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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Françoise Morin et Bernard Saladin d’Anglure [respectivement de l’Université Lumière, Lyon 2, et de Université Laval], “L'ethnicité, un outil politique pour les autochtones de l'Arctique et de l'Amazonie.” Un article publié dans la revue ÉTUDES/INUIT/STUDIES, vol. 19, no 1, 1995, pp. 37-68. Québec: Université Laval. [Autorisation accordée par Mme Morin de publier, dans Les Classiques des sciences sociale, toutes ses publications conjointes avec M. Saladin d'Anglure, le 10 avril 2008.]

Françoise Morin * et Bernard Saladin d’Anglure ** 

L'ethnicité, un outil politique pour les autochtones
de l'Arctique et de l'Amazonie
”. 

Un article publié dans la revue ÉTUDES/INUIT/STUDIES,
vol. 19, no 1, pp. 37-68. Québec : Université Laval.

 

Abstract / Résumé
 
Introduction
 
1. Le contexte théorique et éthique de l'apport anthropologique au développement politique autochtone
 
L'effet Barth et l'anthropologie de l'ethnicité
La filière scandinave et la nouvelle éthique anthropologique
 
2. L'ethnicité comme outil politique : trois exemples autochtones
 
La réinvention de l'ethnicité youkaguire
L'invention d'une ethnicité inuit transnationale
L'invention d'une autochtonie panethnique amazonienne
 
3. Ethnicité et politique
 
Références
 
Carte 1. La complexité de la répartition des Youkaguires à la fin du XIXe siècle telle que décrite par Jochelson et leur localisation actuelle d'après W. Garrett (1983) et N. Graburn & S. Strong (1973).
Carte 2. La Conférence Inuit Circumpolaire et ses composantes nationales et régionales
Carte 3. Territoire couvert par les activités de la COICA et des organisations autochtones nationales qui la composent.
 
Figure 1. Campement youkaguire de la toundra (éleveurs de rennes) au début du XXe siècle. Photo : W. Jochelson (courtoisie de l'American Museum of Natural History, New-York).

 

Abstract

Ethnicity as a political instrument
for the Arctic and Amazonian native peoples.

 

Native ethnicity has undergone spectacular transformation over the last 28 years and many anthropologists, working in the wake of Fredrik Barth, have made a significant contribution to these developments. They have produced a conceptual framework to deal with ethnic mobilization by native peoples and actively supported the cause on the international level. This paper presents three case studies showing the various ways in which ethnicity has been used as a political instrument : the Yukagirs who have reinvented their ethnic identity, the Inuit who have set aside their regional and national differences to stress a common culture and the Amazonian Indians who have built a panethnic transnational organization on the basis of their "autochthony" and their share of relationship to the world.

 

Résumé

L'ethnicité, un outil politique pour les autochtones
de l'Arctique et de l'Amazonie.
 *

 

Depuis vingt-cinq ans, l'ethnicité autochtone a connu des développements spectaculaires auxquels participèrent d'ailleurs de façon importante plusieurs anthropologues dans le sillage de Fredrik Barth. Ceux-ci travaillèrent à la conceptualisation des mobilisations ethniques des peuples autochtones et apportèrent un soutien actif à la cause autochtone au plan international. L'article expose trois cas illustrant les voies diverses de l'utilisation de l'ethnicité comme outil politique : les Youkaguires qui réinventent leur ethnicité, les Inuit qui mettent de l'avant une culture commune au-delà des différences régionales et nationales, enfin, les Indiens d'Amazonie qui s'unissent en un front panethnique transnational sur la base de leur autochtonie et d'un semblable rapport au monde.

 

Introduction

 

Vingt-cinq ans après la publication d'Ethnic groups and boundaries (Barth 1969), une analyse critique de l'anthropologie de l'ethnicité ne peut ignorer les développements spectaculaires de l'ethnicité autochtone qui ont conduit à la proclamation, par l'Assemblée générale de l'ONU, de l'année 1993 comme « Année internationale des populations autochtones », puis de la Décennie 1994-2003, comme celle des peuples autochtones. Ces développements ne sont pas le fruit du hasard, mais l'aboutissement des efforts concertés, tant des organisations politiques autochtones que des organisations non gouvernementales occidentales. Ces efforts ont débouché sur la reconnaissance internationale de la spécificité et de l'importance du « problème autochtone » par les grands États-nations [1] (Morin 1992c). L'Année internationale est le résultat le plus visible des aspirations de trois cents millions d'autochtones dans le monde, aspirations à être reconnus comme peuples, à être respectés dans leurs différences culturelles et à assumer un développement politique autonome. Pour faire face aux politiques d'assimilation et de développement industriel qui les menacent, de nombreux peuples autochtones se sont dotés de nouvelles organisations politiques, se sont refaçonnés des identités, ethniques ou panethniques, se sont redécoupés des territoires, dont certains, transnationaux. Il s'agit le plus souvent de processus, en constante évolution selon la conjoncture économique et politique. 

Parmi les nombreux faits marquants de cette « révolution autochtone », nous avons choisi d'en analyser trois, tous survenus autour de 1993, qui montrent bien comment l'ethnicité peut devenir un outil politique permettant de transcender les identités locales pour construire des solidarités ethniques ou interethniques plus larges. L'ethnicité est ici comprise comme un processus d'identification ethnique modulable pour faire face aux changements socio-économiques vécus par des minorités autochtones dominées politiquement et enclavées dans des États-nations. Le premier des faits retenus est un appel à l'aide du Conseil des anciens du peuple youkaguire (mille cent quarante deux personnes vivant en Sibérie nord-orientale) au Groupe de travail sur les populations autochtones de l'ONU à Genève (Saladin d'Anglure et Morin 1993) ; le second est une rencontre à Anchorage (Alaska) de délégués de la Conférence inuit circumpolaire (représentant environ 130 000 Inuit, du Groenland, de l'Arctique canadien, de l'Alaska et de la Sibérie) destinée à mettre sur pied une grande zone de libre-échange inuit panarctique ; le troisième est l'organisation par la Coordination des organisations indigènes du bassin amazonien (regroupant un million et demi d'Indiens de la forêt amazonnienne), à Iquitos (Pérou) de la première réunion de l'Alliance mondiale des peuples indigènes des forêts tropicales. 

Ces trois exemples ont en commun de relever d'une même problématique de l'ethnicité, celle que nous venons de définir, mais à des échelles différentes : l'ethnicité régionale youkaguire, l'ethnicité transnationale inuit, l'alliance panethnique amazonienne. En dépit de leur construction récente, ces identités ethniques sont loin d'être artificielles : elles sont imaginées ou inventées dans le sens illustré par Anderson (1983), Hobsbawm et Rangers (1983), Cohen (1985) et Dahl (1988) ; elles comportent des éléments anciens, réactivés et réinterprétés pour faire face aux pressions externes du colonialisme politique. 

Mais avant d'analyser dans le détail ces exemples, nous voudrions décrire le contexte théorique et éthique de l'anthropologie dans lequel il faut les situer pour qu'ils prennent tout leur sens. Nous le décrirons, sous le titre de « l'effet Barth », pour ce qui est du contexte intellectuel et sous celui de la « filière scandinave », pour le contexte éthique (Saladin d'Anglure 1992). 

 

1. Le contexte théorique et éthique
de l'apport anthropologique au développement
politique autochtone

 

La thèse que nous présentons ici est que ce développement politique autochtone, avec les processus ethniques qu'il comporte, découle en partie du courant d'idées anthropologiques développées autour de Fredrik Barth (1969) et d'une nouvelle éthique de l'intervention mise en oeuvre par des anthropologues, à travers plusieurs organisations non gouvernementales, notamment scandinaves. Cette intervention tente de remédier à la situation des peuples autochtones, largement dégradée dans les années 60 par l'accélération des politiques de développement et d'assimilation développées par les États-nations, ainsi que par les besoins accrus de ces derniers en ressources énergétiques et en matières premières qui se trouvent sur les territoires autochtones. 

 

L'effet Barth et l'anthropologie de l'ethnicité

 

Le développement politique autochtone, tel qu'on le connaît actuellement, n'aurait sans doute jamais obtenu le soutien international dont il a su profiter, sans le bouleversement dans le domaine des idées, qu'a constitué, à la fin des années 1960, ce que nous proposons d'appeler l'effet Barth. Celui-ci renvoie aux conséquences du symposium anthropologique de Bergen (1967), au cours duquel une dizaine d'anthropologues sociaux scandinaves, collègues ou disciples de Fredrik Barth, tentèrent, sous sa direction, de formuler un nouveau cadre théorique pour étudier la constitution et la persistance des groupes ethniques et de leurs frontières. Jusque là, l'anthropologie s'était bornée à étudier les autochtones sous l'angle de la culture, ou de l'organisation sociale, comme s'il s'agissait d'isolats autonomes, sans que leurs relations avec le milieu environnant, social, économique ou politique, fussent véritablement prises en compte. Elle avait négligé aussi la façon dont ces peuples se considéraient eux-mêmes et étaient perçus par leurs voisins [2]. 

Leach (1954) avait le premier attiré l'attention sur les insuffisances de cette approche en préconisant la prise en compte des catégories indigènes [3] dans la définition des unités sociales devant faire l'objet de l'analyse anthropologique ; il avait montré que c'est l'organisation sociale qui donne son sens à la culture et non pas le contraire (Eriksen 1993a) ; il ne s'était pas intéressé cependant à l'ethnicité comme concept, ni à l'élaboration d'un modèle approprié pour l'étudier (Lockwood 1984). C'est à Barth, influencé par les travaux américains sur l'interactionnisme symbolique, que l'on doit la conceptualisation de ce renversement de perspective à travers sa définition des groupes ethniques comme formes d'organisation sociale résultant de l'interaction du groupe et de son environnement. L'étude de l'ethnicité devait s'intéresser aux frontières qui président aux identités qu'un groupe se donne et qui lui sont assignées par ses voisins, comment et pourquoi ces frontières sont élaborées et maintenues entre groupes, plutôt qu'inventorier les traits culturels spécifiques à chaque groupe ethnique. On la présente depuis comme une approche « subjectiviste », « situationnelle », « interactionnelle », dynamique et flexible. Avec elle, on pourrait dorénavant étudier les peuples autochtones dans la modernité (c'est-à-dire le changement), autrement qu'en termes d'acculturation ou d'assimilation. On pourrait analyser les différentes voies choisies par ces peuples pour participer aux systèmes sociaux les englobant ; selon Barth (1969 : 33) ces voies sont soit l'acceptation du statut de minoritaires, soit la revalorisation de l'identité ethnique ; ce dernier choix étant à l'origine de mouvements nativistes autochtones, de groupes de pression et partis politiques ethniques, comme aussi de l'émergence de nouveaux États. 

