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Françoise Morin
Institut pluridisciplinaire d’Études sur l’Amérique Latine,
Université de Toulouse-Le Mirail
professeure associée, dép. d'anthropologie,
Université Laval et chercheure associée, CIERA.
“Le Mythe du 500e,
convergences et divergences.”
Un article publié dans la revue CARAVELLE, Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien, no 59, 1992, pp. 75-85, Toulouse.
Toutes les organisations amérindiennes ont condamné avec force, et ceci depuis plusieurs années, la volonté espagnole de commémorer le Ve Centenaire de la découverte de l'Amérique. Pour les peuples des deux Amériques, et en particulier ceux d'Amérique Latine, ce projet de célébration est « une humiliation », car il occulte l'existence de millions d'autochtones et de leurs différentes cultures avant l'arrivée de Colomb. Pour tenir compte de ces critiques, le projet a été modifié, sur proposition en 1988 de Miguel León-Portilla, ambassadeur du Mexique à l'UNESCO, en une commémoration de « la rencontre des deux mondes ». Mais les représentants autochtones continuent de dénoncer et rejeter les différentes manifestations programmées. Ils ne comprennent pas, en effet, comment on peut commémorer une rencontre qui s'est soldée, dès le premier siècle après l'arrivée des Européens, par une catastrophe démographique : guerres, travail forcé, esclavage, épidémies ont entraîné la destruction de 85% des populations amérindiennes.
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Il n'y a donc pas eu rencontre avec les Amérindiens mais génocide et ethnocide. Depuis cinq siècles, ils luttent contre cette entreprise de destruction, et 1992 n'est que le symbole de « 500 années de résistance indigène », thème de la campagne continentale lancée à Quito en 1990. Elle se présente comme une réponse des Autochtones à la célébration du Ve centenaire et a pour objectifs de mener une réflexion collective sur les conséquences de la Conquête, de retrouver leur mémoire historique pour affirmer leur identité, de se rencontrer entre différents peuples des deux Amériques pour communiquer et partager leurs expériences afin de s'unir pour défendre leurs valeurs.
Profiter de 1992 pour mieux se connaître entre peuples amérindiens des deux Amériques, c'est aussi le but de trois réunions planifiées par le « Comité Indigène 500 ». La première a eu lieu en Amérique du Nord, à Hull-Ottawa en novembre 1991, organisée par le Conseil Mondial des Peuples Indigènes, l'UNESCO et sept organisations autochtones canadiennes, dont l'Assemblée des Premières Nations. Elle a réuni plus de 700 délégués indigènes et observateurs, venus de 22 pays du Nord et du Sud du continent américain, et avait pour thème général « Renouveler la force spirituelle ». L'objectif était de permettre une réflexion commune sur leur passé, une évaluation du présent à partir de leurs cultures respectives, et de proposer pour l'avenir les bases d'un nouveau dialogue entre les peuples indigènes et d'autres sociétés.
Ayant participé à cette réunion où se côtoyaient délégués mapuche et inuit, mohawks et quechuas de l'Altiplano, amazoniens et hopi... je voudrais souligner, non seulement les valeurs communes invoquées, pour forger leur unité, par les représentants de cette mosaïque culturelle autochtone, qui s'étend depuis l'Arctique central canadien jusqu'à la Terre de Feu, mais aussi les volontés politiques différentes qui animent certains groupes.
1. Le mythe de l'aigle et du condor,
ou la fabrication de l'unité autochtone.
En inaugurant le 10 novembre 1991 à Hull la conférence des Nations Autochtones des Amériques, dans le splendide musée canadien de la Civilisation (dont l'architecte est un autochtone Blackfoot), le Président de l'Assemblée des Premières Nations, Ovide Mercredi, raconta le mythe prophétique de « l'aigle et du condor », thème logo de la conférence (voir figure 1) :
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Figure 1.
Logo de la Conférence Internationale des Nations Indigènes
des Amériques à Hull (Canada), 10-14 novembre 1991.
- « On raconte qu'il y a des milliers d'années, le Dieu du Temps créa, à partir de ses larmes, le soleil et la lune et de là sortirent l'Aigle et le Condor.
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- La force de l'Aigle et du Condor contraignit le Nord et le Sud des Amériques à s'unir, de là émergea l'Amérique Centrale. Sur cette terre se développèrent les premières nations des hommes. Ces peuples rencontrèrent plusieurs périodes difficiles, la plus effroyable étant la division de leurs nations dans les quatre directions.
