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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Denis Monière, Votez pour moi.
Une histoire politique du Québec moderne à travers la publicité électorale
. (1995)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Denis Monière, Votez pour moi. Une histoire politique du Québec moderne à travers la publicité électorale. Montréal: Les Éditions Fides, 1998, 250 pp. Une édition numérique réalisée par Pierre Patenaude, bénévole, professeur de français à la retraite et écrivain, Chambord, Lac—St-Jean. [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 8 décembre 2010 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[9]

Votez pour moi.
Une histoire politique du Québec moderne
à travers la publicité électorale


Introduction

La publicité électorale :
un objet de recherche négligé



La législation sur la publicité électorale
Les spécificités de la publicité politique
Les objectifs de la recherche


Si la publicité à elle seule ne peut assurer l'élection d'un parti, elle constitue un ingrédient indispensable de la politique moderne. Aucun parti politique ne voudrait prendre le risque de faire une campagne électorale sans diffuser de messages publicitaires. Ce choix ne s'explique pas seulement par la crainte d'être disqualifié de la compétition électorale par manque de visibilité. Il correspond aussi à la logique de la vie démocratique où, à l'occasion des campagnes électorales, les citoyens sont appelés à évaluer les partis et les candidats qui s'offrent pour former le gouvernement. Puisque le choix électoral repose sur l'information, un parti doit donc faire connaître ses candidats, ses idées et ses projets afin de convaincre l'électeur qu'il est meilleur que ses adversaires, ce qui est la fonction essentielle de la publicité électorale. Si la publicité est indispensable au succès des partis politiques, elle est aussi nécessaire aux électeurs, surtout à ceux qui s'intéressent peu à la politique et qui veulent faire un choix rationnel. Elle leur permet d'économiser les coûts qu'implique l'acquisition de l'information politique et de choisir le parti qui se rapproche le plus de leur conception du bon gouvernement. Même si elle est décriée parce qu'elle est simplificatrice et qu'on l'associe à la manipulation, la publicité n’en demeure pas moins un rouage essentiel de la vie démocratique.

[10]

Les partis consacrent une part importante de leur budget électoral à l'achat de temps d'antenne [1] parce que la télévision procure un accès direct à de vastes auditoires où se retrouvent ceux qui sont les moins politisés. Les messages politiques étant insérés dans des émissions populaires et entourés d'autres messages de nature commerciale, ils peuvent atteindre des électeurs qui dans un autre contexte refuseraient de s'exposer à un message partisan, soit parce qu'ils ne s'intéressent pas à la politique, soit parce qu'ils sont politisés et ne partagent pas le point de vue de celui qui émet le message. Les messages publicitaires ont aussi un avantage comparativement aux autres supports de communication : celui de garantir au parti le contrôle sur le contenu de l'information, ce que n’offre pas la conférence de presse et le reportage journalistique où la communication entre le parti et l'électeur est médiatisée par un tiers. Dans les campagnes modernes, les politiciens ont d'autant plus besoin de la publicité que leur temps de présence dans les bulletins d'information télévisée régresse et qu'ils contrôlent de moins en moins la parole publique [2].

Même si la publicité télévisée représente le principal poste budgétaire des dépenses électorales [3] et même si elle est devenue l'arme privilégiée du combat politique, on ne connaît pas avec précision les effets de la publicité politique, car ceux-ci sont largement conditionnés par la culture politique et varient d'un électorat et d'une élection à l'autre.

[11]

Selon plusieurs enquêtes [4] menées dans différents pays, la fonction de la publicité télévisée n'est pas de convaincre l'électeur de changer son vote. Les recherches faites aux États-Unis sur la publicité électorale ont montré que les messages publicitaires servent à fixer l'ordre du jour politique en orientant la réflexion des électeurs sur les enjeux qui mettent en valeur les positions d'un parti « On l'utilise aussi pour influencer la perception de l'image du parti et de son chef [5] ou encore pour miner la crédibilité des adversaires [6]. On sait aussi que la publicité a pour effet de renforcer les prédispositions partisanes et que même si elle n'influence que marginalement les intentions de vote, surtout celles des électeurs tardifs et peu intéressés par la politique [7], elle peut favoriser le momentum en faveur d'un parti lorsque l'opinion publique est versatile. Enfin, elle stimule l'ardeur des travailleurs d'élection.

