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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Marcel J. Mélançon, Clarification des concepts et des pratiques concernant le «Mourir dans la dignité».” Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Jean-Pierre Béland, Mourir dans la dignité ? Soins palliatifs ou suicide assisté. Un choix de société. Chapitre 1, pp. 7-23. Québec: Les Presses de l'Université Laval, 140 pp. [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 16 novembre 2009 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Marcel J. Mélançon

Clarification des concepts et des pratiques
concernant le «Mourir dans la dignité»
.

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Jean-Pierre Béland, Mourir dans la dignité. Soins palliatifs ou suicide assisté. Un choix de société. Chapitre 1, pp. 7-23. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2008, 140 pp.

Introduction
Première partie : « Mourir dans la dignité »

1. Significations
2. Confusions
Deuxième partie : L'« ancien » et le « nouveau » dans le mourir

1. L'« ancien » : la condition humaine vouée à la mort
2. Le « nouveau » : le contexte historique du mourir
Troisième partie : Les options actuelles pour « Mourir dans la dignité »

1. L'option suicide assisté (médicalement)

a. Arguments EN FAVEUR
b. Arguments EN DÉFAVEUR

2. L'option euthanasie
3. L'option soins palliatifs
Conclusion
Références
Remerciements


INTRODUCTION

Le destin a fait que nous sommes entrés dans l'existence sans l'avoir choisi, résultat du hasard de la roulette génétique. Mais, notre destinée nous donne le pouvoir d'en sortir ou d'aider d'autres à en sortir. Dans cette perspective, la question est de savoir, en ce début du "XXIe siècle de haute technologie biomédicale, quelles sont les options possibles qui s'offrent pour mourir, aider à mourir, laisser mourir ou faire mourir dans la dignité.

Au préalable, il faut absolument s'interroger et décrypter la demande de certaines personnes en phase terminale qui réclament de l'aide pour se suicider ou qui requièrent l'euthanasie : est-ce une réelle demande de mourir ? Est-ce une réclamation d'être reconnues comme personnes à part entière dans toute leur dignité humaine ? Serait-ce une revendication d'accompagnement dans la solitude du huis clos de leur mourir ? Ne serait-ce pas, de notre part, une constatation d'échec de nos stratégies de fin de vie, de notre capacité d'accompagnement dans le processus du mourir ?

Il existe une confusion, tant dans le public qu'en milieu hospitalier, dans la terminologie du mourir. Que signifie « mourir dans la dignité » ? Que signifient et comment se départagent « suicide assisté », « euthanasie », « soins palliatifs » ? Cette confusion entraîne d'importantes conséquences pour la pratique clinique, l'éthique, le droit et la société. Il est donc impératif de clarifier ces concepts.

L'objectif de cette présentation correspond au mandat donné par les organisateurs du colloque : non pas faire de la casuistique, c'est-à-dire de discuter de cas particuliers, mais de s'en tenir au niveau conceptuel afin d'offrir un éclairage pour la pensée et la pratique clinique.

L'objectif est donc triple et détermine le plan de l'exposé :

1) présenter un panorama général du « Mourir dans la dignité »et une vue d'ensemble sur les options qui s'offrent au choix du « Mourir dans la dignité » ;

2) clarifier les divers concepts impliqués dans ces choix (« euthanasie », « suicide assisté », etc.) qui vont déterminer des pratiques cliniques ;

3) offrir l'argumentaire qui les sous-tend, à savoir les arguments en leur faveur et en leur défaveur, le tout en considération de l'état actuel de la littérature et de la pensée internationales.

Première partie : « Mourir dans la dignité »

1. Significations

Les expressions « Mourir avec dignité » ou « Mourir dans la dignité » revêtent plusieurs significations.

Mourir avec dignité désigne l'attitude intérieure de la personne face au mourir. L'attitude idéale serait la pacification, l'acceptation de la mort sans récrimination ou révolte contre la condition humaine, en paix avec soi-même et avec les autres, heureux d'avoir existé, et de « partir après une vie bien remplie », selon l'expression commune. Bref, quitter l'existence avec sérénité, content d'avoir vécu et d'« avoir fait son tour » et avec la satisfaction d'avoir joué convenablement son rôle jusqu'à la fin. Mais, dans les faits, la situation peut être différente et impliquer de la culpabilité, des regrets, voire de la révolte.

