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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Françoise Morin, “Pratiques anthropologiques et histoire de vie.” Un article publié dans la revue Cahiers internationaux de Sociologie, vol. LXIX, 1980, pp. 313-339. [Autorisation accordée par l'auteure le 10 avril 2008 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Françoise Morin

Anthropologue, professeure émérite, Université Lumière, Lyon 2
professeure associée, dép. d'anthropologie, Université Laval
et chercheure associée, CIERA.
 

Pratiques anthropologiques et histoire de vie”. 

Un article publié dans la revue Cahiers internationaux de Sociologie,
vol. LXIX, 1980, pp. 313-339. [Autorisation de l'auteure le 10 avril 2008.]

 

Résumé / Summary
 
Introduction
 
Des récits de pratique qui mettent en question le sociologue
L'histoire de vie dans l'anthropologie américaine
L'histoire de vie et les anthropologues français
 
ETHNICITÉ ET HISTOIRE DE VIE (ou comment un objet interdit va de pair avec une méthode inutile)

Résumé

 

Que pensent les anthropologues français de l'histoire de vie ? Pourquoi l'ont-ils si peu utilisée ? Après avoir retracé en la critiquant la tradition nord-américaine de l'approche biographique en anthropologie, l'auteur montre que le désintérêt des Français pour cet outil méthodologique n'est pas à interpréter comme le seul refus d'une technique peu « objective » mais aussi celui d'un objet lequel remet en question la « distance » spécifique » de l'ethnologue qui étudie les sociétés lointaines et « froides ».

 

SUMMARY

 

What do French anthropologists think of life-histories ? Why have they made so little use of them ? After critically reviewing the North American tradition of the biographical and anthropological approach, the author goes on to show that the relative lack of interest in France for this methodological tool should not be interpreted as merely the rejection of a technique that has little « objectivity » but should also be seen as the refusal of an object which calls into question the « specific distance » of the ethnologist studying distant and « cold » societies. 

 

Introduction

 

Si les ouvrages des anthropologues français sont rarement des succès de librairie (sauf quand ils se présentent sous forme de récits comme Tristes Tropiques), ceux des « intellectuels indigènes » (en particulier quand ils se racontent) font par contre, depuis quelques années, fortune en France. 

Le cheval d'orgueil déclenche en 1975 cet engouement pour l'autobiographie « en sabots ». L'opération « Terre humaine »ayant réussi, ces « laissés-pour-compte » de l'histoire dont on ne se préoccupait guère jusqu'à présent de « savoir ce qui se passait dans leur tête » [1] se trouvent soudain parés de toutes les vertus. Et chaque éditeur découvre son « paysan noir » à qui il donne la parole [2]. Comme le note Claude Karnoouh, « l'hagiographie de vieillards aux vies de labeur se vend bien » [3]. En effet, ces « innombrables récits empreints d'une rusticité bucolique, célébrant la glèbe fumante et les veillées, constituent un excellent « filon » [4]. Et « l'année du patrimoine », qui légitimise et célèbre les valeurs de ces cultures paysannes quand celles-ci disparaissent, ne fait qu'alimenter ce cannibalisme pour les « chantres de la rusticité ». 

Ce nouveau mythe du bon sauvage qui correspond au passage « d'un exotisme extérieur, lointain, à un exotisme intérieur où la distance est apportée à la fois par le passé et le milieu »s'élabore dans ces « années charnières où l'on prend conscience que l'on quitte définitivement tout un monde, celui de la France rurale avec ses activités, son calendrier, ses types de relation » [5]. Comme le souligne Freddy Raphaël, « le goût du passé et la réhabilitation de la tradition correspondent bien souvent à un sentiment de panique devant des mutations brutales, à la volonté de se glisser dans la robe portée par la grand-mère « comme dans une autre vie », à la peur d'être privé de tout point d'appui, de tout repère pour se situer face aux changements accélérés qui emportent notre siècle. Garder un cordon ombilical avec le passé, c'est un recours pour échapper à la mort » [6]. 

Pour étancher cette soif du passé, pour répondre à cette quête des racines perdues, les derniers témoins d'une civilisation qui meurt et dont ils sont les seuls dépositaires se racontent et deviennent ainsi les griots de notre « campagne inventée » [7].

 

DES RÉCITS DE PRATIQUE QUI METTENT
EN QUESTION LE SOCIOLOGUE

 

Or pendant que ce phénomène de l'autobiographie « en sabots » connaît ce succès de l'édition, des chercheurs en sciences sociales redécouvrent en France le récit de vie comme pratique méthodologique. Parmi ceux-ci, Daniel Bertaux, fasciné par les travaux d'Oscar Lewis et conscient de la pauvreté du surdéveloppement des méthodes quantitatives de la sociologie des années 60, tente, d'abord presque clandestinement, d'appliquer la méthode biographique comme technique d'observation. L'establishment sociologique s'est toujours en effet montré réservé, voire hostile, à ce genre de méthodologie qualitative, peu objective, donc non scientifique. Dans le cadre d'une recherche sur « les déterminants de la mobilité sociale », il entreprend une critique méthodologique de l'histoire de vie à partir des travaux principalement nord-américains [8], tout en mettant à l'éprouve cet instrument d'observation sociologique par une étude de « la survivance de la boulangerie artisanale face à la boulangerie industrielle ». Il découvre alors que « le recueil de récits de vie n'est pas qu'une technique. C'est bien plus que cela. C'est une nouvelle approche sociologique. Et cette approche engage, de fil en aiguille, une remise en question de tous les autres aspects de la pratique sociologique actuellement installée » [9]. Il comprend mieux les résistances de l'establishment car l'enjeu de l'approche biographique c'est « une nouvelle manière de faire de la sociologie ». Daniel Bertaux est en effet amené à comparer la variété de significations des données qu'il recueille dans ses récits autobiographiques (dont « le sens lui explose à la figure ») avec « l'absence de sens-en-soi des données empiriques usuelles (aussi appelées « quantitatives », voire « scientifiques ») » [10]. Tout en critiquant le « quantophrénisme » sociologique [11], il dénonce les sociologues qui s'érigent en « producteurs de sens » puisque, face à des « données muettes », ils plaquent « des sens tirés non pas du réel social foisonnant mais de leur propre expérience vécue » [12]. Avec la méthode biographique qui « laisse la parole aux interrogés », le sociologue ne peut plus « écrire en chambre et maintenir l'apparence de l'objectivité la plus complète ». D. Bertaux dénonce « le mythe de la scientificité sociologique » [13]. Sous prétexte d'objectivité et par volonté de scientisme, la sociologie est en effet amenée à « réifier ce qui est vivant, à structuraliser ce qui est luttes et contradictions, à considérer comme établi et figé ce qui est par essence historique » [14]. Or, parce qu'elle libère la parole des acteurs, l'approche biographique lui paraît particulièrement « apte à renouveler de fond en comble la pratique sociologique » qui a pour objet non pas des phénomènes qui obéissent à des lois de nature mais « l'élucidation progressive et permanente du mouvement historique des rapports sociaux » [15]. 

Cette sociologie « à visage humain » que propose D. Bertaux, qui revalorise les êtres et la vie et qui refuse en quelque sorte de considérer « les faits sociaux comme des choses », caractérise également la démarche de Fanch Elegoët. L'approche biographique qu'il utilise pour comprendre les pratiques sociales de la paysannerie bretonne du début du XXe siècle jusqu'aux années 60 lui « parait pouvoir apporter une lumière nouvelle » sur cette société car elle permet « à travers les pratiques et représentations de (ses) acteurs d'en faire émerger les logiques internes » [16]. En donnant la parole aux « silencieux de l'histoire », Fanch Elegoët refuse de leur imposer une problématique car l'approche biographique « ne se prête pas à la projection sur son objet d'une grille externe ». Elle « permet de savoir ce que pense la paysannerie bretonne », d'accéder « à la réalité vécue de (ses) rapports sociaux ». La biographie, parce qu'elle « projette un éclairage particulier sur le social », parce qu'elle « sort la parole des lieux du silence », parce qu'elle « se refuse à une information censurée, sélectionnée, embrigadée dans des systèmes de pensée exclusifs, réducteurs, totalitaires », permet « l'émergence d'une autre information, dense et abondante » [17]. Mais si elle permet d'accéder aux logiques de fonctionnement propres aux sociétés analysées, l'approche biographique implique de la part du chercheur « une attitude analytique différente » car « il ne s'agit pas de faire entrer son objet dans des catégories externes mais au contraire d'extraire les constructions qu'opèrent les agents de leur société par l'intermédiaire de leurs champs sémantiques propres » [18]. Contrairement aux méthodes sociologiques habituelles par lesquelles « l'enquêteur sélectionne les données qu'il recueille, impose sa problématique, son découpage du réel, ses catégories », dans les biographies que Fanch Elegoët collecte « le sens abonde et surabonde dans un matériau brut, débordant ce qu'une problématique prédéfinie aurait permis aux informateurs d'exprimer et à l'analyse de comprendre » [19]. Par sa richesse, le matériau biographique interpelle donc le chercheur ; son analyse l'amène « à la formulation d'hypothèses nouvelles, voire à l'invention de principes théoriques nouveaux ». 

Depuis ces premières tentatives isolées de Daniel Bertaux et Fanch Elegoët [20], la collecte des matériaux biographiques connaît actuellement en France une certaine floraison tant chez les sociologues que chez les géographes, politologues, historiens et linguistes [21]. 

Mais si ces recueils d'autobiographies, d'archives orales ou d'ethno-textes permettent « de pénétrer dans des sphères et des lieux sociaux inaccessibles à la seule information écrite et de donner la parole aux oubliés de l'histoire », comme le remarque F. Raphaël [22], ils soulèvent, tout au moins pour le sociologue comme nous l'ont montré D. Bertaux et F. Elegoët, une série d'interrogations qui forcent le chercheur à se redéfinir comme à remettre en question sa pratique. Il ne peut plus se satisfaire de la reproduction de problématiques classiques. Avec l'histoire de vie il est amené à « ouvrir sa démarche », à « voir d'ailleurs », pour accéder à cette vision interne du social. 

