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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article d'Éric Montpetit, “La légitimité démocratique et le projet de réingénierie du gouvernement Charest”. Ce texte a été préparé pour le colloque « Bilan des réalisations du gouvernement Charest », Québec 9-10 décembre 2005. Il s’agit d’une mise à jour du Chapitre 4 du livre de Christian Rouillard, Éric Montpetit, Isabelle Fortier et Alain-G. Gagnon, La réingénierie de l’État: vers un appauvrissement de la gouvernance québécoise. Québec: Presses de l’Université Laval. [Autorisation accordée par l'auteur le 6 février 2008 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Éric MONTPETIT

Professeur, département de science politique, l'Université de Montréal
MEMBRE DU GROUPE D’ÉTUDE SUR LES RÉFORMES DE L’ÉTAT (GERE)
 

La légitimité démocratique et le projet de réingénierie
du gouvernement Charest
”. [1] 

Ce texte a été préparé pour le colloque « Bilan des réalisations du gouvernement Charest », Québec 9-10 décembre 2005. Il s’agit d’une mise à jour du Chapitre 4 du livre de Christian Rouillard, Éric Montpetit, Isabelle Fortier et Alain-G. Gagnon, La réingénierie de l’État: vers un appauvrissement de la gouvernance québécoise. Québec: Presses de l’Université Laval.

 

Introduction
 
Quatre conceptions de la légitimité démocratique
Promettre et tenir promesse : la concordance entre le programme libéral et la réingénierie de l’État
Les valeurs du parti : l’insurmontable défi des interprétations multiples
La délibération : occasion manquée de légitimer la réingénierie
 
Conclusion
 
Tableau 1.     Les 14 lois pouvant être considérées dans le cadre d’une réingénierie au sens large : promesses et résultats.

 

Introduction 

 

« On a reçu un mandat de changement très important de la population. Ça ne peut pas être plus démocratique que ça : on a annoncé notre programme il y a un an. Tout le monde a eu le temps d'éplucher ça ».
- Jean Charest, 15 septembre 2003.

 

Les changements décidés jusqu’à présent par le gouvernement Charest, et en particulier ceux qui relèvent de la réingénierie, ont suscité de très vives réactions de la part de groupes d’intérêt avec lesquels l’État québécois a souvent entretenu des rapports cordiaux. Parmi ces groupes, nous retrouvons notamment les centrales syndicales, les organismes communautaires et plusieurs organisations liées à des mouvements sociaux. Face aux réactions de ces organisations, Jean Charest a choisi de se présenter dans une position de supériorité démocratique. Comme l’indique la citation du début de ce chapitre, Jean Charest n’hésite pas à affirmer que les Québécoises et les Québécois l’ont choisi lui, et qu’ils n’ont pas choisi des « intérêts corporatistes » [2]. De fait, les sondages d’opinion montre depuis plusieurs mois que la population est très largement défavorable au gouvernement Charest. Néanmoins, Jean Charest profite de toutes les occasions qui lui sont données pour répéter qu’il ne fait que mettre en oeuvre un programme sur lequel les électeurs du Québec se sont prononcés lors de l’élection d’avril 2003. 

Est-ce que l’élection de 2003 suffit comme capital de légitimité pour le gouvernement Charest ? Je répondrai à cette question à partir d’une analyse des réalisations du gouvernement Charest en matière de réingénierie de l’État. La réingénierie de l’État constitue le plus important projet de ce gouvernement jusqu’à présent, du moins si l’on en juge à partir de ses activités législatives. Une première analyse de la légitimité démocratique de la réingénierie a déjà été réalisée par Rouillard, Montpetit, Fortier et Gagnon dans un ouvrage intitulé La Réingénieirie de l’État, mais cette analyse ne couvrait que la première année du gouvernement Charest. La mise à jour que je propose dans ce texte couvre la période allant d’avril 2003, date de l’élection du gouvernement Charest, à septembre 2005. Il s’agit d’une mise à jour significative puisque les réalisations de la deuxième année du gouvernement Charest en matière de réingénierie ont été importantes. 

L’analyse présentée dans ce texte est effectuée à partir de quatre conceptions de la légitimité démocratique, dont l’une qui colle à la conception dont Jean Charest se réclame. Dans l’ouvrage mentionné plus haut, mes collègues et moi avions concluent que peut importe la conception de la légitimité démocratique que l’on adopte, la réingénierie du gouvernement Charest souffrait d’un déficit de légitimité. La mise à jour réalisée pour ce texte ne modifie pas cette conclusion, bien que la mise à jour a exigé un effort de recherche considérable. 

 

Quatre conceptions
de la légitimité démocratique

 

Comment savoir si les politiques du gouvernement Charest, particulièrement la réingénierie, sont légitimes au plan démocratique ? Est-ce que représenter le parti politique qui obtient le plus de sièges à l’Assemblée nationale suffit pour adopter des politiques légitimes ? Dans un article de 2003 paru dans l’American Politicial Science Review, Jane Mansbridge nous invite à réfléchir aux raisons qui pourraient encourager les électeurs à considérer un gouvernement et ses politiques comme légitimes [3]. Puisque l’électorat n’est pas une entité unifiée, mais qu’il inclut un grand nombre d’individus dont les idées et les identités sont multiples, les raisons pour considérer un gouvernement comme légitime sont aussi multiples et souvent contradictoires. C’est pourquoi Mansbridge regroupe ces raisons à l’intérieur de quatre modèles, qui souvent se complètent, mais qui peuvent aussi entrer en conflit. 

Le premier de ces quatre modèles est « Promettre et tenir promesse ». Ce modèle suppose que les électeurs lisent les programmes des partis, qu’ils votent pour le programme le plus prometteur et qu’ils considèrent donc comme légitime un gouvernement qui tient promesse. Comme l’indique la citation présentée au début de ce chapitre, Jean Charest semble réclamer de la légitimité pour la réingénierie suivant ce modèle. Soulignons tout de suite que si tout le monde a eu le temps « d’éplucher » le programme du Parti libéral, comme l’affirme Charest, ce n’est pas certain que tout le monde a pris le temps pour le faire, d’où l’importance de ne pas réduire la légitimité à ce modèle de la promesse. 

Le deuxième modèle, celui centré sur les valeurs du parti, considère justement que peu d’électeurs lisent les programmes et qu’en conséquence ceux-ci ont peu d’influence sur les choix électoraux. Donc, tenir promesse, dans la mesure où peu d’électeurs connaissent les promesses au moment de l’élection, confère peu de légitimité au gouvernement élu. Suivant ce deuxième modèle, les électeurs votent plutôt pour un parti associé à des valeurs construites sur une longue période historique. Ils attendent donc du gouvernement élu qu’il prenne des décisions conformes à ces valeurs. C’est sans aucun doute dans cette optique que Claude Ryan a rédigé un petit livre sur les valeurs libérales, largement diffusé lors de la campagne électorale. Puisque Jean Charest n’est pas issu du Parti libéral, il était sans doute important de rappeler aux Québécoises et aux Québécois que voter pour un candidat de ce parti revenait à voter pour un certain nombre de valeurs qui résistent au changement de chef. Il est également important qu’un gouvernement élu sur cette base justifie ses politiques en fonction des valeurs du parti. 

