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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Mark-David Mandel, La perestroïka et la course aux armements.” Un article publié dans la revue Critiques socialistes, no 4, automne 1988, pp. 33-41. No. intitulé : “Conflits internationaux”. Hull, Qc: Les Éditions critiques. [Autorisation accordée par l'auteur le 7 avril 2011 de diffuser le texte de cette conférence dans Les Classiques des sciences sociales.]

[33]

David MANDEL [1]

La perestroïka
et la course aux armements
.”

Un article publié dans la revue Critiques socialistes, no 4, automne 1988, pp. 33-41. No. intitulé : “Conflits internationaux”. Hull, Qc : Les Éditions critiques.


Les marxistes ont toujours contesté la distinction tranchée que tendent à faire politiciens et politicologues bourgeois entre les politiques intérieure et extérieure d'un État. Pour un marxiste, il ne s'agit pas simplement de l'influence plus ou moins importante de la politique intérieure sur la politique étrangère. Il s'agit plutôt de partir de l'idée que la politique d'un État, au niveau le plus fondamental, correspond nécessairement à sa politique intérieure, parce qu'il s'agit d'abord et avant tout des intérêts de la même classe dirigeante.

Par rapport à l'URSS contemporaine, on peut donc poser la question suivante : les réformes intérieures introduites par Gorbatchev ont-elles été accompagnées par des changements correspondants en matière de politique étrangère ? (L'envergure et la nature des changements survenus dans la politique étrangère soviétique devraient éclairer en même temps la nature réelle et la profondeur des réformes intérieures.) Dans cet article, je traiterai des changements les plus marquants dans la politique soviétique par rapport à la course [34] aux armements Est-Ouest.

La politique Intérieure de Gorbatchev, la pérestroïka, trouve ses fondements dans la nécessité d'améliorer la performance économique soviétique, qui, selon divers indices, a connu un déclin presque Ininterrompu depuis la fin des années 50. L'idée maîtresse de la réforme économique est de remplacer le système de gestion centralisé, "administratif" par un système décentralisé, régulé par un mécanisme de marché. Le rôle du centre dans ce système sera limité à la planification stratégique à long terme, réalisée en régulant le mécanisme de marché par la manipulation de leviers économiques tels les impôts, les taux d'intérêt, les subventions, les contrôles sur le commerce extérieur, et un nombre limité de normes et de prix fixés centralement.

Le revers de la pérestroïka est la réforme politique, ce que Gorbatchev appelle la "démocratisation", mais qui est davantage une libéralisation dans le sens d'une extension des libertés individuelles et d'une protection accrue contre l'abus de pouvoir. Quant à la démocratisation en tant que telle, qui donnerait aux gens ordinaires le pouvoir de décider de questions majeures de la vie publique, elle a été d'un caractère très limité et hésitant, malgré le fait que, dans le contexte soviétique, elle soit non négligeable.

Gorbatchev lui-même a dit de la démocratisation qu'elle était l'essence même de la pérestroïka. Cette affirmation reflète sa compréhension des rapports politiques Intérieurs : de puissants intérêts bureaucratiques sont menacés par la réforme et leur résistance ne sera vaincue que s'il y a une pression populaire en faveur de la réforme. Simultanément, puisque la réforme économique ne pourra pas améliorer la situation matérielle de la population pour un bon nombre d'années (en fait, de nombreux travailleurs considèrent la réforme comme une menace immédiate), les réformes politiques sont une condition nécessaire pour mobiliser la classe ouvrière en sa faveur.

Ainsi, sur le plan politique, la pérestroïka a entraîné un certain déplacement, quoique instable et hésitant, dans la base politique du régime (i.e. le pouvoir central, en dernière analyse le politbureau) : ce dernier s'est éloigné de la position acquise sous Brejnev de porte-parole et arbitre des intérêts bureaucratiques, et a tenté, par des changements de style et de substance, d'acquérir une base plus populaire, qui pourrait soutenir plus activement ses politiques.

Au même moment, il y a eu d'importants changements en politique étrangère, en particulier dans les relations Est-Ouest et la course aux armements. Ces changements reflètent, évidemment, un désir de réduire les dépenses militaires afin de [35] faciliter la réforme économique. Mais plus profondément, lis ont été rendus possibles et nécessaires par le déplacement dans la base politique du régime.

