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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Jean-Paul MONTMINY, La quête quotidienne du merveilleux”. Texte d’une intervention au second colloque sur les religions populaires organisé en 1971 par l’Institut supérieur des sciences humaines de l’Université Laval. In LE MERVEILLEUX. DEUXIÈME COLLOQUE SUR LES RELIGIONS POPULAIRES, 1971, pp. 101-109. Textes  présentés par Fernand Dumont, Jean-Paul Montminy et Michel Stein. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1973, 162 pp. Collection : Histoire et sociologie de la culture, no 4. [Autorisation formelle accordée le 7 décembre 2009, par le directeur général des Presses de l’Université Laval, M. Denis DION, de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Jean-Paul MONTMINY

La quête quotidienne du merveilleux”.

Texte d’une intervention au second colloque sur les religions populaires organisé en 1971 par l’Institut supérieur des sciences humaines de l’Université Laval. In LE MERVEILLEUX. DEUXIÈME COLLOQUE SUR LES RELIGIONS POPULAIRES, 1971, pp. 101-109. Troisième partie : Les formes actuelles du merveilleux. Textes  présentés par Fernand Dumont, Jean-Paul Montminy et Michel Stein. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1973, 162 pp. Collection : Histoire et sociologie de la culture, no 4.

[101]


Mon intention est de vous parler du merveilleux dans la vie quotidienne actuelle en relation avec l'objet premier de nos rencontres : les religions populaires [1]. Il est bien évident, par ailleurs, que le merveilleux ne se retrouve pas uniquement dans le domaine des religions, ou plus largement du sacré. Des collègues l'ont montré ou le montreront ces jours-ci : il y a le merveilleux dans la littérature, dans l'art, dans la science...

Une deuxième remarque préliminaire : mon exposé ne vise pas à une savante construction théorique du concept de merveilleux, ni à une analyse de ses fonctions sociales ou psychologiques, par exemple, dans l'aménagement de la vie des collectivités humaines. Il n'est pas davantage appuyé sur des recherches empiriques, lesquelles, à ma connaissance, sont très peu nombreuses présentement.

Beaucoup plus simplement, je voudrais proposer à nos échanges un ensemble de remarques, un certain nombre d'intuitions et d'observations théoriques et empiriques plus ou moins « merveilleuses » qui viendraient ajouter du matériel à la recherche collective de ce colloque.

Mon point de départ a sans doute été analogue a celui de la plupart d'entre vous. S'interroger sur la [102] recherche du merveilleux dans la vie quotidienne appelait d'abord une première réflexion sur le merveilleux lui-même. Après une exploration infructueuse dans les dictionnaires spécialisés de la philosophie ou de la psychologie - principalement de l'enfant - sujet certes plus en con-naturalité avec le merveilleux, j'ai dû retourner au bon vieux Larousse et au Petit Robert.

Aux inscriptions « merveille », « merveilleux », nous lisons cette définition : ce qui excite ou cause l'admiration, ce qui est hors de l'ordinaire ; ou encore, est dit merveilleux tout le vaste domaine des « mirabilia », des réalités admirables suscitant l'étonnement de celui qui en est le témoin. Cette première approximation nous indique que le merveilleux est très lié à l'admiration dont le sens étymologique est précisément celui d'un étonnement, qui engendre l'estime et la vénération.

Si cela est exact, il convient donc de noter que le merveilleux se situe d'abord et avant tout du côté de l'affectivité et du sentiment. Le merveilleux ne se manifesterait pas au terme d'un raisonnement logique dont il serait la conclusion. La science, par exemple, peut inviter le savant à l'admiration, mais il s'agit alors d'une démarche d'un autre ordre qui, comme tel, est extérieur au processus scientifique.

