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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Raymond D. LAMBERT, Marcel J. MÉLANÇON Danielle GAUTHIER, Esther LAPOINTE, Grazyna KIELLER, Richard GAGNÉ, “La personne en génétique: un sujet ou un objet?” Un texte publié dans l’ouvrage  sous la direction de Marcel J. Mélançon et Richard Gagné, Dépistage et diagnostic génétiques. Aspects cliniques, juridiques éthiques et sociaux. Annexe: pp. 199-225. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 1999, 225 pp.. [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 15 juillet 2005 et réitérée le 30 mars 2012 de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[199]

Dépistage et diagnostic génétiques.
Aspects cliniques, juridiques, éthiques et sociaux.

ANNEXE

“La personne en génétique :
un sujet ou un objet ?”
 *

Raymond D. LAMBERT, Marcel J. MÉLANÇON
Danielle GAUTHIER, Esther LAPOINTE,
Grazyna KIELLER, Richard GAGNÉ

Membres du Comité de bioéthique du Centre hospitalier
de l'Université Laval (CHUL) (1993-1995)

Préface
POINTS SAILLANTS DU PRÉSENT DOCUMENT
[1, 2, 3, 4, 5, 66, 7, 8.]

1. LA PROBLÉMATIQUE ET LA DÉMARCHE
2. LES DÉPISTAGES GÉNÉTIQUES
3. LA THÉRAPIE GÉNIQUE
4. LE CONCEPT DE NORMALITÉ
5. CONSENTEMENT ET STOCKAGE DE L’INFORMATION GÉNÉTIQUE ET DE MATÉRIAUX BIOLOGIQUES
6. DIVULGATION D'INFORMATIONS GÉNÉTIQUES ET DILEMME MORAL
7. CONCLUSION
8. LISTE DES RECOMMANDATIONS

[201]


PRÉFACE

Ce document est le fruit d'une réflexion multidisciplinaire du Comité de bioéthique du centre hospitalier de l'Université Laval (CHUL), réflexion qui s'est poursuivie pendant près de trois années (1992-1995).

D'abord initié par un sous-comité mandaté à cette fin et formé de six membres, ce travail a consisté en une recherche bibliographique mais surtout en des rencontres entre des intervenants du domaine de la génétique provenant de notre institution et de l'extérieur, qui ont apporté des points de vue divers, parfois contraires aux positions élaborées.

Après plusieurs rapports d'étape et nombre de discussions avec le Comité de bioéthique, le sous-comité déposait, en 1994, une version qui a ensuite fait l'objet d'une journée intensive de travail à laquelle ont été conviés tous les membres du Comité. La présente version constitue le rapport final.

Les affirmations et les recommandations qu'on y retrouve peuvent toujours être discutées selon divers points de vue, nous en convenons. Ce document se veut une prise de position que nous croyons conforme au mandat du Comité de bioéthique du CHUL qui est entre autres choses de conseiller et de sensibiliser les intervenants du milieu.

Le respect de l'autonomie de l'individu et de sa famille et le caractère résolument privé de l'information génétique, sont au centre des recommandations. Ce document réitère pour la génétique médicale des valeurs fondamentales déjà admises en bioéthique.

Richard Gagné, M.D.
Président Comité de bioéthique du Centre hospitalier
de l'Université Laval

[202]


POINTS SAILLANTS
DU PRÉSENT DOCUMENT



1. Le dépistage génétique

Afin de prévenir la maladie et de promouvoir la santé, le Comité de bioéthique du CHUL affirme qu'il est légitime de procéder à certains dépistages génétiques. Le dépistage non systématique semble, actuellement, la seule façon acceptable de procéder. Pour les maladies graves ou débilitantes, le dépistage systématique facultatif peut, à certaines conditions, se justifier. Pour un dépistage non systématique ou systématique facultatif, il faut que les objectifs soient moralement, socialement et économiquement acceptables. De plus, la vie privée des personnes et leur autonomie doivent être respectées. Les dépistages de maladies sans traitement peuvent être acceptables, à certaines conditions, en recherche et en médecine. Par contre, les résultats des tests de dépistage ne doivent jamais être exigibles par des tiers (par exemple, l'assureur ou l'employeur) ni leur être divulgués sans le consentement explicite, libre et éclairé du patient.

2. Le stockage de l'information et du matériel génétique

Les principes éthiques et les impératifs juridiques sont clairs. Aucun stockage ni utilisation et transfert de matériel biologique ou d'information génétique ne peuvent se faire sans le consentement libre et éclairé du patient directement concerné et ne peuvent être effectués à des fins autres que celles inscrites sur le formulaire de consentement. Tout matériel biologique et toute information génétique obtenus antérieurement sans le consentement libre et éclairé du patient doivent être détruits, à moins qu'ils ne soient rendus anonymes. Un consentement peut être révoqué en tout temps, même verbalement ; en de telles circonstances, les échantillons biologiques et l'information génétique doivent être détruits ou rendus anonymes.

3. L'information génétique dans la prise de décision

Comme la connaissance est essentielle à la liberté de choix, il faut informer le plus complètement possible la personne directement concernée qui veut connaître sa condition génétique. Ainsi, en conseil génétique, cette information doit porter sur les faits et sur les conséquences d'une maladie héréditaire donnée afin que la personne puisse, par exemple, décider sciemment de sa reproduction et de son style de vie. Une personne a toujours le droit de refuser de connaître sa condition génétique.