Le troisième modèle, celui centré sur l’origine sociale des gouvernants, est bâti sur une image de citoyens beaucoup moins tournés vers le passé que dans les modèles précédents. Ni les élections passées, ni l’histoire du parti au pouvoir intéressent les citoyens. Pour l’électeur, un gouvernement légitime est un gouvernement dans lequel il se reconnaît au temps présent. Bien qu’un gouvernement ne puisse pas être le miroir parfait d’une société, plus il s’en rapproche, plus il est légitime. En d’autres termes, plus les citoyens ont l’impression que le gouvernement est fermé aux membres des groupes auxquels ils s’identifient, moins un gouvernement est légitime. Dans un système hiérarchique dont le sommet est accessible par un nombre très limité de personnes, ce qui correspond au système politique québécois, accroître la représentativité sociale pose de sérieuses difficultés. Aussi, faut-il admettre que ce modèle est utile pour juger un gouvernement, mais qu’il est beaucoup plus difficile à appliquer pour juger de la légitimité d’une politique comme la réingénierie. J’ai donc décidé de laisser tomber ce modèle pour ce texte de manière à mieux me concentrer sur les trois autres modèles. [4] 

Aucun des modèles discutés jusqu’à présent ne peut, à lui seul, légitimer un gouvernement et ses décisions. Les trois se côtoient et confèrent au gouvernement des bribes de légitimité, mais aucun des modèles ne comblent les limites des autres plus que celui de la délibération. Mansbridge avance, en effet, que les études empiriques sur le comportement électoral montre que contrairement à l’a priori des deux premiers modèles, soit promettre et tenir promesse et les valeurs du parti, les électeurs ne sont que très rarement tournés vers le passé [5]. En vertu du modèle de la délibération, définie comme la confrontation d’idées diverses, les citoyens considèrent légitime un gouvernement capable de les convaincre qu’il est le plus à même de les représenter à l’avenir. Pour en arriver à ces résultats, le gouvernement ne doit pas hésiter à s’engager dans un processus délibératif avec des acteurs, en l’occurrence des groupes d’intérêt, aux perspectives discordantes. Surtout, le gouvernement doit accepter de se plier à la règle du meilleur argument. Si la délibération évolue dans une direction contraire à ce qui a été promis par le gouvernement en campagne électorale, celui-ci doit accepter de changer d’avis. Inversement, les promesses électorales du gouvernement et toutes autres idées que le gouvernement pourrait avoir en cours de mandat seront perçues comme légitimes par les citoyens si et seulement si elles sortent triomphantes de ce processus délibératif. Bref, contrairement à ce que suggère Jean Charest, tenir promesse, si vraiment il tient promesse, ne le place pas automatiquement en position de supériorité démocratique. Il doit aussi montrer la force des arguments qui sous-tendent ses promesses dans le cadre d’un processus délibératif. Dans ce qui suit, je confronte le gouvernement Charest à trois des quatre modèles de légitimité que je viens de présenter.

 

Promettre et tenir promesse :
la concordance entre le programme libéral
et la réingénierie de l’État

 

Il semble légitime qu’un parti mette en oeuvre les promesses qu’il a fait lors de la campagne électorale qui l’a mené au pouvoir, bien qu’il faille garder à l’esprit que le système électoral du Québec donne rarement une majorité de voix au parti qui obtient une majorité de sièges. Les soixante-seize sièges qui ont permis au Parti libéral du Québec de former un gouvernement majoritaire ont été gagnés avec 45,99 pourcent des voix seulement. Néanmoins, pour plusieurs citoyens, il devrait y avoir concordance entre les actions d’un gouvernement et le programme électoral du parti qui le forme. Même si la vérification de cette concordance semble être un exercice fort simple, que n’importe quel citoyen peut mener, il comporte plusieurs difficultés. La première difficulté est la recherche du programme. Dans le cas du Parti libéral du Québec, par exemple, aucun document ne porte le titre de programme. On trouve bien une rubrique intitulée ‘Le programme’ sur le site web du Parti, mais cette rubrique mène à une liste de 28 documents (c’était le cas le 29 novembre 2005) [6], dont plusieurs qui ont été publiés après l’élection du 14 avril 2003. Le programme n’a donc pas cessé d’évoluer avec l’élection. Doit-on tenir compte de cette évolution dans l’analyse de la concordance entre promesses et actions ? Les tenants du modèle délibératif pourraient le suggérer. 

Par contre, si l’on s’attache uniquement au modèle de la promesse, on pourrait noter que parmi les 28 documents, l’un d’entre eux, Un gouvernement au service des Québécois : Ensemble, réinventons le Québec, publié en septembre 2002, est présenté comme « le plan d’action du prochain gouvernement libéral ». On peut donc supposer que lorsque Jean Charest parle du programme du Parti libéral du Québec, il parle essentiellement de ce document, même si celui-ci a été dépouillé de plusieurs promesses lors d’une mise à jour réalisée par le gouvernement et rendue public en mars 2004. D’ailleurs, des lois récentes ont été justifiées en référence à ce document altéré plutôt qu’en fonction du programme électoral. Mais sommes-nous certain que Jean Charest fait référence à des documents lorsqu’il parle de son programme ? Peut-être que le programme du PLQ inclut aussi des promesses faites lors de la campagne électorale, mais qui n’ont pas été écrites. Par exemple, lors de la campagne électorale, Jean Charest a annoncé qu’il permettrait aux citoyens concernés de se prononcer par référendum sur la défusion de municipalités fusionnées par le gouvernement du Parti québécois. Cette promesse, largement diffusée par les média, n’est pas écrite. Dans la mesure où tout n’est pas écrit, et que, contrairement à l’exemple que je viens de donner, tout n’est pas largement diffusé dans les média, vérifier la concordance entre le programme du parti et les actions du gouvernement devient un exercice complexe qui n’est pas à la porté de tous les citoyens. En d’autres termes, même les citoyens tournés vers le passé pourraient avoir de la difficulté à analyser la légitimité du gouvernement libéral à la lumière du modèle « promettre et tenir promesse ». 

Évidemment, une vérification de la concordance exige en plus une recherche à propos des actions du gouvernement. Cette recherche comporte aussi son lot de difficultés. D’abord, les actions gouvernementales peuvent prendre plusieurs formes : lois, règlements, programmes ou simple exhortation. Réaliser un inventaire complet de toutes les actions gouvernementales est un exercice exigeant que peu de citoyens peuvent réaliser avec rigueur. Ensuite, peu importe leurs formes précises, les actions gouvernementales sont toujours des exercices de communication. Puisqu’une loi, par exemple, n’est jamais appliquée par les législateurs, ce que ceux-ci adoptent au parlement n’est qu’un texte qui tente de transmettre un sens à ceux dont la responsabilité est de la mettre en oeuvre. Peu importe la précision des mots utilisés par ceux qui formulent les politiques, d’importantes variations de sens subsistent entre les interprétations des différents acteurs concernés. Chose certaine, le vocabulaire des lois et des politiques publiques, puisqu’il vise les responsables de leur application, est rarement le même que celui utilisé dans les programmes des partis, qui visent les électeurs. Conclure que le sens d’une politique gouvernementale correspond au sens d’un engagement électoral bien précis ne va pas toujours de soi. 

Par exemple, comment interpréter les coupures de sept pourcent imposées lors du premier budget Séguin aux organismes qui subventionnent la recherche, compte tenu que le Parti libéral promettait dans son plan d’action de hausser l’effort québécois en recherche et développement à trois pourcent du PIB [7]. Est-ce que le sens que le gouvernement de Jean Charest donne à l’expression « recherche et développement » exclue l’effort consenti par les Conseils de recherche ? Pour sa part, le Conseil du Patronat évalue à 12,5 pourcent la réduction globale de l’appui gouvernemental à la recherche et au développement prévue dans ce premier budget [8]. Est-ce à dire que le sens donné par le Conseil du Patronat aux engagements du Parti libéral diffère de celui des politiques de l’État ? Ou encore, doit-on conclure que la promesse de hausser l’importance de la recherche et du développement à trois pourcent du PIB « au terme du premier mandat » d’un gouvernement libéral signifie que celui-ci se réserve le droit de réduire l’importance de la contribution gouvernementale lors de sa première année de mandat ? 

Yves Séguin, ministre des Finances, annonçait dans son budget de mars 2004 un chèque unique pour les familles, remplaçant l’ensemble des mesures incitatives à la natalité. Ce chèque, affirmait Séguin, sera calculé dans le un milliard de baisse d’impôt que le Parti libéral du Québec promettait dans son programme. Est-ce qu’un chèque, soit un transfert direct de fonds publics vers des citoyens, peut être considéré comme une baisse d’impôt ? Est-ce que le sens du programme du Parti libéral est élastique au point de permettre à de nouveaux programmes de passer pour des baisses d’impôt ? Ces exemples de la recherche et du développement et du chèque aux familles illustrent bien l’écart qui existe entre le vocabulaire d’un programme de parti et celui de l’action gouvernementale et qui complexifie l’analyse de la concordance entre programme et action. 