Mourir dans la dignité, par contre, désigne les conditions dans lesquelles on meurt : conditions physiques, psychologiques et sociales qui font qu'on meurt de façon douce et sans souffrance. D'où l'étymologie du mot « euthanasie » : « faire une bonne mort » (disait-on autrefois), sans être aux prises avec les douleurs, les affres et les angoisses qui pourraient l'accompagner.

De son côté, la signification éthique ou philosophique désigne le mourir dans des conditions telles que ce qui fait le propre de l'être humain soit préservé et respecté, à savoir sa valeur comme personne humaine dans sa liberté de décider et dans sa possibilité de relation avec autrui, malgré les détériorations corporelles ou autres inhérentes à la fin de vie.

Cette dignité dans le mourir s'applique à tous les âges de la vie, puisqu'elle a trait au fait même d'être un humain et, en tant que telle, elle n'a pas d'âge. Elle s'applique aux grands prématurés, aux enfants, aux personnes âgées, et à toute personne en fin de vie.


2. Confusions

Il est impératif de mentionner certaines confusions dans la terminologie et la pratique clinique. Une première confusion existe, dans le public, dans les médias, et parfois en milieu hospitalier. On associe « mourir avec dignité » aux testaments de vie, à l'euthanasie, à l'aide au suicide, comme s'il n'y avait pas d'autre façon de mourir dans la dignité que celle de mourir euthanasié ou suicidé, oubliant qu'il y a une solution de rechange, celle de mourir en bénéficiant de soins palliatifs.

De plus, certains confondent euthanasie et cessation de traitements, d'autres utilisent encore la distinction entre euthanasie active et euthanasie passive. Cette confusion entraîne d'importantes conséquences sur la pratique clinique, l'éthique, le droit et la société. Il est impératif de clarifier cette confusion sémantique (nous y reviendrons plus loin).


Deuxième partie :
L'« ancien » et le « nouveau » dans le mourir

Le titre du colloque d'aujourd'hui est libellé en termes interrogatifs : « Mourir dans la dignité ? ». Cette question ne se posait pas dans la pensée et dans les écrits éthiques et juridiques occidentaux il y a quelques décennies. Cela signifie que quelque chose a changé dans le mourir pour provoquer un tel questionnement en Occident. Alors : « Quoi de neuf dans le mourir… ? ». Qu'est-il advenu pour que l'on pose cette question et que l'on en fasse une revendication internationale. Poser cette question présuppose qu'on compare ce qui est « ancien » à ce qui est « nouveau ».


1. L'« ancien » : la condition humaine vouée à la mort

L'« ancien », c'est la condition humaine soumise au temps et qui condamne à mort : la durée de vie est programmée comme un compte à rebours qui commence dès la fécondation. L'arrivée au terme du décompte suscite l'inquiétude, la crainte, voire l'angoisse face au mourir. Le penseur Montaigne (XVIe s.) s'exprimait ainsi : « Ce n'est pas la mort que je crains, c'est le mourir. » La première étant un état de non-être, le second étant le processus qui y conduit.

Les sages anciens, de toute obédience philosophique ou religieuse, rappelaient cette condition mortelle a ceux qui se conduisaient comme s'ils étaient immortels. Socrate et les philosophes qui l'ont précédé ou suivi, ont fondé diverses écoles de pensée et établi des systèmes philosophiques pour apprendre à ne pas craindre la mort et à mourir avec dignité.

Dans les époques antérieures, la durée de vie était considérablement limitée par rapport à la nôtre, et la médecine était fort rudimentaire pour la prolonger.


2. Le « nouveau » : le contexte historique du mourir

Quoi de neuf… dans le fait de mourir, par comparaison avec les décennies passées ? De façon générale : c'est le contexte socioculturel et les conditions historiques dans lesquelles on meurt. Il est donc important de situer, même sommairement, le contexte dans lequel se présente cette question du « Mourir dans la dignité ». Les dernières décennies se caractérisent par les traits suivants :

- Une époque de haute technologie, introduite en médecine et qui a permis de mettre au point tout un arsenal thérapeutique (chirurgie, pharmacologie, etc.) qui donne techniquement le pouvoir de procéder au sauvetage de vies. Autrefois, ces vies auraient péri à cause de la sélection naturelle.

