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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Alain Massot, Pluralisme paradigmatique en sociologie de l'éducation.” (1983)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article d'Alain Massot, Pluralisme paradigmatique en sociologie de l'éducation.” Un article publié dans La sociologie et l'anthropologie au Québec. Conjonctures Débats, savoirs et Métiers. Textes publiés sous la direction de Johanne Boisloly et Gilles Pronovost. Actes du colloque de l'ACSALF, mai 1983, pp. 175-185. Montréal: ACSALF, cahiers de l'ACSALF, no 3, 238 pp. [Autorisation accordée par l'auteur le 15 février 2006]

Introduction

"Si vous commencez par réduire un -paradigme- à l'image que s'en font les défenseurs d'un autre paradigme, vous n'aurez pas de peine à montrer que les seconds ont raison contre le premier". 
Bourdieu
(Correspondance) 

Comment expliquer et comprendre pourquoi certains sociologues en arrivent à la conclusion que l'école est une institution marginale eu égard à la production d'inégalités sociales, pourquoi d'autres la définissent comme étant un Appareil Idéologique d'État dominant assumant essentiellement la fonction de reproduction de la société en classes ? Demandons-nous, alors, ce que ces sociologues ont en commun. Autrement dit, quel est le plus petit dénominateur commun qui puisse établir l'autonomie de cette discipline ? 

Kuhn, mieux que quiconque, a bien posé le problème de l'autonomie des sciences et de la fragmentation des savoirs, deux aspects complémentaires de la même question. 

La structure des révolutions scientifiques a complètement transformé la compréhension que l'on a du savoir scientifique, de son évolution et de son mode de production. Le concept clé de cet ouvrage est bien entendu celui de paradigme qui est défini comme étant -ce que les membres d'un groupe scientifique possédant en commun et, réciproquement un groupe scientifique se compose d'hommes qui se réfèrent au même paradigme- (1972, p. 208). D'une manière plus explicite, la notion de paradigme (ou matrice disciplinaire) recouvre les éléments constitutifs suivants : 

1)    des généralisations symboliques : "Ce sont les éléments formels, ou facilement formalisables de la matrice disciplinaire" (1972, p. 217) ; 

2)    des croyances, "c'est-à-dire le fait de croire à certains modèles particuliers (1979, p. 218) ; 

3)    des valeurs, "qui prennent une force particulière quand les membres d'un groupe défini doivent identifier une crise, ou plus tard, choisir entre deux manières incompatibles de pratiquer leur discipline" (1972, p. 218) ; 

4)    et enfin, des exemples : "Bien plus que les autres éléments composant la matrice disciplinaire, les différences entre divers groupes d'exemples permettent de connaître la structure fine des groupes scientifiques" (1972, p. 221). 

Comme on le voit, la notion de paradigme relève finalement de la sociologie de la connaissance. Cela ressort également du libellé des interrogations en conclusion de la postface de la deuxième édition : -Comment choisit-on un groupe et comment y est-on admis, qu'il s'agisse ou non d'un groupe scientifique ? Quels sont les processus et les étapes de la socialisation au groupe ? Quels sont les buts que le groupe reconnaît comme siens ? Quelles déviations, individuelles ou collectives tolèrera-t-il ? Comment contrôle-t-il l'aberration impossible à autoriser ? Une meilleure compréhension de la science dépendra aussi de réponses à d'autres genres de questions, mais il n'est pas de domaine dans lequel elles nous soient aussi nécessaires ? (1972, p. 246). 

De ce point de vue, force est d'admettre que les auteurs du Métier de sociologue nous ont induit en erreur. Il n'y a pas Un métier de sociologue, mais Des métiers de sociologues. En fait, il y a autant de métiers de sociologues que de paradigmes sociologiques. Raymond Boudon y voit une des dimensions de l'état de crise de la sociologie, laquelle de démarque des autres sciences par le degré élevé de polymorphisme, non seulement d'un point de vue historique, mais aussi d'un point de vue synchronique : pluralité de l'objet, ambivalence entre analyse descriptive et explicative, polysémie de la notion de théorie et des concepts fondamentaux (1971). Ce qui peut être illustré en miniature par trois fragments tirés de la littérature contemporaine en sociologie de l'éducation. 

