, innovatrice dans la mesure où elle propose une déstructuration du mode de perception habituel, augmente l'incertitude.

Afin de préciser l'analyse, les auteurs ont défini des seuils de discrimination perceptive tels que :

- 75%. des réponses soient « vertes » et 25%. « bleues »
- 50% - - 50%. -
- 25%. - - 75% -

Ces catégories permettent la détermination de niveaux chromatiques dont la valeur a été reportée dans le tableau (III). Ceux-ci correspondent aux zones que l'on peut considérer comme nettement vertes, ambiguës et nettement bleues.

TABLEAU III
Niveaux chromatiques correspondant aux seuils vert, ambigu, et bleu
(Le relevé a été effectué graphiquement à partir du graphique (Fig. 9 ))

Niveaux de discrimination de
la couleur verte à:

Groupe
expérimental

Groupe
contrôle

Valeurs et signification des T de Student
(épreuve unilatérale)

75%

46,84

46,15

1,68     P = 05

50%

48,03

47,39

1,78  - 02 < P < 05

25%

49,19

48,40

2,33  - 01 < P < 02


On observe que les sujets du groupe expérimental ont tendance à maintenir l'utilisation du code perceptif « vert ». En effet, ils donnent encore 75%. des réponses « vertes » au niveau chromatique 46,84, 50%, à 48,03 et 25%. à 49,19. Les seuils de discrimination du groupe contrôle sont, par contre, systématiquement situés à des niveaux chromatiques inférieurs. Nous pouvons supposer que les sujets, n'ayant été confrontés à aucune norme novatrice, perçoivent correctement la couleur. Le déplacement des [183] seuils de discrimination est donc le résultat de l'influence latente minoritaire. Il se fait même dans le sens présumé puisque les sujets perçoivent encore « vert » alors que les disques sont objectivement bleus : au niveau chromatique 48,40, il y a encore presque 45% de réponses « vertes » dans le groupe expérimental (25% dans le groupe contrôle). En outre, ce sont les sujets qui ont refusé la réponse « verte » au cours de la première expérience qui manifestent le déplacement de seuil le plus important.

Le type de comportement de la minorité est donc susceptible de changer le code culturel (parler de « changement » est quelque peu audacieux car les sujets se sont exprimés oralement : il se peut que les modifications ne soient que verbales et ne signifient pas une déstructuration du monde de perception). Cette vérification expérimentale du mécanisme d'innovation impose d'envisager l'influence comme une négociation sociale au sein de laquelle la relation majorité/minorité est décisive. Cependant, les résultats montrent clairement que les sujets ne possédant aucun pouvoir sont capables de tentatives d'influence. En outre, ils révèlent deux modalités particulières de réduction du conflit interindividuel. On constate que les sujets - considérés comme actifs au cours de l'interaction supposée par l'expérience - n'adoptent pas tous le même comportement à l'issue de la négociation sociale. L'acceptation explicite de la nouvelle norme proposée par la minorité et la modification des seuils perceptifs constituent donc deux formes de réaction à la tentative d'influence minoritaire. Elles ont été étudiées par S. Moscovici et C. Faucheux (1967-1969).

- L'acceptation explicite de la norme novatrice validée par le comportement consistant de la minorité résulte d'une négociation au cours de laquelle les sujets se rapprochent de la minorité.

- De même le rejet de la norme novatrice doit être compris comme le résultat d'une négociation. Toutefois, il s'agit alors d'un mode de réaction qui tend à renforcer la norme majoritaire : les sujets réduisent le conflit en persistant à répondre conformément à la norme majoritaire (polarisation), en dépit de la contradiction de la réponse avec leur code perceptif (ce qui est mis en évidence par le déplacement du seuil de discrimination). Moscovici et Faucheux soulignent donc la nécessité d'analyser les mécanismes d'influence sociale en tenant compte d'une part des modalités de la négociation, et d'autre part des modes de réaction à l'influence : approche, évitement, polarisation.

