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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Micheline Milot, L'enseignement religieux à l'heure du pluralisme. Une distinction nécessaire entre « contenus » et « processus d'acquisition »”. Un texte publié dans l'ouvrage sous la direction de Fernand Ouellet et Michel Pagé, Pluriethnicité, éducation et société. Construire un espace commun. Chapitre 16, pp. 399-428. Québec : Institut québécois de recherche sur la culture, 1991, 594 pp. [Autorisation formelle accordée par Mme Milot le 24 juillet 2005 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Micheline Milot,

Sociologue, département de sociologie, UQAM

L'enseignement religieux
à l'heure du pluralisme
.
Une distinction nécessaire entre « contenus »
et « processus d'acquisition »”.

Un texte publié dans l'ouvrage sous la direction de Fernand Ouellet et Michel Pagé, Pluriethnicité, éducation et société. Construire un espace commun. Chapitre 16, pp. 399-428. Québec : Institut québécois de recherche sur la culture, 1991, 594 pp.


Nous nous proposons dans ce texte d'examiner les aspects psychologiques et cognitifs reliés au fait de la pluralité des visions du monde, plus spécifiquement lorsque celles-ci sont qualifiées de « religieuses », en dégageant l'impact qu'ils induisent sur l'éducation en matière de religion.

L'ancrage de notre réflexion s'inscrit dans le sillon de notre pratique universitaire dans le secteur de la formation des maîtres pour l'enseignement religieux. Notre élaboration théorique s'appuie également sur nos recherches menées depuis quelques années en analyse culturelle, principalement sur les attitudes et les modes de pensée en regard de la religion, tant auprès des enfants que des adultes [1].

Nous verrons tout d'abord que le pluralisme en matière de religion soulève des défis dont la teneur spécifique fait en quelque sorte un prototype des schèmes mentaux qui sont proprement questionnés, voire même heurtés, par la situation pluraliste. Ces défis, adéquatement gérés, peuvent alors apparaître d'un apport tout particulièrement fécond pour l'ouverture à la pluralité des cultures en général. Nous verrons à quel titre la religion peut alors prendre place dans un projet éducatif qui se veut ouvert, dans un contexte incontournablement pluraliste.

Ensuite, nous tenterons d'identifier théoriquement quelques implications d'une telle ouverture, sur le plan tant des [400] contenus que des stratégies d'apprentissage. Nous essaierons de montrer « comment » l'élargissement des perspectives et l'ouverture à l'altérité peuvent être conçus en enseignement de la religion, et quel impact ces stratégies auront sur la nature des contenus transmis et la structuration des systèmes de signification et d'interprétation des enfants et des jeunes.

Enfin, nous explorerons les programmes d'enseignement religieux existant au Québec, sous l'angle du degré de présence d'une perspective d'ouverture au pluralisme, pour finalement proposer des élargissements souhaitables que nous illustrerons de différents exemples qui puissent permettre d'envisager des solutions diversifiées et ajustées à différents contextes scolaires.

UNE QUESTION DÉBORDANT
LES STRUCTURES CONFESSIONNELLES


Dans les débats et réflexions entourant la question de la pluralité à l'école, la religion et son enseignement évoquent spontanément la problématique des structures confessionnelles, et pour cause. Tout d'abord parce qu'il s'agit là d'un fait structurel incontournable et rigide, du fait que la division confessionnelle des commissions scolaires, protégées par l'article 93 de l'Acte de l'Amérique du Nord Britannique, rend pratiquement impossible l'existence d'écoles publiques « autres » que catholiques ou protestantes et ce, tant à Montréal qu'à Québec. Par ailleurs, les vingt dernières années ont vu se multiplier les prises de parole au sujet de l'inadéquation des aménagements confessionnels actuels, tout particulièrement là où la pluralité s'impose avec de plus en plus d'évidence et de vigueur (que l'on se rappelle, par exemple, le cas de l'école Notre-Dame-des-Neiges). Bien que le Conseil supérieur de l'Éducation, en convergence de point de vue avec plusieurs autres intervenants dans ce dossier, ait toujours reconnu que la pluralité émergente exigerait que des assouplissements plus importants soient apportés aux structures confessionnelles actuelles, aucune avancée n'a vraiment été réalisée à ce jour (C.S.E., 1981).

Cependant, les défis et les enjeux que représente une ouverture au pluralisme dans le système d'éducation québécois ne se limitent pas à la question de la confessionnalité scolaire. Sans minimiser l'importance, réelle et symbolique, de cette composante structurelle, une attention trop exclusive à celle-ci risque [401] d'éclipser d'autres incidences de taille. Nous pensons ici aux différents aspects du défi proprement éducatif impliqués, dans le champ de l'enseignement de la religion comme dans plusieurs autres champs d'enseignement, par la conjoncture socioculturelle du pluralisme : les relations quotidiennes entre les pédagogues et les enfants ; les rapports des enfants les uns à l'égard des autres ; les schèmes cognitifs et les visions du monde qui sont assimilés tout au long de l'apprentissage scolaire ; les rapports parfois dialectiques ou conflictuels entre la famille et l'école quant à la transmission des conceptions du monde ; etc.

Ces aspects débordent amplement la seule question politico-structurelle, en tant qu'ils nous renvoient aux mentalités, aux attitudes et aux habitudes éducatives qui sertissent le rapport religion et enseignement à l'école, et qui se conjuguent avec des programmes, des contenus d'enseignement, des objectifs pédagogiques et des stratégies d'apprentissage qui méritent certainement, eux aussi, d'être pris en compte puisqu'il s'agit là du terreau dans lequel s'enracinent directement les défis éducatifs de la pluralité.

LES EFFETS PERCUTANTS
DU PLURALISME SUR LA CONCEPTION
RELIGIEUSE DES INDIVIDUS


De façon générale, on peut dire que le choc du pluralisme et de la diversité culturelle, côtoyée quotidiennement ou sporadiquement, se traduit le plus souvent par l'insécurité ou l'incapacité de concevoir qu'une autre façon de penser ou d'agir puisse s'avérer tout aussi « bonne » que la sienne propre. De telles résistances à la pluralité ne sont pas toujours explicitées ni même conscicntisées très clairement ; elles n'en opèrent pas moins des effets d'ébranlement pouvant se traduire de diverses façons, qui vont de la mise à distance psychologique de l'« autre » jusqu'à l'ostracisme le plus cruel, en passant par les subtiles applications de directives administratives au nom d'une saine gestion...

L'adhésion spontanée à sa propre culture, que l'on épouse très jeune comme une seconde nature, ne facilite pas la compréhension de ce qui en diffère et a fortiori, l'accueil de cette différence. Cela tient fondamentalement au processus par lequel chaque individu est « inculturé » : tout se passe comme si la transmission à l'individu des diverses composantes de la culture procédait de façon à ce que celui-ci les considère d'emblée comme [402] « allant-de-soi », absolues et dès lors, fortement fiées à sa propre identité. C'est dire que la conscience de la relativité des différentes croyances (au sens général) du système culturel et leur caractère contingent ne sont pas éveillés en même temps que leur transmission.

Les effets de la pluralité culturelle se répercutent bien sûr à presque tous les paliers et sous tous les aspects de la vie individuelle et sociale, bien que ce puisse être à des degrés divers et avec plus ou moins de rapidité. L'adhésion à une religion, comme les autres aspects de la culture, est en général l'affaire d'appartenance culturelle plutôt que l'objet d'un jugement et d'un choix délibérés, du moins tant qu'il ne se produit pas un processus de conversion dans la vie d'un individu en particulier. Et à ce plan religieux, l'impact du pluralisme apparaît davantage accentué et même particulier à certains égards et ce, à un double titre, que nous préciserons pour ensuite en illustrer brièvement les combinatoires pratiques.

« Deux vérités absolues
ne peuvent être vraies en même temps »


Premièrement, le pluralisme relativise, de façon générale, les certitudes considérées comme des « allant-de-soi » et revêtant de ce fait un caractère absolu : ce caractère absolu provient du « processus » par lequel on assimile sa propre culture. La religion, quant à elle, propose précisément des vérités dont le caractère absolu n'est pas seulement la résultante de leur processus d'appropriation, mais renvoie directement au contenu ou à la « nature » même de ces vérités.

