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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Marcel J. Mélançon, “Le dépistage des porteurs sains de gènes récessifs: considérations éthiques”. Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Marcel J. Mélançon, Bioéthique et génétique. Une réflexion collective. Chapitre 1, pp. 23-31. Chicoutimi, Québec : Les Éditions JCL, 1994, 156 pp. [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 15 juillet 2005 et réitérée le 30 mars 2012 de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

Marcel J. Mélançon

Philosophe, professeur chercheur en bioéthique
à l'Université du Québec à Chicoutimi
Directeur du Groupe de recherche en génétique et éthique du Québec (GÉNÉTHIQ)

Le dépistage des porteurs sains
de gènes récessifs :
considérations éthiques
.”

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Marcel J. Mélançon, Bioéthique et génétique. Une réflexion collective. Chapitre 1, pp. 23-31. Chicoutimi, Québec : Les Éditions JCL, 1994, 156 pp.



Le dépistage des porteurs sains de gènes récessifs délétères (porteurs hétérozygotes) sera probablement un des enjeux éthiques et sociaux prioritaires dans le domaine de l'intervention génétique auprès des individus, des familles ou des populations. C'est ce qui ressort de mon engagement dans la recherche en bioéthique et en génétique. Ma contribution à la réflexion collective d'aujourd'hui portera donc sur cette question du dépistage des porteurs.


PRIORITÉ DE LA QUESTION

Quatre raisons militent en faveur de la priorité
de la question du dépistage des porteurs


La première raison concerne l'état de la situation actuelle pour la fibrose kystique. Celle-ci est une maladie paradigmatique qui peut servir de modèle pour le dépistage d'autres maladies récessives. Elle est la maladie génétique la plus commune dans la race blanche où environ une personne sur 25 serait porteuse du gène. La découverte du gène en 1989, et l'identification de plus de 200 mutations du gène, donnent l'occasion d'entreprendre des programmes de dépistage des porteurs dans la population en général. Des études pilotes et des dépistages sont déjà effectués. Divers modèles de dépistage ont récemment été rapportés et discutés : le dépistage avant la grossesse, dès le diagnostic de la grossesse ou durant la grossesse, et très récemment le diagnostic de la fibrose kystique chez des embryons avant l'implantation, suite à la fécondation in vitro, d'où la possibilité de dépistage embryonnaire. Deux principaux courants de pensée se sont démarqués depuis 1989. L'un soutient que des programmes de dépistage systématique devraient [24] commencer et que le dépistage devrait être un service offert aux populations. L'autre soutient que de tels programmes sont prématurés : il faudrait attendre l'identification de presque toutes les mutations, conduire des études pilotes, réfléchir sur l'opportunité, les objectifs et le bien-fondé de tels dépistages. Je me situe dans ce deuxième courant de pensée.

La seconde raison qui fait considérer le dépistage des porteurs comme une question éthique et sociale prioritaire concerne le programme de cartographie et de séquençage du génome humain (projet HUGO). Il généralisera très certainement, dans un avenir plus ou moins rapproché, la situation qui prévaut actuellement pour la fibrose kystique et l'étendra à quantité d'autres maladies. En effet, les progrès des connaissances en génétique moléculaire et le développement des technologies qui en découleront conduiront à l'identification des gènes délétères et au développement de tests génétiques fiables pour dépister la plupart, sinon toutes les maladies récessives connues.

Une troisième raison a trait à la mise en place progressive d'infrastructures informatiques qui permettent et permettront la cueillette, la conservation, voire la centralisation des données génétiques. Ces infrastructures pourraient faciliter la réalisation de programmes d'identification et d'intervention auprès des individus, des familles et des populations atteintes ou à risque de maladies héréditaires.

Quatrièmement, la problématique éthique et sociale du dépistage des maladies récessives est nettement différente de celle des maladies dominantes, par exemple la chorée de Huntington ; dans ce dernier cas, le porteur du gène déficient est toujours atteint, quel que soit le degré d'expression de la maladie, même s'il n'en manifeste pas encore les symptômes. Le but principal du dépistage est alors d'offrir des traitements curatifs ou palliatifs au patient. Par contre, dans les maladies récessives (telle la mucoviscidose ou fibrose kystique), un [25] porteur (homme ou femme) d'un gène déficient est dit porteur hétérozygote. Il est asymptomatique et ne sera jamais malade, puisqu'il possède une copie saine du gène. Il risque cependant de transmettre une fois sur deux le gène à sa descendance. Le but du dépistage des porteurs hétérozygotes n'est donc pas thérapeutique mais préventif : informer les individus de leur condition pour qu'ils puissent faire des choix de reproduction éclairés face aux générations futures, et diminuer le taux d'incidence de la maladie en société, en évitant de transmettre le gène. Ce n'est donc pas l'individu lui-même, mais les générations futures et la société qui bénéficieront du dépistage.

Bref, pour ces quatre raisons, la question du dépistage des porteurs de gènes récessifs m'apparaît être l'une des questions éthiques prioritaires en génétique médicale, et particulièrement au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Aussi je voudrais présenter les considérations et positions suivantes.

