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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Marcel J. Mélançon, «Deux nouveaux “soins de fin de vie” pour “mourir dans la dignité” au Québec: l'euthanasie et l'aide médicale au suicide.» Un texte publié dans Anerkennung, Sterben, Tod, KULTUREN DER WÜRDE, pp. 181-198. Herbert Utz Verlag GmbH, 2014, 234 pp. Collection ta ethika, band 14. [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 28 novembre 2014 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

[181]

Marcel J. Mélançon

professeur-chercheur en bioéthique,
retraité de l'Université du Québec à Chicoutimi.

« Deux nouveaux “soins de fin de vie”
pour “mourir dans la dignité” au Québec :
l'euthanasie et l'aide médicale au suicide. »

Un texte publié dans Anerkennung, Sterben, Tod, KULTUREN DER WÜRDE, pp. 181-198. Herbert Utz Verlag GmbH, 2014, 234 pp. Collection ta ethika, band 14.

Introduction

I. LE RAPPORT EN SYNTHÈSE

Modifier la législation
Modifier les codes de déontologie et légiférer

II. CONSIDÉRATIONS

1. Une position prévisible
2. L'originalité québécoise
3. Un héritage de la Révolution tranquille
4. Une révolution sémantique

III. LES PRINCIPES DIRECTEURS

1. La « Dignité humaine »
2. La « Dignité ... subjective »
3. La dignité physique et mentale

IV. L'ACCUEIL ET LES CRITIQUES

1. La « manipulation du langage »
2. Le rôle du Collège et du Barreau du Québec.
3. Un argumentaire biaisé

V. L'IMPACT IMMÉDIAT ET À MOYEN / LONG TERME

1. Au Québec
2. Au Canada

CONCLUSION


INTRODUCTION

La Commission parlementaire spéciale mise sur pied en 2009 par le Gouvernement du Québec pour étudier les enjeux entourant la fin de vie vient de déposer son Rapport à l'Assemblée nationale du Québec (22 mars 2012) [1]. Suite à un débat intensif et une vaste consultation publique qui ont duré plus de deux ans [2], elle y présente ses conclusions et ses recommandations pour modifier la législation. Un document de consultation « Mourir dans la dignité » (mai 2010) [3] avait été publié pour guider la réflexion collective.

Le débat social, présentement en veilleuse (printemps 2012), reprendra certainement un second souffle lorsque la législation sera débattue au [182] Parlement québécois. Pour l'instant, ce Rapport intitulé « Mourir dans la dignité » [4] propose 24 recommandations au Gouvernement du Québec.

Les deux recommandations centrales ont trait à la modification des lois pertinentes pout reconnaître l'euthanasie et le suicide assisté comme une « aide médicale à mourir » en tant que « soin approprié enfin de vie » [5], et pout en déterminer les conditions d'acceptabilité [6].

Le texte qui suit propose une brève synthèse du Rapport, suivie de considérations sur la position qui y est adoptée, sut son héritage social, sa révolution sémantique, ses principes justificateurs, son accueil et ses critiques, ainsi que sur son originalité pat rapport à l'Europe.

I. LE RAPPORT EN SYNTHÈSE

Le rapport (180 p.), illustré et de lecture facile, s'ouvre sur le contexte qui a conduit au mandat de la Commission [7], suivi de la définition des divers termes cliniques et juridiques essentiels à la discussion sur les soins en fin de vie [8].

L'euthanasie y est définie comme étant un « Acte qui consiste à provoquer intentionnellement la mort d'une personne à sa demande pour mettre fin à ses souffrances » [9], et le suicide assisté comme étant le « Fait d'aider quelqu'un à se donner volontairement la mort en lui fournissant les moyens de se suicider ou de l'information sur la façon de procéder, ou les deux » [10]. Euthanasie et aide au suicide sont considérées comme une « aide médicale à mourir » et comme « soin approprié enfin de vie » [11].

[183]

Le Rapport lui-même comprend deux grandes parties.

La première partie traite des pratiques déjà existantes en fin de vie : le refus de traitement, l'arrêt de traitement et les soins palliatifs au Québec ; ceux-ci font l'objet des six premières recommandations, à savoir : dresser l'inventaire de la pratique actuelle, des soins à domicile, de la formation des professionnels de la santé, et établir une politique en matière de soins palliatifs, de même qu'un rapport à l'Assemblée nationale (Recommandations 1-6).

