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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Raymond MASSÉ, “Antécédents de violence et transmission intergénérationnelle de la maltraitance”. Un article publié dans la revue P.R.I.S.M.E., Psychiatrie, recherche et intervention en santé mentale de l’enfant, vol. 4, nos 2-3, été 1994, pp. 239-249. [Autorisation accordée par l'auteur le 14 novembre 2008 de diffuser cette oeuvre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Raymond MASSÉ *

Antécédents de violence et transmission
intergénérationnelle de la maltraitance
”.

Un article publié dans la revue P.R.I.S.M.E., Psychiatrie, recherche et intervention en santé mentale de l’enfant, vol. 4, nos 2-3, été 1994, pp. 239-249.

Introduction
Méthode
Résultats
Discussion
Conclusion
Références

Tableau 1. Comparaison des parents maltraitants et non maltraitants, selon la présence du profil de pauvreté, pour les antécédents de violence.

Tableau 2. Comparaison des parents maltraitants et non maltraitants, selon la présence du profil de pauvreté, pour divers marqueurs d'une enfance difficile.

INTRODUCTION

L'hypothèse de la transmission intergénérationnelle de la maltraitance a trop souvent considérée qu'il existait un rapport de causalité simple entre antécédents de violence chez les parents et abus ou négligence envers leurs propres enfants. À partir d'une étude cas-témoins qui permet le contrôle du facteur « pauvreté », nous montrerons que les parents maltraitants ont été plus fréquemment exposés à des antécédents de violence. Cette démarcation cas-témoins est toutefois relativement Faible lorsque les parents maltraitants sont comparés à des parents témoins présentant le même niveau de pauvreté.

L'une des hypothèses prédominantes dans la littérature sur les abus et la négligence envers les enfants veut que les parents maltraitants soient prédisposés à la violence parce qu'ils ont été eux-mêmes maltraités par leurs propres parents (Garbarino et Gilliam, 1980 ; Kaufman et Zigler, 1987). L'explication ici est attirante et relève d'un certain sens commun. Toutefois, le rapport de cause à effet postulé entre ces facteurs n'est que partiellement confirmé par les données existantes. Un bilan des résultats de recherche publiés amènent Kaufman et Zigler (1987) à estimer que moins du tiers (25% à 35%) des parents qui ont été victimes d'abus physiques, sexuels ou de négligence extrême, maltraiteront leurs propres enfants. Ainsi, au moins deux enfants sur trois victimes de maltraitance ne reproduiraient pas ce pattern auprès de leurs propres enfants.

Les antécédents de maltraitance ne constituent donc ni une cause directe ni une conséquence directe de la violence. Widom (1989a) déduit d'une autre revue de littérature que, si la probabilité de maltraitance des enfants augmente significativement : lorsque les parents ont eux-mêmes été maltraités, la majorité des adultes abuseurs n'en rapportent pas pour autant avoir été abusés durant leur enfance. Dans une étude prospective comparant 908 adultes abusés physiquement, sexuellement ou négligés, à 667 adultes d'un groupe contrôle, Widom (1989b) confirme que le cercle vicieux de la maltraitance n'est pas si fermé qu'il n'y paraît. Seuls, 1.1% des adultes maltraités durant leur enfance ont abusé ou négligé leurs enfants, comparativement à 1.0% des adultes du groupe témoin.

Les enfants maltraités ne deviennent pas automatiquement des parents maltraitants. Au Québec, Ethier et coll. (1991) rapportent de la comparaison d'un échantillon de 33 mères d'enfants maltraités avec un groupe témoin apparié, que les mères maltraitantes ont subi au cours de leur enfance dans une plus forte proportion que les mères du groupe témoin, soit de la violence physique (54% contre 30%), de la violence psychologique (54% contre 27%), des abus sexuels (36% contre 30%) ou de la négligence (33% contre 27%). Ces écarts ne sont toutefois pas aussi importants que le laissent supposer certains stéréotypes populaires. Le recours à des groupes de comparaison réduit encore le pouvoir explicatif de l'hypothèse de la transmission intergénérationnelle de la violence, surtout lorsque les parents du groupe de comparaison proviennent du même milieu socio-économique. On réalise, de même, que les antécédents de violence sont largement prévalents dans la population de parents non abuseurs.