L’analyse de la communication politique en campagne électorale est un terrain quasiment vierge au Québec. L’absence de recherche exhaustive sur les moyens mis en œuvre par les partis pour convaincre les électeurs de voter pour eux s'explique par des raisons théoriques et pratiques. La théorie dominante en science politique depuis les célèbres travaux de Lazarsfeld et de Berelson [8] soutenait que le vote était déterminé par des variables socio-économiques et que les campagnes électorales avaient par elles-mêmes peu d'effets [12] sur les résultats électoraux. Les enquêtes d'opinion montraient que la majorité des électeurs avaient des prédispositions partisanes, que leur vote dépendait de leur statut socio-économique, que les intentions de vote étaient stables et que le choix électoral était fait avant le début de la campagne électorale. Dans un tel contexte, il n'y avait pas de raison de s'intéresser à la communication politique des partis puisque celle-ci n'était pas une variable significative pour expliquer le comportement électoral.

Il y avait aussi un obstacle épistémologique qui entravait la recherche sur le discours publicitaire des partis. Les spécialistes de la science politique, soit pour des raisons idéologiques, soit pour des raisons méthodologiques, manifestent souvent un préjugé négatif envers le marketing qui est associé à l'univers du commerce. On estime que le produit politique ne peut être assimilé à un produit commercial en raison des différences entre l'acte de vote et l'acte de consommation. L’univers des motivations et des choix personnels est soumis à des variables trop complexes pour donner lieu à des connaissances fiables. Enfin, la réalisation de telles recherches doit surmonter des difficultés pratiques, car les campagnes électorales sont relativement rares dans les systèmes parlementaires et le matériel publicitaire des partis est éphémère, les partis ne le conservant pas dans leurs archives. La production de la publicité est confiée à des agences de publicité commerciale qui elles-mêmes ne valorisent pas cette activité épisodique dont la récurrence est trop faible pour justifier des investissements considérables. Le milieu des publicitaires traite la publicité politique comme un sous-produit de la publicité commerciale qui, elle, assure la rentabilité de ces entreprises. Les publicitaires préfèrent d'ailleurs demeurer discrets sur leur participation aux campagnes électorales pour ne pas mettre leur réputation en jeu et indisposer leurs clients commerciaux. Un publicitaire associé à la victoire d'un parti pourra certes en tirer des retombées positives en obtenant des contrats de publicité gouvernementale, mais il encourt aussi le risque d'être associé à la défaite d'un parti et de perdre sa crédibilité. À cet égard, nous avons constaté que les publicitaires ne sont pas fiers de leur travail pour les partis politiques et qu'ils ne conservent pas leur production partisane. Cette attitude ne facilite pas la reconstitution des campagnes publicitaires.

[13]

La législation sur la publicité électorale

La législation sur la publicité électorale est le principal facteur qui détermine l'évolution de la publicité électorale à la télévision au Canada, où c'est l'instance fédérale qui a juridiction sur les ondes et réglemente leur usage. Afin de reconstituer les principales étapes de la législation canadienne, nous nous servirons des recherches effectuées par M. Nolan et S. Kline [9].

Dans les années 1930, le cadre réglementaire fut conçu pour limiter l'usage propagandiste de la radio. On craignait que l'utilisation à des fins partisanes de cette nouvelle technologie conduise à la manipulation de l'électorat et nuise au fonctionnement de la démocratie en avantageant indûment ceux qui avaient les ressources pour contrôler ces moyens de communication.

Deux exemples illustraient ces risques. En 1935, Aberhart avait réussi à prendre le pouvoir en Alberta en partie grâce à l'usage intensif de la radio et à son programme « The Prophetic Bible Conférence ». De même, tentant d'imiter le succès des « fireside chats » de Franklin Delano Roosevelt aux États-Unis, le premier ministre canadien R.B. Bennett dépensa 10 000 $ en janvier 1935 pour diffuser, quelques mois avant les élections générales, six demi-heures pour justifier ses politiques. Cette première série d'émissions fut suivie à l'automne d'une série dramatique appelée Mister Sage. Dans ces six émissions d'une durée de 15 minutes, Mr. Sage discutait sur le mode de la conversation familiale avec son épouse des enjeux de la campagne électorale en s'attaquant de façon sarcastique à M. Mackenzie King, le chef de l'opposition. Celui-ci s'en plaignit auprès de la Commission canadienne de la radiodiffusion qui avait été instituée en 1932 pour surveiller l'usage des ondes. On forma donc un comité en janvier 1936 pour revoir la législation et imposer un cadre plus contraignant aux émissions politiques. La nouvelle loi adoptée le 2 novembre 1936 édicta les premières lignes directrices spécifiques aux émissions politiques. [14] Cette réglementation interdisait les émissions politiques « dramatisées » et la diffusion de ces émissions le jour du scrutin ainsi que durant les deux jours précédant le vote, elle rendait obligatoire l'identification du parti commanditaire et adoptait le principe d'une distribution juste et équitable du temps d'antenne, sans définir toutefois de modalités précises. En 1939, un Livre blanc de la Société Radio-Canada recommandait d'accorder du temps d'antenne gratuit aux partis et de limiter le temps d'antenne pouvant être acheté [10]. On prévoyait l'application des critères suivants pour distribuer le temps d'antenne gratuit : nombre de sièges détenus par les partis à la dissolution, nombre de votes obtenus à l'élection précédente, nombre de candidats présentés à l'élection précédente. On prévoyait aussi accorder du temps d'antenne aux nouveaux partis d'envergure nationale qui présentaient des candidats dans au moins trois provinces. Ce principe de l'équité allait devenir la pierre angulaire de la politique de diffusion en période électorale. Mais une décision du Bureau des gouverneurs du 22 janvier 1940 interdit, pour la durée de la guerre, l'usage des ondes par des organisations politiques qui ne soutenaient pas l'effort de guerre du Canada. Ainsi, les partisans du NON au plébiscite de 1942 ne purent s'exprimer sur les ondes de Radio-Canada [11].

La loi canadienne sur la radiodiffusion de 1952 réitéra au paragraphe 3 de l'article 21 l'interdiction de présenter sous forme dramatique des émissions politiques ainsi que l'interdiction des émissions politiques le jour du scrutin et les deux jours qui précèdent immédiatement cette élection. À l'occasion de la campagne de 1957, on assouplit la réglementation des émissions politiques pour tenir compte des exigences de la télévision. Afin de briser la monotonie de la « tête qui parle », on accepta la formule de l'entrevue ou de la discussion dans les émissions politiques et l'emploi de matériel visuel pour illustrer le propos. Mais les illustrations visuelles devaient être fixes et devaient exclure les caricatures. L’utilisation de photos fut autorisée à la condition que ces photos montrent des [15] individus appartenant au parti et que ces personnes soient identifiées. L’incorporation de courts métrages fut aussi acceptée dans les émissions locales en direct à la condition qu'ils présentent des messages émanant des représentants des partis. Le nom du ou des orateurs ainsi que celui du parti pour le compte duquel l'émission était diffusée devaient être annoncés au début et à la fin de l'émission. Ces sévères restrictions imposées aux partis restèrent inchangées jusque dans les années 1960.

En 1962, le Bureau des gouverneurs de la radiodiffusion tenta de restreindre la définition du contenu « dramatique » d'une émission politique aux éléments suivants : usage de caricatures, de musique de fond, de jingles, de dialogues avec des adversaires imaginaires, de jeux d'acteurs. Tout en se réservant le rôle d'arbitre, le Bureau laissa à la libre négociation entre les partis et les diffuseurs l'attribution du temps gratuit sans toutefois obliger les exploitants privés à accorder du temps d'antenne gratuit aux partis politiques.

La loi créant le CRTC en 1968 et lui conférant l'autorité sur les diffuseurs publics et privés abolit les règles interdisant la dramatisation dans les émissions politiques. La Commission préférait laisser les partis et les diffuseurs s'autocontrôler pour respecter le bon goût dans la publicité politique [12]. On réduisit aussi au jour précédant le scrutin l'interdiction de diffuser des messages politiques.

