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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de M. Louis Maheu, “Conclusion: Vers une grande théorie du politique.” Un texte publié dans l'ouvrage sous la direction de Louis Maheu et Arnaud Sales, La recomposition du politique. Conclusion, pp. 309-319. Montréal: L'Harmattan et Les Presses de l'Université de Montréal, 1991, 324 pp. Collection: Politique et économie. Tendances actuelles. [Autorisation formelle accordée par l’auteur de diffuser cet article le 28 mai 2008 dans Les Classiques des sciences sociales.]

LOUIS MAHEU 

Conclusion :
Vers une grande théorie du politique.
 

Un texte publié dans l'ouvrage sous la direction de Louis Maheu et Arnaud Sales, La recomposition du politique. Conclusion, pp. 309-319. Montréal : L'Harmattan et Les Presses de l'Université de Montréal, 1991, 324 pp. Collection : Politique et économie. Tendances actuelles.
 

Introduction
 
Autonomie du pouvoir politique
Normalisation du social et pouvoir politique
Des institutions du politique à la communauté politique
Une grande théorie du politique
 
Références bibliographiques

Introduction

 

L'introduction à ce recueil de textes sur la recomposition du politique soulignait combien les sciences sociales des années 1960 et 1970, en passant par de multiples traditions et courants paradigmatiques d'analyse, s'étaient généreusement branchées sur l'étude du politique et de l'État. Plus précisément, elles ont étudié le politique surtout par le biais d'une attention soutenue accordée à l'État, au politique étatique. 

Autant elles étaient à la mode, autant certaines de ces traditions d'analyse sont maintenant, dans quelques milieux, globalement rejetées. Bien sûr, les théories marxistes et néo-marxistes de l'État, pour nommer des courants d'analyse sous les feux très critiques d'un retour du balancier, empruntent fréquemment le langage métathéorique, lequel par définition ne peut être facilement invalidé par les faits. Elles ne sont pas les seules. Des théories libérales ou néo-libérales, théories dites libérales-juridiques, du politique, du fonctionnement de l'État, de la démocratie, empruntent bien souvent pareil langage. 

Tant que toutes ces théories inspirent des analyses et des études plus concrètes, détaillées et systématiques sur l'État et le pouvoir politique, elles font œuvre utile. Elles contribuent au développement de ce que MacPherson (1976-1985) appelle une « grande théorie de l'État », théorie non seulement explicative des structures étatiques contemporaines mais encore normative et programmatique, ouverte aux défis d'une plus grande démocratisation des régimes et structures politiques de nos sociétés. 

On ne s'étonne pas de constater que la centralité même de l'État, des institutions politiques étatiques, a été au cœur de ces traditions et courants paradigmatiques d'analyse. Encore que ce trait n'aille pas de soi ou plutôt qu'il n'autorise pas toutes les interprétations. 

L'État, les institutions politiques étatiques, de façon variée selon le temps et l'espace, travaillent à condenser les principaux attributs structurels, les contradictions d'un ensemble historique concret. Des mécanismes régulateurs essentiels de l'économie, de l'administration des sociétés, de l'intégration sociale des populations, sont fonction de ce centre du pouvoir au sein des sociétés contemporaines, centre du pouvoir légitimement autorisé à recourir à la force. Pareil État sera doté d'une compétence à agir, d'une capacité d'intervention qui n'ont rien de négligeable.

 

Autonomie du pouvoir politique

 

On le sait cependant, ce centre du pouvoir, cette centralité d'un État qui condense conjoncturellement les attributs structurels d'un ensemble historique concret, ne présuppose pas une totale autonomie de ce système d'action. Au contraire, ce n'est bien souvent qu'avec parcimonie que plusieurs de ces tendances et courants paradigmatiques - les marxistes, paradoxalement, avaient de la compagnie - lui concèdent une certaine autonomie. Le plus souvent on dira que l'État, le centre du pouvoir, demeure le produit d'un bloc plus ou moins hégémonique d'intérêts sociaux, de classes et fractions de classes, voire de grands agents socio-économiques aux vues corporatistes plutôt convergentes malgré un discours porté sur les divergences. « Qui gouverne ? » fut une question fondamentale, un thème majeur d'analyse. 