- Une mentalité de consommation qui exige des produits de haute qualité, faute de quoi ils sont retournés au fabricant. La vie humaine risque d'être interprétée dans le sens de : « Consomme ta vie pendant qu'il en est temps ! » ou encore : « Leur vie est consommée et sans qualité, qu'ils s'en aillent et... aidons-les à partir ! »

Dans cette perspective, les personnes qui ne répondent pas à ces critères risquent de former des catégories de personnes vulnérables.

- Ce qu'il y a de neuf, c'est finalement la revendication de l'autodétermination dans son propre mourir (contrôler sa propre fin), l'existence et le militantisme de groupes de pression ou d'associations tels Exit, Dignitas, Hemlock, « Mourir dans la dignité », etc.


Troisième partie :
Les options actuelles pour « Mourir dans la dignité »

Dans ce nouveau contexte historique, les sociétés occidentales semblent présentement en situation de délibération en vue d'un choix collectif, pour redéfinir une conduite ou une éthique face au mourir.

La société est confrontée à un dilemme : ou bien elle opte pour une politique de soins palliatifs (tel le Canada en 1995, en 2000 et en 2005), ou bien elle opte pour une législation acceptant l'euthanasie et le suicide assisté.

Dans cette perspective, trois options se présentent aux individus et aux collectivités. Ces choix vont déterminer des pratiques cliniques et des politiques sociales en matière de mourir. Considérons brièvement chacune de ces options.


1. L'option suicide assisté (médicalement)

- Un cas type : Sue Rodriguez (1992-1994). Ce casa été largement médiatisé de 1992 à 1994 au Canada ; il illustre bien le phénomène du suicide assisté. Atteinte de sclérose latérale amyotrophique, elle demande qu'on autorise légalement quelqu'un à l'aider à mourir. Dans un jugement très partagé (5 membres contre 4) la Cour suprême du Canada a conclu que, dans l'état actuel du droit, on ne pouvait pas faire exception à la loi interdisant J'aide médicale au suicide. Madame Rodriguez est décédée en février 1994 avec l'aide d'un médecin anonyme.

- Une définition : une « autoeuthanasie ». Le « suicide assisté » est une mort provoquée par la personne elle-même (en phase terminale ou non), avec l'assistance médicale. C'est une forme d'« autoeuthanasie » : un tiers aide une personne à s'enlever la vie.

- Les caractéristiques. Le suicide assisté se caractérise par les traits suivants. Il est généralement demandé en phase terminale d'une maladie incurable (mais pas nécessairement). Il s'effectue habituellement sur demande expresse d'un patient qui est conscient des conséquences de sa demande. L'aide au suicide inclut conseils, médicaments (posologie mortelle), ou autres formes d'assistance sans lesquelles le patient ne pourrait pas se donner la mort lui-même. Ce n'est pas de la cessation ou du refus de traitement, puisque les traitements n'existent pas dans le cas d'une maladie incurable.

- L'argumentaire. Quels sont les arguments en faveur et en défaveur du suicide médicalement assisté ? Énumérons les principaux.

a. Arguments EN FAVEUR

- La personne a droit à son autonomie en matière de vie et de mort.
- Le patient est un être libre de toute pression et bien informé des conséquences de son acte.
- Il y a discrimination par rapport à la personne qui se suicide, puisque dans son cas il n'y a pas de risque de sanction pénale.
- Le devoir d'assistance à autrui en cas de détresse rend légitime l'aide au suicide.
- Le devoir humanitaire du médecin l'oblige à procurer au patient qui le réclame les moyens de quitter la vie.

b. Arguments EN DÉFAVEUR

- Le caractère sacré de la vie et la valeur de la vie humaine, même en phase terminale, constituent des valeurs inaliénables.
- La liberté et l'objection de conscience du médecin peuvent s'opposer à la volonté du patient.
- La déontologie médicale depuis Hippocrate (Ve s. av. J.-C.) voit l'objectif de la médecine comme suit : « Guérir, sinon soulager, ou du moins consoler, mais en aucun cas tuer » son patient ou l'aider à se tuer.
- L'être humain n'a pas le pouvoir de vie et de mort sur lui-même : le suicide est le meurtre de soi.
- Le passage du public au privé (cas de Mme Houle au Québec) laisserait place aux émotions et à des intérêts autres que ceux de la compassion ou de l'altruisme.
- D'une façon générale, l'argument majeur est le risque d'abus qu'une législation éventuelle ne pourrait pas contrôler.


