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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Raymond MASSÉ, “Analyse anthropologique et éthique des conflits de valeurs en promotion de la santé”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Cécile Fournier, Christine Ferron, Stéphane Tessier, Brigitte Sandrin Berthon et Bernadette Roussile, Éducation pour la santé et éthique. Séminaire international, Dourdan (Essonne), 27 et 28 janvier 2000, pp. 25-51. Paris: Éditions du Comité français pour l'éducation à la santé, 2001, 143 pp. [Autorisation accordée par l'auteur le 14 novembre 2008 de diffuser cette oeuvre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Raymond MASSÉ

Analyse anthropologique et éthique des conflits
de valeurs en promotion de la santé
”.

Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Cécile Fournier, Christine Ferron, Stéphane Tessier, Brigitte Sandrin Berthon et Bernadette Roussile, Éducation pour la santé et éthique. Séminaire international, Dourdan (Essonne), 27 et 28 janvier 2000, pp. 25-51. Paris: Éditions du Comité français pour l'éducation à la santé, 2001, 143 pp.

Introduction
La santé publique comme nouvelle moralité et entreprise d'acculturation

La santé publique comme stratégie de rechange au contrôle religieux des déviances
Un contexte sociétal fertile
La santé publique comme culture et entreprise d'acculturation
Les fondements du pouvoir de la médecine préventive
Les enjeux éthiques dans la pratique de la santé publique au Québec

Les enjeux éthiques liés à l'autonomie de la personne
Les enjeux éthiques liés aux valeurs de justice sociale
Les enjeux éthiques liés à la bienfaisance et à la non-malfaisance
Bilan critique de l'application de l'approche par principes en santé publique

Le principe d'incertitude. Éloge de l'incertitude créatrice
Le principe de la responsabilité partagée
Les limites de la responsabilité de l'autre
Conclusion

Pour une éthique de la complexité
Références bibliographiques
Débat. Quelques questions éthiques sur la production et l'utilisation des données scientifiques


INTRODUCTION

En réponse à l'invitation qui nie fut faite par les organisateurs (le ce colloque de traiter des enjeux éthiques en santé publique, je structurerai ma présentation autour des quatre thèmes suivants :

Pour certains, la santé publique contemporaine devient une entreprise normative qui institue une nouvelle moralité sanitariste.

• D'abord, je rendrai compte du discours critique qui s'élève dans les sciences sociales anglo-saxonnes contre les potentielles dérives paternalistes de la « nouvelle santé publique  ». Pour certains, à travers ses mandats élargis de gestion des comportements à risque pour la santé, la santé publique contemporaine devient une entreprise normative qui institue une nouvelle moralité sanitariste.

• Dans un deuxième temps, j'identifierai trois postulats, généralement admis par les professionnels de la santé publique, qui, à mon avis, fondent le pouvoir politique de la médecine préventive.

• Troisièmement, j'identifierai certains des enjeux éthiques qui furent répertories par cent cinquante professionnels des directions de santé publique du Québec en référence à leur pratique de terrain. Les enjeux rapportés ici seront ventilés en fonction des quatre principes éthiques qui fondent la bioéthique anglo-saxonne depuis la fin des années 1970.

• Enfin, en quatrième partie, je prendrai position quant à la pertinence de transposer une telle approche fondée sur une liste limitée de principes fondamentaux (principalism) ou approche canonique, reconnue utile dans le cadre de relations clinicien-patient, dans les domaines de la prévention et de la promotion de la santé.

Je conclurai sur la nécessité, pour la promotion de la santé, de confronter elle-même les enjeux éthiques soulevés par les conflits de valeurs qu'engendre inévitablement la promotion de valeurs sanitaristes avec des populations cibles susceptibles de partager des valeurs et des rationalités divergentes.


LA SANTÉ PUBLIQUE COMME NOUVELLE MORALITÉ
ET ENTREPRISE
D'ACCULTURATION
 *

La santé publique a toujours été concernée par la protection du public contre les « dangers  » plus ou moins immédiats représentés par les épidémies, l'insalubrité des milieux de vie ou les conditions de travail malsaines. Dans la seconde moitié du XXe siècle, une nouvelle santé publique élargira ce mandat initial pour devenir une entreprise de prévention contre un éventail de plus en plus large de risques potentiels. La promotion de saines habitudes de vie et de conditions environnementales favorables au maintien de la santé occuperont dès lors une place centrale dans la mission de la santé publique. Or, certains perçoivent dans l'appareillage professionnel, institutionnel et légal de la santé publique, masquée derrière un discours à prétention scientiste et rationaliste, une entreprise normative qui, au côté de la religion et de la loi, définit le bien et le mal, le souhaitable et l'inavouable, les voies du salut individuel et le sanctionnable. Cette nouvelle santé publique prendrait les formes d'une nouvelle moralité. Le recours constant à l'idée de la maladie comme moyen d'aborder les problèmes sociaux ne représenterait en rien l'abandon d'un cadre moraliste au profit d'une vision objective ; il s'agirait plus simplement d'une stratégie de rechange au contrôle religieux des déviances.

La santé publique comme stratégie de rechange
au contrôle religieux des déviances

Sans nier les importantes contributions de la santé publique au bien-être physique et mental des populations, une analyse critique de cette vaste entreprise sanitaire montre que ses succès reposent sur un ensemble de proscriptions (interdits divers parfois sanctionnés par des réglementations) et de prescriptions (de comportements sains, d'habitudes de vie, voire d'une philosophie de vie, saines) dont le succès repose sur le développement d'une « culture sanitaire  ». Confrontée à un certain plafonnement des retombées de ses mesures de promotion et de prévention, la santé publique peut être tentée de pousser au-delà d'un seuil de tolérance « acceptable  » son entreprise de contrôle socio-sanitaire. Certains sociologues et anthropologues, tels Petersen et Lupton (1966), voient ainsi la santé publique comme une forme de « religion séculaire  » dans le cadre de laquelle de nouveaux prêtres (les professionnels de la santé publique) définissent les voies impénétrables (pour le citoyen non initié à l'épidémiologie du risque) du salut sanitaire à travers l'identification de péchés séculiers (exposition volontaire aux facteurs de risque, refus de modifier des comportements à risque). Ces professionnels seraient, plus ou moins consciemment, plus proches des missionnaires prosélytes que des scientifiques neutres et désintéressés qu'ils croient être (Metcalfe, 1993 : 41).

L'impératif de « bienfaisance  » expose en fait la santé publique à des dérapages paternalistes.

Il s'agit, bien sûr, de positions radicales qui s'inscrivent dans le cadre, pour certains, d'une guerre ouverte contre un empire biomédical et technocratique envahissant, pour d'autres, d'une lutte contre toute menace aux droits et libertés individuelles. Toutefois, ces positions ont le mérite de recentrer la réflexion sur ce qui nous apparaît être le noyau dur (les enjeux éthiques générés par la santé publique, soit la promotion, via des moyens coercitifs on des pressions à caractère proprement moral, d'une conformité à des comportements et des manières de vivre promus au rang de conditions obligées du salut sanitaire. Cet impératif de « bienfaisance  » (on agit toujours pour le bien d'autrui, par bonté) expose en fait la santé publique à des dérapages paternalistes caractérisés par l'interférence entre des pratiques préventives promues an nom de l'intérêt supérieur de la santé et le droit de décider ce qui est pertinent pour soi (Svensson et Sandlund, 1990 : 275). L'un des lieux d'expression de la crise des systèmes de santé publique est donc, à notre avis, la résistance qu'oppose une population profondément marquée par les valeurs de droits individuels et la quête du bien-être, aux valeurs et aux normes promues par la saute publique. La crise est donc en partie , éthique  » ; elle oppose la valeur fondamentale voulant que « tous ont le droit de décider ce qui est pertinent pour eux » et le paternalisme des pratiques préventives imposées.

Un contexte sociétal fertile

Cette nouvelle santé publique n'aurait probablement pas pu connaître l'essor que l'on sait si elle n'avait trouve dans les sociétés modernes un terrain particulièrement fertile. Trois facteurs « prédisposants  » peuvent ici être invoqués.

• D'abord, le développement des « États providences  », qui repose sur l'idée que l'État se doit de garantir l'individu contre différents risques sociaux (maladie, vieillesse, chômage). Tout bonnement s'impose la notion de « risque social  », qui tiendra lieu et place de la notion de « faute » promue par les Églises. Un nouveau discours admettra qu'il existe des risques inhérents à la vie sociale et que l'individu ne peut être tenu seul responsable des risques auxquels il est exposé. Le citoyen a donc désormais un « droit à la réparation  » qui prendra la forme d'un accès plus ou moins universel à des soins de santé. Ce droit à la prise en charge sociale des conséquences économiques de la maladie découlant de cette socialisation des risques s'accompagnera toutefois, pour l'individu et pour l'État, d'une contrepartie obligée qui est un « devoir de protection  » contre les facteurs pathogènes et un « devoir de gestion  » des comportements à risque.