Le rapport entre antécédents de violence et maltraitance n'en est pas un de causalité directe. L'une des premières avenues pour relativiser et contextualiser ce rapport est de considérer la maltraitance envers ses propres enfants comme l'une des conséquences possibles des antécédents de violence. Selon cette approche, la présence d'antécédents de maltraitance augmenterait aussi la probabilité de déviance sociale : délinquance à l'adolescence, criminalité à l'âge adulte, violence envers la conjointe et envers les membres de l'entourage en général (Widom, 1989b ; Strauss, 1991). Widom (1989b) montre que les enfants maltraités sont légèrement plus susceptibles de poser des gestes criminels (taux de 28,6% contre 2 1, 1% pour les témoins) et d'être arrêtés pour d'autres formes de violence (taux de 8,5% contre 6,1% pour les témoins). La littérature sur le sujet confirme que, parmi les enfants maltraités, environ 20% deviennent délinquants et seulement une minorité d'entre eux deviennent des « criminels ». À l'inverse, une forte majorité des délinquants n'ont pas été abusés pendant l'enfance (Widom, 1989a). Des évidences attestent de même que les antécédents de violence augmentent la probabilité que les individus retournent cette violence contre eux-mêmes (suicide, comportements autodestructeurs) et non exclusivement ni automatiquement vers les autres. Enfin, on n'a pu démontrer clairement que les enfants maltraités aient une plus grande tolérance ou intolérance que les autres face aux manifestations de violence (Smetana et coll., 1984) ou qu'ils soient plus portés à promouvoir le recours à la violence pour solutionner des problèmes quotidiens (Carlson, 1991).

Deux facteurs rendent complexe toute analyse contextualisée des rapports de causalité entre antécédents de violence et maitraitance :

1) le fait que le facteur « antécédents de violence » soit associé à plusieurs autres facteurs causals confondants liés aux conséquences immédiates du processus de victimisation, par exemple : antécédents de placement en centre ou famille d'accueil et séparation de la cellule familiale, traumatismes liés au processus de judiciarisation.

2) le fait que le facteur « antécédents de violence » soit fortement corrélé avec diverses expériences liées aux conditions de vie dans la famille d'origine, expériences qui prédisposent le parent à la maltraitance : avoir vécu dans des milieux de pauvreté, être exposé depuis l'enfance à tout un éventail d'événements critiques, de difficultés de vie, d'expériences traumatisantes et de conditions stressantes, violence conjugale entre les parents, socialisation dans des quartiers marqués par la violence, grossesses indésirées ou non planifiées, décrochage scolaire, monoparentalité par suite du départ du père biologique des enfants.

La vérification de l'hypothèse de la transmission intergénérationnelle de la maltraitance a souvent été entravée par diverses limites méthodologiques : insuffisance des effectifs échantillonnaux, absence de groupe de comparaison et d'études longitudinales, études rétrospectives fondées sur les antécédents de violence autorapportés, usage abusif de statistiques inférentielles, laxisme dans la définition de l'« historique de violence » (Kaufman et Zigler, 1987 ; Massé, 1990a ; Widom, 1989a).

En nous appuyant sur un devis de recherche de type cas-témoin, tout en évitant certains de ces écueils méthodologiques, nous vérifierons l'hypothèse voulant que le vécu d'antécédents de violence ne doive être considéré comme facteur « explicatif, de la maltraitance qu'une fois ses effets analysés corrélairement à ceux d'autres facteurs confondants (ex : antécédents de placement, rapports parents-enfants autoritaires) qui en constituent souvent des conséquences. L'impact des antécédents de placement (souvent multiples) serait à analyser tout particulièrement.