La thèse de l'autonomie dite relative de l’État, qui a pris au cours des ans plusieurs formes puisqu'on y venait de traditions et de courants d'analyse assez variés sinon divergents, n'a-t-elle pas éclaté finalement ? N'a-t-elle pas fait faux bond à ces balises trop étroites qu'on lui désignait ? Ne fut-elle pas contredite par l'expansion de l'autonomie et de la force d'intervention d'un État, bien ancrées sur le terrain et dans les instruments mêmes du politique ? Dans les termes avec lesquels les sciences sociales des années 1960 et 1970 traitaient du politique, de l'État, du politique étatique, ces tendances avaient été mal repérées. 

Pour leur part, des contributions à ce recueil de textes mettent bien en relief ce mouvement quand elles identifient, parmi les systèmes d'action producteurs et régulateurs de politiques sociales, celui où l'État animateur social échappe, somme toute, au corporatisme des grands agents socio-économiques, à la structuration des intérêts et des rapports de classes. Les origines sociales comme les aboutissements de politiques sociales et de formes d'intervention de l'État ne sont pas toujours des plus aisés à relier à des intérêts, à des forces sociales qui tiennent l'État, ses appareils, ses mécanismes régulateurs. 

On pourrait, avec MacPherson (1976-1985), souligner combien l'État d'aujourd'hui « pluralise » davantage la société, combien il draine vers lui, vers ses structures, des pouvoirs et des capacités d'intervention avec lesquels il fractionne le corps social ; avec lesquels il divise et oppose les uns aux autres des groupes, des intérêts, des classes ou fractions de classes, des mouvements sociaux, se gardant ainsi une bonne marge de manœuvre. Ces observations empiriques et les développements théoriques qui leur sont rattachés rappellent à nouveau les défis et les difficultés d'une théorie de l'État, qui devra être toujours plus perméable à certains processus sociaux aux contours plus nets dans le temps présent ; et notamment, le défi et la difficulté de conceptualiser simultanément l'État comme le produit sociohistorique - contingent et en ce sens arbitraire -d'un ensemble de rapports sociaux et comme un acteur social. Sa fonction d'acteur social ne pouvant d'ailleurs être exclusivement ou principalement rattachée à l'axe diachronique ou synchronique de l'analyse d'une société. Dans le temps et l'espace spécifiques à des sociétés particulières, l'État sera un animateur social de systèmes de rapports sociaux et de leur reproduction ou encore, se substituant à des élites dirigeantes, il sera force de changement social. 

Nous n'allons pas reprendre ici les débats et réflexions, bien évoqués d'ailleurs dans l'introduction à ce recueil de textes, à propos de la crise de l'État et surtout de l'État-providence. À bien des égards, les retombées concrètes, les effets sociopolitiques pertinents de cette conjoncture de crise demeurent encore à élucider. Même plus contenu et d'étendue plus restreinte, il serait à peine paradoxal que le pouvoir d'intervention de l'État soit demeuré largement autonome : toujours conçu, préparé, actualisé et déployé sur le terrain et avec les instruments du politique. La vitatité accrue d'espaces sociaux antérieurement plus fermés au politique, la montée d'enjeux publics et politiques dans la société, un impact plus affermi du politique non institutionnel sont-ils totalement à opposer, le principe des vases communicants obligeant, à une perte d'autonomie de l'État, du politique étatique ? 

Rien n'est moins sûr. Restent à mesurer les contractions effectives du système politique et leurs effets pertinents. Reste aussi à établir si ces contractions ont diminué l'autonomie même du politique étatique, de l'État à l'intérieur de son champ vraisemblablement plus restreint d'interventions. Manquent encore, pour nous permettre d'y voir plus clair, le recueil de données comparatives et généralisées, l'observation systématique de pratiques et de tendances suffisamment nombreuses et détaillées, plus conséquentes à cet égard que les effets systémiques de langages métathéoriques abstraits. 