• Deuxièmement, son développement a bénéficié d'un terrain rendu doublement fertile par l'individualisme postmoderne et une éthique du bien-être personnel. La valorisation de la santé individuelle et le repli narcissique ont fait des Occidentaux des êtres réceptifs aux messages visant le salut sanitaire (Lasch, 1979). Se développe une culture éthique caractérisée par un transfert des obligations supérieures envers Dieu vers la sphère humaine profane, obligations métamorphosées en devoirs inconditionnels envers soi-même, envers les autres, envers la collectivité (Lipovetsky, 1992 : 14). Il en résulte, dans des sociétés que Lipovetsky qualifie de postmoralistes, non pas l'abandon de toute éthique, mais l'émergence d'une éthique indolore qui répugne an devoir austère, couronne les droits individuels à l'autonomie, an désir, au bonheur, légitime le passage du bien au bien-être, et n'ordonne aucun sacrifice majeur qui ne rapporte directement à soi (Ibid. : 15). Dans un certain sens, la santé publique compose avec cet individualisme, y trouvant un terrain fertile et réceptif à ses messages d'autocontrôle, à ses prescriptions et proscriptions visant le bien-être de chacun.

• Troisièmement, le développement de la nouvelle santé publique s'inscrit dans le cadre de la nouvelle rationalité néolibérale (Gordon, 1991), rationalité qui repose sur des principes tels que l'individu est un agent atomisé et rationnel dont l'existence et les intérêts sont antérieurs à ceux de la société : un scepticisme face aux capacités des autorités politiques à gouverner convenablement ; la planification et la vigilance comme régulateurs de l'activité économique, etc. (Petersen et Lupton, 1996 : 10). Ces sociétés modernes se caractérisent encore par une sur-responsabilisation de soi, alimentée par les médias de masse qui jouent le rôle de multinationales du sentiment et de puissants instruments de mise en conformité (Lecourt, 1996). L'individu subirait alors une pression à la conformité d'où résulterait une micro-éthique de la honte, laquelle deviendrait une variante intériorisée d'une macro-éthique de la peur à laquelle recourent les dictatures. Dans les sociétés libérales, le contrôle social passe donc, selon Lecourt, par une honte intériorisée de ne pas être sain, énergique et productif, mais surtout une honte de ne pas avoir tout fait en son pouvoir pour maintenir sa santé (Ibid. : 115). En fait, le droit à la santé, valeur fondamentale qui guide la santé publique, est associé à un devoir (individuel et non collectif) de la maximiser (Last, 1992 : 1194).

La santé publique comme culture
et entreprise d'acculturation

La table est alors mise pour une construction utilitariste du risque de type coûts-bénéfices qui fait de l'individu moderne un être dédié à la maximisation du rendement de ses agirs, à la pratique de choix rationnels, et donc naturellement rebuté par des risques qui menacent ses intérêts personnels (Douglas, 1992). L'épidémiologie, vue comme entreprise de normalisation des individus indisciplinés, s'impose alors comme « l'une des stratégies centrales qu'utilise la nouvelle santé publique pour construire la notion de santé et, à travers cette construction, pour invoquer et reproduire les jugements moraux Sur la valeur des individus et des groupes sociaux » (Petersen et Lupton, 1996 : 60). Construction épidémiologique du risque et construction culturelle du blâme (envers les comportements à risque) sont alors fortement associées.

La promotion de la santé peut être vue comme une entreprise pédagogique utilisée pour légitimer les pratiques de contrôle des habitudes de vie.

Je crois que l'un des lieux importants des enjeux éthiques en santé publique est justement cette construction culturelle du blâme et des jugements moraux Posés sur les groupes « à risque  » (Coughlin et Beauchamp, 1996). Elle passe par une culpabilisation de la victime et une intériorisation de l'impératif d'autocontrôle. En fait, la santé publique ne procède qu'en dernier recours par la coercition. Elle procède plus subtilement en amenant le citoyen à intérioriser les normes. Elle lui propose des normes auxquelles il se conformera volontairement. Dans un tel contexte, la promotion de la santé peut être vue comme une entreprise pédagogique utilisée pour légitimer les pratiques de contrôle des habitudes de vie. Cette intégration de l'idéologie dominante par la population a pour résultante une forme d'acculturation du citoyen à l'idéologie de la santé publique. Elle occulterait les rapports de pouvoir qui, selon Lupton (1994), marquent les rapports entre médecine préventive et citoyens. Le lieu du pouvoir ne sera donc plus le système de santé publique géré par un État tout-puissant, mais des processus micropolitiques par lesquels les individus sont encouragés à se conformer aux règles morales de la société (Petersen et Lupton, 1996 : 14). Au cœur de ces processus se trouve l'acceptation, par la population, du principe voulant que la maladie soit fille de l'irrationalité des comportements humains, de l'illogisme et de l'absence de planification face au risque. La nouvelle santé publique, répertoire de vérités validées par l'épidémiologie, offre alors un appareil de contrôle envahissant qui définit des profils de risque et, de là, des catégories de citoyens ciblés par les interventions. La santé devient à la fois un projet individuel et un projet politique de salut sanitaire.


LES FONDEMENTS DU POUVOIR
DE LA MÉDECINE PRÉVENTIVE
 *

Si, comme nous l'avons suggère dans la section précédente, les sociétés modernes constituent un terrain propice au développement de cette nouvelle santé publique, et si l'individu moderne est un candidat réceptif aux messages d'autocontrôle de ses comportements à risque, il reste encore à identifier les sources du pouvoir de la médecine préventive elle-même et, au-delà, de la crédibilité des finalités visées. Je me hasarderai ici à identifier ce qui m'apparaît être trois de ces fondements idéologiques et épistémologiques du pouvoir médical mandaté pour mettre en œuvre les interventions de promotion de la santé ou, si l'on vent, trois postulats invoqués parfois mécaniquement et automatiquement pour asseoir le bien-fondé de ces interventions.

Le pouvoir des professionnels de la promotion de la santé repose sur un premier fondement, qui est la rationalisation des connaissances.
• Le premier postulat veut que les décisions, planifications et interventions de santé publique reposent sur de solides fondements épistémologiques et soient garanties par un savoir rationalisé qui prétende à une certitude scientifique dans l'identification des problèmes de santé les plus prévalents et le ciblage des facteurs explicatifs de la maladie. Le pouvoir des professionnels de la promotion de la santé repose donc sur un premier fondement, qui est la rationalisation des connaissances. Les savoirs sont alors organisés en fonction d'une vision ordonnée du monde. Tel problème de santé, défini et mesuré en fonction de critères cohérents, est fonction d'une liste déterminée de facteurs de prédisposition (caractéristiques inhérentes au bagage physique et mental de l'individu), de facteurs de risque (liés aux comportements, à l'environnement, aux conditions de vie) et de facteurs de protection (qualité du soutien social disponible, accessibilité aux services de santé, pratique de saines habitudes de vie, etc.). Plutôt que de recourir explicitement à une justification morale de sa gestion des risques, la santé publique en appelle à une idéologie de la scientificité qui postule qu'il est possible de produire des données objectives de prévalence, d'incidence, d'efficience, de rapports coûts-bénéfices et d'en déduire des décisions d'action non biaisées. La modélisation des interrelations entre facteurs de risque est présentée comme un pré-requis pour éviter des interventions chaotiques, inefficaces et, de là, non éthiques. Or, en dépit d'une telle domestication pragmatique des savoirs, fondement d'une prétention à la « certitude  » scientifique, les professionnels sont parfaitement conscients que plusieurs programmes de prévention et de promotion de la santé reposent sur des zones d'incertitude quant à l'efficacité des interventions, à l'identification des facteurs de risque et des populations à cibler. Les sources de ce niveau (non assumé) d'incertitude sont à trouver dans la faiblesse des fondements épistémologiques et méthodologiques des modèles épidémiologiques (Weed, 1996). Les risques d'abus et de dérapages dans la manipulation de la notion de certitude statistique sont bien présents. Ce mirage de la certitude, alimenté par la rationalisation des savoirs, est, dès à présent, au service d'un paternalisme bienveillant dont le mandat est le bien-être du plus grand nombre. Divers enjeux éthiques émergent dans cette zone floue de l'incertitude quant aux prescriptions de modifications des comportements.