La politique soviétique envers l’Ouest sous Brejnev, et en particulier à l'égard des Etats-Unis, en tant que puissance hégémonique de l'Ouest, avait un caractère typiquement bureaucratique et tirait son origine essentiellement de l'époque de Staline. Elle impliquait la recherche de la sécurité basée sur la puissance militaire de l'URSS, d'une part, et sur des accords diplomatiques avec les puissance capitalistes, d'autre part. Dans cette conception, la puissance militaire était une précondition aux accords.

Dans cette approche, les mouvements populaires et révolutionnaires à l'étranger n'étaient pas envisagés comme des alliés de l'URSS mais comme des points d'appui de sa stratégie diplomatique. Cela signifiait qu'on leur conseillait la modération, une stratégie qui a rarement connu du succès. En tous cas, pour la plus grande part de la période d'après-guerre, particulièrement dans les pays où le Parti Communiste était faible, il a souvent suffi que le mouvement pour la paix devienne simplement associé indirectement aux objectifs soviétiques pour qu'il soit discrédité parmi la masse de la classe ouvrière.

Ceci était particulièrement évident dans le domaine de la course aux armements sous Brejnev. La politique soviétique dans ce domaine a toujours été "défensive", en ce sens qu'elle réagissait aux initiatives américaines et qu'elle était clairement intéressée à conclure des ententes voulant limiter ou mettre fin à cette concurrence extrêmement dangereuse et représentant un grand fardeau. Simultanément, la politique soviétique semblait précisément conçue pour perpétuer la course aux armements, étant fondée sur la prémisse que les Américains prendront l'URSS au sérieux et la traiteront d'égal à égal seulement quand lis verront qu'elle est aussi forte qu'eux, déterminée et capable de contrer toute tentative d'escalade de leur part.

Il en résulta la croissance d'un immense arsenal soviétique, rivalisant avec celui des Américains. Mais au lieu de convaincre les Américains que la supériorité militaire sur l'Union soviétique était un rêve impossible, la croissance militaire soviétique a fourni aux États-Unis la justification la plus convaincante, quoique totalement hypocrite, de la poursuite de leur propre escalade militaire. Les simples citoyens des États de l'OTAN furent incapables de saisir la nature "défensive" des missiles soviétiques qui étaient, malgré tout, dirigés contre eux. Avec les sempiternels reportages sur la nature répressive du régime soviétique (sans parler de l'invasion "défensive" d'un État limitrophe approximativement [36] à tous les dix ans), la simple existence et la croissance soutenue de cet arsenal ont généralement suffi à convaincre les peuples occidentaux de la réalité de la "menace soviétique" et de la nécessité de l'accumulation d'armes à l'Ouest. Dans ce contexte, le mouvement pacifiste a eu grand peine à combattre les accusations d'être le dupe de Moscou, voire son agent conscient. L'appel à la réduction réciproque et négociée des armes, position qui était politiquement acceptable aux yeux du grand public, était utopique étant donné l'objectif de "supériorité" nucléaire de la politique américaine et l'insistance soviétique sur la parité. D'autre part, la revendication d'une réduction occidentale unilatérale, une revendication politiquement plus "correcte", apparaissait clairement inacceptable à la plupart des gens.

Le cul-de-sac sous Brejnev devint évident lors de la décision de l'OTAN en 1979 d'introduire en Europe les missiles à portée intermédiaire CRUISE et PERSHING Il. Malgré tous les discours à l'effet qu'il s’agissait de soulager les craintes d'un "découplage" États-Unis - Europe occidentale, la motivation fondamentale de cette décision était l'adoption par l'OTAN d'une nouvelle stratégie d'attaque en profondeur ("forward strategy"). Il s'agit pour les forces de l'OTAN de pénétrer rapidement sur le territoire de Pacte de Varsovie en cas de guerre, de façon à épargner l'Europe de l'Ouest. Les missiles de portée intermédiaire CRUISE et PERSHING, installés en Europe centrale et occidentale, étaient tout désignes a cette fin. Heureusement pour l'OTAN, comme cela s'est produit souvent par le passé, les Soviétiques ont fourni par inadvertance le prétexte requis : indépendamment des projets de l'OTAN, ils ont décidé de "moderniser" leurs propres missiles de portée moyenne. Les SS-20 sont donc devenus après le fait la raison de la nouvelle et très dangereuse escalade de l'OTAN.