En 1974, on révisa la loi électorale afin de freiner le coût des campagnes électorales, de contrôler et d'encourager les contributions politiques et de rembourser à même les fonds publics les dépenses d'élection des candidats. Pour rendre plus équitable l'accès des partis aux médias électroniques, on décida d'obliger les diffuseurs publics et privés à mettre gratuitement à la disposition des partis enregistrés six heures et demie de temps d'antenne aux heures de grande écoute (section 99.1). Le CRTC disposait d'un pouvoir d'intervention en cas de mésentente entre les partis et les radiodiffuseurs. On décida aussi de limiter la diffusion de la publicité électorale aux quatre semaines précédant le jour du scrutin (article 13.6 et 61.2). Ces nouvelles règles furent appliquées pour la première fois aux élections générales de 1979. Cette réforme, qui ouvrait les périodes de grande écoute aux partis, allait transformer [16] leur façon de faire de la publicité car ils pouvaient désormais introduire leurs messages dans les émissions les plus populaires. La publicité électorale devait devenir aussi professionnelle que la publicité commerciale pour ne pas indisposer les grands auditoires auxquels elle s'adressait.

En 1983, on modifia l'article 70.1 de la loi électorale afin d'interdire toute publicité par des tiers. Cette nouvelle restriction était déjà en vigueur au Québec depuis l'adoption d'une nouvelle loi électorale, en 1977, qui restreignait le droit d'effectuer des dépenses électorales aux seuls partis politiques. Cette mesure allait par la suite susciter une vive controverse et sera contestée par la « National Citizens’ Coalition » en 1984 devant la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta au nom de la liberté d'expression garantie par l'article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés. Le juge albertain invalida cette restriction et le Procureur général du Canada refusa d'aller en appel pour contester ce jugement.

En 1983 également, la loi fut modifiée pour prévoir la désignation d'un arbitre nommé par décision unanime des partis représentés à la Chambre des communes, celui-ci ayant les pleins pouvoirs pour répartir le temps d'antenne gratuit et payant si les partis n'arrivaient pas à s'entendre sur cette répartition. La loi précisait aussi les critères de répartition en cas de défaut d'entente, notamment qu'aucun parti ne pouvait disposer de plus de la moitié du temps d'antenne total. La législation obéissait à deux motifs : corriger les déséquilibres entre les partis afin de fonder le principe de l'égalité des chances et garantir au public le droit à l'information. Mais la loi avait pour effet d'avantager les partis déjà représentés à la Chambre des communes qui reçoivent plus de temps gratuit et peuvent en conséquence acheter plus de temps payant que les petits partis ou les nouveaux partis.

Les modifications apportées à la loi électorale en 1993 clarifieront l'ambiguïté du droit canadien concernant la publicité par les tiers. L'interdiction, figurant toujours dans la loi, ayant été jugée inconstitutionnelle par un tribunal albertain en 1984, de nombreux groupes d'intérêt avaient profité de cette brèche pour effectuer des dépenses publicitaires massives lors des élections de 1988 et du référendum de 1992, mettant ainsi en cause le principe de l'équité des élections. On se retrouvait dans une situation paradoxale ou [17] ceux qui se présentaient aux élections étaient soumis à la loi alors que les dépenses des individus ou des groupes d'intérêt n'étaient pas contrôlées. On autorisa donc l'intervention des tiers en limitant à1000 $ le montant de publicité pouvant être dépensé par un tiers. Cette modification fut à son tour contestée avec succès devant les tribunaux par David Somerville en 1993 et ne fut pas appliquée lors des élections de 1993 qui ont eu lieu sans limite à l'intervention des tiers. La question sera finalement abordée par la Cour suprême du Canada qui, dans son jugement du 9 octobre 1997 portant sur la loi sur les consultations populaires du Québec, contestée par Robert Libman, décidera d'invalider les restrictions québécoises aux dépenses des tiers, tout en reconnaissant que la limitation des dépenses est primordiale pour garantir le caractère juste et équitable de la consultation populaire.

Les spécificités de la publicité politique

À l'origine, la publicité politique s'est fortement inspirée de la publicité commerciale comme l'évoquait T.R. Reeves de l'agence Ted Bates qui comparait le choix d'un candidat à la présidence américaine au choix d'un tube de pâte dentifrice : « J’imagine que dans l'isoloir, l'électeur hésite comme dans une pharmacie lorsqu'il doit choisir entre deux pâtes dentifrices. Il choisira finalement la marque dont on lui a le plus rebattu les oreilles [13]. » Mais cette association est abusive, car il y a des différences importantes entre le produit politique et le produit commercial. Terry O’Malley, président de Vickers and Benson, décrivait ainsi la différence entre le produit commercial et le produit politique :


Il ne faut pas croire qu'on vend l'image d'un politicien comme on vend une boîte de détergent. Lorsque nous annonçons un produit, nous avons tout le temps nécessaire pour préparer la publicité et [18] tester le produit adéquatement. En plus, il est peu probable qu'une boîte de détergent se lève pour faire le clown [14].


