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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Louis Maheu, “Les nouveaux mouvements sociaux
entre les voies de l'identité et les enjeux du politique
.” (1991)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de Louis Maheu, “Les nouveaux mouvements sociaux entre les voies de l'identité et les enjeux du politique.” Un texte publié dans l'ouvrage sous la direction de Louis Maheu et Arnaud Sales, La recomposition du politique. Chapitre 6, pp. 163-192. Montréal: L'Harmattan et Les Presses de l'Université de Montréal, 1991, 324 pp. Collection: Politique et économie. Tendances actuelles. [Autorisation formelle accordée par l’auteur de diffuser cet article le 28 mai 2008 dans Les Classiques des sciences sociales.].

Introduction

Triste sort et curieux paradoxe. Au moment où d'ici (Hamel et al., 1983) et d'ailleurs (Touraine, 1984) on scrute et s'inquiète de leur déclin et de leur reflux, les mouvements sociaux, ou plus précisément les nouveaux mouvements sociaux, sont davantage à la mode dans la littérature des sciences sociales. S'il est encore un peu tôt pour apprécier définitivement la qualité de même que les apports heuristiques des divers courants d'analyse qui en traitent, on ne saurait pourtant ignorer qu'ils inspirent - visibilité sociale accrue oblige - plus que leur part de bonnes études en sciences sociales.

Les événements sociopolitiques qui ont marqué l'évolution récente des sociétés communistes d'Europe de l'Est, la remise en cause du credo politique marxiste et des catégories fondamentales de pensée sous-tendant certaines lectures holistes de la société ont créé une conjoncture de plus grande sensibilité, et dans la pratique et dans la théorie, envers les mouvements sociaux. Tous ces facteurs ont ainsi donné plus de relief aux manifestations actuelles et contemporaines des mouvements sociaux au point où est maintenant plus fréquent et généralisé le recours à l'expression nouveaux mouvements sociaux. Du moins cette plus grande visibilité est-elle maintenant perceptible dans la littérature anglo-saxonne. Cette problématique, sans en être absente, n'y avait pas grande audience. Elle n'avait pas non plus mené, autant que certaines traditions européennes d'analyse des conduites collectives conflictuelles, à l'exploration de problématiques plus originales.

Aujourd'hui, outre un regain de vie « néo-smelsérien » pour les analyses des conduites collectives non institutionnalisées, l'action stratégique de certains mouvements sociaux, les formes et ressources organisationnelles de leur mobilisation collective retiennent toujours autant, sinon encore plus, l'attention. Ces analyses développent ce qu'il est convenu d'appeler la « théorie de la mobilisation des ressources », théorie des conduites collectives qui insiste justement sur les répertoires d'activités stratégiques de groupes sociaux en lutte et sur leur forme d'organisation et de mobilisation (Gainson, 1975 ; Jenkins, 1983 ; Tilly, 1978, 1981).

On pourrait encore noter la vigueur quelque peu renouvelée des études et aussi des manifestes politiques, marqués par un courant de pensée populiste jamais vraiment absent des philosophies politiques et des visions du monde, plus ou moins progressistes, bien visibles aux États-Unis (Buhle, 1987). L'écologie politique, la promotion d'une nouvelle éthique de l'économie et de la consommation, la défense d'un radicalisme politique local alimentent directement ce schéma de pensée (Evans et Boyte, 1986 ; Bellah et al. 1985 ; Boyte, 1980).

