RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Henry Milner, La réforme scolaire au Québec (1984)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de M. Henry Milner, La réforme scolaire au Québec. Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Fournier. Montréal, Les Éditions Québec/Amérique, Collection: Dossiers/Documents. 1984, 212 pp. [Autorisation accordée par l'auteur le 28 mai 2006.] Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole, professeure retraitée de l'École polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi.

Introduction

Dans le Québec, l'éducation a une dimension politique. Le gouvernement de la province a toujours été jaloux de ses prérogatives constitutionnelles dans ce domaine. Le mouvement de modernisation du Québec que fut la Révolution tranquille s'est surtout distingué par les réformes dramatiques qu'il a mises en train dans le secteur de l'éducation. Un élément majeur des réformes des années 1960 est cependant mort-né, tué dans l'œuf par une puissante coalition de forces conservatrices. L'éducation publique au Québec relève encore de commissions scolaires confessionnelles, catholiques et protestantes. Si le système a parfois évolué en réponse aux pressions du milieu, il continue d'élever des barrières artificielles entre deux communautés scolaires et laisse le pouvoir entre les mains de groupes puissants mais souvent peu représentatifs. 

C'est pour faire tomber ces barrières que fut amorcée la réforme actuelle. Vers la fin du premier mandat de son gouvernement, le premier ministre M. René Lévesque nomma M. Camille Laurin, auteur de la Charte de la langue française (loi 101), ministre de l'Éducation et fit savoir que des réformes étaient imminentes. Mais le projet mis au point par M. Laurin et ses conseillers au cours de l'année qui suivit la réélection du parti en avril 1981 était d'une ampleur inattendue. Publié en juin 1982 sous forme de livre blanc intitulé L'École québécoise : une école communautaire et responsable, il proposait de substituer au système d'éducation public fondé sur des commissions scolaires confessionnelles un système basé sur des conseils d'école dominés par les parents. Dans sa version initiale, le projet allait bien au-delà de la déconfessionnalisation des structures de l'éducation : le pouvoir passerait des commissions scolaires et des syndicats d'enseignants aux parents et aux éducateurs dans l'école. 

Deux cent quatorze commissions scolaires catholiques et 33 protestantes administrent actuellement le système scolaire public du Québec. Dans bien des cas, les commissions sont encore divisées aux fins de l'éducation primaire et secondaire. Dans la région de Montréal, les commissions catholiques administrent un réseau d'écoles anglaises aussi bien que françaises et les commissions protestantes ont ouvert quelques écoles françaises. Ailleurs, les écoles catholiques sont de langue française et les écoles protestantes de langue anglaise. Le système protestant, qui regroupe 9 % des 1 500 000 élèves de l'élémentaire et du secondaire au Québec, n'est pas confessionnel en réalité mais laïque. Les commissions scolaires catholiques observent la doctrine de l'Église en matière d'éducation, quoique souvent mollement. Enfin, plus de 7 % des élèves fréquentent les écoles privées subventionnées par l'État qui servent en partie de débouchés pour les parents cherchant une voie de rechange aux écoles publiques confessionnelles. 

Cette structure lourde, démodée et coûteuse — Statistique Canada estimait en septembre 1982 qu'il en coûtait 38 % de plus pour éduquer un enfant au Québec qu'en Ontario — est le résultat de réformes pièce à pièce mises en œuvre au cours des 20 dernières années après qu'eurent échoué de nombreuses tentatives de restructurer le système scolaire sur une base non confessionnelle. Le projet de loi 62, mis de l'avant par le gouvernement de l'Union nationale en 1969, et le projet de loi 28, mis au point par le gouvernement libéral deux ans plus tard, visaient à remplacer les commissions confessionnelles dans la région de Montréal par des commissions neutres comme l'avait recommandé au milieu des années 1960 la Commission Parent. Les deux projets de loi furent retirés après de longs débats. 