5.3.3.2 (3) Les mécanismes de l'influence sociale et le processus de catégorisation d'autrui. L'ensemble des résultats que nous venons de présenter nous permet de saisir l'importance de la notion de négociation interindividuelle pour l'élaboration d'une théorie de l'influence sociale. Elle suggère d'une façon implicite la nécessité d'analyser les processus d'influence sociale sur la base de la relation fonctionnelle qui existe entre d'une part les comportements interpersonnels et d'autre part l'ensemble des représentations concernant les individus. Nous devons en [184] effet concevoir ces représentations plus ou moins labiles comme les éléments essentiels à l'élaboration de l'interaction. A.M. Astorff S.A. Richardson et S.M. Dornbush (1958) soulignent l'importance théorique d'une analyse qui aurait pour but de préciser les conséquences des modes de catégorisation d'autrui au niveau de l'interaction.

Nous avons donc tenté de préciser de quelle façon le mode de catégorisation de la majorité à l'égard de la minorité, intervient au cours du processus d'influence sociale (Ph. Ricateau (1971). Les résultats obtenus au cours des recherches sur l'influence des minorités montrent de quelle façon celle-ci est étroitement dépendante des modalités de la négociation. Aussi, avons-nous de bonnes raisons de penser qu'une représentation différentielle de ces modalités pourrait induire des différences au niveau de l'influence exercée par la minorité. En particulier, nous pouvons supposer, dans un premier temps, que la façon dont les sujets majoritaires peuvent élaborer une représentation des comportements de blocage de la minorité pourrait être fondamentale au cours du processus d'influence.

- La procédure expérimentale. La population est constituée par 66 étudiants de psychologie 2e année. Ils ont pour tâche de discuter du cas d'un jeune criminel par groupes de 3 personnes afin de prendre la décision la plus juste à son égard. Les décisions sont prises sur la base d'une échelle de jugements comprenant 7 propositions ordonnées sur un continuum d'indulgence/sévérité. Dans chaque groupe de 3 personnes un sujet-compère choisit la proposition la plus sévère et défend son point de vue d'une façon consistante. Deux décisions individuelles sont prises au cours de l'expérience. La première s'effectue avant toute discussion, la seconde intervient après 30 minutes de discussion, réparties en 3 blocs de 10 minutes chacun.

Trois conditions expérimentales ont été définies en fonction du degré de monolithisme attaché au « mode d'appréhension d'autrui ». Ce dernier est induit au cours de la tâche par l'utilisation d'échelles de jugement concernant les autres membres du groupe. Le principe de ces échelles de jugement dérive du différenciateur sémantique (C.E. Osgood (1957)). Dans la première condition les sujets utilisent deux échelles de jugements; dans la deuxième condition ils en utilisent cinq; enfin dans la troisième condition ils en utilisent huit.

L'induction du « mode d'appréhension » a lieu au cours de la discussion. En effet, les sujets cessent de discuter toutes les dix minutes et remplissent alors les échelles dont le contenu n'est pas en rapport direct avec la discussion de cas. Cette activité de jugement a pour but d'induire un « mode d'appréhension » de telle façon que l'image d'autrui élaborée au cours de la discussion du cas, repose sur un nombre de dimensions variables. (Le nombre de dimensions utilisées, au cours de l'interaction proprement dite, pour catégoriser autrui n'est très certainement pas équivalent à 2, 5 ou 8. Mais nous pouvons supposer que l'image effectivement élaborée est d'autant plus monolithique que les sujets ont utilisé un nombre plus restreint d'échelles de jugement.) Une mesure indépendante [185] de l'induction est réalisée à la fin de la discussion à l'aide d'une liste de 100 mots parmi lesquels les sujets doivent choisir ceux qui caractérisent les autres membres du groupe.

- Le paradigme expérimental. Le conflit interindividuel est induit par la présence de deux types de décisions antagonistes : celle de la majorité reposant sur les propositions indulgentes et celle de la minorité consistante reposant sur la proposition la plus sévère.