[203]

4. La divulgation de l'information génétique
et la confidentialité

Il peut y avoir conflit entre le droit de l'individu à la confidentialité de son information génétique et le droit des apparentés de connaître cette information qui peut les aussi concerner. Dans ce cas, le respect de l'autonomie de l'individu et le respect de la confidentialité doivent avoir priorité sur la divulgation de l'information génétique. Toutefois, si la personne dépistée consent à divulguer l'information génétique la concernant, il lui revient, à elle seule ou à la personne qu'elle a choisi pour le faire, de décider de la manière et de l'ampleur de la diffusion de cette information au sein de sa famille. Le dossier génétique ne doit jamais être accessible à des tiers (par exemple, l'assureur, l'employeur, les institutions d'enseignement et les agences gouvernementales) sans le consentement explicite, libre et éclairé des personnes concernées.

5. La thérapie génique

Pour des raisons thérapeutiques, le Comité affirme que la thérapie génique sur des cellules somatiques peut être souhaitable, à condition que les projets de recherche et les traitements novateurs associés à cette forme de thérapie soient évalués par les comités d'éthique pertinents et à condition qu'ils reflètent un choix social. Rien, dans l'état actuel des connaissances, ne peut justifier les greffes de gènes transmissibles aux générations futures. La recherche en thérapie génique germinale chez l'humain doit actuellement être interdite.

6. Le traitement des malades

Dans le traitement des patients, toutes les dimensions de l'être humain et de l'interaction entre son milieu de vie et sa santé doivent être prises en considération. En effet, l'être humain ne peut être réduit à l'une de ses composantes, si importante soit-elle. La pratique et la formation médicales doivent s'ajuster à cette réalité et favoriser l'approche globale.

7. Le sélection d'embryons et de fœtus

Afin d'éviter la destruction d'embryons et de fœtus pour des raisons de convenance, les tests de diagnostics préimplantatoire et anténatal ne doivent être appliqués que dans le cas des maladies débilitantes.

[204]

8. L'information et l'éducation en génétique

Le respect de l'autonomie de la personne et le respect de la confidentialité quant à la non-divulgation de l'information génétique peuvent éventuellement causer certains torts à des apparentés. Pour y remédier, des programmes d'information et d'éducation en matière de génétique doivent s'adresser aux personnes, familles et populations à risque pour les sensibiliser.




1. LA PROBLÉMATIQUE
ET LA DÉMARCHE


Au Québec, depuis la fin des années 1960, le dépistage systématique de maladies comme l'hypothyroïdie, la phénylcétonurie et la tyrosinémie héréditaire se pratique chez le nouveau-né. Ces maladies conduisent respectivement au crétinisme, à une arriération mentale ou à la dégénération hépatique lorsque non traitées. Dans un cadre de réseau, la presque totalité des hôpitaux québécois participent à ce programme. Deux maladies pour lesquelles il n'existe pas de traitement, la maladie de Tay-Sachs (accumulation de lipides au cerveau) et celle de la thalassémie (anémie méditerranéenne) ont aussi été dépistées à l'échelle régio-familiale.

Les développements récents en génétique, grâce en particulier aux investissements massifs dans le programme HUGO, laissent entrevoir des possibilités d'interventions auxquelles il faut se préparer. Se préparer, bien sûr, sur le plan technique, pour assurer à nos populations un service de santé fondé sur des outils diagnostiques et thérapeutiques modernes ; se préparer aussi, car le développement techno-scientifique porte le germe de mutations sociales et défie certaines de nos valeurs fondamentales. Voilà, résumée succinctement, la problématique à laquelle s'est attardé le sous-comité.

Au CHUL, le Département de génétique humaine et d'autres unités de recherche sont à la fine pointe de la recherche en biologie moléculaire et se trouvent donc très bien placés pour récupérer et appliquer la technologie développée sur place ou ailleurs. Déjà, il y est possible d'isoler des gènes, d'identifier des mutations et d'étudier in vitro certaines approches de thérapie génique. Dans un avenir proche, des outils supplémentaires pourront être mis en place comme un laboratoire de cartographie génique. Ces outils techniques sont donc disponibles pour diagnostiquer les maladies [205] géniques et pour dépister massivement ce qui peut l'être, à condition que le support financier nécessaire soit consenti et que l'on fasse du dépistage une priorité. Surgit alors un défi d'ordre éthique : toute anomalie doit-elle être dépistée ? Ce qui est techniquement possible est-il éthiquement et socialement acceptable ?

Ayant dégagé les enjeux de la médecine génétique et ayant évalué les retombées du développement techno-scientifique en la matière, la démarche entreprise par le Comité de bioéthique vise principalement à réfléchir aux conséquences de ce développement pour éventuellement suggérer des balises. Les domaines suivants ont retenu l'attention du Comité

a) le dépistage des maladies géniques
b) la thérapie génique
c) le consentement au stockage de l'information génétique et du matériel biologique
d) la transmission des résultats aux personnes directement concernées et à des tiers
e) l'information du grand public


CATÉGORIES DE MALADIES GÉNÉTIQUES

Il existe trois catégories principales de maladies génétiques :

-   les maladies chromosomiques affectent les chromosomes dans leur nombre (les trisomies 13, 18, 21) ou dans leur structure (translocation, délétion, etc.). Ces maladies sont généralement graves ; d'autres, tel le caryotype XXY, le sont moins ;

-   les maladies géniques affectent un gène sur un chromosome. La tyrosinémie, la fibrose kystique, la dystrophie myotonique en sont des exemples. Plusieurs d'entre elles sont présentement traitables ;

-   les maladies multifactorielles sont dues à l'interaction des gènes et de l'environnement. Tous les gènes prédisposant à certaines maladies, comme les diabètes et les cancers ou, encore, prédisposant à certains comportements sociaux entrent dans cette catégorie, si leur fondement génétique s'avère démontré.