MÉTHODE

Les données furent recueillies dans le cadre d'une étude plus large portant sur l'isolement social, la pauvreté et la maltraitance (Massé, 1990b) auprès de 87 parents mis en cause pour négligence (77 cas) et/ou abus physique (10 cas) par les intervenants sociaux du CSSMM et interviewés à leur domicile entre octobre 1990 et décembre 1992. Le groupe de comparaison (témoins) comprend 123 parents échantillonnés au hasard à partir d'une banque de noms tirés du fichier provincial des allocations familiales. Les parents témoins furent appariés aux parents d'enfants maltraités en fonction du quartier de résidence, de la présence d'au moins un enfant de 0-12 ans et du sexe du parent interviewé (85% de mères dans les groupes cas et témoin).

Afin de mieux contrôler l'effet confondant du facteur « pauvreté », nous avons constitué deux sous-échantillons de parents maltraitants pauvres (n=75) et de parents témoins pauvres (n=47). Les parents pauvres d'enfants maltraités sont en moyenne plus jeunes (30 ans) que les parents témoins (38 ans) ; ils sont monoparentals dans une plus large proportion (63% des cas, 30% des témoins) et présentent plus souvent (47% comparativement à 14%) un « profil de pauvreté » (cumul de quatre facteurs : monoparentalité, scolarité de niveau secondaire ou moins, bénéficiaire de l'aide sociale, revenu familial annuel inférieur à $15,000). Bien qu'échantillonnés dans le même quartier de résidence que les cas, les parents du groupe de comparaison sont plus favorisés économiquement que les parents d'enfants maltraités. Par contre, 38,2% des familles du groupe de comparaison ont tout de même un revenu inférieur au « seuil de faible revenu » de Statistiques Canada (1991) comparativement à 19,7% pour l'ensemble des familles québécoises.

Les parents suivis par les services sociaux pour maltraitance envers leurs enfants seront comparés aux parents du groupe de comparaison en fonction de leurs antécédents de violence (antécédents d'abus physique ou psychologique et antécédents d'abus sexuel), des antécédents de placement et des caractéristiques de ces placements, des moyens utilisés par leurs propres parents pour faire respecter l'autorité dans la famille, des causes perçues d'une enfance malheureuse, du nombre d'enfants dans la famille d'origine, du rang occupé dans cette famille et de l'âge de la mère à la naissance du premier enfant.

Ces informations ont été rapportées par le répondant dans le cadre d'entrevues d'une durée moyenne de 90 minutes réalisées à domicile. La comparaison des deux sous-échantillons de parents présentant un « profil de pauvreté » sera faite pour chacune de ces variables. Ces analyses bivariées (utilisant le test du Chi Carré pour les données catégorielles, et l'analyse de variance à un seul critère de classification pour les données continues) permettront de répondre aux objectifs limités de cet article, soit d'identifier les lieux de différenciation dans les antécédents de violence entre parents maltraitants et parents non maltraitants de niveau socio-économique comparable.


RÉSULTATS

Les deux tiers (67,1%) des parents d'enfants maltraités rapportent avoir été victimes durant l'enfance de violence physique et/ou psychologique alors que le tiers auraient été victimes d'abus sexuel (tableau 1). Ils se démarquent des parents du groupe de comparaison dont moins du tiers (30,1%) rapportent avoir été victimes d'abus physique et/ou psychologique, et 17,6% disent avoir vécu au moins un abus sexuel durant l'enfance. De même, 26,4% des parents maltraitants et 12,2% des parents du groupe de comparaison ont connu l'une ou l'autre des formes de violence (physique, psychologique et sexuelle) durant leur enfance.

Tableau 1

Comparaison des parents maltraitants et non maltraitants, selon la présence
du profil de pauvreté, pour les antécédents de violence.

Groupes

Parents d'enfants maltraités

Parents groupe de comparaison pauvres

Parents d'enfants maltraités (total)

Parents groupe de comparaison (total)

Facteurs

(N=74)

(N=47)

(N-86)

(N=123)

Antécédents d'abus physique et/ou psychologique

68,5*

46,8

67,1*

30,1

Nombre d'abuseurs

1

54,0

77,3

50,9

73,0

2

18,0

18,2

22,8

21,6

3 ET PLUS

28,0

4,5

26,3

5,4

Antécédents d'abus  sexuel (Mères)

39,4 n.s.