Barth n'a cependant jamais pressenti le développement politique autochtone tel que nous le présentons dans cet article ; il reconnaît lui-même n'avoir pas prévu l'utilisation qui serait faite de ses idées pour fonder et appuyer ce développement. Plusieurs auteurs ne se sont d'ailleurs pas privés de critiquer les limites de son approche trop écologique (Gulliver 1971), sa perspective naturaliste et a-historique (Eriksen 1993b) ; nous n'entrerons pas dans ce débat. Ce que nous voulons mettre en lumière cependant, c'est le fait qu'il a créé les conditions théoriques qui ont permis la prise en compte par l'anthropologie du développement politique autochtone, comme objet de recherche et d'action. Ce faisant, il a effectué ce que nous n'hésitons pas à appeler une rupture épistémologique, car avant lui ce développement politique était considéré comme un abandon des valeurs et des structures traditionnelles, comme un fait d'acculturation, voire d'assimilation. Bien des anthropologues actuels, fascinés par le passé exotique des peuples autochtones qu'ils étudient, refusent toujours de considérer comme relevant de l'anthropologie les aspirations politiques de ces peuples. Celles-ci relèvent pour eux soit du militantisme et de l'action humanitaire, soit d'autres disciplines comme la sociologie, le droit ou la science politique. Le concept barthien d'ethnicité, en déplaçant le regard du tribal vers l'ethnique (Cohen 1978) permet au contraire de conceptualiser théoriquement les mobilisations ethniques des peuples autochtones et, pour certains anthropologues, de justifier leur soutien aux nouvelles organisations ethniques indigènes. Cette nouvelle perspective entraîne une modification complète du rapport de l'anthropologue à l'indigène, qui d'informateur devient acteur politique.

 

La filière scandinave
et la nouvelle éthique anthropologique

 

Les participants au symposium de Bergen, passèrent à l'action dès l'année suivante, en 1968, année des grandes remises en cause sociales et politiques en Occident, et aussi « Année internationale des droits de l'Homme ». Ils figurent presque tous comme membres fondateurs de l'International Work Group for Indigenous Affairs (IWGIA), créé cette année-là, une des toutes premières organisations non gouvernementales vouées à la défense et à la promotion des peuples autochtones [4]. Leurs premières actions eurent lieu d'abord au sein de la profession anthropologique, à Stuttgart, lors du XXXVIlle Congrès des Américanistes (août 1968), quand ils joignirent leurs voix à celles d'anthropologues spécialistes de l'Amérique du Sud, pour présenter une résolution dénonçant collectivement le génocide et l'ethnocide dont étaient victimes les Indiens des Amériques, et proposèrent la création d'IWGIA ; puis à Tokyo, lors du VIlle Congrès des sciences anthropologiques et ethnologiques (septembre 1968), où ils obtinrent l'appui des anthropologues radicaux et sensibilisèrent la profession à la situation dramatique des peuples autochtones. Les questions qu'ils posaient rejoignaient le débat lancé à la même époque par Gerald Berreman, Gutorm Gjessing et Kathleen Gough (1968) aux États-Unis dans la revue Current Anthropology sur la responsabilité sociale des chercheurs en anthropologie. Les problèmes d'éthique soulevés par ces trois anthropologues dans leur article, ainsi que les relations qu'ils établissent entre anthropologie et impérialisme, donnèrent lieu à de nombreux commentaires publiés dans ce même numéro. Ils font ressortir un important clivage entre les « radicaux » qui soutiennent les positions défendues par les trois auteurs et les « libéraux » qui prétendent que l'anthropologie ne doit pas se mêler d'humanisme et d'engagement moral (voir Copans 1970). 

Avec la création d'IWGIA, une nouvelle éthique anthropologique s'exprimait, une éthique de l'action au service des peuples autochtones ; le Norvégien Helge Kleivan (un des participants de Bergen), spécialiste des Inuit, en fut nommé secrétaire général et le Suédois L. Persson, spécialiste de l'Amérique du Sud, président. Le secrétariat provisoire fut installé en Suède, puis en 1971, il fut transféré au Danemark, à Copenhague (IWGIA 1989). Ce groupe de travail dont l'objectif était à l'origine de collaborer avec l'ONU, notamment avec le Bureau des affaires légales et avec la Commission des droits de l'Homme, souhaitait obtenir l'appui des gouvernements des pays scandinaves, très actifs à l'ONU. Il projetait aussi de faire des représentations auprès des États où étaient signalées les violations des droits de la personne à l'encontre des autochtones. Si ses premières actions et publications furent surtout consacrées à la situation des Indiens d'Amérique du Sud, où ces violations étaient les plus flagrantes, l'implantation et le réseau de communication nordique du groupe de travail allaient exercer une influence déterminante auprès des peuples autochtones de l'Arctique. Helge Kleivan en sera la cheville ouvrière (Saladin d'Anglure 1992). 

En 1973 il contribue activement à l'organisation de la « Première Conférence des peuples arctiques » (Inuit, Saami, Dénés et Cris) à Copenhague (Kleivan 1992). En 1975 il agit comme principal conseiller lors de la mise sur pied du Conseil mondial des peuples indigènes, en organisant à Copenhague une réunion préparatoire au congrès de fondation. Ce dernier se tint un peu plus tard en 1975, au Canada, et permit aux délégués inuit des divers pays nordiques qui figuraient parmi les participants de se rencontrer et de discuter d'un projet commun de Conférence inuit circumpolaire, qu'ils décidèrent de tenir à Point Barrow (Alaska) en 1977. 

Dès 1977, le gouvernement de la Norvège, et à sa suite les autres gouvernements scandinaves, reconnaissent l'importance de l'action politique d'IWGIA et du Conseil mondial des peuples indigènes, et leur apportent un appui financier et un support politique constant. Le Nordic Senior Officials' Committee (créé en 1979) coordonnera bientôt les actions politiques des pays nordiques en ce qui concerne les peuples autochtones et favorisera la communication à leur sujet (Sverre 1985). Fort de cet appui, IWGIA fera du développement politique des peuples autochtones, à commencer par ceux de l'Arctique, une de ses principales activités, et cela même après la mort de Helge Kleivan, survenue en 1983. 

Cette action s'étendra plus tard à la Sibérie, dès la fondation à Moscou, en 1990, de l'Association des Petits Peuples de Sibérie, où Fun des dirigeants d'IWGIA, Jens Dahl, sera invité comme observateur. Il en profitera pour nouer des liens avec plusieurs leaders autochtones sibériens. Quelques mois plus tard, IWGIA réussira à faire venir à Genève, pour la première fois, Vladimir Sanghi, le président élu de cette nouvelle association, afin qu'il puisse participer aux travaux du Groupe de travail de l'ONU sur les populations autochtones. Par la suite une section russe d'IWGIA sera créée à Moscou. En plus de développer des contacts réguliers avec les gouvernements des États scandinaves, cette ONG travaillera à sensibiliser le public de ces pays, avec des résultats très positifs. 

Plus discrètes, mais tout aussi efficaces, ont été les interventions d'IWGIA auprès des personnalités représentant les pays nordiques dans les instances concernées de l'ONU. Notamment Asbjorn Eide, le juriste et expert norvégien, membre de la Sous-commission pour la lutte contre les mesures discriminatoires et la protection des minorités. Il jouera un rôle essentiel dans la création, puis à la présidence du Groupe de travail sur les populations autochtones de l'ONU (1982). C'est lui encore qui préparera, en 1990, le document de travail de l'ONU sur les activités que pourrait entreprendre cette organisation, dans le cadre de l'Année internationale sur les populations autochtones. 

Mais l'émergence du pouvoir [5] autochtone au niveau international n'aurait jamais pu se produire s'il n'y avait pas eu, en face des anthropologues engagés et des ONG humanitaires, de nouveaux leaders autochtones. Contrairement aux anciens leaders issus des structures sociales traditionnelles des communautés, ces nouveaux leaders avaient été formés dans le système éducatif implanté par les États-nations qui dominaient leurs peuples, ainsi que nous le verrons plus loin dans les exemples présentés. Parlant la langue officielle de leur État et en connaissant bien les structures, ils avaient été choisis par leurs congénères, lors de la mise sur pied d'organisations ethniques, pour faire valoir les droits autochtones auprès des instances nationales ou internationales. Très rapidement repérés par les ONG humanitaires qui s'intéressaient aux autochtones, ils en étaient devenus les interlocuteurs privilégiés. Ceux qui eurent la chance de se rendre à Genève comprirent très vite le pouvoir qu'ils acquéreraient en présentant un front commun autochtone devant les organisations internationales très sensibles à la décolonisation, à la protection des minorités et aux droits de la personne. La collaboration de ces nouveaux médiateurs, devenus « entrepreneurs ethniques », avec les anthropologues et les organisations humanitaires, a rendu possible l'utilisation de l'ethnicité comme outil politique par les nouvelles organisations autochtones.

 

2. L'ethnicité comme outil politique :
trois exemples autochtones

C'est en 1971 que, sous la pression d'ONG et des gouvernements nordiques, le Conseil économique et social (ECOSOC) de l'ONU confia à un rapporteur spécial le soin de réaliser une étude sur la discrimination à l'encontre des populations autochtones, car aucun des articles de la charte de l'ONU ne protégeait spécifiquement ces populations assimilées jusque-là à des minorités [6]. Cette étude qui marque le point de départ d'une nouvelle politique en faveur des autochtones, s'étale sur douze ans avant d'être enfin publiée en 1986. Entre temps, fut organisée par l'ONU à Genève une Conférence internationale des ONG ayant statut consultatif à l'ONU sur « la discrimination à l'encontre des populations autochtones des Amériques ». Les délégués indiens des deux Amériques y réclamèrent officiellement d'être reconnus comme peuples autochtones et non plus comme minorités ethniques ; ils demandèrent en outre que soit créé un groupe de travail à l'ONU consacré à leurs problèmes et enfin que soit élaborée une déclaration pour la défense de leurs droits. Cette requête, à laquelle de nombreux médias firent écho, fut un des facteurs déclenchants d'une série de mesures prises par l'ONU en faveur des autochtones. 