Le Collège des médecins doit élaborer un guide des normes sur la sédation palliative (Recommandation 7). Les directives médicales anticipées (ou « testaments de vie ») doivent être reconnues par une loi pertinente (Recommandation 8), être incluses dans le dossier médical du patient (Recommandation 9), et être mises à jour (Recommandation 10). La population et le personnel de la santé doivent être informés sur la planification de la fin de vie (Recommandation 11). Un guide d'information sur la fin de vie devrait être remis à la personne qui reçoit un diagnostic de maladie incurable (Recommandation 12).

La seconde partie propose « une option de plus » aux pratiques déjà existantes en fin de vie, à savoir l'euthanasie et l'aide médicale au suicide.

Les principaux arguments » contre « ces deux pratiques, traditionnellement interdites, sont passés en revue, dont ceux voulant que l'euthanasie nuise, entre autres, à la relation de confiance patient/médecin, au développement des soins palliatifs, au bien commun, ou conduise à des dérives. Ces arguments sont réfutés dans la perspective des membres de la Commission, à savoir que l'euthanasie et le suicide assisté sont compatibles avec l'évolution des valeurs sociales, de la médecine et du droit québécois, et qu'un encadrement strict de l'euthanasie (l'expérience européenne semble le confirmer) pourrait éviter les abus.

Modifier la législation

Les deux recommandations les plus importantes on trait à la modification des lois pertinentes pour intégrer à la pratique médicale, à certaines conditions, l'euthanasie et le suicide assisté en tant que soins médicaux appropriés en fin de vie.

[184]

« La Commission recommande que les lois pertinentes soient modifiées afin de reconnaître l'aide médicale à mourir comme un soin approprié enfin de vie si la demande formulée par la personne respecte les critères suivants, selon l'avis du médecin » :

être résident du Québec, majeur et apte à consentir, atteint d'une maladie grave et incurable, en condition de déchéance avancée sans perspective d'amélioration, aux prises avec des souffrances physiques ou psychologiques constantes et insupportables, faire une demande écrite et réitérée. Le médecin traitant doit consulter un autre médecin indépendant (Recommandation 13).

« La commission recommande que les lois pertinentes soient modifiées afin de prévoir les balises suivantes : »

demande écrite et demande réitérée ; consultation d'un autre médecin compétent en la pathologie, indépendant du patient et du médecin traitant. (Recommandation 14).

Dans ces conditions, le Procureur général du Québec devrait émettre des directives pour qu'un médecin qui aurait pratiqué l'aide à mourir ne soit pas poursuivi s'il a respecté les critères (Recommandation 20). Une instance de contrôle, un rapport annuel sur les statistiques et un rapport quinquennal à l'Assemblée nationale devraient être établis (Recommandations. 15 et 16).

Modifier les codes de déontologie et légiférer

Le Collège des médecins du Québec devrait modifier son Code de déontologie (Recommandation 21), de même que l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (Recommandation 22) en regard de la nouvelle pratique, face à laquelle on aurait droit à l'objection de conscience.

Finalement, la Commission recommande qu'un projet de loi soit présenté à l'Assemblée nationale pour juin 2013 afin de donner suite à ses recommandations (Recommandation 23).

[185]

Un comité spécial

La dernière recommandation porte sur la mise sur pied d'un comité mixte qui étudierait la possibilité, pour une personne atteinte d'une démence due à une maladie dégénérative du cerveau, de faire une demande anticipée d'aide médicale à mourir (Recommandation 24).

Ces recommandations constituent-elles une révolution ou une évolution au Québec ? Les deux hypothèses sont valables.

II. CONSIDÉRATIONS

1. Une position prévisible

Le contexte immédiat du débat laissait prévoir quelle pourrait être la position générale du Rapport. Plusieurs raisons militent en ce sens.

D'abord, il eût été étonnant que le Québec prenne une direction autre que celle du courant international (Europe, USA) issu des Pays-Bas et de la Belgique en 2002.

Ensuite, la morale du Québec laïc et multiethnique issu de la Révolution tranquille est devenue une éthique de l'autonomie qui se réfère à la Charte des droits et libertés plutôt qu'à la morale catholique des années 1960.

De plus, le corps médical a joué un rôle prédominant en 2009. Le document de réflexion du Collège des médecins du Québec intitulé Le médecin, les soins appropriés et l'euthanasie [12] a lancé le débat ; la Commission parlementaire le reconnaît dans son Rapport [13]. Les publications de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec et de la Fédération [186] des médecins spécialistes du Québec [14] ont suivi, accentuant le débat en y militant pout la promotion de l'intégration de 1' »aide médicale à mourir « dans la pratique médicale de fin de vie. Leurs mémoires respectifs [15] [16] [17] [18] ont influencé la Commission parlementaire qui l'a reconnu dans son Rapport.

En outre, le puissant Barreau du Québec a publié un important dossier sur le droit en fin de vie [19], corroborant la position médicale du point du vue du droit à l'autonomie qui justifie l'aide médicale au suicide et l'euthanasie.

Enfin, les sondages québécois d'opinion publique et leur constance face [187] à l'euthanasie (70-80% en faveur) [20] étaient des indicateurs de direction, en plus des témoignages poignants présentés lors des auditions publiques qui réclamaient l'aide à mourir dans des circonstances particulières.

Il est à noter que la publication (novembre 2011) du Rapport du Groupe d'experts de la Société Royale du Canada sur la Prise de décision enfin de vie [21], soutenant vigoureusement que l'aide médicale à mourir est conforme à la Charte canadienne, est contemporaine des délibérations qui ont précédé la rédaction du Rapport de la Commission québécoise. Elle a pu exercer une influence sur ses membres.

2. L'originalité québécoise

La législation et l'expérience des pays ou États européens et américains est présentée dans la longue Annexe V du Rapport (trente-cinq pages) [22]. Le Rapport s'inspire très largement des positions européennes et américaines quant aux conditions ou critères d'acceptabilité de l'euthanasie et du suicide médicalement assisté ; le contraire aurait été étonnant, puisqu'elles ont fait l'objet d'un débat et d'une expérience pratique.

Cependant, le débat québécois, la consultation publique et le Rapport de la Commission parlementaire se démarquent nettement, et à plusieurs points de vue, de ces pays ou États. Quelles sont les originalités ?

La dignité humaine. D'abord, le débat de société (non terminé), la consultation publique et la Commission parlementaire se sont explicitement déroulés sous la thématique de la » dignité humaine « appliquée à la fin de vie. La Commission elle-même et son Rapport portent précisément le titre de « Mourir dans la dignité ». Une thématique aussi explicite est caractéristique et propre au débat québécois.

 [188]

L'ensemble de la fin de vie. En outre, le débat, les auditions du public et des spécialistes, ainsi que le Rapport ont considéré non seulement l'euthanasie et l'aide au suicide, mais l'ensemble des pratiques médicales de la fin de vie, telles les directives médicales anticipées, le refus et l'arrêt de traitements, la sédation palliative, les soins palliatifs, etc., auxquels on veut ajouter deux options de plus en fin de vie : celles du recours à l'euthanasie et au suicide assisté [23].

La priorité aux soins palliatifs. Les Parlementaires sont explicites et le répètent à de multiples reprises : en fin de vie, la priorité revient à la dispensation des soins palliatifs pour la majorité des patients, sauf dans des cas d'exception [24]. D'ailleurs, six recommandations sur quatorze portent sur les soins palliatifs. La thématique des soins palliatifs avait d'ailleurs dominé dans les consultations et les mémoires.

Une ample consultation démocratique. Que l'on soit favorable ou non à l'euthanasie et à l'aide au suicide, on doit reconnaître que le débat a été social et la consultation collective. Tous les individus, organismes, institutions qui voulaient faire entendre leur point de vue en avaient l'opportunité ; les mémoires déposés en témoignent [25]. L'ampleur de la consultation et de la participation des citoyens [26] est notable : publication d'un document de consultation (32 000 exemplaires), questionnaire en ligne (6 558 réponses), plus de 16 000 commentaires reçus (courriel, poste, etc.), 32 experts entendus (médecine, droit, éthique, théologie), 273 mémoires déposés, 239 personnes et organismes entendus dans 8 villes du Québec, le tout suivi de 21 rencontres durant la mission européenne, et de 31 sessions de travail de la Commission. La consultation a été sans contredit l'une des plus démocratiques.

Le rôle du Collège des médecins et du Barreau du Québec. Il a été [189] déterminant dans le lancement et l'orientation idéologique du débat québécois par rapport à d'autres pays ou États. Leur présence active dans les forums, les débats, les médias oraux ou écrits en témoigne. De plus, le Rapport de la Commission cite fréquemment et reconnaît explicitement avoir été influencé pat leurs écrits favorables à 1'« aide médicale à mourir » [27].