26,2

39,7*

17,6

Nombre d'abuseurs

1

52,0

90,9

53,6

78,9

2

20,0

0,0

21,4

5,3

3 et plus

28,0

9,1

25,0

15,8

Cumul des deux formes d’abus

28,0 n.s.

21,3

26,4*

12,2

* P < .05 au Test du CHI Carré.


Les écarts entre les deux groupes de parents s'amenuisent nettement lorsque l'on compare les deux sous-échantillons présentant un profil de pauvreté. Près de la moitié (46,8%) des parents pauvres du groupe de comparaison rapportent alors des antécédents d'abus physique et/ou psychologique et le quart d'entre eux (26,2%), des antécédents d'abus sexuel. Les données disponibles ne permettent pas de mesurer systématiquement la sévérité et la chronicité des abus. Toutefois, les parents d'enfants maltraités rapportent avoir été abusés par un plus grand nombre de personnes, soit par deux personnes ou plus dans la moitié des cas d'abus physique et/ou psychologique et d'abus sexuel. L'identification de ces abuseurs ; montre (par des analyses complémentaires) que ces antécédents d'abus physique ou psychologique ont été vécus par les parents maltraitants. dans le cadre de la famille d'origine (mère ou père biologique ou adoptif, frère) pour 70% des cas. Les autres abuseurs (18%) étaient des membres de la parenté et 12% étaient des membres des familles d'accueil. Pour leur part, les parents du groupe de comparaison ont été plus fréquemment abusés par des membres de la famille d'origine (84%) et moins fréquemment dans les familles d'accueil.

Tableau 2

Comparaison des parents maltraitants et non maltraitants, selon la présence
du profil de pauvreté, pour divers marqueurs d'une enfance difficile.

Groupes

Parents d'enfants maltraités pauvres

Parents groupe de comparaison pauvres

Parents d'enfants maltraités (total)

Parents groupe de comparaison (total)

Facteurs

(N=74)

(N=47)

(N-86)

(N=123)

Antécédents de  placements

48,3

23,4

42,9*

15,4

Nombre de placements

1

16,0

70,0

15,4

58,8

2-4

60,0

10,0

61,5

29,4

5 et plus

24,0

20,0

23,1

11,8

Moyenne

4,5*

2,0

4,4*

1,9

Durée moyenne des placements (mois)

19,8

43,7

19,4

41,7

Enfance malheureuse

48,0 n.s

31,9

49,4*

18,7

(causes enf. Malh.)

- victime de violence

38,7 n.s

25,5

35,6*

15,4

- témoin de violence

14,7 n.s

10,6

13,8*

6,5

Parent autoritaire

80,8 n.s

78,7

80,0 n.s

76,2

- violence physique

53,3*

29,8

51,7*

26,0

- violence psy/verb.

78,7 n.s

74,5

78,2 n.s

73,2

- approche positive

17,3*

38,3

17,2*

49,6

Moins de 21 ans à la naissance du premier enfant

46,3*

14,6

45,9*

9,4

* P < .05 Au Test du CH( Carré ou à l'analyse de variance.


Les parents d'enfants maltraités se démarquent de même nettement des parents du groupe de comparaison quant aux antécédents de placements (tableau 2). Ils sont trois fois plus nombreux (42,9% comparativement à 15,4%) à avoir connu au moins un placement durant leur enfance. Ce rapport diminue du double, une fois contrôlée l'influence de la pauvreté actuelle des parents. Ils ont vécu en moyenne 4,4 placements comparativement à 1,9 pour les parents du groupe de comparaison. Ils ont connu plus d'un placement dans 85% des cas. La durée moyenne de ces placements est inférieure de moitié (19,4 mois) à celle des autres parents. D'autres analyses ont montré que ces placements étaient plus fréquemment faits dans des institutions que dans des milieux familiaux et qu'il n'existe pas d'écart notable entre les deux groupes (cas et témoin) quant à l'âge au moment du premier placement.