[206]

LES GÈNES

Deux types de gènes peuvent être responsables des maladies héréditaires :

-   les gènes dominants, gènes généralement reliés à la structure cellulaire, par exemple les récepteurs d'hormones ;

-   les gènes récessifs, gènes généralement responsables du fonctionnement cellulaire, par exemple celui des enzymes.

Lorsque ces gènes sont altérés, il s'agit de mutations et, comme conséquences survient un défaut de structure ou une malfonction cellulaire. De plus en plus, les mutations sont repérées, entre autres, par la biologie moléculaire.


LES PORTEURS DE GÈNES

Il faut distinguer deux types de porteurs correspondant aux deux types de gènes responsables des maladies héréditaires :

-   Le porteur d'un gène dominant (ex., maladie de Steinert) est le plus souvent atteint de la maladie. Il est généralement hétérozygote, car il ne porte qu'une copie, la copie dominante, du gène malade. Bien que la maladie puisse se manifester à des degrés de sévérité et avoir des temps d'apparition variables, le porteur développera généralement la maladie. Le rétinoblastome héréditaire est un bel exemple de maladie héréditaire dominante où un individu porteur du gène dominant ne devient pas nécessairement malade. Un porteur ne manifestant pas encore la maladie est appelé porteur asymptomatique.

-   Le porteur d'un gène récessif peut être hétérozygote ou homozygote (ex., fibrose kystique). Dans le cas d'un porteur hétérozygote, un individu n'a qu'une copie du gène défectueux, la copie récessive. Il n'est généralement pas malade, car le gène sain qu'il porte compensera pour le gène malade. Il risque cependant, une fois sur deux, de transmettre le gène à sa descendance. [207] Dans le cas d'un porteur homozygote, les deux gènes sont altérés. Donc, un tel porteur deviendra inévitablement malade à divers degrés et à plus ou moins brève échéance et, en outre, il transmettra un de ses deux gènes malades à toute sa descendance.

En général, le dépistage des porteurs signifie, dans la littérature et dans la pratique, le dépistage d'hétérozygotes.



2. LES DÉPISTAGES GÉNÉTIQUES


2.1 Dépistages à des fins médicales

Les maladies héréditaires peuvent être dépistées principalement par des moyens biochimiques ou par des manifestations cliniques. De plus en plus, ces maladies seront aussi décelées par l'identification des gènes responsables. Si les outils existaient pour identifier les quelque 5 000 maladies génétiques qui affligent l'être humain, chacun ou chacune d'entre nous se découvrirait porteur de gènes codant pour l'une ou plusieurs de ces maladies.

Le dépistage génétique s'effectue pour identifier des personnes souffrant de maladies héréditaires, celles susceptibles d'en souffrir et les porteurs hétérozygotes. Les divers types de dépistage peuvent être classés en trois grandes catégories :

1) le dépistage systématique
2) le dépistage non systématique (proposé ou sur demande)
3) le dépistage par repérage de cas (case finding).

[208]

LES DÉPISTAGES (DÉFINITIONS)


Dépistage systématique :

Obligatoire :

- il ne se fait pas, sauf dans certaines entreprises et dans l'armée
- il est financièrement très coûteux ;
- il exige des ressources humaines très importantes ;
- il pourrait entraîner sur les plans social et moral la coercition, la discrimination et des politiques et pratiques eugéniques.

Facultatif :

- il se justifie :
pour des maladies graves ou fortement débilitantes
lorsqu'un traitement adéquat existe ;
lorsqu'il existe un test de dépistage simple et peu coûteux;
à la condition que les objectifs soient acceptables moralement, socialement et économiquement.

Dépistage non systématique :

Proposé :

- le médecin traitant incite les personnes atteintes ou porteuses à informer les autres membres de la famille pour qu'ils envisagent un dépistage.

Sur demande :

- par ceux et celles qui pensent être atteints, porteurs ou qui veulent connaître leur statut génétique.

Par repérage de cas :

- il s'agit d'un dépistage élargi à partir d'un cas repéré. Au lieu d'informer par le porteur repéré, le médecin traitant ou un autre professionnel de la santé informe les membres de la famille pour qu'ils envisagent un dépistage.

[209]

L'un des objectifs (no 19) du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSSQ) vise la diminution de l'incidence des anomalies congénitales. Pour l'atteindre, il faudrait dépister, notamment, les formes dominantes et récessives des maladies héréditaires. Ce raisonnement vaut pour les porteurs de gènes dominants et pour les porteurs homozygotes récessifs, puisqu'ils verront probablement leurs maladies héréditaires se manifester au cours de leur vie (voir encadrés LES PORTEURS DE GÈNES et DES EXEMPLES DE MALADIES GÉNÉTIQUES). Cela peut aussi être vrai pour les porteurs hétérozygotes de gènes récessifs, car ils peuvent transmettre ces gènes à leur descendance et ainsi faire apparaître la maladie. En effet, la reproduction de deux porteurs hétérozygotes donne, en moyenne, un enfant sur quatre porteur homozygote, donc un enfant malade (voir encadré TRANSMISSION DES GÈNES HÉTÉROZYGOTES RÉCESSIFS).

Dans sa volonté de réduire l'incidence des anomalies congénitales, le MSSSQ pourrait donc préconiser le dépistage de porteurs hétérozygotes de maladies récessives, porteurs n'ayant, selon les connaissances actuelles, soulignons-le, aucun risque de développer la maladie. Une question se pose : en l'absence de raisons cliniques, de tels dépistages seraient-ils éthiquement et socialement souhaitables ?