3. Un héritage de la Révolution tranquille

Dans un contexte plus général, un observateur ne peut s'empêcher de voir ces recommandations dans le sillage de la Révolution tranquille [28] et à la lumière de la société qui en est issue.

En effet, la société québécoise s'est métamorphosée depuis les années 1960. Le Québec est passé d'un peuplement homogène à une population multiethnique, d'un État religieux à un État laïc où les Commandements de Dieu et de l'Église ont fait place aux Commandements de l'Homme dictés par la Charte des droits et libertés (1972) et parla révision des dispositions du code civil du Québec (1994) qui consacrent les principes d'autonomie et de respect de la personne. Ces principes sont applicables en fin de vie.

Les membres de la Commission présentent longuement leurs recommandations favorables à l'aide médicale à mourir comme étant le résultat d'une évolution des valeurs sociales en général, de la relation patient-médecin, ainsi que du droit [29]. Ils le répètent périodiquement tout au long du Rapport.

4. Une révolution sémantique

Le changement de vocabulaire où l'euthanasie et le suicide assisté deviennent des « soins médicaux » en fin de vie, constitue indéniablement [190] l'une des différences majeures par rapport aux autres pays ou États. Cette révolution sémantique est présente dans le Rapport québécois et le débat qui l'a précédé. Elle constitue une différence notable d'avec les autres pays ou États : l'euthanasie, traditionnellement qualifiée d’« acte porteur de mort », devient une « aide médicale », faisant partie d'un « continuum de soins » en fin de vie. Mais, selon la Commission, il s'agit là d'une « approche innovatrice » [30] qui dégage du contexte de réprobation dans lequel ce terme baignait depuis des millénaires : « Tout au long des travaux de la Commission, l'expression “aide médicale à mourir” s'est imposée graduellement d'elle-même. Le mot “aide” renvoie à la valeur incontournable de l'accompagnement. Quant au terme “médicale”, il précise la nature de l'accompagnement, qui suppose l'intervention du médecin et du personnel soignant. L'expression “aide médicale à mourir” est donc celle que nous avons retenue ». [31] Ce changement de vocabulaire provient du Collège des médecins [32]. Il a fait l'objet de critiques très sévères (voir plus loin).

III. LES PRINCIPES DIRECTEURS

1. La « Dignité humaine »

Le débat social et la consultation publique sur la fin de vie se sont explicitement déroulés sous la thématique de la « dignité humaine » appliquée au « Mourir avec dignité ». C'est le titre de la Commission parlementaire : Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité, [33] de son Document de consultation : Mourir dans la dignité (mai 2010) et de son Rapport final : « Mourir dans la dignité » (mars 2012).

Pourquoi faire appel à la dignité humaine ? Parce que le concept de « dignité humaine » est un concept omniprésent dans la littérature occidentale d'après-guerre (philosophie, éthique, droit, théologie). Au Québec, il est devenu un concept fondateur des droits de la personne depuis [191] la Charte des droits de la personne (1972) [34], il est passé dans le langage citoyen est devenu un patrimoine collectif [35]. Il est polysémique (tous peuvent s'y reconnaître), et rassembleur (chacun perçoit ce concept selon son interprétation.). Partisans et opposants s'en réclament donc pour défendre leur position, faisant appel à ce qui est le propre de l'être humain : la conscience et la liberté.

La Commission le reconnaît donc explicitement et la place au fondement même de la nouvelle politique qu'elle veut instaurer pour la pratique médicale en fin de vie [36].

2. La « Dignité ... subjective »

En éthique, la dignité est intrinsèque à tout être humain, du seul fait de son appartenance à l'humanité en tant que personne consciente et libre - à la différence des autres vivants. Ce statut lui confère le respect et l'inviolabilité dans sa décision lorsque son choix est libre, éclairé, et s'exerce dans le respect d'autrui.

