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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Esdras Minville, NOTRE MILIEU. Aperçu général sur la province de Québec. (1942)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre d'Esdras Minville, NOTRE MILIEU. Aperçu général sur la province de Québec. Montréal: Les Éditions Fides — l’École des Hautes Études Commerciales, 1942, 443 pp. Collection: Études sur notre milieu. Une édition numérique réalisée par mon épouse, Diane Brunet, bénévole, guide de musée retraitée du Musée de La Pulperie de Chicoutimi.

[7]

NOTRE MILIEU.
Aperçu général sur la Province de Québec



Préface

Le livre que nous avons l'honneur de présenter aujourd'hui n'a aucune prétention scientifique. C'est un ouvrage de vulgarisation dont le caractère est défini sur la couverture même : « Aperçu général ». Il vise seulement à rassembler dans un certain ordre les connaissances les plus usuelles, celles que toute personne ayant quelque instruction devrait posséder touchant notre milieu physique, notre milieu économique et notre milieu humain.

Inutile donc d'y chercher des solutions, voire, l'exposé complet des problèmes qui se posent dans telle ou telle branche de l'activité économique, sociale et politique. On se contente d'une description aussi objective que possible de la situation de fait, ne poussant l'analyse qu'autant qu'elle est nécessaire à l'intelligence du sujet.

Tel quel, ce livre répond à un besoin. Aucun ouvrage du même genre n'avait encore été publié chez nous. Si quelqu'un, mettons un étranger, désirait se renseigner sur notre Province, sa géographie, son activité économique, son organisation politique et sociale, nous n'avions à lui offrir qu'une masse d'ouvrages, parfois hautement spécialisés, et de documents publics : livres et annuaires, brochures de toutes espèces, articles de revues et de journaux, qui ne répondaient que médiocrement à son désir, et dans laquelle d'ailleurs il avait toutes les chances du monde de se perdre.

Nous avons voulu combler cette lacune. Nous ne prétendons certes pas avoir pleinement réussi. Les auteurs gardant la responsabilité de leurs opinions, il convenait de laisser à chacun la plus entière latitude. Un ouvrage rédigé ainsi en collaboration, en vue d’abord de la conférence publique, chacun restant libre d'aborder son sujet comme il l'entend, manque toujours un peu de l'homogénéité, de cet enchaînement des parties qui caractérisent un ouvrage rédigé par un seul auteur, selon un plan rigoureux. Mais l'essentiel y [8] est, et quiconque n'aspire qu'à une vue d'ensemble des virtualités et des exigences de notre milieu trouvera, nous en sommes convaincu, ce qu'il désire.

Notons que les circonstances donnent à cet ouvrage une valeur en quelque sorte permanente. Les diverses études économiques qu'il renferme s'arrêtent à  1938-39. Elles font donc l'examen d'une période qui précisément se clôt à cette date-là.  En 1939-40, c'est la guerre et le bouleversement de l'économie. Quiconque désormais voudra se rendre compte de l'influence de la guerre sur la vie économique, du moins en ce qui touche l'exploitation des ressources naturelles, recourra à ce livre comme à un ouvrage de base. Puis la paix revenue, lorsqu'on voudra comparer l'avant et l'après-guerre, les statistiques de la période close en 1938-39 reprendront leur valeur si l'on peut dire traditionnelle : comme celles de la période terminée en 1913 ont servi longtemps de terme de comparaison après la guerre de 1914-18On les trouvera réunies dans les pages suivantes ; et de ce fait, le livre échappera au « vieillissement » prématuré qui en temps normal atteint les études du même genre.

Et nous continuons. Au moment même paraît cet ouvrage, se termine dans le grand amphithéâtre de l'Ecole une nouvelle série de cours publics, donnés cette fois sous le patronage conjoint de l'École des Hautes Etudes commerciales et de l'Institut agricole d'Oka. (Signalons en passant que c'est l'une des premières fois que deux institutions d'enseignement supérieur acceptent de participer ensemble à une œuvre de ce genre) Cette nouvelle série de cours porte sur l'agriculture dans la province de Québec. Si les circonstances le permettent, nous étudierons ainsi d'une année à l'autre les diverses branches de l'activité économique de la Province : forêt, mines, pêcheries, industrie, commerce, etc.