DES EXEMPLES DE MALADIES GÉNÉTIQUES

L’hypercholestérolémie familiale,
un exemple de maladie dominante


Chez un homozygote, les infarctus successifs risquent d'entraîner la mort en bas âge. La fréquence des porteurs hétérozygotes s'élève à 1 / 150 et, chez ceux-ci, une cholestérolémie élevée et un infarctus survenant prématurément sont observés. Ces individus sont donc prédisposés à développer plus ou moins hâtivement les manifestations de la maladie suivant leurs habitudes alimentaires et leur hygiène de vie. Cinq ou six mutations sont connues au Québec.

[210]

La fibrose kystique, un exemple de maladie récessive

Pour être atteint de la fibrose kystique, l'individu doit recevoir un gène défectueux provenant de chacun de ses parents. Une personne sur vingt serait porteuse du gène muté. Notons aussi qu'au-delà de 700 mutations de ce gène ont été identifiées, mais que 98 % des porteurs sont affectés par seulement cinq mutations.

Il serait possible de dépister les porteurs de chacune de ces maladies, qu'elles soient dominantes ou récessives, puisque les mutations sont connues et que les marqueurs existent déjà. Ce service est d'ailleurs actuellement offert chez les apparentés.


TRANSMISSION DES GÈNES
HÉTÉROZYGOTES RÉCESSIFS


Homme Aa X

Femme Aa

(tous deux sont hétérozygotes récessifs)

AA

Aa

aa

non-porteurs
25%

porteurs
hétérozygotes
(en santé)
50%

porteurs
homozygotes
(malades)
25%

A : gène normal
a : gène récessif anormal



Le dépistage non systématique, qu'il soit proposé ou sur demande, est nettement plus acceptable que le dépistage systématique obligatoire. Ce dernier pourrait entraîner la coercition, la discrimination et des politiques et pratiques eugéniques (voir encadré LES DÉPISTAGES). Par ailleurs, le dépistage systématique facultatif peut se justifier aux conditions énumérées dans l'encadré précité. De plus, il faut s'assurer dans ce cas-ci comme dans celui du dépistage non systématique que :

[211]

1) la confidentialité de la relation médecin-patient ne soit pas brisée;
2) le dépistage ne porte pas atteinte à la vie privée des gens;
3) le dépistage ne brime pas l'autonomie des personnes ;
4) le porteur conserve toujours le droit de se retirer d'un programme de dépistage.

Par conséquent, le comité recommande

#1
Que le dépistage non systématique, proposé ou sur demande, soit la façon habituelle de dépister les maladies héréditaires.

#2
Que le dépistage systématique facultatif soit effectué pour des maladies génétiques graves ou débilitantes, pour lesquelles il existe un traitement, à la condition que ses objectifs soient acceptables moralement, socialement et économiquement.


Les dépistages non systématiques et par repérage de cas ont pour but d'identifier des individus dans une population à risque ou présumée à risque. Certains estiment, par exemple, qu'en procédant de cette façon, 10 000 à 15 000 tests devraient être suffisants pour identifier 80 à 90 % de tous les porteurs hétérozygotes de la fibrose kystique dans la population québécoise en général, contre 100 000 tests par an pour plusieurs années si un dépistage systématique devait être mis en place. Cela constitue un argument supplémentaire qui comporte des incidences économiques et sociales militant en faveur du dépistage non systématique.

Cette approche peut varier avec les sociétés et à l'intérieur d'une même société. Dans certains pays, on procède au repérage des cas dans les groupes à risque en vue d'aider les gens à réduire l'incidence de la maladie et, parfois, on privilégie le moment de la grossesse pour le dépistage. Dans d'autres pays, on irait même jusqu'à offrir les tests de dépistage sur demande, dans les pharmacies par exemple.

Les dépistages nécessitent une collaboration interdisciplinaire franche entre sciences humaines, sciences sociales et médecine génétique en vue d'informer et d'éduquer la population en général. Cela peut se faire par les directions de santé publique (les hôpitaux, les écoles, les associations, etc.). L'effet de ces maladies et les moyens à prendre pour les prévenir [212] peuvent ainsi être connus. À notre avis, l'information et l'éducation contribuent à solutionner le problème en responsabilisant les individus face à la société.

Le conseil génétique auprès des personnes dépistées devient une mesure indispensable. Il se fait en deux volets : la prévention de la maladie et la promotion de la santé. Après discussions avec le médecin généticien traitant et le personnel habilité, la personne décidera d'entreprendre ou de poursuivre une grossesse ou, s'il s'agit de gènes de prédisposition ou de susceptibilité, elle pourra choisir un changement d'environnement ou d'habitudes de vie afin d'éviter ou de retarder l'apparition d'une maladie.

Par ailleurs, l'information et l'éducation pour enrayer les maladies génétiques nécessitent le partenariat des directions de santé publique et des autres organismes concernés.

2.2 Dépistages en l'absence de traitement

Les membres du comité sont réticents à l'idée d'un dépistage génétique en l'absence de traitements curatifs ou palliatifs. Cependant, un tel dépistage peut être acceptable aux conditions suivantes :

1) le patient doit être clairement informé de l'absence de traitement pour la maladie dépistée et il doit signer un formulaire de consentement libre et éclairé ;

2) le dépistage doit se faire uniquement à l'occasion d'études pilotes faisant appel à des populations aussi restreintes que possible, ne dépassant pas, en nombre de patients concernés, les besoins tels qu'évalués par une approche statistique ;

3) le dépistage doit se faire sans pression sur les patients en les informant que des torts peuvent être encourus si des tiers avaient accès au dossier et en leur offrant la possibilité d'un test confidentiel et anonyme.

Ainsi, lorsque ces conditions sont remplies, un dépistage peut se faire en recherche ou en médecine.