La dignité « subjective » à laquelle fait appel la Commission est cette dignité qui concerne cet individu-ci en tant que sujet autonome. Elle est relative et personnelle à chacun durant sa vie et à la fin de sa vie. « En toute logique, il en découle que c'est la personne mourante qui est la mieux placée pour évaluer si sa vie est encore digne d'être vécue (…). Ainsi comprise, la dignité humaine est largement tributaire du regard que la personne porte sur elle-même. Il peut donc être contraire à sa propre dignité de continuer à vivre ». [37]

[192]

3. La dignité physique et mentale

« Mourir dans la dignité » implique l'absence de douleurs et de souffrances qui déshumanisent la capacité de penser et de s'autodéterminer. Dans le langage antérieur à la Révolution tranquille des années 1960, « Mourir avec dignité » pouvait signifier « mourir en bon catholique » après avoir reçu les derniers sacrements. Dans le langage du Rapport, « Mourir dans la dignité » signifie être capable de choisir le moment et le comment de sa propre mort avant que la dégradation ou la déchéance physique et mentale ne surviennent, en bénéficiant de l'aide médicale pour que tout se passe « en douceur ». « L'étendue et la complexité de ces souffrances rendent parfois difficile, voire impossible, leur soulagement complet. En effet, elles peuvent être vécues par la personne elle-même comme une déchéance »[38]

IV. L'ACCUEIL ET LES CRITIQUES

Dans l'immédiat, le dépôt du Rapport a été accueilli avec applaudissements et ovation debout à l'Assemblée parlementaire du Québec (22 mars 2012). Le Collège des médecins, les Associations des médecins spécialistes et généralistes, de même que le Barreau du Québec se sont réjoui des recommandations comme répondant aux nouvelles problématiques sociales et médicales. Tous les éditoriaux des médias francophones écrits (La Presse, Le Devoir, La Tribune, La Voix de l'Est, Le Soleil) ont été positifs, sauf un qui a manifesté des réserves en style humoristique (Le Quotidien). Dans un bref communiqué de presse, l'Assemblée des Évêques du Québec se réjouit de la position sur l'accès aux soins palliatifs, mais se dissocie des recommandations sur l'euthanasie et l'aide au suicide [39].

Quant aux recensions et analyses parues dans les revues médicales et scientifiques, la sortie du Rapport est encore trop récente (trois mois) pour dresser un inventaire de l'accueil dans les analyses parues dans les [193] revues médicales ou scientifiques, sauf un éditorial du Canadian Medical Association Journal (juin 2012) : « The ethics of euthanasia are a familiar debate in Canada ; one that may hâve been theoretical until recently, because of the tacit assumption that doctors do not kill people. In Quebec, the debate is moving from theory toward practice. Which way will legislation go ? Will the rest of Canada follow ? Those who care about the answers to these questions must speak up now, and with conviction. » [40].

Des critiques nombreuses ont déjà été émises dans l'immédiat (tribunes téléphoniques, médias oraux et écrits, articles). En voici une synthèse.

1. La « manipulation du langage »

La critique la plus sévère porte sur le changement de langage. Elle provient surtout, mais pas exclusivement, des médecins qui s'objectent à l'euthanasie et à l'aide au suicide.

Comme mentionné (ci-haut), les vocables traditionnels d'« euthanasie » et d'« aide au suicide » deviennent des « soins médicaux », des « soins appropriés » dans un « continuum de soins » de fin de vie. Ce changement constitue une « approche innovatrice » selon la Commission, qui dégage du contexte de réprobation dans lequel ce terme baignait depuis des millénaires [41]. Mais, selon les critiques, cette intégration aux soins est équivoque et constitue un « détournement de langage ». On laisserait entendre qu'il existera une séquence dans les soins en fin de vie : on traite d'abord, on passe ensuite aux soins palliatifs, puis on termine logiquement avec l'euthanasie ou l'aide au suicide.

Certaines autres critiques y ont vu, dans une société nord-américaine de marketing, une entreprise de relations publiques, une stratégie de certains médecins et juristes qui changent le libellé du message pour en déguiser le vrai contenu afin de mieux faire accepter ce qui était inacceptable [194] jusqu'alors, à savoir le meurtre d'un mourant (qui serait mort de toute façon).

Selon d'autres, ce changement sémantique permet aussi de sortir les concepts d'euthanasie et d'aide au suicide de leur caractère d'illégalité au Canada. En effet, dans le code criminel canadien, ils constituent des actes criminels. En changeant le libellé du concept et en le faisant entrer dans le domaine des « soins » et de l'« aide médicale », ils tombent alors sous la juridiction de Loi sur la santé et les services sociaux québécoise qui, elle, peut être modifiée. L'euthanasie et l'aide médicale au suicide peuvent alors être considérés comme une « aide médicale à mourir » conforme à la loi et à la déontologie médicale.

D'autres encore ont carrément traité de « manœuvre linguistique », de « détournement sémantique » d’« association frauduleuse » entre un concept bienfaisant (l'aide, le soin) et un concept malfaisant (l'euthanasie et l'aide au suicide).