Et puis il y a cette littérature anglo-saxonne des conduites collectives qui emprunte plus directement son inspiration des travaux d'Habermas. Tout se passe comme si certains avaient pris très au sérieux cette fréquente critique qui reprochait naguère à Habermas son penchant mal contrôlé pour des analyses systémiques des mécanismes économiques et politico-administratifs régulateurs et colonisateurs du monde vécu des sociétés capitalistes avancées. Le défi de promouvoir une logique d'action communicationnelle, une morale de l'intersubjectivité communicationnelle n'était alors adressé à aucun acteur privilégié (Jay, 1984 ; Cohen, 1982 ; McCarthy, 1978). Le reproche aurait-il poussé à un repentir mitigé ? Dans sa Théorie de l'agir communicationnel (1981, 1984, 1987), Habermas qualifie d'abord de luttes strictement défensives, il est vrai, la résistance des nouveaux mouvements sociaux contre la colonisation du monde vécu provoquée par les mécanismes régulateurs de l'économie et des appareils politico-administratifs. Le mouvement des femmes lui semble par ailleurs nettement plus offensif. Ce dernier éclairerait des dimensions à la fois de domination et d'émancipation des formes modernes de régulation légale, des espaces politiques publics de la démocratie représentative, des appareils et instances de socialisation primaire. Et la revue Telos, jusqu'à tout récemment, et depuis une bonne dizaine d'années, a nettement stimulé un courant « habennasien » d'analyse des mouvements sociaux principalement américain (Lustiger-Thaler et Maheu, 1991).

Dans un texte paru en 1985, J. Cohen recense les contributions de la théorie de la mobilisation des ressources - et tout particulièrement les travaux de C. Tilly - à l'analyse des mouvements sociaux, en soulignant leur penchant pour le registre surtout stratégique de l'action collective. Elle y développe l'argument que la tradition surtout européenne d'analyse des mouvements sociaux [1] déborde et complète cette lecture en explorant systématiquement et à bon droit des registres autres que purement stratégiques de l'action collective des mouvements sociaux. Placées sous un nouvel éclairage théorique, les conduites collectives seront présentées comme le produit, obligé bien que non exclusif, de la réflexivité de l'action. Réflexivité traduisant combien les conduites collectives sont elles-mêmes initiatrices et productrices, et de leur sens, de leur rationalisation, de leur orientation normatives, par le biais d'une intersubjectivité, et de formes de solidarité à travers lesquelles elles se développent et prennent corps.

Et J. Cohen de proposer alors de coiffer du titre de paradigme de l'identité (Identity-oriented paradigm) ces courants, surtout européens, d'analyse des mouvements sociaux. Dénomination d'autant plus fondée, selon elle, que ces courants d'analyse exploreraient tout particulièrement la nouvelle identité collective d'acteurs sociaux prenant en charge des conflits des sociétés industrielles avancées (Cohen, 1985 : 703, 667). Une attention soutenue serait ainsi accordée aux procès sociaux de formation des identités, voire aux mécanismes de réflexivité par lesquels les acteurs de mouvements sociaux deviennent eux-mêmes plus conscients de ces procès. Us problèmes de domination, de contestation de normes et de valeurs, de modification des barrières entre le public, le privé, le politique que draine l'opposition entre création d'identité et imposition sociale d'identité sont alors bien révélés par ces courants d'analyse (Cohen, 1985 : 694). L'accent mis sur les dimensions normatives et culturelles de la vie quotidienne, sur le droit de choisir son genre de vie et son identité, caractériserait donc ces courants d'analyse qui s'attardent aux enjeux structurels nouveaux des sociétés industrielles avancées, voire de la société postindustrielle (Cohen, 1985 : 702).

Le recours à l'expression « paradigme de l'identité » n'est pas des plus heureux. La notion d'identité laisse échapper des dimensions pourtant majeures et déterminantes des problématiques et des projets scientifiques qui ont marqué des traditions parmi les plus connues de ces courants d'analyse des mouvements sociaux. Nous rappellerons dans un moment la relativité de la notion d'identité à l'intérieur de systèmes théoriques plus larges qui l'englobent. Pour certains des courants d'analyse des mouvements sociaux dont il est question, l'identité n'est point le principal construit théorique.

Des clarifications de sens devront aussi être apportées à la notion même d'identité. Comment peut-on la définir ? Le texte de Cohen (1985) fait un rapprochement entre dimensions symboliques, culturelles, normatives de l'action, d'un côté, et identité, de l'autre. Les représentations, normes et codes culturels, mécanismes de réflexivité, communications intersubjectives par lesquels des groupes sociaux organiseront leur action et leur mobilisation collectives sont des processus de formation d'identité. À ce titre, les mouvements sociaux sont producteurs d'identité collective dans leurs luttes sociales.