Une étude plus approfondie a montré une corrélation intéressante entre antécédents de violence et placements en dehors de la famille naturelle. Ainsi, 48,0% des parents maltraitants avec antécédents d'abus physique et/ou psychologique et 53,8% de ceux ayant des antécédents d'abus sexuel ont aussi connu des antécédents de placements (sans pouvoir déterminer si ces placements précèdent ou suivent les abus). Ces taux de placements sont respectivement de 29,4% et de 50,0% pour les parents du groupe de comparaison. D'ailleurs 90,0% des parents du groupe « cas » et 73,7% de ceux du groupe de comparaison qui ont connu au moins un placement, rapportent avoir été abusés physiquement, psychologiquement ou sexuellement par un membre de la famille d'accueil ou substitut.

À la question « Considérez-vous avoir vécu une enfance heureuse ? », 49,4% des cas et 18,7% des témoins ont répondu catégoriquement par la négative. La proportion des témoins pauvres rapportant une telle enfance malheureuse (31,9%) se rapproche toutefois de celle observée chez les parents maltraitants pauvres (48,9%). Invités à identifier les raisons qui les amènent à porter un tel jugement négatif sur leur enfance, les cas et les témoins ne diffèrent que très peu quant à six des catégories de raisons invoquées (par 10 à 30% d'entre eux), soit : avoir vécu dans la pauvreté, parents avec problèmes de santé mentale (dépression, tendances suicidaires, toxicomanie) ou problèmes de comportements (violence, criminalité), manque d'affection, manque de disponibilité des parents, conflit sévère avec l'un des parents et conflit avec les frères ou soeurs. Toutefois, les parents maltraitants invoquent plus fréquemment comme raisons le fait d'avoir été victimes de mauvais traitements ou le fait d'avoir été témoins de violences exercées contre leur mère ou leurs frères et soeurs.

À la question « Vos parents étaient-ils autoritaires ? », 80% des cas et 76% des témoins ont répondu par l'affirmative. Mais ici les groupes diffèrent quant « aux manières dont votre père et/ou votre mère faisaient respecter leur autorité et la discipline  ». Le recours à la violence physique grave (coups de bâton, coups de pied, râclées) est rapporté par 51,7% des parents maltraitants comparativement à 26% des parents du groupe de comparaison. Par contre, l'expérience de formes de violence psychologique ou verbale (menaces, cris, chantage, critiques dévalorisantes, etc.) est rapportée aussi fréquemment comme outils disciplinaires par les deux groupes (trois parents sur quatre). Enfin, 49,6% des parents du groupe de comparaison mais seuls, 17,2% des parents maltraitants, rapportent que le père ou la mère utilisaient des approches positives (discussion, négociation, raisonnement) pour exercer leur autorité.

Notons que les antécédents de violence sont fortement corrélés avec plusieurs autres facteurs tributaires d'une enfance difficile. Des analyses ont montré que les parents, de l'un ou l'autre groupe, qui ont reconnu avoir été victimes d'abus physique/psychologique ont aussi, dans une forte proportion, été victimes d'abus sexuel (67%) ; ils ont rapporté avoir vécu une enfance malheureuse (74%) à cause de mauvais traitements (80%) et ont connu au moins un placement (63%). Il en va de même du jeune âge du parent à la naissance du premier enfant qui est fortement associé avec les antécédents de placement et d'abus physique ou psychologique. De fait, 71% des parents ayant eu un premier enfant avant 21 ans ont rapporté avoir été abusés physiquement ou psychologiquement.


DISCUSSION

Nos résultats tendent à confirmer le portrait fait du parent d'enfants maltraités. Les deux tiers d'entre eux ont vécu des abus physiques ou psychologiques durant leur enfance et 40% des mères maltraitantes ont été abusées sexuellement. Dans près de la moitié des cas, ils ont été abusés par plus d'une personne et ce, dans le cadre de la famille d'origine. L'hypothèse de la transmission intergénérationnelle de la violence se trouve, de plus, confirmée par le fait que les parents d'enfants maltraités rapportent significativement plus souvent que les parents non maltraitants avoir été victimes de violence durant leur enfance. Cette surexposition des parents maltraitants aux antécédents de violence demeure statistiquement significative même lorsque ces derniers sont comparés aux autres parents habitant le même quartier, ayant des enfants du même âge et vivant actuellement dans les mêmes conditions de pauvreté.