 

Normalisation du social et pouvoir politique

 

La centralité du politique, l'État comme centre de pouvoir, thèmes majeurs des sciences sociales des années 1960 et 1970, sont encore sur la sellette, mais d'une autre manière. Au-delà de leur traitement de l'autonomie relative, les grandes traditions dominantes d'analyse de l'État subiront des attaques encore plus frontales. Sont-elles même aptes à élucider convenablement son existence et son fonctionnement ? 

La charge de Foucault, par exemple, est des plus précises : les théories libérales-juridiques et marxistes du pouvoir et du politique sont théories trop patrimoniales, économiques, centrées sur la propriété du pouvoir. Les unes traitent le pouvoir comme une marchandise soumise à échanges et à contrats, les autres comme le propre d'une structure, d'une domination de classe. 

Pareilles théories du pouvoir, du politique, de l'État doivent donc être questionnées et contestées pour leurs tendances à faire découler la constitution du social d'un centre du pouvoir, d'un pouvoir souverain : celui du roi, celui de la classe sociale dominante. Ultimement, sont alors mises en cause les constructions théoriques visant à pénétrer l'opacité du social à l'aide de la totalité comme catégorie théorique d'analyse et guide de lecture de la conjoncture sociopolitique (Jay, 1984). Ainsi, la totalité structurelle et sa prétention de fournir une lecture du social à partir d'un système d'action qui est au principe de sa constitution et de sa mutation sont soumises à critique. De même que la totalité expressive d'un métasujet collectif, la classe ouvrière par exemple, dont l'itinéraire social et le processus d'objectivation et d'émancipation sont extensibles à toute la structure sociale qu'ils résument dans leur propre mouvement (Jay, 1984 ; Dallmayr, 1984 ; Foucault, 1980, 1982). 

L'articulation entre pouvoir et répression, entre pouvoir et imposition de la force telle que la proposent les théories libérales-juridiques et marxistes du pouvoir et du politique, fera encore l'objet de critiques. Foucault apportera une contribution remarquée, qui soutiendra que ces théories font trop découler imposition de la force et répression d'un centre du pouvoir. Il leur sera encore reproché de lier trop directement la répression au pouvoir juridique et contractuel, de la lier au pouvoir comme luttes, comme hostilité et comme guerre sous une autre forme que la guerre ouverte (1980). 

Foucault, plus particulièrement, avancera de plus que le politique, le pouvoir sont répression certes, mais au travers d'une technologie politique, d'une stratégie où le pouvoir quadrille les corps, loge dans les interstices du social. Le pouvoir est alors domination non pas logée dans le centre du pouvoir souverain, mais domination inscrite dans ses divers sujets sociaux. Pareille technologie du politique commande de dévoiler le pouvoir du bas vers le haut. Soit à partir des stratégies d'un pouvoir disciplinaire fabriquant au moyen d'un ensemble de contraintes micro-physiques la normalisation des sujets, vers les institutions du pouvoir souverain. 

Mentionnons au passage que nous touchons ici des processus sociaux que plusieurs contributions à ce recueil de textes ont éclairé le plus souvent par le biais d'une mise en relief de mécanismes pluri-dimensionnels de régulation du social. Régulation technicienne et juridique de problèmes sociaux ou de clientèles sociales cibles, régulation encadrant et intégrant l'exercice local d'un pouvoir apparemment autonome et décentré, régulation et intégration sociales atteignant des populations soumises à une normalisation symbolique sur fond de vision religieuse du monde. 

On a pu soutenir que Foucault aurait manqué quelques fois de retenue dans son insistance à dépeindre une société fortement quadrillée, des populations intensément disciplinarisées par les micro-pouvoirs. On lui saura gré cependant d'avoir avancé, avec plus de force peut-être dans ses ouvrages plus tardifs, combien pouvoir et liberté sont deux instances, deux moments inséparables de l'expérience humaine. On ne pourrait concevoir de pouvoir qui ne soit accompagné de sa figure réciproque inverse, soit d'une capacité de résistance. Pouvoir et capacité de résistance sont constitutifs l'un de l'autre (1982). 