La politique de l'OTAN était officiellement "à deux niveaux" : "nous n'installerons pas nos nouveaux missiles intermédiaires précis et rapides en Europe si vous retirez tous vos missiles intermédiaires qui y sont déjà installés". Parallèlement, les États-Unis refusaient d'envisager l'élimination des arsenaux nucléaires français et britanniques, dont la modernisation était Imminente. Cette soi-disant "option zéro" fut avancée en 1981 uniquement parce qu'elle était perçue comme inacceptable aux yeux des Soviétiques. Et elle l'était réellement. Moscou rompit toutes les négociations sur les armements, et, poursuivant sa politique de "parité", répondit aux Américains en augmentant le nombre de SS-20 et en les installant en RDA et en Tchécoslovaquie.

Devant l'impassibilité américaine, les Soviétiques acceptèrent finalement de revenir aux pourparlers START (missiles [37] à longues portée), croyant que les Américains avaient accepté de mettre "la guerre des étoiles" sur la table. Bien qu'il apparut en être ainsi, les Américains eurent tôt fait de nier avec insistance toute intention de négociation à ce sujet. Il sembla alors que les Soviétiques, en désespoir de cause, annuleraient le sommet prévu.

Mais peu après la venue de Gorbatchev au pouvoir, Gromyko, représentant la politique traditionnelle, fut évincé de son poste de ministre des affaires étrangères et reçut une promotion honorifique à la Présidence du Soviet Suprême. C'était un signe manifeste de réorientation de politique. Il s'ensuivit une séquence des plus remarquables de concessions unilatérales et de propositions de la part de l'URSS, commençant par le gel des essais nucléaires, répété au vu de la poursuite des essais américains, et suivi par l'acceptation soviétique de séparer les pourparlers sur les missiles européens des deux autres négociations sur la réduction des armements. Enfin, au grand étonnement des Américains, les Soviétiques acceptèrent, en pratique, la proposition de "l'option zéro", y compris l'exclusion totale des arsenaux français et britanniques. Les Américains, dépourvus, ajoutèrent alors une nouvelle demande : non plus un gel des SS-20 en Asie, mais des coupures significatives et finalement leur élimination complète. Les Soviétiques acceptèrent à nouveau. Les Américains insistèrent alors pour lier l'accord sur les missiles intermédiaires aux missiles de courte portée installés en RDA et en Tchécoslovaquie, car ces derniers pouvaient être perçus comme substituts aux SS-20. Les Soviétiques acceptèrent encore une fois, provoquant la consternation chez les leaders politiques d'Europe occidentale, qui commencèrent à s'inquiéter de la dénucléarisation de l'Europe (la vérité émergea enfin) et de son "découplage" des États-Unis. (En fait, ils ne craignent pas tant une invasion soviétique ou un "chantage nucléaire" que d'avoir à gouverner sans la "menace soviétique", qui a toujours été une source cruciale de stabilité politique en Europe occidentale depuis la Seconde Guerre Mondiale). Tout ceci sans la moindre concession américaine.

Le nouveau cours de la politique étrangère fut résumé dans un article de l'académicien Primakov, dans la Pravda du 10 juillet 1987. Primakov débute en réfutant la conception traditionnelle voulant que "l'accroissement de l'efficacité de combat ... (est) virtuellement le SEUL moyen de maintenir la sécurité du pays au niveau requis ... Aujourd'hui de tels estimés et interprétations sont clairement inexacts et insuffisants. Tout en maintenant la très grande importance d'améliorer sa capacité militaire, l'URSS est à mettre de l'avant des moyens politiques d'assurer sa sécurité."

[38]

Primakov soutient que la dissuasion fondée sur la parité, sur un équilibre de la terreur, est à la fois immorale et peu fiable. Toutefois, tant que les armements nucléaires n'auront pas été éliminés et remplacés par des garanties politiques et légales, la parité stratégique, malgré tout, aura une signification stabilisatrice. Il rejette, néanmoins, la position traditionnelle de la parité comme concept quantitatif, avançant plutôt la notion de SUFFISANCE RAISONNABLE : "l'incapacité des protagonistes d'éviter la riposte dévastatrice". C'est cet abandon de la politique de la parité et le retour au concept de dissuasion minimale (politique officielle sous Krouchtchev au moins jusqu'en 1962-3) qui explique ces concessions unilatérales de la part du gouvernement soviétique, impensables sous Brejnev.