2. L'option euthanasie

Une seconde option s'offre au choix individuel et social, c'est l'euthanasie. Celle-ci peut se produire en milieu hospitalier (cas Welby, Italie, 2007), mais elle peut aussi s'effectuer en privé, à domicile, comme l'illustre le cas Latimer (Canada, 2001), où le père euthanasie sa fille de 12 ans, handicapée intellectuelle atteinte de paralysie cérébrale.

Le concept

Les définitions de l'euthanasie sont hétérogènes. Ainsi, la loi néerlandaise définit l'euthanasie comme « une intervention médicale active en vue d'abréger la vie à la demande expresse du patient » (projet de loi de 1993). La loi belge la considère comme étant « l'acte pratiqué par un tiers, qui met intentionnellement fin à la vie d'une personne, à la demande de celle-ci ».

Les distinctions

a. La distinction active et passive

D'autres voient l'euthanasie comme le fait de provoquer directement la mort d'un être humain [..], de telle façon que cette mort advienne rapidement et sans souffrance, soit en agissant à cette fin, soit en s'abstenant d'agir ; dans le premier cas, on parle d'euthanasie active, dans le second, d'euthanasie passive. Cette distinction, d'origine historique, remonte aux moralistes des siècles derniers. Elle peut circuler encore, mais elle est désuète et n'est plus utilisée en éthique et en droit, principalement parce qu'elle prête trop à confusion. L'expression « euthanasie passive » est maintenant remplacée par « refus de traitement » ou « cessation de traitement » (éthiquement et juridiquement légitimes à certaines conditions).

b. La distinction volontaire et involontaire

Cette distinction est incluse dans certaines définitions de l'euthanasie, selon qu'elle est pratiquée avec ou sans le consentement de l'intéressé.

Les caractéristiques

Malgré les variantes entre les différentes définitions, on peut en tirer divers dénominateurs communs.

- L'intention est de provoquer directement la mort. Il y a une relation de cause à effet entre l'acte médical et le décès de la personne ; la mort est due à l'action du soignant : on devance un phénomène qui surviendrait de toute façon, on fait advenir une issue inéluctable, le décès.
- Le mobile de l'acte est généralement la compassion, mais des motifs intéressés peuvent également entrer en ligne de compte.
- La phase terminale de la vie est généralement le moment de l'euthanasie, peu importe la cause de la condition terminale : l'âge, un accident ou une pathologie.
- Le milieu hospitalier est généralement le lieu de l'euthanasie, mais elle peut aussi s'effectuer à domicile, dans des établissements de soins prolongés, etc.
- Trois qualités caractérisent l'euthanasie : trépasser facilement, rapidement et sans souffrance.
- Elle est présentement illégale dans la plupart des pays.

L'argumentaire

On observe deux positions en Occident : l'une dite « restrictive » ou « conservatrice », l'autre qualifiée de « permissive » ou « libérale ». Cependant il est intéressant de souligner que les tenants et les opposants à l'euthanasie appuient leur position respective sur le même fondement : « Mourir dans la dignité... »

Considérons les arguments de chacune de ces deux positions. Soulignons que certains d'entre eux ne sont qu'une explicitation d'arguments plus fondamentaux. Il est à noter qu'ils sont très proches de ceux du suicide assisté.

a. Arguments EN FAVEUR

- Le premier argument favorable à l'euthanasie (demandée) est que la personnalité est souveraine par rapport à la simple Vie biologique.

- Dans l'échelle des valeurs, le respect de l'autonomie de la personne et de sa capacité d'autodétermination est plus important que la vie elle-même.

- Dans certaines circonstances, la mort est parfois préférable à la vie et peut constituer le seul recours pour préserver son humanité face aux processus aveugles de la nature.

- Les personnes en situation d'agonie intenable et prolongée peuvent être privées de leur dignité et de leur indépendance.