L'ONU reprendra à son compte ces propositions, créera un groupe de travail, devenu aujourd'hui un véritable forum autochtone international auquel participent cinq cents délégués représentant trois cents millions d'autochtones dans le monde, et élaborera un projet de déclaration, en cours d'adoption. Du statut ambigu de minorités qu'ils occupaient, les autochtones sont désignés maintenant par l'ONU sous l'appellation de « populations autochtones », ce qui ne les satisfait pas ; ils veulent qu'on les considère comme des peuples, mais les États-nations dont ils font partie empêchent cette reconnaissance, de peur que s'appuyant sur la Charte de l'ONU, ils ne réclament l'autodétermination et l'indépendance politique. Partie des Amériques, la revendication autochtone a fait tache d'huile et suscité la formation de plusieurs centaines d'organisations autochtones sur les cinq continents, dont douze ont reçu l'accréditation auprès de l'ECOSOC, comme ONG. 

Pour analyser l'utilisation de l'ethnicité comme outil politique par les peuples indigènes, nous avons choisi trois exemples d'organisations autochtones que nous avons eu l'occasion d'étudier lors de plusieurs missions de recherche sur le terrain au cours des années récentes [7].

 

La réinvention de l'ethnicité youkaguire

 

L'appel adressé par le Conseil des anciens des Youkaguires au Groupe de travail sur les populations autochtones de l'ONU, en juillet 1993, a attiré l'attention internationale sur ce « petit peuple » de Sibérie nord-orientale qui réclame aide et protection en tant que peuple menacé (Saladin d'Anglure et Morin 1992). L’histoire de ce peuple est quelque peu paradoxale, car il est une « invention » du colonisateur russe (au double sens de « découverte » et de « fabrication ») tout en étant reconnu comme le premier occupant historique d'une immense région arctique et sub-arctique de Sibérie (un million cinq cent mille kilomètres carrés), qui s'étend de la Léna jusqu'aux confins du détroit de Béring (voir la carte 1). Cette « autochtonie primordiale » dont il s'enorgueillit présentement, lui est concédée par tous ceux (Russes, Yakoutes, Évènes, Évenkes, Tchoukches, etc.) qui partagent actuellement ce territoire. 

Lorsque les Russes entrèrent en contact avec ceux qu'ils désignèrent sous le nom de Youkaguires, en 1633, ces derniers comptaient entre cinq mille (Zukova et al. 1993) et dix mille individus (Kurilov 1993), vivant de la pêche et de la chasse, le long des nombreuses rivières. Ils se subdivisaient en plusieurs groupes et sous-groupes qui se distinguaient par leurs différences dialectales. Après cent ans de contacts dévastateurs (épidémies, conflits, famines) avec les Russes et des voisins envahissants, ils n'étaient plus que cinq mille, au milieu du XVIlle siècle (Jochelson 1910). Dès le dix-septième siècle, ils avaient été classés en douze « clans » [8] par les agents du Tsar, pour les fins du yassak, l'impôt en nature que chaque adulte mâle devait fournir annuellement sous la forme d'une peau de zibeline ou de son équivalent. Les frontières de ces clans ne correspondaient qu'en partie aux anciennes divisions tribales. 

La période tsariste est donc celle de l'invention d'une première ethnicité youkaguire, assignée par le colonisateur à un ensemble de groupes tribaux, vivant de chasse et de pêche, parlant des langues voisines dans des territoires contigus, mais sans la moindre unité politique. Les variations dans l'espace et dans le temps des frontières ethniques de cet ensemble « youkaguire » constituent néanmoins une des grandes énigmes anthropologiques que ni l'ethnographie culturaliste du début du siècle, ni l'ethnographie soviétique ultérieure ne semblent avoir résolue. En effet le recensement de 1859 ne dénombre plus que deux mille cinq cents Youkaguires, celui de 1897, mille cinq cents, et celui de 1927, quatre cent quarante trois. Que s'est-il donc passé pour qu'un « groupe ethnique » si prospère décline au point de frôler la disparition ? Il s'agit du plus grand déclin connu pour les peuples de la Sibérie nord-orientale (Graburn et Strong 1973). On a surtout cherché, jusqu'à présent, des causes objectives à ce déclin, en mettant de l'avant la surmortalité due aux guerres, aux épidémies ou aux famines ; on a aussi parlé d'esclavage et d'assimilation par les autres ethnies, numériquement plus importantes (Stepanova 1964, Weinstein 1993a), mais sans vraiment évaluer l'importance relative de ces diverses causes. 

Nous croyons quant à nous que les raisons subjectives ont été au moins aussi importantes que les causes objectives, dans le déclin des Youkaguires et que loin de disparaître, ils choisissaient de changer d'appartenance ethnique pour des raisons conjoncturelles. Pour étayer cette hypothèse, il faut rappeler que dans le système impérial russe, l'appartenance « ethnique » était, avec les recensements, à la base du système d'imposition. Or les recensements étaient rares et l'impôt, toujours calculé en fonction du dernier recensement. Avec un tel système, lorsqu'un groupe connaissait une diminution importante entre deux recensements, comme ce fut plusieurs fois le cas pour les Youkaguires, il se trouvait automatiquement surimposé et devait payer pour les morts, jusqu'au prochain recensement. Cet effet pervers était d'autant plus durement ressenti que leurs revenus provenaient exclusivement de la chasse et du piégeage sujets à de nombreux aléas. L'impôt affectait par contre beaucoup moins les éleveurs de rennes en raison du croît rapide de leurs troupeaux et des profits supplémentaires qu'ils retiraient de la chasse et du piégeage. Le territoire traditionnel des Youkaguires avait connu, avec la mainmise politique russe et la pacification forcée, un afflux massif d'éleveurs de rennes voisins : Tchoukches au nord-est, Évènes au sud-est, Évenkes au sud-ouest, Yakoutes, aussi (éleveurs de chevaux et de bovins), venus du sud. L'aire d'occupation youkaguire se trouva peu à peu réduite à quelques poches discontinues (carte 1). Les petits groupes de chasseurs-pêcheurs qui y vivaient se trouvaient dans une situation démographique si précaire qu'ils devaient chercher chez leurs voisins éleveurs les conjoints qui leur manquaient. Cela entraîna une augmentation du nombre des familles pluriethniques, décelable, à travers les généalogies, dès le début du XIXe siècle. 

Carte 1

La complexité de la répartition des Youkaguires à la fin du XIXe siècle telle que décrite par Jochelson et leur localisation actuelle d'après W. Garrett (1983) et N. Graburn & S. Strong (1973).

 

 

C'est dans ce contexte qu'ont dû jouer de façon décisive - c'est notre hypothèse les facteurs subjectifs dans la diminution radicale des Youkaguires. La mixité ethnique leur permit en effet de changer d'affiliation ethnique, au gré des circonstances : en adhérant à un groupe en croissance démographique, ils obtenaient un allègement d'impôt ; en s'identifiant à un groupe d'éleveurs de rennes, ils acquéraient une plus grande sécurité économique ; en choisissant de s'identifier à l'un des peuples dominants (russe ou yakoute), ils s'élevaient socialement. La hiérarchie ethnique actuelle place les Russes au sommet, puis les Yakoutes, les Evènes et enfin les Youkaguires ; mais il n'en a sans doute pas toujours été ainsi et il serait intéressant de revoir les sources anciennes à ce sujet. Sans doute la structure sociale des Youkaguires était-elle plus flexible que les différents auteurs ne l'ont présumée, pour pouvoir ainsi s'adapter aux circonstances, ou peut-être même s'est-elle transformée, comme cela s'est vu dans d'autres régions du monde. La prise en compte de tous ces facteurs permettrait sans doute d'éclairer le problème auquel a été confronté Jochelson lorsqu'il voulut, au début du siècle, faire l'inventaire des « clans » youkaguires. Confronté à la présence de Youkaguires parlant yakoute sur la Léna inférieure, de Toungouses parlant youkaguire sur la rivière Yana, de Youkaguires éleveurs de rennes sur l'Indigirka et l'Alaseïa (voir figure 1), de Toungouses parlant youkaguire près de la Kolyma inférieure, de Youkaguires éleveurs de chiens (trait culturel traditionnel) dans la Kolyma supérieure et l'Omolon, et de Youkaguires « russianisés » [9] dans la région de l'Anadyr, il ne retint que les causes objectives historiques énoncées plus haut. 

Pourquoi les ethnographes soviétiques qui, à la suite de Bromley (1974), se sont intéressés à l'ethnicité des peuples autochtones de Sibérie n'ont-ils pas éclairci cette question dans le sens de notre hypothèse, alors qu'ils connaissaient l'incidence des mariages interethniques sur l'appartenance ethnique ? La réponse tient sans doute à leur perspective évolutionniste qui privilégiait l'ethnogénèse, et ne visait qu'à apporter un appui scientifique à la politique officielle de mixité des « nationalités », destinée à casser « les préjugés ethniques et religieux » (Zdanko 1964, cité par Schindler 1990) et à favoriser l'avènement de « l'homme soviétique » [10]. 

Figure 1 :

Campement youkaguire de la toundra (éleveurs de rennes) au début du XXe siècle. Photo : W. Jochelson (courtoisie de l'American Museum of Natural History, New-York).

 

 

Pour appuyer l'interprétation « subjectiviste » du déclin historique des Youkaguires, on peut souligner que l'arrêt de ce déclin coïncide avec l'instauration du régime communiste en Sibérie, au milieu des années 1920. L'impôt est alors supprimé et les commerçants abusifs, russes ou yakoutes, mis au pas. Une politique de protection, de promotion et de développement des « petits peuples » est mise sur pied. Des programmes scolaires avec des manuels en langue autochtone sont élaborés. Des organisations collectives de production sont encouragées ainsi que des soviets tribaux, à l'échelle des anciens « clans ». On constate alors une remontée du nombre des Youkaguires dont l'ethnicité est maintenant revalorisée. 

La politique stalinienne qui fit sentir ses effets dans la région au début des années 1940 marqua malheureusement l'arrêt de ce développement ethnique, en instaurant une répression contre tout ce qui ressemblait à du nationalisme ethnique et l'élimination des nouveaux « intellectuels » autochtones qui l'appuyaient. En 1959, le nombre des Youkaguires est retombé à quatre cent quarante-trois personnes, son niveau le plus bas depuis les années 1920. L'instauration par l'autorité centrale de grands sovkhozes régionaux met un terme aux petits kolkhozes tribaux. De nombreux villages ethniques sont fermés et leur population regroupée de force dans des villages pluriethniques où les Youkaguires se retrouvent minoritaires (Chichlo 1983). Certains administrateurs refusent même ouvertement d'enregistrer les nouveaux-nés comme Youkaguires et les inscrivirent de force dans les ethnies dominantes, évène ou yakoute. Le régime soviétique poursuit une politique systématique de mélange et d'annihilation des identités ethniques, évoquée plus haut, assortie d'une russification accrue de l'enseignement scolaire (Gurvitch 1960, Vakhtin 1992). L'immigration massive non autochtone (russe, ukrainienne, balte et autre) qui suivit la découverte d'immenses ressources minières et énergétiques en Sibérie, et qui entraîna une industrialisation effrénée, renforcera cette politique et se traduira par un véritable colonialisme interne (Schindler 1990). 