Or cette vision interne des sociétés appréhendées par le récit autobiographique semble être, selon ces deux chercheurs, le propre des anthropologues. « Depuis son existence, écrit F. Elegoët, l'ethnologie pratique le récit remémoratif, l'entretien généalogique, la biographie, l'autobiographie » [23] D. Bertaux cite Leo Simmons et Oscar Lewis, auteurs des « grandes autobiographies ethnographiques » mondialement connues, et dont le mérite principal fut de se taire devant la richesse des récits qu'ils recueillaient. S'il existe en effet une longue tradition de l'utilisation de l'histoire de vie en anthropologie, nous devons reconnaître qu'elle est principalement et presque essentiellement nord-américaine. Que pensent les anthropologues français de cette méthode ? Pour quelles raisons l'ont-ils si peu utilisée ? Questions d'autant plus intéressantes que la démarche de l'ethnologue sur le terrain passe nécessairement par l'intermédiaire d'un ou de plusieurs informateurs qui se réfèrent à leur propre expérience de vie pour répondre à ses questions. C'est d'ailleurs ce qui fait dire à L. Langness que « toute l'anthropologie est de nature biographique » car « l'informateur ne conçoit les choses que reliées à sa propre histoire » [24]. Avant de questionner l'anthropologie française sur le bien-fondé de cette démarche biographique, rappelons la tradition nord-américaine. 

 

L'HISTOIRE DE VIE
DANS L'ANTHROPOLOGIE AMÉRICAINE

 

Deux ouvrages ont cherché à faire le point, à vingt ans d'intervalle, sur cette question : le premier, de C. Kluckhohn, en 1945, The use of personal documents in anthropology, et le second, de L.L. Langness, en 1965, The life history in anthropological science. Tout en établissant un bilan critique de cette approche méthodologique, ces deux livres sont un plaidoyer pour sa plus grande utilisation par les anthropologues qui, notamment, depuis les années 50, l'ont quelque peu délaissée en valorisant l'objectivité et la recherche de structures au détriment du subjectif et du psychologique. 

Si, pendant tout le XIXe siècle, une littérature de type biographique est très populaire aux États-Unis parce qu'elle retrace la vie des grands chefs indiens et célèbre les vertus du « bon sauvage » que l'on vient de conquérir et que l'on prétend pourtant « civiliser », ce n'est qu'en 1926, avec la publication de Crashing Thunder, par Paul Radin, que débute véritablement l'utilisation par des anthropologues de l'approche biographique. La grande valeur de ce livre est de nous restituer, comme le remarque J. Dollard [25], « la culture Winnebago de l'intérieur plutôt que de nous donner une analyse très fine de la vie d'un individu ». Radin utilise en effet la biographie non pas pour retracer chronologiquement une expérience individuelle mais pour montrer comment un individu réagit aux normes culturelles que lui impose sa société. Son influence fut très grande parmi les anthropologues américains qui, jusqu'en 1945, utilisèrent très largement cette technique. C'est l'époque où disparaissent les derniers témoins des cultures traditionnelles indiennes et les ethnologues vont dans les réserves recueillir le plus grand nombre de leurs récits de vie pour sauver ce patrimoine culturel. 

Parallèlement, Edward Sapir souligne l'intérêt du mariage de la psychologie avec l'anthropologie. En montrant dans son oeuvre l'étroite relation existant entre individu et culture, il incite un grand nombre de ses élèves à utiliser la biographie dans leurs recherches. 

Mais dans ce foisonnement de documents biographiques pendant cette première période (1926-1945), trois livres apparaissent particulièrement importants : Son of Old Man Hatde Dyk publié en 1938, Smoke from their fires de Ford (1941), et enfin le plus connu, Sun Chief, de Leo Simmons (1942). Kluckhohn le considère comme la meilleure autobiographie indigène tant sur le plan ethnographique, par la masse d'informations nouvelles qu'elle apporte sur une société pourtant déjà bien étudiée, que sur le plan méthodologique car elle renouvelle la technique. Voyons d'abord ce dernier point. C'est sur les conseils de l'ethnologue Titiev, spécialiste de la culture Hopi, que Leo Simmons choisit Don Talayesva, alors âgé de cinquante ans, comme informateur et l'incite peu à peu à écrire lui-même son histoire de vie (moyennant 7 cents par page manuscrite). Pendant trois ans (1938-1941) Don va par conséquent écrire seul une sorte de journal, fort volumineux puisqu'il atteindra 8 000 pages, qui, tout en répondant à une longue liste de questions de Simmons, ira beaucoup plus loin : d'où la qualité particulière et unique de cette autobiographie qui nous restitue « la culture Hopi « par le dedans » et telle que la vivent l'enfant, puis l'adulte » [26]. Son apport méthodologique réside donc dans le fait que, pour la première fois, l'auteur de cette biographie est l'interrogé lui-même. Certes, le rôle de l'ethnologue fut déterminant dans la présentation finale : Kluckhohn reproche d'ailleurs à Simmons d'avoir trop condensé le matériau brut puisqu'un cinquième seulement a été publié et d'avoir trop remanié le style original [27] dont nous avons un court exemple dans la lettre (Appendice B) que Don envoie à son frère Honweseoma (« Ours Pisteur », nom Hopi de Leo Simmons). 

Outre la nouveauté méthodologique, que peut trouver l'ethnologue dans cette histoire de vie qui va bien au-delà de la pure description en révélant, pour la première fois, comment sont vécus de l'intérieur coutumes et institutions ? Titiev écrit par exemple à Kluckhohn qu'il a été « particulièrement impressionné par le choc et le sentiment de colère qu'éprouve Don lorsqu'il apprend les secrets des Katcina pendant son initiation » [28]. Kluckhohn lui-même reconnaît avoir été frappé par la place centrale qu'occupe dans le récit la sorcellerie qui fait naître peu à peu une angoisse et ordonne d'une manière significative la dynamique du comportement de Don Talayesva. Mais c'est sans doute David F. Aberle qui a le mieux montré la richesse de ce récit en analysant les effets de la culture Hopi sur la personnalité de Don [29]. Il note que, dès l'âge de quatre ans, un sentiment de méfiance se forge en lui : 

« J'ai appris à juger les gens et à me méfier des sorcières »... « J'ai vite remarqué ceux qui avaient le droit de me punir... Les parents dont un gars doit se méfier le plus, ce sont les frères et frères de clan de sa mère. Ils ont le droit de punir sévèrement et de presque tuer un gosse insupportable »... « J'avais vite appris à choisir les gens en qui je pouvais avoir confiance » (trad. franç., p. 57-58). 

Son initiation à la société Katcina vers l'âge de neuf ans ne fait qu'alimenter cette méfiance : 

« Quand les Katcina sont entrés dans la kiva sans masques j'ai eu un grand choc : ce n'était pas des esprits mais des êtres humains... J'étais surtout choqué et furieux de voir tous mes oncles danser en Katcina mais c'était pire encore de voir mon propre père » (trad. franç., p. 75). 

Les Katcina qui lui avaient toujours été présentés comme des dieux n'étaient donc que ses propres parents. Cette désillusion et cette tromperie viennent renforcer ce que Don expérimente depuis son enfance, le ressentiment et la méfiance. Les croyances et manifestations de la sorcellerie vont, pendant sa vie d'adulte, entretenir ce type de personnalité : ainsi la mort successive de ses quatre enfants va être interprétée à la lumière de ce contexte psycho-culturel fait de crainte, d'angoisse, d'ensorcellement et d'hostilité que les autres lui manifestent et qu'il ne peut combattre par crainte de devenir lui-même Kahopi (c'est-à-dire mauvais esprit ou Deux Coeurs). Cette analyse de D. Aberle, dont nous ne pouvons entièrement rendre compte ici, a le mérite de montrer ce que peut apporter une histoire de vie comme celle de Talayesva pour comprendre le poids des interactions continuelles entre coutumes, institutions, croyances, parentèle sur le comportement de Don ou, en d'autres termes, comment la culture sert de trame aux fils de chaîne des destins individuels. 

Avec Soleil Hopi se termine l'âge d'or de la biographie aux États-Unis, dont les derniers produits font preuve d'une plus grande préoccupation méthodologique que les premiers, principalement guidés par un souci de sauvegarde culturelle. 

À la suite des travaux théoriques de Cora DuBois et d'Abram Kardiner qui utilisent largement les documents biographiques [30], avec le développement de l'école « Culture et Personnalité » et les nombreuses recherches entreprises sur le changement culturel et l'acculturation, on aurait pu croire comme L. Langness que l'histoire de vie allait connaître après 1945 un très grand succès. Or, paradoxalement, pendant cette deuxième période, elle est délaissée par les anthropologues américains. 

Plusieurs raisons sont invoquées. Langness note une utilisation de plus en plus grande des tests psychologiques et des entretiens fermés par les anthropologues qui s'intéressent aux problèmes de personnalité - ceci correspondant sans doute à un souci d'objectiver, de quantifier les données comme de les rendre représentatives. Quand l'histoire de vie est utilisée, elle devient une étude de cas individuel de type clinique, en particulier chez les ethno-psychiatres [31]. 

Mais il semble qu'il faille resituer ce désintérêt pour l'histoire de vie par les anthropologues dans le contexte même de l'histoire de l'anthropologie américaine comme le propose Sidney Mintz. Il nous rappelle en effet que, jusqu'au début de la deuxième guerre mondiale, l'anthropologie se consacre entièrement à l'« étude des peuples sans écriture, à technologie rudimentaire, à stratification sociale peu développée » [32]. Si pour les évolutionnistes l'étude de ces sociétés « primitives »devait servir à retracer l'histoire de l'humanité, pour les anthropologues qui, comme Boas, ne s'intéressaient pas à reconstituer les étapes du progrès humain, il fallait néanmoins « recueillir pendant qu'il en était encore temps tout ce qui subsistait du passé non occidental » [33]. Ceci signifie que l'étude des peuples acculturés par la domination d'une société coloniale n'avait aucune place en anthropologie. La société que devait étudier l'anthropologue était isolée, « primitive » et sans contact avec le monde occidental. L'anthropologie, remarque Sidney Mintz, « tendait à devenir la science d'un seul genre de vie.... amputant arbitrairement par là les continuités spatiales et temporelles de l'existence humaine » [34]. La nécessité d'étudier ces sociétés comme si elles étaient « immobiles » amène les anthropologues américains à présenter pendant cinquante ans les Indiens d'Amérique du Nord comme des primitifs qui ne participent pas à l'histoire, dont ils étaient pourtant les victimes, et à gommer par conséquent la modernité de la vie amérindienne, résultat des si nombreux contacts avec la société dominante. 