D'un côté, nous apprenons que "tout ce qui se passe à l'école - y compris à l'école primaire - ne peut s'expliquer que par ce qui se passe en dehors de l'école, c'est-à-dire dans la division capitaliste du travail" (Beaudelot, Christian, Establet, Roger, 1975, p. 9). Ici, rien n'est laissé au hasard : "L'école capitaliste forme 20% d'intellectuels et 80% d'individus peu ou pas qualifiés, parce que le marché du travail est ainsi fait" (ibid. p. 90). 

Dans un autre ordre de discours, "celui qui pense, dit Jencks, que le milieu familial, les résultats aux tests et les diplômes sont les seules choses qui déterminent le type de travail qu'il peut faire en Amérique se trompe. Au plus, ces caractéristiques expliquent environ la moitié de l'écart entre les statuts professionnels des hommes, à expliquer par des facteurs qui n'ont rien à voir avec le milieu familial, les résultats aux tests ou le niveau scolaire" (1979, p. 195). 

Dans un troisième ordre de discours, Boudon nous confronte à un tableau statistique typique des relations entre origine sociale, réussite scolaire et orientation de sorte que, dépendant de l'origine sociale, la réussite scolaire n'a pas le même poids dans les processus décisionnels de survie scolaire. Pour expliquer les inégalités scolaires, Boudon fait appel à la notion d'intentionalité dont les paramètres décisionnels sont valorisés non de manière absolue, mais selon le statut social des acteurs : il est par conséquent "impossible, dit-il, de faire reposer l'analyse sociologique sur un modèle faisant d'une manière ou d'une autre des comportements individuels le produit des structures sociales" (1977, p. 245). 

Face à cette mosaïque, Boudon suggère une démarche qui, tout en ne reposant pas sur la même définition de paradigme, correspond néanmoins aux préoccupations de Kuhn lorsqu'il dit que "la méthode probablement la plus efficace pour saisir le statut épistémologique d'une discipline consiste à identifier les principaux paradigmes qu'elle utilise" (1977, p. 189). 

L'analyse paradigmatique est un discours sur des discours, c'est un métalangage. C'est l'analyse du "langage dans lequel, selon Boudon, sont formulées les théories ou éventuellement des sous-ensembles importants de théories émises dans le cadre d'une discipline" (1977, p. 190). 

Avec cet esprit de méthode, Boudon repère dans la sociologie huit paradigmes appartenant à deux familles distinctes : les paradigmes interactionnistes et les paradigmes déterministes. 

Paradigmes

interactionnistes

déterministes

- marxien

- hyperfonctionnalistes

- tocquevillien

- hyperculturalistes

- mertonien

- réalisme totalitaire

- wébérien

- déterminisme méthodologique

Les caractéristiques épistémologiques ci-dessous font apparaître clairement la frontière séparant ces deux familles. 

Principales caractéristiques épistémologiques des deux familles paradigmatiques 

Paradigmes

interactionnistes

déterministes

- intentionalité de l'acteur

- sans intentionalité

- action

- comportement

- explication interactionnelle

- explication mécaniste

- structure d'action collective

- modèle atomiste

Le dénominateur commun de la première famille repose sur la reconnaissance d'effets collectifs non-explicitement voulus par les acteurs même si l'action individuelle, elle, est intentionnelle ; et ces effets résultent d'une structure d'action collective. Par contre, la deuxième famille repose sur des propositions de type : "Si A (antérieur à B), alors B". Mais dans ce cas, s'il s'agit d'actions, elles sont analysées comme des comportements ne relevant pas de l'intentionalité des acteurs, ou du moins, celle-ci est triviale dans le schéma explicatif. Ces dénominateurs engendrent des conséquences fondamentalement divergentes aux niveaux théorique, méthodologique et politique. 

Les trois extraits mentionnés, ci-haut, appartiennent dans l'ordre, selon Boudon, au réalisme totalitaire, au déterminisme méthodologique et au paradigme Interactionniste wébérien. 

En essayant de réduire à quelques propositions, au risque d'être schématique, "le langage dans lequel sont formulées ces théories", nous tenterons de démontrer qu'elles appartiennent de fait à des univers paradigmatiques propres.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 25 décembre 2012 8:41
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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