On pourrait me reprocher d’avoir des préoccupations bien théoriques et qu’il suffit de lire le plan d’action du Parti libéral du Québec, dans sa version de 2002, pour comprendre l’origine de la réingénierie entreprise par le gouvernement Charest. D’entrée de jeu, je souligne que le concept de la réingénierie n’apparaît pas dans le programme du Parti libéral. Il est utilisé pour la première fois par Jean Charest lors de son discours inaugural, évidemment prononcé après l’élection. Bien entendu, le programme mentionne, de manière dispersée, un nombre limité (3) de mesures aujourd’hui associées à la réingénierie. À la page 24 du programme, par exemple, on lit que le « Parti libéral du Québec fera des partenariats public-privé un levier de développement. » [9] Le sens de l’expression « partenariats public-privé » n’est évidemment pas précisé dans le programme et peu de citoyens sont en mesure de comprendre la distinction entre ceux-ci et la sous-traitance. Ce n’est que douze pages plus loin que l’on mentionne l’objectif de réduire le nombre de ministères, d’organismes et de sociétés d’État. [10] Enfin, à la page 28, on annonce la mise sur pied d’un gouvernement en ligne [11]. En dispersant ainsi ces trois éléments de réforme de l’État, le lecteur du programme ne pouvait se douter, qu’une fois élu, le Parti libéral allait mettre en place un plan global de réingénierie. Le programme du Parti libéral ne laissait certainement pas entrevoir que la réingénierie de l’État allait devenir le principal projet du gouvernement Charest. 

La réingénierie est donc le projet principal du gouvernement Charest depuis son élection. Dans cette optique, son analyse doit aller au-delà des mesures adoptées par le gouvernement pour réformer sa fonction publique. Les réformes municipales, le regroupement des institutions de santé, la décentralisation vers les élus locaux ou les changements aux services à la petite enfance participent aussi à cette réingénierie. D’ailleurs le gouvernement libéral associe explicitement ces mesures à la réingénierie et prétend qu’elles sont essentielles à la réalisation de ses engagements électoraux, même si elles ne sont pas présentées comme participant à un projet global et cohérant dans le programme du parti. Dans l’un des documents expliquant la réingénierie, le gouvernement mentionne le discours inaugural de Jean Charest où « il a en outre indiqué que, dans le but de réaliser ses engagements, le gouvernement entreprendrait six grands travaux dans le cadre de la réingénierie de l’État soit : la révision des structures de l’État et des programmes gouvernementaux…, la revue des modes d’intervention de l’État dans l’économie…, la réorganisation des services de santé…, l’examen des perspectives de décentralisation et de déconcentration…, le recentrage du réseau de l’éducation sur l’élève et l’étudiant…, et la simplification et l’allégement du fardeaux fiscal… » [12] Bref, une analyse de la concordance entre le programme du Parti libéral et la réingénierie serait injuste si elle ne tient pas compte des politiques du gouvernement et des engagements du Parti libéral sur des sujets aussi variés que la santé et les services à la petite enfance. 

C’est donc dans cette perspective que je présente une discussion de la concordance entre le document de 2002, Un gouvernement au service des Québécois, et les lois adoptées par le gouvernement Charest entre avril 2003 et septembre 2005. En excluant les lois qui ne font qu’apporter des amendements très mineurs à des lois existantes, le gouvernement libéral avait adopté 102 lois en septembre 2005. Évidemment, ces lois ne peuvent pas toutes être rattachées au projet de la réingénierie. La vaste majorité de ces lois ne sont que des amendements mineurs à des lois existantes. De plus, il serait difficile de convaincre quiconque que la loi 112 interdisant l’usage du tabac dans des lieux publics, par exemple, participe à la réingénierie. Une fois les lois semblables à cette dernière et les lois mineures éliminées, il reste 14 lois pouvant être considérées dans le cadre d’une réingénierie au sens large. Ces 14 lois sont présentées dans la première colonne du Tableau 1. Les cinq lois marquées par un « * » sont incontestablement celles qui se situent au coeur de la réingénierie de l’État.
 

Tableau 1

Lois Promesses Score

 

LOIS

PROMESSES

SCORE

Loi modifiant la Loi sur les services de santé et les services sociaux (Loi 7)

Aucune

0

Loi modifiant la Loi sur les Centres de la petite enfance et autres services de garde (Loi 8)

Aucune

0

Loi concernant la consultation des citoyens sur la réorganisation territoriale de certaines municipalités (Loi 9)

Aucune

0

Loi sur les agences de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux (Loi 25)

p. 12 abolition de RRS + moins de structures

1

Loi concernant les unités de négociations dans le secteur des affaires sociales et modifiant la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs publics et parapublic (Loi 30)

p. 11

réorganisation du travail

2

* Loi modifiant le Code du travail (Loi 31)

p. 23 art. 45 + loi du travail

1

Loi modifiant la Loi sur les centres de la petite enfance et autres services de garde à l’enfance concernant les places donnant droit à des subventions (Loi 32)

p.26 maintien du 5$ + privé

-1

Loi sur le Ministère du Développement économique et régional et de la Recherche (Loi 34)

p.30 place des élus + autonomie financière

1

Loi sur le Commissaire à la santé et au bien-être (Loi 38)

p. 13 Commissaire à la santé

2

Loi sur la Société de financement des infrastructures locales du Québec et modifiant le Code de la sécurité routière (Loi 60)

p. 31 amélioration des infras. + p. 36 réduire org.

1

*Loi sur l’Agence des partenariats public-privé du Québec (Loi 61)

p. 24 loi cadre + première année + réduire org.

1

*Loi sur Services Québec (Loi 63)

p. 38 réseau intégré + réduire org.

1

*Loi sur les Centre de services partagés du Québec (Loi 85)

p. 36 réduire org.

-1

*Loi sur le ministère des Services gouvernementaux (Loi 96)

p. 36 réduire org.

-1

 

Pour vérifier la concordance entre ces 14 lois et le programme du Parti libéral, j’ai attribué un score à chacune d’entre elle. Le score varie entre 2 et –2, 2 correspondant à une concordance parfaite entre la loi et le programme, -2 à une contradiction entre la loi et le programme et 0 à l’absence de lien entre la loi et le programme. Les 1 et les –1 sont attribués en fonction de mesures atténuantes ou des promesses secondaires qui accompagnent les promesses principales. Dans ce qui suit, je donne un exemple pour chacun des scores alloués au Tableau 1. 

La loi 30 est conforme au programme du PLQ qui insiste sur le nombre trop élevé d’accréditations syndicales dans les grands centres hospitaliers, « plusieurs dizaines d’unités » lit-on. Le programme promet donc une réorganisation du travail en « réduisant le nombre d’unités d’accréditation » (p. 11). Ceci, ajoute le programme, devrait recentrer le travail sur le patient. Cette promesse n’est pas l’objet de mesures atténuantes, bien que l’on pourrait considérer le re-centrage sur les patients comme un promesse secondaire. Cependant, il est difficile d’évaluer l’impact de la loi 30 sur les patients. Devant des difficultés semblables, j’ai donné le bénéfice du doute au gouvernement libéral. La loi 30 réduit le nombre d’accréditations syndicales à cinq, ce qui est conforme au programme, bien que celui-ci ne précise pas le nombre. J’ai donc attribué un score de 2 à la loi 30. 