Voilà pourquoi je souscrirais, pour ma part, à l'affirmation d'André Lalande lorsque, s'inspirant d'Aristote, il écrit « que la connaissance de la nécessité inhérente à l'ordre total supprime... l'admiration ou la transforme en une impossible contemplation intellectuelle [2] ». Reprenant le même thème, mais cette fois par un autre biais, je rappellerai le témoignage d'Albert Einstein disant : « Ma religion consiste en une humble admiration envers [103] l'esprit supérieur et sans limites qui se révèle dans les plus minces détails que nous puissions percevoir avec nos esprits faibles et fragiles. Cette profonde conviction sentimentale de la présence d'une raison puissante et supérieure se révélant dans l'incompréhensible univers, voila mon idée de Dieu [3]. »

Échappant à l'emprise ou à la domination complète du rationnel, le merveilleux m'apparaît donc comme cet ensemble de réalités extraordinaires, admirables qui instaurent dans la conscience individuelle ou collective le sentiment d'une plénitude.

La suite de ma réflexion m'a conduit à aligner une série de mots qui m'ont semblé être en connotation immédiate avec le merveilleux. Tous ces mots - ils nous seront utiles plus tard - empruntent leur racine étymologique au latin mirari. Nous avons ainsi :

- mirifique : un quasi-superlatif de merveilleux ; c'est le merveilleux avec éclat, le merveilleux éblouissant ;

- miracle : un phénomène appartenant au surnaturel, au non-rationnel, inexplicable par la science présentement acquise ;

- mirage : évoque l'idée d'un faux merveilleux, de l'erreur, de la déception ;

- miroir : suggère d'une part l'idée du reflet ; aussi celle de celui qui s'admire, auquel cas on pourrait penser au merveilleux du narcisse. Les dérivés « miroiter » et « faire miroiter » connotent la proposition d'un merveilleux trompeur.

[104]

LES FORMES DIVERSES DU MERVEILLEUX

Tenant compte de ce que nous avons dit jusqu'ici, nous pouvons maintenant nous demander comment se présente le merveilleux dans la vie quotidienne. Je voudrais ainsi suggérer quelques distinctions utiles à nos propos.

On doit tout d'abord, me semble-t-il, parler d'un merveilleux qui est donné, d'un merveilleux qui se révèle à moi et en présence duquel je réagis affectivement. Pensons plus précisément ici au Dieu du christianisme. Pour le croyant des religions chrétiennes, le Dieu est un donné. Merveilleux, il s'est révélé dans des « merveilles » dont la plus importante est son propre fils Jésus [4]. Ce merveilleux ainsi révélé, m'apparaissant admirable, extraordinaire me révèle, du même coup, à moi-même en me faisant ressentir mes limitations, ma finitude. Il provoque alors chez moi un appel à sa présence qui me procurera un sentiment de plénitude, de très grande satisfaction.

En regard du merveilleux donné, il y a le merveilleux que les hommes veulent créer par leurs propres moyens pour être ainsi en mesure de se le rendre présent lorsque, par exemple, la monotonie et les ennuis du quotidien deviennent trop lourds.

Dans une optique somme toute complémentaire, on peut également constater l'existence, dans la vie des [105] collectivités, d'un merveilleux explicable et d'un merveilleux inexplicable.

Le merveilleux explicable correspondrait à ce qu'on appelle « les merveilles de la science » : l'infiniment petit, l'exploration de la lune, etc. Il faut ici bien s'entendre. Si ce merveilleux est explicable pour les hommes de science, il n'est donc pas un vrai merveilleux puisque, nous le répétons, le merveilleux n'est pas, de soi, de l'ordre du rationnel. Ceci dit, il n'empêche que, pour « l'homme de la rue », ce type de merveilleux contient toutes les caractéristiques reconnues au merveilleux : étonnement, admiration, dépassement...

Le merveilleux inexplicable est plus complexe. Nous le rencontrons dans diverses directions. Il y a le merveilleux inexplicable par la science acquise. On songe alors au surnaturel : Dieu, les dieux ou même les êtres intelligents d'une autre planète. On peut aussi penser à un autre ordre de merveilleux inexplicable : il est psychologique. C'est le merveilleux de l'imaginaire, c'est le merveilleux du vaste domaine des arts, depuis un certain art de vivre et de voir les choses jusqu'à la musique et la poésie.