2. Le rôle du Collège et du Barreau du Québec.

La Commission mentionne et reconnaît très souvent qu'elle a été impressionnée et influencée par les positions émises dans les documents du Collège et du Barreau. Cependant, le corps médical et les associations infirmières ne sont pas tous unanimes face à l'éventualité de la modification de la loi.

Les principales critiques proviennent surtout des départements et des membres des soins palliatifs qui soutiennent que l'euthanasie et l'aide au suicide sont radicalement incompatibles avec la pratique médicale. Plusieurs mémoires ont évoqué cet argument.

D'autres se sont demandé si le Rapport n'avait pas été »téléguidé« par certains stratèges du Collège et du Barreau, compte tenu de leur militantisme, voire du « lobbying » de leurs représentants dans les forums, les auditions, les médias et auprès de la Commission.

Certains s'interrogent aussi sur les motivations des promoteurs de l'euthanasie et de l'assistance au suicide. Pourquoi ce changement ? S'agit-il toujours de compassion ou de crainte des poursuites ? D'une lassitude face au traitement de malades chroniques qui n'en finissent plus de mourir ? De patients qui nécessitent des ressources hospitalières et financières qui [195] pourraient être mieux utilisées dans le réseau de la santé ? L'impact de cet aspect économique à court et long terme est largement traité dans le changement éventuel de la loi québécoise sur la santé et les services sociaux.

3. Un argumentaire biaisé

Certains critiques ont indiqué que certains arguments » contre « ont en quelque sorte été esquivés et qu'il y avait un biais dans le traitement de l'argumentaire. Ainsi, à partir d'un postulat favorable à l'euthanasie et à l'aide médicale au suicide, on n'aurait tenu compte que des arguments militant en ce sens, ce qui rend l'ensemble de l'argumentation peu convaincante. De plus, la grille d'analyse suit la séquence suivante : « L'argument apporté est que., cependant nous sommes d'avis que », ce qui situe le Rapport dans l'ordre de l'option plutôt que de l'argumentation. En d'autres termes, les membres de la Commission avaient un biais antérieurement à sa consultation du public, biais en faveur de l'euthanasie et de l'aide médicale au suicide.

4. L'expérience européenne relativement récente (1002-2011) est fréquemment prise comme référence et argument favorable à l'aide médicale à mourir. Certains critiques soulignent qu' on ne réfère pas à des articles de revues médicales qui rapportent des cas d'abus ou de non respect des conditions légalement admises pour l'euthanasie et le suicide médicalement assisté.

Bref, si le Rapport est généralement bien accueilli au Québec, il est indéniablement reçu avec d'importantes critiques par d'autres Québécois.

V. L'IMPACT IMMÉDIAT
ET À MOYEN / LONG TERME


Dans son Rapport ne fait que des recommandations à l'Assemblée nationale du Québec pour modifier les lois pertinentes, notamment la Loi de la santé et des services sociaux en regard de ses conclusions de consultation publique. Il propose à cet effet un projet de loi pour juin 2013.

[196]

Même si la loi n'est pas encore modifiée, le Rapport a déjà un impact immédiat au Québec et au Canada.

1. Au Québec

Un tribunal pourrait difficilement condamner un médecin qui aurait pratiqué 1’« aide médicale à mourir » s'il avait respecté les conditions stipulées dans le Rapport. Médecin et avocat disposeraient d'une ample argumentation pour défendre une cause. D'ailleurs la Cour suprême de la Colombie-Britannique vient d'émettre un jugement à l'effet que l'aide au suicide n'est pas contraire à la constitution canadienne.

Les postulants qui voudraient se faire euthanasier ou aider dans leur suicide ont déjà une porte entr'ouverte devant eux avec la disponibilité de quitter la vie avant échéance.

Les étudiants en médecine et en sciences infirmières devront, à court terme, être informés des ouvertures faites par le Rapport de la Commission. À moyen et long terme, s'il y a modification de la loi québécoise, ils devront être formés à l'encadrement de la pratique médicale et infirmière à l'aide à mourir. Les manuels de déontologie, d'éthique, de droit et de médecine devront être modifiés, revus et corrigés en fonction de la nouvelle vision de l'euthanasie et de l'aide au suicide devenues des « aides médicales à mourir ».

Un réaménagement social s'imposera aussi dans l'information et la formation idéologique face aux divers choix qui sont disponibles à la fin de la vie, notamment les soins palliatifs et l'»aide médicale à mourir«.