Quand après la guerre, en 1948, Sidney Mintz participe au « projet de Porto Rico » organisé par J. Steward, l'étude anthropologique d'une société moderne et complexe était alors rarissime, « voire même carrément hérétique ». Faire l'ethnologie des Caraïbes l'était d'ailleurs tout autant : les sociétés antillaises, n'étant pas « primitives » mais produites historiquement, ne rentraient pas dans le champ anthropologique classique. 

L'histoire de vie jusqu'en 1945 épouse parfaitement ce contexte idéologique de l'anthropologie américaine : elle raconte la vie d'Indiens vivant dans des sociétés traditionnelles et harmonieuses - même si celles-ci ont été profondément désorganisées par l'arrivée des Blancs. En nous décrivant ce qui va bientôt devenir le passé américain, elle momifie l'Indien dans sa « primitivité » originale telle que les anthropologues veulent se la représenter. Après la seconde guerre mondiale cet outil méthodologique, parce que lié à une vision statique et primitive des sociétés, semble donc inadéquat pour étudier des sociétés occidentalisées et stratifiées. D'où l'aspect quelque peu révolutionnaire et marginal des travaux de Sidney Mintz et d'Oscar Lewis qui, dans les années 50, utilisent la biographie pour raconter la vie de « gens ordinaires » appartenant au prolétariat des sociétés portoricaines et mexicaines. 

Lorsque paraît Worker of the cane [35] en 1960 (un an avant le livre d'Oscar Lewis), « aucun anthropologue ou presque, écrit S. Mintz, n'avait encore raconté la vie de membres occidentalisés de la classe laborieuse ». Cette biographie était le premier essai anthropologique qui se plongeait « dans la vie de prolétaire afin de comprendre comment le colonialisme, l'impérialisme, la pauvreté et le système de plantations industriel avaient affecté un individu et une communauté » [36]. 

« Préoccupés par le problème des Indiens, remarque Oscar Lewis, les anthropologues au Mexique avaient négligé celui des déshérités des villes. » Cette culture des pauvres que nous révèle The children of Sanchez [37] est pourtant bien souvent une condition persistante puisqu' « au Mexique cela a constitué un phénomène plus ou moins permanent depuis la conquête de 1519, époque à laquelle le processus de détribalisation et le déplacement des paysans vers les villes ont commencé » [38]. 

Travaillant dans des sociétés que l'anthropologue avait pris l'habitude d'ignorer, Sidney Mintz comme Oscar Lewis innovent également dans leur démarche méthodologique et leur relation au terrain. Dans la plupart des documents examinés ici, l'anthropologue semble être un esprit invisible qui enregistre et observe sans intervenir émotionnellement. Tous se taisent sur cette relation qui unit anthropologue et informateur et dont la qualité est pourtant déterminante quant aux conditions de production du récit final. S. Mintz et O. Lewis insistent au contraire dans l'introduction de leurs ouvrages respectifs sur la relation qu'ils ont eue avec leurs informants, relation qui n'était pas de type économique comme celle de Leo Simmons avec Don Talayesva, mais le fruit d'une très grande connaissance et confiance réciproques. Écoutons-les : 

« Ce qui a commencé par un intérêt professionnel pour leur vie s'est transformé en amitié chaleureuse et durable... La famille Sanchez a appris à me faire confiance. Ils faisaient appel à moi et à ma femme en temps de besoin ou de crise ; et nous les avons aidés à sortir de la maladie, de l'ivresse, d'ennuis avec la police, du chômage et des querelles de famille. Je n'usais pas de la pratique courante en anthropologie qui consiste à les payer en tant qu'informants... et je fus frappé par l'absence de motivation financière dans leurs relations avec moi. Ce fut essentiellement leur sentiment d'amitié qui les mena à me raconter leur vie » (Oscar Lewis, p. 24). 
« Le travail que Taso et moi entreprîmes ensemble était fondé sur la confiance et l'estime réciproques. Je n'ai jamais payé Taso directement et Il ne m'aurait pas été possible de le faire : nous étions devenus de trop bons amis. Ce que je pouvais faire, c'était des cadeaux occasionnels à la famille, participer aux frais d'entretien de la maison ou aux coûts des soins dentaires pour les enfants. Taso me fait aujourd'hui assez confiance pour me demander en toute liberté de l'argent quand il en a un besoin pressant, ce qui est la marque évidente de notre intimité » (Sidney Mintz, p. 32). 

Enfin, l'utilisation du magnétophone (qui n'était pas dans les années 50 autant banalisé qu'aujourd'hui) a permis dans les deux cas d'enregistrer le récit des silencieux de l'anthropologie. Oscar Lewis note que « pour la première fois, grâce au magnétophone, des individus non spécialisés, incultes, voire illettrés, peuvent parler d'eux-mêmes et raconter leurs expériences et leurs observations d'une façon non inhibée, spontanée et naturelle » [39]. Tout en ordonnant chronologiquement le récit enregistré, Sidney Mintz précise qu'il n'a « jamais modifié les paroles de Taso ou leur signification » [40]. Nous mesurons ici le chemin parcouru depuis Soleil Hopi. Imaginons que Don ait pu enregistrer son récit, Leo Simmons aurait évité le piège que représente le passage par l'écriture pour un homme issu d'une société à tradition orale. 

Si le livre d'Oscar Lewis nous donne une vision en profondeur de la vie d'une famille prolétaire mexicaine par l'utilisation pour la première fois en anthropologie de biographies croisées « qui contrebalancent ainsi en partie le caractère subjectif inhérent à une autobiographie unilatérale » [41], l'ouvrage de Sidney Mintz nous paraît à plusieurs titres plus important. L'auteur ne se contente pas en effet de nous restituer l'histoire de Taso mais il nous informe des motivations qui l'ont amené à entreprendre cette histoire de vie : il apprend incidemment que Taso (avec qui il avait travaillé plusieurs années auparavant et qu'il considérait comme son ami) vient de se convertir au Pentecôtisme. Ne comprenant pas la signification de ce changement si fondamental chez quelqu'un qu'il croyait bien connaître et qui s'était d'ailleurs montré « un piètre informateur en matière religieuse », Sidney Mintz se décide à retourner à Porto Rico et « à demander à Taso sa coopération pour écrire l'histoire de sa vie » [42]. Cette entreprise s'inscrit donc dans un itinéraire de recherche, dans une longue connaissance de l'un par l'autre, dans une grande amitié où chacun a apprivoisé l'autre et dont l'auteur nous rapporte la richesse des interactions. 

Un autre élément nouveau que nous apporte ce livre - ce qu'aucun document biographique n'avait fait jusque-là - c'est l'analyse des informations biographiques de Taso à la lumière du contexte socio-économique de son groupe social de prolétaires ruraux. Ce qui implique, souligne S. Mintz dans un article récent [43], que, si l'histoire de vie requiert sur le terrain un travail intensif avec un ou plusieurs informateurs, ceci ne doit pas aller à l'encontre d'une étude approfondie de la communauté à l'intérieur de laquelle ce principal informateur vit et travaille. En effet, c'est la connaissance des changements accélérés qui ont affecté pendant les cinquante dernières années le Barrio Jauca (quartier du village de Taso), comme la région de la côte Sud où il s'insère et plus largement Porto Rico, qui ont permis àS. Mintz d'expliquer les différents problèmes que rencontre Taso au cours de sa vie et de comprendre comment, face à ces bouleversements économiques, politiques et idéologiques de la société globale, Taso est amené à choisir tel ou tel type de conduite, comme par exemple se convertir à l'Église revivaliste. 

Depuis cette première analyse en 1960 d'un matériel biographique, cette « histoire dans l'histoire » [44], on peut regretter comme L. Langness que les anthropologues américains se soient désintéressés de cette approche méthodologique au nom d'une plus grande objectivité scientifique et de préoccupations théoriques différentes. Mais ce souci de rigueur n'est-il pas pour l'anthropologue un alibi scientifique pour ne pas « s'aventurer » dans cette relation duelle qu'implique l'histoire de vie, où « ethnographe et informant s'interrogent l'un l'autre » [45] ?

 

L'HISTOIRE DE VIE
ET LES ANTHROPOLOGUES FRANÇAIS

 

L'existence en anthropologie de « colorations nationales » [46] s'est traduite, dans les cinquante dernières années, chez les anthropologues français, par une attitude quelque peu ambiguë vis-à-vis de l'histoire de vie : certains la recommandent, d'autres l'apprécient mais ne pensent pas qu'elle apprenne quelque chose, beaucoup l'ignorent, très peu l'utilisent. 