La loi 31 modifiant le Code du travail obtient un score de 1. Cette loi est celle qui modifie l’article 45 du Code du travail pour faciliter la sous-traitance. Alors que l’article 45 prévoyait depuis les années 60 le maintien pour une période de un an des conventions collectives des employés dont les activités sont transférées à un sous-traitant, la modification apportée par le gouvernement libéral permet à l’employeur de considérer la convention collective comme étant expiré et demander une renégociation suivant un avis de trente jours. Cette loi correspond à une promesse centrale du programme du Parti libéral qui prévoyait un assouplissement de l’article 45 du Code du travail pour « faciliter le recours à la sous-traitance » (p.23). Toutefois, cette promesse était accompagnée d’une contre-partie, soit une promesse de resserrer les lois du travail (p.23). Cette mesure atténuante n’a pas été adoptée. Enfin, le programme promettait d’instaurer un « droit des travailleurs, des syndicats et des employeurs de faire appel devant un tribunal du travail » pour contester les recours à la sous-traitance. La loi 31 offre en effet aux travailleurs le droit de contester, à l’intérieur d’un délai de trente jours, une concession d’une partie d’une entreprise si celle-ci vise à « entraver la formation d’une association de salariés ou de porter atteinte au maintien de l’intégralité d’une association de salariés accréditée » [13]. Il s’agit donc d’un recours très limité puisqu’il ne s’applique qu’aux cas où la survie ou la création d’un syndicat est menacée. La liberté et la capacité de négociation, qui pourraient souffrir de la sous-traitance, sont exclues de ce recours. Bref, la promesse du Parti libéral n’est tenue qu’à moitié, d’où le score de 1 attribué à la loi 31. 

Étant donné ce que j’ai écrit plus haut, le score de 0 attribué à la loi 9 sur la consultation des citoyens sur la réorganisation territoriale de certaines municipalités, aussi connue sous ne nom de loi sur les « défusions », ne surprendra personne. Cette loi ne correspond à aucune promesse écrite dans Un gouvernement au service des Québécois, même si, bien entendu, il a été beaucoup question de ce thème lors de la campagne électorale. Les Québécoises et les Québécois connaissaient sans doute assez bien les projets du Parti libéral à propos des fusions municipales, même si ces projets n’apparaissent pas au programme écrit. Ceci illustre encore la difficulté de vérifier la concordance entre un programme de parti et l’action gouvernementale et donc les limites de l’exercice que j’ai entrepris. Enfin, les deux dernières lois du Tableau 1, soit les lois 85 et 96, obtiennent des scores de –1. Rien dans le programme du Parti libéral n’annonçait la création d’un ministère et d’une nouvelle entité gouvernementale responsable de services partagés par plusieurs organisations. En fait, ce raisonnement s’applique aussi à la loi 63 créant Services Québec. Concernant cette dernière loi, le programme promet la création d’un réseau intégré de services aux citoyens. Cependant, le programme promet aussi de réduire le nombre de ministères, d’organismes gouvernementaux et de sociétés d’État (p. 36). Pourtant, ces trois lois créent trois nouvelles structures. De fait, le gouvernement libéral a créé plus d’organisations gouvernementales depuis son élection qu’il n’en a abolies. 

La moyenne des scores du Tableau 1 est de 0,5. Cette moyenne suggère que le quart seulement des lois adoptées par le gouvernement libéral dans le cadre de la réingénierie étaient annoncées dans le programme du parti, un score de 1 correspondant à la moitié. Un score négatif aurait suggéré que le gouvernement va à l’encontre de son programme. Le résultat n’est pas plus reluisant si l’on s’en tient aux cinq lois qui sont au coeur de la réingénierie. Le programme annonçait les thèmes des lois 31, 61 et 63, soit la modification à l’article 45, les partenariats public-privé et l’amélioration des services aux citoyens. Le programme, cependant, était loin de laisser présager que le gouvernement opterait pour la création de nouvelles organisations gouvernementales, au contraire. Comme je viens de l’expliquer, les lois 85 et 96 n’étaient pas du tout annoncées dans le programme libéral. Bref, que j’adopte une perspective spécifique ou globale sur la réingénierie, je ne peux pas conclure, en vertu du modèle promettre et tenir promesse, que la réingénierie du gouvernement de Jean Charest est légitime. 

Le résultat de 0,5 apparaît surprenant puisque la correspondance entre les programmes des partis qui gouvernent et les politiques publiques dans les études comparées atteint souvent quatre-vingt pourcent [14]. D’ailleurs, une telle étude, portant sur 37 des engagements du Parti québécois lors des élections de 1994 et de 1998, montre un niveau de concordance de l’ordre de 86 pourcent [15]. Il est utile de souligner que les méthodes derrières ces études sont différentes de celle privilégiée dans ce texte, leur point de départ étant les programmes de partis et non les politiques du gouvernement. Et cette différence peut porter à conséquence puisque, comme l’affirme Monière, la plupart des politiques gouvernementales ne sont pas annoncées dans les programmes, bien que la majorité des promesses électorales soient tenues. [16] Cependant, il faut ici considérer que la réingénierie a été le premier grand projet du gouvernement Charest ; comprise de manière large elle concerne la majorité des lois adoptées par ce gouvernement ; et Charest lui-même prétend qu’elle était annoncée. Enfin, les scores de 1 et les scores négatifs au Tableau 1, soit 9 scores sur 14, indiquent que des promesses n’ont été tenues qu’à moitié ou carrément contredites. 

J’insiste à nouveau sur quelques limites que comporte une telle analyse. Le programme du parti peut correspondre à autre chose qu’un document écrit ; les politiques gouvernementales ne s’élaborent pas toujours sous forme de lois ; et le langage visant l’électorat est forcément différent de celui qui vise les personnes responsables de l’application des lois. Aussi, comme le suggère Mansbridge, ne pas tenir promesse peut-être légitime dans certaines circonstances. Un parti engagé envers les exercices délibératifs pourrait être forcé d’admettre qu’il s’est trompé dans son programme et qu’en conséquence ses actions ne correspondront pas parfaitement à ses engagements. Comme nous le verrons, les Québécois et les Québécoises pourraient croire que le Parti libéral du Québec est un parti engagé à l’endroit de la délibération. Pour l’instant, je me tourne vers le second modèle, soit celui des valeurs du parti.

 

Les valeurs du parti :
l’insurmontable défi des interprétations multiples

 

Jean-Michel Forest, un membre déçu du Parti libéral du Québec, écrivait ceci dans Le Devoir :

 

« Étant membre du parti, je me trouvais à défendre les positions du gouvernement malgré un sentiment intérieur me trahissant. Lors de mon inscription au Parti libéral, j’avais la vision d’un Parti libéral sous Robert Bourassa, Claude Ryan, Jean Lesage. Un parti qui avait une vision progressiste et qui revendiquait en faveur des différences du Québec, qui voulait discuter et trouver un consensus avec le Canada » [17].

 

Ces propos traduisent très bien l’importance que des citoyens peuvent accorder aux valeurs des partis politiques plutôt qu’à leur programme. Cependant, vérifier la concordance entre les actions gouvernementales et les valeurs du parti qui gouverne pose encore plus de difficultés que la vérification de la concordance entre actions et programme. On sait sans trop de difficulté qu’un parti au pouvoir qui hausse à sept dollars le tarif déboursé par les parents pour les services de garde de leurs enfants, alors qu’il avait promis de maintenir ce tarif à cinq dollars, va à l’encontre de l’une de ses promesses. Il est beaucoup plus difficile d’établir si le parti en question, en posant ce geste, va à l’encontre de ses valeurs. 

Deborah Stone montre éloquemment que les valeurs politiques ne mènent pas automatiquement et de manière univoque à des actions gouvernementales précises [18]. De fait, les acteurs politiques, qu’ils soient de la droite ou de la gauche, tendent à se réclamer des mêmes valeurs. Presque tous, par exemple, sont favorables à l’équité. Bien malheureux risque d’être le politicien qui se présente en faveur de plus d’iniquité. L’équité, cependant, peut être utilisée pour justifier des politiques publiques de nature bien différente. Au nom de l’équité, certains avancent qu’il est juste que le tarif des garderies soit le même pour toutes les familles, peu importe leur revenu. D’autres, cependant, tout aussi engagés en faveur de l’équité, prétendent que les familles les plus riches ne devraient pas bénéficier de l’aide de l’État. Même au sein du Parti libéral du Québec il semble y avoir un certain désaccord à propos de ce qui est équitable en matière d’aide aux familles. Dans le programme, bien que l’on suggère le maintien du même tarif pour tout le monde, on promet de traiter les services de garde comme un avantage imposable pour les familles les plus riches. Monique Jérôme-Forget s’est même publiquement offusquée, au nom de l’équité, de la possibilité que des mères au foyer d’Outremont et de Westmount puissent envoyer leurs enfants en garderie pour la modique somme de cinq dollars alors que d’autres parents, dont les besoins sont plus urgents, sont placés sur des listes d’attente. La ministre déléguée à la Famille, Carole Théberge, après de longues hésitations, a choisi de traiter tout le monde de manière égale dans la loi 32. Rappelons que la ministre a considéré des hausses différentiées en fonction des revenus avant de décider d’une hausse à sept dollars pour tous. Yves Séguin, alors qu’il annonçait une aide universelle aux familles en mars 2004, rappelait l’importance d’une politique familiale qui ne discrimine pas en fonction du revenu. Bref, Claude Ryan a beau souligner que la justice sociale est une valeur fondamentale du Parti libéral, force est de constater que cette valeur, comme les autres, laisse au gouvernement une grande marge de manoeuvre pour développer les politiques qu’il souhaite [19]. 