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- À la suite de cette division, des prophéties furent émises afin de montrer aux Premières Nations les chemins de leur libération. L'une d'elles raconte qu'un jour l'union des larmes de l'Aigle et du Condor soigneront les blessures et fortifieront les esprits, les corps et les pensées des premiers peuples. Les guerriers repousseront les armes des ennemis et réussiront à effacer l'oppression, l'exploitation et l'injustice au nom de la liberté.
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- L'union de l'Aigle et du Condor se réalisera dans ce siècle dit la prophétie et réunira à nouveau les Premières Nations Autochtones venant des quatre directions des Amériques. »
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La version de ce mythe, utilisée par Ovide Mercredi pour montrer que cette rencontre à Hull des représentants des peuples des deux Amériques est en quelque sorte la réalisation d'un mythe prophétique, appelle plusieurs commentaires.
Figure 2.
Logo de la Rencontre Continentale des Peuples Indigènes
à Quito (Équateur), 17-21 juillet 1990.
Cette version résume, sur un mode plus général, celle déjà utilisée lors du premier rassemblement continental des Peuples Autochtones à Quito du 17 au 21 juillet 1990. Rassemblement organisé par la Conférence des Nationalités Indigènes d'Équateur (CONIAE) qui avait pour logo les mêmes figures animales (voir figure 2). Les divers [79] éléments de ce récit messianique étaient alors plus proches des cultures locales. Le soleil s'appelait Inti, la lune Quilla, les hommes étaient des Runa et le continent américain portait le nom d'Appia-Yala. L'aigle et le condor devenaient le « Kuntur de Urin » et l'« Anga de Hanan » mais la trame du mythe était la même, comme aussi la réalisation de la prophétie, en ce Ve siècle après la conquête.
Les deux versions de ce récit messianique sont, semble-t-il, de facture moderne et syncrétique ; elles utilisent, en effet, un certain nombre d'éléments culturels anciens, souvent cités par les tendances « indianistes » d'organisations autochtones comme le Conseil Indien d'Amérique du Sud (CISA). On peut ainsi lire dans le journal Pueblo Indio qu'en 1992 « le monde indien ne célèbrera pas l'invasion espagnole mais l'avènement d'un Pachacuti » c'est-à-dire un grand bouleversement. Il correspond aux 5 âges du monde -périodicité propre au monde indien - et va permettre « aux peuples autochtones de réaffirmer leur identité, de se mobiliser et de retrouver leurs racines » (1987, 13).
Mais l'alliance de l'aigle et du condor n'existe pas comme telle dans le matériel mythique traditionnel. Il semble donc que les deux versions de ce construit messianique répondent à une volonté politique de la part des organisations autochtones, celle d'affirmer l'unité des nations indiennes des deux Amériques. Le mythe justifie l'action politique et les leaders autochtones deviennent les « donneurs de sens » d'une date, 1992. Elle n'est plus synonyme d'humiliation mais le symbole d'une unité autochtone. Cependant, pour comprendre tout ce travail idéologique, il faut s'arrêter un instant sur la nature des organisations qui coordonnent ces rencontres.
L'Assemblée des Premières Nations est la nouvelle appellation de la « Fraternité Nationale des Indiens du Canada », première association autochtone à avoir obtenu en 1974 du Conseil Économique et Social (ECOSOC) de l'ONU son accréditation comme organisation non gouvernementale (ONG) avec statut consultatif. Georges Manuel, son président, avait très bien compris l'intérêt d'une approche interethnique et internationale des problèmes autochtones et entretenait d'ailleurs des liens étroits avec le National Congress of American Indians aux États-Unis. Bien que la Fraternité Nationale des Indiens du Canada soit une organisation nationale, elle obtint le statut d'ONG àcondition de le transférer à une organisation internationale des Peuples Autochtones dès qu'il en serait créé une. C'était pour les autochtones le début d'une ère nouvelle. Jusqu'ici assujettis aux majorités nationales des États qui les enclavent, ils pouvaient agir dorénavant sur le plan international et être reconnus par le droit international (Saladin d'Anglure, 1992).