Dans un article de 1934, intitulé « Fragment d'un plan de sociologie générale descriptive », Marcel Mauss, s'interrogeant sur les méthodes existant pour étudier les systèmes d'éducation, montre qu'un moyen d'inventaire existe : « C'est la collection d'autobiographies. On peut les demander à des indigènes conscients comme par exemple ces chefs sioux, ce « Crashing Thunder », dont M. Radin a consigné l'histoire. On voit dans ces récits d'individus comment ils ont été éduqués, par quels éducateurs, et en quoi et par quelle méthode » [47]. De même, dans son célèbre Manuel d'ethnographie *, Marcel Mauss note que « la méthode autobiographique, qui consiste à demander leur biographie à certains indigènes, maniée par Radin, a donné d'excellents résultats » [48]. L'un des pères fondateurs de l'anthropologie française semble donc recommander l'histoire de vie comme approche méthodologique. Il est suivi par Claude Lévi-Strauss qui fait un commentaire très favorable de Sun Chief dans une revue américaine [49] qu'il reprend quelques années plus tard pour L'Année sociologique. Ce livre « constitue (écrit-il) pour l'ethnologue et pour le psychologue un document d'une valeur exceptionnelle... parce qu'il réussit du premier coup l'entreprise sur laquelle s'acharne, le plus souvent vainement, le travailleur sur le terrain : celle qui consiste à restituer une culture indigène, si l'on peut dire, « par l'intérieur », comme un ensemble vivant et gouverné par une harmonie interne, et non comme un empilage arbitraire de coutumes et d'institutions dont la présence est simplement constatée » [50]. Cette « admirable biographie permet (aussi) de suivre pas à pas la laborieuse adaptation d'un enfant Hopi aux exigences de sa culture » [51]. Le théoricien de la parenté remarque en effet qu'« il n'est pas moins difficile à un enfant Hopi qu'il ne serait à l'un des nôtres d'apprendre à appeler un vieillard « mon fils », que ce qui apparaît contradictoire à l'un ne l'est pas moins à l'autre. Et « la description des difficultés psychologiques que peut comporter l'apprentissage d'un tel système », même pour un enfant comme Don, « né dans une société qui le pratique traditionnellement », représente pour Claude Lévi-Strauss « l'un des apports les plus précieux de Soleil Hopi à la théorie ethnologique » [52]. Cette « fonction cathartique » est en effet pour lui « le principal mérite des travaux basés sur les autobiographies indigènes » car ils permettent de résoudre, en les éliminant, de nombreux problèmes « qui recevaient, de l'artificialité de l'observateur externe, une apparence de réalité » [53]. 

Mais l'utilité des biographies s'arrête là. Car si CI. Lévi-Strauss reconnaît avec Kluckhohn qu'elle « aident à éliminer de faux problèmes », il se sent par contre très inquiet quand ce dernier préconise dans la conclusion de son bilan critique « l'étude systématique et comparative des documents individuels comme pouvant ouvrir une ère nouvelle dans les recherches ethnologiques » [54]. 

Ces quelques réflexions, extraites notamment de deux comptes rendus de livres par CI. Lévi-Strauss pour L'Année sociologique publiés il y a maintenant trente ans, nous semblent importantes car elles livrent en filigrane quelques indices fondamentaux de ce qui va gouverner et dominer l'anthropologie française jusqu'à aujourd'hui et qui déterminera en quelque sorte son désintérêt pour la biographie. 

Tout en reconnaissant la valeur exceptionnelle du récit de Don Talayesva parce qu'il donne du sens à ce que l'ethnologue perçoit souvent comme « de redoutables énigmes », parce qu'il réussit d'emblée ce que l'ethnologue rêve, sa vie durant, d'obtenir et qu'il ne parvient jamais à réaliser complètement : la restitution d'une culture « par le dedans », Claude Lévi-Strauss refuse cependant que de tels documents biographiques soient systématiquement recueillis car l'expérience individuelle ne constitue pas, selon lui, un objet scientifique. La biographie fait revivre plus qu'elle n'apprend. Il est donc imprudent pour l'ethnologue de s'arrêter à ces documents individuels car il doit avant tout collecter les éléments qui permettront l'élaboration d'une systématisation théorique. 

Dans un article publié en 1965, Roger Bastide montre que les deux branches divergentes du même tronc anthropologique français que représentent pour lui Lévi-Strauss et Leenhardt (auquel il s'associe sans doute) se fondent sur une opposition qui est en réalité d'ordre philosophique car « derrière Do Kamo et La pensée sauvage se profilent les ombres de Descartes et de Kant » [55]. Nous renvoyons le lecteur à cet article pour le détail de l'argumentation mais nous retiendrons ici que « les cultures qu'étudie l'ethnologue s'offrent à lui avec (la) même multiplicité chaotique » que celles des sensations pour le philosophe. L'un et l'autre vont chercher à y discerner un ordre. Pour l'ethnologue comme CI. Lévi-Strauss, ce sera la recherche de structures dans les œuvres culturelles qui sont la marque de la nature de l'homme. Mais pour découvrir cet ordre l'ethnologue « doit se détourner des idées confuses et obscures », car il n'y a pas pour Lévi-Strauss, remarque Roger Bastide, « de chemin qui puisse comme chez Descartes acheminer la confusion à la distinction et l'obscurité à la clarté » [56]. Lévi-Strauss ne nie pas cette portion d'ombre, « il est bien obligé de la constater, mais il s'en débarrasse en la rejetant ». Il s'en débarrasse dans la « pensée sauvage » qui est « déculturalisée », écrit R. Bastide, pour devenir « l'étude de la classification du réel comme exigence de l'esprit humain » [57]. Il s'en débarrasse dans les mythes car s'il les étudie c'est « pour les détruire, n'y voir que le décalque de la raison, et de ses lois de constitution : il ne se penche jamais sur les gouffres, il se refuse aux vertiges des symboles ». Tout en reconnaissant « la richesse d'idées, le foisonnement de suggestions et le débroussaillement de maquis » que représentent les livres de CI. Lévi-Strauss, Roger Bastide critique son orientation durkheimienne qui l'amène à chosifier les différences et à devenir ce « chirurgien qui endort les corps sur lesquels il veut opérer, pour mieux discerner, sous son scalpel, les réseaux des liaisons ligamenteuses » [58]. 

Notre détour par cette réflexion de Roger Bastide n'est pas gratuit. L'histoire de vie fait partie de cette « portion d'ombre »dont CI. Lévi-Strauss se débarrasse. Elle lui parait certes séduisante (d'où l'éloge de Soleil Hopi), mais également dangereuse car elle dérange le projet de l'anthropologue : elle produit en effet de l'irrationnel mais aussi du « sens » qui n'entrent pas dans les structures qu'il recherche. La subjectivité inhérente à l'histoire de vie et le fait qu'elle produit des données qui ne peuvent pas être assimilées à « des choses » sont alors dénoncés pour montrer les limites de l'outil méthodologique et justifier son caractère non scientifique. CI. Lévi-Strauss reste convaincu que « seuls les faits sociaux considérés comme des choses » peuvent constituer « une vérité scientifique » [59]. Cette « chosification » a fait école pendant les trente dernières années puisqu'elle domina la scène anthropologique française en construisant des systèmes, certes très savants, mais silencieux sur le vécu des hommes qui en étaient la vie... 

Roger Bastide a toujours été à l'opposé de cette anthropologie des « formes vides » et déshumanisées. Pour lui, « une civilisation n'est pas seulement... un système mécanique de rapports entre des points mais un ensemble de significations qui ne sont pas le reflet de ces rapports mais leur chair et leur sang » [60]. L'ethnologie « doit cesser de coucher, en quelque sorte, les civilisations entre les feuilles d'un herbier... elle doit déchosifier les faits sociaux pour les humaniser » [61]. La compréhension de la vie dans ce qu'elle a de végétal et d'animal doit l'emporter sur l'esprit de la minéralogie. A la recherche de l'« Autre » dans un « Ailleurs », Bastide n'a pas cessé de sonder ces « gouffres » [62] du monde de la confusion et de l'obscurité que notre civilisation « rejette, ou plus exactement considère (écrit-il) comme une connaissance inférieure, inadéquate, une connaissance de deuxième ordre, par conséquent peu digne de nous retenir » [63]. 

Parce qu'il n'élève pas de cloisons étanches entre les différentes sciences humaines, parce qu'il met constamment l'accent sur l'« homme total », sur l'intime relation du social et du psychologique, Roger Bastide a toujours été favorable à l'utilisation de l'histoire de vie sur le terrain. S'il n'en a pas recueilli lui-même, il l'a vivement recommandée à ses étudiants tant au Brésil qu'en France. Cela fait partie des nombreuses pistes qu'il nous a ouvertes, sachant qu'il n'avait pas lui-même le temps suffisant d'une vie pour les explorer. Deux de ses anciens élèves brésiliens ont suivi cette piste méthodologique : Maria Isaura Pereira de Queiroz en recueillant l'histoire de vie d'une domestique noire, fille d'esclave et représentante de la « classe basse » de couleur de São Paulo, et Renato Jardim Moreira, celle d'un mulâtre, leader d'associations d'hommes de couleur et témoin de l'histoire des Noirs paulistes. R. Bastide a présenté en 1953, dans la revue Sociologia, ces deux expériences très différentes dont le principal apport méthodologique, selon lui, est de montrer que, contrairement à ce que propose Dollard, dont les critères lui paraissent d'ailleurs insuffisants, le chercheur doit avant tout éviter la standardisation pour s'adapter à la nature propre des milieux sociaux étudiés. Il doit « affiner la technique à sa finalité sociologique, selon qu'il s'agit de groupes isolés ou en interaction, de l'une ou l'autre strate de la société, de modes de vie fixés au sol ou mobiles, de collectivités traditionnelles ou en transition » [64]. Parmi les étudiants qui ont participé en France au séminaire de sa direction d'études à l'EPHE, Sélim Abou est sans doute celui qui a le mieux utilisé cette technique dans son livre Immigrés dans l'Autre Amérique [65] où il présente l'autobiographie de quatre Argentins d'origine libanaise. 

Si Roger Bastide s'est montré, dans son enseignement comme dans ses publications [66], favorable à l'utilisation de cette méthode, il n'en a cependant jamais caché les difficultés. Nous avons sélectionné ici celles qui nous paraissent les plus importantes :

 

-   Loin d'être un monologue qui mettrait entre parenthèses l'observateur, l'histoire de vie reste un dialogue l'ethnologue est l'un des facteurs de la situation globale ; il retrouve ici les difficultés inhérentes à toute recherche sur le terrain.
 
-   L'autojustification comme la valorisation du sujet par lui-même peuvent amener le chercheur à découvrir un type idéal plutôt qu'un type réel.
 
-   Bien que la comparaison entre plusieurs cas individuels soit souhaitable, elle est en réalité utopique car nous avons affaire à un « univers pluraliste de variables », c'est-à-dire que, tout en étant identiques, elles ont un poids et une signification différents dans chaque cas.
 
