RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Marcel J. Mélançon, “Clone-toi et sois immortel. Le clonage: ses entendus, malentendus et sous-entendus.” Entrevue de Hugo Edison avec Marcel J. Mélançon, M.Sc., Ph.D. In Fine Pointe.com, le magazine québécois des nouvelles technologies, vol. 5, no 3, 2000, pp. 6-9. [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 15 juillet 2005 et réitérée le 30 mars 2012 de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[6]

Marcel J. Mélançon

Philosophe, professeur chercheur en bioéthique
à l'Université du Québec à Chicoutimi
Directeur du Groupe de recherche en génétique et éthique du Québec (GÉNÉTHIQ)

Clone-toi et sois immortel.
Le clonage:
ses entendus, malentendus
et sous-entendus
.”

Entrevue de Hugo Edison avec Marcel J. Mélançon, M.Sc., Ph.D. In Fine Pointe.com, le magazine québécois des nouvelles technologies, vol. 5, no 3, 2000, pp. 6-9.


Marcel J. Mélançon, M.Sc., Ph.D. Professeur et chercheur en bioéthique à l'Université du Québec à Chicoutimi.

Également détenteur d'un doctorat en philosophie et d'une maîtrise en médecine expérimentale (génétique humaine) de la Faculté de médecine de l'Université Laval, monsieur Mélançon, plusieurs fois conférencier au Japon et en Europe, est aussi l'auteur de « Le génome humain : une responsabilité éthique et sociale », et « Diagnostic et dépistage génétique », deux ouvrages publiés aux Presses de l'Université Laval.


Question 1.

L'agence France-Presse annonçait récemment que Raël pouvait faire un clone humain pour 200 000 $. Ma première question est la suivante : la fine pointe de la biotechnologie permet-elle de cloner un être humain dans l'état actuel des connaissances? Qu'en pensez-vous ?

Réponse

Il y a des entendus, des malentendus et des sous-entendus dans la perception du clonage chez beaucoup de gens. Nous parlons ici, il va sans dire, du clonage à but reproductif (produire des individus) et non à but thérapeutique (produire des cellules souches embryonnaires à des fins de régénération de tissus ou d'organes déficients).

Il est d'abord entendu que la fine pointe de la biotechnologie, et de ses progrès fulgurants, rend le clonage humain possible. À preuve, les débats qui sont suscités et les lois ou projets de lois qui sont élaborés dans certains pays d'Occident. Le clonage d'individus est déjà réalisé chez des mammifères tels les souris, brebis, les porcs, les veaux, avec un taux de succès très faible (à peine quelques pour cent) et avec certaines pathologies développées chez quelques clones. Si le modèle animal est applicable à l'homme, il est aussi entendu que le clonage humain est techniquement possible, voire probable. Des embryons humains sont déjà clonés depuis 1993, mais leur durée de vie a été limitée.

[7]

Les méthodes de clonage peuvent être différentes. Les deux principales sont la séparation in vitro des blastomères (division des cellules souches totipotentes de l'embryon immédiatement après la fécondation in vitro), scission que l'on trouve spontanément aussi dans la nature (les jumeaux/jumelles homozygotes identiques). La seconde s'effectue par transfert de noyau, méthode utilisée pour la brebis Dolly en 1997. Le résultat serait le même : réalisations de copies génétiquement identiques (ou presque) d'un même individu. Cependant il ne faut pas confondre « génécité » et « personnalité ». Les jumeaux homozygotes ont la même génécité, mais possèdent chacun leur propre personnalité.

Quant à ce que j'en pense, en référant aux parents du bébé décédé que Raël annonçait récemment cloner aux Bahamas et au tarif auquel vous faites allusion, deux réflexions me viennent immédiatement à l'esprit. D'une part, il peut y avoir exploitation de sentiments humains face à la mort. Le couple pourrait penser « récupérer » leur enfant par une sorte de « retour à la vie » grâce à la fine pointe de la biotechnologie, et des vendeurs d'idéologie pourraient en tirer profit par la séduction du clonage. Là réside un autre malentendu : il n'existe pas de « résurrection génétique » grâce à un miracle de la génomique. On ne meurt qu'une fois et c'est pour toute la vie... Le résultat du clonage éventuel, pour le couple, donnerait un jumeau identique de leur défunt bébé, mais celui-ci ne reviendrait pas à la vie.


Question 2.