Mais le tout n'est pas encore décidé quant à l'orientation définitive au Québec. Pour l'instant, la discussion s'est atténuée pour diverses raisons, mais elle reprendra certainement lors des débats parlementaires pour la modification éventuelle de la Loi sur la santé et les services sociaux.

2. Au Canada

Ce Rapport a aussi des répercussions au Canada puisque les diverses provinces sont en interrelation au plan social, légal et idéologique. L'éventuelle [197] modification de la loi provinciale québécoise, proposée par la Commission parlementaire, met en question la loi fédérale qui criminalise l'euthanasie et l'aide au suicide.

Un éditorial récent (juin 2012.) du Canadian Médical Association Journal (CMAJ) [42] observe que la consultation québécoise est un premier pas vers une modification du code criminel canadien, mais que cette modification nécessite un dialogue national et une action du législateur fédéral. Elle ne peut être laissée à la seule décision de la Cour d'une province, telle la Cour suprême de la Colombie-Britannique qui, dans le jugement Carter v. Canada [43] (juin 2012), déclare que l'interdiction de l'aide médicale au suicide est inconstitutionnelle.

« The ethics of euthanasia are a familiar debate in Canada ; one that may have been theoretical until recently, because of the tacit assumption that doctors do no kill people. In Quebec, the debate is moving from theory toward practice. Which way will legislation go ? Will the rest of Canada follow ? Those who care about the answers to thwse questions must speak up now, and with conviction. » [44]

La position des éditorialistes de la Canadian Medical Association diffère profondément de celle des Associations de médecins du Québec et du Collège des médecins du Québec. Dans le premier cas, on qualifie l'euthanasie d’« therapeutic homicide » (titre de l'éditorial), dans l'autre de « soin médical » en fin de vie.

[198]

CONCLUSION

La Commission parlementaire « Mourir dans la dignité », la consultation publique et le débat social étaient nécessaires pour clarifier la situation sur les choix (individuels et sociaux) en fin de vie au Québec.

Son Rapport récemment déposé (mars 2012) recommande la modification des lois québécoises pertinentes pour intégrer l'euthanasie et le suicide assisté dans la pratique médicale à titre de « soins » dans un « continuum des soins de fin de vie ».

L'accueil de ce Rapport par les médias et par plusieurs organismes a été favorable, même si la position générale ou les recommandations ne font pas l'unanimité. De nombreuses critiques se sont cependant élevées, ayant trait principalement à la raison d'être de la médecine, au rôle du Collège des médecins et du Barreau du Québec, au changement de vocabulaire qui fait de l'euthanasie et du suicide assisté des »soins appropriés« en fin de vie.

Si le Parlement du Québec donne suite aux recommandations de la Commission parlementaire, la vigilance et la surveillance de la nouvelle pratique seront nécessaires pour la protection des plus vulnérables en société, car les arguments de pente dangereuse demeureront toujours en vigueur. L'État, les institutions et les organismes humanitaires devront développer des mécanismes de sécurité pour éviter la banalisation de la pratique, les débordements, ou l'arrivée de motifs autres que la compassion.



[1] GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, La Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité dépose son rapport, 12 mars 2012. LIEN.

[2] ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Les grandes étapes des travaux de la Commission parlementaire spéciale sur la question de mourir dans la dignité.

[3]       ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Mourir dans la dignité. Document de consultation, mai 2010. LIEN.

[4] GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Commission spéciale Mourir dans la dignité. Rapport, mars 2012. 180 p. LIEN.

[5] Rapport, cité à la note 4, Recommandation 13.

[6] Rapport, cité à la note 4, Recommandation 14.

[7] Rapport, cité à la note 4, p. 11-15.

[8] Rapport, cité à la note 4, p. 17-19.

[9] Rapport, cité à la note 4, p. 17.

[10] Rapport, cité à la note 4, p. 18.

[11] Rapport, cité à la note 4, p. 101.

[12] COLLÈGE DES MÉDECINS DU QUÉBEC, Le médecin, les soins appropriés et l'euthanasie. Document de réflexion. Octobre 1009. 7 pages. LIEN.

[13] Rapport, cité à la note 4, p. 60.

[14] FÉDÉRATION DES MÉDECINS SPÉCIALISTES DU QUÉBEC, Sondage sur l'euthanasie, IPSOS, septembre 2009. LIEN.

