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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de M. Yves Martin [sociologue, Université Laval], Les études urbaines au Canada français. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Marcel Rioux et Yves Martin, La société canadienne française, pp. 253-262. Montréal : Les Éditions Hurtubise HMH ltée, 1971, 404 pp. [Reproduit de : Fernand Dumont et Yves Martin (sous la direction de), Situation de la recherche sur le Canada français, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1962, 119-128. Publication autorisée.] [Le 7 février 2006, M. Yves Martin, sociologue, ancien sous-ministre dans le gouvernement du Québec, nous a autorisé à diffuser la totalité de ses publications.]

[119]

Yves Martin (1962)

Les études urbaines
au Canada français
”.

 

Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Marcel Rioux et Yves Martin, La société canadienne française, pp. 253-262. Montréal : Les Éditions Hurtubise HMH ltée, 1971, 404 pp. [Reproduit de : Fernand Dumont et Yves Martin (sous la direction de), Situation de la recherche sur le Canada français, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1962, 119-128. Publication autorisée.] 

 

Introduction 

 

La délimitation du domaine des études urbaines pose un problème particulier. Dans la mesure où le phénomène de l'urbanisation se confond avec la diffusion de la culture caractéristique de la société technologique [1], toute recherche portant sur l'un ou l'autre aspect de cette culture pourrait être inscrite au chapitre des études urbaines. Même si, par ailleurs, l'on se propose de ne retenir, sous cette rubrique, que des travaux consacrés à l'étude des villes ou des populations urbaines, on se trouve confronté à une nouvelle difficulté : celle de définir les réalités concrètes auxquelles renvoient les notions de ville ou de population urbaine. 

À partir de telles considérations, les sociologues - les sociologues américains en particulier, mais non pas exclusivement - remettent en cause aujourd'hui le statut de la sociologie urbaine en tant que discipline particulière et s'interrogent sur le bien-fondé de la distinction classique entre sociologie urbaine et sociologie rurale. [2] Le débat ne saurait être ramené à de simples questions d'étiquettes ; il indique bien plutôt qu'on reconnaît la nécessité de définit des problématiques nouvelles pour l'étude de milieux différents à l'intérieur d'une même culture globale. [3] C'est à cette perspective générale que se rattache le point de vue que nous adoptons dans le présent exposé. 

 

I

 

Pour établir l'inventaire de la documentation existante, nous avons défini le secteur des études urbaines d'une façon peut-être un peu stricte, peut-être aussi insuffisamment rigoureuse ; notre examen a porté sur les travaux expressément consacrés à l'étude de milieux urbains particuliers ou à l'étude générale du phénomène de l'urbanisation dans la province de Québec. 

Considérons tout d'abord les études particulières ; elles sont nombreuses. Au terme d'une enquête très incomplète, nous avions recueilli quelque deux cents titres d'ouvrages et d'articles monographiques. Plus de la moitié de ces monographies portent sur les deux principales agglomérations de la province, Montréal et Québec, mais rares sont les villes qui n'ont fait l'objet d'aucune étude - au moins par un historien local... Pour les fins de cet exposé, nous répartirons ces études particulières en quatre grandes catégories. 

Les monographies historiques forment la catégorie quantitativement la plus importante. L'histoire locale, on le sait, constitua une tradition bien établie dans notre milieu. La plupart des villes de la province ont eu leur historien, sinon leurs historiens. Il s'agit presque toujours d'amateurs, travaillant sans méthode bien précise, trop souvent soucieux avant tout de rehausser le prestige de leur localité à la veille d'un cinquantenaire ou d'un centenaire... Si l'on consulte ces travaux en y cherchant des réponses à des questions précises, on y trouvera sûrement beaucoup d'enseignements, mais rarement ces histoires de villes offrent-elles par elles-mêmes un intérêt immédiat pour l'étude de l'urbanisation dans notre milieu. Retenons à titre d'exemple la toute récente Histoire de Louiseville, 1665-1960, du R.P. Germain Lesage. [4] Cet ouvrage de quelque 450 pages rend compte de longs et patients dépouillements d'archives ; la vie et l'oeuvre des divers curés y tiennent une place importante, de même que les listes de « vocations » issues de la paroisse, mais on ne trouve que de brèves allusions à l'évolution de la population et aux migrations, très peu d'indications sur les changements dans la structure des occupations, aucun essai d'analyse un peu approfondie des conséquences de l'apparition de l'industrie dans la petite ville en question (sur un événement aussi significatif que la grève de 1952-53 à Louiseville, l'auteur s'en tient à une page de renseignements très généraux). 