S'il est exact qu'il existe un merveilleux psychologique, il nous faut alors admettre que celui-ci est fortement influencé par le tempérament des individus. Il y aurait des types de merveilleux comme il y a des types de tempérament. Rappelons ici quelques exemples empruntés aux chercheurs dans ce domaine. Selon Kierkegaard, il y a le merveilleux de l'homme esthétique, le merveilleux de l'homme éthique, le merveilleux de l'homme religieux. Selon James, nous aurions le merveilleux de l'optimiste et celui du pessimiste ; selon Jung, le merveilleux de l'extroverti et celui de l'introverti.

[106]

DANS LA SOCIÉTÉ ACTUELLE

Qu'en est-il du merveilleux dans notre société contemporaine ? Nous le savons, cette société a promu au rang de valeur, et de valeur primordiale, la rationalité. En effet, le calcul rationnel, l'ajustement des moyens que l'homme contrôle à des fins également sous sa domination, a envahi tous les secteurs de la vie présente, aussi bien le secteur de la vie sociale que celui de la vie privée. Il devient alors plus facile de comprendre pourquoi le merveilleux réel, ce merveilleux générateur d'admiration et d'étonnement est fortement combattu ou tout au moins relégué très loin dans les préoccupations de nos contemporains. Tout se passe comme si les sociétés actuelles, poursuivant des objectifs d'efficacité (planification, rentabilité...), ne pouvaient plus et ne savaient plus faire leur place aux rêves, aux utopies [5].

Pensons, à titre d'exemple, à la fête. Dans les sociétés traditionnelles, la fête avait une réelle fonction sociale. Pour les hommes de cette époque, elle faisait partie intégrante de l'aménagement général du temps et de l'espace. Elle était aussi un signe unanimement reconnu et accepté de la jonction intime entre le social public et le social privé. Aujourd'hui, la fête n'a plus cette dimension sociale parce que le temps et l'espace sont devenus eux aussi objet de l'organisation rationnelle [6]. [107] La commercialisation du loisir n'est qu'un indice, parmi plusieurs, de ce phénomène.

En contrepartie à ce merveilleux inexplicable qu'elle repousse parce que non signifiant, la société actuelle produit une quantité énorme de « merveilleux » explicable. Il s'agit bien souvent alors d'un merveilleux artificiel, commercialisé dont on peut se demander si l'intention qui présidé à sa création n'est pas de favoriser l'évasion ou la distraction. Nous retrouverions alors ce que nous disions plus haut en évoquant les mots mirage, miroiter. À n'en pas douter, il s'agit là d'une inflation du merveilleux dont la conséquence première en serait la dévalorisation.

Il nous faut donc admettre que la société contemporaine sape profondément les bases possibles à l'émergence d'un merveilleux réel et vrai dans la vie quotidienne. Le même phénomène se remarque également au sujet de la religion. La réaction normale est alors une quête du merveilleux dans toutes les directions.

Signalant à l'instant que la société rationnelle et fonctionnelle détruit le merveilleux dans la religion, il faut convenir en toute honnêteté que l'Église a trop facilement laissé la place libre à l'avènement d'un « merveilleux » explicable. Autrefois, la religion - « populaire » ou non - fourmillait d'incitations à vivre le merveilleux. Par exemple, il y avait les décorations des lieux de culte à l'occasion des grandes fêtes liturgiques, l'accent manifeste mis sur l'émerveillement dans la nuit de Noël, les [108] processions, les cantiques connus et chantés par tous. Bien sûr que dans l'utilisation de ces moyens il y a eu abus. De fait, il n'est pas faux d'affirmer que les signes du merveilleux sont devenus des en-soi, des objets. C'était les vouer à la non-signification, et donc à la disparition.