Mais sur les liens entre la normalisation du social et le pouvoir souverain et ses diverses institutions, la position de Foucault est plus sévère. Bien qu'arrimés l'un à l'autre d'une manière hétérogène, le pouvoir souverain et la normalisation du social cheminent en parallèle. Ils se renforcent l'un l'autre au point où la démocratisation du pouvoir souverain et de ses institutions n'est d'aucun contrepoids à la normalisation du social sous-tendue par l'exercice du pouvoir quadrillant les corps, subjuguant les sujets sociaux (1980). 

Normalisation du social, par le biopouvoir disciplinaire, et légitimité démocratique du pouvoir souverain sont-elles les deux faces, hétérogènes mais indissociables, d'un pouvoir dominant et omnipotent ? L'analyse critique du pouvoir proposée par Foucault désespère des institutions et des instances démocratiques, contractuelles et juridiques du pouvoir souverain légitime. Faut-il le suivre aveuglément sur ce terrain ? 

Ne pose pas vraiment problème la reconnaissance d'une articulation, produit historique contingent spécifique à un temps et un espace social donnés, entre les règles, les normes, les codes quasi naturels et mécaniques de la normalisation du social et les règles, les normes juridiques engageant la loi, au sens fort des règles de droit constitutives du pouvoir politique souverain. Que semblable articulation puisse être un produit historique contingent n'est pas remis en cause. Mais pour autant, les formes sociétales contemporaines n'obéiraient pas à une loi universelle commandant, quel que soit l'espace social ou le moment historique considéré, que la jonction du pouvoir disciplinaire et du pouvoir juridique, contractuel, soit la seule forme d'existence concrète du pouvoir dominant, du pouvoir politique, de l'État. 

La distinction est capitale : elle oblige à mieux cerner ces espaces sociaux et ces moments conjoncturels à propos desquels la jonction du pouvoir disciplinaire et du pouvoir juridique, contractuel, devra être rigoureusement démontrée et décomposée. Mais surtout elle est capitale en ce qu'elle oblige à recourir à une définition du politique qui déborde l'horizon de la normalisation du social et de ses rapports de force. Une définition du politique qui n'est aucunement captive de la radicalisation, de la politisation, comme diront certains, d'une normalisation du social qui, par moments, provoque des conflits ouverts et radicaux qui ne sont pas toujours, pour autant, des conflits à larges horizons sociaux interpellant le devenir global d'une collectivité. 

Le politique est action, système d'action avec ses acteurs et ses rapports sociaux qui produisent l'organisation globale du social. Système d'action concernant le devenir global des collectivités, créant les espaces où sont débattus les enjeux de la « res publica », où se forge l'opinion publique. Système d'action et espaces publics où se construit un pouvoir politique souverain doté de légitimité, qui actualise un gouvernement comme manière de diriger les conduites des individus et des groupes, des collectifs et des forces sociales. Système d'action et espaces publics où gouverner est articulation du pouvoir, des relations de pouvoir et des relations, des stratégies de confrontation. S'il y a recomposition du politique, si des acteurs, des forces sociales, des mouvements sociaux, si des modes et formes de régulation appartiennent à ces processus sociaux de recomposition du politique comme système d'action, c'est bel et bien parce qu'ils produisent et reproduisent, parce qu'ils maintiennent et élargissent tout à la fois, les paramètres et les frontières de l'action politique, des espaces publics politiques. 

L'analyse du politique, du pouvoir, de l'État aura donc comme exigence de ne pas confondre la normalisation du social, avec ses rapports de forces et sa politisation, et les enjeux sociaux du pouvoir politique. Ne pas confondre mais, là où il le faut, interrelier, comme produit sociohistorique contingent, action politique, système d'action politique, espaces publics ; puis interrelier normalisation du social, mécanismes régulateurs de la production et de la distribution des ressources de même que de la société administrée. L'exigence ultime qui confronte vraiment l'analyse est alors la délimitation des paramètres de l'action politique, du système d'action politique. La vraie question demeure celle - toujours à reprendre parce que la constitution même des sociétés impose qu'il en soit justement ainsi - de la configuration sociale des frontières du système d'action politique et du pouvoir politique souverain. Pourquoi et comment une action et un processus deviennent politiques (Harvard, 1989) sont toujours des interrogations fondamentales.