À la même catégorie d'études nous pouvons rattacher certains travaux d'histoire économique : mentionnons tout particulièrement l'article d'Albert Faucher sur les chantiers navals de Québec au XIXe siècle [5], celui de D.C. Masters sur la « rivalité » entre Montréal et Toronto en tant que métropoles financières [6] et l'ouvrage de Fernand Ouellet, Histoire de la Chambre de commerce de Québec. [7] 

Une deuxième catégorie d'études urbaines comprend des travaux de géographes. Ici, il faut surtout insister sur l'apport considérable de Raoul Blanchard. [8] Ses « esquisses de géographie urbaine » de Montréal et de Québec sont en tout point remarquables. Ce sont des oeuvres non pas définitives, bien sûr, mais fondamentales : ce sont les premières sources que doit consulter le chercheur qui entreprend une étude historique, démographique, écologique ou sociologique sur l'une ou l'autre des deux agglomérations principales de la province. Les synthèses que propose Blanchard sont d'ail. leurs construites à partir d'un examen à peu près exhaustif de la documentation existant au moment où il poursuivait ses recherches, à l'exception toutefois des fonds d'archives. Les mêmes observations vaudraient, en fait, pour toutes les principales villes de la province : à chacune, Blanchard a consacré une monographie -plus ou moins longue suivant les cas - qui peut généralement servir de point de départ à des recherches plus poussées. 

Depuis Blanchard, les géographes ne nous ont pas encore donné d'autres travaux d'envergure sur les milieux urbains de la province. On relève cependant un bon nombre de thèses de géographie urbaine préparées aux Instituts de géographie des universités de la province, à l'École des hautes études commerciales de Montréal ou à la Faculté de commerce de l'Université Laval. [9] Dans les revues canadiennes de géographie, on trouve aussi, de temps à autre, des monographies urbaines [10] ; très rares sont toutefois les géographes de notre milieu qui ont fait des études urbaines le domaine principal de leurs recherches. 

Les études écologiques et sociologiques forment une troisième catégorie de recherches urbaines. La majorité de ces études ont été effectuées dans les agglomérations de Montréal et de Québec, tout simplement là où sont situées les institutions d'enseignement de la sociologie. L'exception importante est la monographie de Drummondville (« Cantonville ») par Hughes. [11] D'autres petites villes ont été étudiées par des sociologues à l'occasion de recherches portant sur certaines régions de la province : par exemple, les villes de Saint-Jérôme, de Sainte-Thérèse, de Lachute et de Terrebonne, au moment de l'enquête sur la structure sociale du diocèse de Saint-Jérôme, par Fernand Dumont et nous-même [12] ; ou encore les villes de Rivière-du-Loup et de Montmagny étudiées à l'occasion d'une analyse sociologique du diocèse de Sainte-Anne-de-la-Pocatière par des chercheurs du Centre de recherches en sociologie religieuse de l'Université Laval. [13] Les villes nouvelles ont déjà retenu l'attention de quelques sociologues : mentionnons les articles de Derbyshire et de Garigue sur Schefferville. [14] 

La plupart des travaux écologiques ou sociologiques portant sur l'agglomération montréalaise ou sur l'agglomération québécoise sont inédits. Il s'agit le plus souvent de thèses de maîtrise. Ainsi, à l'Université McGill, les étudiants en sociologie ont préparé plusieurs thèses sur les « aires naturelles » de la ville de Montréal et, surtout, sur les problèmes de relations entre groupes ethniques dans la métropole. [15] À l'Université Laval, on trouvera, parmi les thèses portant sur Québec, quelques monographies de paroisses, quelques études sur les conditions de vie des familles ou sur le logement. [16] Entre 1944 et 1950, des professeurs et des étudiants de la Faculté des sciences sociales de l'Université Laval ont réalisé un ensemble de recherches, d'ordre écologique pour la plupart, sur l'agglomération québécoise. Les résultats de ces enquêtes ont été consignés dans des rapports inédits ou dans des articles. Soulignons plus particulièrement l'Étude générale de la ville de Québec (1949), de Jean-C. Falardeau [17] « A Survey of Quebec City Families » (1947) [18] et « Délimitation d'une banlieue de grande ville » (1951) [19], deux articles du même auteur ; « The Life Cycle of French-Canadian Urban Families » (1947), article rédigé en collaboration par Maurice Lamontagne et Jean-C. Falardeau. [20] Plus récemment, l'enquête entreprise sur le logement à Québec, sous la direction de James Hodgson, a donné lieu à un nouvel ensemble d'études sur la ville. Ces études sont encore inédites, exception faite d'un article de Gabriel Gagnon sur « Les zones sociales de l'agglomération de Québec ». [21] Signalons, par ailleurs, toujours à propos de l'agglomération québécoise, les voies nouvelles de recherche ouvertes par les travaux de Simone Paré sur la participation d'une population de banlieue aux associations volontaires [22] et par ceux de Gérard Lapointe et Vincent Lemieux sur le pouvoir municipal dans deux localités de la banlieue. [23] 