Selon Mansbridge, le rapport entre les valeurs des partis et les actions gouvernementales se précise grâce aux délibérations des parlementaires et des aspirants parlementaires. Des discussions et des débats entre ces acteurs, qui s’inscrivent sur une longue période, permettraient de faire émerger un sens plus précis aux valeurs de chacun des partis qu’un nouveau leader ne pourrait facilement transgresser. Mansbridge souligne cependant que ce modèle pose problème dans les systèmes politiques où, comme au Québec, règne une stricte discipline de parti [20]. Dans ces systèmes, les acteurs ont intérêt à maintenir une certaine ambiguïté quant aux sens des valeurs qui les animent puisqu’en bout de course ils seront forcés de respecter la ligne du parti. La marge de manoeuvre d’un député libéral pour appuyer la loi 32 est d’autant plus grande que les débats politiques ne l’on pas amené à préciser que pour lui l’équité exige l’octroi d’une aide particulière aux familles défavorisées. Dans ces conditions, les leaders des partis peuvent évoquer, pour justifier leurs décisions, des valeurs à propos desquelles le consensus n’a d’égal que leur ambiguïté. Bref, dans les systèmes où règne une stricte discipline de parti, le sens précis des valeurs est l’objet de nombreuses manipulations stratégiques. Pour chaque personne qui affirme que les actions gouvernementales vont à l’encontre des valeurs du Parti libéral du Québec, on risque donc d’en trouver une qui justifie les actions gouvernementales en fonction des valeurs de ce parti. Soulignons au passage que la réingénierie, à propos de laquelle le gouvernement libéral a maintenu une certaine ambiguïté, participe à une telle dynamique. 

À cette argumentation, certains pourraient rétorquer que le Parti libéral du Québec fait figure d’exception. Ceux-ci pourraient souligner que loin de faire un usage stratégique des valeurs, le Parti libéral du Québec a demandé à Claude Ryan, un homme d’une rigueur et d’une intégrité indiscutable, de rappeler les valeurs du parti dans un petit livre accessible à tous. Ryan lui-même souligne que tout usage stratégique des valeurs du parti est inacceptable. Une fois la liste des valeurs dressée, Ryan écrit qu’il « ne saurait être question de ne retenir que celles que l’on aime et de laisser tomber les autres. » [21] Prenant cet argument au sérieux, je me suis demandé si la lecture du petit livre de Ryan pouvait mener un membre du PLQ à conclure, comme l’a fait Jean Michel Forest cité au début de cette section, que la réingénierie du gouvernement ne correspond pas aux valeurs du Parti libéral du Québec. La réponse est clairement oui. 

La démonstration soutenant cette réponse repose sur deux des lois du Tableau 1, la loi 31 modifiant l’article 45 du Code du travail pour faciliter la sous-traitance et la loi 61 sur l’Agence des partenariats public-privé. [22] Ces deux lois relèvent de valeurs très semblables, faisant la promotion de rapports contractuels plutôt qu’hiérarchiques entre firmes privées ou entre organisations publiques et firmes privées. Ces deux lois étaient partiellement annoncées dans le programme du parti libéral. Enfin, les lois 31 et 61 sont au coeur du projet de réingénierie du gouvernement libéral. 

Dans le livre de Claude Ryan, il n’est nulle part question de l’article 45 du Code du travail et des partenariats public-privé. Cependant, Ryan discute longuement des réalisations du PLQ en droit du travail. Soulignons d’ailleurs que l’article 45 du Code du travail a été adopté par le gouvernement libéral de Jean Lesage. Ryan écrit que les « travailleurs estiment à juste titre que leurs droits collectifs doivent être légalement reconnus et protégés pour qu’ils soient en mesure de négocier leurs conditions de travail sur un pied d’égalité avec les employeurs » [23]. Plus loin il précise que tout employeur « doit également accepter, sous peine de sanction, que ses salariés usent, à l’abri de toute contrainte ou menace, de leur droit à la libre négociation de leurs conditions de travail par l’intermédiaire d’un syndicat » [24]. Si ce n’était pas suffisamment clair, Ryan ajoute :

 

« Largement dues à des gouvernements libéraux, les lois québécoises du travail reconnaissent le droit d’association des travailleurs et leur droit à la libre négociation de leurs conditions de travail par l’intermédiaire d’un syndicat accrédité. Elles reconnaissent les droits étendus aux syndicats de travailleurs non seulement pour la négociation de conventions collectives de travail mais aussi pour leur application. La liberté des associations syndicales est un élément fondamental de la législation québécoise du travail. » [25]

 

Les affirmations de Ryan soulèvent un doute raisonnable sur la légitimité de la loi modifiant l’article 45 du Code du travail. Bien que la loi 31 protège le droit à la syndicalisation, la liberté lors des négociations des conditions de travail, chère à Claude Ryan, pourrait être entravée grâce à la menace de la sous-traitance qui pèse sur les travailleurs et qui gagne en crédibilité grâce à la modification de l’article 45. Mais Ryan affirme aussi que le « Parti libéral a historiquement refusé de se lier à des orientations doctrinaires en matière économique. D’où les réserves qu’il a maintes fois exprimées à l’endroit d’un néolibéralisme rigide selon lequel les lois économiques devraient être la norme de toute activité » [26]. Ce refus de privilégier les lois économiques est aussi discernable dans cette citation qui traite plus directement de sous-traitance :

 

« L’existence d’une fonction publique intègre et jouissant d’un statut et de conditions de travail enviables a également permis d’offrir à la population des services de meilleure qualité et de mettre de l’ordre dans les transactions du gouvernement avec les fournisseurs privés de biens et de services. Ces transactions se font maintenant sous l’empire de règles strictes de transparence, d’impartialité et d’équité » [27].

 

Comme la sous-traitance, les partenariats public-privé promus par la Loi 61, peuvent être utilisés pour réduire le pouvoir des syndicats : il suffit de confier l’offre d’un service à une entreprise privée, non-syndiquée, plutôt qu’à une organisation publique dont les employés appartiennent à un syndicat. Aussi, une telle décision pourrait aussi être comprise comme une marque de confiance de la part du gouvernement libéral envers le secteur privé qui n’à d’égal que sa méfiance à l’endroit de la fonction publique. Pourtant, la dernière citation du livre de Claude Ryan porte à croire qu’un gouvernement libéral a toutes les raisons de faire confiance au secteur public, d’autant qu’il est redevable au Parti libéral pour son professionnalisme et son intégrité. 

Les valeurs du parti, telles qu’exprimées par Claude Ryan dans ces citations, ne semblent pas cautionner la logique purement économique qui a motivé le gouvernement libéral à assouplir l’article 45 du Code du travail et à favoriser les partenariats public-privé. Un citoyen attaché aux valeurs libérales aurait donc pu attendre de Jean Charest plus de prudence qu’il en a fait preuve en adoptant les lois 31 et 61. 