La FMSQ dévoile les faits saillants de son sondage sur l'euthanasie. Octobre 2009. LIEN. (Consulté le 29 juin 2012).

[15] COLLÈGE DES MÉDECINS DU QUÉBEC, Consultation sur la question de mourir dans la dignité. Mémoire présenté à la Commission de la santé et des services sociaux. février 2010. LIEN. En général : LIEN.

[16] FÉDÉRATION DES MÉDECINS SPÉCIALISTES DU QUÉBEC, Droit de mourir dans la dignité. Mémoire présenté à la Commission de la santé et des services sociaux le 15 février 2010. Mise à jour : août 2010. 18 pages. LIEN.

[17] FÉDÉRATION DES MÉDECINS OMNIPRATICIENS DU QUÉBEC, Mémoire de la FMOQ à la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité. 24 août 2010. 18 pages. LIEN.

[18] ASSOCIATION MÉDICALE DU QUÉBEC. Document de réflexion sur le droit de mourir dans la dignité. Présenté à la Commission de la Santé et des services sociaux dans le cadre des consultations particulières et auditions publiques, 16 février 2010, 11p. LIEN.

[19] BARREAU DU QUÉBEC, Pour des soins de fin de vie respectueux des personnes, septembre 2010. 32 pages. LIEN.

[20] Rapport, cité à la note 4, p.11.

[21] COLLÈGE ROYAL DU CANADA, Rapport Prise de décisions en fin de vie. Novembre 2011. Rapport du Groupe d'experts, 138 pages. LIEN.

[22] Rapport, cité à la note 4, « Annexe V. Les expériences étrangères en matière d'euthanasie et de suicide assisté et le programme de la mission en Europe », p. 145-180.

[23] Rapport, cité à la note 4, Partie I. Les soins de fin de vie : pour une bonification de ce qui existe, p. 21 et suiv.

[24] Rapport, cité à la note 4, p. 59.

[25] MÉMOIRES DÉPOSÉS À LA COMMISSION PARLEMENTAIRE SUR LA QUESTION DE MOURIR DANS LA DIGNITÉ. LIEN.

[26] Rapport, cité à la note 4, p. 12-14.

[27] Rapport, cité à la note 4, p. 60-61.

[28] GOUVERNEMENT DU C/UÉBEC, Révolution tranquille : 50 ans, un courant d'inspiration. LIEN.

[29] Rapport, cité à la note 4, p. 48-52.

[30] Rapport, cité à la note 4, p. 60.

[31] Rapport, cité à la note 4, p. 78.

[32] Rapport, cité à la note 4, p. 60-61.

[33] Rapport, cité à la note 4, p. 64.

[34] BRUNELLE Christian, La dignité dans la Charte des droits et libertés de la personne : de l'ubiquité à l'ambiguïté d'une notion fondamentale. Revue du Barreau / Numéro thématique hors série 145, 2006 p. 145-174.

[35] MELANÇON Marcel J., « Signification(s) de “Mourir dans la dignité” : Le Québec en débat ». Communication présentée au Séminaire international « Würde is nicht Dignitas », Friedrich Schiller-Universität Jena (Allemagne), 19-20 janvier 2012. À paraître.

[36] Rapport, cité à la note 4, p. 64.

[37] Rapport, cité à la note 4, p. 64-65.

[38] Rapport, cité à la note 4, p. 57.

[39] ASSEMBLÉE DES ÉVÊQUES CATHOLIQUES DU QUÉBEC, Réaction de l'Assemblée des évêques catholiques du Québec à la publication du rapport. Communiqué de presse, Montréal, 29 mars 1012. LIEN. (Consulté le 29 juin 1012).

[40] FLEGEL Ken, FLETCHER John, Choosing when and how to die : Are we ready to perform therapeutic homicide ? Editorial. Canadian Medical Association Journal (CMAJ), vol. 184, no 9. (Early Issued). LIEN.

[41] Rapport, cité à la note 4, p. 60.

[42] FLEGEL Ken, FLETCHER John, Choosing when and how to die : Are we ready to perform therapeutic homicide ? Editorial. Canadian Medical Association Journal (CMAJ), vol. 184, no 9. (Early Issued). LIEN.

[43] BRITISH COLUMBIA SUPREME COURT, Carter v. Canada (Attorney General), 2012 BCSC 886 (CanLII) retrieved on 2012-07-05. LIEN.

[44] FLEGEL Ken, FLETCHER John, cité.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 9 décembre 2014 10:59
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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