Parmi les études publiées sur l'agglomération métropolitaine de Montréal, retenons plus spécialement celle de jean de Laplante sur « La communauté montréalaise » (1952) [24], celle du Groupe de recherches sociales sur La situation des immigrants à Montréal (1959) [25] et l'ouvrage de l'abbé Norbert Lacoste sur Les caractéristiques sociales de la population du Grand Montréal. Étude de sociologie urbaine (1958). [26] On trouvera, dans cet ouvrage de l'abbé Lacoste, d'abondantes compilations statistiques, mais l'auteur, il faut le regretter, n'a pas suffisamment cherché à en dégager au moins les éléments d'une synthèse sur la structure sociale de l'agglomération. Sans doute faudrait-il évoquer bien d'autres travaux qui ont contribué, selon des perspectives très diverses, à nous éclairer sur la structure sociale de la ville ou de la zone métropolitaine de Montréal ; nous citerons, à titre d'exemple, les analyses de Jacques Henripin sur les facteurs socio-économiques des variations de la mortalité infantile d'un secteur à l'autre de la ville. [27] 

Une quatrième catégorie d'études urbaines comprend les travaux d'urbanistes et les dossiers urbains préparés avec la collaboration d'économistes ou de sociologues en vue de la mise au point de plans directeurs d'urbanisme. Il s'agit d'une documentation souvent originale, mais à caractère essentiellement descriptif, comme le sont d'ailleurs la plupart des études que nous avons énumérées jusqu'à présent. Les travaux que nous rangeons dans cette quatrième catégorie d'études urbaines sont déjà relativement nombreux, si l'on tient compte du fait que l'urbanisme vient à peine de naître chez nous ; les documents existants se rapportent aux villes de Montréal, Québec, Sherbrooke, Trois-Rivières, Granby, Rimouski, Nicolet, Sainte-Marie de Beauce et à quelques autres. [28] 

Nous n'avons pas à insister sur l'importance que l'on doit attacher au phénomène de l'urbanisation comme facteur fondamental de transformation de notre société. Il s'agit tout simplement de se rendre à l'évidence : au moins les trois-quarts de la population de la province habitent des localités urbaines, et bien peu de secteurs échappent à l'influence dominante des centres urbains. Or, il est assez étonnant de constater l'absence presque totale d'études d'ensemble sur un aspect quelconque de l'urbanisation de notre milieu. Même sur le plan strictement démographique, le processus de la concentration de la population n'a pas encore fait l'objet d'analyses systématiques. Chez les géographes, les essais de synthèse ou les travaux de portée générale sont rares. Raoul Blanchard, le seul chercheur qui ait étudié de près toutes les villes de la province, proposa une synthèse décevante dans le chapitre intitulé « Villes et campagnes » de son récent ouvrage sur Le Canada français. [29] Les recherches que poursuit actuellement Louis Trottier sur le réseau urbain de la province [30] combleront une lacune importante. On ne trouve pas non plus beaucoup d'études d'ensemble parmi les travaux de sociologues. Dans plusieurs de ces travaux - ceux de Everett C. Hughes [31], de Jean-C. Falardeau [32], de Philippe Garigue [33], de Marcel RIOUX [34] et d'autres chercheurs, - on trouverait évidemment des éléments d'interprétation du phénomène de l'urbanisation au Canada français, mais cela serait vrai aussi de bien d'autres études relevant d'autres disciplines. 

Même si nous avons défini de façon assez restrictive le champ des études urbaines et même si notre inventaire n'a sûrement pas été vraiment exhaustif, nous nous sommes toutefois trouvé devant une masse assez considérable de matériaux - de nature et de qualité très diverses, bien entendu. Pour rendre compte de façon entièrement satisfaisante du « travail fait » en ce secteur de la recherche, il nous aurait fallu procéder à une analyse systématique de chacun des documents inventoriés ; nous avons dû nous en tenir à l'examen d'un échantillon, probablement assez représentatif, de ces documents. 

 

II

 

Il n'y a pas au Canada français, à proprement parler, une tradition de sociologie « urbaine ». Aux yeux du sociologue tout au moins, il s'agit moins de songer à une réorientation qu'à une orientation, en ce qui concerne la recherche urbaine dans notre milieu. Afin d'en arriver à formuler quelques propositions en ce sens, nous pouvons prendre appui, nous semble-t-il, sur une double constatation. D'une part, de plus en plus fréquemment - à juste titre, d'ailleurs, - les sociologues et aussi divers essayistes proposent des hypothèses générales sur l'urbanisation en tant que facteur fondamental de la transformation de la société canadienne-française. [35] D'autre part, il existe déjà un bon nombre d'études, assez disparates à vrai dire, portant sur les milieux urbains de la province de Québec. Entre les hypothèses générales et les études particulières, les liens sont toutefois rarement explicites : c'est là du moins l'impression d'ensemble qui se dégage du bilan schématique que nous venons de présenter. 

Ce bilan nous révèle que l'on a beaucoup écrit sur nos villes. Pourtant, l'un des auteurs dont nous avons mentionné le nom, Jean-C. Falardeau, observait récemment : « Nous connaissons encore mal ce qu'a été pour des milliers et des milliers de Canadiens français le choc graduel ou brutal engendré par leur émigration vers les villes et tout spécialement vers l'agglomération montréalaise qui contient à elle seule plus de la moitié de la population urbaine québécoise. » [36] C'est là, en réalité, poser le problème général de notre connaissance du processus de l'urbanisation et de ses conséquences particulières dans notre milieu, de notre connaissance de la culture qui est en voie de devenir celle de l'ensemble de la société canadienne-française. 