Les risques d'abus et de dérapages dans la manipulation de la notion de certitude statistique sont présents.
• Le deuxième postulat veut que l'action soit bonne en soi, que l'activisme soit préférable à l'immobilisme ; qu'il soit souhaitable que la société s'agite autour de l'atteinte d'objectifs de santé. La santé est considérée comme une cause qui ne peut attendre, qui nécessite des interventions - massives, invasives, intempestives. Cet activisme est un impératif qui ne tolère aucune remise en question. La société, les communautés, les professionnels, l'État, le système juridique doivent absolument être mobilisés vers l'action. La quête de la finalité ultime (le plus grand bien pour le plus grand nombre) s'inscrit dans une politique de l'espoir, de l'espérance en un meilleur état de santé, elle-même promue au rang de finalité ultime de la société moderne. Or, pour certains, cette obsession fe l'activisme visant à changer le monde devrait laisser place à une certaine dose de « désespérance politique  » (Olivier, 1998). Sans soutenir que la santé publique doive se rallier à la cause d'une telle désespérance, je serais d'accord pour reconnaître que cet impératif - intervenir pour permettre l'amélioration de l'état de santé du plus grand nombre - est devenu tellement évident, tellement ancré dans les politiques néolibérales de gestion des risques vis-à-vis de la santé qu'on ne songe ni à le questionner ni à en analyser les implications. La santé publique s'acharne - certainement pas inutilement, mais peut-être avec un zèle qui dépasse les attentes des citoyens - à vouloir dominer la maladie, à vouloir maîtriser la population, à refuser une dose de nihilisme, de désespérance, avant de générer son lot de conséquences négatives s'exprimant en termes de « normativation  » de sanctions, d'étiquetage social et de stigmatisation des groupes définis à risque. Le principal dilemme éthique réside alors dans l'arbitrage des tensions, alimentées par l'interventionnisme paternaliste de l'État, entre les valeurs d'autonomie et de bienfaisance, de liberté et de non-malfaisance (Saint-Arnaud, 1999 a et 1999b). La santé publique agit au nom d'un « contrat implicite  » par lequel la population la mandaterait pour assurer son salut sanitaire. Les enjeux éthiques découlent, en bonne partie, de la non-explicitation, et par là même des malentendus quant aux limites de la portée de ce mandat et des moyens mis en œuvre pour l'exercer.

La santé publique agit au nom d'un « contrat implicite  » par lequel la population la mandaterait pour assurer son salut sanitaire.
• Le troisième fondement du pouvoir de la médecine préventive, en tant qu'institution de promotion de saines habitudes de vie, est la négation de l'existence de rationalités alternatives à la rationalité utilitariste. Les programmes de santé publique postulent donc l'existence d'un individu potentiellement rationnel qui répond aux conditions suivantes :

Les programmes de santé publique postulent l'existence d'un individu potentiellement rationnel.

1. il a une compréhension claire des conséquences de ses comportements sur sa santé ;

2. ces comportements sont fonction de croyances clairement exprimées ;

3. la santé est la valeur ultime qui guidera ses décisions ;

4. il a une orientation temporelle axée sur le futur et un désir d'exercer un contrôle sur ce futur ;

5. il a la perception d'une liberté de choix.

La santé publique postule aussi que cette rationalité est de type instrumentai et utilitariste. Ainsi, ce citoyen rationnel :

1. choisit ses comportements en fonction de l'atteinte d'un but donné, but qui, d'ailleurs, est clairement explicite dans son esprit ;

2. évalue la portée de ses agirs dans le cadre d'une logique épidémiologique, à partir de calculs de probabilités quant aux impacts d'un comportement.

Cette conception du citoyen rationnel réduit la culture (croyances, savoirs) à un outil utilisé à des fins utilitaires par un homme rationnel, libre de ses choix, parfaitement informé, tout entier dédié à la maximisation du rendement de ses agirs, mais aussi conscient que le bonheur du plus grand nombre doit parfois passer par certaines concessions faites par l'individu.

Les comportements humains se construisent à la confluence entre diverses formes de rationalités alternatives et divergentes.

Or, l'anthropologie a montré que, dans aucune culture, y compris dans les sociétés occidentales, les agirs humains ne pouvaient répondre exclusivement à cette rationalité utilitariste. Les comportements humains se construisent à la confluence entre diverses formes de rationalités alternatives et divergentes. Parmi les principales, on retrouve une logique de « participation sociale  » (Tambiah, 1990) qui pourrait se traduire, dans le domaine de la maladie, par le fait que le pouvoir de guérison d'une amulette, d'une potion magique, d'un rituel thérapeutique soit partie prenante de l'objet ou du rituel, qu'il n'en constitue pas une fonction niais l'essence même. On peut avancer l'hypothèse selon laquelle la consommation de médicaments psychotropes, la vaccination, l'exercice physique chez les adeptes du culturisme ne sont pas vus comme des causes séparées des effets, des comportements qui entraînent la santé, mais comme des composantes consubstantielles de la santé. Ils ne produisent pas la santé ; ils « sont  », pour beaucoup, la santé. À l'inverse, le tabac, l'alcool, les drogues dures, les aliments riches en cholestérol, l'inactivité physique, le stress n'induisent pas la maladie, mais « sont  » la maladie. On petit penser que la culture de la promotion de la santé, le « bealtbism », opère dans les sociétés modernes une fusion des causes et des effets en matière de santé et de maladie, et ce, à l'intérieur des cadres d'une mystique de la santé qui peut être vue comme un système d'affirmations absolues des vertus suprêmes des pratiques préventives conduisant au salut sanitaire. Cette mystique de la santé présuppose un ascétisme fondé sur le respect de diverses prescriptions et proscriptions et, s'il le faut, une abdication de la raison dans l'analyse des mérites de cet ascétisme (ex : les multiples régimes alimentaires farfelus).

Nous pouvons avancer l'hypothèse que les rapports qu'entretient l'individu moderne avec les facteurs de risque et les saines habitudes de vie relèvent en partie, conjointement avec une logique de type coûts-bénéfices, de cette logique de participation qui empêche tout découpage net entre maladie, facteurs de risque et facteurs de protection. Cette dernière recoupe ce que d'autres appellent la logique symbolique, qui suppose que les pratiques sanitaires soient fonction des charges symboliques (d'amour, de compétition, de partage, etc.). Enfin, la logique de conformité sociale, pour sa part, postule que la force d'une croyance est fonction du degré de confiance que l'on a envers la source d'où elle émane (guérisseur, médecin, parents, groupe d'amis, etc.). Une croyance devient rationnelle dès que l'individu accorde une crédibilité aux représentations véhiculées dans sa communauté. Bref, il est rationnel de croire ce que tout le monde crédible croit. La rationalité se mesure à l'aune de la respectabilité, de la sagesse on de l'orthodoxie d'une prescription ou d'une proscription. Nous pouvons suggérer qu'une telle logique de conformité sociale tient une place non négligeable dans l'éventail des logiques alternatives accessibles au citoyen moderne et qu'elle peut expliquer le choix de comportements qui impliquent des coûts qui dépassent largement les bénéfices (ex : consommation de drogues injectables sous la pression du groupe de pairs). Elle peut certainement expliquer en partie l'adhésion aux multiples prescriptions de santé publique (ex : vaccination, port de la ceinture de sécurité).

Une étude sur les parents non vaccinants au Québec (Coste, 1998) a mis en évidence que le vaccin est associé aux symboles négatifs, forts du « chimique  », du « synthétique  », du « corps étranger inoculé  », alors que l'acte de vaccination est associé aux symboles négatifs du biomédical  », de la « mafia médicale  », de « l'invasion technique du corps  », voire de la « torture  »ou de la « dégénérescence planifiée des populations  », symboliques alimentées par certains groupes anti-vaccination. À l'inverse, les parents vaccinants n'agiraient pas plus logiquement, sinon selon une pure logique de conformité sociale. En fait, le niveau d'information sur le vaccin, ses effets secondaires, son efficacité, est très faible dans cette population. On vaccine parce qu'il est socialement reconnu pertinent de le faire, pour se conformer aux prescriptions de figures d'autorité médicale crédibles, mais non suite à une analyse rationnelle des rapports coûts-bénéfices de la vaccination.

Des problèmes éthiques émergent lorsque la santé publique adopte une approche logico-centriste qui nie toute pertinence à ces logiques alternatives.

Des problèmes éthiques émergent lorsque la santé publique adopte une approche logico-centriste qui discrédite et nie toute pertinence à ces logiques alternatives. Un tel discrédit joue un rôle certain dans la légitimation du pouvoir de la médecine préventive (porte-flambeau de la rationalité utilitariste) et du paternalisme dont sont teintées ses interventions. Pourtant, la rationalité de sens commun qui fonde les comportements quotidiens repose sur un mélange, au dosage largement indéterminé, d'une pluralité de rationalités. L'anthropologie suggère de ne plus se limiter à statuer sur « la  » logique des savoirs et pratiques sanitaires ; l'analyse des enjeux éthiques en santé publique doit traiter du phénomène autrement plus pertinent de la cohabitation des diverses formes et niveaux de logiques (de conformité sociale, symbolique, utilitariste, de sens commun, etc.) chez un Même individu. Elle doit se préoccuper de l'analyse contextualisée des conditions dans lesquelles le citoyen a recours à tel ou tel niveau de logique dans telle on telle circonstance. Et ce, sans mettre de côté l'analyse des conditions sociopolitiques définissant les modèles dominants de rationalité, la cohabitation de logiques plurielles, bref l'étude de la logique de production de rationalités hybrides (Massé, 1997).