La libéralisation de 1985 et les mesures prises par Gorbatchev en faveur des minorités ethniques vont marquer la fin de cette période noire et susciter beaucoup d'espoir chez les « petits peuples » du nord, notamment les Youkaguires. Plusieurs parmi ceux qui avaient été enregistrés de façon erronée à leur naissance, obtiennent une rectification de l'état civil. En 1987, Vakhtin (1991) notera que la plupart des enfants nés d'un parent youkaguire et d'un parent d'une autre « nationalité » sont enregistrés comme Youkaguires. Ce choix est quasi absolu lorsque l'un des parents est russe ou yakoute, c'est-à-dire non autochtone. Plusieurs adultes youkaguires, issus de couples-mixtes, nous ont mentionné les avantages concrets qu'ils retirent aujourd'hui de leur identité youkaguire, en plus de participer à la sauvegarde de leur peuple menacé. Par exemple, des droits privilégiés de chasse et pêche, une aide pour leurs enfants scolarisés, des quotas réservés pour entrer à l'Université de Yakoutsk [11]. Il s'agit donc là encore d'une instrumentalisation de l'appartenance ethnique par les Youkaguires, mais de façon inverse de celle que nous avons décrite précédemment. Les contextes ont bien changé, mais les stratégies demeurent. 

L'éclatement de l'Union Soviétique et la fin du régime communiste vont accentuer les aspirations ethniques chez les peuples de la Fédération de Russie. Dans l'actuelle République autonome de Yakoutie, où sont enclavés les deux principaux groupes youkaguires, un fort mouvement de renouveau culturel et politique prend forme chez les Yakoutes, l'ethnie dominante. Tout en soutenant le pouvoir central de Moscou, ses dirigeants jouent la carte d'une Yakoutie forte, assortie d'une autonomie de type confédéral et d'une protection des minorités autochtones. Ils viennent de se doter d'une constitution incluant une dizaine d'articles sur les droits des autochtones, directement inspirés des travaux du Groupe de travail sur les populations autochtones de l'ONU, à Genève. Des liens sont établis avec la section d'IWGIA de Moscou. 

Dans la même lancée, intellectuels, artistes et écrivains youkaguires s'activent pour défendre la cause de leur peuple et obtenir l'aide nécessaire à sa survie. En juillet 1992, à Nélemnoïé, est organisé, avec l'aide financière du gouvernement de la Yakoutie, le premier Congrès de tous les Youkaguires (Weinstein 1993b), suivi de l'élection d'un Conseil des anciens. Ainsi se confirme la reconstruction de l'ethnicité youkaguire comme outil politique. Les obstacles sont cependant nombreux, les problèmes immenses et la conjoncture économique de la CEI très défavorable, mais les leaders youkaguires ne désarment pas, ils plaident leur cause auprès des divers paliers de gouvernement. On leur fait de nombreuses promesses vite tempérées par les pesanteurs bureaucratiques. Le président de l'Association des petits peuples de Sibérie dont ils ont sollicité l'appui, leur répond que leur survie étant loin d'être assurée, il a des problèmes plus importants à régler [12]. Loin de se décourager, ils décident de saisir les organisations internationales de leur cause, l'UNESCO en 1992, l'ONU à Genève en 1993. Ils élaborent des stratégies de développement, participent à des congrès scientifiques, soumettent des demandes à des fondations humanitaires [13]. Le défi est grand quand on n'est plus que douze cents personnes vivant dans des villages distants de plusieurs centaines de kilomètres ; quand deux dialectes à peine intercompréhensibles divisent le groupe et que la majorité des gens ne les parlent même plus ; quand on ne trouve plus à se marier dans sa communauté en raison de la trop faible population ; quand l'alcoolisme a pris depuis longtemps des proportions inquiétantes. Une fois de plus les Youkaguires doivent réinventer leur ethnicité pour faire face à l'adversité. Ils épousent des gens d'autres ethnies et déclarent les enfants nés de ces mariages comme youkaguires, ils systématisent les corrections d'état civil pour ceux qui ont été enregistrés sous une autre appellation ethnique ; ils utilisent les nouveaux medias pour communiquer à distance ; ils réclament l'ouverture d'écoles ethniques pour réapprendre aux enfants la langue de leurs ancêtres ; ils mettent sur pied des coopératives ethniques de production et de consommation qui prend la relève des anciens sovkhozes ; ils ravivent la culture des anciens et remettent à l'honneur les fêtes et rituels saisonniers... 

Cet exemple n'est pas unique en Sibérie, mais il est typique. Nombre de petites ethnies sont dans la même situation, partagent la même histoire, les mêmes problèmes et les mêmes espoirs que les Youkaguires. Il nous a néanmoins permis d'illustrer une situation critique où l'ethnicité devient comme un dernier recours, un ultime outil politique pour contrer l'assimilation par des groupes dominants.

 

L'invention d'une ethnicité inuit transnationale

 

À peu près à la même latitude, mais à plus de trois mille kilomètres à l'est, un second exemple nous permettra d'étudier à l'échelle transnationale l'utilisation de l'ethnicité à des fins politiques et économiques ; celui des Inuit, ce peuple de cent trente mille personnes qui occupe sans discontinuité plus de six mille kilomètres de côtes arctiques mais qui se trouve divisé par les frontières de quatre États-nations parmi lesquels les plus puissants du monde. 

Les cent vingt dirigeants politiques et hommes d'affaire inuit, originaires d'Alaska (États-Unis), du Grand Nord canadien, de Sibérie (Russie) et du Groenland (Danemark), qui participèrent pendant trois jours à la « Conférence pour le développement des échanges » tenue à Anchorage (Alaska) en février 1993, durent être agréablement surpris d'apprendre que leur rencontre avait donné lieu à un important compte rendu dans la presse japonaise (le Nihon Keizei Shimbun de Tokyo) et européenne (le Courrier International de Paris), sous le titre « Les autochtones du Grand Nord rêvent d'un Grand Marché inuit » (Kitamatsu 1993). On y comparait le projet inuit d'une grande zone de libre-échange arctique avec l'Accord de libre échange nord-américain (ALENA). Ce projet vise en effet à établir une libre circulation des biens et des personnes dans l'aire inuit, la seule qui englobe à la fois une partie de la Russie, de l'Amérique et de l'Europe. 

En cette année des peuples autochtones, la Conférence inuit circumpolaire (CIC), organisatrice de la rencontre, s'affirmait ainsi dans le monde, comme une des plus influentes organisations politiques indigènes transnationales. Elle avait obtenu, dès 1982, du Conseil économique et social de l'ONU, le statut d'organisation non gouvernementale, véritable reconnaissance internationale ; elle avait réussi également à devenir le porte-parole de tous les Inuit, grâce à l'ouverture du détroit de Béring, négociée avec le pouvoir soviétique, et qui déboucha sur une participation active à ses travaux des Inuit de Sibérie, formalisée en 1992, par l'élection de deux dé, leurs délégués au conseil exécutif de la CIC ; cette participation permettra d'ouvrir un bureau de la CIC à Provideniya, en Chukotka, à l'automne 1994. La CIC parvint à tous ces résultats grâce aussi à son « invention » de l'ethnicité inuit (Dahl 1988). 

Cette invention remonte à 1977, année de la fondation de la CIC, à Point Barrow (Alaska), sous l'impulsion d'Eben Hopson, maire de la Corporation régionale du North Slope Borough, la circonscription la plus au nord de l'Amérique et la seule en Alaska qui possédait une population en majorité inuit ; il était inquiet de la place croissante que prenaient les sociétés pétrolières dans la vie économique et sociale de l'Arctique, véritable entreprise néo-colonialiste qui jouait sur le morcellement du territoire inuit entre plusieurs États pour négocier très avantageusement et séparément avec chacun d'entre eux. Il fallait s'unir pour mieux faire face à cette situation. C'est alors que ceux que l'on appelait « Eskimo » en Occident, depuis plusieurs siècles, et dont l'unité culturelle était beaucoup plus un construit des anthropologues qu'une réalité vécue ou même une représentation partagée, choisirent pour la première fois de s'unir politiquement sous la bannière de l'ethnonyme unificateur « Inuit ». Ce nom, qui signifie « les humains », était celui par lequel se désignaient traditionnellement ceux du nord de l'Alaska et du nord canadien, lorsqu'ils voulaient se différencier des Indiens, des Blancs ou des esprits (Saladin d'Anglure 1986, Dorais 1988) ; il était compris par ceux du Groenland qui utilisaient cependant pour eux-mêmes le terme Kalaallit ; quant à ceux qui vivaient au sud du fleuve Yukon et en Sibérie, le terme qui leur servait à se différencier de leurs voisins était Yupiit, avec le même sens qu'Inuit, les « humains ». 

Ces désignations n'avaient cependant jamais eu auparavant le sens unitaire de Nation ou de Peuple, chaque groupe se désignant localement par des régionymes à base géographique et se définissant par rapport à ses voisins les plus proches et aucun n'ayant la connaissance, ou même ne soupçonnant l'existence de tous les autres Inuit. Seuls les anthropologues considéraient qu'ils partageaient une même culture et le démontraient par une démarche de type substantiviste, en inventoriant leurs traits culturels communs. 

Face aux menaces de dépossession de leurs territoires et d'assimilation que faisaient peser les récents développements économiques et militaires dans l'Arctique, où l'afflux d'une main-d'oeuvre non autochtone était en train de les rendre minoritaires (comme ce fut le cas en Sibérie, nous l'avons vu plus haut), et dans le contexte d'une reconnaissance internationale croissante des droits autochtones, ceux que l'on appelait encore les « Eskimo » répondirent favorablement à l'appel de Hopson et envoyèrent à Point Barrow les représentants de leurs diverses organisations nationales. Cinquante-quatre délégués inuit et yupik (dix-huit pour chacun des pays représentés, le Groenland, le Canada et l'Alaska) se rendirent à son invitation ; seuls les délégués sibériens manquaient à cette première assemblée inuit circumpolaire. Cette rencontre permit aux participants de prendre conscience que les problèmes, les traditions et les aspirations qu'ils avaient en commun étaient plus importants que leurs différences et qu'ils pouvaient former un front commun ethnique inuit qui les distinguerait et des autres peuples circumpolaires avec lesquels ils avaient pourtant pris pour la première fois conscience de leurs problèmes communs, tout comme au Congrès des peuples arctiques de Copenhague en 1973, et des organisations ethniques indiennes déjà très avancées dans leur prise de conscience politique en Amérique du Nord. Il faut dire que le contexte des années 1970 se prêtait bien à ce regroupement transnational car des ententes avaient déjà été signées entre plusieurs organisations régionales et leurs instances gouvernementales respectives ; certaines avaient même déjà reçu d'importantes compensations financières pour l'abandon d'une partie de leurs droits fonciers, à commencer par les corporations inuit et yupiit d'Alaska (1971), suivies par l'Association des Inuit du Nouveau-Québec (1975) ; ceux du Groenland étaient très avancés de leur côté dans leurs négociations avec le Danemark, en vue de d'une autonomie politique (Home Rule) qui leur fut finalement accordée en 1979. 

Cette accession des Groenlandais à l'autonomie et l'élection d'un des leurs à la présidence de la CIC, en 1980, donna une impulsion nouvelle à l'organisation inuit. Ils purent en effet désormais assumer avec les Alaskiens les coûts financiers de l'organisation. Les Inuit du Canada, beaucoup moins avancés dans leurs négociations sur les droits fonciers, ne pouvaient assumer alors leur part de ces coûts. En 1984, une partie d'entre eux, les Inuit de l'embouchure du Mackenzie, signèrent séparément une entente avec le Gouvernement du Canada, et prirent le nom d'« Inuvialuit » (voir carte 2), une identité fabriquée pour la circonstance, mais qui très vite a pris un sens ethnique en rapport direct avec l'entente territoriale (Dorais 1994). C'est en 1992 que l'autre partie des Inuit habitant les Territoires-du-Nord-Ouest du Canada conclurent à leur tour un accord, sous le nom d'entente du Nunavut. Cette entente qui profita des acquis de toutes les précédentes est sans conteste la plus favorable de toutes à l'égard des Inuit et fait d'eux les plus riches propriétaires fonciers d'Amérique du Nord. Seuls les Inuit du Labrador sont encore dans l'expectative en ce qui concerne la reconnaissance de leurs droits par le gouvernement de la province de Terre-Neuve qui les contrôle. 

Carte 2 :

La Conférence Inuit Circumpolaire et ses composantes nationales et régionales

 

 

À la base de ce lent processus, s'est trouvée une génération de jeunes leaders politiques possédant une scolarité avancée et une bonne connaissance de la langue de leur colonisateur (Dahl 1988) ; quelques-uns ne parlaient plus la langue de leurs parents. Parmi ces nouveaux leaders, plusieurs appartiennent à des familles de métis, parfois de la première génération. Avec tous ceux qui se sont formé au cours du processus, ils ont contribué à négocier le sens politique de l'ethnicité inuit. En collaboration aussi avec des anthropologues, des juristes et autres experts intéressés par leur cause, ils ont dessiné les grandes lignes du programme politique de la CIC défini comme suit dès 1980 (Saladin d'Anglure 1992) :

 

-   renforcer l'unité des Inuit de la région circumpolaire ;
-   promouvoir les droits et les intérêts inuit au niveau international ;
-   assurer une participation inuit adéquate dans les institutions politiques, économiques et sociales que les Inuit eux-mêmes estiment importantes ;
-   promouvoir une plus grande autosuffisance des Inuit dans la région circumpolaire ;
-   assurer la consolidation et le développement de la culture et des sociétés inuit pour les générations présentes et futures ;
-   promouvoir la gestion et la protection à long terme de la faune arctique et subarctique, de l'environnement et de la productivité biologique ;
-   promouvoir la gestion et l'usage raisonnés des ressources non renouvelables dans la région circumpolaire et intégrer ces ressources dans le développement actuel et futur de l'économie inuit, en tenant compte des autres intérêts inuit.

 

Même si ce programme général comporte une orientation ethnique tout à fait explicite, il faut souligner qu'au niveau régional, tous les traités signés jusqu'à ce jour avec les États-nations, ou en cours de négociation, en vue de l'autonomie gouvernementale, ont adopté le modèle territorial, et non ethnique, de gouvernement public. C'est le modèle qui prévaut en effet dans les démocraties occidentales [14]. Seules les compensations financières pour la cession des droits fonciers autochtones ont été définies sur une base ethnique. Une exception néanmoins, celle de la « Nation yupiit » qui s'est vue reconnaître par les pouvoirs publics américains et alaskiens le droit inhérent à un gouvernement ethnique (Kasayulie 1992). Cette différence est à noter car elle correspond à une prise de position dissidente des Yupiit (le plus important groupe inuit d'Alaska), face aux pouvoirs des corporations régionales qui avaient signé les ententes avec les instances gouvernementales. Les Yupiit reprochaient à ces corporations d'être coupées de la base que constituent les villages inuit et d'être plus intéressées par le profit que par la défense des intérêts ethniques et culturels des communautés. Une autre dissidence, plus ancienne celle-là, était celle d'un groupe de villages du Québec arctique, qui avait refusé de signer la Convention de la Baie James avec les gouvernements du Québec et du Canada. Issus du mouvement coopératif, les dissidents du Québec refusaient d'aliéner leurs droits territoriaux ancestraux mais, à l'inverse des Yupiit, ils réclamaient un gouvernement territorial non ethnique. Leur point de vue a fini par prévaloir dans le projet de Constitution du Nunavik - nom choisi récemment par les Inuit du Québec arctique pour désigner leur territoire (carte 2) - qui fait actuellement l'objet de négociations avec le gouvernement québécois. 

Cette constitution tente de combiner les droits du sol et les droits du sang en prenant pour base un modèle de droit public, mais avec une forte insistance sur la protection des droit ethniques des Inuit. Elle combine aussi les droits individuels, à la base des régimes démocratiques occidentaux, avec des droits collectifs ethniques, tels que le Groupe de travail de l'ONU les a définis dans son projet de déclaration universelle des droits des peuples autochtones (Morin et Saladin d'Anglure 1994). Ayant en grande partie réussi à établir leurs droits sur leur territoire, et à obtenir de sérieuses garanties quant à leur autonomie politique, les Inuit des différentes régions, qui s'opposaient hier encore entre eux - qu'il s'agisse d'opposition entre partis politiques comme au Groenland, d'opposition entre bureaucrates indigènes et grassroots people, d'opposition entre métis et traditionnalistes, ou d'opposition entre traditions coloniales différentes [15] - se retrouvent unis pour reprendre en main collectivement leur développement économique et réclamer la libre circulation des biens et des personnes dans l'ensemble de leur territoire. C'était l'objet de la réunion d'Anchorage sur le libre-échange, en 1993 ; cela a été un des thèmes importants discutés au cours de l'Assemblée générale de la CIC à Nome (Alaska) en juillet 1995. Ce faisant, ils tentent de gérer leur modernité avec les outils de leurs colonisateurs, qu'ils refaçonnent cependant à leur mesure. L'ethnicité est devenue une de leurs meilleures armes, avec le statut de « première nation », pour achever le contrôle de leur territoire et orienter leur avenir.

 

L'invention d'une autochtonie
panethnique amazonienne

 

Notre dernier exemple traite de l'utilisation politique de l'ethnicité à une échelle encore plus grande, presque continentale, celle de l'autochtonie panethnique amazonienne. Il nous faut Pour cela remonter aux années 60, où le mythe d'une Amazonie vide et opulente conduisit les responsables politiques des différents États qui se partagent cet espace à promouvoir des politiques de colonisation et de grands projets d'exploitation du sol et du sous-sol. En présentant l'Amazonie comme un territoire vide, ils en faisaient la solution miracle aux tensions sociales créées notamment par le manque de terres chez les paysans du Nord-Est brésilien ou chez les migrants andins qui envahissaient les villes de la côte péruvienne. Afin de faciliter cette « conquête de l'Amazonie » par les paysans et d'attirer les investissements des sociétés multinationales pour l'exploitation des ressources forestières, pétrolières et minières, des voies de pénétration routières furent mises en chantier. 

Face à ce pillage de l'Amazonie, à l'exploitation irrationnelle de la forêt et à l'invasion de leurs terres, les groupes indiens prennent alors conscience de leur situation de colonisés. Ils cherchent à se rendre visibles pour combattre le mythe d'une Amazonie vide qui nie leur existence - ils sont alors plus d'un million - et l'occupation millénaire de cet espace par leurs ancêtres. Pour cela, ils se rassemblent et s'unissent sous forme de conseils, de fédérations, ou d'associations ethniques. Certains profiteront d'une conjoncture socio-politique favorable comme au Pérou, où l'idéologie vélasquiste [16] des années 70, voulant mettre fin aux injustices et au système d'exploitation féodale des Indiens, favorisa l'émergence des premiers regroupements ethniques, tout en niant paradoxalement l'existence d'une identité indienne spécifique. Le gouvernement militaire péruvien fit voter une loi permettant la démarcation et la titularisation des terres réclamées par ces nouvelles organisations autochtones. 

L'Église catholique post-conciliaire facilita également le développement de cette ethnicité en assignant comme nouvelle tâche aux missionnaires « la libération des autochtones ». Plusieurs de ces missionnaires joueront un rôle clef en apportant leur concours à l'organisation des premiers grands rassemblements ethniques autochtones. Il faut enfin mentionner l'action des anthropologues qui, après avoir signé en janvier 1971 la « Déclaration de la Barbade » dans laquelle ils s'engageaient à lutter pour la libération des Indiens, serviront d'intermédiaires entre ces nouvelles organisations ethniques et les différentes institutions étatiques. Ces nouveaux anthropologues refusaient les postulats intégrationistes de l'anthropologie indigéniste [17] et prônaient le pluralisme et l'ethnicité comme richesses pour le développement de l'identité nationale (Morin 1992b). 

Dans le contexte de crise engendré par les politiques nationales de « conquête de l'Amazonie », missionnaires et anthropologues ont donc participé à la dynamique conduisant les divers groupes indiens à dépasser leurs identités locales pour s'unir et se forger une identité ethnique plus opératoire. Ce processus commencé en 1964, avec la création de la Fédération Shuar en Equateur, se poursuivit dans les années 70, avec la multiplication de fédérations ethniques dans la plupart des pays du Bassin amazonien. 