Pour le sociologue, les études urbaines doivent-elles, dès lors, se confondre avec les études sociologiques générales sur notre milieu ? En un sens, oui. C'est essentiellement à travers l'analyse de milieux urbains que nous pourrons arriver à connaître un peu en profondeur les traits actuels de notre société et, en particulier, le contenu de la culture qui se diffuse à partir des foyers urbains. 

Défini de cette façon, le « travail à faire » paraîtra immense. Il l'est en réalité. La première tâche doit consister en un effort pour établir un ordre de priorité entre les problèmes à étudier ou, tout au moins, pour discerner certains problèmes spécifiques dont l'analyse incomberait à ceux qu'intéresse plus immédiatement la recherche urbaine. Nous ne soumettrons ici, dans cette optique, que de brèves suggestions. 

Même sur l'urbanisation vue strictement comme processus de concentration de la population, nos connaissances sont encore très limitées. Pour la province de Québec, une description systématique des changements dans la répartition territoriale de la population reste à faire. Nulle part, on ne peut trouver un exposé un peu complet sur la croissance des divers types de localités (municipalités rurales, villages, villes, banlieues, etc.) dans la province. Une telle description constituerait une entreprise assez facilement réalisable ; à la rigueur, il pourrait suffire d'exploiter minutieusement les données des recensements. 

Sur le plan de l'analyse, l'un des principaux objectifs des chercheurs devrait être, nous semble-t-il, de préciser le rôle des villes dans la dynamique du peuplement de notre province, de même que dans le processus global d'intégration et de structuration du territoire et de la société elle-même. Cette démarche permettrait de mettre en lumière la hiérarchie des villes selon les fonctions qu'elles exercent et la contribution qu'elles apportent à l'aménagement du territoire comme à l'aménagement de l'ensemble de la structure sociale. On voit tout de suite que la liaison ne peut être que très étroite entre les études urbaines et les études régionales. La délimitation des régions suppose, en effet, la même démarche. 

La prédominance de Montréal dans l'ensemble du réseau urbain de la province n'a pas, bien entendu, à être démontrée. Il faut toutefois considérer comme fondamentale, du point de vue de la recherche urbaine, l'analyse de ce phénomène et de ses implications. Guy Rocher a déjà formulé la même proposition dans le premier fascicule des Contributions à l'étude des sciences de l'homme, paru en 1952 :

 

« Si l'on prend en considération, écrivait-il, l'influence que la région métropolitaine de Montréal, principal centre de diffusion de la culture urbaine dans la province de Québec, peut avoir dans le tableau de la culture canadienne-française et sur les changements sociaux et culturels que l'on ne peut manquer de constater dans cette province, il semble de grande importance d'entreprendre une étude attentive et détaillée de la culture urbaine qui s'est créée ou se crée à Montréal et se répand hors de Montréal. ...Une analyse de Montréal serait basique en ce qu'elle servirait à déterminer la zone ou les zones d'influence de ce centre de diffusion, les canaux de communication qu'emprunte cette diffusion, et enfin par opposition elle aiderait à dégager les autres aires culturelles qui semblent exister dans cette province. » [37]

 

Une meilleure connaissance de la différenciation des milieux urbains, selon leurs fonctions et leur influence en tant que pôles dans l'aménagement de l'espace et de la société, permettrait ainsi de situer par rapport à un cadre général d'interprétation les recherches proprement monographiques portant sur l'une ou l'autre des agglomérations de la province. De façon générale, ces études particulières seront fructueuses dans la mesure où elles contribueront à nous éclairer sur les caractéristiques du phénomène de l'urbanisation dans notre milieu et, en même temps, sur le type nouveau de société dans laquelle nous vivons. A cette fin, en devra surtout attacher plus d'importance qu'on ne l'a fait jusqu'à présent, dans les monographies urbaines, à l'étude de l'organisation sociale et à l'étude du « mode de vie » ou de la culture. Il serait souhaitable que des sociologues, des anthropologues et des psychologues sociaux entreprennent des recherches approfondies, sur ces éléments de la réalité sociale, dans un échantillon d'agglomérations, ou de zones sociales à l'intérieur de grandes agglomérations. Idéalement, un tel échantillon devrait représenter les divers types d'habitat urbain dans la province. Les moyens qu'on peut mettre en oeuvre étant limités, il faut songer à des projets moins ambitieux. Pour notre part, nous soulignerons l'intérêt tout spécial qu'offrirait l'étude des banlieues nouvelles qui se multiplient autour de nos grandes villes. Comme dans une sorte de laboratoire, on trouverait là des conditions particulièrement favorables pour l'étude sociologique des modes d'organisation sociale et des modes de comportement caractéristiques du stade actuel de l'urbanisation dans notre milieu. 