Serge Albouy identifie les particularités du champ politique et les discordances qui en découlent [15].

1. Les comportements du citoyen et du consommateur ne sont pas transposables parce qu'en démocratie les citoyens sont égaux entre eux alors que les consommateurs ont à leur disposition des ressources inégales, leur pouvoir d'achat étant très variable.

2. Ensuite, l'acte d'achat est très fréquent et l'évaluation de la satisfaction procurée par le produit est rapide alors que l'acte de voter est plutôt rare et que l'évaluation des avantages psychologiques procurés par un parti est complexe et difficile. L'acte d'achat est révocable, le consommateur peut facilement rétroagir sur son acte en se faisant rembourser ou en revendant le produit, si celui-ci ne lui convient pas. Le vote est irrévocable car il engage la collectivité pour plusieurs années.

3. Les campagnes publicitaires commerciales normales s'étendent sur un cycle de 13 semaines alors que les campagnes politiques ont une durée beaucoup plus courte : de 4 à 5 semaines.

4. La dynamique promotionnelle est aussi différente. Alors qu'habituellement pour un produit commercial l'effort publicitaire intensif se fait au début de la campagne publicitaire, en politique il survient le plus souvent à la fin de la campagne électorale.

5. Alors que la publicité commerciale est conditionnée par le marché et par l'inégalité des ressources économiques, en politique il y a une réglementation électorale qui vise à favoriser l'équilibre dans les ressources utilisées par les partis pour convaincre les électeurs. En plus du plafonnement des dépenses électorales, la télévision publique met à la disposition des partis du temps d'antenne gratuit, ce qui n'existe évidemment pas pour les produits commerciaux.

[19]

Mais par-delà ces contingences, la publicité politique et la publicité commerciale obéissent à la même logique : faire coïncider l'offre à la demande et persuader le récepteur de changer d'attitude et de comportement en mobilisant tous les ressorts de la séduction. Les modalités de réalisation de la publicité politique sont calquées sur celles de la publicité commerciale.

Les objectifs de la recherche

La constitution d'archives politiques audiovisuelles était un préalable à la mise en œuvre d'une recherche sur la publicité électorale. Nous avons considéré comme message publicitaire toute émission télédiffusée en période électorale et dont le contenu est entièrement contrôlé par le parti. La durée de ces messages peut varier de 15 minutes à 15 secondes, le temps de diffusion pouvant soit être offert gratuitement par les chaînes, soit être acheté par les partis.

Nous avons reconstitué le corpus de la publicité télévisée des partis à partir de sources disparates allant des archives personnelles aux témoignages des professionnels qui ont conçu ces diverses campagnes publicitaires. Le niveau de collaboration des personnes rejointes fut très variable. Certaines se montrèrent très ouvertes et nous donnèrent accès à leurs archives. D'autres encore acceptèrent de nous rencontrer, ouvertement ou sous le sceau de l'anonymat, pour nous faire part de leurs expériences dans l'organisation de campagnes publicitaires [16].

Les dirigeants du Parti québécois se montrèrent très réceptifs à nos demandes et nous tenons à souligner la collaboration de Bernard Landry qui nous a facilité l'accès aux archives sous embargo de ce parti, archives déposées aux Archives nationales du Québec. Mais nous avons eu moins de succès auprès des libéraux du Québec qui ne donnèrent pas suite à nos nombreuses requêtes même si nous avions obtenu l'accord de Robert Bourassa. L'ex-premier ministre du Canada, Pierre Trudeau, refusa aussi de nous laisser consulter ses archives audiovisuelles, pourtant achetées à prix fort par les Archives nationales du Canada. Ces refus expliquent les [20] vides de notre corpus pour les élections fédérales et québécoises des années 1970 [17].

Pour les campagnes plus récentes, c'est-à-dire de l'élection fédérale de 1984 jusqu'au référendum de 1995, nous avons effectué un relevé systématique de tous les messages diffusés en langue française en enregistrant sur magnétoscope toutes les émissions de CBFT et de CFTM de 18 h à minuit, du jour de l'émission des brefs jusqu'au jour de l'élection. Nous avons ainsi recueilli plus de 400 messages différents. C'est, à notre connaissance, la collection la plus complète de messages politiques au Québec.