Ce premier « bricolage identitaire » s'enrichira dans une deuxième phase d'une dimension panethnique et conduira, au début des années 80, à la formation d'organisations nationales. Leur création est en grande partie le fait d'une élite indigène qui avait reçu une éducation secondaire et participait par conséquent aux deux cultures, indigène et nationale. Ayant appris à connaître les règles du jeu de la société dominante, cette élite savait à quels interlocuteurs s'adresser, au sein des institutions étatiques, pour défendre les revendications des différentes fédérations. Ces confédérations panethniques pouvaient regrouper des leaders aux personnalités parfois opposées en raison des différences de leurs valeurs culturelles ce qui entraînait des tensions interethniques. Ainsi au Pérou, l'AIDESEP (Asociación Interétnica de Desarollo para la Selva Peruana) était dans les années 80 constituée de leaders aguaruna qui aimaient la confrontation et la recherchaient tandis que les Amuesha fuyaient les tensions et les conflits. Ces conceptions différentes de l'action et du leadership expliquent pourquoi certain Amuesha tentèrent de créer en 1987 une organisation concurrente, la CONAP (Confederación de Nacionalidades de la Amazonía Peruana). Très influencée (voire manipulée) par des centres de soutien non indigènes, cette organisation n'a réussi qu'à diviser certaines fédérations. AIDESEP par contre a su rassembler plus de trente organisations régionales. En travaillant ensemble et en se mobilisant pour défendre leurs terres et leurs cultures, ces leaders ont appris à mettre entre parenthèses leurs différences et à valoriser leurs ressemblances afin de se forger une identité commune, construite sur leur autochtonie amazonienne, que ce soit au Pérou, en Equateur, en Colombie, au Brésil, en Bolivie, au Vénézuéla et plus tard dans les trois Guyanes. Ces alliances panethniques permettent, à l'intérieur de chaque État, de constituer un front commun face à des gouvernements qui continuent d'ignorer la question indienne. 

À cette action unitaire nationale allait bientôt s'ajouter une autre action, internationale celle là, qui rassemblerait tous les autochtones de la forêt amazonienne. Là encore le contexte politique a précipité cette « invention » de l'autochtonie amazonienne. Pour en comprendre l'émergence, il faut remonter à 1978, date à laquelle les huit pays amazoniens signèrent un Traité de coopération pour mieux réaliser le « développement intégral » de l'Amazonie. Ils confièrent aussi au gouvernement équatorien la gestion du dossier concernant les populations indigènes. Ce dernier organisa plusieurs rencontres avec des représentants d'organisations autochtones des divers pays. Sous couvert d'une politique indigéniste de participation [18], ces réunions visaient en réalité à mieux intégrer l'Indien au développement capitaliste amazonien.
 

Carte 3 :

Territoire couvert par les activités de la COICA
et des organisations autochtones nationales qui la composent.

 


Les responsables de cinq confédérations nationales autochtones se rendirent bientôt compte qu'aucun gouvernement ne prenait en considération leurs recommandations, ni ne respectait les droits des populations indigènes. Ils décidèrent donc, lors d'une réunion à Lima en 1984, de s'unir au sein de la COICA (Coordination des organisations indigènes du Bassin amazonien) pour mieux défendre leurs droits. Cette rencontre leur permit de découvrir tout ce qui les rassemblait. Car malgré les frontières nationales qui les divisaient, ils partageaient une même philosophie, une même relation à la terre, une même façon de vivre et de penser et résistaient à la même oppression coloniale. En décidant de s'unir pour défendre les droits fondamentaux des peuples indigènes d'Amazonie, ils se construisaient un espace géopolitique sans frontières et s'inventaient une identité transnationale. La COICA regroupe aujourd'hui neuf confédérations nationales représentant plus d'un million et demi d'indigènes appartenant à quatre cents groupes culturels (carte 3). On pourrait supposer qu'une telle diversité ethnique et nationale, à laquelle s'ajoutent cinq traditions coloniales différentes leur ayant imposé chacune une langue (espagnol, portugais, français, hollandais et anglais) soit la source de nombreux conflits. Or, c'est beaucoup plus les dérives de l'usage personnel du pouvoir qu'implique la représentation d'une telle ONG au niveau international qui ont créé récemment de graves tensions. Le défi en effet de ces organisations est de veiller à ce que les valeurs collectives de leurs sociétés traditionnelles, qui se manifestent par la recherche du consensus et par la méfiance à l'endroit de l'autoritarisme politique, soient préservées dans un contexte transnational. Ceci passe par une large diffusion de l'information, un vaste système de communication avec les fédérations de base afin qu'un consensus se dégage sur le choix des politiques communes à mener. Les succès obtenus par la COICA depuis 1988 lui ont ouvert de nombreuses portes, que ce soit celles des agences de développement avec leurs généreux donateurs, celle du président de la Banque mondiale, ou celles des autorités de l'ONU et de différentes personnalités politiques. Face à ces interlocuteurs importants qui bien souvent exigeaient des décisions rapides, le président de la COICA adopta des mesures sur des enjeux importants, sans avoir préalablement consulté les bases, sans faire circuler ensuite l'information et sans rendre compte de dons financiers reçus à titre honorifique, ce qui traduisait bien une dérive vers la personnalisation du pouvoir (Smith, sous presse). Lors du dernier congrès de la COICA, en 1992, après avoir dénoncé le danger de ces pratiques et critiqué la structure pyramidale du leadership, les représentants des neuf associations ont opté pour une structure plus décentralisée et plus égalitaire de la COICA. Cinq coordonnateurs responsables chacun d'un champ d'activités remplacent dorénavant le président et un bureau de direction composé des neuf présidents d'associations nationales est chargé de définir les politiques à plus long terme. 

Ainsi, depuis près de trente ans, pour faire face à une situation socio-politique de plus en plus menaçante, les groupes indigènes d'Amazonie se sont coalisés à différents niveaux. Ces alliances ont engendré le développement d'une ethnicité à trois dimensions, ethnique, panethnique, et transnationale qui correspondent à trois identités, emboîtées à la manière des poupées russes et utilisées selon les interlocuteurs et les situations. En effet, lorsque les responsables de la Fédération des communautés indigènes de l'Ucayali s'adressent aux autorités régionales pour dénoncer, par exemple, les invasions de terres communautaires par des colons, c'est en tant que Shipibo qu'ils font cette démarche ; mais en se rendant quelques jours plus tard à Lima pour participer aux actions de leur association nationale, ces mêmes leaders sont alors des autochtones de la forêt qui interpellent les députés sur la nouvelle constitution péruvienne, parce qu'elle remet en question l'imprescriptibilité des droits territoriaux autochtones ; et s'ils soutiennent les démarches de la COICA auprès des autorités de la Banque mondiale pour qu'elles tiennent compte des droits autochtones dans les régions ou elles financent des projets de développement, c'est parce qu'ils se définissent aussi comme amazoniens. 

Le développement d'une politique autochtone s'est peu à peu greffé sur la formation de ces différents registres identitaires. Dans les années 70, les organisations ethniques ont d'abord adopté au niveau régional une stratégie défensive. Elles réclamaient principalement la titularisation de leurs terres communautaires. Car le droit à la terre était synonyme du droit à la survie pour les groupes qu'elles représentaient. Avec le développement dans les années 80 des organisations nationales et de la COICA, des rencontres entre leaders de différentes régions et pays facilitèrent la circulation de l'information et les échanges. Les expériences des uns et des autres ont été mises en commun et ont nourri une réflexion qui fut à l'origine d'un changement de stratégie. Une politique territoriale fut élaborée : il ne s'agissait plus de défendre des terres mais de revendiquer des territoires ethniques ancestraux. Les organisations équatoriennes et péruviennes ont particulièrement oeuvré en ce sens et l'État équatorien a commencé à répondre favorablement à cette nouvelle vision territoriale (Morin 1992a). La participation de la COICA aux sessions du Groupe de travail sur les populations autochtones de l'ONU à Genève, depuis 1985, n'est pas étrangère à cette nouvelle politique. C'est en effet là que s'élabore la déclaration des droits des peuples autochtones dont certains articles abordent les questions de restitution territoriale. En faisant du territoire indigène son enjeu prioritaire, la COICA propose une vision holiste du milieu amazonien qui, depuis des millénaires, leur apporte à la fois les éléments matériels de vie et les principes de compréhension du monde naturel comme surnaturel. Cette conception territoriale s'accompagne d'une politique de développement autonome qui incite les communautés à se développer selon leurs besoins et d'une façon adaptée à leur milieu naturel (Chirif, García et Smith 1991). 

C'est parce qu'ils ont « inventé » cette autochtonie amazonienne, en pratiquant l'alliance de toutes leurs composantes ethniques et panethniques, que les responsables de la COICA sont devenus, sur le plan international, des acteurs politiques qui peuvent aujourd'hui dialoguer avec des représentants de la Banque mondiale, du Parlement européen, des Nations Unies et de l'Organisation internationale du travail. Ils interpellent la communauté internationale en se présentant comme « les meilleurs gardiens de la forêt amazonienne ». 

Pour mieux défendre ce territoire face aux grandes puissances, aux sociétés multinationales et aux institutions de développement capitaliste, l'alliance avec d'autres peuples autochtones d'autres parties du monde, dont les situations environnementales sont très similaires et qui sont l'objet des mêmes invasions et destructions de leur écosystème, s'est avérée nécessaire. La COICA a donc été l'un des principaux artisans de l'Alliance mondiale des peuples indigènes des forêts tropicales dont la première réunion a eu lieu en Malaisie en février 1992. Cette alliance a permis une plus grande coopération entre peuples autochtones et a facilité la préparation, quelques mois plus tard, de la Conférence mondiale des peuples autochtones sur le territoire, l'environnement et le développement à Kari-Oca au Brésil (Aparicio 1992). Le but de cette rencontre, qui réunit 850 autochtones du monde entier représentant 82 organisations, fut d'élaborer, quelques jours avant le Sommet de la Terre de Rio, une déclaration présentant le point de vue autochtone en matière d'environnement, de biodiversité, de droits territoriaux, de droits de propriété intellectuelle et culturelle et de droit à l'autodétermination. Si aucune des recommandations autochtones ne fut reprise dans l'Agenda 21 de l'UNCED, la réunion de Kari-Oca a néanmoins servi à visibiliser le point de vue autochtone et à renforcer la construction d'un mouvement international autochtone. Face à l'économie-monde et à la globalisation des forces politiques, les peuples autochtones ont compris qu'ils devaient, en utilisant leur ethnicité comme outil politique, s'allier transnationalement pour mieux défendre leurs droits.

 

3. Ethnicité et politique

 

Ce survol de trois continents nous a fait découvrir, chez des peuples autochtones vivant dans des systèmes politiques très divers, comment l'ethnicité comprise au sens barthien pouvait être inventée ou réinventée sous la pression de forces économiques sociales et politiques externes. Sous la pression interne aussi de nouveaux leaders autochtones formés à l'école des États qui les contrôlent. Les trois cas étudiés nous montrent en effet que l'ethnicité n'est pas un donné mais un construit et que l'on doit tenir compte du contexte sociopolitique pour comprendre comment un groupe ethnique se constitue et se mobilise en créant de nouvelles frontières ethniques. Ils montrent aussi la capacité des acteurs ethniques de s'organiser, à différents niveaux, en réponse aux changements socio-économiques que les sociétés dominantes leur imposent. Ils expriment enfin la flexibilité des appartenances ethniques selon les situations. 