Primakov admet que l'ancienne politique était vouée à l'échec car elle jouait directement le jeu des Américains : "Dans le passé, à certaines reprises, nous avons accepté les "règles du jeu" qui nous furent imposées, qui consistaient en réponses symétriques aux avancées américaines dans la course aux armements. De cette façon, peut-on penser, les Etats-Unis voulaient délibérément nous épuiser économiquement. Dorénavant, avec l'entrée en vigueur du principe de suffisance raisonnable, les États-Unis trouveront de pareilles tentatives plus difficiles..."

Il est clair que cette politique ne plaît pas à un secteur très significatif de la bureaucratie militaire soviétique ni aux secteurs les plus conservateurs des bureaucraties du parti et de la diplomatie. Comme le fait remarquer Primakov, "Ces mesures sont parfois perçues comme des concessions de la part de l'URSS. En fait, il faut affirmer de façon catégorique qu'en certains cas des concessions sont faites et sont conçues de façon à ramener les choses à un dénominateur commun en ce qui concerne la réduction des armements. Mais ce sont des concessions au simple bon sens, et non pas un recul devant les pressions américaines...

"L'histoire a montré que l'immobilisme n'est pas synonyme de fermeté ; les propositions flexibles et dynamiques de l'URSS, qui sont en développement et en clarification maintiennent dans un état de tension constant et ne donnent aucun répit aux forces militaristes qui étaient beaucoup plus à l'aise sans cette flexibilité et ce dynamisme.

"Nous partons de l'idée que les nouvelles approches en matière de relations internationales qui guident l'URSS ne sont pas seulement les seules approches possibles dans les conditions actuelles, mais aussi parfaitement réalistes."

En dépit des théories très répandues en Occident au sujet de la soi-disant militarisation du régime soviétique, le pouvoir civil sur les forces armées n'a jamais été défié, malgré le fait [39] que Brejnev ait définitivement eu un fort préjugé favorable aux militaires et partageait généralement leur point de vue sur la course aux armements. Gorbatchev, cependant, n'a pas eu trop de difficulté à s'éloigner de telles orientations et à mettre l'armée à sa place. Ainsi, on peut considérer comme un sérieux avertissement aux militaires la décision, lors de l'atterrissage d'un Cessna allemand [RFA] sur la Place Rouge en mai 1987, de limoger non seulement le commandant de la défense anti-aérienne, mais le ministre de la Défense lui-même, pour le remplacer par un des siens. Cela n'a évidemment pas mis fin aux griefs des militaires (e.g. la désapprobation ouverte de la publication récente de compte-rendus on ne peut plus véridiques de la Seconde guerre mondiale et de la corruption dans la bureaucratie militaire), et cela peut même éventuellement jouer un rôle dans toute coalition qui tenterait d'évincer Gorbatchev ou de la contraindre d'abandonner ses politiques intérieures et extérieures. Mais, pour l'instant à tout le moins, malgré certains signes de ralentissement dans le processus de réforme dus à la résistance interne (particulièrement après le renvoi de l'impatient Boris El'tsin du poste de chef de parti à Moscou), Gorbatchev et ceux qui appuient la pérestroïka sont encore fermement en place.

Il va de soi que Gorbachev ne se fait aucune illusion sur sa capacité de ré-orienter la politique de Reagan. En particulier, l'accord sur les missiles intermédiaires n'a pas influencé la stratégie de l'OTAN en Europe. De toute façon, les missiles basés au sol étaient trop visibles politiquement et suscitaient trop d'opposition populaire. Maintenant que les craintes du grand public sont soulagées par le retrait de ces missiles, on peut passer en toute quiétude aux projets d'attaque en profondeur et en précision par les voies aériennes et maritimes, tout comme Reagan continue de prôner la "guerre des étoiles", dont l'objectif réel est de permettre aux États-Unis de lancer une première frappe sans pour autant s'exposer à une destruction "inacceptable" suite à une riposte soviétique.