Les trois tableaux suivants présentent les résultats de nos démarches et décrivent le corpus sur lequel porteront les analyses qui suivent.

[20]

TABLEAU 1
Corpus publicitaire des partis québécois

Années

Parti libéral

Union nationale

Parti québécois

TOTAL

30s

60s

5mi

15mi

30s

60s

5mi

15mi

30s

60s

5m

15m

30m

1960

1

10

10

3

24

1962

10

6

11

28

43

98

1966

1970

1

1

2

1973

4

4

1976

1

1

1981

4

1

1

1

7

1985

6

1

3

6

16

1989*

5

5

8

**

1

19

1994

20

14

5

5

1

45

TOTAL

31

14

21

7

21

38

43

7

21

5

9

2

1

216

* À partir de l'élection de 1989, les messages longs durent 2 minutes.

** Comprend 6 messages de 15 secondes et 2 de 30 secondes.

[21]

TABLEAU 2
Corpus publicitaire des Partis fédéraux

Années

PLC

PC

NPD

TOTAL*

30s

60s

2m

5m

15m

30s

60s

2m

5m

15m

30s

60s

2m

5m

15m

1962

2

1

2

1

1

7

1963

1965

1968

5

1

6

1972

1

1

5

7

1974

1979

1980

1984

6

5

6

7

24

1988

11

7

8

1

6

5

4

42

1993

7

1

6

5

1

1

21

TOTAL

114

* Ne sont pas inscrits dans les colonnes de ce tableau deux messages du Ralliement des créditistes en 1962 et les cinq messages du Bloc québécois en 1993. Ils sont compris dans le total.

[21]

TABLEAU 3
Corpus publicitaire des campagnes référendaires

OUI

NON

gouv. fédéral

gouv. provincial

Total

30s

60s

2m

5m

30s

60s

2m

5m

30s

60s

2m

5m

30s

60s

2m

5m

1992 *

19

4

10

9

4

37

83

1995

4

8

6

5

7

6

36

TOTAL

23

4

18

15

9

44

6

119

* Les données incluent les messages en anglais diffusés par les comités du OUI et du NON.

[22]

Pour chaque campagne, nous décrirons les contenus visuel et verbal des messages, nous identifierons les locuteurs, nous comparerons la stratégie de communication des partis en analysant la structure de leurs discours et les principaux arguments utilisés. Nous pourrons ainsi reconstituer l'histoire des campagnes électorales et de la communication politique au Québec.

Par sa fonction de persuasion, la publicité électorale se doit de refléter les valeurs et les problèmes d'une société. Elle offre donc un excellent matériau pour effectuer une analyse diachronique de la culture politique dont elle synthétise les constantes et les mutations. Elle permet aussi de repérer les changements dans les attitudes stratégiques des partis politiques qui cherchent à s'adapter non seulement aux développements des idéologies globales mais aussi aux changements technologiques.

Cette analyse diachronique nous permettra de répondre à certaines questions générales que pose l'analyse des discours électoraux :

1. Les partis, lorsqu'ils s'adressent à des auditoires peu politisés et diversifiés sociologiquement, mettent-ils une sourdine à leur idéologie, cherchent-ils à se rapprocher de l'électeur médian, ont-ils tendance à pratiquer ce qu'on appelle le mimétisme politique ou, au contraire, affirment-ils leurs différences ?

2. La communication télévisuelle renforce-t-elle la tendance à la personnalisation du pouvoir en accordant une grande importance aux leaders au détriment de l'identification partisane ?

3. Le contenu des messages publicitaires est-il fonction de la position occupée par les partis dans le système partisan, le parti au pouvoir adoptant une stratégie de valorisation et le parti d'opposition optant pour une stratégie offensive ?

4. Quelle est la part de la publicité négative dans les stratégies de communication des partis ? Celle-ci s'est-elle amplifiée au fil des ans ?

5. Quels sont les effets de la publicité électorale ?


[1] Selon Fred Fletcher, la publicité électronique accapare au Canada plus de 50 % des sommes dépensées en publicité par les partis et représente 30 % des coûts totaux d'une campagne électorale. Voir Fred FLETCHER, La radiodiffusion en période électorale au Canada, Toronto, Dundern Press, 1991, p. 262.