En médecine, pour réduire l'incidence des maladies débilitantes ou létales ; le dépistage peut être fait en vue d'un conseil génétique non directif, à partir d'un cas index (dépistage par repérage de cas). Lorsqu'une personne [213] demande un test de dépistage, elle doit être à risque, la maladie doit être sérieuse, la relation patient-médecin doit être privilégiée et la société doit avoir les moyens techniques et financiers pour procéder au dépistage.

En recherche, lorsque, par exemple, les mécanismes, l'étiologie, le mode de diffusion, la mise au point d'un traitement et la fréquence de la maladie génétique sont étudiées.

Ici, comme pour les autres types de dépistages, la diffusion intrafamiliale de l'information revient à la personne dépistée ou à celle qu'elle a choisie pour informer sa famille.

Nous recommandons donc

#3

Que les dépistages génétiques faits en l'absence de traitements curatifs et palliatifs ne soient justifiables qu'aux conditions strictes énumérées en 2.2.


2.3 Dépistages à des fins autres que médicales

Les progrès réalisés en génétique servent, entre autres, à identifier des criminels, des cadavres et à établir la filiation par des tests de paternité. Selon notre source, Immigration Canada fait appel à ces tests d'identification génétique pour établir les liens familiaux avec des apparentés résidant au Canada. Cette filtration des immigrants se fait aussi dans d'autres pays.

Ce type de dépistage, non médical, n'a pas fait l'objet de notre réflexion, compte tenu de notre mandat.


3. LA THÉRAPIE GÉNIQUE


Comme nous l'avons expliqué précédemment, un dépistage devrait sous-tendre la nécessité d'un changement des habitudes de vie, la nécessité d'un choix de procréation ou la nécessité de traitements. Parmi ces derniers traitements s'ajoute, depuis peu, la thérapie génique. Elle peut se faire à deux niveaux : somatique ou germinal.

[214]

La thérapie génique consiste habituellement à introduire une copie normale d'un gène pour pallier le défaut génétique à l'origine de la maladie. De tels traitements expérimentaux sur les cellules somatiques sont actuellement à l'essai un peu partout au monde. Cette approche thérapeutique ne s'appliquera qu'aux maladies monogéniques ; elle ne sera pas appliquée sur une grande échelle.

La thérapie génique sur des cellules somatiques présente moins de difficultés éthiques que la thérapie génique sur les cellules germinales. Celle-ci donne lieu à une greffe de gène devenant transmissible sexuellement et est, pour le moment, universellement interdite sur le plan éthique.

Le comité recommande en conséquence

#4
Que, dans l'état actuel des connaissances, toute tentative de thérapie génique sur des cellules germinales soit strictement interdite.

#5
Que les protocoles de recherche et de traitements novateurs en thérapie génique sur des cellules somatiques soient évalués par des comités de bioéthique, comme il est fait pour tout autre projet concernant des sujets humains.


4. LE CONCEPT DE NORMALITÉ


Jusqu'où ira la génétique moléculaire dans sa démonstration de la programmation du corps humain ? Ira-t-elle jusqu'à démontrer des prédispositions génétiques pour tous les comportements, la fraîcheur poétique et l'extase contemplative en particulier ? Nul ne le sait actuellement. Mais ce questionnement montre que l'interprétation du génome humain et des comportements qui en découlent pourrait aller très loin. Voudra-t-on changer les traits héréditaires, corriger, bonifier pour des raisons non médicales, pour des raisons de convenance, par exemple ? Les espoirs de la génétique moderne, mais aussi les inquiétudes qu'elle soulève, justifiées ou non, sont au cœur même de notre réflexion.

Les nouvelles technologies, les besoins médicaux spécifiques et la curiosité scientifique pourraient pousser certains à poser des gestes [215] éthiquement discutables, voire inacceptables : multiplication des dépistages de toutes sortes, indiscrétion scientifique, utilisation des prélèvements pour des tests auxquels le patient n'a pas consenti, etc. La tentation est grande de prétendre que les découvertes génétiques ne sont que la seule vérité face à l'être humain. Ainsi, l'avenir d'un être humain pourrait-il être réduit, en quelque sorte, à sa carte génétique, à la programmation que celle-ci lui révèle... Que fait-on de sa dimension spirituelle ? N'y a-t-il pas ici une immense part d'inconnu tout aussi importante que la composante matérielle dont les effets ne sont pas mesurables ? L'être humain doit être considéré dans sa globalité et non pas réduit à l'une de ses composantes, si importante soit elle.

À ce sujet, le comité recommande

#6

Que, pour le bien-être des malades, a) l'évaluation médicale soit faite en prenant en considération l'être humain dans sa globalité et en tenant compte de son interaction avec le milieu et b) que la formation des professionnels de la santé soit ajustée à cette réalité.

C'est dans ce contexte de la globalité de la personne que la question de la définition de la norme doit se poser.

Les normes sont des règles établies par une société donnée dans un contexte historique donné. Elles reposent sur les valeurs, les mentalités et les cultures. Une norme est généralement variable par rapport à un contexte historique. Les valeurs morales fondamentales y font exception. L'interprétation de la norme fait appel à des valeurs actuelles ou à un modèle de société donné. Le concept de normalité/anormalité a aussi plusieurs connotations : morale, éthique, sociale, culturelle, médicale, politique, idéologique, économique, géographique, historique et même épidémiologique. Le concept de normalité/anormalité se définit comme étant la conformité ou la non-conformité à une norme établie dans une société donnée.