On pourrait me reprocher dans cette analyse de ne pas suffisamment tenir compte des passages du document de Claude Ryan qui semblent plus conformes à l’esprit de la réingénierie. À ces personnes, je rappelle que mon but était plus simplement de voir dans quelle mesure la réingénierie peut raisonnablement être comprise comme allant à l’encontre des valeurs du Parti libéral. Je n’ai jamais douté de la capacité des membres du gouvernement Charest à évoquer les valeurs édictées par Claude Ryan pour justifier leurs politiques. Le contraire semblait moins évident. Ce que mon analyse montre, c’est que malgré les efforts de Claude Ryan, les valeurs du Parti libéral, comme celles de tout parti qui impose à ses membres une stricte discipline, demeurent ambiguës. Pas plus qu’elles n’ont contribuées à légitimer d’autres gouvernements québécois, les valeurs peuvent difficilement être considérées comme une source de légitimité pour le gouvernement libéral de Jean Charest.

 

La délibération :
occasion manquée de légitimer la réingénierie

 

Conformément à ce que j’annonçais au début de ce texte, les deux premiers modèles de légitimité de Mansbridge comportent d’importantes difficultés, dont plusieurs sont indépendantes de la volonté du gouvernement. Même un gouvernement qui tient promesse peut difficilement utiliser son programme pour accroître sa légitimité si les électeurs n’ont aucun intérêt pour celui-ci. Les considérations stratégiques qui prévalent dans les systèmes politiques où règne une stricte discipline de parti rendent les valeurs inopérantes comme mécanismes de légitimation de politiques, indépendamment de l’action gouvernementale. C’est dans ce contexte, affirme Mansbridge, que le modèle délibératif de la légitimité démocratique est particulièrement important : il permet de compenser les déficits démocratiques liés aux deux modèles d’analyse que je viens de présenter et qui ne confèrent aucune légitimité au projet de Réingénierie du gouvernement Charest. Autrement dit, la délibération aurait pu donner à ce projet la légitimité que les autres modèles ne lui ont pas donnés. Or, le gouvernement libéral a manqué une occasion au plan de la délibération aussi. 

Le modèle délibératif est devenu une source importante de légitimité démocratique dans les sociétés qui refusent d’attribuer aux experts, de manière presque exclusive, l’autorité sur la gestion des affaires publiques. Au Québec, comme ailleurs dans le monde, les sciences sociales et administratives ont participé à la mise en place d’un État qui emploie des professionnels capables d’analyser et de concevoir des politiques pour intervenir sur les problèmes complexes d’une société moderne. Dans les années 60, l’État québécois devient rapidement un État technocratique qui accorde une place importante aux experts des sciences sociales et administratives, tant au plan de l’élaboration des politiques qu’au plan de leur gestion. Au Québec comme ailleurs, l’État technocratique atteint rapidement ses limites face aux problèmes socio-économiques qui se multiplient dans les années 70. Tel que le souligne Leslie Pal, les chocs pétroliers, les crises environnementales, la hausse de la pauvreté et le désordre social observé un peu partout à cette époque ont confirmé les limites de la contribution des sciences sociales et administratives à l’amélioration du sort de l’humanité [28]. Dans les années 70, les sciences sociales deviennent elles-mêmes une source importante de critiques à propos de l’utilisation de savoirs experts pour l’élaboration des politiques gouvernementales et leur gestion. Au Québec, par exemple, Jean-Jacques Simard affirme que ces savoirs ne font que camoufler le pouvoir d’une classe de professionnels qui ne veillent qu’à leurs propres intérêts [29]. Face à l’effritement de la confiance envers les experts, en partie alimenté par les sciences sociales des années 1970, on insiste de plus en plus à partir des années 80 sur une plus grande ouverture de la délibération à des idées qui ne proviennent pas uniquement d’experts [30]. D’ailleurs, les réseaux néo-corporatistes québécois, qui sont construits à partir des années 60 et qui n’ont cessé d’évoluer, permettent une confrontation du savoir des professionnels de l’État aux idées de plusieurs groupes de la société civile, du moins pour l’élaboration des politiques publiques de plusieurs secteurs. [31] 

Aujourd’hui, peu de citoyens considèrent comme légitimes les décisions publiques qui ne découlent que de raisonnements scientifiques d’experts. Même dans les domaines les plus spécialisés, tel que le génie génétique, l’énergie nucléaire ou la sécurité alimentaire, de moins en moins de citoyens acceptent que l’autorité réglementaire soit déléguée à des experts [32]. Tel que l’affirmait Giandomenico Majone déjà en 1989, les décisions légitimes dans le contexte contemporain ne peuvent provenir que de processus d’argumentation et de persuasion [33]. Une décision publique n’est légitime que si elle est soutenue par des arguments persuasifs, d’où l’émergence d’une norme délibérative qui est devenue une source centrale de légitimité. C’est en effet grâce à la délibération, c’est-à-dire la confrontation d’idées par des acteurs aux perspectives différentes, que les arguments qui sous-tendent les décisions publiques deviennent persuasifs [34]. Dans un tel contexte, les groupes d’intérêt, et les réseaux néo-corporatistes qui facilitent les échanges entre ceux-ci et les acteurs étatiques au Québec, peuvent jouer un rôle démocratique essentiel. Un gouvernement qui profite de ces réseaux pour soumettre ses idées à une diversité de groupes en vue de délibérer risque d’inspirer, chez plusieurs citoyens, confiance à l’endroit de sa capacité à les représenter à l’avenir. En d’autres termes, que le gouvernement ne tienne pas complètement promesse et qu’il agisse en fonction de valeurs dont le sens n’est pas statique pose peu de problème--peut même sembler comme allant de soi—dans la mesure où il accepte de soumettre ses idées à la délibération. 

On pourrait d’ailleurs penser que le Parti libéral en est un particulièrement ouvert à la délibération. Claude Ryan écrit dans son livre précédemment cité qu’une personne libérale est « accueillante envers les idées en général, y compris les idées différentes des siennes ; ouverte à de nouvelles expériences et à des horizons inédits ; ouverte au dialogue, tolérante, généreuse ; sensible aux besoins des êtres plus faibles ; acquise à l’égalité fondamentale des êtres humains par-delà toute discrimination » [35]. Pourtant, Jean Charest a beaucoup moins exposé ses idées à des exercices délibératifs que ces valeurs libérales le suggèrent, préférant tenter de discréditer des groupes d’intérêt qui ne partagent pas ses opinions. Rappelons simplement que dans sa lettre aux Québécoises et Québécois de l’automne 2003 Jean Charest qualifiait péjorativement d’intérêts « corporatistes » les groupes qui ne partagent pas son optimisme à l’égard de la réingénierie et qu’il traitait Claudette Charbonneau de « petite madame » alors que la CSN tentait de prendre part aux débats concernant la modification de l’article 45 du Code du travail. 

Le refus de la délibération est particulièrement apparent dans la démarche de réingénierie que privilégie le gouvernement Charest. Rappelons simplement que le programme du Parti libéral mentionne, de manière dispersée, le recours aux partenariats public-privé en matière de développement économique, la réduction du nombre d’organismes publics et le gouvernement en ligne. Le programme reste cependant muet sur les organismes publics qui seront effectivement éliminés, sur les domaines qui seront l’objet de partenariat et sur la nature des services qui seront mis en ligne. Cette imprécision pourrait apparaître comme peu problématique puisque le programme affirme aussi que ces mesures seront conformes aux valeurs québécoises et administrer en collaboration étroite avec les employés du secteur public : « Nous allons faire ce virage en partenariat avec les employés de la fonction publique. Ils seront nos alliés. » [36] Bref, la lecture du programme donne l’impression que le gouvernement annonçait un exercice délibératif pour préciser les modalités de ce qu’allait devenir la réingénierie. 

À la délibération avec des groupes d’intérêt et les employés du secteur public, le gouvernement préfère le recours à des consultants privés. Soulignons d’entrée de jeu que toute décision découlant des avis de consultants exige un niveau élevé de confiance des citoyens à l’endroit des experts pour être légitime. Contrairement à ce qu’indique la littérature en science sociale que je viens de présenter, Jean Charest semble considérer que ce n’est pas la confiance envers les experts qui fait défaut, mais la confiance envers les experts de l’État. Suffirait alors de trouver des experts privés pour légitimer les décisions de l’État. Le raisonnement qui sous-tend une telle approche, bien que jamais explicite, est semblable à celui qui prévalait à l’époque technocratique des années 50 et 60 en ce que le statut d’expert suffit pour légitimer les décisions publiques. 