En terminant, sans plaider pour une discipline particulière, nous voudrions insister sur l'importance que l'on devrait attacher à l'intensification de la recherche portant sur les milieux urbains de la province. C'est par là, essentiellement, nous l'avons souligné, que nous arriverons à connaître la société canadienne-française d'aujourd’hui. En même temps, et c'est aussi une exigence qu'il ne faut pas perdre de vue, nous contribuerons à une tâche urgente, celle de l'aménagement des cadres de la vie sociale dans les agglomérations où habite maintenant la plus grande partie de la population. Déjà, des problèmes sont posés aux chercheurs, par les urbanistes et d'autres responsables du développement des collectivités urbaines. Ceux-ci comptent à bon droit, pour résoudre ces problèmes, sur l'apport des chercheurs. 

 

Yves MARTIN 

Département de sociologie,
Université Laval.


[1] Voir, sur ce thème, l'excellent exposé de Georges Friedmann, « Milieu technique et milieu naturel », dans : Georges Friedmann (sous la direction de), Villes et campagnes, Paris, Colin, [1953], 401-416.

[2] Voir, par exemple, à ce sujet : E. Manheim, « Theoretical Prospects of Urban Sociology in an Urbanized Society », American Journal of Sociology, LXVI, 3, November 1960, 226-229 ; Louis Chevalier, « Le problème de la sociologie des villes », dans Georges Gurvitch (sous la direction de), Traité de sociologie, Paris, Presses Universitaires de France, tome premier, 1938, 292-314.

[3] C'est sous cet angle que, par exemple, Henri Mendras cherche à définir l'orientation de la sociologie rurale dans : « Sociologie du milieu rural », dans le même Traité de sociologie, tome premier, 315-331.

[4] Presbytère de Louiseville, 1961, 450 p.

[5] Albert Faucher, « The Decline of Shipbuilding at Quebec in the Nineteenth Century », Canadian Journal of Economics and Political Science, 23, 2, May, 1957, 195-215.

[6] D.C. Masters, “« Toronto vs Montreal ». The Struggle for Financial Hegemony, 1860-1875 ”, Canadian Historical Review, 22, 1941, 133-146.

[7] Québec, Faculté de commerce, Université Laval, 1959, 104 p.

[8] Raoul Blanchard, L'Est du Canada français, Paris, Librairie Masson & Cie, Montréal, Librairie Beauchemin, Limitée, 1935, 2 vols., 366 et 336 p. ; Le Centre du Canada français, Montréal, Librairie Beauchemin, Limitée, 1947, 577 p. ; L'Ouest du Canada français. Tome premier : Montréal et sa région, Montréal, Librairie Beauchemin, Limitée, 1953, 401 p. Tome deuxième : Les pays de l'Ottawa - L'Abitibi Témiscamingue, Montréal, Librairie Beauchemin, Limitée, 1954, 334 p.

[9] Un bon nombre de ces thèses sont mentionnées dans Philippe Garigue, A Bibliographical Introduction to the Study of French Canada, Montréal, McGill University, Department of Sociology and Anthropology, 1956, 133 p.

[10] Parmi les articles récemment publiés, mentionnons ceux de : Pierre Biays, « Une ville d'Abitibi : Senneterre », Cahiers de géographie de Québec, II, 3, octobre 1957, 63-74 ; Pierre Camu, « Le paysage urbain de Québec », Geographical Bulletin, 10, 1957, 23-35 ; Robert Garry, « Chibougamau, ville minière », Revue canadienne de géographie, 9, 1, janvier-mars 1951, 47-52 ; G. Humphrys, « Shefferville, Quebec : a New Pioneering Town », Geographical Review, 48, 2, April 1958, 151-166.

[11] Everett C. Hughes, Rencontre de deux mondes. La crise d'industrialisation du Canada français. Traduit de l'anglais par Jean-Charles Falardeau. Montréal, Éditions Lucien Parizeau, s.d., 388 p.

[12] Fernand Dumont et Yves Martin, L'analyse des structures sociales régionales ; étude sociologique de la région de Saint-Jérôme, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1963, 267 p.

[13] Rapports non publiés. Le même Centre a aussi poursuivi des recherches sur la ville d'Alma.

[14] Edward Derbyshire, « Notes on the Social Structure of a Canadian Pioneer Town », The Sociological Review, 8, 1, July 1960, 63-75 ; Philippe Garigue, « Une enquête sur l'industrialisation de la province de Québec : Schefferville », L'Actualité économique, XXXIII, 3, octobre-décembre 1957, 419-436.

[15] Parmi les titres indiqués dans Philippe Garigue, A Bibliographical Introduction to the Study of French Canada (op. cit.), nous avons retenu les suivants : Ronald Arelano and others, Pontville, a Socio-Economic Study of a French Canadian Surburban Community, thèse de maîtrise, McGill, 1955 ; C.M. Bayley, The Social Structure of the Italian and Ukrainian Immigrant Communities in Montreal, 1939 ; Jacques Brazeau, The French-Canadian Doctor in Montreal, 1951 ; Wilfred Harold Brown, The Slovakian Community in Montreal, 1927 ; Mary Davidson, The Social Adjustment of British Immigrant Families in Verdun and Pointe-Saint-Charles, 1933 ; Stuart M. Jamieson, French and English in the Institutional Structure of Montreal, 1938 ; J.L. Pye, Point Saint-Charles, an Ecological Study, 1939 ; L.C. Rennie, The Ethnic Division of Labour in Montreal, 1953 ; Wigel A. Richardson, A Study of the Relationship between Ecological and Non-ecological Factors in the Developwent of the Natural Areas of Montreal, 1954 ; Aileen Ross, The French and English Social Elites of Montreal, 1941 Leo Zakuta, The Natural Areas of the Montreal Metropolitan Community, 1948.