Les différences du système de réponses de la minorité par rapport au système de réponses de la majorité sont imputables à des divergences d'opinions pour lesquelles il n'existe pas a priori de réponse correcte. Il existe une norme majoritaire tacite, tous les sujets vrais choisissant spontanément la zone des propositions indulgentes. Le comportement de la minorité tend à bloquer toute possibilité de négociation sous la forme de concessions réciproques, puisque le sujet-compère ne laisse jamais supposer qu'il peut changer d'opinion. Le « mode d'appréhension d'autrui » entraîne une représentation des comportements de la minorité selon un degré de monolithisme plus ou moins net.

- Les résultats. Nous avons observé dans toutes les conditions expérimentales des changements d'opinion. Cependant ces changements survenus entre la première et la seconde décision ne sont pas équivalents, puisque les sujets de la condition où le « mode d'appréhension d'autrui » est fortement monolithique (2 échelles) se sont significativement moins déplacés vers la zone d'opinion minoritaire que les sujets des conditions où le « mode d'appréhension » peut être considéré comme multidimensionnel (5 et 8 échelles).

TABLEAU IV
Indices des déplacements pondérés

Condition
I

Condition
II

Condition
III

0,57

40,76

45,00


La lecture du tableau (IV) montre qu'une minorité active peut exercer une influence sur une majorité et entraîner des changements d'opinions. Cependant, l'aspect essentiel de ces résultats réside surtout au niveau de la brusque rupture qui apparaît entre les conditions où le « mode d'appréhension » est multidimensionnel et la condition où il est monolithique. Dans la mesure où le résultat de la négociation active entreprise dépend des caractéristiques du conflit interindividuel, nous pouvons considérer que le mode de représentation de ces caractéristiques devient primordial. Afin d'expliciter la signification théorique d'une [186] telle proposition, nous avons tenté d'analyser la représentation de la majorité à l'égard de la minorité. En particulier, nous supposions que le degré de discrimination [4] affecté à cette image serait fonction du degré de monolithisme inhérent au « mode d'appréhension d'autrui ». Or, les résultats obtenus confirment cette attente. En effet le pourcentage moyen d'unités discriminatives choisies pour caractériser la minorité dans la condition I est de 17,43%, tandis que celui des sujets des conditions II et III est respectivement de 21,43%. et 22,50%.

Cependant l'analyse du degré de discrimination affecté à l'image de la minorité ne constitue pas, en tant que telle, une exploration explicative. Il convient donc de proposer une analyse détaillée de cette image. Aussi avons-nous procédé au relevé de la répartition des unités discriminatives choisies pour la minorité, en fonction de six dimensions définies au préalable au sein de la liste de choix.

TABLEAU V
Répartition des choix des unités discriminatives
concernant le sujet minoritaire

Dimensions

Condition
I

Condition
II

Condition
III

Personnalité…

37

28

43

Physiques…

34

23

36

Cognitives…

52

71

86

D’attitude…

27

24

29

Émotionnelles

53

30

49

De blocage de la relation

75

59

53


L'observation des résultats du tableau (V) montre que la répartition des choix n'est pas identique dans toutes les conditions. Il est particulièrement intéressant de souligner que les choix des sujets dont le « mode d'appréhension » est monolithique sont relativement plus nombreux sur la dimension relative aux caractéristiques de blocage de la négociation. En revanche, si les choix sur cette même dimension, pour les sujets des deux autres conditions, sont également nombreux, nous constatons que [187] les caractéristiques cognitives ont un poids important dans l'image qui s'est élaborée à l'égard de la minorité.

Bien que dans tous les cas le comportement du sujet minoritaire entraîne effectivement le blocage de la négociation, nous constatons que l'image concernant celui-ci n'est pas comparable du point de vue de ces caractéristiques. Or, le processus d'influence exercé par la minorité est une fonction inverse de l'importance relative de cette caractéristique au sein de l'image élaborée. Ainsi, une première analyse semblerait montrer que le style de comportement minoritaire entraînant un blocage de la négociation, s'il est fortement perçu par la majorité, réduit l'intensité de l'influence exercée.