 

Des institutions du politique
à la communauté politique

 

Nous soutiendrons, un peu rapidement ici, que deux grandes problématiques marquent tout particulièrement dans le champ contemporain des sciences sociales, ce large débat portant sur les paramètres de l'action politique, sur les fondements ultimes de la légitimité du pouvoir politique souverain (Maheu, 1991). Elles ne sont pas ouvertement et systématiquement exclusives l'une de l'autre ; elles ne se renvoient pas toujours dos à dos. Mais elles ont aussi leurs différences quant à comment fonder le pouvoir politique souverain. Les éléments prévalant, dominant l'une sans être exclus de l'autre, n'y trouvent pas le même poids. Pour notre part, nous rejoignons ceux qui insistent pour fonder le politique non seulement sur une articulation dialectique de ces deux grandes problématiques, mais encore sur leur constante interdépendance. 

Une problématique fonde l'action politique, la légitimité du pouvoir principalement sur les espaces publics, sur la communauté politique. Siège de la liberté, cette communauté par le biais des espaces publics de discussion et de débats génère la « res publica ». Le politique est simultanément polis et praxis, c'est-à-dire un espace public-politique qui donne forme à une arène publique d'interactions qui se structure elle-même à travers sa recherche et sa promotion de la pluralité. La légitimité même du politique, du pouvoir politique souverain, loge dans l'action politique première, dans la sphère même des débats et des interactions informant la « res publica » (Arendt, 1961, 1973 ; Parckh, 1981 ; Dallmayr, 1984). 

Il s'impose de noter combien, selon cette manière de voir, la communauté politique génère la concertation, la communication, la persuasion fondées sur des praxis d'interactions dans la sphère publique constitutive précisément de la « res publica ». Mais concertation et persuasion sont aussi des produits sociohistoriques contingents. La « res publica », la communauté politique peuvent tout autant être le siège de débats, de conflits, de rapports sociaux antagonistes qui sont affirmation et manifestation non seulement de pouvoir mais aussi de sa réciproque, la capacité de résistance. En ce sens, les frontières et les fondements du politique et de sa légitimité, qui logent dans la communauté politique, logent de fait dans ses débats, échanges, luttes et conflits. 

Une autre problématique du politique est plus attentive et sensible, dès le point de départ, aux dimensions institutionnelles du politique. Elle ne crée aucune étanchéité entre la légitimité du pouvoir politique souverain et les institutions publiques-politiques, les stratégies et les formes d'allocation du pouvoir. L'autorité publique, la légitimité du pouvoir ne pourraient être dissociées des stratégies et de la compétition pour le pouvoir, de l'emploi légitime de la force, du contrôle et de l'exercice de la domination politique. L'exercice et la promotion d'une rationalité légale, juridique, encadrant les manifestations du politique et du pouvoir, contribuent aussi à fonder leur légitimité dans des formes institutionnelles. Ces dernières cherchent à canaliser, en même temps qu'elles sont interpellées par eux, les conflits, les débats, les échanges qui sous-tendent l'action politique, le pouvoir souverain, la représentation et la délégation de l'autorité et du pouvoir, le recours légitime à la violence et à la force. Cette manière de saisir la structuration et le fonctionnement du système d'action politique d'un ensemble historique concret doit beaucoup, bien sûr, à l'œuvre de Weber. 

Ces deux problématiques globales du politique esquissées ici à grands traits, constituent sous cette forme des types idéaux presque purs. Rappelons, comme cela fut souligné, que des traditions d'analyse de même que des formes de représentation du politique ne les disjoignent pas totalement, ne les rendent pas complètement exclusives l'une de l'autre. Mais l'une et l'autre problématiques sont chacune à leur manière prédominantes, relativement exclusives, dans des construits théoriques caractérisant certains courants d'analyse. L'une et l'autre, tour à tour, inspirent de manière prédominante, des pratiques collectives et des représentations constitutives du champ des rapports sociaux conflictuels relatifs au politique. 