Mais ces difficultés une fois circonscrites, l'ethnologue peut trouver dans l'histoire de vie de nombreux avantages :
 
-   en découvrant les aspects subjectifs de l'organisation sociale il en comprend mieux le fonctionnement ;
 
-   en saisissant comment l'économique, le politique, le religieux et le social se vivent ensemble dans un même individu, l'ethnologue peut éviter le découpage du réel, inhérent à sa démarche sur le terrain, et comprendre comment tous ces pans de la réalité agissent pour former une seule gestalt au niveau du comportement verbal de celui qui se raconte ;
 
-   en accédant aux signifiants du sujet, le chercheur évite les écueils de sa propre subjectivité.

 

De même que Roger Bastide a montré au sociologue que l'homme endormi n'était pas « un homme mort », il pensait que l'ethnologue devait compléter l'histoire de vie de l'homme « assis et debout » par celle de l'homme « couché et rêvant ». Quant aux fonctions de cet outil méthodologique, elles dépendent du moment de son utilisation au cours de la recherche car il peut suggérer des hypothèses à l'ethnologue, comme lui permettre de les vérifier ou encore de les illustrer. 

Ce sont les mêmes fonctions qu'Eric de Dampierre assigne à l'histoire de vie et plus largement à l'utilisation des documents personnels [67]. Il fait en effet partie de ces rares anthropologues français qui se sont posé des questions sur cet outil méthodologique. S'il en affirme les « riches possibilités », il n'en est pas moins conscient des nombreux problèmes que son emploi soulève tant au stade de la collecte qu'à celui de l'analyse et de l'interprétation du document. Erie de Dampierre montre en effet l'aspect artificiel de l'histoire de vie, parce que provoquée et sollicitée par l'ethnologue. En tant que réponse à un stimulus, ce type de document s'inscrit par conséquent dans la dialectique du moi et de l'autre et donc dans le cortège d'embûches que cela sous-entend. Quant à l'analyse du document, elle « réside dans la sélection des catégories, laquelle repose sur le choix préalable d'hypothèses » que le chercheur est obligé de faire. Comment améliorer la valeur de pareils matériaux ? Eric de Dampierre se pose cette question en 1959 et regrette de ne trouver aucune réponse dans les manuels de méthodologie. À cette époque, il n'en existait qu'un en France, celui de Marcel Maget publié en 1953. Le Guide d'étude des comportements culturels qui, tout en consacrant un chapitre à la biographie, laisse en effet le chercheur sur sa faim puisqu'il n'aborde aucun des problèmes fondamentaux soulevés ici... 

Il faut attendre 1974 pour que l'histoire de vie soit à nouveau l'objet d'interrogations [68] dans un livre qui dénonce avec beaucoup de pertinence la carence pédagogique des méthodes anthropologiques. Dans Critiques et politiques de l'anthropologie, Jean Copans constate en effet que, pour se préparer au terrain, l'ethnologue a pour seule formation méthodologique la lecture de monographies. Or il remarque, à juste titre, que « la plupart de ces ouvrages possèdent un vice épistémologique grave : on ne connaît absolument pas les conditions de leur élaboration » [69]. Comment recueille-t-on les données ? Quels sont les obstacles rencontrés sur le terrain ? Bref, comment se fait l'anthropologie ? Questions que tout étudiant se pose mais que les professionnels esquivent dans leurs livres avec beaucoup de pudeur. Pour pallier ce vide méthodologique, Jean Copans propose une nouvelle collection américaine, « Studies in Anthropological Method », où figure l'ouvrage de Langness dont nous avons parlé plus haut. Si Jean Copans a le mérite de mettre en question certaines pratiques anthropologiques, on peut regretter qu'il s'arrête en chemin et ne se débarrasse pas d'un certain scientisme dominant la scène anthropologique. Il pense que Langness fait une grave erreur théorique en affirmant que l'anthropologie est fondamentalement de nature biographique. Car, pour Copans, si les données recueillies sont bien d'ordre individuel, c'est à l'ethnologue qu'il revient « d'en montrer le sens [70] et d'indiquer les limites de leur signification objective ». L'ethnologue est donc là pour produire du sens en analysant le plus rigoureusement possible les structures, les productions matérielles et mentales de la société. Une fois accomplie cette mission, il peut alors se servir de l'histoire de vie pour illustrer le fonctionnement de ce qu'il a préalablement analysé. Conçue dans cette optique, l'histoire de vie n'a rien à apprendre à l'ethnologue car elle n'est pas là pour produire du sens mais pour légitimer l'analyse première de celui-ci. Un deuxième usage envisagé par J. Copans vient confirmer cette représentation très anecdotique du document biographique : il peut en effet servir « à vulgariser les données anthropologiques ». Il ne faut donc pas « condamner a priori les tentatives littéraires dont (il) est l'objet ». Mais prétendre vouloir faire autre chose de l'histoire de vie lui parait « dangereusement illusoire » [71]. 

Citons enfin un dernier manuel, Outils d'enquête et d'analyse anthropologiques, publié en 1976, dans lequel Camille Lacoste consacre trois pages aux biographies. Contrairement à J. Copans qui concevait l'utilisation de cette méthode à la fin du travail sur le terrain, on la recommande ici dès le début de l'enquête car « en permettant cet accès direct au mode de pensée de ses interlocuteurs, à leur système de valeurs propres, le chercheur est à même d'en assimiler les rudiments, ce qui peut, par la suite, lui éviter bien des maladresses » [72]. Conçue par conséquent comme méthode de débroussaillàge et d'initiation à une société, la biographie peut également, si l'on choisit des « personnalités-carrefours » et si l'on multiplie son application sur une série d'individus qui offrent « des points de vue contradictoires et souvent complémentaires », apporter une grande richesse d'informations et corriger ainsi « la vision à tendance souvent simplificatrice de l'observation individuelle du chercheur ». Si ces quelques pages ont pour principal mérite d'être les seules aujourd'hui en anthropologie française qui soulignent certains apports de la biographie, il est regrettable qu'elles ne mentionnent rien de la relation anthropologue-informant qui se raconte, rien de l'analyse et de l'interprétation des données recueillies qui restent les problèmes majeurs de cette méthode. 

Malgré les recommandations du père fondateur, l'histoire de vie n'a donc pas attiré beaucoup d'anthropologues français. Depuis trois décennies, la recherche de structures, de catégories objectives, les préoccupe davantage. Toutes les sciences sociales ont certes été traversées par le positivisme mais celui-ci a trouvé un terrain d'élection dans le structuralisme français. Nous pensons en effet que ce désintérêt des anthropologues pour l'histoire de vie n'est pas à interpréter comme le simple refus d'une technique mais aussi celui d'un objet, cette « portion d'ombre » dont nous parlait Roger Bastide, ce domaine de « la confusion et de l'obscurité » où l'ethnologue risque d'être l'objet d'interrogations en rentrant dans le jeu des interactions [73]. Il perdrait alors cette belle distance que lui garantit sa qualité de « dominant étranger » [74] pour étudier objectivement les sociétés « froides », elles seules étant pour lui dignes d'intérêt.

 

ETHNICITÉ ET HISTOIRE DE VIE
(ou comment un objet interdit va de pair
avec une méthode inutile)

 

Si le monde dans son ensemble a connu plus de changements dans ce dernier demi-siècle que depuis le début de l'ère chrétienne, c'est depuis trois décennies que ces mutations ont le plus touché les sociétés traditionnelles aussi bien en Europe que dans le Tiers Monde. Que ce soit la fin des paysans ici, la disparition des primitifs là, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, il y a « rupture de la transmission des connaissances véhiculées par tradition orale » [75]. Conscients d'être en face des derniers témoins de sociétés maintenant disparues, certains ethnologues français redécouvrent depuis quelques années la méthode biographique pour recueillir auprès de ces survivants des données que l'observation directe ne permet plus de retrouver. L'urgence de cette démarche, qui rappelle celle des anthropologues américains des années 30 auprès des derniers témoins des sociétés amérindiennes, va se traduire par une accumulation d'enregistrements biographiques pour fixer un passé et constituer des archives orales. La méthode biographique sert donc, sur ce « terrain de la dernière chance », à enregistrer des savoirs qui vont disparaître avec la mort de leurs derniers représentants. La redécouverte de cet outil méthodologique ne rentre donc pas dans une problématique de recherche mais vise plutôt le sauvetage d'un patrimoine culturel. Cette tâche mérite certes toutes les priorités mais l'histoire de vie n'est utilisée ici que pour momifier ces derniers témoins et à travers eux une société désormais révolue. 

Par contre, si l'on s'interroge sur les phénomènes de rupture, d'anomie, de crise qu'engendrent ces mutations rapides pour ceux qui participent à ces nouvelles façons de vivre, l'histoire de vie peut permettre d'élucider les choix d'un certain nombre de stratégies pour pallier les déséquilibres et bouleversements de ces changements trop brusques. La démarche biographique est alors liée à une dynamique du changement et pour cette raison elle n'est plus simple enregistrement de savoirs mais devient révélatrice d'interactions, de conflits et d'enjeux sociaux et politiques. 

Jusqu'aux années 60, « les individus naissaient et grandissaient dans un environnement qui ne changeait pas radicalement tous les dix ans ni même d'une génération à une autre » [76]. Or les modes anciens ne fonctionnent plus. Il y a crise du « modèle cumulatif » [77]. Pour tous les pays occidentaux, 1965 apparaît comme l'année charnière qui interrompt la marche linéaire de leur civilisation [78]. L'avènement d'une nouvelle culture et d'une nouvelle temporalité, dont les quatre piliers sont, selon F. Laplantine, « l'audiovisuel, l'ordinateur, l'énergie nucléaire et le contrôle génétique », provoque une crise du « sens » comme de l'imaginaire social, et une perte d'identité. A la crise du temps cumulatif et linéaire, à l'homogénéisation culturelle et sociale, au monothéisme des valeurs, à la spoliation par une technocratie de la gestion du territoire et de l'économie, des réponses contre-acculturatives s'élaborent. Pour cela, on réutilise d'anciennes « niches » culturelles comme la ruralité, la langue des ancêtres, l'oralité, la notion de « pays ». On prend refuge dans l'ancien qui devient fondement pour une revendication plurielle de l'homme et l'invention de nouvelles socialités. Or ces alternatives, ces stratégies de secours sont l'expression de groupes minoritaires. Que ce soient les néo-ruraux, les écologistes, les régionalistes ou nationalistes bretons, corses, occitans, il s'agit de petits groupes formés d'individualités qui, à un moment de leur vie, se sont trouvés devant plusieurs trajectoires possibles. Comment devient-on écologiste, néo-rural, nationaliste occitan ? Quels sont les médiateurs qui articulent pôle individuel et pôle collectif de ces nouveaux champs sociaux ? Comment s'élaborent les marqueurs de ces nouvelles identités collectives ? Questions qui interpellent autant le champ du psychologique que celui du sociologique et que la méthode biographique peut en complémentarité avec d'autres permettre d'élucider. À partir d'une étude en cours sur la revendication d'identité occitane nous voudrions montrer comment l'histoire de vie peut à un certain moment de l'itinéraire de recherche servir d'approche de l'ethnicité. Mais qu'entendons-nous par là ? Situons d'abord notre problématique. 