Si on oublie le caractère passéiste de ce raisonnement, encore faut-il que le gouvernement soit capable de trouver la meilleure expertise privée disponible. Qu’il s’agisse de recherche d’expertise en matière de réingénierie ou d’autres formes d’expertise, le Québec s’est doté d’un processus d’appel d’offre moderne dans les années 60. Tel que l’indique Claude Ryan, les gouvernements libéraux des années 60 ont contribué à « mettre de l’ordre dans les transactions du gouvernement avec les fournisseurs privés de biens et services » [37]. Grâce à un processus stricte, poursuit Ryan, « tout contrat d’une valeur supérieure à un montant minimum [25 000,00$] doit être attribué suivant des règles qui obligent à favoriser l’entreprise ayant soumis la meilleure proposition » [38]. Ce processus, pour ceux qui acceptent l’autorité des experts, est une source importante de légitimité. Grâce à lui, les meilleurs experts seront sélectionnés de manière juste et transparente pour conseiller le gouvernement. 

528 582,32$ ont été octroyés en contrats par le gouvernement Charest dans le cadre de la réingénierie. [39] Cette somme de 528 582,32$ ne concerne que les contrats donnés par le sous-secrétariat à la modernisation du Secrétariat du Conseil du Trésor. La somme relève donc d’un traitement étroit de la réingénierie et serait beaucoup plus élevée si toutes les politiques participant à la réingénierie étaient considérées. C’est pour des raisons pratiques que je m’en tiens aux contrats du sous-secrétariat à la modernisation. Sur ce montant de 528 582,32$, aucune somme n’a été adjugée par appel d’offre public. Seulement trois contrats sur un total de 24 ont été adjugés par appel d’offre sur invitation, pour une valeur représentant moins de 20%. 

Ces trois contrats ont été offerts à Pricewaterhouse Coopers, Raymond Chabot Grant Thorton et Samson Bélair Deloitte & Touche et leur valeur respective était de 20 000,00$, 40 000,00$ et 45 000,00$. Les 21 autres contrats, dont la valeur oscille entre 65 000,00$ pour une « réflexion » demandé à Cap Gemini Ernst & Young Canada et 1332,32$ pour une autre « réflexion » cette fois de la part de SECOR conseil inc., ont été négociés de gré à gré. Force est de constater que, contrairement à ce qu’affirmait Claude Ryan dans son livre sur les valeurs libérales, le montant n’a pas été prise en compte lors de la sélection de la méthode d’adjudication des contrats pour la réingénierie. 

Lors d’un entretien confidentiel, un fonctionnaire a révélé que c’est pendant une réunion réunissant le personnel politique et quelques fonctionnaires du Conseil du Trésor qu’a été prise la décision d’octroyer des contrats suivant la méthode la plus rapide. Aussi, la justification exigée par le règlement pour procéder ainsi a été élaborée lors de cette réunion. Cette justification tient à la spécificité des savoirs requis de manière urgente par la Présidente du Conseil du Trésor qui exclurait toute possibilité de concurrence. On peut en toute légitimité se demander quel savoir spécifique est requis , à titre d’exemple, pour réaliser une analyse comparative des agences dans l’OCDE, un contrat de 16 800,00$ donné de gré à gré à l’École nationale d’administration publique. La question est d’autant plus légitime que l’OCDE a elle-même publié une analyse comparative des agences en 2002, disponible via son site Internet pour 55 Euro. En d’autres termes, la spécificité des savoirs requis des sous contractants, raison officielle du Conseil du Trésor pour ne pas aller en appel d’offre dans le cadre de la réingénierie, est une justification douteuse, au mieux. Seul un processus d’appel d’offre public aurait permis de connaître les organisations qui croient détenir le savoir répondant aux exigences du gouvernement, en plus d’inspirer confiance quant au choix de sous contractant par le Conseil du Trésor. 

Cependant, offrir aux experts, qu’ils soient du secteur privé ou du secteur public, une place privilégiée pour orienter la décision publique ne favorise jamais la délibération. Il n’est donc pas surprenant que le gouvernement Charest préfère, au raffinement de ses arguments grâce à un exercice délibératif avec des groupes d’intérêt ou les employés de l’État, discréditer ses adversaires et alimenter ses ministres de « lignes », c’est-à-dire de formules toutes faites pour répondre aux questions. En effet, dans un document préparé pour la Présidente du Conseil du Trésor, on suggère de dépeindre les opposants à la réingénierie comme une « vieille garde obnubilée par les droits acquis et réfractaire à tout changement » [40]. Il est d’ailleurs plutôt révélateur que ces « lignes » aient été produites bien avant l’annonce des décisions précises en matière de réingénierie [41]. Le gouvernement Charest a intentionnellement choisi la confrontation plutôt que la délibération et s’est associé, par contrat, à des firmes privées pour réfléchir à la réingénierie. Loin d’être des « alliés », les employés de l’État ont été exclus de cette réflexion. 

Certains pourraient rétorquer que le gouvernement libéral a accepté la délibération, bien que tardivement, en mettant en place les forums régionaux en 2004, un exercice qui trouvait son inspiration, affirmait Jean Charest, dans le sommet socio-économique de 1996 décidé par Lucien Bouchard. Je souligne d’abord que les forums régionaux s’inscrivent dans une logique de réduction de l’importance des groupes d’intérêt au profit de citoyens dits « ordinaires ». D’ailleurs, plusieurs groupes ont confirmé qu’ils ne participeraient pas à l’étape finale de l’exercice, seule étape où un rôle leur a été attribué. Évidemment, les forums ne peuvent pas être qualifiés d’exercices non délibératifs sur cette base, puisque la délibération peut impliquer d’autres acteurs que les groupes d’intérêts, en l’occurrence les citoyens ordinaires. Par contre, les règles que le gouvernement a définies pour ces exercices, pourtant officiellement confiés aux Conférences régionales des élus, laissent perplexe à propos de la volonté réelle du gouvernement de délibérer. D’abord, les participants ont été choisis par une loterie organisée par le gouvernement. Ensuite, les participants ainsi choisis ont eu un droit de parole moyen d’environ deux minutes. Enfin, l’agenda des forums a été déterminé en totalité par le gouvernement et la réingénierie y a été exclue de manière explicite par le Premier ministre. Bref, il serait difficile de prétendre que les forums régionaux ont contribué à légitimer la réingénierie de l’État entreprise par le gouvernement Charest. D’ailleurs, après un an seulement, les forums laissent peu de souvenir, ce qui contraste avec le sommet socio-économique de 1996.

 

Conclusion

 

Comme l’indique la citation en début de texte, Jean Charest prétend prendre les décisions controversées annoncées dans le programme électoral de son parti. Jean Charest croit que la légitimité démocratique qui découle de son élection à la tête du gouvernement québécois en avril 2003 l’autorise à adopter des politiques impopulaires, notamment auprès des groupes d’intérêt. En m’inspirant d’un article de Jane Mansbridge, j’ai soutenu que cette conception de la légitimité démocratique est bien incomplète, sans toutefois nier sa validité. En conséquence, en plus d’examiner la performance du gouvernement Charest en vertu du modèle dans lequel il s’inscrit lui-même, j’ai analysé la légitimité de la réingénierie en fonction de deux autres modèles suggérés par Mansbridge. Cette analyse me permet de conclure que la réingénierie de l’État ne peut être considérée légitime en vertu d’aucun des trois modèles. D’abord, le programme du parti n’annonçait pas la réingénierie que le gouvernement a entreprise, qu’on la traite comme projet global ou spécifique. Non seulement la réingénierie n’était-elle pas annoncée, cette analyse me permet d’avancer que le gouvernement ne respecte que peu de promesses contenues dans son programme. Ensuite, plusieurs des décisions rattachées à cette réingénierie peuvent être comprises comme allant à l’encontre des valeurs du Parti libéral du Québec, telles que les avait présentées Claude Ryan dans un petit livre publié peu de temps avant la campagne électorale de 2003. Enfin, l’approche privilégiée par le gouvernement libéral lors de l’élaboration de la réingénierie offre un rôle clé à des experts conseils, provenant de firmes privés sous contrat, et semble exclure la délibération, tant avec les groupes d’intérêt, les employés de l’État, qu’avec les citoyens dits ordinaires. J’ai tenté de montrer qu’une telle approche est problématique au plan de la légitimité puisqu’elle ne donne pas au gouvernement la possibilité de montrer le sérieux des arguments qui sous-tendent la réingénierie. 