Le dépistage des porteurs peut se faire à deux niveaux, celui d'une population et celui de la famille à risque. Quelle approche privilégier, celle de la macro-échelle ou celle de la micro-échelle ?


LES DÉPISTAGES DANS LA POPULATION


Rappelons qu'un dépistage génétique systématique est un processus d'envergure qui consiste à identifier, par diverses méthodes, de façon planifiée et structurée, sur une échelle plus ou moins grande, des personnes ou catégories de personnes atteintes ou susceptibles d'être atteintes d'une maladie génétique (qu'elles en manifestent ou non les symptômes) et qui risquent de transmettre le gène à la descendance. Selon l'ampleur, le dépistage peut être national, provincial ou régional. Le moment du dépistage peut varier (dépistage prénatal, néonatal, chez les enfants, chez les adultes). Enfin, le dépistage peut être fait sur demande ou être proposé.

[26]

Les programmes de dépistage systématique des porteurs, réalisés sur une macro-échelle, comportent des risques majeurs pour les individus et les populations dépistées. L'expérience des années 1960 et 1970 aux États-Unis, notamment, pour l'anémie falciforme chez les Noirs, la phénylcétonurie, la maladie de Tay-Sachs chez les Juifs, l'a démontré. Ces risques ont trait au consentement libre et éclairé, aux erreurs de diagnostic, à la confidentialité et à la vie privée, à la discrimination face à l'emploi et aux assurances, à la stigmatisation sociale des porteurs, à l'absence de suivi en conseil génétique, aux découvertes fortuites telles la non-paternité. À la suite de cette expérience, des lignes directrices ont été élaborées aux États-Unis : celles du Hastings Center (1972), de la National Academy of Sciences (1975), de la President's Commission (1983). Elles ont formulé des principes directeurs pour juger de la valeur éthique et sociale des objectifs, de l'organisation et de la réalisation des dépistages génétiques.

Ces risques passés, inhérents à tout programme de dépistage systématique dans les populations, sont toujours présents et les erreurs du passé pourraient se répéter. Ces risques sont même amplifiés dans le nouveau contexte économique, technologique et social des années 1990. Mentionnons trois domaines.

Un premier risque a trait aux pressions économiques. La fin de l'État providence a conduit à une période de récession qui amène les pays bien nantis à effectuer des compressions budgétaires dans le secteur de la santé. Il est possible que des pressions économiques s'exercent sur les décideurs politiques pour que soient entrepris des dépistages systématiques de porteurs afin de réduire le coût des maladies héréditaires. De plus, des intérêts financiers, notamment ceux des compagnies pharmaceutiques, peuvent exercer des pressions pour le dépistage des porteurs dans les populations.

Un second risque est lié à la recherche en génétique qui [27] s'est accélérée depuis trente ans. Dans quelle mesure des chercheurs ou des centres de recherche n'influenceraient-ils pas les politiques sociales avec l'objectif de la recherche épidémiologique dans les populations ?

Un troisième risque concerne le développement de l'informatique. L'informatisation et la centralisation des données génétiques sur les individus, les familles et les populations accroissent les risques pour la confidentialité et la vie privée. Les échanges entre chercheurs et centres de recherche posent de façon aiguë la question de l'accès à l'information génétique et de son contrôle. Les compagnies d'assurances et les employeurs auraient des intérêts à accéder d'une façon ou d'une autre à ces informations ; des publications récentes attirent l'attention sur la discrimination génétique possible face à l'emploi et à l'assurance.

Bref, les programmes de dépistage systématique des porteurs dans les populations poseront des questions éthiques, juridiques et sociales de plus en plus cruciales. Face aux risques qu'ils comportent, le dépistage intra-familial est à privilégier.


LE DÉPISTAGE INTRA-FAMILIAL


Le dépistage intra-familial se situe à une micro-échelle, celle de la famille nucléaire ou étendue. L'approche du cas par cas, famille par famille, est le lieu de relations humaines tandis que l'approche collective donne lieu à l'anonymat et à la multiplicité des intervenants. Les rapports interpersonnels, concernés dans la relation médecin-patient-famille, offrent la meilleure protection contre divers risques personnels et sociaux liés au dépistage. Cette approche intra-familiale assure la primauté du bien du patient, protège mieux l'autonomie des personnes, le consentement libre et éclairé, et le contrôle de l'information génétique en regard de l'emploi et de l'assurance. Au plan pratique, le nombre réduit de personnes favorise la qualité et [28] l'interprétation des tests, l'accès aux ressources de santé, l'aide et le suivi en conseil génétique, et la solution des problèmes liés aux découvertes fortuites, telle la non-paternité.


