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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Pascal Millet, Le deuil (2006)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Pascal Millet, Le deuil. Université de Franche-Comté, cours EPSSEL sur le deuil et les soins palliatifs, 2006. [Autorisation accordée par l'auteur le 16 septembre 2005.]

Introduction

Le deuil est régulièrement la réaction à la perte d’une personne aimée ou d’une abstraction mise à sa place, la patrie, la liberté, un idéal etc... Il est très remarquable qu’il ne nous vienne jamais à l’idée de considérer le deuil comme un état pathologique et d’en confier le traitement à un médecin, bien qu’il s’écarte sérieusement du comportement normal. Nous comptons bien qu’il sera surmonté après un certain laps de temps, et nous considérons qu’il serait inopportun et même nuisible de le perturber
Sigmund Freud – Deuil et Mélancolie -- 

Le deuil est sans conteste la plus omniprésente, la plus universelle des souffrances éprouvées par l’humanité depuis les temps les plus anciens. Aussi loin que remonte notre connaissance des textes et des traditions, le grand, le premier problème de l’homme est de donner un sens à son expérience répétée de la mort des autres. Ce n’est pas seulement une nécessité personnelle, mais encore un impératif social. 

« Depuis les plus vieux âges, l’homme n’a pas reçu le sexe et la mort comme des données brutes de la nature. La nécessité d’organiser le travail, d’assurer l’ordre et la moralité, condition d’une vie paisible en commun, conduisit la société à se mettre à l’abri des poussées violentes et imprévisibles de la nature : la nature extérieure des saisons folles et des accidents soudains, le monde intérieur des profondeurs humaines, assimilé pour sa brutalité et son irrégularité à la nature, le monde des délires passionnels et des déchirements de la mort. » Ph Ariès L’homme devant la mort- Le seuil -1977. 

Premier des mythes connus, mais probablement lui-même héritier de traditions anciennes de sociétés « premières », le mythe d’Osiris associe la mort à la renaissance, à l’image du rythme des saisons, initiant ainsi la foi dans le cycle des re-incarnations illustré notamment dans le bouddhisme (Samsara) et dans de nombreuses traditions de la Grèce antique (Orphée, Pythagore, Platon, notamment). Héritier lui aussi de traditions plus anciennes (Ancien Testament) le christianisme donne une large place au « discours sur la mort » : enfer, purgatoire, survie des âmes, jugement dernier, rédemption par la mort du christ sur la croix etc...(En fait, et ce peut être un sujet d’exégèse, ces notions se retrouvent très peu dans la Bible, et sont plutôt le fait d’une tradition postérieure : Conciles, Pères de l’Eglise (dont beaucoup sont venus du néo-platonisme) etc..) La foi dans la survie de l’âme dans un « monde des morts » (« l’autre monde ») est largement partagée (judaïsme, christianisme, islam et aussi la plupart des « autres religions »). Mais le discours de l’homme sur la mort ne se limite pas, et de loin, à ces textes « officiels ». Dans chaque famille, il existe ou il existait une tradition de la mort imposant des normes de comportement et d’action jusque dans les événements les plus ordinaires de la vie courante : passage devant la porte d’un cimetière, rencontre avec un endeuillé, évocation du souvenir des morts, célébration des anniversaires, etc... 

Au contraire de beaucoup de sujets, pour lesquels le « progrès des sciences » a amené des améliorations reelles dans la connaissance des phénomènes et dans les possibilités d’en traiter les conséquences, notre monde moderne ne semble pas mieux armé (et c’est une litote) face au deuil que celui de nos ancêtres, proches comme lointains. Philippe Aries a pu même parler, pour la fin du XXème siècle, de mort interdite opposée à la mort apprivoisée du Moyen Âge. 

« On disait autrefois aux enfants qu’ils naissaient dans un chou, mais ils assistaient à la grande scène des adieux, dans la chambre et au chevet du mourant… Aujourd’hui les enfants sont initiés dès le plus jeune âge à la physiologie de l’amour et de la naissance, mais, quand ils ne voient plus leur grand père et demandent pourquoi, on leur répond en France qu’il est parti en voyage très loin et en Angleterre qu’il se repose dans un beau jardin où pousse le chèvrefeuille » G Gorer -- Death, Grief and Mourning 1963. 

C’est probablement parce que la méthode cartésienne qui consiste à faire « table rase » des « croyances » anciennes (cf Discours de la Méthode ) pour générer un savoir « scientifique » nouveau est inadapté à la problématique de la mort. La mort est et demeure irréductible à toute explication « rationnelle ». 