Appliqué à la vie humaine à toutes ses phases de développement, à sa qualité et à son sens, que signifie le concept de vie humaine normale ou anormale ? Il n'existe pas de consensus à ce sujet. Aussi s'est-on rabattu sur les procédures juridiques et éthiques : information éclairée, décision des parents.

La difficulté à définir la normalité/anormalité existe pour la personne née vivante, même si elle est protégée par le droit civil. C'est lorsqu'il s'agit [216] de la vie anténatale que la définition de la normalité/anormalité suscite le plus de discussions. L'expérience des enfants handicapés a amené le diagnostic anténatal et le conseil génétique. On cherche alors à savoir avant la naissance ce qu'il en est. Selon la nature de l'anomalie décelée, l'interruption ou la poursuite de la grossesse se fera.

À ce sujet, les diagnostics anténatal et préimplantatoire ne doivent être faits que pour les maladies les plus débilitantes. L'utilisation de tests de dépistage ne peut être approuvée dans un but normatif ou de convenance (désir de connaître le sexe fœtal) ou pour des raisons économiques (économies sur les coûts des traitements éventuels, assurabilité d'un enfant à naitre, etc.).

Le comité recommande

#7

Que seules les maladies les plus débilitantes soient dépistées chez le fœtus ou l'embryon.


5. CONSENTEMENT ET STOCKAGE
DE L’INFORMATION GÉNÉTIQUE
ET DE MATÉRIAUX BIOLOGIQUES


L'éthique, à la différence du droit, est non seulement un thermomètre, un reflet de la société, mais elle est aussi un appel au dépassement. « Le but de la morale est de rendre les hommes bons. Le droit se contente de les rendre supportables. » Le droit, comparativement à l'éthique, définit un plancher, un minimum, alors que l'éthique incite à une conduite qui se rapproche de l'idéal. Or, dans un contexte pluraliste et multiculturel, la pensée éthique nord-américaine devient de plus en plus juridique. Nous avons choisi de tenir compte de ces deux aspects, éthique et juridique, dans l'analyse faite ci-dessous.

Le dépistage génétique, incluant le diagnostic anténatal, procure des informations personnelles dont la gestion peut avoir des répercussions tant sur l'individu que sur les apparentés directement concernés.

En effet,

- considérant que l'information génétique contient et génère des renseignements sur la personne concernée, sa famille et sa parenté,

[217]

- considérant que cette information peut être utilisée à des fins non médicales, par exemple pour l'assurance et pour l'emploi, nous croyons que l'information génétique mérite une protection spéciale comparativement à d'autres types d'informations médicales.

Nous recommandons en conséquence

#8

Que nul n'ait accès à l'information génétique sans le consentement libre et éclairé de la personne directement concernée.

Considérant, de plus, la forme et l'esprit de l'article 22 du Code civil du Québec et de la Loi d'accès à l'information, nous sommes d'avis que sans le consentement libre et éclairé de la personne concernée ou de celle habilitée à consentir pour elle :

- aucune information génétique, aucun échantillon biologique, cellulaire ou moléculaire, incluant donc cellules, gènes et ADN, ne doit être stocké et utilisé ;

- aucune nouvelle application, aucun nouveau dépistage et nouveau protocole expérimental sur les échantillons cellulaires ou moléculaires stockés ne doivent être effectués ;

- aucun échantillon biologique, cellulaire ou moléculaire ne doit être transféré d'une institution à une autre (hôpital, centre de recherche, laboratoire, etc.).

En outre, en vertu de l'article 24 du Code civil du Québec et de la Loi d'accès à l'information, toute personne peut, en toutes circonstances et sans préjudice, révoquer son consentement au stockage de l'information génétique ou à l'utilisation des échantillons biologiques prélevés sur elle, à moins que ses échantillons ne soient rendus anonymes. Si ces conditions ne sont pas remplies, toutes les institutions concernées doivent alors détruire l'information génétique et le matériel biologique stockés.

[218]

CE QUE DIT LE DROIT

Art. 22 C. c. Q.

« Une partie du corps, qu'il s'agisse d'organes, de tissus ou d'autres substances, prélevée sur une personne dans le cadre de soins qui lui sont prodigués, peut être utilisée aux fins de recherche, avec le consentement de la personne concernée ou de celle habilitée à consentir pour elle. »

Art. 24 C. c. Q.

« Le consentement aux soins qui ne sont pas requis par l'état de santé, à l'aliénation d'une partie du corps ou à une expérimentation doit être donné par écrit. Il peut toujours être révoqué, même verbalement. »


En conséquence, tout sujet chez qui s'effectue un prélèvement d'échantillon biologique doit être informé clairement des analyses spécifiques qui seront effectuées et des endroits où seront stockés ou exportés ses échantillons de même que des conséquences potentielles de ses choix, à moins que ses échantillons ne soient anonymisés.

En conformité avec les principes éthiques et les impératifs juridiques, nous recommandons

#9

Qu'un consentement libre et éclairé soit obtenu du patient pour tout stockage, toute utilisation, tout transfert a) de matériel biologique prélevé chez lui ainsi que b) pour toute information génétique le concernant.

#10

Que tout échantillon biologique et toute information génétique stockés ou manipulés sans le consentement du patient soient détruits, à moins d'être anonymisés.

[219]

#11

Que le patient puisse, en tout temps, révoquer son consentement et que ses échantillons biologiques et son information génétique soient détruits ou anonymisés.


6. DIVULGATION D'INFORMATIONS
GÉNÉTIQUES ET DILEMME MORAL


La connaissance est essentielle pour un choix libre et éclairé. S'appuyant sur cette liberté, il nous apparaît sage de donner l'information au patient-client même s'il s'agit de questions de santé complexes, même si cela comporte parfois des choix déchirants ou même si le professionnel de la santé considère peu débilitante ou peu sérieuse l'affection génétique.