L'exemple des Youkaguires rappelle l'analyse barthienne des changements identitaires chez les Baluchs et les Pathans ; il souligne bien le caractère largement subjectif de l'identité ethnique comme aussi l'instrumentalité des appartenances ethniques qui peuvent varier selon les contextes ; il montre pourquoi et comment des individus passent d'une identité à l'autre. Les cas des Inuit et des Amazoniens s'apparentent davantage à l'une des stratégies inventoriées par Barth lorsqu'il envisage les situations de contacts culturels et les changements imposés par les sociétés industrielles. Bien qu'il n'ait pas lui-même étudié de telles situations, il s'appuyait sur différents travaux de collègues comme ceux de Kleivan sur la situation politique des Inuit au Groenland. Barth soulignait l'intérêt des mouvements de revendication ethnique et suggérait d'étudier ce que nous appellerions aujourd'hui « les donneurs de sens » de l'ethnicité. Chez les Inuit et les Amazoniens, il s'agit de leaders ethniques qui, au delà des frontières nationales, ont fait du territoire un espace géopolitique, riche de signifiants symboliques pour l'invention de leur ethnicité ou de leur autochtonie. 

Ces leaders ethniques tirent bien souvent leur pouvoir de l'ambiguïté exprimée par le chevauchement de deux cultures, celle de leur groupe d'origine et celle de la société dominante [19] ; c'est ce chevauchement qui en fait des intermédiaires recherchés, mais il les expose en même temps à bien des dangers : celui d'oublier les traditions communalistes et consensuelles de leur groupe d'origine, celui d'adopter les comportements bureaucratiques du groupe dominant, quand ce n'est pas la tentation individualiste d'abuser du pouvoir a des fins personnelles. Leur ambiguïté les conduit parfois aussi à mettre de l'avant des arguments primordialistes et essentialistes pour légitimer leur ethnicité, alors que leur pratique et leur parcours biographique s'inscrivent dans une démarche beaucoup plus instrumentaliste. Socialisés et éduqués bien souvent dans des internats, loin de leurs communautés d'origine, et par des professionnels de l'acculturation forcée, ces élites autochtones, tout en ayant remis en question les valeurs de cette éducation imposée, occupent aujourd'hui des positions dirigeantes bien plus pour ces connaissances acquises sur les bancs d'école que pour leur savoir-faire traditionnel (Gros 1994). Le paradoxe qu'ils doivent donc assumer c'est d'être des produits et des vecteurs du changement et de la modernité tout en se présentant comme les porte-paroles de la tradition. Appelés à faire de longs séjours, ou même à vivre en permanence dans le monde urbain et non autochtone pour assurer les médiations nécessaires entre les institutions internationales, la société dominante et leurs communautés, ils doivent cependant rester à l'écoute des autorités traditionnelles, recevoir d'elles leur légitimité et assurer les communautés de base qu'elles sont bien le noyau dur de leurs multiples organisations. 

Si les trois exemples que nous avons décrits ont en commun l'utilisation politique de l'ethnicité, celle-ci s'effectue dans des contextes politico-économiques complètement différents, qu'il s'agisse de l'Amérique du Nord, de l'Amérique du Sud ou de l'Ex-Union soviétique. Le contexte de la Russie diffère trop des deux autres pour qu'il soit possible de les comparer en quelques lignes. Si l'on s'en tient à la COICA et à la CIC, force est de constater qu'en dépit du fait que ces deux ONG aient choisi la même voie transnationale pour défendre les droits des ethnies qu'elles représentent et combattre les politiques de développement intégral et de colonisation des États-nations dans les deux régions, amazonienne et circumpolaire, elles opèrent dans deux systèmes politico-économiques très différents. La COICA appartient au monde de l'hémisphère sud, beaucoup moins développé et peu ouvert aux questions autochtones. Dès sa naissance, elle s'est tournée vers les instances internationales pour faire connaître ses priorités, notamment la défense des territoires autochtones menacés tant par la déforestation que par les différents fronts pionniers de développement. En participant assidûment aux sessions du Groupe de travail sur les populations autochtones à Genève, cette ONG a appris les règles du jeu de la politique internationale et du monde multiforme des organisations humanitaires et des groupes de soutien comme les partis « verts » européens. 

Les leaders de la COICA ont su valoriser leur conception holiste du milieu amazonien, leur programme de défense territoriale et leurs solutions de remplacement de développement économique ; ils ont convaincu plusieurs fondations de les aider politiquement et financièrement. En 1986, le Parlement suédois leur attribua le « Right livelihood award » pour les actions que leurs différentes fédérations membres avaient jusqu'ici menées en matière de défense de l'environnement. Leur succès médiatique leur ouvrit les portes des organisations écologistes américaines, très mobilisées pour la préservation de la forêt amazonienne. Ils leur démontrèrent que la sauvegarde de ce milieu était justement liée à celle des peuples qui l'habitent et l'entretiennent depuis des millénaires. Seize de ces organisations ont décidé de faire alliance avec la COICA. 

En s'adressant ainsi à la « société civile transnationale » pour l'informer et l'interpeller sur la question indigène amazonienne, en faisant alliance avec les écologistes européens et américains, en faisant du lobbying auprès des institutions comme la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement, ou l'Union européenne, qui financent plusieurs grands projets de développement amazoniens, et partagent donc la responsabilité du désastre écologique, la COICA s'est affirmée comme un nouveau partenaire dont il fallait reconnaître les droits. Munie de cette reconnaissance internationale, elle tenta d'agir au niveau national pour que, par exemple, les États latino-américains signent la nouvelle convention 169 de l'Organisation internationale du travail, seul instrument juridique qui reconnaît aujourd'hui aux peuples autochtones les droits de propriété des terres sur lesquelles ils vivent. 

Pour renforcer son action, la COICA contribua très activement en 1992 à la formation de l'Alliance des peuples autochtones des forêts tropicales d'Amérique centrale, d'Amérique du Sud, d'Afrique, d'Asie et d'Océanie dans le but de regrouper des peuples qui, bien que culturellement différents, étaient soumis aux mêmes pressions économiques et environnementales. Leur alliance a servi à dénoncer avec force l'exploitation irrationnelle des ressources naturelles de leur environnement et à demander aux Nations Unies d'instaurer un Tribunal international de justice environnementale habilité à juger cet « écocide ». 

Tout en adoptant la même démarche, face au « nouvel ordre mondial », en participant par exemple très activement au Sommet de la Terre, à Rio, en juin 1992, la CIC a su profiter des conditions économiques et politiques beaucoup plus favorables des pays de l'hémisphère nord, où se situe le territoire inuit, pour obtenir le soutien direct ou indirect des régimes libéraux qui le contrôlent politiquement. Le Danemark, les États-Unis et le Canada sont ouverts aux concepts de droits territoriaux ou d'autonomie politique pour leurs autochtones. Sous la pression des organisations inuit régionales, soutenues par la CIC, ils ont fini par accepter de verser des compensations monétaires importantes en échange de droits fonciers et de prendre en compte le partenariat indigène dans l'exploitation et la gestion des ressources locales ; la participation autochtone aux travaux du nouveau Conseil de l'Arctique qui regroupera tous les pays nordiques est un autre acquis à mettre au crédit de la CIC et des autres organisations ethniques des peuples du nord. 

L'échelle des exemples que nous avons analysés varie cependant, d'un cas à l'autre, de même que les stratégies collectives utilisées. Pour faire face à une menace d'extinction, les Youkaguires réinventent leur ethnicité en réactivant leurs différences avec les ethnies voisines, plus nombreuses et plus prospères, afin de mieux se définir et de survivre comme ethnie. Les Inuit mettent entre parenthèses leurs différences régionales et leurs caractéristiques nationales pour faire ressortir ce qu'ils ont en commun, qu'il s'agisse de traits culturels ou de problèmes contemporains. Ils définissent ainsi une ethnicité inuit transnationale qui leur donne un poids beaucoup plus fort dans leurs rapports avec les États-nations qui les divisent. Les Indiens d'Amazonie, pour leur part, mettent de côté et leur ethnicité respective, et leurs frontières nationales, pour s'unir dans un front panethnique transnational amazonien, sur la base de leur autochtonie et d'un même rapport au monde. Dans les trois cas, les organisations autochtones cherchent à se différencier de la société industrielle qui les entoure et les menace et à devenir des interlocuteurs privilégiés pour les institutions et organisations internationales ; ils se protègent de la sorte des instances gouvernementales dont ils dépendent, tout en s'imposant comme interlocuteurs valables. 

Les processus mis en jeu dans ces trois cas participent au grand mouvement mondial d'émancipation politique autochtone qui reçoit un appui croissant des instances internationales où se définissent leurs nouveaux droits (Morin 1992c ; Morin et Saladin d'Anglure 1994) et des ONG humanitaires qui élaborent une nouvelle éthique de l'intervention. Nous avons là des exemples qui illustrent bien ce que l'on appelle aujourd'hui « la globalisation-par-le-bas, qui vise à rendre aux communautés la prise en charge de l'environnement ; à redonner aux gens du commun l'accès aux ressources dont ils ont besoin ; à démocratiser les institutions politiques régionales, nationales et internationales ; et à imposer la paix aux lieux du pouvoir où naissent les conflits » (Brecher, Child et Cutler 1993). 

 

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*    Université Toulouse-le-Mirail, France et Université Laval, Québec, Canada.

**   Université Laval, Québec, Canada

*    Cet article est la version française remaniée et élargie d'un texte en anglais des mêmes auteurs, intitulé « Ethnicity as a political tool for the Indigenous People in the Amazonian and the Circumpolar Basins » qui a été présenté sous la forme d'une communication au congrès international : « The anthrolology of ethnicity, a critical review », Amsterdam 15-19 déc. 1993. Ce premier texte, après révision, a été sélectionné pour faire partie de l'ouvrage collectif The politics of ethnic consciousness, Cora Govers et Hans Vermeulen (éds), 1995 (sous presse).

[1]    La plupart d'entre eux avaient été hostiles à ces développements dans un premier temps, mais ne pouvant plus réprimer le mouvement, ils avaient décidé d'en tirer le maximum de capital politique.