L'article 93 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique qui garantit la confessionnalité de l'éducation fut la pierre d'achoppement de toutes les réformes. Les gouvernements précédents préférèrent retraiter plutôt que d'affronter une opposition ferme, disposée à recourir aux tribunaux pour retarder, sinon bloquer, d'importants éléments de toute réforme globale. Mais les pressions en faveur du remaniement des lois de l'éducation furent incessantes. Les lois sur la langue (22 et 101) des années 1970 imposèrent aux immigrants d'envoyer leurs enfants aux écoles catholiques françaises quelles que soient leurs convictions religieuses ou aux écoles protestantes de langue française, sous administration anglophone, là où il y en avait, en marge des institutions de la majorité. 

L'affaire Notre-Dame-des-Neiges relança le mouvement en faveur de la réforme. Les parents, les enseignants et les administrateurs de l'école tentèrent de créer un milieu éducatif pluraliste répondant aux besoins de la communauté qui comptait des familles immigrantes d'une trentaine d'origines ethniques de même qu'une partie du personnel de l'Université de Montréal. En 1979, ils demandèrent à la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM) de révoquer le statut catholique de l'école. La requête fut refusée et la position de la CECM fut plus tard entérinée par les tribunaux en vertu de la constitution. L'incapacité de Notre-Dame-des-Neiges d'instituer ne serait-ce qu'une faible mesure de pluralisme à l'intérieur du système confessionnel ouvrit la voie à une épreuve de force constitutionnelle et politique. 

Le projet Laurin de décentraliser le pouvoir scolaire se heurte en partie aux obstacles constitutionnels qui empêchent la déconfessionnalisation du système. Le ministre proposait de transférer aux écoles l'exercice des droits confessionnels des commissions scolaires. Il reviendrait aux écoles de déterminer leur allégeance religieuse. Les évêques consentirent à ce compromis, évitant une bataille constitutionnelle rangée du côté catholique. Les autorités protestantes cependant n'admirent aucun compromis et se dirent déterminées à contester le projet en cour. 

Le pouvoir de décision à l'école devait largement dépasser la dimension religieuse. L'École québécoise : une école communautaire et responsable offrait une vision globale soutenant la réorganisation du système scolaire élémentaire et secondaire au Québec. L'école devait devenir une entité corporative sous l'autorité d'un conseil composé de représentants élus par les parents, de délégués du personnel enseignant et non enseignant, de représentants du milieu et d'élèves (au niveau secondaire). Le premier devoir du conseil d'école serait de définir les objectifs scolaires et extra-scolaires, c'est-à-dire le projet éducatif de l'école. Le conseil d'école choisirait le directeur, déterminerait le personnel et recruterait les élèves en fonction de ses objectifs. Les parents seraient en mesure de choisir parmi les écoles de leur milieu celle qui correspond le mieux aux priorités éducatives de leurs enfants. 

Les membres de la commission scolaire régionale proviendraient des conseils d'école, à raison d'un représentant par école. Les commissions seraient beaucoup moins nombreuses que maintenant et auraient la responsabilité des écoles de niveau primaire et secondaire. Il y aurait des structures séparées pour les anglophones sur l'île de Montréal. Les commissions auraient pour mandat de coordonner les services aux écoles et non pas de les gérer. C'est ce transfert de pouvoir qui distinguait le projet Laurin des projets antérieurs et qui lui valut une opposition encore plus acharnée. 

Le projet supposait que les parents étaient prêts à se dépenser pour diriger les écoles de leurs enfants. Les commissions scolaires contestèrent ouvertement cette hypothèse et leur campagne obtint d'importants appuis éditoriaux. Les commissions scolaires se dirent garantes de la démocratie, élues par le peuple pour protéger le système d'éducation contre l'intervention de l'État. Elles invoquèrent le taux extraordinairement faible de participation aux élections scolaires pour prouver le manque d'intérêt des parents à l'administration des écoles. Elles prédirent que la bureaucratie gouvernementale s'arrogerait en fait le pouvoir destiné aux conseils d'école et que la réforme accentuerait la centralisation plutôt que de l'atténuer. 