Dans la société contemporaine, nombre de processus sociaux et de débats interpellent le système d'action politique. Ce sont bien souvent des processus sociaux et des débats de la recomposition du politique. Le fonctionnement du politique, le fondement du pouvoir souverain peuvent, par exemple, se buter aux difficultés engendrées par la crise de la représentation assurée par le parti politique et les institutions de la scène politique traditionnelle au sein des sociétés contemporaines. Par l'action directe, par leur tendance à élargir le champ du politique en investissant le domaine du politique non institutionnel, les mouvements sociaux débordent, et débordent largement le cas échéant, les espaces institutionnels traditionnels. Sans complètement les ignorer toutefois dans la mesure où leurs pratiques les obligent à des relations, si restreintes soient-elles, avec les institutions du politique. De même, certaines luttes sociales qu'ils mènent sont autant d'étapes de leur « longue marche » conflictuelle, indissociable de leur destin social, à travers les institutions du politique et de la régulation sociale. 

Si des contributions à ce recueil ont souligné comment les pratiques conflictuelles caractérisant les nouveaux mouvements sociaux posent des défis nouveaux au politique, d'autres ont attiré l'attention sur les processus sociaux de normalisation, de régulation du social. Régulation qui chemine soit via une forme nouvelle de régime et d'État, soit via des institutions d'intégration sociale ancrées dans la société civile. Il s'agit alors d'éclairer comment et si des règles, des normes, des codes de la normalisation et de la régulation du social peuvent, dans des rapports sociaux, atteindre les règles et les nonnes juridiques, contractuelles du pouvoir politique. La sophistication, mais aussi l'allure quasi naturelle des mécanismes régulateurs du social, des emprises exercées sur des facettes de nos trajectoires sociales, ne doivent toutefois pas prêter à confusion. Débordent-elles la seule radicalisation, même vive et lourde de conséquences, de la normalisation du social ? Sont-elles jointes aux enjeux du pouvoir politique souverain et par là indissociables des fondements du politique ? Mènent-elles à toujours plus d'enfermement et de régulation ou élargissent-elles, malgré elles et par effet d'entraînement, les luttes sociales, les brèches de la démocratisation des processus de normalisation et des institutions politiques ? 

Autres processus sociaux interpellant le politique et pouvant le cas échéant contribuer à sa recomposition : les institutions et les structures moins centrales de la scène politique locale ou régionale. Soit à partir de systèmes d'action influant sur la formulation de politiques sociales, soit à partir de stratégies plus ou moins imposées de décentralisation, les structures locales deviennent un espace public stratégique. Des contributions à ce recueil de textes illustrent comment les structures politiques locales, la forme d'exercice local du pouvoir étatique sont directement, ouvertement, des fois sans grande médiation, confrontées à l'action politique de base, à la volonté collective d'intervention politique de certains groupes sociaux.

 

Une grande théorie du politique

 

L'ensemble des processus sociaux et débats qui sont processus et débats de la recomposition du politique attirent somme toute l'attention sur des zones bien précises du social. Ils centrent le regard, à propos de la constitution du social et de la dynamique du système d'action politique, sur les rapports entre les espaces publics et les espaces privés, entre l'État et la société civile, entre le politique institutionnel et le politique non institutionnel, entre les appareils centraux et locaux du pouvoir d'État. 

Ces concepts, pour utiles qu'ils soient a priori, n'éclairent les enjeux de la recomposition du politique que dans la mesure où ils permettent de mieux saisir le politique, les fondements de la légitimité du pouvoir politique, qui sont en mutation au sein des sociétés contemporaines. Bien au-delà d'une définition strictement institutionnelle des frontières de la société civile, du politique non institutionnel et des espaces privés et publics, on attend de ces concepts qu'ils rendent compréhensibles la dynamique et la profondeur des mutations du système d'action politique de nos sociétés. 