Mais l'objectif de Gorbachev n'est pas d'influencer Reagan. Les concessions soviétiques visent à influer indirectement sur les politiques de l'OTAN et des États-Unis, par le biais du Congrès américain et plus généralement de l'opinion publique occidentale. Comme l'écrit Prlmakov : "Évidemment, nous sommes encore loin d'une situation où ces nouvelles approches et cette nouvelle pensée politique soient adoptées par les dirigeants américains. Plus que cela, les Etats-Unis opposent une résistance féroce au nouveau cours soviétique. Le militarisme ne capitule pas si facilement, et il n'abandonnera pas ses positions.

[40]

"Tout de même, la situation actuelle est loin de ce qu'elle était il y a deux ou trois ans. Il est de plus en plus difficile aux éléments anti-soviétiques occidentaux de maintenir leur image créée de toute pièce de l'URSS comme État belliqueux anti-démocratique qui menace le monde et qui ne pense qu'à l'expansion. Des sondages d'opinion publique aux USA et en Europe de l'Ouest indiquent que ce mythe ne tient plus lorsqu'il entre en collision avec la pérestroïka, l'ouverture en URSS et la politique étrangère constructive de l'Union Soviétique. La popularité de l'État soviétique et de nos dirigeants à l'étranger - parmi les masses et les intellectuels - atteint des niveaux sans précédent.

"Évidemment, un changement de l'opinion publique occidentale ne constitue pas en soi une ré-orientation décisive de la situation internationale. Mais d'importantes préconditions à cette ré-orientation sont en voie de se former. La flexibilité et l'esprit constructif de la politique étrangère de l'Union Soviétique contribuent certainement au développement de cette tendance."

Dans le domaine de la course aux armements Est-Ouest, alors, la politique soviétique a clairement pris un tournant plus internationaliste, qui cherche à créer les conditions d'une alliance véritable entre l'URSS et les forces populaires anti-militaristes en Occident. Il existe des signes évidents que la croyance populaire au mythe de -la "menace soviétique" et l'anti-soviétisme primaire, éléments fondamentaux de l'idéologie dominante dans l'Occident d'après-guerre, sont effectivement en déclin. Il va sans dire que si ce processus se poursuivait jusqu'à sa conclusion, il aurait un impact politique extraordinaire dans le monde capitaliste, tant sur le plan international qu'intérieur.

Mais la poursuite de ce processus dépend en dernière analyse d'une démocratisation véritable en URSS. La démocratisation signifie un déplacement véritable et complet de la base politique du régime, de la bureaucratie au peuple (i.e. la classe ouvrière). La libéralisation et le jeu démocratique ultra-prudent qui marquent si clairement la pérestroïka jusqu'à maintenant ne fournissent pas une base stable pour un changement de cap en faveur d'une politique étrangère internationaliste cohérente.

Mais l'inverse est également vrai : une telle politique étrangère n'est pas une option réaliste pour le régime soviétique à moins qu'il ne soit démocratique. Car, à moins que l'Union Soviétique n'abandonne de façon convaincante ses politiques intérieures autoritaires et anti-populaires pour devenir une démocratie socialiste véritable, toute tentative de fonder sa politique étrangère sur des alliances avec les mouvements ouvriers et populaires occidentaux échouera [41] nécessairement. D'autre part, comme la libéralisation l'a démontré jusqu'ici, une Union Soviétique démocratique (qui serait nécessairement infiniment plus démocratique que tout État bourgeois) exercerait une influence considérable en Occident. Une telle alliance constituerait la pire menace pour l'impérialisme et le militarisme occidentaux.

La perspective d'une véritable démocratisation en Union Soviétique dépend de la mobilisation autonome de la classe ouvrière, possiblement en alliance avec les secteurs les plus radicaux de la bureaucratie. Jusqu'à présent, en dépit de certaines agitations populaires, ceci ne s'est pas produit et ne se produira probablement pas avant que la crise au sommet, i.e. la lutte entre les éléments pro- et anti-réforme dans la bureaucratie et dans la direction, ne devienne plus aiguë. [2]

Les événements des quelques prochaines années en Union Soviétique seront donc décisifs, non seulement pour l'Union Soviétique, mais pour le monde entier.



[1] David Mandel est spécialiste de l'URSS et enseigne au Département de science politique de l'Université du Québec à Montréal.

[2] Pour une analyse de la politique de réforme en Union Soviétique, voir le numéro spécial (no. 251) du 19 octobre 1987 de la revu Inprecor, "L'URSS à l'heure de Gorbachev".



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 15 novembre 2013 16:45
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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