LE DÉPISTAGE SUR DEMANDE
ET LE DÉPISTAGE PROPOSÉ



Dans l'état actuel des choses (très grande fiabilité des tests pour la fibrose kystique), suite au diagnostic positif d'un enfant dans un couple, il relève de la responsabilité professionnelle du médecin d'indiquer au couple qu'il serait important d'informer les autres membres de la famille (la parenté) de l'existence des tests de porteurs et de leurs avantages pour connaître, s'ils le souhaitent, leur statut génétique en regard de leur descendance potentielle. Le dépistage peut cependant s'opérationnaliser de deux façons : il peut être « proposé » ou « sur demande ».

Dans un dépistage « proposé », l'initiative relève du médecin et de son équipe. Ils peuvent, s'ils découvrent la présence d'un enfant atteint dans un couple, contacter directement les membres de la parenté, sans passer par l'intermédiaire de ce couple, pour offrir des tests de dépistage de porteurs àdes personnes qui ne les ont pas demandés et qui pourraient en être perturbées. La relation de confidentialité avec le malade et ses parents, le respect de la vie privée, le risque de susciter divers problèmes (familiaux ou autres) occasionnés lors d'un dépistage non demandé, empêchent une équipe médicale de contacter directement les membres de la parenté. À l'extrême, une éventuelle pratique de « harcèlement génétique » dans les familles, au nom de la solidarité génétique intra-familiale, ou par souci de diminuer le taux d'incidence de la maladie dans une population, serait inacceptable.

Dans un dépistage « sur demande », par contre, la démarche consiste à faire informer les membres de la parenté, par l'entremise du couple, de la possibilité du risque génétique et de l'existence de tests de porteurs. Si ce couple néglige, omet [29] ou refuse de servir d'intermédiaire, il serait inacceptable de passer outre, ce qui est une garantie nécessaire pour la protection de la confidentialité et de la vie privée des familles. Dans l'éventualité où ils sont informés par le couple, les membres de la parenté contactent alors le médecin lorsqu'ils sont prêts à subir ces tests. Le médecin doit cependant être conscient qu'il fait face à une nouvelle catégorie de « patients », les porteurs hétérozygotes, qui ne sont ni ne seront malades. Ces patients sont des personnes bien portantes qui, bien qu'éveillées à la présence de la maladie dans leur parenté, ne s'attendent probablement pas à être éventuellement diagnostiquées porteurs. En cas de diagnostic positif, l'équipe médicale doit être en mesure d'assurer l'aide et le suivi appropriés à leur condition de porteurs, et de gérer les hasards liés au dépistage (par exemple la non-paternité). Il en serait ainsi pour des individus informés, dans des régions ou groupes ethniques à risque, qui décideraient de subir les tests de porteurs pour une maladie récessive donnée, telle la fibrose kystique.

Dans le dépistage intra-familial sur demande, la relation médecin-patient-famille préserve mieux les enfants et les adolescents, comparativement aux dépistages dans la population. En 1972 déjà, on s'interrogeait sur le dépistage d'enfants d'âge préscolaire ou de préadolescents ou adolescents. Ce dépistage crée un problème psychologique particulier, celui de l'atteinte à l'image de soi. Les adolescents sont déjà aux prises avec les problèmes liés à l'adolescence (recherche d'identité, sexualité, insertion sociale, etc), et la reproduction ne constitue pas une priorité. Dans l'éventualité où ils seraient diagnostiqués porteurs, ils seraient confrontés à un problème additionnel, celui d'assumer leur statut génétique de porteurs. De plus, divers auteurs attirent l'attention sur le risque de discrimination, notamment à l'école. Certains soutiennent même que l'utilisation, chez les enfants, de techniques de dépistage systématique dans des populations, dans des buts autres que thérapeutiques, notamment pour la recherche, est contraire aux principes de la Déclaration de Helsinki.

[30]


CONCLUSION


À la suite de l'expérience passée des dépistages génétiques, et face aux nouveaux risques liés au dépistage des porteurs sains de gènes récessifs délétères (porteurs hétérozygotes), quatre conclusions se dégagent.

Les programmes de dépistage systématique des porteurs hétérozygotes dans la population en général ou dans les populations à risque comportent des risques qui se sont accrus depuis les années 1960. Face à ces risques, l'approche privilégiée, au plan clinique, déontologique et éthique, est le dépistage des porteurs qui s'effectue à l'intérieur de la famille où la maladie est présente. Ce dépistage doit être précédé notamment d'une information et d'une éducation adéquates sur la possibilité de transmettre la maladie à la descendance. Dans tous les cas, le test de porteur doit être assumé librement par des personnes éclairées.

Tout dépistage des porteurs hétérozygotes qui s'effectuerait dans un contexte autre que familial, et sans la présence de la maladie dans la famille (sans indication médicale formelle), constituerait une problématique clinique, déontologique et éthique radicalement différente du dépistage intra-familial.

Le dépistage intra-familial, effectué dans la relation médecin-patient-famille, constitue l'approche la plus sécuritaire pour les individus et les familles, face aux risques liés au dépistage des porteurs hétérozygotes.

Marcel J. Mélançon


[31]


BIBLIOGRAPHIE

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Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1 novembre 2012 8:28
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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