Le clonage suscite beaucoup de controverse. Cela signifie qu'il peut avoir de bons côtés en même temps que des aspects indésirables. Quels seraient donc les avantages et les désavantages du clonage humain ?

Réponse

Une revue de la littérature scientifique, tant en sciences qu'en sciences humaines, met de l'avant plusieurs arguments militant en faveur du clonage. En voici les principaux. On avance d'abord le droit à la reproduction pour des couples infertiles. C'est la raison majeure évoquée dans la littérature. Le clonage pourrait aider les couples infertiles qui désirent avoir des enfants qui leur seraient génétiquement parents ; ce serait, dans l'état actuel des connaissances et technologies, leur dernier recours pour avoir accès à la parentalité et à la filiation génétique. L'éventuel enfant serait « uniparental » cependant ; en effet, le noyau porteur du code génétique destiné à être transplanté dans un ovule énucléé (privé de son noyau contenant l'information génétique du donneur) proviendrait du père ou de la mère, mais pas des deux.

S'il y avait un choix de société en faveur de cette technologie de reproduction assistée, on pourrait améliorer la santé publique et diminuer les coûts liés aux maladies.


Le second argument serait de contribuer à l'amélioration de la condition humaine. Les parents (ou la société éventuellement) pourraient connaître le profil génétique de l'enfant à naitre, en sélectionnant les donneurs de noyaux pour éliminer les individus porteurs de gènes délétères, et pour choisir les individus en parfaite santé physique et mentale. De plus, ils auraient plus de chances, soutient-on, d'être mieux accueillis et éduqués par les couples ou la société que d'autres enfants. Un autre argument a trait à la sécurité de la technique : si on ne procède pas à la recherche et à l'expérimentation, ni les connaissances ni les technologies qui en découlent ne pourront actualiser le potentiel que pourrait représenter le clonage pour des individus et pour la société. L'étiologie des diverses anomalies ou pathologies détectées chez des animaux clonés pourrait être déterminée et on pourrait y remédier. S'il y avait un choix de société en faveur de cette technologie de reproduction assistée, on pourrait améliorer la santé publique et diminuer les coûts liés aux maladies.

Une autre raison que l'on retrouve dans certains écrits scientifiques, mais surtout dans la littérature et la science-fiction, consisterait à conserver et reproduire le potentiel des génies de tout ordre qui ont contribué à l'avancement de l'humanité dans divers domaines (sciences, arts, sports, etc.). Que l'on pense, dit-on, à la perte de Einstein, Mozart ou d'autres. En conservant leur code génétique, on pourrait reproduire des individus qui' pourraient continuer leur œuvre.

Mentionnons un dernier argument : celui du maintien et de la promotion de la liberté de recherche. Ce qui est inédit n'est pas nécessairement interdit, énonce-t-on, et tout ce qui est nouveau suscite la peur et des réactions de fermeture aux progrès, en l'occurrence les nouvelles biotechnologies ; aussi devrait-on promouvoir l'éducation et l'information du public et du monde scientifique. Les investigations sur le clonage ne constitueraient pas un effondrement du mode de reproduction hétérosexué, ni une course à la reproduction asexuée comme le clonage. On pourrait, de plus, conserver la biodiversité, etc. Bref, toutes les grandes découvertes portent en germe des dangers potentiels en même temps que des avantages considérables dont il ne faudrait pas priver les générations futures. Il faudrait trier et baliser le clonage en fonction de ses bénéfices potentiels. Et pourtant ... le clonage est présentement sous interdiction ou encore sous moratoire international en Occident.

[8]

Question 3

Mais alors, qu'est-ce qui justifie cette interdiction ou cet embargo sur le clonage humain en considération des avantages que vous venez de mentionner ?

Réponse

Toujours dans l'état actuel des choses, la quasi totalité des organismes, institutions ou associations de chercheurs sont unanimes sur l'argument suivant : le clonage humain à but reproductif est moralement inacceptable parce qu'il porte atteinte à la dignité et à l'intégrité humaine. On a été unanime sur ce point dès le clonage de Dolly en 1997 : le Manifeste des Sociétés suisses de biologie expérimentale ; l'Académie Pontificale des Sciences, le Conseil de l'Europe, la National Bioethics Advisory Commission (mise sur pied par le Président Clinton), et bien d'autres.