[2]    On peut citer, pour preuve de cette objectivisation étroite et limitée, les ethnonymes empruntés aux usages coloniaux, au mépris de ceux des peuples étudiés, que l'on retrouve dans la plupart des monographies anthropologiques jusque dans les années 1970. C'est ainsi que Marcel Mauss écrivit son célèbre essai sur les variations saisonnières des Eskimo (1906), sans prendre en considération le fait que le terme « eskimo » était un terme étranger (algonquin) et péjoratif (il signifie « ceux qui mangent cru » ou selon une autre interprétation « ceux qui parlent autrement »). Terme qui était sans rapport avec la façon dont ce peuple se désignait lui-même (Inuit, Yuit, Yupiit, soit « les hommes » selon les divers dialectes). Mentionnons aussi le terme Youkaguire, utilisé par Jochelson (1910), pour désigner un peuple du nord-est sibérien qui se désignait lui-même Odoul ou Vadoul, selon les différents dialectes qu'il parlait. Ce terme, emprunté à l'usage colonial, serait à l'origine un mot toungouze, langue dans laquelle la désinence -guire est souvent associée aux noms de clans. Des immigrants toungouses, qui refoulèrent les Youkaguires vers le nord, l'usage serait passé aux Yakoutes, puis aux Cosaques et aux Russes, (au début du XVIIe siècle). On pourrait multiplier les exemples de ce genre, comme celui bien connu d'Evans Pritchard avec les « Nuer », terme dont l'emploi relève de la même logique, tel que l'a bien souligné Southall (1976). Les Nuers se désignent eux-mêmes par le terme « Naath » et sont appelés « Nuer » par leurs voisins Dinka qui s'appellent eux-mêmes « Jieng »...

[3]    Il faut néanmoins mentionner l'intérêt manifesté pour les catégories indigènes, cinquante ans auparavant, par plusieurs des pionniers de l'anthropologie, tel Boas chez les Kwakiutl.

[4]    Survival International sera créée à Londres l'année suivante, de même que la Gesellschaft für bedrohte Völker ; seule la « Société de protection des aborigènes », fondée en 1837 en Grande-Bretagne et fusionnée en 1909 avec la Société anti-esclavagiste, lui était antérieure.

[5]    Il s'agit d'un pouvoir du type de celui des ONG, sur le modèle desquelles les autochtones vont d'ailleurs construire plusieurs de leurs organisations ; pouvoir résultant du statut de partenaires consultants qu'ils vont progressivement se voir reconnaître par certaines institutions internationales.

[6]    Aux lendemains de la seconde guerre mondiale, on pensait pouvoir régler les problèmes des minorités à partir de la nouvelle Charte des droits de l'Homme, plutôt qu'à partir du concept de droits collectifs, voie qui avait été marquée par l'échec de la Société des Nations. Mais on s'aperçut très vite que la condition des minorités continuait de se dégrader. La Commission des droits de l'Homme donna alors pour mandat en 1947 à sa Sous-commission pour la lutte contre les mesures discriminatoires et la protection des minorités de lui présenter des propositions pour promouvoir les droits de celles-ci. La Sous-commission réussit à faire inclure en 1966 dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (qui traduisait les principes de la Déclaration des droits de l'Homme en des dispositions conventionnelles) l'article 27 qui stipulait que « dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue ». Cet article témoignait d'une approche individualiste du problème minoritaire puisqu'il ne concernait pas les minorités en tant que telles, mais seulement leurs membres. À partir de 1971, la Sous-commission va se donner une double tâche : d'une part de réfléchir sur la problématique autochtone (un rapporteur, Martinez Cobo, fut chargé d'une étude sur la discrimination à l'encontre des populations autochtones), d'autre part, d'étudier l'application des principes énoncés dans l'article 27 sur les minorités par les États membres des Nations Unies (ce fut l'objet d'un rapport dont fut chargé Francesco Capotorti).

[7]    Ces données ont été recueillies principalement entre 1991 et 1994 lors de missions de recherche chez les Youkaguires en 1993, chez les Inuit en 1992, en Amazonie péruvienne en 1994 et à l'ONU à Genève, chaque année depuis 1991, grâce à des subventions du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et du Groupe de recherche sur l'Amérique latine (CNRS-Toulouse, France). F. Morin étudie par ailleurs la situation politique des organisations amazoniennes depuis 1976 et B. Saladin d'Anglure l'évolution des sociétés inuit du Canada depuis 1971.

[8]    On connaît mal l'ancienne organisation tribale des Youkaguires et les auteurs sont partagés à son sujet. Pour Jochelson (1910) ils avaient des patri-clans, mais pour les auteurs russes ultérieurs, il s'agissait plutôt des matri-clans, jugement influencé par la résidence au mariage matri-uxorilocale des Youkaguires. La question devrait être complètement réexaminée. Ce qui est certain, c'est que l'administration russe a très tôt utilisé le terme « clan » pour les peuples de Sibérie, alors que certains seulement avaient une organisation clanique avec filiation unilinéaire. Le clan dans cette optique administrative était à l'origine défini selon le nombre de payeurs de taxe et un territoire circonscrit en fonction de la collecte de l'impôt. Il pouvait correspondre à une ou plusieurs bandes régionales.

[9]    Ce néologisme emprunté à l'anglais russianized nous permet d'introduire une nuance entre le fait de choisir d'adopter la langue du peuple dominant et le fait de se la faire imposer que nous désignerons plutôt comme de la « russification » ainsi que nous le verrons plus loin.

[10]   Voir la récente critique faite par Tishkov (1992) de l'ethnographie soviétique et de son approche de l'ethnicité, ainsi que le débat qu'elle a suscité dans Current Anthropology, 33 (4).

[11]   Robert-Lamblin (1993) mentionne des avantages du même ordre offerts à la minorité yupik de Chukotka.

[12]   À la suite de nombreuses critiques provenant des responsables des associations ethniques membres lui reprochant ses abus de pouvoir et son absence de communication avec la base de l’Association, il a été défait aux élections, lors de la dernière assemblée générale de l'Association.

[13]   Les Youkaguires de la Toundra (vallée de l'Alaseïa) réclament la réouverture de leur village traditionnel, promise par le Gouvernement yakoute lors de la Perestroïka et compromise par la dégradation de la situation économique de la C.E.I. Ce village, où les Youkaguires étaient majoritaires avait été fermé lors de l'instauration des sovkhozes régionaux. Ses habitants avaient alors été contraints par la force de venir vivre dans un village évène où ils étaient devenus une minorité brimée à beaucoup d'égards. Tous les Youkaguires réclament des professeurs capables d'enseigner dans leur langue ; la reconnaissance officielle de leur toponymie ; une aide pour développer des média dans leur langue ; une aide pour les transports aériens devenus prohibitifs et qui seuls leur permettent d'entretenir des liens entre les groupes éloignés...

[14]   Deux raisons semblent être à l'origine de ce choix : la première est que les autorités canadiennes étaient hostiles à tout projet de gouvernement ethnique ; la seconde est que les Inuit canadiens sont largement majoritaires dans les territoires qu'ils occupent. Il a donc suffit qu'avec la complicité du Gouvernement canadien les frontières du territoire offert aux Inuit soient tracées en suivant leurs zones d'occupation réelle. Le danger de cette formule, qui semble satisfaire les Inuit actuellement, c'est qu'un important afflux d'immigrants non Inuit envahissent le territoire et enlève aux Inuit leur pouvoir majoritaire, comme ce fut le cas, durant les vingt dernières années, pour la plupart des peuples autochtones en Sibérie.

[15]   En dépit des différences, voire même des oppositions que nous venons d'énumérer, il est frappant de constater la grande capacité démontrée par les Inuit à les surmonter et à faire prévaloir l'intérêt collectif. Comme dans toutes les organisations, il y a des conflits de personnes, des tentatives d'utilisation du pouvoir à des fins personnelles. Certains leaders ont dû démissionner à la suite d'infractions résultant d'abus d'alcool, de drogues ou de harcèlement sexuel. Mais aucune des institutions qu'ils ont créées depuis vingt-cinq ans n'en a vraiment pâti. On note par contre l'émergence d'un leadership féminin qui s'affirme de plus en plus, à tous les niveaux, comme si les femmes quand elles se consacrent à la politique le faisaient avec plus de contrôle d'elles-mêmes. On relève entre autres le cas d'une Inuk présidente de Makivik, au Québec arctique, puis présidente de la CIC, une autre présidente d'Inuit Tapirisat of Canada et récemment élue à la tête de la CIC, une autre première ministre des Territoires-du-Nord-Ouest, une autre ministre dans le gouvernement du Groenland, une autre enfin très active au Groupe de travail sur les populations autochtones de l’ONU, etc.

[16]   Après avoir pris le pouvoir en octobre 1968, les militaires péruviens, avec à leur tête le général Juan Velasco Alvarado, formèrent un gouvernement de type populiste qui, pour construire la nation péruvienne, mit en oeuvre une politique de mobilisation et de conscientisation populaire. Pour promouvoir et appliquer cette politique sur le terrain le SINAMOS (Système national de soutien à la mobilisation sociale) fut créé. Il devait participer à la mise en valeur des cultures populaires et faciliter la mise sur pied d'organisations de base.

[17]   Idéologie fondamentalement non indienne, l'indigénisme s'est d'abord manifesté dans la seconde moitié du 19e siècle en littérature, sous une forme humanitaire, voire romantique. Puis les sciences sociales s'en emparèrent en montrant les injustices qui frappaient l'Indien. Très vite le pouvoir se rendit compte qu'il pouvait récupérer l'indigénisme pour en faire une idéologie officielle étatique. Elle allait s'exprimer à travers toute l'Amérique latine par des politiques indigénistes qui recherchaient avant tout l'intégration des Indiens au système dominant et aux nations latino-américaines. En 1940 se tint au Mexique le premier congrès indigéniste interaméricain où, pour la première fois, la question indienne fut posée à l'échelle continentale et des politiques indigénistes furent systématisées pour tout le continent. Il en résulta notamment la création d'un Institut indigéniste interaméricain ayant son siège à Mexico. Des instituts indigénistes se multiplièrent dans tous les pays d'Amérique latine, auxquels participèrent de nombreux anthropologues. Tout en apportant par leurs travaux une meilleure connaissance du monde indien, ils coopéraient à l'intégration de l'Indien, tant au niveau socio-économique, culturel, politique que national.

[18]   L'Indien étant toujours conçu comme un frein au progrès et au développement, cela renvoie aux politiques expliquées à la note 17.

[19]   Ce chevauchement peut résulter de plusieurs facteurs, qui parfois s'additionnent, comme l'éducation à l'occidentale, un conjoint ou un ascendant proche appartenant à la culture dominante.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 24 juillet 2008 16:13
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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