[2] On estime qu'aux États-Unis la durée moyenne du temps de parole des politiciens aux bulletins de nouvelles est passée de 40 secondes qu'elle était dans les années 1960 à environ 10 secondes dans les années 1990. Voir Dan Nimmo, « Politics, Media and Modem Democracy : The United States », dans David SWANSON et PAOLO MANCINI, Politics, Media and Modern Democracy, New York, Praeger, 1996, p. 40.

[3] Selon Yves Dupré, le coût d'une campagne publicitaire peut représenter entre 50 % et 70 % des dépenses autorisées (entrevue réalisée le 30 août 1995). Jacques Bouchard quant à lui estime le coût d'une campagne publicitaire fédérale à 1,2 million $ au Québec comparativement à 5 millions 8 dans le reste du Canada (entrevue 30 avril 1995).

[4] Voir L. Lee KAID et C. HOLTZ-BACHRA, Political Advertising in Western Democracies, Thousand Oaks, CA, Sage Publ., 1995 ; Darrell WEST, Air Wars : Television Advertising in Election Campaigns, 1952-1996, Washington D.C., Congressional Quarterly, 1997.

[5] Voir Lynda Lee KAID, « The Effects of Television Broadcasts on Perceptions of Presidential Candidates in United States and in France », dans Lynda Lee KAID, Jacques GERSLA et Keith SANDERS (dir.), Presidential Campaigns in the United States and in France, New York, Preager, 1991 ; Lynda Lee KAID et Christina HOLTZBACHRA, « Audience Reactions to Televised Political Program », dans European Journal of Communication, no 8, p. 77-99 ; L. Patrick DEVLIN, « An Analysis of Presidential Television Commercials 1952-1984 », dans L.L. KAID et al., New Perspectives on Political Advertising, Southern Illinois University Press, 1986, p. 21-54.

[6] Voir Montague KERN, 30-Second Politics : Political Advertising in the Eighties, New York, Preager, 1989.

[7] Patrick Devlin estime qu'elle influence de 10 % à 20 % de l'électorat, particulièrement ceux qui tardent à se décider.

[8] B. BERELSON et al., Voting : A Study of Opinion Formation in a Presidential Campaign, Chicago, Chicago University Press, 1954.

[9] Voir M. NOLAN, The Evolution of National Policy in Canada with Respect of the Party Political Uses of Radio and Television, Western University, thèse de M.A., 1976 ; et Stephen KLINE, R. DEODAT, A. SHWETZ et W. LEISS, « La publicité politique dans les médias électroniques au Canada », dans Fred FLETCHER, La radiodiffusion en période électorale au Canada, Toronto, Dundern Press, 1991, p. 257-336.

[10] Voir S. KLINE et al., « La publicité politique dans les médias électroniques au Canada », dans F. FLETCHER, La radiodiffusion en période électorale au Canada, Toronto, Dundern Press, 1991, p. 269.

[11] Voir André LAURENDEAU, La crise de la conscription, Montréal, Éditions du jour, 1962.

[12] CRTC, directive no 149, 16 mai 1968, paragraphe 8.

[13] Cité par Serge ALBOUY, Marketing et communication politique, Paris, L'Harmattan, 1994, p. 155. Reeves sera le premier à concevoir une campagne publicitaire télévisée. Il fit produire 49 messages, soit un par État américain, mettant en scène un citoyen qui posait une question au général Eisenhower. Il força aussi le candidat à la Présidence à n'utiliser qu'un argument par message comme le voulait la formule du « Unique selling proposition ».

[14] La Presse, 8 septembre 1993, B1.

[15] Voir op. cit., p. 40s.

[16] Nous tenons à remercier Jacques Bouchard, interviewé le 30 avril 1995, Yves Dupré, le 30 août 1995, John Parisella, le 23 avril 1996, Marielle Séguin, le 30 avril 1996, Raymond Marchand et Jean-Paul Garnier, le 17 mai 1996.

[17] Nous remercions l'agence BCP qui nous a transmis les messages libéraux de l'élection de 1968.


Retour au texte de l'auteur: Denis Monière, politologue, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le mercredi 14 novembre 2012 16:26
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cegep de Chicoutimi.
 



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