Certains de ces organismes le bannissent totalement, d'autres, telle la Commission américaine, proposent un moratoire. Sommairement, découlant pour la plupart de l'argument précédent, on soutient que la dignité humaine se fonde sur l'unicité et la singularité de la personne humaine : chacun est « irrépétable » et mérite respect à cause de sa valeur unique. Le clonage violerait, de plus, deux principes fondamentaux à la base des droits de l'Homme : le principe de parité entre les êtres humains et le principe de non-discrimination (sur une base génétique ou non). On ne peut faire advenir à l'existence des clones désirés pour leur AVOIR, titulaire de telles ou telles caractéristiques voulues par des individus ou par la société, mais les laisser naitre pour leur ÊTRE en tant que détenteurs de particularités ou imperfections comme la nature les présente) ; les traiter en OBJET et non en SUJET et, dans cette perspective, éviter que l'existence des clones ne soit dominée par la volonté d'autrui.

D'autres parlent de séquelles ou risques psychologiques : on pourrait, par exemple, exercer des pressions, voire de la coercition lors de l'éducation des clones pour qu'ils réalisent ce que l'on attend d'eux, ils pourraient, selon certains auteurs, ressentir des difficultés de se savoir l'image ou la copie d'un autre, etc. Les relations fondamentales de la personne, telle la filiation, la parenté, la procréation seraient faussées, on passerait d'un mode de reproduction hétérosexué à un mode asexué, caractéristique d'espèces subhumaines, ce qui constituerait un recul. Les mères porteuses des clones pourraient être sujet d'exploitation, comme il appert pour l'insémination artificielle. Il apparaitrait une nouvelle forme de discrimination entre les riches et les pauvres. On rapporte souvent, dans la littérature, que le clonage humain entre dans le cadre de l'eugénisme. Si la pratique du clonage était socialement admise, légalement sanctionnée ou tolérée, on pourrait en arriver à trier les individus en éliminant les imparfaits pour sélectionner les performants. Tels sont, brièvement, les principaux arguments qui sont apportés en littérature scientifique pour justifier soit une interdiction totale ou, tout au moins, un moratoire temporaire sur le clonage à but reproductif.

Le clonage humain à but reproductif est moralement inacceptable parce qu'il porte atteinte à la dignité et à l'intégrité humaine.


Question 4

Pourquoi les gens sont-ils si fascinés par le clonage, des millionnaires en étant les premiers aspirants ou demandeurs ?

Réponse

Millionnaire ou non, il est exact que le clonage exerce une certaine fascination sur beaucoup de gens (avec la différence que le millionnaire a l'avantage de pouvoir se le payer !). C'est certainement ici, à mon avis, que résident les malentendus et les sous-entendus les plus importants quant aux perceptions ou interprétations du clonage.

L'imagination y joue pour beaucoup, l'inconscient et la raison peuvent en faire autant. Je m'explique. Il existe d'abord beaucoup d'interprétations créées par l'imaginaire, fondées sur de fausses conceptions du clonage. L'éventail peut aller du clonage conçu à la Rorvik (roman « À son image »), repris par le cinéma et la science-fiction (Jurassic Park, et autres), pour rejoindre des désirs et des croyances millénaires. Ainsi on pourrait se faire cloner pour acquérir un double de soi-même, d'âge différent, il va de soi, qui permettrait de recommencer sa vie dans un autre corps, ou encore posséder une double personnalité, etc. Pour d'autres, il pourrait exister un regret de perdre le capital génétique de grands individus qui ont marqué l'histoire (découvreurs, sportifs, etc.), ce qui les amène à penser que la conservation de leur code génétique permettrait à leur(s) clone(s) de les faire re-naître pour continuer leur oeuvre. Nous avons ici un malentendu, une méprise ou méconnaissance du clonage et de ce qu'est un être humain. Qu'est-ce qu'une personne, qu'elle soit simple citoyen ou grand génie ? C'est un individu bio-psycho-social qui résulte de l'interaction entre ses gènes et son environnement (« environnement » entendu au sens large d'éducation, d'expérience personnelle, de liberté, de contexte social, culturel, historique, etc.). En effet, si l'être humain est un vecteur de gènes, donc une « génécité », il est aussi une « personnalité » façonnée par une liberté en interaction complexe avec son héritage génétique, ce qui le rend unique et « irrépétable ». Concevoir un être humain comme de l'ADN pensant et agissant selon le [9] déterminisme de sa programmation génétique héritée de son (ou ses) géniteur(s) serait pratiquer du réductionnisme. Par contre, si tel était le cas, alors on pourrait admettre que le jeu de gènes d'un génie comme Einstein, répété chez dix clones, donnerait dix théories de la relativité ! Et on nierait une autre évidence historique : les faibles et les « quotients intellectuels » moyens ont souvent apporté à l'humanité une contribution supérieure à ceux qui ont pu hériter d'un excellent jeu de gènes, mais qui n'ont pas voulu ou pu jouer une partie géniale avec leur existence.