Peut-on, par ailleurs, divulguer l'information génétique en l'absence du consentement de l'individu concerné ? La question se pose, surtout pour les maladies héréditaires graves. Afin de les prévenir, le médecin traitant pourrait se sentir moralement obligé d'informer les membres de la famille, en particulier les enfants de ce porteur, du risque qu'ils encourent de développer la maladie et de transmettre le gène. Afin de tenter de répondre à cette question, il nous est apparu important de préciser la nature des termes et de situer le débat dans son contexte.

6.1 Personnes concernées

Par « divulgation » de l'information génétique, on entend la transmission de l'information soit :

a) À la personne directement concernée : celle-ci est atteinte ou à risque de développer ou de transmettre une maladie génétique. Elle a consenti à subir des tests pour une maladie génétique spécifique. Elle peut aussi être concernée par des découvertes fortuites.

b) À des tiers parents : il s'agit exclusivement de la famille nucléaire (le couple et ses enfants) qui est à risque.

c) À des tiers non apparentés : ce sont les organismes, institutions ou individus éventuellement intéressés (comme l'employeur, l'assureur, [220] les forces armées, etc.) à obtenir des informations génétiques sur les individus avec lesquels ils sont en relation.

La personne directement concernée a le droit de connaître ou de refuser de connaître sa condition. Ce droit à l'ignorance peut sembler discutable ; mais il n'en demeure pas moins que ce ne sont pas tous les individus qui veulent affronter la connaissance de leur état de santé, surtout s'il s'agit de maladies pour lesquelles il n'y a pas encore de traitement. Ce droit à l'ignorance peut sembler plus discutable lorsqu'il est question de la transmission éventuelle d'une maladie héréditaire. Quoi qu'il en soit, l'information doit être transmise avec compétence et tact si elle respecte la volonté de l'individu de savoir. Dans le cas d'un patient qui veut savoir, la meilleure façon de respecter sa volonté est de l'informer de son état.

Nous recommandons donc

#12

Que, pour la personne concernée, le droit de savoir ou de ne pas savoir soit respecté.

6.2 Dilemme

La divulgation de l'information génétique pose le dilemme entre deux droits :

a) celui de l'individu, atteint ou porteur asymptomatique (maladie dominante), au respect de l'information confidentielle le concernant ; et

b) celui des tiers parents pouvant bénéficier de la divulgation de cette information.

Plus explicitement, doit-on, d'une part, préserver la confidentialité de l'information acquise dans la relation médecin-patient au risque de causer du tort à des tiers parents ? Ou, d'autre part, peut-on briser ou risquer de briser la confidentialité qui est à la base de la confiance dans la relation médecin-patient et, ce faisant, risquer de causer du tort au patient directement concerné ?

[221]

La divulgation de l'information génétique fait surgir le dilemme sur les plans :

a) éthique
b) médical
c) juridique
d) culturel


6.3 Problématique


a) Sur le plan éthique

Le respect de la confidentialité relève de la justice dans les rapports interpersonnels. Il oblige à la fidélité à la parole donnée de la part d'un professionnel de la santé, à ne pas transmettre l'information acquise dans la relation médecin-patient, sans l'autorisation expresse du patient. Il s'agit, sur le plan déontologique, de respecter la confidentialité découlant du contrat implicite établi entre le professionnel et le patient. La confidentialité est une des valeurs professionnelles et sociales à la base de la pratique médicale et de l'estime sociale envers le corps médical. Seuls des cas exceptionnels prévus par la loi permettent de passer outre cette valeur fondamentale.

b) Sur le plan médical

Les maladies héréditaires ne sont pas transmises de la même façon que les maladies infectieuses. Les risques encourus en épidémiologie génétique ne sont pas du même ordre que ceux rencontrés en épidémiologie infectieuse. Quelles sont les maladies graves qui pourraient justifier de ne pas respecter le choix de la confidentialité fait par un patient ? Est-ce que les torts à des tiers parents, causés par la non-divulgation de l'information génétique, peuvent être assez graves pour qu'ils aient préséance sur l'autonomie de l'individu qui opte pour la non-divulgation ?

c) Sur le plan juridique

Quel serait l'impact du bris de confidentialité de l'information génétique ? Le nouveau Code civil du Québec ne permet pas de cas d'exception.

[222]

d) Sur le plan culturel

Les mentalités et les liens familiaux entre adultes ont changé radicalement depuis le début de ce siècle. Par exemple, les liens familiaux sont beaucoup plus lâches, voire, dans certains cas, éclatés, ce qui rend la diffusion de l'information et le dépistage intrafamiliaux plus complexes. La réaction des tiers parents face à l'information obtenue et l'impact qu'aurait le bris de confidentialité sur eux sont-ils prévisibles ?

Le Comité n'a pas la prétention d'apporter des réponses à toutes les questions posées ci-dessus. Cependant, il ressort des discussions une tendance au respect de l'autonomie de l'individu et de la confidentialité. Contrairement à la procédure utilisée pour certaines maladies infectieuses, contagieuses et à déclaration obligatoire, le Comité est d'avis que la divulgation de l'information génétique revient à la personne dépistée ou à celle qu'elle choisit pour informer la famille et non pas au médecin traitant ou à tout autre professionnel de la santé ou de la recherche, à moins qu'il n'y soit expressément autorisé.

Pour respecter l'autonomie de l'individu et la confidentialité, nous recommandons

#13

Que, malgré la complexité ou la nature de l'information génétique, il est préférable de divulguer cette information au sujet plutôt que de la taire.