- Les arguments le plus souvent invoqués contre l'euthanasie (caractère sacré de la vie, maintien de l'intégrité de la profession médicale, etc.) sont paternalistes et visent à justifier une intrusion privée ou étatique indue dans les décisions d'une personne.

- Les sondages démontrent que la majorité des citoyens (au Canada) sont favorables à l'euthanasie. (Cet argument est faible, puisque l'opinion publique est changeante et influençable.)

- Si l'on accepte la cessation ou le refus de traitements qui anticipent la mort, alors on devrait aussi accepter l'euthanasie.

- Le principe de justice dans la distribution équitable des ressources médicales rares en période de restriction budgétaire oblige de procéder à un triage des vies, selon le « principe de sauvetage » des vies que l'on peut sauver, par rapport à celles qui ne peuvent plus l'être.

- Une réglementation rigoureuse de l'euthanasie pourrait protéger les personnes vulnérables. Cet argument est majeur dans la discussion éthique, juridique et sociale.

b. Arguments EN DÉFAVEUR

Sur le plan historique, les arguments en défaveur de l'euthanasie ont été plus importants que les arguments favorables. Quels sont-ils ?
- L’aspect sacré de la vie exige qu'on la respecte dans toutes ses phases, même terminale. La protection de la vie est fondamentale, sans elle aucune société ne peut survivre.

- Euthanasier quelqu'un, à sa demande ou non, constitue un meurtre, même s'il est commis par compassion : « Tu ne tueras point ! » est un précepte fondamental dans les morales de l'Histoire.
Trois arguments souvent avancés ont trait à la médecine et à sa raison d'être :
- Le rôle de la médecine est de « guérir, sinon soulager, ou du moins consoler ! » et non pas de tuer le patient pour lequel le médecin ne pourrait plus rien (Hippocrate, Ve s. av. J.-C.).

- Intégrer l'euthanasie à la profession médicale serait donner aux médecins le pouvoir de vie et de mort sur leurs patients.

- Le lien de confiance soignant/soigné, établi dans le contrat thérapeutique, serait mis à rude épreuve et pourrait créer de l'inquiétude dans le cas d'une maladie grave.

- Il y a risque d'erreur de diagnostic ou de pronostic médical. La médecine évolue et met continuellement à jour de nouveaux traitements.


D'autres arguments relèvent de l'ordre social. Ce sont les plus fréquemment invoqués.

- En société, des abus et dérives peuvent se produire. Bien encadrée au début, la pratique de l'euthanasie pourrait s'élargir et déborder les prévisions, voire passer à la banalité et la clandestinité.

- La pratique de l'euthanasie pourrait échapper au contrôle de l'État (à la législation) et passer « du secteur public au secteur privé », du milieu clinique au milieu familial.

- Les personnes vulnérables (personnes âgées, nouveau-nées, déficientes, handicapées, séniles, etc.) pourraient être victimes d'euthanasie.

- Une pente glissante pourrait aller de l'euthanasie demandée (volontaire) à l'euthanasie non demandée (involontaire, à son insu).

- Une dérive eugénique pourrait en arriver a une sélection des bien-portants et des mal-portants, productifs/ improductifs, etc., et à libérer la société des personnes occasionnant des coûts importants au budget national.

Depuis quelques décennies, un argument nouveau fait partie du débat sur l'euthanasie : il existe d'autres moyens que l'euthanasie pour solutionner le problème lié aux patients en phase terminale, le recours aux soins palliatifs.


3. L'option soins palliatifs

Si l'on ne veut pas opter pour l'euthanasie, l'aide au suicide ou l'acharnement thérapeutique une autre option se présente pour le « Mourir dans la dignité ». Ce sont les soins palliatifs. C'est l'option privilégiée par divers pays, dont le Canada, qui a mis sur pied un Comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et le suicide assisté. En 1995, ce Comité a produit un premier rapport, lequel a été révisé en 2000 et mis à jour en 2005. L'exposé qui suit s'inspire très largement ces rapports [1].

a. Le principe et le concept

Le principe des soins palliatifs est d'axer les soins sur le patient plutôt que sur la maladie. « On entend par soins palliatifs les soins destinés à soulager la souffrance - physique, émotionnelle, psychosociale ou spirituelle - plutôt qu'à guérir » (De la vie et de la mort, p. 18).