Quoi qu'il en soit, on n'aura jamais l'occasion de vérifier l'hypothèse fondamentale du projet de réforme. Devant l'opposition au livre blanc, M. Laurin annonça d'importantes modifications au projet. Le projet de loi 40, déposé à l'Assemblée nationale un an après la publication du livre blanc, atténuait la portée décentralisatrice de la réforme. Néanmoins, la loi entraînera la création de conseils d'école là où les parents voudront prendre leurs affaires en main et le centre de la vie éducative se déplacera de façon sensible. 

Le projet de loi 40 remplace la structure confessionnelle non pas par une structure unifiée, comme le livre blanc le proposait pour tout le Québec hors de l'île de Montréal, mais par deux structures linguistiques, l'une régissant les écoles de langue française, l'autre les écoles de langue anglaise. En outre, probablement parce que la communauté anglo-protestante semble toujours résolue à contester la réforme en cour, le projet de loi prévoit des structures confessionnelles pour les collectivités religieuses protégées par la constitution si elles décident d'exercer leurs privilèges. (L'hypothèse, évidemment, c'est que peu de parents voudront s'en prévaloir.) 

Le principal amendement au livre blanc touche la formation des commissions scolaires. Les commissaires seront élus par la population. À chaque école correspondra une circonscription électorale et le commissaire siégera au conseil de l'école. Le rôle de l'école est considérablement diminué. Les conseils d'école dynamiques pourront jouer un rôle de premier plan mais, dans la plupart des cas, les commissions scolaires continueront de jouer à peu près le même rôle qu'aujourd'hui : les nouvelles commissions reproduiront l'ancien rapport hiérarchique, sauf qu'il s'exercera suivant une division linguistique plutôt que confessionnelle. Les changements ne sont pas négligeables, mais ils sont loin des transformations profondes envisagées par le livre blanc. 

Je ne prétendrai pas n'avoir aucune opinion sur le sujet. La voie de la compréhension de sujets controversés passe par l'opinion. J'ai peu de sympathie pour la division confessionnelle du système d'écoles publiques du Québec et je me rapproche en cela de l'opinion publique éclairée. Le système est anachronique. Il ne fait aucun sens dans une société moderne comme celle du Québec. Même s'il a soulevé les hauts cris, le livre blanc n'était pas particulièrement radical sur ce point, ne dépassant pas les recommandations de la Commission Parent en 1966. 

Contrairement à bien d'autres, je n'avais pas de préjugés contre l'aspect plus controversé du projet initial qui visait à faire de l'école le pivot du système d'éducation. Ma pensée politique s'est formée pour le meilleur ou pour le pire dans les années 1960 et au début des années 1970 quand le cri de ralliement réclamait « le pouvoir du peuple ». Nous avons vite compris que de tels slogans étaient plus faciles à dire qu'à réaliser, mais j'en garde quelque chose. Les structures doivent encourager les gens à prendre leurs affaires en main et non pas les en dissuader. La population doit être en prise directe sur ses institutions et prendre la responsabilité d'articuler ses besoins et les moyens de les satisfaire. C'est ce que M. Laurin cherchait à accomplir en réformant une institution qui doit être au premier rang de nos préoccupations : l'école qui éduque nos enfants. 

Le projet était toutefois identifié à un gouvernement particulier à un moment particulier de son histoire. Cette association fut critique. On nous a souvent répété que le vrai pouvoir populaire se prend et ne peut être conféré. Dans la meilleure des conjonctures, la tentative d'un gouvernement de redistribuer le pouvoir aurait donc été suspecte. Or, ce n'était pas la meilleure des conjonctures pour ce gouvernement. En voulant modifier les rapports essentiels en éducation, le projet de réforme suscita non pas de l'enthousiasme mais la méfiance générale. Dans ce climat, la réforme était peut-être condamnée dès le départ. La prétention des adversaires du projet que les parents et les enseignants ne pourraient ni ne voudraient assumer la responsabilité de l'école fut dévastatrice. Dès lors, la retraite était inévitable. Mais la méfiance qu'inspira le projet était-elle inévitable ou fut-elle la conséquence d'erreurs politiques du gouvernement ? Nous discuterons cette question dans le dernier chapitre une fois que nous aurons situé les événements dans le contexte du développement du système d'éducation du Québec. 