Toutefois, les antécédents de violence n'engendrent pas automatiquement la maltraitance. Même si 30% des parents du groupe de comparaison furent abusés physiquement ou psychologiquement et si 18% des mères non maltraitantes furent abusées sexuellement, ils (elles) n'en maltraitent pas leurs enfants pour autant. L'attention accordée par les chercheurs à l'hypothèse de la transmission intergénérationnelle de la maltraitance a malheureusement eu pour effet d'orienter les recherches vers l'identification des « facteurs de risques » ou facteurs « prédicteurs » de la maltraitance. Les réserves apportées ici à cette hypothèse devraient contribuer à réorienter les priorités de recherche sur les facteurs de « protection » qui inhibent la transmission de la violence. Une meilleure connaissance de ces facteurs de protection serait d'un intérêt plus direct pour l'élaboration de programmes de promotion des compétences parentales et environnementales.

Le recours à un groupe de comparaison met toutefois en évidence une autre réalité : que les antécédents de maltraitance sont fréquents même chez les parents non maltraitants. Nos résultats rejoignent ceux de Ethier et col]. (1991) quant aux prévalences d'antécédents d'abus physique, psychologique ou sexuel, mais aussi quant à la minceur des écarts qui démarquent les parents abuseurs d'autres parents appariés principalement en fonction du niveau de pauvreté. Ethier propose toutefois ailleurs (Ethier, 1992) qu'une des clefs de l'explication de ces écarts peu élevés observés entre les groupes de cas et de témoins tiendrait dans le fait que les mères maltraitantes ont été abusées plus fréquemment que les mères du groupe témoin. Nos résultats confirment aussi cette hypothèse.

Les antécédents de violence ne constituent pas des événements isolés. Es s'inscrivent dans le cadre plus large d'un ensemble d'expériences vécues durant l'enfance qui ont profondément affecté la qualité des relations parents-enfant. Nos résultats montrent que les antécédents de placement, entre autres, démarquent aussi plus nettement les cas et les témoins que ne le font les antécédents de violence. Les conséquences de ces placements (p. ex. : bris des liens d'attachement entre l'enfant et les parents, perturbation de la relation affective sécurisante (Diorio, 1992) tiennent probablement une place importante parmi les facteurs prédisposant à la maltraitance. De même, les parents d'enfants maltraités, y compris ceux qui n'ont pas rapporté avoir été « abusés » physiquement ou sexuellement durant l'enfance, semblent avoir été éduqués dans des familles où le respect de l'autorité parentale reposait sur le recours à la violence physique. Ils sont conséquemment plus nombreux à reconnaître avoir vécu une enfance malheureuse et à avoir été témoins de violence familiale, deux autres facteurs prédisposants corrélés avec le vécu d'antécédents de violence.

Le recours à un groupe de comparaison de même que la prise en compte de certaines variables confondantes (antécédents de placement, enfance malheureuse, expérience d'autorité parentale abusive) ne peuvent faire oublier certaines faiblesses méthodologiques liées à une étude rétrospective (ex : antécédents de violence et de placement autorapportés). Malgré leurs limites, les résultats suggèrent deux conclusions :

1) Le fait de vérifier l'hypothèse de la transmission intergénérationnelle de la violence à partir de simples mesures de corrélation entre antécédents de violence et maltraitance envers ses propres enfants ne peut qu'occulter l'influence de divers autres facteurs. Cette corrélation devrait être modulée selon la nature et l'intensité de la violence subie durant l'enfance, la nature et l'intensité de la violence que le parent fait subir à ses enfants, le lien avec l'abuseur (père, mère, famille d'accueil, parent éloigné, etc.), l'âge du parent au moment de ces antécédents, etc.. La relation entre antécédents de violence et maltraitance de ses propres enfants n'en est certainement pas une de causalité simple et directe.