Depuis, la recherche d'un merveilleux religieux a connu certaines innovations : l'accent mis, dans quelques communautés chrétiennes, sur une Vigile pascale significative, la place faite à l'admiration dans la catéchèse aux enfants, les tentatives d'une vie chrétienne en petite fraternité, etc. Dans l'ensemble, cependant, il ne me paraît pas inexact de dire que cette recherche est somme toute assez pauvre. Cela tiendrait-il au fait que la théologie - systématisation rationnelle du révélé religieux - n'a pas laissé sa place au merveilleux ?

Quoi qu'il en soit, j'ai l'impression que la quête quotidienne du merveilleux par nos contemporains a emprunté d'autres voies. La place laissée libre, en pratique, par la religion a été prise par d'autres. Ces nouvelles voies m'apparaissent fort diverses, polarisées cependant par un certain art de vivre les temps de loisir. Le besoin de la fraternité, le camping familial, les drogues, l'astrologie, la visite fréquente des places marchandes, etc., ne sont-ils pas des indices de la recherche d'un merveilleux qui permettrait de créer à sa guise ce sentiment de plénitude dont je parlais au tout début de cet exposé ?

Ainsi, des études faites dans les grandes places marchandes du Québec métropolitain ont révélé que le pourcentage des acheteurs réels est, en définitive, assez faible. Par ailleurs, une grosse majorité des usagers de ces places y vont fréquemment, non pas dans l'intention d'acheter mais bien, selon leurs dires, pour essayer des [109] vêtements nouveaux et coûteux leur permettant alors de vivre en dehors du quotidien banal.

Il ne faudrait pas négliger non plus, dans notre réflexion, l'importance que prennent la couleur et les sons dans les groupes hippies ou leurs analogues. Depuis longtemps, en effet, les psychologues et les psychanalystes nous ont appris que l'œil et l'oreille sont les plus « spirituels » des sens. De même Gilbert Durand, dans son ouvrage sur les Structures anthropologiques de l'imaginaire, souligne l'isomorphisme des images de l'œil, de la vision et de la lumière, et de la transcendance divine.

*
*     *

Pour terminer ces réflexions certainement trop rapides et trop discontinues, c'est une invitation à des recherches que je voudrais faire. À mon avis, l'inventaire et l'analyse significative des formes de merveilleux dans une société comme la nôtre ne peuvent être qu'existentiels. De plus, il me semble difficile de penser à des explications sociologiques du merveilleux sans recourir au préalable à des études psychologiques sur le sujet.



[1] Les réflexions qui suivent sont le résultat, pour une part, d'échanges que j'ai eus avec mon collègue Marc-André Lessard.

[2] Vocabulaire technique et critique de la philosophie, p. 27, note.

[3] Cité dans Fêtes et Saisons, no 231, janvier 1969, p. 36. L'italique est de nous.

[4] La Tradition chrétienne la plus ancienne a traduit cette perception dans la liturgie du 1er janvier, par exemple. Rappelant l'incarnation de Jésus, elle invite le croyant à « s'étonner » de cet admirable échange, de cet admirabile commercium où le Dieu prend la condition humaine dans la personne de son fils.

[5] Nous savons assez que la collectivité comme les individus qui la composent réagissent à la situation qui leur est faite. Ne remarquons-nous pas cependant que la réaction a souvent recours à des formes plus ou moins avouées de justification ?

[6] Voir à ce sujet l'étude de Denise LEMIEUX sur la fête de Noël, « Le temps et la fête dans la vie sociale », Recherches sociographiques, VII, 3, septembre-décembre 1966, pp. 281-304. La principale conclusion qui se dégage de ce travail est celle d'une profonde nostalgie dont la composante nodale est un rappel des « fêtes » d'une enfance pendant lesquelles le temps était suspendu, l'espace envahi par les rêves et l'imaginaire.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 5 janvier 2011 8:48
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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