Introduction

Durant les étés 1969 et 1970 nous avons mené une recherche socio-anthropologique ayant pour cadre une communauté semi-rurale canadienne-française d'environ 7 000 habitants, Douceville, et pour sujet l'étude de certains types de relations de l'individu au groupe dans les domaines éthique et religieux.

Les matériaux que nous utiliserons dans le texte qui suit ont été sélectionnés parmi les données recueillies (1) au cours de cette enquête, pour constituer une sorte de prétest au travail plus général sur les relations de l'individu au groupe.

Nous avons choisi pour ce galop d'essai l'étude du leadership politique mais c'est un peu au hasard et parce que le leadership permet une bonne appréciation de la place et du rôle de l'individu par rapport à son milieu socioculturel: nous n'avons aucune arrière-pensée concernant une quelconque dominance de la sphère politique dans la petite communauté observée, ou dans notre sujet principal de recherche. Nous ne prétendrons donc pas ici apporter une contribution à la sociologie et à l'anthropologie politiques, dont nous ne reprendrons ni les débats conceptuels, ni les controverses idéologiques. Nos préoccupations sont d'un tout autre ordre d'idées et centrées sur les modalités de l'insertion socioculturelle de l'individu au groupe, à quelque palier que ce soit.

Au cours de cet article nous nous contenterons, faute de place, d'une description très empirique des résultats obtenus, réservant pour un second texte l'exposé explicite du modèle théorique et des méthodes utilisées dans cette perspective.

Notons seulement que trois mois d'observation participante et d'entrevues informelles nous ayant conduite à l'hypothèse d'une absorption du leadership politique par un milieu culturel très imprégné de traditionalisme, nous avons tenté de vérifier cette hypothèse par une démarche souple qui utilise les avantages conjoints de la petite communauté comme cadre de recherche (techniques quantitatives et qualitatives) et d'une approche pluridisciplinaire (sociologique, anthropologique et de psychologie sociale).

Partant d'une description structurée des attitudes politiques explicites de l'ensemble de la population, nous étions ainsi avertie au départ des traits dominants de la personnalité politique modale, de ses points de rupture et de ses contradictions. Par une exploration centripète qui nous conduisait du groupe entier à ses sous-groupes les plus représentatifs, puis à ses leaders, et par une analyse conjointe allant du niveau le plus empirique au niveau conceptuel nous arrivions à deux constatations qui vérifiaient notre hypothèse: a) homologie structurelle entre la personnalité des leaders et la personnalité modale du groupe, quels que puissent être, à première vue, la singularité des individus et le type de domination qu'ils exercent. Meneurs et menés apparaissent en fin de compte comme des sécrétions, inconscientes, d'une culture dont ils assument à leur insu les finalités et les limites; b) cette prédominance de la culture sur la structure, qui s'est imposée à nous sans parti pris de départ, nous a permis aussi de lever les contradictions apparues au niveau de la description du profil politique de la population, et de confirmer son caractère conservateur: pour l'ensemble du groupe comme pour les leaders, les modèles culturels inconscients et les valeurs qui les sous-tendent constituent une sorte de pont explicatif entre les opinions politiques explicites souvent modernistes, et les comportements effectifs, très traditionnels.

Cette adéquation entre les finalités profondes des leaders et de la population, cette prédominance d'un traditionalisme qui s'ignore peuvent alors expliquer certaines caractéristiques locales, telles la pérennité de l'influence de leaders traditionalistes explicitement dépassés ou l'ambiguïté de certains leaderships d'apparence moderniste.

Note:

(1) Les données obtenues se répartissent comme suit: pour 1969, 870 questionnaires utilisa-bles portant sur les attitudes éthiques et religieuses de la population; les matériaux de trois mois d'observation participante et de 152 entrevues informelles; pour 1970, 126 entrevues en profondeur.