Et le même texte discutera aussi de l'identité dans d'autres termes. Cette notion y est reliée, sous forme d'une identité problématique d'individus et de groupes sociaux, à des modes de vie, des aspects normatifs et symboliques de la vie quotidienne et privée subissant l'emprise de codes, normes, modèles culturels dominants et autoritaires. Ces derniers freinent l'autonomie, le libre choix des genres de vie et appauvrissent la subjectivité et la réflexivité de l'action.

On verra mieux ce qu'est l'identité et la place relative de cette notion dans les courants d'analyse des mouvements sociaux si on ne procède pas à l'aveuglette. Une voie alors s'impose à nous : définir la notion d'identité à même un travail de distinction et de différenciation des fonctions que joue ce concept au sein d'une même tradition d'analyse et parfois chez un même auteur. Il nous faudra mieux départager et séparer, au sein des courants européens d'étude des mouvements sociaux, des perspectives d'analyse finalement tout autant divergentes que convergentes. Et tout au long de cette démarche de définition de l'identité à même les multiples fonctions explicatives confiées à ce concept, nous chercherons aussi à préciser ses liens avec le registre plus strictement politique de l'action collective.

Cet exercice constitue la trame de fond de nos propos. Quelles en seront les conclusions ? D'une part, le concept d'identité, au sein d'une même tradition d'analyse et bien souvent chez un même auteur, est bel et bien affecté à la production de construits théoriques fort différents. Au point où ce concept ne parvient finalement pas - comme l'exigerait pourtant le statut d'étalon paradigmatique auquel on veut l'élever - à homogénéiser les courants d'analyse des mouvements sociaux au sein desquels il est à l'œuvre. Il ne peut imposer de ressemblance de famille à des manières différentes de voir.

On conclura encore, d'autre part, que le recours à ce concept accentue une analyse des mouvements sociaux surtout sensible à la dimension symbolique, culturelle, normative de leurs enjeux, de leurs tensions conflictuelles, de leurs mobilisations collectives. Une telle manière de présenter des courants d'analyse sous la plume d'une J. Cohen par exemple, ne peut être accusée de cécité envers les enjeux et dimensions plus politiques de ces conduites collectives. Mais lourdement pénétrée de la réflexivité de l'action collective et fortement sensible aux dimensions symboliques et culturelles de la formation des identités, cette lecture des mouvements sociaux ne présente pas leurs effets politiques pertinents sous leur angle le plus novateur et offensif.

Il est souvent de mise, chez les analystes des mouvements sociaux qui s'attardent aux enjeux de l'identité collective, de dénoncer un certain réductionnisme politique. Soit ce réductionnisme politique pour lequel ne compterait que l'action collective orientée vers l'État et la conquête du pouvoir d'État. Si à la rigueur cette image pouvait convenir - et encore, aux anciens grands mouvements sociaux qui ont produit le développement intensif et turbulent des sociétés industrielles avancées, sous le mode plus fréquemment capitaliste que socialiste -, elle ne collerait plus aux nouveaux mouvements sociaux. Du coup devons-nous reconnaître ce trait, indéniable par ailleurs, des nouveaux mouvements sociaux, soit leur fréquente promotion d'un politique autolimité (Cohen, 1982a, 1983 ; Arato et Cohen, 1984). Les distinctions et différenciations formulées au sujet des fonctions assumées par le concept d'identité offriront des occasions, que nous utiliserons autant que faire se peut, de lier mouvements sociaux et politique. Un politique en voie de mutation. Processus sociaux et conduites collectives inciteront alors à détacher quelque peu le politique du seul État, des seules actions politiques stratégiques et instrumentales pour le rattacher aussi, mais non pas exclusivement, à la légitimité du pouvoir souverain et du politique logeant dans des structures communautaires de base, dans des espaces socio-collectifs d'échanges, de débats et de conflits.



[1]   Elle cite alors pour parler de cette tradition les travaux de A. Touraine, de A. Pizzorno, et puis aussi ceux de A. Melucci.



Retour au texte de l'auteur: Gérald Fortin, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le mercredi 6 août 2008 13:15
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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