Les sondages confirment la pertinence de cette analyse. En effet, les Québécoises et les Québécois n’apprécient pas la nature des rapports que le gouvernement Charest a choisi d’établir avec les groupes d’intérêt et les syndicats. Un sondage Léger Marketing, réalisé dans les premiers jours de 2004 pour le compte du Devoir, du Globe and Mail et de CKAC, montrait que 50% des Québécoises et des Québécois se rangeaient derrière les groupes d’intérêt et les syndicats dans le conflit qui les oppose au gouvernement. Celui-ci obtenait un appui de 41% seulement, alors que 9% des citoyens refusaient de répondre. Conséquemment, lorsque l’on demande aux Québécoises et aux Québécois s’ils ont confiance au gouvernement Charest, leur réponse est un non très majoritaire aujourd’hui et ce depuis les premiers mois de l’élection de ce gouvernement. Enfin, le PLQ est plusieurs points derrière le Parti québécois dans les intensions de vote [42].


[1]    Ce texte a été préparé pour le colloque « Bilan des réalisations du gouvernement Charest », Québec 9-10 décembre 2005. Il s’agit d’une mise à jour du Chapitre 4 du livre de Christian Rouillard, Éric Montpetit, Isabelle Fortier et Alain-G. Gagnon, La réingénierie de l’État : vers un appauvrissement de la gouvernance québécoise. Québec : Presses de l’Université Laval. Ne pas citer sans permission.

[2]    Jean Charest, « Lettre ouverte aux Québécois : Le Québec a fait un pas en avant depuis six mois », Le Devoir, 14 octobre 2003, p. A7.

[3]    Pour une analyse détaillée, voir Jane Mansbridge, « Rethinking Representation », American Political Science Review, vol. 97, no. 4, 2003, pp. 515-528.

[4]    Pour ceux qui seraient tout de même intéressés par ce modèle, voir Christian Rouillard, Éric Montpetit, Isabelle Fortier et Alain-G. Gagnon, op. cit. p. 139-140.

[5]    Jane Mansbridge, op. cit., pp. 515-528.

[6]    Pour plus de détails, consulter le :

      http://www.plq.org/fr/informez_vous/programme.html

[7]    Parti Libéral du Québec (PLQ), Plan d’action du prochain gouvernement libéral, Un gouvernement au service des Québécois : Ensemble, réinventons le Québec, 2002, p. 25.

[8]    Denis Arcand, « Le budget Séguin : Le patronat s’inquiète pour la recherche », La Presse, 13 juin 2003, p. B 10.

[9]    PLQ, Un gouvernement au service des Québécois, op. cit., p. 24.

[10]   PLQ, Un gouvernement au service des Québécois, op. cit., p. 36.

[11]   PLQ, Un gouvernement au service des Québécois, op. cit., p. 28.

[12]   Gouvernement du Québec, Guide à l’intention des ministères sur la révision des structures de l’État et des programmes gouvernementaux dans le cadre de la réingénierie de l’État québécois, 2003 : 3.

[13]   Gouvernement du Québec, Projet de loi no. 31 : Loi modifiant le code du travail, Québec, Éditeur officiel du Québec, 2003, p. 4 (article 6).

[14]   À ce sujet, voir Denis Monière. Le discours électoral : les politiciens sont-ils fiables ?, Montréal : Québec/Amérique, 1988, p. 190. Aussi, Hans-Dieter Klingermann, Richard I. Hofferbert, et I an Budge, Parties, Policies and Democracy, Boulder, Westview Press, 1994.

[15]   François Pétry, « La réalisation des engagements du Parti québécois : analyse d’ensemble », dans François Pétry dir., Le Parti québécois : bilan des engagements électoraux 1994-2000. Québec : Presses de l’Université Laval, 2002, p. 178.

[16]   Denis Monière, op. cit.

[17]   Jean-Michel Forest, « Lors des dernières élections, j’avais 20 ans… », Le Devoir, 2 mars 2004, p. A6.

[18]   Pour une analyse exhaustive, voir Deborah Stone, Policy Paradox : The Art of Political Decision Making. New York, W.W. Norton & company, 1997.

[19]   Claude Ryan, Les valeurs libérales et le Québec moderne : une perspective historique sur l’apport du Parti libéral du Québec à l’édification du Québec d’hier et d’aujourd’hui. Montréal, Parti libéral du Québec, 2002 p. 30.

[20]   Jane Mansbridge, op. cit., p. 521.

[21]   Claude Ryan, op. cit., p. 12.

[22]   Dans Christian Rouillard, Éric Montpetit, Isabelle Fortier et Alain-G. Gagnon, op. cit., la démonstration porte sur cinq lois.

[23]   Claude Ryan, op. cit., pp. 15-16.

[24]   Claude Ryan, op. cit., p. 39.

[25]   Claude Ryan, op. cit., p. 41.

[26]   Claude Ryan, op. cit., p. 26.

[27]   Claude Ryan, op. cit., p. 49

[28]   Pour plus de détails, voir Leslie A. Pal, Beyond Policy Analysis : Policy Issue Management in Turbulent Times, Scarborough, Nelson, 1997.

[29]   Voir Jean-Jacques Simard, La longue marche des technocrates, Laval, Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1979. [Livre disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[30]   Douglas Torgerson, « Between Knowledge and Politics : Three Faces of Policy Analysis », Policy Sciences, vol. 19, no. 1, 1986, pp. 33-60.

[31]   Montpetit Éric, (1999), ‘Corporatisme québécois et performance des gouvernants : analyse comparative des politiques environnementales en agriculture,’ Politique et Sociétés, 18 : 79-98.

[32]   Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, Agir dans un monde incertain : essai sur la démocratie technique. Paris, Éditions du seuil, 2001.

[33]   Giandomenico Majone, Evidence, argument and persuasion in the policy process, New Heaven, Yale University Press, 1989.

[34]   À ce sujet, voir les analyse de Jane Mansbridge, op. cit., pp. 515-528 et de Peter DeLeon, Democracy and the Policy Sciences, Albany, State University of New York Press, 1997.

[35]   Claude Ryan, op. cit., p. 11.

[36]   PLQ, Un gouvernement au service des Québécois, op. cit., p. 35.

[37]   Claude Ryan, op. cit., p. 49

[38]   Claude Ryan, op. cit., p. 49

[39]   Tous les renseignements concernant les contrats octroyés dans le cadre de la réingénierie ont été obtenus grâce à une demande d’accès à l’information à laquelle j’ai obtenu réponse le 4 mai 2004. Les chiffres n’ont pas été mises à jour à septembre 2005 étant donné les délais qu’implique une demande d’accès à l’information. Cependant, d’autres contrats ont été octroyées depuis 2004.

[40]   Kathleen Lévesque, « Réingénierie : comment vaincre les résistances », Le Devoir, 9 mars 2004, p. A3.

[41]   À ce sujet, voir Kathleen Lévesque, op. cit., p. A3.

[42]   Tommy Chouinard, « Les Québécois regrettent leur choix », Le Devoir, 24 janvier 2004, p. A3. Un sondage CROP publié dans la Presse du 29 avril montre que 66% des Québécois sont insatisfaits du gouvernement Charest, alors que seulement 29% sont satisfaits. Rares sont les gouvernements qui atteignent un tel taux d’insatisfaction aussi rapidement après une première élection.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 31 mai 2008 10:47
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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