2) Les antécédents de violence représentent moins une « cause » de la maltraitance que des marqueurs ou révélateurs d'un ensemble de facteurs confondants : antécédents de placement, séquelles psychologiques d'une coupure du lien parent-enfant, apprentissage du recours à la discipline physique pour faire respecter l'autorité parentale, socialisation dans un environnement familial violent. La recherche devrait se préoccuper davantage de ces conséquences directes des mauvais traitements sur les rapports qu'entretiendront ces futurs parents avec leurs propres enfants.

Les antécédents de violence ne constituent que l'une des composantes d'une enfance marquée par la misère économique et psychologique, et ne sont que l'un des événements parmi une constellation de facteurs et d'événements ayant conditionné le devenir du futur parent. Ces facteurs médiatisent le « cycle de la violence » (Milner et Chilamkurti, 1991 : 348). La transmission intergénérationnelle de la violence masque la transmission intergénérationelle de la misère. Nous avons défendu ailleurs (Massé et Bastien, à paraître) que ce qui se transmet, c'est probablement moins la violence que les conditions de sa reproduction. Les recherches futures devront passer d'une analyse fondée sur la causalité simple et directe à une étude écologique de la genèse de la maltraitance.


CONCLUSION

Les données ne soutiennent que très partiellement l'hypothèse voulant que l'enfant abusé deviendra un parent abuseur. La culpabilisation de l'abuseur-victime sous-jacente à plusieurs recherches détourne notre attention de questions plus fondamentales. Kaufman et Zigler (1987) concluaient que l'enjeu de la recherche n'est plus de savoir « si les enfants maltraités deviendront des parents maltraitants », mais bien « quelles sont les conditions qui favorisent cette transmission intergénérationnelle ? ».

Nous croyons, en ce sens, qu'il faille réorienter nos efforts pour répondre à des questions plus pertinentes pour la prévention, soit : 1) Quels sont les facteurs de risque (ex : antécédents de violence ou de placement, traits de personnalité, misère économique) qui médiatisent la relation causale complexe entre antécédents de violence et maltraitance ? et 2) Quels sont les facteurs de protection (prédispositions psychologiques, conditions environnementales, expériences) qui permettent aux parents ayant des antécédents d'abus et de négligence de briser ce cercle vicieux de la maltraitance ?-*.

The hypothesis of intergenerational transmission of maltreatment has too often assumed a direct causality between antecedents of violence and the abuse or neglect by the parents of their own children. While presenting the results of an empirical study with a control group to test the « poverty  »factor, the author points out that maltreating parents have more a en been exposed to violence in their previous history than the control group. The dividing line is however relatively weak when maltreating parents are compared to control that are living at the same level of poverty.


RÉFÉRENCES

Carlson BE., Emotionally disturbed children's beliefs about punishment. Child Abuse Negi, 1991 : 13, 19-28.

Diorio G., Les enfants victimes de maitraitance : une étude clinique. P.R.I.S.M.E., 1992 : 3, 32-39.

Garbarino J., Gilliam G. Understanding abusive familles. Lexington, MA : Lexington Books, 1980.

Kautman J., Zigler E., Do abused children become abusive parents ? Am J. Orlhopsychiatry, 1987 : 57, 186-192.

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Massé R., Pauvreté, Isolement social et violence envers les enfants : une étude cas-témoin. [Protocole de recherche soumis au CRSSSMM] Verdun : DSC de Verdun, 1990b.

Massé R., Bastien MF. Espace de pauvreté et misère humaine : pour une contextualisation de la misère psychologique des parents maltraitants. [À paraître].

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Widom CS., Does violence beget violence ? a critical examination of the literature. Psychol Bull, 1989a ; 106 :3-28.

Widom CS., Child abuse, neglect and adult behavior : research design and findings on criminality, violence and child abuse. Am J. Orthopsychiatry, 1989b : 59 (3), 355-367.



* Raymond MASSÉ, Ph.D., est chercheur à la Direction de Santé publique de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont. Il a travaillé plus de dix ans au DSC du centre hospitalier de Verdun et il y a effectué des recherches sur la problématique de la maltraitance et sur les déterminants culturels de la nutrition. Depuis 1994, il enseigne l'anthropologie de la santé au département d'anthropologie de l'Université Laval.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 13 mai 2009 7:02
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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La vie des Classiques des sciences sociales
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