Je crois, personnellement, que la fine pointe de la biotechnologie ramène à la surface un sous-entendu à la fascination que peut exercer la perspective du clonage, un désir profondément incrusté dans le conscient et l'inconscient de l'être humain. Ce substrat est celui de l'immortalité qui le conduit au refus de sa condition humaine, laquelle le voue irrémédiablement à la finitude, au vieillissement et à la mort. Ainsi, sous un visage pseudo-scientifique, des conceptions philosophiques ou religieuses millénaires refont surface avec le clonage : la possibilité d'immortalité sous diverses formes : la réincarnation (Platon, IVe A.C.), la métempsychose, la roue des naissances, la résurrection, la migration des âmes, la réminiscence, la réversibilité du temps, le perpétuel retour des mêmes individus, etc.

Ces conceptions millénaires qui refont surface avec le clonage peuvent être exploitées par divers gourous qui tiennent un discours qui peut se résumer dans le slogan suivant : « Clone-toi et sois immortel ! »


Question 5

Quel est le rôle de la bioéthique et des comités d'éthique dans des débats comme celui sur le clonage ? Qui peut nous dire la vérité ou tout au moins nous orienter ?

Réponse

La bioéthique est issue d'une série de révolutions sociales, culturelles, économiques, scientifiques et technologiques de l'après-guerre. Elle étudie la conduite à adopter face aux percées en biomédecine pour lesquelles il n'y a pas de réponse dans le passé et où il faut inventer où se trouve le bien. Dans des sociétés sécularisées, multiculturelles comme les nôtres, il faut trouver une autre voie que celle que l'on pouvait suivre dans les sociétés homogènes où foi, loi, morale, religion étaient partagées par tous les sociétaires (le Pape se prononçait et le bien se trouvait dans son énoncé moral).

Elle se caractérise, notamment, outre l'aspect laïc mentionné, par la rationalité (il faut convaincre par des arguments rationnels et non faire appel à une foi donnée), la « multidisciplinarité » (les problèmes sont complexes et nouveaux, diverses disciplines doivent se mettre à table pour étudier la meilleure conduite à suivre), l'engagement face aux générations à venir (une fois un consensus établi, par exemple pour la fécondation in vitro, il est impossible de faire machine arrière).

Quant aux comités d'éthique, ce sont des équipes multidisciplinaires qui sont de deux ordres : les comités d'éthique clinique, qui se penchent sur la conduite à tenir en milieu hospitalier ou para-hospitalier visant la protection des patients, et les comités d'éthique de la recherche, qui étudient les protocoles de recherche et d'expérimentation où sont impliqués des sujets humains (en sciences biomédicales et en sciences humaines). Ils émettent des lignes directrices de conduite à suivre, ou encore des avis sur des sujets spécifiques tels le clonage. Ces comités sont locaux, provinciaux, nationaux ou internationaux. Un fait est indéniable : de même que nous assistons à la mondialisation de l'information, de l'économie, etc., les comités ou conseils d'éthique doivent s'internationaliser. Il en est de même pour les législations concernant des sujets tel le clonage, de sorte que ce qui est jugé inacceptable dans un pays ne soit pas réalisé dans d'autres pays.


Question 6

Quelle serait votre conclusion à cette entrevue ?

Réponse

Clone-toi et soit immortel! trouverait d'innombrables adhérents (votre interviewé le premier... !) si sa réalisation était fondée scientifiquement. Il n'en est malheureusement rien, et il en est également ainsi pour le clonage d'individus grands ou modestes : leur personnalité n'est pas « rapatriable » via leur code génétique dans leur(s) clone(s) pour reproduire leur existence. Les gourous ou idéologues qui font la promotion de telles possibilités sont des vendeurs de fumée, c'est-à-dire des fumistes qui font de la fumisterie...



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1 novembre 2012 7:58
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref