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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Montréal, le 29 mai 2006.

Élection référendaire ou référendum -
Pourquoi on ne peut pas faire naître un pays
par une élection
.”

“Élection référendaire ou référendum. - Pourquoi on ne peut pas faire naître un pays d'une élection.” Montréal, version finale d'un article publié, en version préliminaire, dans Le Devoir, édition du samedi, le 27 mai 2006, pages B5- idées.

par Denis Monière, professeur de science politique, Université de Montréal.
[Autorisation accordée par Madame Lamoureux le 29 mai 2006.]
Courriel: denis.moniere@umontreal.ca


Depuis une semaine, le Devoir a relancé le débat sur les modalités d’accession à la souveraineté en publiant des textes de Marc Brière (11 mai), de Claude Bariteau (17 mai) et de Patrice Boileau (18 mai). Bien que les thèses de ces auteurs soient aux antipodes, leur position respective intériorise la pensée de l’adversaire canadien. Leur raisonnement se fonde sur l’efficience de la loi sur la clarté adoptée par le gouvernement canadien. Il est tout de même paradoxal que des indépendantistes construisent leur pensée stratégique en fonction de la position de leur adversaire. Ainsi, Marc Brière et compagnie acceptent allègrement, sans distance critique, la position de Stéphane Dion sur la majorité qualifiée. Pour leur part, Claude Bariteau et Patrice Boileau nous expliquent qu’en vertu de cette même loi, le référendum est devenue une voie sans issue et qu’il faut procéder au changement de statut politique par l’élection étant entendu que les partis souverainistes concluront un pacte. 

Rassemblement des partisans du OUI au référendum de 1995. [Photo de Jacques Nadeau, Le Devoir].

Pour notre part, nous estimons que la thèse de la majorité qualifiée est anti-démocratique pour deux raisons. D’une part, elle nie le principe de l’égalité des électeurs en donnant plus d’influence aux partisans du statu quo qu’à ceux du changement de statut politique. Elle crée ainsi deux catégories de citoyens et deux échelles de valeur dans l’ordre des idées politiques. D’autre part, elle ne repose sur aucun critère rationnel pour fixer la barre du succès référendaire de sorte qu’elle institue l’arbitraire et l’injustice en règles de gouvernement. Elle instaure une logique de violence politique parce qu’elle soumet la volonté de la majorité à celle de la minorité. Dans tous les cas de figure, les conséquences de son application seront plus néfastes que le respect du principe de la majorité absolue. Que des politiciens canadiens en manque d’arguments rationnels s’en servent pour impressionner l’opinion publique et maximiser les obstacles au changement peut se comprendre, mais que des souverainistes soient victimes de cette manipulation des règles du jeu démocratique laisse songeur sur le niveau de la conscience politique. 

Les arguments des partisans de l’élection comme mode d’accession à la souveraineté procèdent de la même soumission à l’ordre politique canadien. Ils jouent le jeu des fanatiques canadiens en postulant que le référendum nous conduira à une impasse puisque Ottawa dictera les règles du jeu. Ils font comme si le Québec ne pouvait pas poser un geste de rupture en refusant de se soumettre à la logique canadienne. Pour déjouer les malveillances canadiennes, ils nous incitent donc à changer de stratégie et à abandonner la procédure référendaire en privilégiant le processus électoral qui réduirait l’impact des ingérences fédérales dans une éventuelle campagne électorale québécoise. 

Hormis les contraintes imposées par la loi sur la clarté, ils soutiennent que l’élection dans le système parlementaire est un mécanisme reconnu et légitime d’expression de la volonté populaire. Comme le peuple est souverain, il n’y a rien qu’une majorité parlementaire ne puisse décider. Dans le modèle de Westminster, c’est le parlement qui est l’autorité suprême. 

Si cette argumentation respecte la théorie de la représentation et est en apparence conforme aux exigences de la démocratie parlementaire, elle soulève plusieurs objections sur le plan pratique car elle fait abstraction de la dynamique politique et des exigences de la légitimité. 

1ère objection 

La dynamique du choix électoral n’est pas adéquate pour faire naître un pays parce que le choix d’un pays n’est pas comparable au choix d’un parti de gouvernement. Le vote exprimé pour des partis en compétition tend à refléter la diversité des intérêts et des opinions qui s’expriment dans une société libérale. Dès lors, la dispersion des votes en fonction des idéologies en compétition est inévitable et surtout elle tend à s’amplifier lorsque le mode de scrutin est proportionnel. Dans le cadre d’une élection, les forces souverainistes seront donc fractionnées et la concurrence qu’elles se livreront réduira les possibilités de faire élire une majorité de députés souverainistes. 

Pour répondre à cette première objection, on a fait valoir la possibilité de former une coalition de partis souverainistes qui signeraient un pacte les engageant à proclamer la souveraineté advenant l’élection d’une majorité de députés. Cette idée de pacte est irréaliste et peu compatible avec la logique des partis surtout lorsqu’ils sont en concurrence pour attirer le même électorat. Il faudrait que tous les partis s’entendent avant l’élection et se partagent les comtés pour ne pas se concurrencer inutilement. L’objectif de la souveraineté ne fera pas disparaître comme par enchantement les luttes pour le contrôle du pouvoir et de ses prébendes. De plus, il est loin d’être certain que les électeurs eux-mêmes accepteraient de voter pour un parti qui préconise l’élection référendaire, tout simplement parce que le référendum est entré dans les mœurs. Les Québécois ayant expérimenté à trois reprises cette procédure, ils se méfieront d’un parti qui voudrait en changer et tout régler par l’élection. 