LES ENJEUX ÉTHIQUES DANS LA PRATIQUE
DE LA SANTÉ PUBLIQUE AU QUÉBEC 
*

Dans le cadre d'un projet de recherche portant sur les enjeux éthiques en santé publique **, cent cinquante professionnels de dix directions de santé publique ont été invités, par le biais de « focus groups  » ou d'entrevues individuelles, à identifier quels étaient les principaux enjeux éthiques qu'ils percevaient dans le cadre de leur activité professionnelle. Sur un plan empirique, l'objectif de ce projet est de dresser une liste de ces enjeux éthiques définis très largement comme les lieux de conflits de valeurs : conflits entre les valeurs promues par la santé publique et celles véhiculées par les populations cibles, mais aussi conflits, au sein même de la santé publique, entre diverses valeurs parfois inconciliables. Sur un plan théorique, la question de base posée par les responsables de ce projet est celle de la pertinence du recours aux quatre principes de base de la bioéthique pour servir de balises aux prises de décision en santé publique. On pouvait, dès le départ, anticiper que des principes qui ont fait la preuve de leur pertinence dans le cas de relations cliniques médecin-patient, ne pourraient répondre à toutes les questions lorsque l'interlocuteur n'était plus un seul individu mais des populations ciblées et des collectivités. La présente ventilation des enjeux selon les principes de respect de la personne (autonomie), de justice sociale, de bienfaisance et de non-malfaisance permet toutefois de camper le débat. L'échantillon des lieux d'enjeux éthiques présentés permet d'identifier ce qui devrait être des préoccupations quotidiennes des interventions de promotion de la santé. Comme nous le verrons dans la quatrième partie de ce texte, ces principes et les valeurs qu'ils représentent ne résument certainement pas l'ensemble des principes et valeurs en jeu. Ils se réfèrent toutefois certainement à quatre valeurs largement partagées tant par la population que par les professionnels et les gestionnaires des interventions de promotion de la santé.

Les enjeux éthiques liés
à l'autonomie de la personne

Rappelons d'abord que le principe d'autonomie, tel qu'il est défini par la bioéthique, est généralement associé à la notion d'« autonomie dans la prise de décision  ». Pour Beauchamp et Childress (1989), par exemple, une personne est autonome si elle « agit en accord avec un plan librement choisi et documenté » (Ibid. : 68). Ce principe suppose un acteur social rationnel qui réponde aux conditions suivantes

1. il agit intentionnellement ;

2. avec une compréhension des enjeux

3. sans contrôle de la part d'influences contrôlantes qui déterminent ses agirs (Ibid. : 69).

Ce concept est donc relié à divers concepts connexes, tels ceux d'autodétermination, de droit à la liberté, de droit à la vie privée, de choix individuel, de liberté de suivre la volonté d'un autre, etc., d'où un certain flou dans sa définition. Les principales thématiques auxquelles ce principe est appliqué sont alors celles du consentement informé et du refus informé face à des soins proposés.

Nous pouvons identifier une série de questions à portée éthique en nous appuyant sur les cinq conditions qui rendent possible une décision véritablement autonome, selon Beauchamp et Childress (Ibid. : 79-113).

Nous pouvons identifier une série de questions à portée éthique en nous appuyant sur cinq conditions qui rendent possible une décision véritablement autonome.

Des individus et une population qui ont la compétence de décrypter et de comprendre l'information donnée. Tout en faisant ici abstraction du débat portant sur le caractère très hypothétique de cet être rationnel idéalisé, nous pouvons tout de même souligner l'importance de ce critère pour la santé publique. Qu'en est-il de la compétence du citoyen face à des décisions de vaccination, d'acceptation de tests de dépistage, de participation à des ateliers de promotion de la compétence parentale, etc. ? Quelle est la place des considérations « logiques  » au côté de considérations liées à l'émotion, aux valeurs culturelles, à la philosophie de vie, etc. ?

Des individus et des populations qui se sont vu transférer un niveau suffisant d'information. Un individu mal informé ne petit assumer pleinement son autonomie. Or, les questions suivantes doivent être posées : jusqu'où doit-on aller dans l'information donnée à la population concernant, par exemple, les effets secondaires possibles de tel vaccin, des risques de diagnostic faussement positif dans le cas de tel test de dépistage, des risques de cancer (faibles) associés au fait de vivre dans une école isolée à l'amiante ou à proximité d'une ligne à haute tension électrique, d'une usine qui rejette tel produit toxique dans l'atmosphère ? Le problème est d'autant plus aigu dans les cas (très nombreux) où les risques pour la santé sont très faibles et parfois hautement hypothétiques. Un lieu majeur d'enjeu éthique soulevé par les professionnels de santé publique est, en ce sens, le dossier de la communicationn du risque. Un exemple en est la communication des risques environnementaux dans le cas des dossiers de pollution. La transparence des informations est primordiale, s'accordent à dire les professionnels. Mais un communiqué de presse, une étude d'impact des risques, une simple évaluation de la perception des, risques dans une population peuvent générer une inquiétude importante. Toute la question est d'identifier le niveau acceptable de risque toléré avant d'informer la population.

Dans quelle mesure la promotion de la santé doit-elle respecter le « droit de ne pas savoir  » d'un individu ou d'une collectivité ?

L'enjeu éthique se situe alors au niveau de la non-divulgation intentionnelle d'information. Dans le cadre des soins au malade, le professionnel peut invoquer la notion de « privilège thérapeutique  » en cas d'urgence, d'incompétence appréhendée du malade ou de renonciation à l'information. Les professionnels sont en droit de se demander dans quelle mesure cette notion de « privilège thérapeutique  » est applicable en santé publique. Le dilemme éthique résulte de la confrontation de deux valeurs : le droit du citoyen à l'autonomie dans sa décision, qui passe par l'accès aux informations pertinentes versus la responsabilité de non-malfaisance qui incombe au professionnel ne souhaitant pas générer inutilement une anxiété abusive. Le conflit s'exprime alors entre le « droit de savoir  »et le « devoir d'avertir ». Une autre question à portée éthique est la suivante : dans quelle mesure la promotion de la santé doit-elle respecter le « droit de ne pas savoir  » d'un individu ou d'une collectivité ? La question est alors de savoir dans quelle mesure on est justifié d'intervenir en dépit du refus des travailleurs d'une usine ou d'une mine, des membres d'une communauté rurale ou d'une communauté ethnique de participer à des tests de dépistage ou à des études de prévalence d'un problème de santé donné.

La notion de risque est comprise différemment par les professionnels et par la population.
Des individus et des populations qui ont une bonne compréhension de l'information divulguée. Une autre question que se posent les professionnels est de savoir jusqu'où ils doivent aller dans l'explication des tenants et aboutissants d'un risque pour la santé pour faire en sorte que l'information soit bien comprise par la population avant d'agir. Le problème est particulièrement aigu en ce qui concerne la notion de risque, qui est comprise très différemment par les professionnels et par la population. En fait, la conception probabiliste du risque est difficile à conceptualiser pour le commun des mortels porté à y réfléchir en termes binaires (présence/absence du risque). Deux autres problèmes se posent, même une fois l'information divulguée de la façon la plus claire et la plus compréhensible possible. D'abord, comprendre n'est pas accepter. Certains groupes peuvent refuser l'information comme non valide en fonction de leurs croyances religieuses ou autres. Ils peuvent « comprendre  » l'information donnée, mais ne pas l'« accepter  »comme valide ou pertinente. Ensuite, une partie de la population peut refuser d'être informée et souhaiter déléguer aux professionnels le soin de prendre la décision à leur place, choisissant ainsi de s'en remettre aux experts. Ce type de situation semble parfaitement illustré dans le cas de la vaccination ou, selon une étude récente, les parents québécois semblent très peu informés des bénéfices et des effets secondaires des vaccins donnés à leurs enfants, voire même parfois totalement ignorants de la nature des vaccins reçus. Dans ce dossier, bien que l'information soit accessible, les parents semblent s'en remettre totalement aux professionnels de la santé publique pour définir ce qui est souhaitable ou non. En fait, le citoyen semble considérer qu'une intervention collective de ce type ne pourrait recevoir l'aval de l'État et des spécialistes si elle comportait des risques sérieux. À la limite, un individu parfaitement autonome peut, en toute connaissance de cause, s'en remettre à une tierce personne crédible et légitime pour décider à sa place dans un dossier donné. L'autonomie signifie-t-elle aussi l'autonomie de laisser d'autres décider pour soi ?

Il existe une limite à la quantité d'informations qui peuvent être transmises, mais aussi comprises, par la population cible.

Tous les professionnels reconnaissent qu'il existe une limite à la quantité d'informations qui peuvent être transmises, mais aussi comprises, par la population cible. Alors, quel est le niveau d'effort, en termes d'information, que doit fournir la santé publique afin de se sentir moralement habilitée à faire pression en faveur de l'adoption de saines habitudes de vie ? Est-il tout de même légitime d'implanter des interventions de promotion de la santé chez des sous-groupes qui abdiquent face à la tâche d'intégrer les messages de proscription de comportements à risque pour leur santé ?

Enfin, des enjeux éthiques particuliers émergent dans le cas de populations cibles appartenant à des communautés ethniques minoritaires. Plus ou moins implicitement, les programmes de promotion de la santé font l'apologie de valeurs qui sont au cœur de la culture dominante, mais qui peuvent heurter les valeurs d'autres cultures. L'exemple de la promotion de l'autonomie de l'individu fut invoqué à titre illustratif. L'accent placé sur l'autodétermination et le contrôle de son environnement social est parfois mal reçu chez des populations où les valeurs de communautarisme, de partage, de solidarité, de collectivisation des prises de décision prédominent sur l'individualité.

L'enjeu, en santé publique, réside dans les limites entre persuader (convaincre), contraindre et manipuler.
Des individus et des populations qui jouissent d'un libre arbitre dans la prise de décision. Le fait d'être complètement informé et d'être en mesure de comprendre toutes les implications de ces informations ne suffit pas à assurer l'autonomie d'un individu. Encore faut-il qu'il puisse prendre ses décisions sans les pressions indues de membres de l'entourage, de professionnels ou d'institutions étatiques. L'enjeu, en santé publique, réside alors dans les limites entre persuader (convaincre), contraindre et manipuler. Il ne s'agit pas de concevoir un citoyen théorique entièrement libre de toute influence. Mais la question demeure de définir dans quelle mesure sont justifiables les contraintes et limites posées au choix libre et à la manipulation de l'opinion publique par la santé publique. En fait, l'autonomie n'est jamais totalement indépendante de la pression exercée par diverses sources d'autorité crédibles et légitimes, ou tout au moins reconnues comme telles par l'individu.

Des individus et des populations qui autorisent la délégation des prises de décision à des porte-paroles de leur communauté d'appartenance. Dans un contexte où ce sont des groupes ou des collectivités qui sont visés par des interventions de santé publique, et que ce sont ces groupes et collectivités qui risquent de bénéficier mais aussi de souffrir des conséquences des interventions, l'autonomie ne peut être associée qu'au seul individu. Une question que se posent certains intervenants de santé publique est celle de la possibilité d'obtenir l'autorisation de groupes ou de collectivités avant de procéder à des enquêtes épidémiologiques ou à la mise sur pied d'interventions de prévention ou de promotion de la santé. À titre d'exemple, certains professionnels se sont demandé s'il serait plus éthique d'obtenir l'autorisation des représentants des groupes d'hémophiles, de la communauté gaie, de dirigeants syndicaux locaux ou de telle communauté ethnique avant d'entreprendre des interventions de santé publique. Au-delà des difficultés que pose l'identification de porte-paroles crédibles et reconnus à ces groupes et collectivités hétérogènes, se trouve évidemment le problème de la délégation de responsabilités individuelles à des représentants de groupes auxquels certains membres préfèrent ne pas s'identifier.

Les enjeux éthiques liés aux valeurs de justice sociale

La santé publique respecte-t-elle le principe de justice dans le cadre de ses interventions auprès des individus et des populations ciblées ? Si oui, quelle acception de ce concept de justice est promue par les professionnels ? La santé publique, considérée globalement comme un acteur social important, s'implique-t-elle dans la lutte contre les inégalités sociales ? Joue-t-elle un rôle actif dans la redéfinition des rapports sociaux asymétriques entre divers sous-groupes de la société ? Ces questions fondamentales se retrouvent en trame de fond dans notre étude sur les enjeux éthiques. Ici encore, nous pouvons amorcer notre questionnement à partir d'une liste de six critères qui permettraient, selon Beauchamp et Childress (1989), de guider une justice distributive dans le cadre d'une bioéthique. En tentant d'adapter ces principes aux réalités de la santé publique et aux préoccupations éthiques des professionnels rencontrés, voici six questions auxquelles est confrontée la santé publique :

1. Tout le monde devrait-il avoir, de manière inconditionnelle, un accès égal aux services de protection, de prévention et de promotion de la santé, et ce, dans le cadre de l'application d'une acception formelle de la justice ?

2. Doit-on étendre tous les programmes de santé publique à l'ensemble de la population et éliminer l'approche par population cible en considérant que « tout le monde a la même contribution au système en payant des impôts » ou encore doit-on en offrir plus à ceux qui payent le plus d'impôts ?

Ou au contraire :

3. Doit-on ajuster cette offre de services aux « besoins  » de l'individu, besoins définis à partir de critères épidémiologiques (ex : prévalence d'un problème dans un groupe donné ; surexposition à un facteur de risque) ?

4. Doit-on ajuster cette offre de services en fonction de l'« effort  », c'est-à-dire du degré de participation, d'implication et de collaboration de l'individu aux programmes de santé publique ou du degré de mise en application des prescriptions et des proscriptions proposées (ex : mettre fin à certains programmes en milieux défavorisés ou en milieux toxicomanes du fait que ces clientèles sont peu réceptives aux messages de santé publique) ?

5. Doit-on ajuster cette offre de service en fonction du « mérite  » ou de certaines vertus des citoyens (ex : mérite acquis par le travail : souci constant pour sa santé) ?

6. Doit-on ajuster cette offre de services en fonction des « lois du marché  », c'est-à-dire en fonction de la capacité de payer des individus (ce qui sous-entend une privatisation des services de prévention tels les cours prénataux) ?

La justice sociale et redistributive constitue un idéal visé mais jamais parfaitement atteint par la santé publique.

Il apparaît clairement, à la lumière des propos tenus par les professionnels rencontrés, que la justice sociale et redistributive constitue un idéal visé mais jamais parfaitement atteint par la santé publique, et ce, tant au niveau de l'accessibilité des services de prévention qu'au niveau de l'allocation des ressources en promotion de la santé. Il en résulte un certain nombre de questions à incidence éthique que se posent les professionnels dans le cadre de leur travail :

1. Est-il éthique de limiter l'accès (ou de tolérer les limitations à l'accès) aux programmes de promotion et de prévention à certains sous-groupes sociaux définis sur la base de limites géographiques (ex : régions éloignées, quartiers économiquement défavorisés), de caractéristiques socio-démographiques (ex : en ciblant on en éliminant certains groupes d'âge) ou ethniques (ex : discrimination par omission dans le cadre de programmes insensibles aux valeurs véhiculées par certains groupes) ?

2. Est-il moralement acceptable, pour des raisons d'insuffisance de ressources économiques et professionnelles, de ne pas offrir des programmes de prévention ou de promotion de la santé reconnus efficaces (ex : certains programmes de périnatalité, de vaccination contre l'hépatite, de santé nutritionnelle) ?

3. Est-il de la responsabilité éthique de la santé publique d'intervenir afin de réduire les inégalités sociales quant à l'état de santé et à l'exposition aux facteurs et conditions de vie à risque ?

4. À partir de quel moment la discrimination positive envers les groupes économiquement défavorisés devient-elle non éthique et discriminatoire pour les classes moyennes qui se voient privées d'accès aux services préventifs ? La santé publique québécoise n'agit-elle pas parfois par automatisme ou par « political correctness  » dans le ciblage de telles populations, au détriment d'une réponse adéquate aux besoins des citoyens de classe moyenne ?

5. Jusqu'où doit-on aller dans l'offre de services de prévention à des groupes cibles qui répondent peu ou mal aux prescriptions et aux proscriptions édictées par la santé publique ou qui s'exposent volontairement à des situations à risque ?

Ces dernières questions liées à la restriction de l'accès des services préventifs aux seules personnes responsables qui le « méritent  » ne sont pas centrales chez les professionnels rencontrés. Plusieurs toutefois craignent que, dans le cas d'un virage possible de l'État vers la privatisation des services de santé, et des services préventifs, en particulier, la question de l'accès des services selon le « mérite  » ne se pose de façon plus aiguë. Plusieurs se sont explicitement opposés à toute forme de référence au mérite en invoquant la primauté des valeurs de solidarité sociale, de respect de l'autonomie de l'individu face au choix de son mode de vie. D'autres avancent un argument plus scientifique, se référant à la quasi-impossibilité d'établir un lien de causalité simple entre un comportement à risque donné et un problème de santé. Selon ce discours, c'est généralement un faisceau de facteurs de risque qui est en cause et il serait très difficile d'identifier des individus présentant un véritable « profil complexe à risque  » qui pourraient faire l'objet de discrimination. Globalement donc, c'est la version rawlsienne de la justice qui semble le mieux inspirer la pratique de la santé publique. Pour John Rawls (1971), une société coopérative devrait tout faire pour compenser les torts et les désavantages générés par les inégalités de naissance, les capacités héréditaires, mais aussi les hypothèques qui reposent sur les épaules d'individus socialisés dans des milieux qui ne leur ont pas permis de développer au maximum leurs capacités. Ceux qui ont eu la chance de naître avec des capacités supérieures ou dans des conditions sociales qui leur ont permis de se développer ne méritent pas, au sens strict, leur position avantageuse. La société doit compenser les inégalités naturelles et socio-culturellement construites en puisant dans les ressources de ceux qui ont eu la chance d'être avantagés.

Pour John Rawls, la société doit compenser les inégalités naturelles et socio-culturellement construites en puisant dans les ressources de ceux qui ont eu la chance d'être avantagés.

Telle est l'approche dominante en santé publique au Québec. Les pauvres, les Amérindiens, les toxicomanes, les sidéens en milieux carcéraux sont considérés comme désavantagés « naturellement  », dans la mesure où ils sont nés dans des milieux familiaux et sociaux difficiles ou sont exposés à des conditions de vie à risque. C'est pourquoi la santé publique doit leur consacrer une plus large part de ses ressources, la santé faisant partie des biens les plus importants de l'être humain et étant un moyen prioritaire de corriger les injustices naturelles et socialement créées. Ce constat n'empêche pas, sur une note plus polémique, de poser la question suivante : le ciblage des groupes défavorisés par les programmes de prévention et de promotion ne sert-il pas, entre autres fonctions, à donner bonne conscience à l'entreprise normative d'une santé publique en quête de légitimité sociale ?

Les enjeux éthiques liés à la bienfaisance
et à la non-malfaisance

Selon la compréhension qu'en ont Beauchamp et Childress, le principe de bienfaisance se réfère à l'obligation d'agir dans le sens du bien-être d'autrui, mais sans que ce principe ne s'applique de façon absolue, son application étant limitée par la nécessité de respecter les autres principes. En fait, ce principe doit être pondéré par des considérations utilitaristes : il faut maximiser les bénéfices possibles, mais en limitant les maux et les conséquences négatives pour l'individu et les populations ciblées, c'est-à-dire en respectant le principe de non-malfaisance. Il est toutefois évident que la bienfaisance, même pondérée par des considérations utilitaristes, flirte toujours avec le paternalisme. La question qui se pose alors est : « Dans quelles conditions, s'il en est, la santé publique est-elle justifiée d'adopter une attitude et une ligne d'intervention paternaliste ? » On encore : « L'autonomie individuelle peut-elle être brimée au nom du bien commun ?  » (Saint-Arnaud et Massé, à paraître).

« L'autonomie individuelle peut-elle être brimée au nom du bien commun ?  »

Trois exemples permettront ici d'illustrer ces enjeux.

• Un premier exemple est celui du choix de moyens plus ou moins coercitifs pour limiter l'usage du tabac ou, tout tu moins, l'exposition des non-fumeurs à la fumée de tabac. Cet exemple recoupe celui invoqué dans le cadre du principe d'autonomie. Les règlements contenus dans la loi de protection des non-fumeurs véhiculent des composantes fortement paternalistes. Motivées par le principe de bienfaisance (protéger la santé des non-fumeurs), ces réglementations dépouillent le fumeur du libre arbitre qui lui confère l'autonomie du choix de fumer ou non dans tel ou tel lieu.

• Dans le cadre des interventions dites de réduction des méfaits (ou des risques pour la santé), comme le programme de distribution gratuite de seringues propres aux toxicomanes dans les pharmacies et autres lieux de distribution, les bienfaits anticipés pour les consommateurs de drogues injectables s'accompagnent de risques de malfaisance (par exemple, envers les enfants qui ont accès aux seringues souillées laissées par milliers dans les parcs et autres endroits publics). Des questions éthiques sont soulevées, de plus, lorsqu'on considère la possibilité de fournir des seringues propres à des jeunes de moins de quatorze ans sans le consentement de leurs parents. La philosophie de l'approche s'appuie sur une attitude de responsabilisation du jeune. Mais peut-on dire que l'usager accepte une seringue de manière libre et éclairée, s'il est jeune, si son jugement est altéré, si des influences, sinon des pouvoirs, s'exercent sur lui comme membre d'un gang de rue ou d'un réseau de prostitution ? Par ailleurs, étant donné que ces interventions préventives ne sont pas très bien reçues par la population qui y réagit avec une grande sensibilité, est-il éthique, pour les professionnels responsables de leur application, de décider de ne pas diffuser dans le public l'annonce du programme, de peur que des réactions négatives ne mettent l'intervention en péril ? Est-il éthique, dans ce cas, de ne pas informer et d'agir en catimini ?

• Enfin, dans le cas des tests de dépistage en milieux de travail, les bienfaits s'accompagnent de malfaisances parfois directes. Mises en œuvre pour le bien des travailleurs auprès desquels il sera possible de faire des interventions précoces ou de motiver l'employeur pour apporter des modifications à l'environnement de travail, ces interventions comportent aussi des risques d'effets pervers, sous forme d'étiquetage des travailleurs qui, associés à certains problèmes de santé, peuvent voir leur « employabilité  », voire leur « assurabilité  », remises en cause. Certains travailleurs préfèrent ne pas savoir qu'ils sont atteints, de peur de ne plus pouvoir travailler ou de perdre leur emploi. D'autres refusent de poursuivre des tests et des investigations plus poussées. Si les mêmes travailleurs sont malades par la suite, l'employeur peut refuser de les indemniser en arguant que si leur condition avait été diagnostiquée au départ, ils auraient été affectés à une autre tâche et qu'ainsi il n'y aurait pas eu de demande d'indemnisation. On peut alors se demander s'il est éthique de dépister en l'absence du consentement des travailleurs concernés. Le dilemme bienfaisance/malfaisance apparaît aussi au niveau populationnel, dans les dossiers de santé environnementale, lorsque la santé publique souhaite appliquer des réglementations qui peuvent avoir un impact sur des fermetures d'usines ou sur le blocage du développement de certaines industries polluantes.

Reprenant la distinction apportée par Feinberg (1971) et reprise par Saint-Arnaud (1999 a) entre paternalisme fort et paternalisme faible, nous pouvons reconnaître la pertinence d'un paternalisme faible en santé publique, soit l'imposition de prescriptions ou de proscriptions de comportements qui ont fait l'objet d'un certain consensus dans la population. Le paternalisme fort, soit un souci pour les bienfaits qui découleraient d'une intervention d'autorité lorsqu'une personne (ou une population cible) ne peut prendre de décision éclairée à cause d'incapacités ou de contraintes ou de limites, est nettement plus discutable. Il s'agit alors d'une forme de consentement substitué qui soulève des questions importantes. L'un des enjeux majeurs en santé publique est alors la définition des conditions sous lesquelles un paternalisme fort ou faible peut être légitimement invoqué.


BILAN CRITIQUE DE L'APPLICATION
DE L'APPROCHE PAR PRINCIPES
EN SANTÉ PUBLIQUE

Dans la mesure où l'on n'en fait pas un intégrisme procédurier, l'approche par principes, dont celle fondée sur les quatre principes promus par la bioéthique américaine, est pertinente et constructive. Elle constitue une grille d'analyse efficace pour l'identification des lieux des enjeux éthiques tout en offrant des balises pour guider les actions et les décisions face aux limites des interventions de santé publique. En fait, les quatre valeurs proposées à travers ces principes synthétisent certainement quatre valeurs importantes et dominantes des sociétés occidentales. Valeurs tout autant partagées par les professionnels et les gestionnaires que par les populations ciblées. Contrairement aux codes moraux canoniques, ces principes respectent la pluralité des valeurs caractéristiques de nos sociétés postmodernes. L'éthique axée sur ces principes se définit alors comme le lieu des débats, échanges et constructions de consensus face à des situations où le respect intégral des principes dérivés de ces valeurs est impossible, d'où l'émergence de « dilemmes  » éthiques.

Il faut toutefois reconnaître diverses limites à une approche par principes.. Pourquoi quatre principes et pas plus ? Pourquoi ces derniers, et non d'autres principes, soutenant d'autres valeurs aussi pertinentes et partagées ? Hubert Doucet (1996), dans une critique structurée, identifie diverses « voies parallèles  » proposées par les « éthiciens  » comme autant d'alternatives au « principalisme » :

1. Une éthique de la vertu, centrée sur le devoir moral du praticien, devoir de « sagesse pratique  », comme l'appelle Paul Ricoeur.

2. Le courant féministe qui resitue la femme au cœur du débat, mais met aussi l'accent sur l'éthique des soins empathiques

3. La casuistique, qui critique l'insensibilité de la bioéthique axée sur les principes aux situations concrètes et à l'expérience vécue des malades dans leur itinéraire de vie.

4. L'éthique narrative (qui, à notre avis, est une variante méthodologique de la casuistique).

5. Les éthiques de la responsabilité (dont nous parlerons plus loin), axées sur la notion de responsabilités partagées.

Nous croyons que l'approche « principaliste  » est plus apte à fournir les balises permettant de trancher les dilemmes éthiques en promotion de la santé.