Ces cours pousseront naturellement l'étude beaucoup plus loin que les auteurs du présent volume — ayant à envisager chaque problème dans l'ensemble n'ont pu le faire. Nous espérons ainsi monter une collection consacrée entièrement à notre milieu et qui, répandue dans les écoles et les collèges, pourra servir de base à notre enseignement économique. Nous voudrions que les prochaines générations d'écoliers et de collégiens aient de nos problèmes une vue plus réaliste, plus soucieuse des faits que les générations antérieures.

[9]

*
*      *

Cours publics et ouvrages ont pour objet principal d'attirer l'attention sur nos problèmes, de provoquer à leur endroit un mouvement de curiosité et d'intérêt. Il faut l'avouer : nous nous connaissons mal, nous connaissons mal la terre que nous habitons. Rien de plus sommaire, en effet, que ce que nous savons de la géographie économique et humaine, ainsi que de l'histoire économico-sociale de notre province. Quand nous avons énuméré les principales richesses naturelles de notre territoire et indiqué où en est l'exploitation ; quand nous avons dit de notre peuple que sa situation économique est mauvaise parce que, selon les uns, il n'a pas le sens des affaires ou que, selon les autres, il ne dispose pas d'assez de capitaux, nous croyons avoir épuisé le sujet. Dieu sait pourtant si les choses sont loin d'être aussi simples.

Quand on y réfléchit, on s'explique assez bien toutefois que nous nous soyons contentés jusqu'ici d'une connaissance superficielle des ressources de notre territoire, ainsi que des aptitudes de notre population à les exploiter, Nous habitons un pays neuf, pourvu de richesses abondantes et qui répondent pour la plupart aux besoins courants de la consommation. Eu égard à l'étendue du territoire, notre population est peu nombreuse et elle est largement éparpillée. Enfin, la mise en valeur de nos ressources a coïncidé, depuis un demi-siècle, avec la prodigieuse poussée de la production et des échanges dans l'ensemble du monde et surtout aux Etats-Unis. Nous nous sommes donc contentés en quelque sorte d'une exploitation en gros de notre avoir. Et comme cette exploitation satisfaisait aux besoins, donnait même lieu à une prospérité économique que nombre de pays plus anciens nous enviaient, nous n'avons guère cherché à la diversifier, à la nuancer ; n'en éprouvant pas le besoin, nous n'avons pas eu la curiosité d'examiner les choses de plus près, de commencer les recherches et d'accumuler la documentation que l'évolution graduelle et inévitable de notre économie aurait supposée. Grande culture, grande industrie du bois ; exploitation plus que sommaire des pêcheries, industrie minière pour l’exportation à l'état brut ou semi-ouvré, grande industrie manufacturière fondée assez souvent sur des matières premières importées ; voila quels sont les traits essentiels de notre organisation économique.

[10]

Or à la montée économique dont tout le monde se réjouissait, et qui a d'ailleurs hissé le Canada au rang des grands pays producteurs et commerçants, correspondait dans notre province, et sans que personne semblât s'en apercevoir, une sorte de désagrégation sociale. Le régime social des campagnes subissait une véritable révolution, la population rurale ne cessait de fuir vers les Etats-Unis d’abord, puis  simultanément vers les Etats-Unis  et nos  grands centres industriels. Les villes se mirent à croître à vive allure et, de dix ans en dix ans, les masses ouvrières virent leurs effectifs se multiplier.  De tout cela, on se réjouissait d'autant plus bruyamment que, chacun ayant de l'argent sous le pouce, personne ne se demandait ou ne voulait se demander s'il n'y avait pas quelque vice dans le processus même de notre évolution économico-sociale.

Il a fallu la crise de 1930 pour nous éveiller au sens exact et profond de ce qui depuis cent ans, depuis un demi-siècle surtout, se passait chez nous.  Nous nous sommes aperçus soudain que, pays neuf, à peine peuplé, et dont la mise en œuvre est à peine commencée, nous nous trouvions toutefois exactement dans la même situation économico-sociale que les pays les plus anciennement humanisés, et dont la population étouffe littéralement dans des frontières trop étroites.  Dix ans d'efforts n'ont pas réussi à vaincre le chômage manifestation la plus voyante et la plus impressionnante du désordre social des villes. En dépit des sommes énormes engagées dans la colonisation, les campagnes ne cessent d'une année à l'autre d'accuser un excédent de population qui ne sait que faire ni où aller. Nonobstant les lois dites sociales, le niveau de vie d'une partie considérable de la population ouvrière des villes reste extrêmement bas, etc.

Et puis la guerre est de nouveau venue qui recouvre en quelque sorte ces problèmes sans les résoudre.  Elle va sans doute changer bien des choses.  Mais quelles que soient les transformations qu'elle déterminera dans l'une ou l'autre branche de l'activité humaine, elle n'abolira pas dans le monde la vieille loi de l'effort, ni la nécessité de travailler pour vivre. Travailler pour vivre, donc organiser la production et les échanges de telle façon que chacun gagne sa subsistance par son travail, satisfasse par son propre effort aux besoins si divers qui composent la trame d'une existence humaine. Mais n'est-ce pas là précisément le problème que dès 1930 la crise avait [11] posé à l'attention des hommes d'un bout à l'autre du monde, et que nulle part, lorsque la guerre a éclaté, on n'était encore parvenu à résoudre. La guerre à coup sûr ne le réglera pas. Nous pouvons même tenir pour assuré qu'elle va l'aggraver dans une large mesure. Le chômage, le paupérisme avec les maux de toutes sortes qui en découlent : nous les avons connus au temps de la crise ; nous renouerons connaissance avec eux une fois le conflit apaisé, lorsque les industries de guerre fermeront, que les autres industries devront se réadapter, quand la vente sera rendue plus difficile par suppression ou désorganisation des marchés. Nous renouerons connaissance avec eux parce que l'activité de guerre elle-même ne pourra pas ne pas avoir aggravé les causes qui les avaient déterminés avant la guerre : entre autres, la désertion des campagnes et l'engorgement des villes.

Si, d'une part, l'après-guerre doit exiger de nous un dur effort de réadaptation, et si, d'autre part, ainsi que nous le notions plus haut, nombre de nos embarras proviennent du fait que nous connaissons trop imparfaitement la terre que nous habitons, ne convient-il pas d'en entreprendre sans plus de retard l'étude minutieuse, détaillée, qui nous mettrait en possession des renseignements dont nous avons besoin pour redresser notre orientation et asseoir définitivement la vie économique et sociale sur une base saine.

Notre domaine agricole est de faible étendue, eu égard à la superficie totale de la Province. Il est au surplus partagé en régions assez éloignées les unes des autres, comme d'ailleurs des grands centres de consommation, et nettement distincts quant aux caractères physiques. Nos virtualités agricoles étant ce qu'elles sont, compte tenu de la qualité variable du sol, du climat, du marché, de la concurrence, de la vocation économique générale de la Province, quelle orientation imprimer à l'agriculture d'une région à l'autre, quelles réformes effectuer, quelles cultures nouvelles introduire qui assureraient à la population des campagnes des revenus proportionnés à ses besoins élémentaires, et un niveau de vie comparable à celui des autres classes sociales ? Et pour signaler quelques problèmes qui déjà forcent l'attention :

1° L'Ouest, à cause de la mévente du blé passe à la culture mixte. Quelles mesures prendre ici, dans la province de Québec, pour parer à la concurrence qui s'annonce de ce côté ?  Quelles cultures nouvelles, [12] industrielles et autres, pourraient être introduites qui diversifieraient la production et soustrairaient en partie nos agriculteurs à la concurrence de l'extérieur, celle qui déjà s'exerce et celle qui se prépare ?

2° Pour la même raison, et aussi parce qu'on peut entrevoir pour bientôt l'occupation complète de nos terres de peuplement, le moment ne serait-il pas venu de substituer, dans certaines régions du moins, la culture intensive à la culture extensive, et de procéder, comme le suggérait Blanchard, à une refonte du cadastre.

Nos forêts étant ce qu'elles sont, de beaucoup la ressource naturelle la plus importante de la Province, quel parti en avons-nous tiré jusqu'ici, quel parti devrons-nous chercher à en tirer désormais, quelle forme d'exploitation répondrait le mieux aux besoins de la population, notamment de la population agricole, contribuerait le plus efficacement à la prospérité générale ? quelle industries nouvelles pourrions-nous introduire qui ouvriraient de nouveaux débouchés à nos bois ? quels produits, dérivés de la forêt, remplaceraient peut-être certains articles aujourd'hui importés à prix d'or ?

4° Et nos pêcheries. Nous nous vantons de posséder l'un des plus vastes territoires maritimes du monde. Mais regardons les chiffres de la production annuelle. Sauf quelques améliorations de détail, les pêcheurs du Golfe pèchent tout comme leurs arrière-grands-pères péchaient : même outillage, mêmes méthodes, même à peu près. Nous ne savons autant dire rien des bénéfices que nos populations maritimes, et la Province tout entière, tireraient d'une organisation rationnelle de notre territoire de pêche. En ces dernières années, quelques progrès ont été réalisés. Mais il reste beaucoup à faire : recherches scientifiques, recherches économiques, organisation sociale, organisation commerciale, etc., etc.

Nous pourrions continuer de nous interroger ainsi à propos de toutes les autres branches de l'activité économique chez nous. Nous pourrions surtout nous interroger au sujet de la population qui est censée vivre de l'exploitation de ces ressources. En regard du sol et de ses virtualités, l'homme et ses besoins. Que conviendrait-il d'entreprendre pour réaliser ce que quelqu'un appelait récemment « l'équation de l'homme et de la terre » ? La famille, se plaît-on à redire depuis Le Play, est la véritable cellule sociale. Mais pour nous, elle a une signification plus haute encore si possible : elle est le [13] gage de notre survivance et de nos progrès comme entité ethnique et culturelle.  Or si tant de nos familles depuis cent vingt ans ont dû émigrer, quitter le sol et le pays, serait-ce par hasard parce que notre terre se révélait trop généreuse, notre vie économique trop soucieuse de s'adapter à leur cas ?  Quelle est à l'heure présente la situation de la famille canadienne-française à la ville, à la campagne, aux divers étages de la société ?  Ses conditions de vie répondent-elles à ses besoins normaux, peut-elle établir tous ses enfants ?   La vie économique est-elle conçue et organisée de façon à créer de larges cadres à l'établissement des nouvelles générations ?  Nos lois ont-elles un souci suffisant de la préservation et du progrès de la famille : lois fiscales, lois dites sociales, lois régissant l'exploitation des ressources naturelles, etc. ?

Voilà un bien faible aperçu de la multitude des problèmes qui sollicitent notre attention et que nous devrons résoudre si nous voulons un après-guerre meilleur que ce que nous avons connu depuis vingt-cinq et cinquante ans. Il y a de quoi occuper pendant longtemps des chercheurs de toutes catégories, ceux que nous comptons déjà et ceux que, d'ici plusieurs années à venir, nous pourrions former : les uns s'attachant surtout à l'aspect économique, les autres à l'aspect social, d'autres à l'aspect scientifique, mais tous en étroite collaboration et en vue d'une fin unique.

Si le livre que nous vous offrons aujourd'hui contribuait à éveiller l'intérêt et à orienter les esprits dans ce sens, il aurait réalisé tous nos espoirs.

Esdras MINVILLE,
directeur de l'École des Hautes Études commerciales
(Montréal).

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Retour au texte des auteurs. Dernière mise à jour de cette page le mercredi 16 septembre 2015 19:20
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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