2e objection 

Dans les sociétés modernes, l’élection est un processus complexe et le vote est multifactoriel et difficile à interpréter. Les électeurs votent non seulement pour un programme contenant un vaste éventail d’offre de politiques, mais aussi pour des personnes qui exerceront le pouvoir. Il en résulte une large part d’indétermination dans la signification du choix des citoyens. En raison de cette indétermination les dirigeants élus n’ont pas de mandat impératif et ne sont pas obligés de faire tout ce qu’ils ont dit qu’ils feraient. Ils doivent même prendre des décisions imprévues au moment du vote. On accepte aussi qu’un parti puisse exercer le pouvoir même s’il n’obtient qu’une majorité relative des votes parce qu’on sait que ce gouvernement s’il veut être réélu devra gouverner en fonction de la majorité et que ses choix seront discutés et contrôlés par le pouvoir législatif où l’opposition pourra faire entendre sa voix. L’électeur accepte les prises de décisions même s’il est en désaccord parce qu’il sait que les décisions sont temporaires et réversibles. L’élection n’est pas un quitte ou double puisque l’électeur est appelé périodiquement à revoir ou à ajuster son choix. Le choix d’un pays ne peut être aussi aléatoire. 

3e objection 

L’élection d’une majorité de députés souverainistes ne créerait pas les conditions favorables à la naissance d’un nouvel État souverain parce que cette majorité parlementaire pourrait être élue avec le soutien d’une minorité d’électeurs. On ne peut construire un pays en ayant le soutien d’une minorité de citoyens parce qu’il y aurait alors une majorité qui s’y opposerait et qui pourrait prendre tous les moyens pour faire échouer l’entreprise : manifestation, désobéissance civile, appel à l’armée canadienne et à la communauté internationale. L’État du Québec n’aurait pas les moyens de faire respecter son autorité sur le territoire et dès lors perdrait toute crédibilité sur la scène internationale. Le Québec serait ingouvernable. Mais cet argument de réalisme politique n’est pas le plus déterminant pour rejeter l’idée de l’élection d’un gouvernement souverainiste comme mode d’accession à l’indépendance. 

4e objection 

Il y a une objection plus fondamentale : faire l’indépendance par l’élection d’une majorité de député signifierait qu’on pourrait éventuellement défaire l’indépendance par l’élection d’une majorité de députés non-souverainistes à une élection ultérieure. Cette approche de l’élection référendaire n’offre pas la durabilité nécessaire à l’établissement d’un nouveau pays. Elle n’a pas de caractère décisif car ce qu’une élection peut faire une autre élection pourrait le défaire. 

La force d’un référendum 

Dans le cas d’un référendum qui porte sur le choix d’un pays, la décision revêt un caractère de permanence car la culture démocratique incite le citoyen à accepter une décision qui obtient le soutien de la majorité des électeurs, et plus le soutien est majoritaire plus la contestation est anémiée. Avec un référendum gagné, le gouvernement pourra légitimement procéder à la transformation du statut politique et créer les nouvelles institutions du Québec souverain. Les élections qui suivraient ne pourraient remettre en cause le statut politique du nouveau pays car les opposants auront reconnu le verdict référendaire et accepté de fonctionner dans le nouveau cadre institutionnel d’autant plus que le nouvel État aura eu le temps de se faire reconnaître par d’autres États et de s’intégrer à la communauté internationale. Les opposants pourraient certes à leur tour proposer de tenir un autre référendum, mais à moins d’une situation catastrophique, ils n’auraient pas la crédibilité suffisante pour prendre le pouvoir puisqu’ils seraient responsables d’entretenir l’instabilité politique. 

Avec un référendum, il est beaucoup plus difficile sinon impossible de revenir en arrière parce que le choix a été fait en connaissance de cause, qu’il porte explicitement et exclusivement sur le statut politique et qu’il permet de rallier la majorité la plus large possible de citoyens, le destin collectif ayant priorité sur les intérêts partisans et particuliers. 

Le vote référendaire permet un ralliement sur un enjeu global dont l’interprétation ne prête pas à confusion. Il garantit à la fois la légalité et la légitimité du choix ce qui n’est évidemment pas le cas pour l’élection. Sa forte légitimité découle du fait qu’il permet à chaque individu de se prononcer et d’avoir un poids égal aux autres dans le choix du pays ce qui n’est pas le cas dans une élection où le poids des votes varie selon les circonscriptions : un député pouvant être élu avec 35 à 40% des votes alors qu’un autre aura obtenu 55%. Ayant participé directement au choix du pays, celui qui perd ne peut remettre en cause le choix collectif. Pour cette raison, le référendum offre de meilleures garanties de succès dans la construction du nouvel État qui pourra plus facilement se faire reconnaître par la communauté internationale et enrayer ainsi les velléités de déstabilisation. 

La stratégie de l’élection référendaire non seulement n’améliorerait pas les chances de faire élire un parti souverainiste ou une coalition souverainiste, mais elle augmenterait les risques de faire échouer la naissance d’un nouvel État souverain puisque sa légitimité serait problématique.


Voir l'article collectif de Marc Brière, Jacques Beauchemin [sociologue], Jean-Roch Boivin [conseiller politique de René Lévesque et Lucien Bouchard], Philippe Cousineau-Morin [étudiant en science politique à l’UQAM], Claude Jasmin [écrivain], Guy Lachappelle [politologue, Concordia University], Henry Milner [politologue, Université Laval] et James Walkins [administrateur], “Manifeste pour une approche réaliste de la souveraineté –. Pour en finir avec certains sophismes”. Montréal, Le Devoir, édition du 11, 12 et 13 mai 2006. [Autorisation des membres du collectif accordée le 29 mai 2006 et confirmée par M. Brière.]


Retour au texte de l'auteure: Diane Lamoureux, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le Lundi 11 juillet 2005 19:25
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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