Cependant, avant de retenir une telle conclusion, nous devons nous demander si la saillance importante des caractéristiques de blocage au sein de l'image élaborée pour la minorité, ne modifie pas la signification sociale attribuée à ces comportements. En effet, nous constatons que les sujets ayant catégorisé autrui selon un « mode d'appréhension » multidimensionnel ont élaboré une image fortement saturée en caractéristiques cognitives, tout en conservant une certaine importance aux caractéristiques de blocage de la relation. Nous pouvons alors faire l'hypothèse que la signification sociale attribuée à cette dernière image de la minorité est plus différenciée que la première. Dès lors, nous pouvons supposer que l'image élaborée selon un « mode d'appréhension » multidimensionnel acquiert la signification effective d'une « minorité ferme et résolue ». En revanche, les sujets ayant élaboré une image de la minorité selon un « mode d'appréhension » monolithique ont catégorisé celle-ci en tant que minorité dogmatique.

Nous retiendrons donc que l'image de la minorité élaborée au cours de la négociation est essentielle pour le processus d'influence exercé par la minorité. Cette conclusion pose le problème de la relation majorité/ minorité en des termes différents dans la mesure où le système de représentation à l'égard de la minorité peut être considéré comme partie intégrante de la représentation de la relation elle-même.

5.3. Conclusion

Notre intention, au long de ce chapitre, a été non seulement de délimiter clairement les problèmes auxquels répond l'étude de l'influence sociale, mais également de faire ressortir les articulations théoriques à partir desquelles il devient possible de renouveler et d'enrichir l'approche d'un phénomène qui, fondamental dans la vie sociale, occupe une position clé dans la discipline. En particulier, nous avons voulu prévenir contre les limitations de la liaison trop étroite et unilatérale que d'aucuns ont été tentés d'établir entre influence d'une part, conformité et déviance de l'autre. Ainsi avons-nous entrepris de désigner quelques-uns des éléments conceptuels et expérimentaux susceptibles de faire progresser l'analyse de l'influence en ses diverses modalités : normalisation, conformité, [188] innovation. De même avons-nous été amenés à désigner pour l'influence une source qui, en dehors des attributs externes de son agent, possède un caractère de généralité suffisant; et nous pensons avoir démontré l'importance du style de comportement de ce point de vue.

La présentation de chacun de ces axes de réflexion a été assortie d'un survol des directions dans lesquelles sont engagés les travaux empiriques correspondants. Certes, bien des secteurs de recherches ont été passés sous silence, qu'il s'agisse du rôle des facteurs de personnalité, des problèmes dus à la complexité des stimuli ou des variations relatives à l'âge ou au sexe des personnes exerçant ou subissant l'influence. Nous n'avons pas non plus examiné les liens idéologiques, pourtant évidents, de ces études avec leur contexte social et historique particulier. Il nous fallait choisir, sans quoi ce chapitre serait devenu un livre dans un livre. Nous avons préféré nous en tenir à ce qui apportait quelque chose de neuf dans un domaine longtemps stabilisé, sinon sclérosé. Au moment où apparaissent des problèmes nouveaux d'un point de vue empirique et théorique, faire l'état d'une question en mouvement était prioritaire.

SERGE MOSCOVICI et PHILIPPE RICATEAU.


[189]

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[1] Selon la définition de FLAMENT C., 1959 a : un stimulus est ambigu si toutes les réponses possibles (à ce stimulus) peuvent apparaître avec une fréquence égale.

[2] La notion d'information réciproque n'appartient pas en tant que telle à la formalisation de DEUTSCH M. et GERARD B., dont nous relatons ici le travail.

[3] Un tel exemple nous est fourni par S. FREUD qui a soutenu longtemps et avec acharnement la thèse de la psychanalyse, bien qu'elle ait été rejetée par tous les milieux scientifiques.

[4] Le degré de discrimination de l'image du minoritaire est fonction du nombre de caractéristiques choisies par les sujets vrais, dans la liste de 100 mots.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 2 décembre 2013 7:19
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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