En effet, chacune des grandes religions affirme, d'une façon ou d'une autre, son unique supériorité en regard de la vérité de la conception religieuse qu'elle véhicule et du pouvoir salvifique qu'elle porte. Cette affirmation explicite induit en quelque sorte une deuxième couche d'absolu sur la première qui, elle, est commune à tous les aspects de la culture, à savoir que nous y adhérons par un processus d'immersion.

L'insertion et le rôle de la religion
dans les schèmes de pensée


Ce qui est proprement heurté par la rencontre interculturelle, et il s'agit là du second aspect de la spécificité du religieux, [403] c'est le « fond de vraisemblance » que la religion fournit à l'existence. Ce registre symbolique est en effet particulièrement propice a constituer un fond global de référents permettant aux individus de penser le monde, leur destin personnel et collectif. Sur ce fond peut alors prendre place l'ensemble des dimensions de l'existence qui se voit alors conférer un sens. Pour que la religion remplisse cette fonction, il n'est pas nécessaire que l'individu adhère à tous les dogmes ni n'accomplisse tous les rites qu'on y retrouve : ceux-ci traduisent le contenu de la croyance mais n'en sont pas des nécessitants.

L'insertion du religieux dans les schèmes de pensée est un phénomène qui est observable, sans que l'on dispose de la sophistication des outils analytiques qui nous permettent d'en spécifier et d'en comprendre la dynamique. Par exemple, on conviendra que la population de souche franco-québécoise est largement « culturellement » catholique : la très grande majorité de cette population se qualifie encore d'ailleurs par la dénomination catholique (Milot, 1991). Que ce soit sous les traits d'une culture aux racines judéo-chrétienne ou hindoue, l'écheveau religion/culture s'avère largement difficile à délier, sans pour autant qu'il s'agisse ici d'engloutir la totalité du phénomène culturel dans les religions qu'il produit...

Ceci n'équivaut pas à prétendre que la religion soit encore l'unique pourvoyeuse de repères symboliques pour que la vie individuelle et la condition humaine en général puissent revêtir une signification en s'inscrivant dans une vision globale de la réalité. Différents types d'idéologies peuvent également remplir cette fonction. Mais la religion permet généralement, quant à elle, d'inscrire la croyance, ou du moins, la vraisemblance, du postulat global à l'effet que la vie humaine n'est pas le fruit d'un malencontreux hasard, ou une étincelle entre deux néants [2]. Elle postule donc en général l'existence d'une réalité supra-humaine ou d'un principe transcendant, personnel ou non, divin ou autre, et signifiant que le réel ne réside pas entièrement dans la vie humaine, biologique ou rationnelle, ni ne s'y résume totalement.

En outre, les références religieuses ne sont pas sans portée sur l'ensemble des lieux d'expressions et du registre des comportements des individus et des groupes. Cet impact peut se présenter à différents degrés et sous diverses formes d'une culture à une autre, ou d'une sous-culture à une autre. Ainsi, un système religieux peut avoir un rôle très central dans l'aménagement et l'organisation de la vie personnelle et sociale : de la conception [404] du monde aux rituels ponctuant les événements de la vie quotidienne, en passant par la structure hiérarchique des différents acteurs sociaux, au point que plusieurs traits de la culture d'un groupe ne s'avèrent souvent compréhensibles qu'à partir du système de références religieuses qui les sous-tend. Au contraire, la religion peut n'avoir qu'un rôle périphérique ou lointain, mais dont l'éruption symbolique peut fort bien advenir dans certains moments cruciaux où les assises de la vie quotidienne se trouvent ébranlées.

À ce chapitre, on peut souligner, en guise d'exemple, que présentement, le fait que l'identité sociale de la plupart des Québécois « catholiques » ne se transige plus par l'institution ecclésiastique catholique, et dont un indice frappant fut la baisse de la pratique religieuse, ne doit pas éclipser que la religion peut être extrêmement opérante à d'autres registres ou sous d'autres modes, se manifestant alors sporadiquement dans la vie des individus, et de façon plus continue, dans leur façon de voir la vie et son sens.

En guise d'illustration...

Compte tenu des aspects particuliers que nous venons d'évoquer comme inhérents au système religieux, l'effet du pluralisme sur les croyances religieuses apparaît d'autant plus ébranlant et même menaçant. À la limite, pluralisme et religion peuvent bien s'avérer, en grande partie, « incompatibles ». Un survol rapide des propositions fondamentales de quelques grandes religions ou de leurs courants internes nous permettra d'illustrer le problème que peut engendrer, dans la conception religieuse du croyant, la confrontation de la pluralité.

Imaginez, par exemple, cinq individus (disons même cinq enfants, comme cela se présente de plus en plus souvent dans nos classes...) appartenant respectivement aux traditions hindoue, juive, bouddhiste, musulmane et chrétienne. L'auto-compréhension que chaque tradition véhicule « s'entrechoque » inévitablement à la prétention absolue développée par ses homologues. Ainsi, on retrouve dans la tradition hindoue la croyance que l'accès à la vérité éternelle, le sanatana Dharma, nous est indiquée dans le langage humain des Vedas. Si cette tradition démontre une certaine tolérance à ce que soit empruntée une autre voie, dans la vie présente ou une autre, la plénitude ne peut cependant advenir qu'à travers la pleine compréhension [405] de la voie védique. En outre, dans la philosophie Advaita, il est souvent soutenu que les formes théistes de religion représentent des états de conscience moins avancés de l'ultime Réalité. Il n'est pas difficile d'imaginer la difficulté de réelle compréhension et acceptation de la pluralité représentée, par exemple, par la tradition juive qui soutient que les juifs sont le peuple choisi de Dieu lui-même. De ce point de vue, l'unique relation avec le seul vrai Dieu n'est possible que du lieu de l'appartenance privilégiée qui est celle d'être né juif. Un pluralisme effectif ne suppose-t-il pas cependant que toute autre grande voie de salut ne soit pas moins choisie et voulue telle par Dieu ?

Et encore, les enseignements du Bouddha, fondements de la tradition bouddhiste, précisent que toute doctrine qui dénie la cessation de tout changement ou désir, ou de la possibilité d'atteindre un état de nirvana, ne peut être une voie réelle de libération. Une telle assurance n'apparaît pas, à première vue tout au moins, facilement compatible avec la conception religieuse musulmane. Celle-ci en effet tient pour croyance ferme que Mohammad est bien Le Prophète loué de Dieu, Lequel a révélé la seule vraie religion à l'humanité à travers le Coran, Parole même de Dieu. L'ajout du Christianisme dans cet éventail religieux ne facilite pas les choses. Comme on le sait, la tradition chrétienne est basée sur la croyance que Dieu s'est fait homme en Jésus-Christ, par qui Sa manifestation plénière et le salut sont advenus pour toute l'humanité. Une telle religion, fondée ni plus ni moins que par Dieu lui-même, ou plus précisément par la Deuxième personne de la Trinité, suppose bien que toute autre voie de salut n'est que simple construction humaine comparée à ce que Dieu a fourni, en personne, à l'humanité. Ainsi entrevue, la rencontre entre religion et pluralisme semble bien receler une difficulté incontournable qui ne se réduit pas au processus de transmission de la religion, mais se heurte au contenu même des dogmes et croyances absolus soutenus par chaque tradition. Par quelles voies nos cinq croyants, mis en demeure de cohabiter dans le même quartier, voire la même classe, peuvent-ils bien s'accepter et se comprendre ?

LE CHOC INTELLECTUEL :
LE PROBLÈME DU SIGNIFIÉ
PLUTÔT QUE DES SIGNIFIANTS


Ce rapide (et fort simplifié') survol suggère bien que le problème que pose le pluralisme à la religion est principalement [406] de l'ordre « intellectuel ». Par ce terme, nous voulons pointer que ce n'est pas tant la diversité « visible » des Pratiques religieuses propres à chaque tradition, les mythes ou les représentations qu'on y retrouve qui est source d'ébranlement pour le croyant appartenant à une autre religion, c'est bien davantage le contenu, disons intellectuel, ou l'interprétation, bref ce qui est « signifié » sous ces multiples signifiants qui est de nature à troubler les certitudes.

Structurellement, on peut bien sûr considérer que cette diversité apparente se ramène en fait à quelques grandes catégories : la mort, l'origine du monde, la signification du mal, l'existence d'une certaine forme de transcendance à la condition humaine, des rites de purification, etc. Mais tout comme l'humain n'est pas que son squelette, la religion n'est pas qu'une structure formelle. Et c'est le contenu intellectuel de la croyance qui choque ou dérange. D'ailleurs, les grandes guerres de religion, qui s'avèrent sous-jacentes à la quasi-totalité des guerres de l'histoire, ont toutes procédé à partir d'une dissonance à ce niveau, et non à partir d'une opposition en matière de rites ou de pratiques (est-il besoin d'évoquer les horreurs commises par des humains envers d'autres humains au nom de tel ou tel dieu, chaque fois dans la rigide et étroite certitude de procéder ainsi de la vérité ultime !). Dans des proportions plus limitées, on peut illustrer ce choc « intellectuel » ainsi : « ta croyance en la réincarnation est-elle de nature à me faire douter de ma propre résurrection, fermement espérée ? » « Si tu prétends que le Christ est la Révélation plénière du seul vrai Dieu, est-ce que ma voie Védique s'en trouve caduque ?... et vice versa ? »

On s'accordera sur le fait qu'une pluralité de manifestations religieuses est, en Occident du moins, tolérée : plusieurs temples de religions diverses se voisinent dans les villes, les voyages et les mass-médias nous ont habitués à un certain exotisme en la matière, et les grandes organisations internationales, telle l'O.N.U., ont généralement en leurs murs une salle de méditation où des croyants d'appartenances religieuses différentes peuvent se côtoyer, mais dans le « silence » de leurs croyances respectives.

La question de la pluralité culturelle soulève toutefois l'interrogation suivante : est-ce qu'une société peut réellement se prétendre ouverte au pluralisme du seul fait qu'elle tolère la coexistence d'une diversité de systèmes de croyances à travers les pratiques qui les expriment ? Reconnaître théoriquement que [407] « toutes les religions se valent » correspond-il à l'acceptation réelle de la différence ? La réponse s'avère négative dès que l'on considère qu'une société peut parvenir à concilier une diversité culturelle au niveau des codes explicites, tout en maintenant une uniformisation ou une univocité au niveau implicite. Car le choc réel du pluralisme semble bien résider surtout dans la menace de l'érosion des critères de « vraisemblance », généralement implicites, fondant la perception de la cohérence et de la stabilité de la réalité individuelle et sociale. Bref, tout univers symbolique concurrent représente une menace pour la vraisemblance de mon propre univers.

En fait, ce n'est pas la possibilité logique de la diversité d'expressions de croyances qui soulève le plus de difficultés, mais bien la plausibilité psychologique que plusieurs « vérités absolues » puissent être vraies « en même temps ». C'est évidemment le problème de la relativité de toute construction symbolique qui se voit ainsi posé, mais avec une acuité particulière lorsqu'on se situe dans ce registre des appréhensions fondamentales de l'existence (sacrales et même infalsifiables) que les religions sont propres à générer.

DÉFIS ET APPORT DE L'ENSEIGNEMENT
DE LA RELIGION DANS l'OUVERTURE
AU PLURAUSME


La pertinence d'une éducation pluraliste
à la religion


Sur ce Point, d'aucuns pourraient objecter dès le départ que la religion n'est pas l'affaire de l'école mais des Églises ou des communautés croyantes. Ainsi, à l'instar de certaines sociétés, serait-il préférable que l'école ne se mêle pas d'un registre aussi étroitement associé aux convictions intimes et strictement personnelles des individus, relevant donc de la vie privée. Ce point de vue peut d'ailleurs être défendu avec d'autant plus de vigueur que les différents systèmes de croyances appelés à se côtoyer dans un contexte pluriel s'avèrent plus souvent qu'autrement, à première vue tout au moins, « incompatibles » quant au contenu de leurs affirmations fondamentales.

Or, si l'école est bien un lieu « culturel », un lieu d'acculturation et maintenant, quasi inévitablement, un lieu de rencontre interculturelle, ce serait jouer à l'autruche que d'élaguer d'un tel foyer d'initiation culturelle, sous le couvert d'arguments de raison [408] pratique, la considération du registre des systèmes symboliques qui, à divers degrés et sous différentes modalités, font manifestement partie du patrimoine de la plupart des individus (quelle que soit la confessionnalité particulière qualifiant cette appartenance). En outre, tous les enfants sont à même de constater, dans leur entourage immédiat ou via les mass-médias, moult formes de références à la religion dans la vie quotidienne des individus et des peuples (des baptêmes, des funérailles, en passant par les visites du pape et les guerres politico-religieuses). Plusieurs comportements de personnes et de groupes sont d'ailleurs, nous l'évoquions plus tôt, très souvent en lien direct avec les systèmes ou les repères religieux auxquels ils adhèrent ; ils ne sont dès lors vraiment compréhensibles qu'à partir de ces convictions fondamentales.

Plus immédiatement, c'est dans le vécu quotidien de la classe que les enfants sont très tôt confrontés à la différence, à l'altérité du sens (ce qui nous accule à ne pas jouer à l'aveugle au nom de sa foi en quelque dieu que ce soit). Quelles interprétations se tissent dans le système des significations des enfants lorsque certains de leurs camarades doivent sortir de la classe au moment du cours d'enseignement religieux (en contexte ici d'école confessionnelle catholique) ; ou encore lorsque certains enfants ne participent pas aux festivités de l'Halloween, de Noël ou de Pâques, au nom de leur appartenance religieuse ; ou encore, lorsqu'une enfant indienne objecte à son amie dont la grand-mère est morte dernièrement, que cette dernière ne peut pas être allée au ciel avec jésus, puisqu'elle doit se réincarner ?

Mais attention : la pertinence de la prise en compte de la religion dans l'ouverture au pluralisme à l'école et la fécondité de cet apport ne sont pas à n'importe quel prix...

Les résistances exprimées à l'égard du fait que la religion se retrouve dans l'école procèdent habituellement d'une perception univoque des rapports entre enseignement et religion : celle qui consiste à concevoir que tout enseignement de la religion ne peut être que « religieux », c'est-à-dire visant d'abord et avant tout à promouvoir une foi et à susciter chez les élèves des comportements eux-mêmes d'ordre religieux. Et l'on doit reconnaître que ces arguments sont plus souvent « autrement fondés, lorsqu'on examine quelque peu les pratiques éducatives courantes. On conviendra que le risque de verser dans la propagande de ses propres vérités absolues peut être redouté de chaque groupe religieux particulier. L'institution scolaire, en tant que lieu de [409] socialisation à l'univers des valeurs de la culture ambiante, est donc confrontée à un défi pouvant paraître redoutable à certains : celui d'intégrer dans l'univers des valeurs religieuses des jeunes le respect et la compréhension de conceptions religieuses qui représentent une certaine étrangeté par rapport à leur imaginaire structurant.

Un défi...
exigeant une double prise de conscience


Dès lors, à la lumière de cette réflexion, le défi que soulève le pluralisme nous oriente vers l'interrogation suivante : est-ce que les différents référents culturels particuliers peuvent s'inscrire dans le processus de socialisation, en même temps qu'est transmise la conscience de leur caractère nécessairement relatif ? En d'autres termes, une « croyance » peut-elle être transmise et faire l'objet d'une adhésion ferme, si son caractère relatif est conscientisé comme tel au départ ? Est-ce même souhaitable ?

L'apport d'une ouverture à la pluralité et à la relativité dans l'éducation religieuse apparaît sur le plan tant de la compréhension interculturelle que de l'intellection de son propre système de croyances religieuses ; et de toute façon, ces deux plans ne peuvent être pleinement atteints qu'ensemble. Cette double prise de conscience doit être réalisée synchroniquement dans le processus d'apprentissage pour faciliter le développement d'une « compétence culturelle ». On fera ainsi l'économie de la stigmatisation de sa propre culture et de l'inévitable choc insécurisant de la rencontre, tôt ou tard, de la différence.

Disons-le clairement : c'est un leurre pédagogique coûteux que de croire qu'une adhésion ferme (dans un climat de « première naïveté » comme on le qualifie parfois !) permettrait d'assurer l'identité, la capacité de relativisation et d'intégration de la différence étant reléguée à... plus tard ! Nos recherches et notre travail continuel auprès des jeunes nous ont maintes fois démontré le coût psychologique et cognitif d'un exercice pédagogique reposant sur un tel postulat.

Nous endossons plutôt la perspective formulée par le Conseil supérieur de l'éducation sur la capacité d'accueillir l'« autre », sans y voir constamment une menace contre laquelle on doive se défendre :

Cet enjeu rejoint très directement l'action de l'école, dont on dit couramment qu'elle doit être « foyer de culture », c'est-à-dire un lieu où on se familiarise en profondeur avec sa propre culture et [410] avec l'univers plus large des cultures. Mais une perspective pédagogique qui ne soulignerait que la tâche scolaire de la transmission des valeurs, sans promouvoir aussi une certaine clarification du processus d'émergence des valeurs et la conscience de leur relativité, ne serait pas une véritable éducation à la différence. il ne s'agit pas de s'empêcher d'adhérer à sa propre culture ou de promouvoir vigoureusement certaines valeurs ; il s'agit seulement de ne pas s'y enfermer comme dans un univers totalitaire (C.S.E., 1987, p. 13).

Il n'est guère nécessaire d'articuler de grandes démonstrations pour concevoir que, tout particulièrement en matière de religion, permettre à l'enfant de développer une perception plus réfléchie et plus consciente de sa propre culture religieuse est la voie sine qua non lui évitant de s'enfermer dans le système totalitaire des vérités absolues que risque toujours d'induire le discours religieux. Un tel objectif, qui doit être poursuivi à travers l'ensemble du curriculum scolaire, peut sembler plus difficile à atteindre concernant la religion. La nature de ses affirmations, nous l'évoquions précédemment, joue pour une bonne part. Et comparée à la langue et à son apprentissage, par exemple, où la question de la « vérité » ne se pose pas comme telle, la religion jouit en outre d'une perception sociale qui l'enclave dans le registre des réalités devant faire l'objet d'une sauvegarde absolue. Cette particularité se répercute d'ailleurs dans l'articulation des Droits spécifiques dans les Chartes des droits fondamentaux, afin de sauvegarder les libertés individuelles en face des groupes et des États eux-mêmes. Mais alors, comment des réalités qui apparaissent incompatibles peuvent-elles bien prendre place dans un projet éducatif qui intègre réellement l'ouverture à la différence en maintenant la transmission de valeurs fondamentales liées à l'identité des individus ?

Le caractère fondamental des appréhensions religieuses et la difficulté plus manifeste de relativisation qui semble inhérente à celles-ci nous portent à croire que le développement d'une attitude permettant de fonctionner positivement dans une situation de diversité de conceptions religieuses faciliterait, d'un point de vue psychologique et cognitif, une aptitude analogue face à la pluralité en général. Un peu selon l'adage : « qui peut le plus, peut le moins ». En sens inverse, assurer dans le projet éducatif le développement d'une compréhension et d'une saisie de la diversité culturelle, tout en maintenant une univocité sacrale en matière de convictions religieuses, revient un peu à éroder en sa base même les fondations nécessaires à la solidité d'un tel projet.

[411]

Un apport possible... exigeant une différenciation
entre « contenus » et « processus d'acquisition »


Saisir la différence tout en affirmant sa propre identité représente certainement un énorme défi éducatif, en religion comme ailleurs. Reprenant les propos du Conseil supérieur, on peut dire qu'« Il n'est pas simple, en effet, de favoriser l'éclosion d'une solide identité et d'authentiques convictions personnelles en même temps qu'une certaine conscience de leur relativité » (1987, p. 13). Le défi n'est toutefois pas insurmontable. Il nécessite cependant d'établir un certain nombre de distinctions fondamentales qui permettront de dégager plus nettement les points d'ancrage possibles pour rencontrer adéquatement ce défi éducatif en matière de religion. Nous tenterons de fournir des pistes dont la valeur réside dans la « perspective » qu'elles suggèrent pour l'approche pédagogique du pluralisme et de la religion, et non dans les recettes qu'elles ne prétendent pas indiquer.

Nous parlerons donc d'enseignement de la religion, ne nous limitant pas ainsi à un type en particulier, ni à celui d'une confession spécifique. Ce que nous entendons par religion (faisant ici l'économie - à des fins didactiques - des subtiles nuances auxquelles notre propre travail en sciences humaines de la religion nous a habituée), peut se résumer dans la formule suivante : un ensemble de symboles, de mythes et de pratiques auxquels les membres d'un groupe donné croient, et qui leur fournissent des significations fondamentales pour l'existence. Nous considérerons ici les systèmes symboliques qui sont habituellement dénommés « religion » (car une analyse approfondie de certains systèmes qualifiés de religieux oppose les spécialistes au sujet de l'adéquation d'un tel qualificatif pour qualifier des traditions comme le bouddhisme, par exemple).

En ce qui a trait à l'enseignement de la religion, établissons une première distinction entre le contenu à acquérir et le processus d'acquisition. Si le contenu d'un enseignement traitant de la religion se réfère pour une bonne part à un système de « croyances » qui s'expriment par des pratiques et induisent des préférences morales, le processus d'acquisition devrait, quant à lui, non pas s'effectuer selon une logique de croyance, mais viser à créer des Prédispositions rendant capable de relativiser ces formations symboliques selon une logique de compréhension des procédés de construction des systèmes symboliques eux-mêmes, au regard de leur fonction et de leurs manifestations. L'enjeu [412] pédagogique consiste essentiellement à développer la saisie et la compréhension que chaque système symbolique demeure un exemple parmi d'autres des multiples formes éditées par la vie humaine. L'anthropologue Clifford Geertz formule bien cet enjeu :

Nous voir comme les autres nous voient Peut ouvrir les yeux. Voir les autres comme partageant une nature avec nous-mêmes est la moindre politesse. Mais c'est à partir de ce qui est beaucoup plus difficile : nous voir parmi les autres comme un exemple local des formes que la vie humaine a prise Ici et là, un cas parmi les cas, un monde parmi les mondes, que vient la largeur d'esprit sans laquelle l'objectivité est congratulation de soi et la tolérance imposture (p. 24).

Une telle approche, lorsqu'elle se traduit en stratégie pédagogique, génère nécessairement un traitement « épistémologique » de la croyance qui diffère de ce à quoi nous a habitués l'éducation religieuse traditionnelle. Trois conditions nous semblent devoir être rencontrées afin d'accéder à une saisie adéquate de la pluralité des conceptions du monde se traduisant dans diverses traditions religieuses et à la relativité inévitable de chacune. Elles ne sont pas exhaustives, mais elles constituent certainement une charpente minimale pour orienter l'intervention pédagogique, tant d'un enseignement confessionnel que d'un enseignement non confessionnel. Elles ont d'ailleurs présidé à des expériences pédagogiques, en contexte de classe tant supposée homogène que pluraliste au point de vue religieux.

Les circonstances de production

Tout d'abord, la conscience de la relativisation des valeurs, des croyances ou des représentations qui les expriment suppose-t-elle que la « genèse » de ces constructions symboliques soit démythisée. C'est-à-dire qu'en même temps qu'il transmet ou traite de ces valeurs, l'enseignement doit clarifier leur processus d'émergence, comme le formulait le Conseil supérieur dans une citation rapportée plus haut. En d'autres termes, un accent doit être porté sur les circonstances de production de tels discours et de telles croyances. Le mythique statut ontologique des représentations religieuses laisse alors place à la conscience des choix éminemment symboliques et circonstanciés qu'elles représentent. Tout élément nouveau, étrange ou exotique, issu de sa propre tradition religieuse ou d'une autre, est ainsi circonscrit et sa signification est envisagée à partir du contexte de référence oz il s'est élaboré [3].

[413]

Les problèmes auxquels tentent
de répondre les religions


Les conceptions religieuses sont rarement gratuites ou purement esthétiques. Une valence fort importante de ces formations symboliques est à situer comme des fruits de la recherche de réponses à des problèmes particuliers auxquels elles tentent d'apporter une voie d'explication, de signification ou du moins d'interprétation : l'origine de la vie, la mort, le mal, la souffrance, le sens de l'existence, les conduites les plus justes, etc. Face à ces questionnements, chaque culture, chaque religion a conçu des systèmes symboliques qui, tout en constituant des solutions parfois fort différenciées, n'en représentent pas moins des réponses à des problèmes du même ordre.

Ainsi, la considération des problèmes particuliers pris en charge par les religions est non seulement fondamentale pour la compréhension de leur genèse, mais elle contribue à réduire la perception que les « autres » ne puissent être que des éditions moins bonnes que les siennes propres !

La mobilité historique
des formations symboliques


On évitera de figer l'inexorable mouvance des différentes conceptions religieuses à une configuration momentanée de leur histoire. En effet, il n'est pas de formation symbolique ou de ritualité religieuse qui n'ait connu de mobilité historique. Les valeurs et les croyances se modulent en s'ajustant et en s'adaptant graduellement à l'évolution que connaît toute aire socio-culturelle. Évacuer la conscience que toutes ces configurations sont mobiles dans l'histoire, c'est déjà les absolutiser en désarrimant leur relativité du flot de changement qui est le moteur de toute culture.

Ces pistes d'orientation pédagogique, qui visent à développer une prise de conscience des fondements et de la relativité des convictions religieuses, loin d'empêcher l'adhésion à sa tradition culturelle, fournissent au contraire une structure de plausibilité psychologique et cognitive à sa propre consistance « parmi d'autres ». On risque moins de sombrer dans l'exacerbation des différences particulières, par la prise en compte des ressemblances détectables au niveau des problèmes considérés par les différentes options religieuses ; et on évitera probablement de s'enivrer dans le nivellement romantique qui consiste à prôner que « toutes les religions se valent », mais qui élague ainsi la spécificité et l'apport original qui peuvent enrichir le répertoire culturel, et élargir l'horizon du questionnement existentiel de chacun.

[414]

UN ENSEIGNEMENT « RELIGIEUX » ?

Un enseignement ainsi conçu est-il pertinent dans le cadre de l'enseignement d'une confession religieuse ? La réponse est affirmative, considérant que tout enseignement scolaire ne peut se fonder que sur une visée d'éducation aux valeurs culturelles de l'environnement humain. Il n'évacue pas, bien au contraire, que la « matière » de l'enseignement porte davantage sur une tradition religieuse particulière, dans une visée d'initiation aux croyances et aux rites de la communauté de croyants qui s'y réfèrent. Il serait tentant, malheureusement, de confiner le type d'approche que nous décrivons à un enseignement sur « les » religions, de type historique. Tout enseignement de la religion qui se veut « éducatif » et « ouvert au pluralisme » ne peut faire fi des exigences posées par la nécessaire saisie de la relativité de chaque système. Ainsi, un enseignement, en cadre scolaire, portant spécifiquement sur une confession religieuse particulière, catholique par exemple (on entendra : enseignement religieux catholique), ou sur toute autre tradition spécifique, même dans un contexte socio-culturel relativement homogène au plan religieux, se dérobe à un réel projet éducatif s'il s'en tient à en transmettre les croyances et tes valeurs, sans en circonscrire la relativité et les fondements.

On objectera sans doute les classiques : « il ne faut pas mêler les enfants trop jeunes » ; « que l'enfant apprenne d'abord sa religion maternelle (et pourquoi pas paternelle ?), il choisira plus tard ». La connaissance de « sa » religion afin d'être en mesure de choisir ultérieurement relève davantage du sophisme que de la logique éducative : comment peut-il choisir ultérieurement cc qui lui a été transmis comme « sa » et même « la » vision du monde ? La capacité de distance, essentielle pour une considération critique et consciente de ses propres adhésions comme de ce qui en diffère, risque bien de ne jamais éclore, enclavée dans le repli des certitudes absolues.

On peut d'ailleurs s'interroger sur la valeur à long terme d'une telle polarisation sur « la » religion maternelle transmise dans un cadre de « première naïveté », lorsqu'on examine cc que deviennent ces acquis d'apprentissage au moment de l'adolescence, en particulier lors de l'accès de l'élève à la pensée logique formelle (Direction de l'enseignement catholique, 1985 ; Richard, 1985).

L'approche pédagogique que nous décrivons, de type « génétique et situationnelle » (Camillcri, p. 575) permet de développer [415] chez le jeune des « stratégies cognitives » face au phénomène religieux, stratégies qui pourraient être résumées dans les termes de Lebeau (1988) qui distingue dans la compréhension interculturelle trois dimensions essentielles :

- Une stratégie de compréhension à visée auto-interprétative où l'on cherche à comprendre de l'intérieur l'univers de significations des membres d'une société.

- Une stratégie de compréhension hétéro-interprétative scientifique et historique où l'on analyse rationnellement certaines manifestations culturelles en adoptant le point de vue transculturel d'une discipline scientifique ou historique.

- Une stratégie de relativisation critique où l'on considère sa vision du monde, ses façons de comprendre ou certaines pratiques de sa société, soit par rapport à quelque chose d'analogue dans une société étrangère [...], soit par rapport à un contexte plus vaste [...] (p. 538).

Notre propos, quant à lui, décrit plus spécifiquement les conditions de possibilités pédagogiques pour que de telles stratégies cognitives puissent être développées pendant le processus d'apprentissage.

LA PERSPECTIVE PLURALISTE
DANS LES PROGRAMMES D'ENSEIGNEMENT
DE LA RELIGION AU QUÉBEC


Les programmes existants

On ne retrouve pratiquement que deux types d'enseignement traitant spécifiquement de religion dans les écoles au Québec : l'enseignement religieux catholique et l'enseignement religieux protestant. Un régime d'option a été instauré en 1985 pour les institutions d'enseignement confessionnelles reconnues comme catholiques : à chaque année, l'école offre le choix entre un cours d'enseignement religieux catholique et un cours d'enseignement moral sans connotations religieuses, entre lesquels les parents sont d'ailleurs tenus de choisir annuellement [4]. Les écoles reconnues comme protestantes offrent quant à clics un enseignement religieux protestant, avec possibilité d'exemption pour les enfants dont les parents en font la demande.

Un enseignement religieux de type culturel, donc non confessionnel et conçu dans la perspective des sciences humaines de la religion, a été officiellement offert pour les deux dernières années du secondaire dans quelques écoles, de 1975 à [416] 1983, date à laquelle une révision de la réglementation par le Comité catholique a conduit à la disparition de cet enseignement de la scène des écoles catholiques. En pratique, cet enseignement de type culturel peut être offert dans les écoles privées, qui ne sont pas soumises à la réglementation du Comité catholique, si elles en font la demande au ministre de l'Éducation. Dans les faits, trois ou quatre écoles dans la région montréalaise ont, depuis 1983, fait une telle demande et obtenu la permission de dispenser cet enseignement.

Quel est le degré d'ouverture à une perspective pluraliste dans les programmes d'enseignement religieux existants, quant aux objectifs formulés et aux approches pédagogiques préconisées ? Nous examinerons quelques extraits typiques de ces programmes, tout en étant consciente qu'un certain écart ou même une certaine dérive peuvent s'inscrire entre la lettre des programmes et la pédagogie effective mise en œuvre par l'enseignant dans la classe [5].

L'enseignement religieux catholique

Le programme catholique est explicitement confessionnel et orienté vers le développement de la foi catholique chez l'enfant. L'objectif global se formule comme suit : « Développer les ressources de l'élève et l'aider à découvrir et à accueillir la personne et le message de Jésus-Christ » (M.É.Q., 1984a, p. 9). Toute la matière présentée dans le guide pédagogique, tous les objectifs d'apprentissage de même que les scénarios d'enseignement proposés sont tous fermement à visée d'éducation de la foi. Toutefois, ils ne comportent pas réellement d'ouverture au pluralisme, ni de perspective culturelle et, a fortiori, aucune saisie relativisante.

Examinons quelques extraits du guide pédagogique de troisième année primaire, portant sur la Création du monde.

La terre notre demeure, don du père

Objectif 

Saisir que Dieu est le Père à l'origine de la terre notre demeure et qu'il appelle les humains à être cocréateurs.

Contenu 

Terre : don du Père.

« Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ».

[417]

objectif terminal 

Reconnaître que la terre est un don du Père.

Objectif intermédiaire 

Identifier les versets du récit de la création qui montrent que la terre est don du Père (M.É.Q., 1984b, p. 169) [6].


Le Programme d'enseignement religieux catholique vise explicitement l'adhésion aux contenus enseignés~ par exemple dans l'extrait cité qui se fonde sur le rapport à la croyance. Il ne s'agit pas ici d'interdire la possibilité qu'a un adulte de témoigner de ses croyances à d'autres personnes, cet exercice est reconnu, avec ses limites eu égard au bien commun, dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec [7]. Il faut plutôt se laisser interroger par les implications au point de vue éducatif d'un enseignement qui, tout en justifiant sa place à l'école par sa contribution au projet éducatif global, ne relève pas des mêmes impératifs pédagogiques que les autres types d'apprentissage que fait l'enfant. En effet, l'enseignement religieux confessionnel vise l'adhésion aux valeurs enseignées de même qu'un engagement personnel, ce qui n'est pas la modalité pédagogique utilisée dans les autres matières où l'enfant n'a pas à adhérer aux contenus pédagogiques, mais doit plutôt les comprendre.

Bien sûr, l'enseignement religieux à l'école peut être un lieu privilégié par lequel l'enfant est mis en contact avec la tradition catholique, par la régularité, la constance et la systématisation de ses apprentissages. Et toute religion comporte son système de croyances : c'est là un donné structurel tout à fait valable. Cependant, l'adhésion à ce système de croyances peut-elle être considérée comme un « objectif pédagogique » ? Faut-il voir un lien de causalité entre une composante fondamentale d'une religion, soit les contenus de croyances, et le type de pédagogie mis en œuvre ? Autrement dit, l'enseignement d'une confession religieuse ne peut-il se penser que selon une modalité d'adhésion au contenu de l'enseignement ?

En cadre scolaire, un tel traitement pédagogique verse inévitablement dans la proposition d'une vérité absolue, non relativisée ; le processus d'émergence de ce discours symbolique et les questions fondamentales auxquelles il tente de répondre ne font pas partie du scénario d'enseignement proposé. L'énonciation des objectifs nous renvoie à l'ordre de l'observation et de la constatation. Une ambiguïté est donc inscrite dès le départ : l'enfant est amené à considérer le récit biblique comme une vérité sur la question des origines, « LA » vérité (et qui, en outre, [418] ne se distingue pas ici du type de vérité produite par la méthode scientifique), ne faisant de ce fait aucune place, dans le système de significations de l'enfant, au fait incontournable qu'il existe d'autres conceptions religieuses. Un autre extrait nous aidera à saisir toute la portée découlant d'une telle conception posée au départ.

Des façons d'être cocréateur

Objectif intermédiaire 

Nommer des personnes qui participent à l'œuvre de la création.

L'enseignant dit : « Dieu partage sa puissance avec l'homme et la femme en leur confiant la terre. Par leur travail, ils participent à l'oeuvre de la création. » Puis il met à la disposition des élèves une série de photos illustrant d'une part des réalités naturelles et des objets fabriqués, d'autre part. Ex. : champ de blé - agriculteur, boulanger, vendeur, camionneur [...]

Écrire toutes les façons de participer à l'œuvre de la création énumérées par les élèves, [...] et L'enseignant conclut : « Les hommes et les femmes en transformant les éléments naturels contribuent à l'oeuvre de la création » (M.É.Q., 1984b, p. 182).


Du point de vue d'un croyant, de telles activités du genre humain peuvent, bien sûr, être lues dans sa propre perspective religieuse. Cependant, pour l'enfant qui est en apprentissage et en construction progressive de sa conception du monde, n'est-ce pas là lui apprendre une façon d'interpréter l'activité humaine qui risque de lui rendre difficile la reconnaissance et l'acceptation de lectures différentes de celle qui lui est apprise ?

En effet, dans un tel scénario, quelle que soit la manière de concevoir le sens de leurs activités, les agriculteurs, les boulangers, les vendeurs... sont inévitablement à l'intérieur de la lecture chrétienne de l'existence. Qu'un certain nombre d'individus reconnaissent jésus au cœur de leur vie et en témoignent est tout à fait valable, et la présentation peut fort bien prendre place dans l'enseignement ; mais tenir à l'enfant une lecture religieuse de l'expérience que font d'autres individus, sans considération de leur propre lecture de l'existence apparaît beaucoup plus délicat. Ces boulangers et ces agriculteurs dont on parle à l'enfant interprètent-ils leurs activités comme des façons de contribuer à l'œuvre de la création du Dieu de jésus (d'ailleurs, cette vision ne se retrouve-t-elle pas aussi chez les juifs qui, quant à eux, s'en réfèrent au Dieu de Moïse et d'Abraham ?) ?

Il ne s'agit pas ici d'exposer à l'intérieur du « contenu » de ce type d'enseignement confessionnel, toutes les autres conceptions [419] possibles. Comme nous le formulions plus haut, c'est une question de processus d'acquisition. Au même moment où l'on éduque à la compréhension de ce type de formation symbolique, notre propre expérience d'enseignement nous convainc qu'il est non seulement possible mais fortement pertinent en contexte pluraliste, et même en contexte plus homogène, de permettre à l'enfant la double prise de conscience, à la fois des symboles de sa propre tradition religieuse, et en même temps du fait que ceux-ci sont des significations symboliques, circonstanciées dans l'histoire et donc, relatives. Nul besoin d'un long étalage de tous les autres arbitraires symboliques. C'est un processus d'acquisition relativisant, qui entre à petites doses dans l'univers de significations du jeune.

L'enseignement religieux protestant

Les outils pédagogiques de l'enseignement religieux protestant diffèrent substantiellement de leurs homologues catholiques. Alors, c'est non seulement la tradition « religieuse » qui diffère à l'intérieur de la chrétienté, mais la tradition « éducative » elle-même qui se formule, officiellement, selon une perspective différente à plusieurs égards de l'enseignement religieux catholique. Cela apparaît tant dans les orientations générales du programme protestant que dans le contenu et les objectifs proposés pour soutenir le processus d'acquisition chez l'enfant et le jeune.

Tout d'abord, il importe de souligner que le contexte socioculturel des écoles protestantes a dû composer non seulement avec les diverses dénominations internes à la tradition protestante, mais également avec une pluralité culturelle proportionnellement plus importante que dans le cas des écoles catholiques. En effet, une portion fort importante des immigrants s'est retrouvée à l'intérieur du réseau scolaire protestant, pour les raisons politico-structurelles que l'on sait. L'expérience réelle de la pluralité ethnique s'est donc accusée plus tôt et plus rapidement dans le secteur scolaire protestant. Jusqu'à ce jour, les orientations générales des programmes d'enseignement ont su tenir compte de cette réalité, dans leur facture même et non seulement dans les bonnes intentions de principe que les hautes administrations peuvent énoncer dans les documents officiels.

Les deux premiers objectifs du programme dénotent déjà une ouverture au pluralisme des conceptions religieuses, en formulant que cet enseignement doit viser à favoriser le développement [420] de l'élève : 1) « en encourageant une compréhension des valeurs morales et religieuses de la communauté où il vit » ; 2) « en promouvant une reconnaissance de sa propre tradition religieuse et un respect des traditions religieuses d'autrui » [8]. Une telle orientation suppose donc qu'il soit possible de promouvoir ses propres valeurs, tout en respectant les traditions religieuses d'autrui. D'ailleurs, cette dernière intention se concrétise par la stipulation que l'enseignement religieux protestant puisse comporter des programmes d'études portant sur les religions du monde (article 9).

La reconnaissance de l'impact de la pluralité sur l'enseignement religieux protestant trouve sa formulation la plus explicite dans une déclaration générale comme quoi :

Vu la grande diversité d'origines ethniques et religieuses des élèves des écoles protestantes, le Comité a cherché à offrir des programmes d'études qui seraient adaptés et intéressants pour des étudiants aux orientations philosophiques et religieuses les plus diverses. Les élèves doivent acquérir une connaissance générale des croyances et des cultures des autres, en vue de pouvoir communiquer et vivre avec eux. Une partie de ce processus implique l'acquisition d'un esprit critique à l'égard de ses propres croyances et de celles d'autrui. À cet égard, le Comité croit qu'on ne peut développer un esprit critique que si on connaît bien ses propres valeurs (Gouvernement du Québec, p. 4).

La substance même des programmes et des guides pédagogiques, tant au primaire qu'au secondaire, est conséquente avec les orientations générales énoncées. Par exemple, en deuxième année primaire, les fêtes religieuses de différentes traditions religieuses (Chrétiennes, Bouddhistes, ...) sont présentées à l'enfant comme autant d'expressions symboliques et rituelles porteuses de significations religieuses différenciées selon les contextes culturels.

Les programmes et guides pédagogiques prévus pour le secondaire comportent également la prise en compte de la diversité des conceptions religieuses, permettant à l'élève d'enrichir son propre répertoire culturel à des sources de sens différentes. Par exemple, la cinquième secondaire a pour thème « La recherche d'un sens à la vie ». Le module 11, portant spécifiquement sur le phénomène religieux fournit un contenu et un cheminement pédagogiques rendant possible l'exploration de la diversité, et par conséquent, la prise de conscience de la relativité :

[421]

LA QUÊTE RELIGIEUSE :

- la recherche d'absolu dans les différentes traditions religieuses ;
- le bien de la société selon la pensée humaniste courante ;
- la diversité de croyance au sujet de la mort et de l'au-delà ;
- les tendances religieuses courantes.

Une telle exploration des réponses diversifiées élaborées par différentes traditions religieuses (et même non religieuses : l'humanisme) rencontre bien le second critère que nous évoquions plus haut, comme devant présider à l'élaboration d'une pédagogie qui intègre vraiment la question du pluralisme, soit une ethnologie des problèmes et des solutions possibles. L'étude du processus d'émergence de ces formations symboliques pourrait toutefois être poussée plus loin, de même que celle de leur mobilité historique. Une telle accentuation, en plus d'éviter le risque de la folklorisation, devrait permettre aux élèves de comprendre que ces représentations ne sont pas cristallisées une fois pour toutes, et qu'elles sont une variable dépendante de facteurs situationnels qui en ont déterminé, en grande partie, la forme et le contenu.

Les programmes et guides de l'enseignement protestant comportent à notre avis une ouverture réelle au pluralisme et à un certain relativisme. Ils témoignent que, théoriquement tout au moins (puisque nous ne pouvons évidemment pas rendre compte de la pratique pédagogique de chaque enseignant dans sa classe...), une compréhension et une valorisation de sa propre tradition religieuse ne sont pas incompatibles avec une conscientisation de l'inévitable pluralité culturelle. Ils permettent, en outre, de prendre en compte la pluralité sans exacerber les différences et ce, par la considération des ressemblances entre des traditions diverses.

On notera un glissement sensible de la dénomination de cet enseignement, qui du libellé « Enseignement religieux pour les écoles protestantes » a été reformulé il y a quelques années comme un « Enseignement moral et religieux protestant ». Nous osons espérer que ce ne soit pas là l'indice d'un resserrement confessionnel...

L'enseignement religieux culturel

Bien que notre tradition éducative nous ait habitués à associer l'enseignement de la religion à celui d'une confession religieuse particulière, un enseignement de la religion qui soit [422] d'emblée non confessionnel et orienté spécifiquement vers la compréhension du phénomène religieux est non seulement possible, mais a été conçu et réalisé dans certains pays, dont l'Angleterre et le Québec. Inspiré principalement des études en sciences humaines de la religion, cet enseignement, dénommé « enseignement religieux de type culturel » ou « études des religions », représente une avenue tout particulièrement intéressante pour rencontrer pleinement l'objectif d'une éducation à la religion tenant compte de la pluralité religieuse  [9].

Le Conseil supérieur de l'Éducation évoque la pertinence d'envisager une telle voie éducative dans le système scolaire :

Il apparaît tout aussi opportun d'évoquer, pour une école qui vit à l'heure d'une société plurielle, la possibilité d'offrir un programme d'Histoire et de culture religieuses, qui s'attacherait principalement à faire comprendre la signification du phénomène religieux, à en expliciter les fondements et à en retracer l'évolution, à travers l'histoire des grandes religions (1987, p. 25).

L'enseignement religieux de type culturel, qui a eu cours officiellement pour les deux dernières années du secondaire et ce, jusqu'à la modification du Règlement du Comité catholique en 1983, correspondait en bonne partie à cette orientation. Quelques exemples d'objectifs de ce programme permettent de constater le degré d'ouverture au pluralisme qui s'y retrouvait.

  • S'initier à l'étude des religions selon les méthodes propres aux sciences humaines des religions ;
  • Connaître et expliquer les principales traditions propres à chacune des grandes religions ;
  • Se sensibiliser à l'importance, à la constance et à l'universalité de la religion ;
  • Connaître les fonctions de la religion dans les cultures, les sociétés et la vie des individus ;
  • Connaître et comprendre les réponses de certaines religions aux grandes questions de l'existence et les expliquer en les rattachant aux éléments essentiels de ces religions et aux valeurs de ces cultures.

La relativité des différents systèmes religieux est positivement intégrée. Un certain niveau de comparaison permet de considérer ce qui rapproche mais aussi ce qui spécifie chaque tradition religieuse. Toutefois, comme nous l'évoquions pour le programme protestant, le processus d'émergence des formations symboliques n'est pas toujours suffisamment dégagé pour permettre [423] de percevoir les facteurs situationnels auxquels s'arriment ces élaborations.

Le Conseil supérieur, comme plusieurs autres intervenants dans ce secteur d'enseignement, déplore que cc programme soit disparu si rapidement et « sans qu'on en ait beaucoup discuté » :

Cette disparition laisse un vide pour ceux qui désirent une approche culturelle et historique du phénomène religieux appuyée sur les acquis des sciences humaines. Elle appauvrit aussi la culture scolaire d'une dimension fondamentale de la pluralité. C'est une question qui mériterait un nouvel examen (1987, p. 24).

Nous irions plus loin que le Conseil en soutenant que tout enseignement de la religion devrait permettre de développer chez les enfants des prédispositions à l'acceptation positive du pluralisme auquel ils seront tôt ou tard inévitablement exposés. Et pour ce faire, l'introduction des trois critères (considération des circonstances de production, des problèmes fondamentaux et mobilité historique des symboles) semble bien une condition minimale d'un enseignement vraiment culturel et éducatif pour l'ouverture à l'altérité.

Enfin, il importe de souligner que l'ouverture au pluralisme religieux peut aussi s'avérer souhaitable en dehors des frontières strictes de l'enseignement de la religion. En effet, les différents programmes scolaires de sciences humaines (histoire, géographie, ...) peuvent, de leur point de vue, ouvrir les horizons du jeune sur le phénomène religieux, partie constituante de tout patrimoine culturel historique.

ENTRE L'ÉCOLE ET LA FAMILE :
CHARTES ET LOIS


Une telle acculturation scolaire induit une différenciation entre le système de significations ou la culture religieuse proprement familiale, et la culture, disons scolaire, en matière de religion. Si les convictions et les libertés religieuses particulières doivent bien être respectées et protégées, elles ne sauraient définir les orientations de l'éducation à la religion en cadre scolaire. Autrement dit, le projet éducatif scolaire, qui procède globalement du « contrat social » prévalant dans une société, ne saurait se calquer absolument sur les sous-cultures particulières, et ce même en matière de religion [10].

[424]

Serait-ce dire que l'article 41 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, qui formule que : « les parents ou les personnes qui en tiennent lieu ont le droit d'exiger que, dans les établissements d'enseignement publics, leurs enfants reçoivent un enseignement religieux ou moral conforme à leurs convictions, dans le cadre des programmes prévus par la loi », soit à rayer des droits reconnus dans un domaine aussi délicat ?

Sans ruser avec la portée des diverses interprétations que l'on peut donner à cet article, l'élargissement de la perspective éducative proposée, bien qu'ayant un impact épistémologique certain sur les croyances religieuses, n'implique pas du tout que les convictions qui seront matière d'enseignement ne soient pas conformes à la tradition qui les porte. Non seulement par respect de ceux dont on parle, mais aussi par pertinence pédagogique, les traditions religieuses faisant l'objet d'un enseignement scolaire doivent l'être de façon à ce que ses adhérents s'y reconnaissent. En somme, une telle stratégie d'apprentissage permet de hisser la saisie et la compréhension des croyances a un niveau capable d'intégrer positivement la diversité et de fonctionner avec elle de manière enrichissante et respectueuse.

Enfin les dernières modifications de la Loi sur l'instruction publique (Projet de loi 107) démontrent un certain type d'ouverture au pluralisme religieux, mais provoquent néanmoins chez nous quelques réflexions et même des réserves. il y est décrété que :

L'élève, autre que celui inscrit aux services éducatifs pour les adultes, a le droit de choisir, à chaque année, entre l'enseignement moral et religieux, catholique ou protestant, et l'enseignement moral.

Il a aussi le droit de choisir, à chaque année, l'enseignement moral et religieux d'une confession autre que catholique ou protestante, lorsqu'un tel enseignement est dispensé à l'école [11].

Cette ouverture théorique représente certainement, sinon une avancée réelle, du moins une intention suggérant que l'on reconnaît la nécessité de tenir compte de la diversité religieuse au Québec. Elle apparaît en cela conséquente avec la substance de l'article 41 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Toutefois, nous ne pouvons manquer de constater qu'encore une fois, religion et enseignement sont étroitement associées selon une conception très « confessionnelle » de l'éducation en matière de religion [12].

[425]

Nous pouvons même nous interroger sur la portée réelle, au point de vue de la compréhension et de la prise en considération du pluralisme religieux, qu'une telle intention légale, si elle se traduisait concrètement dans le curriculum scolaire, pourrait avoir. Si, à l'heure où doit se dérouler l'enseignement religieux dans la classe, le microcosme social représenté par le groupe d'enfants se scinde en autant de petits sous-groupes qu'il y a de confessions religieuses représentées dans la classe, on ne voit pas trop comment la compréhension de la différence pourrait avoir la chance de s'inscrire dans l'univers de significations des jeunes.

La multiplication, en cadre scolaire, de ghettos religieux, où l'on évite par le fait même la prise en compte de la différence, et où chaque tradition religieuse peut transmettre ses croyances sans introduire un processus d'acquisition relativisant son propre système, ne constitue certainement pas la voie éducative la plus propice pour l'ouverture à l'altérité. Nous l'évoquions déjà, une société peut tolérer et même favoriser une pluralité quant aux codes ou aux manifestations « explicites », tout en maintenant une univocité quant à la conception ou aux façons de voir « implicites » de chacun de ses membres.

CONCLUSION

Une affirmation lucide des convictions personnelles et une réelle consistance identitaire exigent une perception et une intellection réfléchie et consciente de sa propre culture ; et l'aptitude à saisir et à comprendre ce qui en diffère exige que cette prise de conscience en soit une de la relativité de tout système à prétention absolue. L'éducation doit donc permettre d'atteindre un point qui dépasse toutes les contingences particulières, à partir duquel chaque confession particulière peut se reconnaître, s'affirmer tout en ayant une acceptation de l'autre : une sorte de « matrice », permettant de comprendre et d'atteindre chaque édition particulière du phénomène religieux. Sans quoi, « l'objectivité est congratulation de soi et la tolérance imposture ».

[427]

RÉFÉRENCES

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_____, « La référence aux droits des parents d'exiger de l'école un enseignement religieux et moral conforme à leurs convictions », Les Cahiers de recherche en sciences de la religion, vol. 9, 1989, p. 15-43.

CAMILLERI, Carmel, « Pertinence d'une approche scientifique de la culture pour une formation par l'éducation interculturelle ». Pluralisme et école. Jalons pour une approche critique de la formation interculturelle des éducateurs, Québec ; Institut québécois de recherche sur la culture, 1988, P. 565-594.

CLIFFORD, Geertz, Savoir local, savoir global. Les lieux du savoir, Paris, P.U.F., 1986

CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'ÉDUCATION, « la confessionnalité scolaire : Recommandation au Ministre de l'Éducation », Rapport 1980-1981. Activités, Tome I. Québec, Éditeur officiel, 1981, P. 113-192.

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_____, Ministère de l'Éducation, Direction de l'enseignement catholique, Le développement spirituel, religieux et moral de l'adolescente et de l'adolescent, Document de recherche, janvier 1985, 42 pages (code 8485-1051).

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[428]

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OUELLET, F., L'étude des religions dans les écoles. L'expérience américaine, anglaise et canadienne. Waterloo, Wilfrid Laurier University Press, 1985.

RICHARD, R., Religion de l'adolescence. Adolescence de la religion. Québec, Presses de l'Université Laval, 1985.



[1] Voir plus particulièrement Lemieux et Millot (1988 et 1986).

[2] On conviendra que le problème posé en ces termes reflète bien la culture d'appartenance de l'auteure...

[3] Cette première condition pédagogique s'apparente à l'adoption des méthodes historico-critiques et comparatives en exégèse biblique, maintenant communément acceptées par plusieurs confessions religieuses, - non sans difficulté toutefois ! Faudrait-il appréhender les mêmes avatars qui présidèrent à l'apparition de ces contributions intellectuelles dans l'évolution de la pensée théologique, pour l'avenir de l'enseignement de la religion ?

[4] Règlement du Comité catholique du Conseil supérieur de l'Éducation, 1983, articles 10 et 11.

[5] Il importe de souligner que cette analyse se situe d'emblée du côté d'une problématique de psychologie du développement et de psychopédagogie. Il s'agit donc d'un point de vue, qui peut différer passablement de celui que pourrait avoir un croyant considérant l'éducation religieuse des enfants d'un point de vue interne à la communauté à laquelle il appartient. Notre analyse s'autorise du simple fait que l'enseignement religieux catholique est dispensé, non pas à l'intérieur de la communauté de référence, mais dans une institution scolaire publique, au même titre que les autres matières d'enseignement, en s'inscrivant dans les mêmes finalités éducatives telles qu'énoncées par le ministère de l'Éducation du Québec : une éducation qui vise à développer la personne dans toutes ses dimensions, y compris l'ouverture à la transcendance. (M.É.Q. L'École québécoise. Énoncé de politique et plan d'action, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1979).

[6] Nous soulignons.

[7] « Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et de la liberté d'association », (Chartes des droits et libertés de la liberté, Québec, Éditeur officiel, article 3). Pour une explication de la portée des libertés fondamentales en matière de religion, se référer à la Charte internationale des droits de l'homme, O.N.U., 1948.

[8] Règlement du Comité protestant, article 8.

[9] Une présentation très élaborée de ces différentes formes d'étude des religions nous est fournie par l'oeuvre de Fernand Ouellet, L'étude des religions dans les écoles. L'expérience américaine, anglaise et canadienne, (Warterloo, Wilfrid Laurier University Press, 1985).

[10] Les propos de Michel Pagé sur le « gouvernement démocratique du pluralisme » dans cet ouvrage revêtent ici toute leur pertinence.

[11] Nous soulignons.

[12] Pour une analyse fine de la référence aux droits des parents en regard de l'enseignement religieux pour leurs enfants, voir Marcel Aubert, (1988, p. 15-43).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 16 mars 2019 19:19
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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