Habituellement donnés aux personnes en fin de vie, les soins palliatifs ont pour objet le confort de la personne souffrante. La souffrance qu'ils visent à soulager déborde largement la souffrance physique ; elle inclut les sentiments de perte de dignité et d'estime de soi, de dépendance face à autrui (même pour des besoins primaires), d'abandon, de solitude, d'angoisse face à l'anéantissement de soi, etc. Chez certains, elle peut prendre le visage d'une crise philosophique ou religieuse.

« Les soins axés sur les mourants ont pour objet d'assurer la meilleure qualité de vie possible au mourant lui-même ainsi qu'à sa famille en répondant à leurs attentes et à leurs besoins sur le plan physique, psychologique, social, spirituel et pratique » (Nous ne sommes pas..., p. 1).

b. Les caractéristiques

Les soins palliatifs sont pluridisciplinaires. Ils impliquent non seulement les professionnels de la santé, mais aussi des bénévoles ainsi que la famille.

Ils sont habituellement donnés par une équipe spécialisée dans un établissement de soins de courte durée, ou de soins prolongés, dans un centre autonome de soins palliatifs ou à la maison.

Les méthodes de contrôle de la douleur y jouent une place importante, mais les soins peuvent aussi être donnés en même temps que des traitements actifs et thérapeutiques.

c. Les soins palliatifs et l'euthanasie

Certains traitements destinés à soulager la souffrance risquent d'abréger la vie, car pour être efficaces, ils nécessitent le recours à des médicaments qui doivent être administrés en doses suffisantes et progressives, selon le type de maladie et selon le seuil de tolérance du patient, avec le risque d'anticiper la mort. Il en est de même pour la sédation complète (ou sommeil artificiel) qui pourrait être utilisée en dernier recours. Mais, ils ne constituent pas de l'euthanasie :

Les soins palliatifs entraînant la mort ne sont pas considérés comme criminels dans la mesure où quatre conditions sont respectées : 1) les soins doivent avoir exclusivement pour but d'atténuer la souffrance ; 2) ils doivent être administrés en réponse à des souffrances ou à des manifestations de souffrance ; 3) ils doivent être proportionnels à ces souffrances ; et 4) ils ne doivent pas consister à infliger délibérément la mort » (De la vie et de la mort, p. 29).

d. La politique canadienne (2005)

Le Canada a établi cinq priorités au regard des soins palliatifs : l'enseignement des soins palliatifs aux cycles de formation des médecins, des pharmaciens et pharmaciennes, des infirmiers et infirmières, des travailleurs et travailleuses sociaux et des aumôniers ; l'information et la sensibilisation du public en matière de soins palliatifs et de soins de fin de vie ; la création d'une infrastructure de recherche en soins palliatifs au Canada ; l'élaboration d'un ensemble de données centrales et une méthode de collecte des données (Nous ne sommes pas..., p. 7-10).


CONCLUSION

Au début de ce millénaire, trois options principales se présentent eu égard aux patients en phase terminale : le suicide médicalement assisté, l'euthanasie, et les soins palliatifs de fin de vie.

Les tenants de ces trois options fondent tous leur choix sur le respect de la dignité humaine. Cependant, considérant les arguments présentés ci-dessus, l'option des soins palliatifs apparaît comme la plus susceptible de respecter cette dignité.

Si l'euthanasie et le suicide assisté constituaient l'option privilégiée et devenaient des phénomènes courants, il est à prévoir que leur pratique rendraient certaines catégories de personnes très vulnérables en société.


Références

De la vie et de la mort. Rapport du Comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide, Ottawa, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, juin 1995.

Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Des soins de fin de vie de qualité : Rapport d'étape, Ottawa, Sénateur Sharon Carstairs, juin 2005.


Remerciements

J'aimerais remercier, au nom des personnes qui bénéficient de leurs services, les associations de soins palliatifs, les bénévoles et les accompagnants des personnes en fin de vie pour leur contribution inestimable au « Mourir dans la dignité ».



[1] De la vie et de la mort. Rapport du Comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide, Ottawa, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, juin 1995 ; nous ne sommes pas au bout de nos peines. Des soins de fin de vie de qualité : Rapport d'étape, Ottawa, Sénateur Sharon Carstairs, juin 2005.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 29 octobre 2012 10:11
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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