« L’homme n’a jamais pénétré la mort. Il n’a pu que la rêver ou la passer sous silence, comme si elle n’existait pas. » JD Urbain – L’archipel des morts Payot1998—page 21 

« quelques remarques préalables : ma conscience ne fera jamais l’expérience de sa mort, mais elle vivra sa vie durant avec une figure empirique de la mort, celle qu’une société donnée formule à partir de la disparition graduelle de ses membres. C’est l’homme social qui construit des pyramides et des sépultures, qui imagine des rites funéraires, qui réfléchit à la mort et qui la porte en lui la vie durant, grand blessé inguérissable du temps qui passe. C’est l’homme social qui veut en savoir le plus possible, avant qu’il n’ait lieu, sur l ‘événement certain qui mettra fin à son existence. Autrement dit, si la mort est appréhendée par l’intelligence, ce n’est pas sa propre mort que la conscience connaît. Elle ne connaît que la mort des autres, et de la sienne, l’angoisse d’avoir à l’affronter » J Ziegler -les Vivants et la Mort – Points Le seuil 1975 

La contestation des religions, des croyances, des rites face à la mort (et dans une certaine mesure contestation de la mort elle même, par l’illusion que la médecine pourrait régler le problème du deuil par la suppression de la mort) a donc laissé l’homme moderne totalement démuni, face à un phénomène où la science était bien incapable de prendre la place laissée vacante. D’où la froideur de certaines morts « modernes », derrière une porte soigneusement fermée pour « exclure » ce qu’on ne pouvait pas « traiter ». 

Le plus grand des événements récents – la « mort de Dieu »,le fait, autrement dit, que la foi dans le Dieu chrétien a été dépouillé de sa plausibilité –commence déjà à jeter ses premières ombres sur l’Europe. Peu de gens, il est vrai, ont la vue assez bonne, la suspicion assez avertie pour percevoir un tel spectacle ; du moins semble-t-il à ceux ci qu’un Soleil vient de se coucher, qu’une ancienne et profonde conscience est devenue doute : notre vieux monde leur paraît tous les jours plus crépusculaire, plus soupçonneux, plus étranger, plus périmé…. Nous devons désormais nous attendre à une longue suite, à une longue abondance de démolition, de destruction, de ruines et de bouleversements : qui pourrait en deviner assez dès aujourd’hui pour enseigner cette énorme logique, devenir le prophète de ces immenses terreurs, de ces ténèbres, de cette éclipse de soleil que la terre n’a sans doute jamais connue ?... De fait, nous autres philosophes, nous autres « esprits libres », en apprenant que « l’ancien Dieu est mort », nous nous sentons illuminés comme par une nouvelle aurore ; notre cœur, à cette nouvelle, déborde de gratitude, d’étonnement, de pressentiment et d’attente ; voilà qu’enfin, même s’il n’est pas clair, l’horizon de nouveau semble libre, voilà qu’enfin nos vaisseaux peuvent repartir, et voyager au devant de tout péril; toute tentative est de nouveau permise au pionnier de la connaissance; la mer, notre mer, de nouveau, nous ouvre toutes ses étendues; peut être même n’y eut-t-il jamais si « pleine » mer. 

F. Nietsche Le gai savoir 1882 

(NB : je tiens à préciser que je ne partage pas le contenu de cette citation, mais je la cite parce qu'elle illustre une certaine idée de Dieu et de la religion qui me semble en effet avoir mené à "une longue abondance de démolition, de destruction, de ruines et de bouleversements".).  

Heureusement cette fuite devant la mort n’est plus tout à fait partagée par l’homme d’aujourd’hui (août 2001). À la suite, mais aussi en parallèle, avec le mouvement des soins palliatifs, un mouvement « thanatologique » (Louis Vincent Thomas a créé en France la Société de Thanatologie, actuellement présidée par Michel Hanus) a remis en honneur l’étude et la pratique des rites et des traditions funéraires. La reconnaissance de la souffrance du deuil et de ses conséquences sur la santé physique, psychique, affective et sociale a mis en évidence l’utilité d’une reconnaissance, d’un accompagnement, voire parfois d’une « prise en charge ». Mais si nous avons cessé de régresser, nous n’avons pas vraiment sensiblement progressé. Même si des techniques nouvelles de prévention et de prise en charge des deuils [mais plus souvent quand ils sortent du « deuil ordinaire » (deuils pathologiques, prolongés etc..)] peuvent être proposées, le spectacle de la douleur du deuil renvoie fondamentalement le soignant à son impuissance devant la fatalité ultime de la mort et de la souffrance. C’est pourquoi cet exposé sera fait de plus d’interrogations que de certitudes. Toutefois, il est permis d’espérer que notre génération saura trouver des voies nouvelles pour mieux vivre avec la mort et avec les morts (ou retrouver/re-adapter des voies anciennes : notons en particulier le succès actuel du Bouddhisme, lié probablement en partie à son enseignement de la sérénité devant la souffrance et la mort). C’est dans ce sens, me semble-t-il, que l’étude du deuil a une place entière dans un enseignement sur l’éducation et la prévention de la santé. 

« On ne peut donc enrayer ce courant de tristesse collective (nb : ici, le suicide) qu’en atténuant, tout au moins, la maladie collective dont il est la résultante et le signe. Nous avons montré que pour atteindre ce but, il n’était nécessaire ni de restaurer artificiellement des formes sociales surannées et auxquelles on ne pourrait communiquer qu’une apparence de vie, ni d’inventer de toutes pièces des formes entièrement neuves et sans analogies dans l’histoire. Ce qu’il faut , c’est rechercher dans le passé les germes de vie nouvelle qu’il contenait et en presser le développement » E Durkheim – Le suicide --.

Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1 juin 2006 11:37
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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