On devrait toujours aborder le processus gouvernemental avec une dose de scepticisme. Les principes censés l'inspirer le cèdent invariablement à d'autres moins exaltants. Les bonnes intentions ne sont pas garantes de bons résultats. Mon propre scepticisme est peut-être aussi le produit de ma perspective unique sur les événements que je relate. Anglophone près du parti au pouvoir, j'ai pu prendre connaissance des préoccupations, des intentions et des objectifs réels de ceux qui parrainent la réforme. À l'occasion, j’ai même été consulté sur certains aspects de la réforme quoiqu'on n'ait évidemment pas toujours suivi mes conseils. En même temps, j'étais conscient des angoisses et des appréhensions publiques et privées des principaux adversaires de la réforme, les anglophones. Les critiques formulées par les adversaires du projet Laurin et des projets antérieurs m'ont souvent aidé à cerner les événements. 

Ne nous méprenons pas sur ce qui suit. Il s'agit moins d'un essai sur la réforme que sur sa signification. L'analyse du problème, au-delà des affirmations faciles des deux camps, requiert la compréhension de questions multiples et complexes. Le développement de la structure éducative du Québec, la constitution, les changements démographiques, l'évolution de l'opinion publique, le facteur de la langue, la question de la religion dans les écoles, l'influence des divers groupes de pression et le rôle des partis politiques occupent plus de la moitié des chapitres du livre. 

La structure du livre est à la fois thématique et chronologique puisque chaque thème majeur eut tendance à dominer une période précise de l'histoire de l'éducation. Le premier chapitre décrit le développement du système scolaire du Québec jusque dans l'après-guerre et en fait ressortir les fondements constitutionnels. Le deuxième examine les changements survenus dans les institutions (de même que ceux qui ne sont pas survenus) au cours de la dernière génération. Il examine aussi le cadre législatif du système d'éducation avant la réforme. Le troisième chapitre porte sur la question de la langue qui domine le débat sur l'éducation à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Le quatrième chapitre aborde la question de la religion dans les écoles du Québec et décrit le climat des campagnes électorales scolaires des années 1970. 

Le cinquième chapitre examine la position et l'efficacité politique des divers groupes participant au débat sur la réforme scolaire. Le sixième chapitre expose les grandes lignes du projet Laurin et les principes qui l'inspirent. La réaction des milieux de l'éducation, des groupes de pression, des intellectuels et des éditorialistes au projet Laurin fait l'objet du septième chapitre tandis que le huitième chapitre expose les difficultés auxquelles se heurtèrent les tentatives du gouvernement d'amender le projet de façon à faire taire les critiques. Le neuvième chapitre tire les conclusions et évalue le projet de loi 40 par rapport aux tentatives antérieures de réforme. 

Mon livre s'adresse aux gens ordinaires, non pas aux universitaires. J'ai essayé de m'en tenir aux points essentiels. J'y inclus une bonne quantité de détails non pas pour faire savant, mais parce qu'ils m'apparaissent indispensables à la compréhension de la politique de l'éducation au Québec. Le débat actuel sur la réforme des structures de l'éducation n'est pas d'intérêt que pour les éducateurs et pour les gens qui s'intéressent à l'éducation. La question trame les fils de la religion et de la langue, de la tradition et du modernisme, de la contrainte constitutionnelle et de la volonté politique, de la philosophie éducative et de l'opportunisme politique en un tissu complexe. Le nouveau modèle qui émanera du débat orientera la destinée politique et culturelle du Québec tout comme l'ancien modèle figea la réalité du Québec pour plus d'une centaine d'années.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 1 octobre 2006 12:51
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref