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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Un fondement du lien social: la mémoire collective selon Maurice Halbwachs (1999)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-Christophe MARCEL et Laurent Mucchielli, “Un fondement du lien social: la mémoire collective selon Maurice Halbwachs”. Un article publié dans la revue Technologies. Idéologies. Pratiques. Revue d'anthropologie des connaissances, 1999, vol. 13 no 2, pp. 63-88.  [Autorisation formelle des auteurs accordée le 19 août 2005]

Introduction
" Si nous examinons d'un peu plus près de quelle façon nous nous souvenons, nous reconnaîtrions que, très certainement, le plus grand nombre de nos souvenirs nous reviennent lorsque nos parents, nos amis, ou d'autres hommes nous les rappellent. On est assez étonné lorsqu'on lit les traités de psychologie où il est traité de la mémoire, que l'homme y soit considéré comme un être isolé. [...] Cependant c'est dans la société que, normalement, l'homme acquiert ses souvenirs, qu'il se les rappelle, qu'il les reconnaît et les localise. [...] le rappel des souvenirs n'a rien de mystérieux. Il n'y a pas à chercher où ils sont, où ils se conservent, dans mon cerveau, ou dans quelque réduit de mon esprit où j'aurais seul accès, puisqu'ils me sont rappelés du dehors, et que les groupes dont je fais partie m'offrent à chaque instant les moyens de les reconstruire, à condition que je me tourne vers eux et que j'adopte au moins temporairement leurs façons de penser. [...] C'est en ce sens qu'il existerait une mémoire collective et des cadres sociaux de la mémoire, et c'est dans la mesure où notre pensée individuelle se replace dans ces cadres et participe à cette mémoire qu'elle serait capable de se souvenir " (Halbwachs, 1994, p. VI).

Né en 1877, normalien, agrégé de philosophie en 1901 (reçu premier) mais aussi docteur en Droit et en Lettres, Halbwachs a subi la double influence d'Henri Bergson et d'Emile Durkheim. Le premier fut son professeur de philosophie au Lycée Henri IV et Halbwachs ira encore l'écouter au Collège de France jusqu'en 1901. Par la suite, il s'en éloignera et nous verrons que son premier grand livre de psychologie collective (Les cadres sociaux de la mémoire) est aussi, d'une certaine manière, une longue critique de Bergson. Fréquentant assidûment les milieux normaliens et socialistes, Halbwachs a en effet découvert entre temps la pensée de Durkheim et rejoint l'équipe de l'Année sociologique en 1904 par l'intermédiaire de Simiand (Besnard, 1979, p. 18). Dès lors, il est et restera l'un des plus fidèles et en même temps des moins conformistes parmi les membres de ce que l'on désigne déjà à l'époque comme " l'école sociologique française ". Professeur de sociologie à Strasbourg en 1919, il succédera à Simiand à la Sorbonne en 1937 (chaire de logique et de méthodologie des sciences), puis à Fauconnet en 1939 (chaire de sociologie), et sera finalement élu au Collège de France en 1944 dans une chaire nouvelle de " Psychologie collective ". Tel fut en effet le sens de la majeure partie de ses travaux durant toute sa vie [1]. Et c'est à une présentation d'ensemble des aspects intellectuels de cette œuvre que notre article est consacré.

Reprendre le projet durkheimien:
fonder la psychologie collective

Bien que n'ayant pas (contrairement à Mauss) à assumer directement les charges éditoriales et symboliques léguées par Durkheim, Halbwachs ne s'en est pas moins posé lui aussi comme son héritier scientifique. A partir de 1925, il se lance en effet dans une vaste opération de réexamen, d'approfondissement, parfois de critique, de la pensée de Durkheim. Avec notamment Les cadres sociaux de la mémoire (1925) et Les origines du sentiment religieux chez Durkheim (1925), puis Les causes du suicide (1930) et La morphologie sociale (1938), on peut dire qu'Halbwachs a repris tous les grands aspects de la pensée théorique de Durkheim, à ceci près que Durkheim s'est largement désintéressé des classes sociales qui ont au contraire occupé le centre de l'activité d'Halbwachs. De sorte qu'il apparaît en effet " comme l'élève et le disciple qui a le mieux su réaliser et développer certaines des intentions impliquées dans le projet primitif de Durkheim " (Karady, 1972, p. 21). Mais si cet effort se matérialise surtout à partir des deux livres de 1925, on peut en lire le projet bien plus tôt que ne le pensent la plupart des commentateurs. En effet, dès 1905, dans ses deux premiers articles, il manifeste son plein accord avec le coeur même du projet durkheimien. Dans " Les besoins et les tendances dans l'économie sociale ", critiquant les explications utilitaristes classiques des économistes, il oppose déjà nettement " psychologie individuelle et psychologie sociale " (Halbwachs, 1905a). Et dans ses " Remarques sur le problème sociologique des classes ", il se réfère directement à la théorie durkheimienne des représentations collectives, estimant que " nulle proposition n'a sans doute été mieux établie en sociologie " (Halbwachs, 1905b, p. 900).

En 1918, dans un article présentant " La doctrine d'Émile Durkheim " dans la Revue philosophique au lendemain du décès de ce dernier, Halbwachs a une première occasion d'interpréter explicitement le sens du projet scientifique durkheimien et d'indiquer son point de vue sur la façon dont il faut défendre et faire fructifier cet héritage. Sa réponse est la psychologie collective. De manière générale, écrit Halbwachs, " la doctrine de Durkheim a été mal comprise du début. [...] En réalité, elle n'est ni aussi étroite, ni aussi mécanique, ni aussi simpliste qu'on le croit parfois " (Halbwachs, 1918, p. 407). En demandant qu'on considère les faits sociaux comme des choses et en les caractérisant par la contrainte exercée sur les consciences individuelles, Durkheim n'a jamais voulu les vider de leur contenu spirituel. Bien au contraire : " Il est facile, au reste, de distinguer cette contrainte de celle qu'exercent sur nous les objets matériels, puisqu'elle est de nature sociale : ce sont des représentations, des pensées, des volontés qui s'expriment dans les pratiques collectives " (ibid, p. 359). Halbwachs défend surtout un vaste projet théorique dont " la portée dépasse la sociologie entendue au sens strict ". En réalité, " il n'est point d'étude se rapportant à la nature humaine qui ne doive sentir l'influence organisatrice et vivifiante de cette doctrine " (ibid., p. 411). En effet, c'est une nouvelle théorie psychologique qui se profile à partir de l'idée de conscience collective :

"La conscience collective est une réalité spirituelle, et le résultat de la science nouvelle fut de la révéler peu à peu beaucoup plus riche et profonde que toutes les autres, puisque celles-ci en dépendaient et s'y alimentaient. Son action, ses prolongements se suivent en effet dans toutes les régions de la conscience de chaque homme ; son influence sur l'âme se mesure à celle que les facultés supérieures, qui sont les modes de la pensée sociale, exercent sur la vie sensitive" (ibid., p. 410).

Comme il le dira en 1925, " L'ensemble des êtres humains n'est pas seulement une réalité plus forte que nous, une sorte de Moloch spirituel qui réclame de nous le sacrifice de toutes nos préférences individuelles : nous y apercevons la source de notre vie affective, de nos expériences et de nos idées, et nous y découvrons une étendue et une profondeur d'altruisme que nous ne soupçonnions pas. Durkheim a bien vu et a bien distingué ces deux aspects de la société. S'il a insisté d'abord sur l'aspect contrainte, c'est qu'au début d'une science, il faut définir provisoirement les faits par des signes extérieurs faciles à saisir. [...] Mais il a reconnu qu'il n'y a pas de pratique collective qui n'exerce sur nous une double action, que les forces sociales s'orientent souvent dans le sens de nos désirs, qu'en tout cas elles accroissent et enrichissent notre être individuel de tous les modes de sensibilité et de toutes les formes de pensée que nous empruntons aux autres hommes " (Halbwachs, 1994, p.110-112). Certes, il existe des différences de tempérament individuel entre les individus, c'est l'objet de la psychologie individuelle. Mais pour comprendre les actions des hommes, les tempéraments sont de peu de secours car, quels qu'ils soient, " leur nature est entièrement remaniée et transformée par la vie sociale " (Halbwachs, 1955, p.209). Seule une psychologie collective, " en replaçant les individus dans les groupes où ils baignent habituellement et auxquels toutes leurs pensées les rattachent ", peut expliquer la présence chez les hommes de " sensations réfléchies, combinées de façon plus ou moins intelligente, et accompagnées de représentations qui se rapportent à leur but et à leurs motifs " (ibid., p. 34). Dès lors, contrairement à ce que prône le psycho-sociologue anglo-saxon William Mac Dougall (The group mind, 1920), ce n'est pas des prétendus " instincts sociaux " et " mobiles universaux " des humains qu'il faut partir pour étudier leur comportement, mais bien des systèmes de représentations que les individus s'approprient pour donner du sens à leur conduite (Halbwachs, 1955, p.57). C'est encore ce qu'il affirmera dans son livre paru en 1938 sur cet autre concept central de Durkheim, la Morphologie sociale : en partant de l'analyse statistique des régularités comportementales et de l'observation des institutions, la sociologie ne nie pas mais ouvre en réalité la voie à la compréhension psychologique. Derrière les formes générales (importance, étendue, localisation, etc.) d'un phénomène que la morphologie sociale a pour but de mettre en évidence, il y a " un monde de représentations et d'états affectifs ", " des pensées, une vie psychologique "; " toutes les formes [...] ne nous intéressent que parce qu'elles sont étroitement liées à la vie sociale, qui consiste toute entière en représentations et tendances ". Ainsi, " la morphologie sociale part de l'extérieur. Mais ce n'est pour elle qu'un point de départ. Par ce chemin étroit, c'est au coeur même de la réalité sociale que nous pénétrons ", " la morphologie sociale, comme la sociologie, porte avant tout sur des représentations collectives " (Halbwachs, 1970, p. 10, 11, 13 et 18).

La théorie psychosociologique durkheimienne réaffirmée, il restait à déterminer par quels mécanismes cérébraux la conscience collective agit sur les consciences individuelles ? Voilà la grande question de théorie psychologique à laquelle Durkheim avait tenté de répondre par la théorie des représentations collectives en faisant l'hypothèse d'une mémoire sociale inconsciente agissant automatiquement sur les individus sans qu'ils s'en aperçoivent, comme s'ils étaient hypnotisés (Karsenti, 1995 ; Mucchielli, 1998, chap. 5). C'est ici qu'Halbwachs se sépare de Durkheim et s'oriente vers une sociologie plus concrète, plus phénoménologique. Présenter de façon synthétique l'ensemble de son travail n'est cependant pas une mince tâche dans la mesure où l'homme fut prolixe et où son écriture, très personnelle et empruntant parfois même les voies de l'introspection, tranche singulièrement d'avec celle qu'adoptent d'ordinaire les chercheurs. Il nous semble cependant possible de dégager trois axes principaux de réflexion sociologique:

1.  la construction sociale de la mémoire individuelle ;

2.  l'élaboration de la mémoire collective dans les groupes intermédiaires (famille et classes sociales) ;

3.  la mémoire collective à l'échelle des sociétés globales et des civilisations.



[1]     Nous n'aborderons donc pas les aspects démographiques et socio-économiques d'une œuvre prolifique.

Retour au texte de l'auteur: Jean-Christophe Marcel, sociologue, Sorbonne Dernière mise à jour de cette page le Samedi 20 août 2005 16:11
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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