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Ce fut le Conseil Mondial des Peuples Indigènes (CMPI) àqui, en 1975, fut transféré le statut d'ONG de la Fraternité Nationale des Indiens du Canada. Créé à Port Alberni en Colombie Britannique (Canada) en octobre 1975, lors d'une conférence organisée principalement par des leaders autochtones d'Amérique du Nord et de Scandinavie - ils étaient à l'époque les plus mobilisés politiquement - le Conseil Mondial des Peuples Indigènes va peu à peu tisser des liens entre les mouvements autochtones des deux Amériques, puis d'autres régions du monde (Sanders, 1977). Il utilisera aussi les forums internationaux comme l'ONU pour dénoncer les injustices envers les peuples autochtones et participer àl'élaboration d'une déclaration de leurs droits. Dès les premières années, le CMPI devint l'organisation parapluie pour différents regroupements ethniques régionaux (Kuster, 1989). Sa branche latino-américaine devint autonome, sous le nom de Conseil Indien d'Amérique du Sud (CISA), lors du 1er Congrès des Peuples Indiens d'Amérique du Sud à Ollantaytambo en mars 1980. Le CISA, représentant des organisations de huit pays latino-américains, obtint son statut d'ONG en 1987. Le CMPI bien que de vocation plus générale a beaucoup oeuvré pour organiser dans les dix dernières années un « movimiento indio » dans différents pays latino-américains comme l'écrit son actuel président, Donald Rojas Maroto (1988). Il n'est donc pas étonnant de voir, lors de cette rencontre des Nations Indigènes à Hull en décembre 1991, les représentants du CMPI et du CISA dominer la scène. Formées d'idéologues universitaires et d'une bureaucratie indigène, souvent éloignés de leurs bases communautaires, ces organisations travaillent au regroupement unitaire des peuples indiens, notamment à l'aide de manifestes sur l'indianisme ; elles sont donc très favorables à ce genre de grands rassemblements communalistes des nations autochtones et très ouvertes à une idéologie syncrétique pan-indienne.
« Notre force est dans notre unité » peut-on lire dans « la déclaration finale des Premières Nations des Amériques »résultant de cette conférence de Hull. Pour forger cette « unité continentale », plusieurs valeurs communes sont invoquées comme « leur appartenance à la terre, source de vie », « leur représentation du monde où la spiritualité indigène est intimement liée à la nature », et aussi « l'importance des anciens pour transmettre cet enseignement spirituel et l'héritage culturel ». La figure du cercle est perçue comme le symbole des croyances qu'ils partagent, que ce soit « le cercle sacré »invoqué par le délégué hopi, ou « le cercle cosmique » par le représentant quechua. L'importance de cette spiritualité partagée était d'ailleurs manifeste. Chaque session de la conférence était introduite par un ancien : ainsi tout en invoquant la Terre-Mère, un Aymara [81] dispersait sur le sol des feuilles de coca, un Ojibway offrait du tabac et faisait brûler des herbes sacrées, un Hopi offrait de la semoule de mais aux quatre directions. Cette communion spirituelle, à partir de différents héritages partagés, répondait en quelque sorte à une quête identitaire souvent exprimée ainsi : « Nous sommes tous devenus des étrangers sur nos propres terres. » Plusieurs témoignages biographiques et souvent pathétiques venaient appuyer ce constat collectif.
2. Des voix divergentes ou absentes.
Cette rencontre des Nations Autochtones à Hull était au départ organisée autour d'ateliers. Il y en avait cinq répartis entre les Anciens, les femmes, les jeunes, les leaders et les organisations non gouvernementales. Le premier jour, chaque atelier fonctionna comme prévu et selon un agenda discuté à l'avance. Dans l'atelier des femmes, plusieurs racontèrent les problèmes causés par le harcèlement sexuel et le comportement violent des hommes. Elles s'inquiétèrent même de l'aggravation possible de ces phénomènes si l'autonomie politique revendiquée par les organisations autochtones leur était accordée. Les media qui couvraient cette conférence internationale rapportèrent le soir même, à la télévision, cette note discordante, au moment où l'autonomie politique est un enjeu majeur pour les Autochtones canadiens. Dès le lendemain matin, les travaux de la conférence étaient suspendus sur ordre des Anciens. Ils critiquaient l'organisation de la rencontre « imposée par les Blancs et fondée sur une division artificielle selon le sexe et l'âge » et soutenaient que les solutions aux problèmes des peuples autochtones devaient être discutées ensemble et non séparément. Ils décidaient de prendre en main le déroulement de la conférence en convoquant tous les délégués dans le même amphithéâtre où, dorénavant, allait se dérouler en séance plénière, et sous leur autorité morale, la suite des activités. « Cette façon de travailler était, selon l'un des anciens, plus conforme à la culture indienne. » Mais le discours assez conformiste de quelques-uns, sur la position traditionnellement soumise de la femme indigène, fut mal reçu par certaines femmes leaders qui quittèrent la salle. Masquer les problèmes pour faire ressortir l'unité de la société autochtone semblait àces dernières conduire à une impasse.