Ces alternatives au « principalisme  » sont toutefois, à notre avis, mieux adaptées au cadre de relations clinicien-patient qu'au cadre d'interventions populationnelles du type promotion de la santé. Nous croyons donc qu'épurée de ses applications mécanistes, élargie potentiellement à d'autres valeurs et principes, l'approche « principaliste  » est plus apte à fournir les balises permettant de trancher les dilemmes éthiques en promotion de la santé. Nous y adjoindrons toutefois deux conditions : d'abord adopter une éthique de l'incertitude, puis ajouter un cinquième principe découlant de la valorisation d'une responsabilité partagée.

Le principe d'incertitude.
Éloge de l'incertitude créatrice

L'entreprise de santé publique, qui se donne comme mandat une gestion rationnelle, disciplinée, des comportements et autres facteurs de risque pour la santé, repose sur la production d'un savoir spécialisé présente sous forme de données « scientifiques  » liées à la nature des facteurs de risque et à leur distribution dans l'espace social. L'épidémiologie, discipline mandatée pour cet exercice, s'attaquera donc à la tâche de la rationalisation des connaissances. Tel problème de santé, défini et mesuré en fonction de critères cohérents, est fonction d'une liste déterminée de facteurs de prédisposition (caractéristiques inhérentes an bagage physique et mental de l'individu), de facteurs de risque (liés aux comportements, à l'environnement, aux conditions de vie) et de facteurs de protection (qualité du soutien social disponible, accessibilité aux services de santé, adoption d'un mode de vie sain, etc.). Plutôt que de recourir explicitement à une justification morale de sa gestion des risques, la santé publique en appelle à une idéologie de la scientificité qui postule qu'il est possible de produire des données objectives de prévalence, d'incidence, d'efficience, de rapports coûts­

bénéfices, et d'en tirer des décisions d'action non biaisées. Or, la certitude peut être considérée comme la base de l'inefficacité de l'action, de l'imprudence et de l'irresponsabilité dans plusieurs interventions de prévention et de promotion de la santé. Elle risque de servir d'assise à l'intolérance face aux comportements déviants.

En fait, l'évolution historique de diverses « évidences scientifiques  » montre la fragilité de ces certitudes. L'éthique en santé publique se devra de passer par l'adoption d'un souci du doute face aux évidences épidémiologiques. Ce regard critique face à la certitude ne peut être un principe éthique dans la mesure où il ne se réfère pas à une valeur en soi. Il constitue toutefois une condition épistémologique obligée de l'éthique. Comme le suggère Bourgeault, « l'incertitude m'a paru être une condition plus qu'un principe. Principe, oui, dans la mesure où l'incertitude paraît être, à l'origine de la quête  - à sa base même --, source d'un élan. Mais l'incertitude est aussi présente à l'aval de cette quête, au-delà des certitudes ; et en son cœur même. Condition de notre vie qui fait de celle-ci une perpétuelle quête  » (Bourgeault, 1999 a : 13). D'ailleurs, pour Bourgeault, « l'incertitude  » fait l'erreur de se définir par la négative, le manque, l'absence de certitude. Alors que « la première, l'incertitude, n'est pas qu'en-deçà, mais encore au-delà de la seconde, au-delà de la certitude  » (Ibid. : 72). L'incertitude doit donc primer sur la certitude.

Toutefois, l'incertitude ne va pas sans risque. Risque d'abord de justifier l'inaction et le report de décisions qui ne peuvent attendre sans engendrer des conséquences néfastes pour la population ciblée. L'éthique de l'incertitude ne doit jamais devenir un frein à l'action en sapant la motivation des professionnels de santé publique qui travaillent dans le cadre d'un mandat clair donné par la population pour la prévention de la maladie. Il nous faut donc, avec Bourgeault, « contester le bien-fondé d'un discours qui associe à tort, comme nécessairement liées, incertitude et hésitation, incertitude et inaction. [Au contraire], la logique de l'action... exige la prise en compte de l'incertitude  » (Ibid. : 82). À ceux qui se disent hommes de terrain et d'action, en se définissant par opposition aux intellectuels jugés spécialistes de l'inaction, les professionnels de la santé publique doivent être en mesure de répondre que « c'est précisément quand elle passe à l'action que la certitude prétendue devient dangereuse  » (Ibid. : 81). Il nous faut donc faire un plaidoyer en faveur de l'incertitude non pas comme finalité, mais comme moyen, un plaidoyer « pour sa prise en compte avant, pendant et après l'action  » (Ibid. : 89).

Il nous faut faire un plaidoyer en faveur de l'incertitude non pas comme finalité, mais comme moyen.


Le principe de la responsabilité partagée

Il est largement reconnu par la nouvelle santé publique que la promotion de la santé doit passer par des interventions au niveau des facteurs sociétaux qui créent des environnements de vie à risque pour la population. Les luttes contre la pauvreté, pour un environnement physique sain, pour des aliments exempts de manipulations génétiques ou de produits toxiques, pour des conditions de travail adéquates, ne sont que quelques exemples de lieux d'intervention qui dépassent clairement le niveau des comportements individuels. La responsabilité est alors collective, sociale et politique. En ce sens, la responsabilité des instances de santé publique devrait être partagée avec les diverses instances politiques et administratives qui ont le pouvoir d'intervenir sur ces facteurs dans le cadre du jeu hypercomplexe des interdépendances entre les causes et les niveaux d'intervention.

« Dans nos sociétés, les risques pour la santé sont partagés d'une manière très inégale.  »

En fait, « dans nos sociétés, les risques pour la santé sont partagés d'une manière très inégale, au point que certains retirent d'énormes bénéfices des risques qui sont encourus par d'autres. C'est une question de redistribution, au même titre qu'une loi fiscale ou que la politique scolaire  » (Forest, 1999 : 93). Ainsi, nous pouvons reconnaître avec Hubert Doucet que « sans reconnaissance des individus et des groupes dans ce qu'ils sont, la santé publique demeure une affaire de classe sociale, soit la classe sociale pour laquelle la logique de l'action préventive fait sens  » (Doucet, 1999 : 83). Guy Bourgeault (1999 b) soutient, en ce sens, que la santé publique nord-américaine dérive actuellement vers une éthique de la responsabilisation (des fumeurs, des individus réfractaires à modifier des habitudes et comportements à risque) plutôt que vers une éthique de la responsabilité partagée dans laquelle la société, les nantis, l'État, les politiciens se reconnaissent une part de responsabilité. Pire, selon Guy Bourgeault, « paradoxalement, la "responsabilisation" à laquelle on se livre présentement fait obstacle à la responsabilité ; elle devient même déresponsabilisante. Car on cherche toujours à responsabiliser les autres, notamment les moins nantis (chômeurs, assistés sociaux, etc.)  » (Ibid. : 36).

En fait, la finalité de la dynamique de responsabilisation individuelle est non seulement moralisatrice mais aussi asservissante, « qui prétend et prend pour acquis que chacun est autonome, et donc responsable, faisant fi de tout ce qui empêche d'être autonome  » (Ibid. : 42). Pire encore, la « responsabilisation  » (des individus) est utilisée comme mécanisme d'évitement et de déni de la responsabilité sociale/collective. Pire qu'un aveu d'échec d'une gestion collective des risques vis-à-vis de la santé, elle apparaît comme négation de la santé publique dans sa dimension « communautaire  ».

La notion de responsabilité en santé publique évoluait traditionnellement entre le concept d'imputabilité promu par le droit et celui de moralité véhiculé par la morale. Une troisième composante s'y greffe aujourd'hui, qui marque une éclipse de l'autonomie au profit de la solidarité. « Avec en particulier Hans Jonas et Emmanuel Levinas, la responsabilité ne consiste pas tant à imputer à quelqu'un les effets de son acte qu'à être habité du souci du vulnérable et du fragile. Je ne suis pas tant responsable de mes actes que responsable de l'autre... Chez Emmanuel Levinas, l'autre dans, sa fragilité et sa vulnérabilité me fait responsable de lui avant même que je le décide. L'autre m'assigne la responsabilité... Le dernier-né de la responsabilité est donc très loin de l'utilitarisme...  » (Doucet, 1999 : 83). On est ici face à une conception de la responsabilité plus proche de l'empathie, de la convivialité et de l'amour envers autrui (donc d'une morale) que d'une éthique de la justice sociale fondée sur l'équité.

Les limites de la responsabilité de l'autre

Toutefois, il faudra éviter de dépouiller l'individu de toute responsabilité. Au-delà d'une vision de l'homme moderne comme robot social, programmé à l'avance par son milieu familial et social, il faut considérer la responsabilité comme composante de base de l'autonomie. L'autonomie, c'est aussi la responsabilité de l'assumer. Toutefois, une telle approche morale de la responsabilité envers le vulnérable et le fragile « évacue un élément moteur de la modernité : l'agent doit être tenu comptable de ses actes  » (Doucet, 1999 : 85). Or. « privilégier l'indemnisation sans responsabilité revient à déresponsabiliser  » (Ibid. : 85). Déresponsabilisation qui est déjà alimentée, dans les sociétés postmodernes, par le morcellement des lieux de décision et de pouvoir, dissémination qui fait croire à l'individu qu'il n'a aucun rôle à jouer, que tout se joue dans des instances bien loin de son individualité.