[16] Quelques thèses de maîtrise présentées à la Faculté des sciences sociales de l'Université Laval, sur l'agglomération québécoise : Colette Beaudet, Banlieue réelle et ville de Québec, 1947 ; L. Brisson, La paroisse Saint-Sauveur au service du peuple, 1947 ; Gaétan Charbonneau, Étude sur les revenus des familles dans la ville de Québec en 1939 et en 1945, 1947 ; Jeanne C. Desrochers, Les conditions de logement aux buttes des Covefields à Québec, 1950 ; Pierre Laporte, Les changements sociaux et institutionnels d'un milieu paroissial de la ville de Québec (Paroisse Notre-Dame-de-la-Garde), 1960 ; Marthe Papillon, Étude des familles de la ville de Québec, 1946 ; Fernand Rochette, Monographie du quartier Saint-Sauveur, 1952.

[17] Faculté des sciences sociales, 1949, 179 p. (dactylographiée).

[18] Canadian Journal of Public Health, 38, 11, November 1947, 515-527.

[19] Revue canadienne d'urbanisme, I, I, 1951, 16-22.

[20] Canadian Journal of Economics and Political Science, 13, 2, May 1947, 233-247.

[21] Recherches sociographiques, 1, 3, juillet-septembre 1960, 255-267.

[22] Simone Paré, « Participation d'une population de banlieue à Ses groupes de famille, de parenté, d'amitié et de voisinage », Service social, 9, 1, janvier 1960, 25-47 ; « Participation aux associations volontaires dans une paroisse de la banlieue de Québec », Service social, 10, 1, mai-juin 1961, 24-42.

[23] Gérard Lapointe, Le pouvoir municipal : essai sur les fonctions municipales à Beauport, thèse de maîtrise, Laval, 1958, 157 p. ; Vincent Lemieux, La Cité de Lévis : essai de sociologie municipale, essai de maîtrise, Département de science politique, Université Laval, 1959, 97 p.

[24] Contributions à l'étude des sciences de l'homme, 1, 1952, 57-105.

[25] La situation des immigrants à Montréal, étude sur l'adaptation occupationnelle, les conditions résidentielles et les relations sociales, réalisée par le Groupe de recherches sociales, Inc., sous les auspices du Conseil des Oeuvres de Montréal, S. éd., 1959, vii + 376 p. (miméo.).

[26] Montréal, Faculté des sciences sociales, Université de Montréal, 1958, 267 p.

[27] Jacques Henripin, « L'inégalité sociale devant la mort : la mortinatalité et la mortalité infantile à Montréal », Recherches sociographiques, 11, 1 janvier-mars 1961, 3-34. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[28] Parmi ces documents, mentionnons : A. Cousineau, Urbanisation de Montréal. Plan directeur, Rapport préliminaire, Montréal, Service d'urbanisme, 1944, 60 p. ; Jacques Créber, Edouard Fiset, Roland Bédard, Projet d'aménagement de Québec et de sa région, Québec, S. éd., 1956, 72 p. (miméo.) ; Jean-Claude La Haye, Le Plan directeur de la Cité de Sherbrooke, Sherbrooke, s. éd., 1960, 3 vol. ; Agence d'urbanisme Bégin et Robert, « Plan directeur de la cité des Trois-Rivières », Architecture, 16, 184, août 1961, 38-50 ; Benoît-J. Bégin et Georges Robert, « Résumé du rapport d'accompagnement du Plan directeur d'urbanisme de la ville de Granby », Architecture, 15, 173, septembre 1960, 288-293 ; Yves Dubé et Yves Martin, « Rimouski : population et économie ; évolution et perspectives », Recherches sociographiques, 1, 3, juillet-septembre 1960, 269-308 ; André Robitaille et autres, Sainte-Marie de Beauce, études d'urbanisme, Québec, Les Presses Universitaires Laval, 1955, 24 p.

[29] Raoul Blanchard, Le Canada français. La Province de Québec, Paris et Montréal, Librairie Arthème Fayard, 1960, 247-283.

[30] On trouvera quelques résultats de ces recherches dans Louis Trottier, « Some Functional Characteristics of the Main Service Centers of the Province of Quebec », dans : Mélanges géographiques canadiens offerts à Raoul Blanchard, Québec, Les Presses Universitaires Laval, 1959, 243-259.

[31] Everett C. Hughes, Rencontre de deux mondes, op. cit.