Autre divergence, celle exprimée par des organisations qui se démarquent du discours syncrétique pan-indien, en montrant l'urgence d'agir concrètement pour répondre aux demandes des organisations de base. C'est le cas des organisations inuit et amazoniennes. [82] Mary Kuptana, présidente de l'association nationale Inuit Tapirisat, regroupant les quelques 30,000 Inuit du Canada, choisit ainsi d'aborder les problèmes spécifiques de ceux-ci, c'est-à-dire leurs droits territoriaux, leurs droits de chasse (« personne ne s'est préoccupé des autochtones lorsque chuta le marché des fourrures »), leur conception du développement durable et autosuffisant. Mary Simons, présidente de l'organisation transnationale, Inuit Circumpolar Conference (ICC), représentant les 120,000 Inuit répartis sur quatre États Nations (Groënland, Canada, USA, CEI), et dont l'un des bureaux régionaux est à Ottawa-Hull, viendra quelques heures, le troisième jour de la conférence, assister aux débats mais ne prendra pas la parole. Elle avait manifestement d'autres urgences comme les négociations avec le gouvernement canadien sur l'insertion dans la Constitution des Droits autochtones, notamment le Droit inhérent des « Premières Nations » à l'autonomie politique.
En ce qui concerne les organisations amazoniennes, elles étaient sous-représentées. Un jeune leader, Juan Reategui, représentait à lui seul l'Association Interethnique de Développement de la Forêt Péruvienne (AIDESEP) et la Coordination des Organisations Indigènes du Bassin Amazonien (COICA). La première est une association nationale regroupant 22 associations régionales et représentant 300,000 autochtones, la seconde est une association non gouvernementale transnationale regroupant 5 confédérations interethniques nationales, dont l'AIDESEP, et représentant environ 1,200,000 autochtones (Morin, 1992a). Aux dires de ce jeune leader, ce vaste ensemble amazonien n'avait reçu d'invitation que pour un seul délégué. On peut penser que les organisateurs avaient fait le choix de privilégier la venue de représentants qui leur étaient idéologiquement plus proches. Face aux nombreux délégués andins dont il ne partageait ni l'idéologie indianiste ni les références historiques comme celle du Tawantinsuyo, modèle d'organisation politique incaïque prôné par le Conseil Indien d'Amérique du Sud (CISA), ce jeune leader aguaruna se sentait bien loin de leurs préoccupations. Selon lui, 1992 devait être « l'année de la lutte pour la territorialité et l'auto-détermination » des peuples amazoniens. Cette divergence de vue entre Amazoniens et Andins n'est pas nouvelle et s'est souvent manifestée lors des forums internationaux comme l'ONU. Ainsi, lors de la 9" session du Groupe de Travail des Populations Autochtones en Juillet-Août 1991 à Genève (Morin, 1992b), un représentant de l'organisation Tupak-Katari de Bolivie, appuyé par celui du CISA, propose, pendant une séance réservée aux discussions entre autochtones, un projet de résolution condamnant les célébrations du 500' anniversaire. Il demandait aussi au gouvernement espagnol d'assumer sa responsabilité [83] morale et politique en réparant les conséquences néfastes de l'invasion et en indemnisant les descendants et survivants des deux Amériques. Le président de la COICA, Evaristo Nugkuag, présent lors de cette discussion, exprima à plusieurs reprises son désaccord en soulignant que l'enjeu autochtone en 1992 était bien plus la conférence des Nations Unis sur l'Environnement et le Développement à Rio de Janeiro que la dénonciation des célébrations du 5e centenaire. Ce sommet sur l'avenir de la planète devait déterminer, selon la COICA, l'avenir des peuples autochtones. Faisant partie des ONG accréditées par l'ONU pour y participer, elle estimait qu'il était plus important de discuter entre autochtones des enjeux de ce sommet que de parler du passé, c'est-à-dire du Ve centenaire. Cela ne veut pas dire pour autant que les organisations amazoniennes ne condamnent pas les commémorations de la soi-disante découverte ou rencontre des deux mondes, mais elles le font en d'autres termes. Ainsi l'AIDESEP a formé en 1989 un comité qui porte le nom « 500 ans de lutte pour la vie et l'autodétermination indigène ». En effet, pour ses leaders, « la conjoncture 92 doit permettre la formulation d'alternatives indigènes telles que les mots liberté, démocratie, justice, souveraineté et autodétermination se traduisent dans la vie quotidienne par des solutions concrètes » (Voz Indigena, 1990). Et en mai 1991, lors de la 15e assemblée d'AIDESEP àIquitos, les délégués des 27 fédérations ethniques se donnèrent comme objectifs de réussir pour le 12 octobre 1992 la titularisation des terres de toutes les communautés indigènes et le plan de réunification des territoires ancestraux de chacun de leur peuple, afin de démontrer concrètement qu'ils veulent mettre fin à 500 ans de colonisation et d'ethnocide en Amazonie péruvienne.