#14

Que l'information génétique soit divulguée exclusivement par la personne directement concernée ou par celle qu'elle mandate à cet effet, et cela, peu importe le type de dépistage.

En conséquence :


1) l'ampleur de la divulgation d'une information génétique relève de la volonté de la personne directement concernée ou de son substitut mandaté ;

2) le médecin traitant ou tout autre professionnel de la santé ou de la recherche ne peut, en aucune circonstance, et pour aucune raison, même médicale, briser la confidentialité de l'information génétique.


[223]

Néanmoins, l'application de ce principe peut causer un malaise. Conscient du dilemme et des torts physiques ou sociaux potentiels liés à la non-divulgation de l'information génétique aux tiers parents, et pour en amoindrir ses conséquences, le Comité préconise l'instauration de programmes d'information et d'éducation, destinés d'abord aux populations à risque et ensuite au public en général. Des citoyens mieux informés sont plus ouverts au problème, et plus responsables.

Face aux torts éventuels liés à la non-divulgation de l'information génétique touchant les tiers parents, nous recommandons

#15

Que des programmes d'information et d'éducation soient instaurés auprès des familles ou des populations à risque afin de les sensibiliser aux conséquences possibles de cette non-divulgation.


7. CONCLUSION

Les recommandations qui précèdent sont le fruit de plusieurs réunions de travail du sous-comité et du Comité de bioéthique du CHUL. Toutes ces recommandations ont été faites dans l'intérêt général des porteurs asymptomatiques et des patients.

Ainsi recommandons-nous :


1) que les médecins et les scientifiques changent certaines attitudes et adoptent des comportements conséquents, sur les plans éthique et légal, en regard du dépistage génétique, de la thérapie génique, de la divulgation de l'information génétique et du stockage tant de l'information génétique que du matériel biologique ;

2) que l'information présentée ici soit diffusée auprès du grand public afin de le sensibiliser à ses droits et d'alimenter sa réflexion sur le sujet.


Nous souhaitons, surtout, que notre contribution à la réflexion sur l'éthique en génétique permette aux professionnels de la santé et aux chercheurs de s'adapter aux exigences nouvelles créées par les développements médicaux, juridiques et scientifiques récents.

[224]


8. LISTE DES RECOMMANDATIONS

1. Que le dépistage non systématique, proposé ou sur demande, soit la façon habituelle de dépister les maladies héréditaires.

2. Que le dépistage systématique facultatif soit effectué pour des maladies génétiques graves ou débilitantes, pour lesquelles il existe un traitement, à la condition que ses objectifs soient acceptables moralement, socialement et économiquement.

3. Que les dépistages génétiques faits en l'absence de traitements curatifs et palliatifs ne soient justifiables qu'aux conditions strictes énumérées en 2.2.

4. Que, dans l'état actuel des connaissances, toute tentative de thérapie génique sur des cellules germinales soit strictement interdite.

5. Que les protocoles de recherche et de traitements novateurs en thérapie génique sur des cellules somatiques soient évalués par des comités de bioéthique, comme on le fait pour tout autre projet concernant des sujets humains.

6. Que, pour le bien-être des malades, a) l'évaluation médicale soit faite en prenant en considération l'être humain dans sa globalité et en tenant compte de son interaction avec le milieu et b) que la formation des professionnels de la santé soit ajustée à cette réalité.

7. Que seules les maladies les plus débilitantes soient dépistées chez le fœtus ou l'embryon.

8. Que nul n'ait accès à l'information génétique sans le consentement libre et éclairé de la personne directement concernée.

9. Qu'un consentement libre et éclairé soit obtenu du patient pour tout stockage, toute utilisation, tout transfert a) de matériel biologique prélevé chez lui ainsi que b) pour toute information génétique le concernant.

10. Que tout échantillon biologique et toute information génétique stockés ou manipulés sans le consentement du patient soient détruits, à moins d'être anonymisés.

[225]

11. Que le patient puisse, en tout temps, révoquer son consentement et que ses échantillons biologiques et son information génétique soient détruits ou anonymisés.

12. Que, pour la personne concernée, le droit de savoir ou de ne pas savoir soit respecté.

13. Que, malgré la complexité ou la nature de l'information génétique, il est préférable de divulguer cette information au sujet concerné plutôt que de la taire.

14. Que l'information génétique soit divulguée exclusivement par la personne directement concernée ou par celle qu'elle mandate à cet effet, et cela, peu importe le type de dépistage.

15. Que des programmes d'information et d'éducation soient instaurés auprès des familles ou des populations à risque afin de les sensibiliser aux conséquences possibles de cette non-divulgation.


Les membres du Comité de bioéthique du CHUL (1993-1995) :

Carmen Allard, René Boisvert, François Boucher, Carole Côté, Floriane Dostie, Benoît Dumais, Richard Gagné, Sylvie Garand-Rochette, Danielle Gauthier *, Michel T. Giroux, Raynald Gosselin, Christinejandet-Brunet, Grazyna Kieller* ' Raymond D. Lambert*, Mary Lamontagne, Esther Lapointe*, Gérard Martineau, Marcel J. Mélançon*, Michel R. Morissette, Aline Lavoie-Poirier, Paul-Émile Poirier, Hélène Rochette, Réal Samson* et Jocelyne Thibault.


* Ce rapport est disponible sur le site Internet suivant : LIEN (1999)

* Membres du sous-comité qui ont rédigé le rapport préliminaire, le rapport final à la suite des modifications apportées par les membres du Comité (1995), et le chapitre de ce livre-ci : « Lignes directrices pour le stockage d'échantillons biologiques et pour la conservation d'informations génétiques ».



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1 novembre 2012 12:43
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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