[32] Voir, en particulier, les textes suivants de Jean-C. Falardeau : « The Changing Social Structures », dans Jean-C. Falardeau, éd. Essais sur le Québec contemporain, Québec, Les Presses Universitaires Laval, 1953, 101-122 (on trouvera une traduction française de cette étude dans le présent volume, pp. 119-134) ; « Les Canadiens français et leur idéologie », dans : Mason Wade (sous la direction de), La dualité canadienne, Québec, Les Presses Universitaires Laval ; Toronto, University of Toronto Press, 1960, 20-38.

[33] Voir, en particulier : Philippe Garigue, « French Canadian Kinship and Urban Life », American Anthropologist, 53, 6, December 1956, 1090-1101 (on trouvera une traduction française de cet article dans le présent volume, p. 363-377) ; Philippe Garigue, « The French-Canadian Family », dans : Mason Wade (sous la direction de), op. cit., 181-200.

[34] Marcel Rioux, « Kinship Recognition and Urbanization in French Canada », Contributions to Anthropology, 1959, Bulletin no 173, 1961, 1-11 (on trouvera une traduction française de cet article dans le présent volume, p. 377-388).

[35] Nous pourrions citer ici tous les essais écrits sur le Canada français, surtout depuis une dizaine d'années. C'est évidemment l'un des thèmes centraux des Essais sur le Québec contemporain, op. cit. Mentionnons aussi, parmi bien d'autres travaux : Gérard Pelletier, D'un prolétariat spirituel », Esprit, 20, 8-9, août-septembre 1952, 190-200 ; Pierre Elliott Trudeau, « La province de Québec au moment de la grève », dans : Pierre Elliott Trudeau (sous la direction de), La grève de l'amiante, Montréal, Les Éditions de Cité Libre, 1956, 1-91 ; Fernand Dumont et Guy Rocher, « Introduction à une sociologie du Canada français », article reproduit dans le présent ouvrage, p. 189-208.

[36] « Les Canadiens français et leur idéologie », dans : Mason Wade (sous la direction de), op. cit., 36-37.

[37] Guy Rocher, « Industrialisation et culture urbaine. Note préliminaire à l'étude de la région métropolitaine de Montréal », Contributions à l'étude des sciences de l'homme, 1, 1952, 167.

[129]

COMMENTAIRE

Les études urbaines :
le point de vue géographique


Louis Trottier

Institut de géographie,
Université Laval.

[pp. 129-131.]


Après avoir dressé le bilan général des études urbaines dans le Québec, monsieur Martin s'est efforcé, dans son exposé, d'orienter la recherche urbaine dans notre milieu, du point de vue sociologique. Je me contenterai, pour ma part, de faire quelques suggestions sur les études urbaines à faire, du point de vue géographique. Le point de vue géographique, c'est essentiellement le point de vue planétaire, de sorte que, en définitive, le but de l'étude géographique des villes, c'est la description et l'explication du fait urbain à l'échelle mondiale. D'autre part, pour le géographe, la ville est à la fois un centre de relations et un paysage complexe, formé de multiples combinaisons dont les éléments sont reliés entre eux plus ou moins étroitement ; le géographe étudie donc les phénomènes urbains, non pour eux-mêmes, mais dans leurs rapports avec les autres phénomènes spatiaux. C'est dans cet esprit que devront être entreprises les études de géographie urbaine au Québec.

Monsieur Martin a dit tout à l'heure qu'il n'y a pas au Canada français, à proprement parler, une tradition de sociologie urbaine ; il n'y a pas non plus chez nous une tradition de géographie urbaine. Dans un sens, les travaux de monsieur Blanchard, qui ne débouchent pas sur des problèmes, ont peut-être rendu aux géographes canadiens-français un mauvais service, en leur donnant l'impression que tout était dit, et cela pas seulement sur les problèmes urbains. Au fond, les géographes sont peut-être encore plus mal partagés que les sociologues, car ils ont très peu d'hypothèses qui pourraient servir à orienter leurs recherches. C'est pourquoi je devrai me contenter d'un tour d'horizon beaucoup trop théorique et beaucoup trop général des recherches géographiques à faire sur les villes du Québec.