Si les anthropologues français ont refusé de prendre pour objet la pluralité ethnique des sociétés occidentales et en particulier celle du cadre hexagonal, de nombreux chercheurs étrangers, en grande majorité anglo-saxons, étudient depuis plus de dix ans les phénomènes de revendication culturelle et ethnique qui s'y manifestent. Parmi les différentes problématiques qu'ils développent et dont nous avons ailleurs rendu compte [79], un grand débat oppose deux conceptions de l'ethnicité. La première, que nous appelons primordialiste, part du principe que le groupe ethnique est une unité culturelle caractérisée par un certain nombre de traits objectifs et qui sont d'ordre biologique (phénotype, descendance), territorial, linguistique, économique, social, etc. Cette approche attributive et catégorielle du groupe ethnique engendre une conception très figée de l'ethnicité [80] qui est alors définie comme un sentiment d'appartenance donné en quelque sorte à la naissance et qui sert de fondement à une identité collective « primordiale », innée pour tout individu, membre du groupe. 

La seconde conception, que nous appelons situationnelle, est beaucoup moins descriptive et plus ouverte aux dynamiques interactionnelles. Au lieu de prendre le groupe ethnique comme unité d'analyse elle s'attache plutôt à saisir les situations dans lesquelles les groupes se trouvent en interaction [81]. Celles-ci engendrent des frontières ethniques qui président aux identités qu'un groupe se donne et lui sont assignées par l'Autre. Cette approche dynamique conçoit donc que l'ethnicité peut croître et décroître selon les fluctuations des situations historiques, économiques, sociales et politiques auxquelles les groupes ethniques se trouvent confrontés. Ceci signifie qu'il y a adaptabilité ethnique : un groupe non mobilisé est un groupe en « état d'hibernation » [82] qui peut, dans un contexte sociopolitique donné, se mobiliser et revendiquer une identité ethnique qu'il se réapproprie. Les travaux de Frederik Barth sont à l'origine de ce renversement de perspective et de cette interprétation dynamique de l'ethnicité qu'il définissait en 1969 comme « une forme d'organisation sociale qui résulte de l'interaction du groupe et de l'environnement » [83]. Il insistait pour que les chercheurs étudient non pas le contenu culturel de l'identité ethnique mais plutôt les mécanismes d'interaction qui élaborent, maintiennent ou remettent en question les frontières collectives. Depuis dix ans les recherches sur l'ethnicité se réclamant de l'approche situationnelle se sont multipliées. Bien plus qu'une thématique à la mode, ces travaux participent à l'élaboration d'une nouvelle problématique théorique qui remet en question bien des données d'une anthropologie désormais consacrée [84]. Car selon que l'ethnologue choisit d'être primordialiste ou situationnel, ses conclusions de recherche peuvent être radicalement opposées. 

Examinons en effet le problème occitan à la lumière de ces deux interprétations. Si l'on s'attache à inventorier les attributs objectifs du groupe ethnique occitan en 1980 pour comprendre la réalité de la revendication occitane actuelle, la démarche aboutit à une impasse. Les marqueurs de l'occitanité s'avèrent en effet très faibles : la langue n'est plus qu'un patois parlé par une minorité de paysans, l'espace territorial n'a jamais existé, la culture est en voie de disparition. Se définir comme occitan n'a qu'une très faible résonance dans les milieux ruraux qui sont pourtant les derniers représentants de ce vécu traditionnel revendiqué. La primordialité de cette identité occitane s'avère donc inexistante à la lumière de l'interprétation objectiviste. Cette inexistence enlève toute pertinence à l'objet de recherche qui se dilue et s'annule par réduction : la revendication occitane n'est plus dans cette optique qu'une création idéologique d'intellectuels marginaux. 

Par contre, si l'on cherche à comprendre l'ethnicité occitane en la resituant dans un processus dynamique d'interactions avec un centre qui lui a imposé une langue et une culture, qui a défini son histoire, qui décide de la gestion économique et politique de son espace, se définir comme occitan signifie prendre conscience de cette dépendance, vouloir se réapproprier une identité spoliée et un espace colonisé. Dans cette optique qui valorise davantage le diachronique que le statique, le subjectif que l'objectif, l'objet pertinent devient cette volonté de remettre en question la frontière que l'Autre vous assigne et qui fait de votre langue un « patois », de votre histoire une page blanche, de votre pays un « Midi » avec son cortège d'ethnotypes négatifs. S'exprimant d'abord en termes de défense d'une langue certes moribonde, d'une identité plus perdue que vécue, d'un pays plus mythique que réel, cette prise de conscience va cependant amener les Occitans à « vouloir vivre au pays », donc à refuser l'exode et le travail ailleurs que dans leur région. Se reconnaissant autrefois Gascons, Auvergnats, Provençaux, ils redécouvrent aujourd'hui ces identités en état d'« hibernation » mais pour les conjuguer et se revendiquer « Occitans ». Les conflits de Decazeville, du Larzac ou des viticulteurs de Montredon ne sont plus des luttes isolées mais deviennent celles d'une Occitanie colonisée. Que celle-ci serve de dernier refuge face aux mutations trop rapides de la société post-industrielle ou qu'elle concrétise demain un projet politique contre l'État et soit donc l'indice d'une « révolution cachée » [85], l'ethnicité occitane devient, par l'approche situationnelle, objet pertinent d'analyse. Elle nous a notamment permis de comprendre le poids tout autant idéologique que culturel de l'ethnicité, le rôle important des intellectuels comme « donneurs de sens » à un espace culturel refoulé, la dynamique du processus de mobilisation qui articule identité négative et identité de combat. 

En cherchant dans un premier temps les différentes fonctions sociales de la langue occitane ainsi que les représentations du Nous et des Autres qu'elle engendre, les données recueillies par entretien, observation de groupes ou même questionnaire montraient que la langue pouvait, selon les situations, être vécue de façons très différentes, voire opposées. 

Langue du travail agricole, du rapport avec les bêtes, langue de la familiarité au sein de la famille étendue, de reconnaissance et de communication entre les membres du Nous villageois et intervillageois, le patois est aussi vécu par les paysans comme une « sous-langue » du monde non urbanisé, donc non cultivé. La langue devient ici stigmate et marqueur d'identité ethnique négative. Cette même langue est pourtant enseignée au lycée. L'occitan attire en effet de plus en plus de jeunes qui l'apprennent par curiosité, par nostalgie d'une civilisation perdue, par besoin d'identification aux ancêtres. Depuis 1968, véhicule d'une prise de conscience et d'une révolte, la langue occitane est enfin l'emblème pour les militants d'une identité revendiquée et l'objet d'un combat pour qu'elle devienne langue nationale [86]. Ces identités multiples et contradictoires auxquelles renvoie cette même langue occitane deviennent significatives à la lumière de l'interprétation situationnelle qui les replace dans les frontières où elles s'inscrivent et où la langue est l'enjeu d'interactions entre le Nous et les Autres. 

Le patois est en effet pour le paysan la langue de l'« ostal » (la maison), du village, du « pays », c'est-à-dire de l'espace reconnu et apprivoisé. Mais dès qu'il sort de cet espace, il se trouve confronté au monde techno-urbain des Autres, porteurs d'une culture dite « supérieure », qui lui imposent un système de valeurs et une langue qui l'obligent à refouler la sienne et par suite à intérioriser son Soi et son Nous en termes négatifs. C'est donc cette interaction entre lui et les Autres qui va engendrer une situation où il va faire l'apprentissage des attributs qui jettent un discrédit profond sur la représentation que l'Autre a de lui-même et que Goffman appelle « stigmate ». L'occitan pour le jeune lycéen de la ville est au contraire la langue d'un espace enseigné mais souvent inconnu et qui renvoie à un imaginaire, celui du passé et des ancêtres (il s'oppose donc à l'espace reconnu et vécu du paysan). Parler occitan n'est plus parler « patois », le langage des bêtes, mais dans le cadre du monde urbanisécultivé, cela signifie acquérir des connaissances, retrouver un patrimoine culturel oublié. Enfin, pour le militant qui fait le plus souvent parti du monde urbain et enseignant, la langue est le symbole d'un espace politique dominé par l'Autre que l'on situe généralement Ailleurs et de préférence à Paris. Ayant pris conscience, à un moment de son parcours de vie, de la domination qu'engendrent ces frontières que l'Autre lui impose, le militant lutte pour que sa langue qu'il a souvent vécue dans son enfance comme « le signal de la honte » soit reconnue comme « langue nationale ». 

Après avoir repéré ces différents paliers « identitaires » de l'occitanité, nous cherchons à connaître leur fonctionnement et leur dynamique, à identifier les phases et les étapes qui structurent l'identité occitane, les médiateurs qui articulent identité individuelle et identité de groupe et les catalyseurs qui font passer d'une identité-stigmate à une identité de combat. L'approche biographique nous est apparue plus adaptée que tout autre outil méthodologique à notre démarche car elle permet de saisir au cours d'un trajet de vie les mécanismes d'interaction avec l'Autre qui président à l'élaboration de ces identités multiples et les situations dans lesquelles celles-ci se juxtaposent, s'entremêlent, se complètent, ou sont vécues sur un mode conflictuel. Aucun questionnaire, aucune observation participante ne peut fournir ces données. Seul un individu peut en se racontant les apporter et les rendre signifiantes selon sa propre logique sociale. Mais l'unicité d'un témoignage ne saurait répondre à notre problématique. C'est en multipliant le recueil de ces trajets de vie qui vont se différencier selon l'âge, le sexe, le milieu social, l'espace vécu, que nous parviendrons à saisir la formation de ces différents paliers « identitaires » occitans. 

Nous sommes au stade du recueil de ces trajets de vie que nous avons choisi de centrer dans une môme région gasconne, la Lomagne, sur laquelle nous avons déjà les données du contexte socio-économique. En nous adressant d'abord au milieu paysan qui apparaît comme le moins mobilisé pour la revendication occitane, nous avons privilégié les femmes âgées qui semblent avoir eu un rôle primordial dans la formation de cette identité négative. Nous ne nous attachons cependant pas à connaître la biographie de telle femme en particulier mais à dégager certaines séquences biographiques qui correspondent à des temporalités et des espaces sociaux différents, comme par exemple les temps de l'école et de la maison. Deux espaces vécus alternativement dans deux langues différentes qui correspondent à deux cultures de référence qui rentrent en interaction et en concurrence : le français, langue de l'institutrice et de l'espace national, synonyme de Culture et de Pouvoir, le patois, langue du pays et du Nous, de l'habitus et du travail domestique. Les temps du cycle familial où la femme joue un rôle primordial dans la transmission des valeurs du groupe sont retracés en contrepoint des changements, ruptures et événements de l'espace national comme par exemple la guerre de 14 qui entraîne avec elle toute une désorganisation de l'identité ethnique et qui injecte du temps historique dans le temps du groupe. La femme paysanne semble faire preuve, à travers ces premiers récits de vie, d'une identité plus chargée négativement que celle de l'homme. L'intériorisation de la culture et de la langue du Nous comme « quelque chose qui ne sert à rien et qu'il faut abandonner » se répète tout au long des entretiens. Ayant souffert des agressions symboliques de l'institution scolaire vis-à-vis de sa langue et de sa culture comme les paysannes bretonnes de Fanch Elegoët [87], elle a bien intériorisé ces marqueurs d'identité comme handicaps. D'où la difficulté au plan de l'entretien de raconter cette façon différente de vivre, de penser et de s'identifier car elle a pris l'habitude de les dévaloriser. L'interaction entre chercheur et informant trouve ici toute sa dimension car c'est de leur interrogation réciproque que le sujet prend peu à peu conscience de la valeur de son récit et par là même de sa pratique identitaire. Bien que l'analyse de ces trajets de vie n'ait pas encore été entreprise, il semble que la femme paysanne présente ici un intérêt particulier. Car, en détenant le rôle principal dans l'éducation des enfants, elle a choisi de transmettre certaines valeurs et traditions du groupe et de l'« ostal » (en particulier religieuses, morales et culinaires) tout en censurant d'autres marqueurs identitaires qui entravaient une éventuelle mobilité sociale ; d'où, par exemple, la non-transmission de la langue par la mère bien que père et fils l'utilisent dans le travail quand ce dernier est resté paysan. Mais ces mêmes femmes se voient à la fin de leurs trajets de vie interpellées dans leur stratégie par la plus jeune génération qui participe à ce réveil des identités « hibernées », à cette revalorisation des Nous rejetés. Et dans une famille occitane où trois générations aujourd'hui se côtoient, il n'est pas rare de voir s'entrechoquer trois parcours identitaires différents. En effet :

 

—   les grands-parents (en particulier la grand-mère) s'identifient à un monde qu'ils considèrent eux-mêmes comme dépassé, rejeté et arriéré tout en étant perçus par les petits-enfants qui habitent la ville comme les dépositaires d'une culture qui va disparaître et dont ils voudraient recueillir les traditions et valeurs ;
 
—   les parents, destinés à vivre dans le monde urbain afin de progresser dans l'échelle sociale, ignorent ou ont abandonné les marqueurs de l'identité paysanne occitane perçus comme handicaps et s'identifient à la culture dominante ;
 
—   les enfants redécouvrent les valeurs de cette culture rejetée, apprennent la langue censurée, font du collectage de pratiques traditionnelles auprès des grands-parents et cherchent à faire renaître cette civilisation refoulée en s'identifiant à une culture devenue pour eux mythique.

 

Une fois recueillis ces récits de vie en milieu paysan qui tenteront de cerner le palier négatif de l'occitanité, le processus de mobilisation ethnique fera l'objet de biographies auprès d'Occitans de cette même région, vivant en milieu urbain, et qui, dans leurs pratiques de musiciens, chanteurs, animateurs de troupes théâtrales et enseignants, participent à la reconstruction de l'identité occitane comme au devenir de l'Occitanie. 

L'ensemble de ces récits de vie sera analysé et confronté à notre problématique de départ. Notre but n'étant pas de recueillir des archives orales d'une société qui meurt ni de vulgariser pour le grand publie des données recueillies par ailleurs mais de saisir les interactions sociales qui président à certaines pratiques identitaires qui dessinent des trajectoires de vie, l'approche biographique sert ici de moyen pour que les acteurs de cette ethnicité occitane participent à la production de son sens. 

L'utilisation de l'histoire de vie au cours de cette recherche anthropologique n'est pas en effet la simple redécouverte d'une méthode. Elle sous-entend une remise en question par l'anthropologue de son objet comme de sa problématique. Il n'est pas inutile de remarquer que c'est en prenant l'ethnicité occitane comme thème de recherche, c'est-à-dire en choisissant d'étudier un processus dynamique de changement, en refusant les catégories objectives et statiques de l'appareil d'analyse classique pour plonger dans le vécu et le subjectif de l'identité ethnique que cet outil méthodologique s'est en quelque sorte imposé. Objets interdits et méthodes inutiles vont donc de pair ! Si l'anthropologue se laisse en effet interpeller par de nouveaux champs de recherche comme la pluralité ethnique des sociétés occidentales, il doit nécessairement remettre en question ses concepts et ses outils méthodologiques. Cette confortable distance qui lui permettait d'observer à travers ses propres catégories les sociétés lointaines ne fonctionne plus. Il n'a plus à s'ériger en « producteur de sens » des données fournies par l'informateur ni à rechercher l'Unicité de l'Homme, mais à comprendre la vision plurielle qu'il revendique et pour cela lui donner la parole afin qu'il se raconte. Son récit fait alors exploser les structures et systèmes figés, construits par l'ethnologue, et apporte les premiers éléments d'une Anthropologie de la Différence. 

Université de Toulouse-Le Mirail.


[1]    P.-J. HELIAS, Préface à Toinou, le cri d'un enfant auvergnat, d'Antoine SYLVÈRE, Paris, Plon, 1980, p. VIII.

[2]    Comme par exemple Emilie CARLES (J.-CI. Simoëns, 1977), Henri VINGENOT (Denoël, 1978), GRENADOU qui se réédite à l'occasion en Livre de Poche, etc.

[3]    « Les chantres de la rusticité », Autrement, no 14, juin 1978, p. 94. CI. Karnoouh reproche à cette littérature, et en particulier à P.-J. Helias, de nous offrir, pour découvrir la pensée des paysans bretons, « des anecdotes vieillottes » plutôt qu'une « réflexion sur la culture du pays bigouden » (Compte rendu de CI. KARNOOUH dans L'Homme, XVII, 1, 1977). Or, comme le remarque Marcel DRULHE, « à aucun moment Helias ne prétend à la scientificité : ce n'est pas son problème », dans Le cheval d'orgueil de P.-J. HELIAS : analyse d'un document « biographique » à paraître dans Pluriel, 1980. Ce Breton écrit ses Mémoires et témoigne d'une vision interne, fût-elle mythique ou morale, de la société paysanne.

[4]    F. RAPHAËL, Le travail de la mémoire et les limites de l'histoire orale, Annales, janvier-février 1980, p. 143.

[5]    B. BONNAIN et F. ELEGOËT, Mémoires de France : Aperçu provisoire des enquêtes en cours, Ethnologie française, t. 8, no 4, octobre-décembre 1978, p. 339

[6]    Op. cit., 1980, p. 143.

[7]    Voir le livre de M. MARIÉ, J. VIARD, La campagne inventée, Éditions Actes-Sud, 1977.

[8]    D. BERTAUX, Histoires de vies ou récits de pratiques, rapport CORDES, mars 1976.

[9]    D. BERTAUX, Comment l'approche biographique peut transformer la pratique sociologique, Recherches économiques et sociales, ne 6, avril 1977, p. 29.

[10]   D. BERTAUX, ibid., p. 30.

[11]   D. BERTAUX, Écrire la sociologie, Information en sciences sociales, vol. 18, no 1, 1979.

[12]   D. BERTAUX, Op. cit., 1977, p. 49.

[13]   D. BERTAUX, From the life history approach to the transformation of sociological practice, in D. BERTAUX (éd.), Biography and Society, Londres, Sage Publications, 1981.

[14]   D. BERTAUX, Op. cit., 1979, p. 25.

[15]   D. BERTAUX, Op. cit., 1977, p. 33.

[16]   F. ELEGOËT, La société paysanne bretonne par l'approche biographique, communication présentée au IXe Congrès mondial de Sociologie, Groupe ad hoc no 20, L'approche biographique, Uppsala (Suède), 14-18 août 1978.

[17]   F. ELEGOËT, L'homme et la mer, Tud Ha Bro, Sociétés bretonnes, 1979, no 1, p. 2.

[18]   R. BONNAIN et F. ELEGOËT, Mémoires de France : Les Archives orales pour quoi faire ?, Ethnologie française, t. 8, no 4, octobre-décembre 1978, p. 354.

[19]   F. ELEGOËT, op. cit., Uppsala, 1978.

[20]   Il faut également citer M. Catani qui, depuis 1970, utilise la méthode biographique pour étudier les milieux d'émigrés en France. Voir MOHAMED et CATANI, Journal de Mohamed, Paris, Stock 2, 1973.

[21]   Plus de 50 projets cri cours dans ces différentes disciplines ont été inventoriés par R. BONNAIN et F. ELEGOËT dans leur article déjà cité (1978).

[22]   Op. cit., 1980, p. 127.

[23]   Op. cit., 1978, p. 340.

[24]   The life history in anthropological science, Studies in anthropological method, New York, Holt, Rinehart & Winston, 1965, p. 4.

[25]   Criteria for the life history, New Haven, Conn., Yale University Press, 1935, p. 260.

[26]   CI. LÉVI-STRAUSS, préface à la traduction française Soleil Hopi l'autobiographie d'un Indien Hopi, Paris, Pion, 1959, p. x.

[27]   Si ce texte remanié par Simmons est peut-être plus agréable à lire et donc plus accessible à un large public, il aurait été cependant plus intéressant pour le chercheur d'avoir le texte original de Don. Le remaniement et l'organisation du discours recueilli parla méthode biographique restent encore aujourd'hui un problème très discuté. Pour préserver la qualité spécifiquement orale des témoignages on tend de plus en plus aujourd'hui à les publier saris les modifier. Voir AHMED, Une vie d'Algérien, est-ce que ça fait un livre que les gens vont lire ?, Paris, Seuil, 1973.

[28]   Cité par C. KLUCKHOHN, Op. cit., p. 95.

[29]   The psychosocial analysis of a Hopi life-history, Comparative Psychology Monographs, 1951, vol. XXI, no 1.

[30]   Cora DuBois, The people of Alor, Minneapolis, Minn., University of Minnesota Press, 1944 ; Abram KARDINER, The psychological frontiers of society, New York, Columbia University Press, 1945.

[31]   Comme par exemple G. DEVEBEUX, Reality and dream : psychotherapy of a Plains Indian, New York, International University Press, 1951 ; V. BARNOUW, The phantasy world of a Chippewa woman, Psychiatry Journal for the study of interpersonal relations, 1949, 12, pp. 67-76.

[32]   S. MINTZ, Préface à l'édition française de son livre, Taso, la vie d'un travailleur de la canne, Paris, Maspero, 1979, p. 10.

[33]   S. MINTZ, Op. cit., 1979, p. 10.

[34]   Ibid., p. 11.

[35]   S. MINTZ, Worker of the cane, New Haven, Conn., Yale University Press, 1960.

[36]   S. MINTZ, éd. franç., op. cit., 1979, p. 14.

[37]   O. LEWIS, The children of Sanchez : autobiography of a Mexican family, New York, Random House, 1961. [Version française du livre disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[38]   O. LEWIS, Les enfants de Sanchez : autobiographie d'une famille mexicaine, trad. franç., Paris, Gallimard, 1963, p. 28. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[39]   Trad. franç., op. cit., 1963, p. 14.

[40]   Trad. franç. op. cit., 1979, p. 34.

[41]   O. LEWIS, trad. franç., op. cit., 1963, p. 13.

[42]   Trad. franç., op. cit., 1979, p. 31-32.

[43]   The anthropological interview and the life history, The Oral History Review, 1979, pp. 18-26.

[44]   Intitulé du dernier chapitre de la traduction française du livre de S. MINTZ, Op. cit., 1979, pp. 269-285.

[45]   S. MINTZ, The anthropological interview and the life history, The Oral History Review, 1979, p. 23. (Souligné par nous.)

[46]   P. MERCIER, Anthropologie sociale et culturelle, Ethnologie générale (J. POIRIER éd.), Paris, Gallimard, 1968, Encyclopédie La Pléiade, p. 898.

[47]   Dans Oeuvres, Paris, Ed. Minuit, 1969, t. 3, p. 341.

*    [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[48]   Paris, Payot, 1947, p. 15.

[49]   Review of Sun Chief by Leo W. Simmons, Social Research, 1943, 10, pp. 515-517.

[50]   Compte rendu de San Chief, the autobiography of a Hopi Indian, par Leo S. SIMMONS, L'Année sociologique (1940-1948), 1950, 1, p. 330.

[51]   Les structures élémentaires de la parenté, Paris, Mouton, 1967, p. 104.

[52]   CI. LÉVI-STRAUSS, préface à l'édition française de Sun Chief, Soleil Hopi, Paris, Pion, 1959, p. v.

[53]   CI. LÉVI-STRAUSS, Op. cit., 1950, p. 330.

[54]   CI. LÉVI-STRAUSS, Compte rendu de l'ouvrage de CI. KLUCKHOHN, The use of personal documents in anthropological science, L'Année sociologique (1940-1948), 1950, 1, p. 331.

[55]   R. BASTIDE, Conclusion d'un débat récent : la pensée obscure et confuse, Le monde non chrétien, juillet-décembre 1965, nos 75-76, p. 139.

[56]   Ibid., p. 142.

[57]   Ibid., p. 144.

[58]   Op. cit., p. 145.

[59]   CI. LÉVI-STRAUSS, Op. cit., 1950, p. 331.

[60]   R. BASTIDE, L'ethnologie et le nouvel humanisme, Revue philosophique, octobre-décembre 1964, p. 447.

[61]   R. BASTIDE, ibid., p. 446.

[62]   Voir notre article, Françoise MORIN, Roger Bastide ou l'anthropologie des gouffres, Archives de Sciences sociales des Religions, 40, 1975, pp. 99-106. Également celui de Ch. LALIVE D'EPINAY, Roger Bastide et la sociologie des confins, L'Année sociologique, vol. 25, 1974, pp. 13-26.

[63]   R. BASTIDE, Op. cit., 1965, p. 148.

[64]   R. BASTIDE, Introdução a dois estudos sobre a tecnica das historias de vida, Sociologia, 1953, no 1, pp. 6-7.

[65]   S. ABOU, Paris, Plon, 1971. Voir Annexe, p. 531.

[66]   Voir en particulier R. BASTIDE, Sociologie des maladies mentales, Paris, Flammarion, 1965. Également Psychologie et ethnologie, Ethnologie générale (J. POIRIER éd.), Paris, Gallimard, 1968, Encyclopédie La Pléiade, pp. 1649-1650. Consulter les Archives orales de son séminaire (1962-1973) inventoriées par D. DAUTY (Paris, CREDA), dans lequel il traita, à différentes périodes, de l'histoire de vie.

[67]   E. de DAMPIERRE, Le sociologue et l'analyse des documents personnels, Annales, 1959, ne 3, pp. 442-454.

[68]   En 1968 parait l'Ethnologie générale (Encyclopédie La Pléiade) qui comporte 12 chapitres (plus de 300 pages) consacrés à la méthodologie en anthropologie. Pas un ne mentionne l'histoire de vie.

[69]   J. COPANS, Critiques et politiques de l'anthropologie, Paris, Maspero, 1974, p. 47.

[70]   Souligné par nous.

[71]   J. COPANS, Op. cit., p. 53.

[72]   C. LACOSTE, Biographies, in Outils d'enquête et d'analyse anthropologiques (R. CRESWELL, M. GODELIER éd.), Paris, Maspero, 1976, p. 102.

[73]   Voir sur ce point la communication de M. CATANI, Susciter une histoire de vie sociale est d'abord affaire de relation, communication présentée dans le cadre du IXe Congrès mondial de Sociologie, Uppsala (Suède), 14-18 août 1978, Groupe ad hoc no 20, L'approche biographique.

[74]   G. LECLERC, L'observation de l'homme, une histoire des enquêtes sociales, Paris, Seuil, 1979.

[75]   J. POIRIER, Des récits de vie aux ethnobiographies, Mélanges en l'honneur de Ch. Morazé : Culture, science et développement, Privat, 1979, p. 514.

[76]   F. LAPLANTINE, Le revers du miroir, Autrement, no 5, 1976, p. 9.

[77]   Dans le même article, F. LAPLANTINF entend par « modèle cumulatifs : « L'idéal d'une société dans laquelle les connaissances mémorisées et capitalisées ne sont pas encore remises en question, ainsi qu'un type de relation à l'histoire qui est appréhendée comme un héritage à transmettre et un passé à cultiver tout en le transformant. »

[78]   H. MENDRAS, La sagesse et le désordre : France 1980, Paris, Gallimard, 1980.

[79]   Voir notre article Identité ethnique et ethnicité, analyse critique des travaux anglo-saxons, Production et affirmation d'identité (Publication des Actes du Colloque de Toulouse, 1979), Privat, 1980.

[80]   Voir cri particulier B. NAROLL, On ethnie unit classification, Carrent Anihropology, vol. 5, no 4, 1964, pp. 283-312 ; E.K. FRANCIS, The nature of ethnic group, American Journal of Sociology, 1952, pp. 393-400 ; du même, Interethnic relations. An essay in sociological theory, New York, Elsevier, 1976 ; H. ISAAC, Basic group identity : the idols of the tribe, in N. GLAZER et D. MOYNIHAN (eds.), Elhnicity : theory and experience, Cambridge, Harvard Univ. Press, 1975, pp. 29-52.

[81]   Cette conception de l'ethnicité se retrouve en particulier chez Frederik BARTH, Ethnic groups and Boundaries, Boston, Little Brown Co., 1969 ; Abner COHEN, Urban ethnicity, New York, Harper & Row, 1974 ; John BENNETT (ed.), The new ethnicity Perspectives in Ethnology, Saint-Paul, Minn., West Publishing Co., 1975 A. L. EPSTEIN, Ethos and Identify, three studies in ethnicity, London, Tavistock, 1978 ; Leo A. DESPRES, Ethnicity and resource cornpetition in plural societies. The Hague, Mouton, 1975.

[82]   Cynthia H. ENLOE, Ethnic soldiers, State security in divided societies, Penguin Books, 1980, p. 6.

[83]   F. BARTH, Op. cit., p. 15.

[84]   Abner COHEN, Ethnicity : problem and focus in anthropology, Annual Review in Anthropology, 1978, no 7, pp. 379-403.

[85]   R. LEDRUT, La révolution cachée, Tournai, Casterman, 1979.

[86]   Voir notre article Langue et identité ethnique : le cas occitan (en coll. avec G. POUGET), Pluriel, 1978, no 15, pp. 9-26.

[87]   F. ELEGOËT, Nous ne savions que le breton et il fallait parler français, La Baule, Breizh Hor Bro, 1978.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 24 juillet 2008 16:51
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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