CONCLUSION

Pour une éthique de la complexité

Les propos de David Roy résument bien l'axe central de toute réflexion sur l'éthique des interventions de santé publique, à savoir sa croissante complexité. « La santé publique devra développer une éthique à la mesure de sa complexité  » (Rov, 1999 : 20) :

« La santé publique devra développer une éthique à la mesure de sa complexité. »
1. Complexité de la maladie d'abord, dans le contexte de causalités multiples faisant appel à de multiples ordres de déterminants.

2. Complexité des modalités de propagation des infections, avec des ramifications à l'échelle internationale, incluant désormais des agents infectieux résistant aux antimicrobiens ; une surveillance internationale devra compléter les systèmes nationaux de surveillance et d'intervention.

3. Complexité des réseaux d'institutions concernées, avec lesquels la santé publique devra interagir, mais aussi implication d'entreprises multinationales (vache folle, aliments transigéniques, etc.). Bref le terrain de jeu de la santé publique se mondialise au gré de la mondialisation des échanges humains et économiques.

Cette complexité grandissante ne doit pas justifier un désengagement des professionnels de la santé publique.

Mais cette complexité grandissante, à la fois des champs d'intervention en promotion de la santé, des paliers de décisions politiques et des valeurs qui fondent les principes éthiques en contexte pluraliste, ne doit pas justifier un désengagement des professionnels de la santé publique face au défi posé par la résolution des conflits alimentés par le choc issu de la rencontre des valeurs liées au « sanitarisme  » (bealtbism) et de celles véhiculées par la population dont on veut le bien. Tout comme les inévitables dilemmes éthiques ne doivent pas servir de prétextes à l'inaction et à la démobilisation des individus et des institutions qui travaillent au mieux-être de la population, l'analyse des enjeux éthiques liés à la promotion de la santé est un défi qui doit être relevé au quotidien pour les raisons suivantes :

1. L'univers du questionnement bioéthique popularisé par la bioéthique américaine n'a pas seulement traversé les frontières pour s'internationaliser ; il envahit désormais toutes les sphères de l'activité humaine (affaires, environnement), y compris celle de la santé publique.

Désormais, l'éthique constitue un enjeu public, démocratique.
2. Ce questionnement éthique ne concerne plus que les seuls spécialistes. En Amérique du Nord, et déjà en Europe, par les relais des médias de masse, il concerne de plus en plus la population scolarisée. Désormais, l'éthique constitue un enjeu public, démocratique, et sera débattue sur la scène publique. Les interventions de santé publique sont critiquées par la population et de plus en plus par les médias à la lumière de l'éthique et à travers le langage de l'éthique (bienfaisance, paternalisme, respect de l'individu).

3. La santé publique doit éviter d'être dépassée non seulement par la population ciblée par ses interventions, mais aussi « par sa droite  », comme le suggère Guy Rocher, c'est-à-dire par les juristes : « Face au désenchantement du monde et de l'histoire, dans l'état d'incertitude et de doute dans lequel nous vivons, soutient Guy Rocher, le droit est apparu comme un des substituts à la morale. [Or], c'est dans le droit que s'est réfugiée la morale. C'est le droit qui maintenant nous dit ce qui est bien et mal. Vous, "ëthiciens", êtes en train de vous faire dépasser par la droite - je dis bien par la droite ! - c'est-à-dire par les juristes... Ce sont les juges et les législateurs, d'ailleurs mal préparés pour jouer ce rôle, qui agissent comme guides moraux... Ce qui fait la terrible force du droit, c'est qu'il est simple en comparaison avec l'éthique  » (Rocher, cité dans Durand, 1999 : 72). En dépit de la complexité croissante des enjeux éthiques, ce questionnement se doit d'être réapproprié par la santé publique.

Les choix de santé publique ne peuvent être laissés entre les mains des économistes et des rationalités d'efficacité, d'efficience, de rapports coûts-bénéfices.
4. De même, en dépit des problèmes de justice redistributive (ex envers les pauvres, les personnes âgées) que génère le développement des biotechnologies, les choix de santé publique ne peuvent être laissés entre les mains des économistes et des rationalités d'efficacité, d'efficience, de rapports coûts-bénéfices. Si l'économie doit aider les décideurs par ses calculs en les outillant pour prendre des décisions plus éclairées, elle reste impuissante à fournir les repères éthiques et les jugements de valeurs qui doivent guider les décisions  » (Boitte, 1997 : 32-33). C'est l'éthique comme lieu de débats sur les valeurs et dilemmes moraux, et non l'économie, pas plus que le droit, qui pourront répondre a des questions telles que : quel est le niveau d'inégalité acceptable dans une société ? Quels sont les critères à retenir pour la définition de politiques « équitables  » d'accès aux services de promotion, de prévention ou de protection de la santé ?

De telles questions dépassent largement les dimensions médicales et économiques et les outils conceptuels de ces disciplines. Elles interpellent les professionnels de la promotion de la santé qui devront assumer désormais le souci de l'éthique qu'appelle la nouvelle santé publique.


RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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DÉBAT

Quelques questions éthiques sur la production
et l'utilisation des données scientifiques

Nathalie Bajos pose la question de savoir ce que présuppose une santé publique fondée sur des résultats scientifiques, et plus précisément sur des connaissances épidémiologiques. Le passage d'une épidémiologie traditionnelle à une épidémiologie sociale a été bien souligné par Raymond Massé. La première se réfère à la biologie ; la seconde ne s'appuie pas, le plus souvent, sur des modèles théoriques explicités, mais elle est sous-tendue par des hypothèses fortes qui restent implicites :

• L'analyse en épidémiologie sociale se structure autour de la question suivante : « Pourquoi les gens s'écartent-ils d'un comportement de santé ?  » On présuppose ainsi, dans la structuration de l'analyse, que la préservation de la santé est la rationalité principale qui sous-tend le comportement des acteurs. Même si des rationalités « alternatives  » sont prises en compte dans les analyses, elles ont un statut complètement secondaire par rapport à celles de la préservation de la santé.

• Dans la construction des modèles épidémiologiques, où l'on fait intervenir un certain nombre de variables sociales, le risque n'apparaît pas « désocialisé  », mais « mal socialisé  ». C'est une différence importante, car la prise en compte de variables sociales légitime de tirer des recommandations en matière de prévention.

Nathalie Bajos soulève un autre problème, celui de présupposer un comportement binaire : le sujet s'expose ou ne s'expose pas ; ce qui mène à « l'idéologie du risque nul  ».

La solution ne serait pas une « éthique de l'incertitude  », mais une « éthique de la prise en considération d'autres façons de comprendre la construction du risque  ». Il faudrait qu'il y ait, au-delà de l'identification des facteurs de risque, une analyse des logiques sociales qui conduisent à définir un risque et à prendre en compte cette analyse. La santé publique en France doit véritablement s'ouvrir, au-delà de l'épidémiologie, aux autres disciplines qui la composent, à savoir la sociologie, l'économie, la psychologie, la démographie, etc.

Il faut faire la distinction entre la recherche épidémiologique et l'interprétation de ses résultats.

Raymond Massé est d'accord pour dire que l'épidémiologie socio-culturelle prend en compte de nouvelles variables. On intègre la religion, le niveau d'éducation, etc. Mais c'est toujours réduire le social et le culturel à des variables. Et il sera toujours nécessaire que les professionnels de santé publique aient un regard critique : il faut faire la distinction entre la recherche épidémiologique d'une part et l'interprétation des résultats (c'est-à-dire l'utilisation sociale et politique qui est faite de ces résultats) d'autre part.



* Certaines des idées présentées ici ont déjà été publiées dans Massé R. (1999) La santé publique comme nouvelle moralité. Cahiers de recherches éthiques 22 : 155-176.

* Les idées présentées dans cette section ont été analysées plus en profondeur dans Massé R. (2000) « Les fondements du pouvoir de la médecine préventive : enjeux éthiques et politiques  », à paraître dans Médecines et pouvoir. Lausanne : Antipodes.

* Les enjeux éthiques présentés ici sont tirés d'analyses plus substantielles publiées dans Massé R. (1999 a) « Les enjeux éthiques liés à l'autonomie et à la justice sociale : Analyse préliminaire du discours des professionnels de la santé publique au Québec  ». In : Actes du colloque « Enjeux éthiques en santé publique  ». Association pour la santé publique du Québec : 57-77, et dans Saint-Arnaud J. (1999a) « Dilemmes éthiques reliés à l'application des principes de bienfaisance et de non-malfaisance en santé publique ». In : Actes du colloque « Enjeux éthiques en santé publique  ». Association pour la santé publique du Québec : 139-148.

** Massé R. et Saint-Arnaud, J. (1996) Analyse des enjeux éthiques associes à la santé publique à partir du discours des professionnels des directions de santé publique du Québec. Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, 1997-2000.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 13 mai 2009 7:01
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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