Une alliance Nord-Sud
pour le développement autochtone.
En dépit de la faible représentation des peuples amazoniens àla Conférence de Hull, et des vues divergentes de plusieurs autres groupes, comme les Inuit, l'unité autochtone du continent américain est en voie de prendre forme et de constituer une nouvelle force politique susceptible d'influencer les gouvernements, en particulier latino-américains, dans le sens d'une reconnaissance de leurs droits collectifs.
Revêtu symboliquement d'un poncho andin, pour marquer le caractère syncrétique de cette union, le président de l'Assemblée des Premières Nations indiqua, lors de la clôture de la conférence, qu'il était conscient des différences politiques et économiques existant entre [84] les peuples du Nord et du Sud de ce continent américain : « Ici, au Canada, nous jouissons d'un luxe, celle de la liberté d'expression. Nos dirigeants ne vont pas disparaître comme il arrive à nos frères du Pérou ou d'Amérique Centrale. Nous pouvons nous exprimer sans danger de mort et pouvons donc être les avocats des problèmes que vous vivez au Sud. » Ovide Mercredi montra qu'au delà des cinq siècles écoulés les sociétés autochtones étaient en train de se prendre en main et qu'il fallait maintenant traduire en actes la construction de cette unité indigène. Il proposa donc de mettre sur pied une « Agence Internationale pour le Développement des Premières Nations d'Amérique » qui interviendrait directement afin d'améliorer les conditions de vie des peuples autochtones, les sortir de l'oppression et de la pauvreté sans attendre pour cela l'aide des gouvernements.
Sublimant l'énergie négative résultant des traumatismes de la Conquête, ravivés par les projets du Ve centenaire, les organismes autochtones sont ainsi en train de se forger une identité continentale et un outil de développement, orientés vers le futur. Ils veulent par là assumer leur devenir et se transformer en acteurs et en décideurs politiques, pour les « cinq siècles » à venir. Cette identité continentale vient compléter et renforcer les identités ethniques, régionales, interethniques et transnationales qui se sont affirmées au cours des trente dernières années chez les peuples autochtones des Amériques, en réponse au développement industriel et aux politiques assimilationnistes des États-Nations.
Bibliographie
KUSTER Ursula, From Identity to resistance : North American Indians' international politics, Diplôme « Langues Vivantes Étrangères », Paris, Univ. Paris 7, 1989.
MORIN Françoise, « Revendications et Stratégies politiques des Organisations Indigènes Amazoniennes », Cahiers d'Amérique Latine, 1992a, sous presse.
-, « Vers une déclaration universelle des droits des peuples autochtones » in Les Minorités en Europe : Droits Linguistiques, Droits de l'Homme (H. Giordan, ed.), Paris, Ed. Kimé, 1992b, pp. 493-507.
PUEBLO INDIO, « Los 500 años de la invasión ante las cinco edades del mundo indio », 1987, no 13, junio, pp. 29-31.
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ROJAS MAROTO Donald, « Perspectivas de fortalecimiento del Movimiento Indio y rol del Consejo Mundial de Pueblos Indios » in La cara india, la cruz del 92. Identidad étnica y movimientos indios (J. Contreras, ed. », Madrid, Editorial Revolución, 1988, pp. 165-174.
SALADIN DANGLURE Bernard, « La Conférence Inuit Circumpolaire et la protection des droits collectifs des peuples » in Les Minorités en Europe : Droits linguistiques, Droits de l'Homme (H. Giordan, ed.), Paris, Ed. Kimé, 1992, pp. 523-536.
SANDERS Douglas, The formation of World Council of Indigenous Peoples, IWGIA Document, no 29, Copenhagen, 1977.
VOZ INDIGENA, « AIDESEP y el Quinto Centenario », Agosto 1990, nos 25-26-27, pp. 26-27.
RÉSUMÉ.
Le Ve centenaire suscite chez les Amérindiens un mouvement unitaire allant dans le sens de la reconnaissance de leurs droits à l'autonomie et au développement politique. Ceci ressort de la Conférence Internationale des Nations Indigènes des deux Amériques organisée à Hull (Canada) en novembre 1991. Mais des divergences apparaissent entre leurs diverses organisations sur les priorités et les stratégies à utiliser. Les unes expriment leurs aspirations dans un discours politico-religeux, les autres misent beaucoup plus sur un développement durable et équitable. |