Parmi ces recherches, les plus importantes, pour les géographes comme pour les sociologues, sont les recherches d'ensemble, portant sur l'organisation urbaine du Québec. Ces études géographiques du réseau urbain du Québec devront comporter essentiellement l'étude comparative des fonctions des villes qui en sont les éléments, afin de comprendre les relations de domination, de complémentarité ou de concurrence qui existent entre elles ; l'étude de la localisation des villes dans la région ; et celle de l'organisation de l'espace urbanisé. Il s'agit en somme de voir d'abord comment les villes se sont hiérarchisées pour exercer ces fonctions de relations qui sont leur raison d'être. Ces recherches impliquent donc non seulement l'analyse du fondement économique des villes, mais aussi l'étude de leurs zones d'influences respectives, sur les plans économique, administratif et culturel. Jusqu'à quel point le réseau urbain du Québec, composé d'une multitude de petites villes, d'une ville moyenne et d'une grande métropole, est-il hiérarchisé ? Des réseaux secondaires, dominés par des centres intermédiaires, des villes-relais de la métropole, se sont-ils individualisés dans les diverses parties de la province ? Dans quels domaines la domination par Montréal est-elle la plus importante ? Quels sont les facteurs qui ont situé les villes à un endroit plutôt qu'à un autre ? Y avait-il, avant l'industrialisation de la province, un réseau de villes déjà constitué ? Dans quelle mesure l'industrie a-t-elle été la cause d'un reclassement de la situation de ces villes ? Quels sont, d'autre part, les facteurs qui expliquent les caractéristiques de [130] l'organisation de l'espace, à l'intérieur des villes du Québec ? Quelle est la part de l'influence de l'ancienneté, de la fonction originelle, du site, de la situation, de la dimension, des fonctions actuelles sur les structures internes des villes ? Voilà les principaux problèmes, me semble-t-il, que ces études géographiques doivent résoudre. Le but ultime de ces études, c'est la comparaison du réseau urbain du Québec aux autres réseaux urbains du monde, et en particulier à ceux qui appartiennent à la même grande série de villes, celle de l'Amérique du Nord. En somme, les géographes québécois doivent arriver à replacer les phénomènes urbains du Québec dans des classifications géographiques universelles.

Les études d'ensemble sur les villes de la province de Québec doivent être menées parallèlement à des études portant sur des villes particulières, car les deux groupes de travaux s'éclairent les uns les autres. Les études géographiques, qu'elles portent sur les fonctions ou sur l'organisation de l'espace de l'agglomération urbaine ou d'un secteur de l'agglomération, doivent être des « contributions à la définition de l'ensemble qui est la ville ou le réseau tout entier. » Les monographies géographiques des villes du Québec, monsieur Martin l'a dit il y a quelques minutes, sont beaucoup plus nombreuses que les études d'ensemble. Cependant ces monographies, de valeur d'ailleurs inégale, celles de Blanchard étant de loin les meilleures, sont sans cesse à refaire car la réalité, et la réalité urbaine surtout, est mouvante. Parmi les études géographiques à entreprendre, il faut évidemment placer au premier rang celles portant sur l'agglomération montréalaise. Bien que, grâce à Blanchard, la métropole canadienne soit assez bien connue des géographes, il est assez extraordinaire que pas un seul géographe canadien-français n'ait encore publié une étude importante sur ce complexe géographique le plus important du Canada français qu'est Montréal. Un des aspects géographiques les plus importants de l'agglomération montréalaise, et qui mérite d'attirer de plus en plus l'attention des géographes aussi bien que des sociologues, c'est ce phénomène d'expansion périphérique qui se fait à un rythme extrêmement rapide. Les conséquences géographiques de cette expansion sur les régions rurales ou semi-rurales et sur les petites villes entourant Montréal m'apparaissent devoir être signalées comme sujet d'étude prioritaire. On peut également signaler, parmi les études particulières les plus intéressantes à faire, celle de la conurbation que constituent Chicoutimi, Arvida et Jonquière-Kénogami, étude qui a d'ailleurs déjà été amorcée.

Valables en elles-mêmes, dans la mesure où elles constitueront un apport à la géographie universelle, ces études géographiques sur les villes du Québec seront sans doute utiles aux historiens, démographes, sociologues, économistes et urbanistes du Canada français, car seules des recherches collectives peuvent mener à une connaissance globale des villes. Mais c'est surtout, me semble-t-il, dans la mesure où elles faciliteront la compréhension des problèmes régionaux que ces études de géographie urbaine constitueront un apport à la connaissance globale du Canada français. En effet, la seule région véritable et par conséquent le cadre normal de l'aménagement du territoire, c'est la région fonctionnelle, cohérente, dynamique, celle qui est organisée par la ville. Monsieur Grenier a montré plus tôt ce matin les difficultés qu'éprouvent les chercheurs à définir des régions au Québec. Il les a expliquées en particulier par l'insuffisance des recherches faites jusqu'à maintenant, qui, trop souvent, ont été de simples inventaires, plutôt que de véritables analyses. Je crois que ces difficultés résultent [131] peut-être aussi du fait que la régionalisation des structures québécoises ne s'est pas encore faite, et qu'au fond, la véritable région, c'est le Québec tout entier, dont le réseau urbain est l'épine dorsale et Montréal le centre nerveux. C'est une hypothèse que des recherches géographiques sur les villes québécoises devraient permettre de vérifier.

Enfin, j'ignore dans quelle mesure ces recherches de géographie urbaine seront utiles à ceux qui cherchent à décrire notre société canadienne-française. Ce n'est pas dans cette perspective, en tous cas, que se feront la plupart de ces recherches géographiques. La géographie est science humaine, bien sûr, car c'est l'homme qui est la mesure de l'importance des phénomènes en géographie, mais, comme l'a dit Vidal de la Blache, la géographie n'est pas la science des hommes, c'est la science des lieux.

Louis Trotier

Institut de géographie,
Université Laval.



Retour au texte de l'auteur: Yves Martin, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le lundi 3 juin 2013 9:40
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cegep de Chicoutimi.
 



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