Seront plus utiles à l'analyse les notions et les concepts qui traduisent bien - toujours à propos du politique et de la légitimité du pouvoir politique souverain - la nécessaire interdépendance des deux grandes problématiques du politique dont il fut question. Force est de remarquer en effet que les processus sociaux et les débats qui interpellent le politique de nos sociétés et annoncent sa mutation, posent pour la plupart la question de l'articulation, de la médiation, de la jonction du politique non institutionnel au politique institutionnel, des espaces publics-politiques aux espaces politiques institutionnels, de la société civile à l'État. Les rapports entre ces pôles ne sauraient être que rapports d'opposition et de conflit. Ils ne sauraient d'ailleurs être des rapports dialectiques, dans le sens où une synthèse nouvelle de cette polarisation reposerait finalement sur l'absorption formelle et réelle, et par là la négation, d'un pôle par l'autre. 

Il faut plutôt parler d'interdépendance obligée, nécessaire ; ultimement d'indissociable,.interdépendance entre des formes de légitimité du pouvoir et des fondements du politique qui logent dans la communauté, dans les conflits, les débats et les interactions de la « res publica », et des formes de légitimité du pouvoir, des fondements du politique qui logent dans les institutions, dans les stratégies du pouvoir, dans le recours légitime à la force. 

En ce sens, nous pourrions conclure que les enjeux complexes du politique dans nos sociétés, les enjeux de sa recomposition ne sont pas principalement ni exclusivement l'effritement des institutions traditionnelles, ni même la perte de centralité affectant tout à coup des acteurs, des structures du politique. L'essentiel réside vraisemblablement dans l'élargissement des formes du politique, la restructuration de ses fondements, la mutation du système d'action politique de nos sociétés. Autant de processus sociaux qui obligent à joindre divers ressorts de l'action politique, à articuler divers fondements de la légitimité du pouvoir politique souverain. Obligation réitérée à divers moments de l'histoire des formes sociétales diront certains. Certes, mais obligation qui s'exerce aujourd'hui d'une manière différente qui tient à ce que nos sociétés contemporaines se produisent elles-mêmes hors de tout garant métasocial. 

Les années 1960 et 1970 ont été sans conteste la période conjoncturelle clé de la construction d'une grande théorie de l'État. Les années 1980 et 1990 appellent à un nouveau défi que des pratiques, des représentations et des construits théoriques ont commencé à relever : celui de l'impérative élaboration d'une grande théorie du politique.

 

Références bibliographiques

 

Arendt, H. (1961), Conditions de l'homme moderne, Paris, Calmann-Lévy. 

Arendt, H. (1973), Between Past and Future, New York, Viking Press. 

Dallmayr, F.R. (1984), Polis and Praxis, Exercises in Contemporary Political, Cambridge, Mass., MIT Press. 

Foucault, M. (1980), « Two lectures » (1976) » dans Power/Knowledge : Selected Interviews and Other Writings by Michel Foucault, 1972-1977, C. Gordon, dir., New York, Pantheon Books. 

Foucault, M. (1982), « The Subject and Power », dans Michel Foucault : Beyond Structuralism and Hermeneutics, H. L. Dreyfus et P. Rabinow (dir.), Chicago, The University of Chicago Press. 

Jay, M. (1984), Marxism and Totality : The Adventures of a Concept from Lukacs to Habermas, Berkely, The University of California Press. 

Macpherson, C.B. (1976-1985), « Do We Need a Grand Theory of State ? », dans The Rise and the Fall of Economic Justice, Oxford, Oxford University Press. 

Maheu, L. (1991), « Mouvements sociaux et politique : enjeux d'une articulation entre grandes problématiques du politique », les Nouvelles formes de la démocratie, Actes du Colloque du GRETSE sur les nouvelles formes de la démocratie, Montréal, Presses de l'Université de Montréal. 

Parekh, B. (1981), Hannah Arendt and The Search for A New Political Philosophy, New Jersey, Humanities Press.



Retour au texte de l'auteur: Gérald Fortin, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le mercredi 6 août 2008 13:13
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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