RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Présentation. Gestion du social et social en gestation (1993)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de MM. Louis Maheu et Jean-Marie Toulouse, “Présentation. Gestion du social et social en gestation”. Un article publié dans la revue Sociologie et sociétés, vol. XXV, no 1, printemps 1993, pp. 7-23. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal. [Autorisation formelle accordée par l’auteur de diffuser cet article le 16 octobre 2006 dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

En un sens, il n'y aurait pas de terme plus conforme à l'air du temps que celui de gestion. Notre époque aime l'idée, vénère l'image que tout processus se gère. Il se gère au sens où l'on peut, son identification et sa délimitation ne posant en principe aucun problème insurmontable, concevoir puis actualiser des actions, des interventions consistant à en infléchir le cheminement ou l'évolution dans une direction préalablement arrêtée. On peut même, tout au long du parcours qu'emprunte un processus, apporter çà et là les correctifs rendus souhaitables par l'obtention d'informations nouvelles sur son déroulement en regard des faits et des objectifs visés. Gérer des organisations, gérer des personnes, gérer des projets, gérer des problèmes, gérer sa vie, gérer sa carrière, gérer l'économie, gérer la santé, gérer l'éducation, gérer son temps, gérer les problèmes sociaux sont des expressions qui reflètent bien cette propension à étendre les filets de la gestion à de plus en plus de processus et de personnes. 

Pareille extension est d'autant plus irrésistible que l'idée de gestion fait corps avec une tendance essentielle des sociétés modernes : le recours à la rationalité comme forme spécifique d'action et de pensée. Rationalité qui permet de regrouper les ressources et les moyens d'atteindre des fins, des objectifs jugés pertinents et conformes à la situation. Rationalité qui se manifeste par les choix d'un décideur qui cherche à atteindre un objectif en suivant une méthode logique et formelle que sous-tend un processus de décision qui doit garantir la maîtrise attendue des événements. Il est sûr que les processus ainsi gérés ne sont aucunement étrangers à l'univers social. L'ensemble des situations, des conditions et des actions sociales, comme l'a déjà très bien noté Weber, constitue le champ potentiel d'intervention de cette forme de rationalité. Et cette dernière est alors perçue comme la source même de grands projets collectifs, comme le fondement de conceptions largement partagées du progrès social. 

Mais pour ne pas être en reste avec l'histoire des sociétés modernes, avec ni plus ni moins l'itinéraire de la modernité, nous savons aussi que nous devons en rabattre. La rationalité de moyens mis de façon experte au service de fins tout aussi rationnelles, parce que soigneusement choisies et arrêtées pour leur pertinence et leur valeur universelles, n'a pas produit tous les effets escomptés. La gestion rationnelle qui devait produire le progrès social a connu d'importants ratés. L'histoire humaine et sociale n'a pas emprunté la voie droite et providentielle que lui destinait une rationalité prodiguant une conception séculaire d'un mieux-être eschatologique inéluctable. Les divisions sociales, les risques et les menaces en tous genres ont bel et bien grevé nos cheminements collectifs et mis souvent à sac des choix et des grands projets pourtant fondés sur la rationalité elle-même (Beck, 1987, 1989 ; Giddens, 1990). Il est amusant de constater qu'à une époque où la gestion tend à entrer dans toutes les sphères de la vie, on voit pourtant émerger des thèmes qui au premier coup d'œil renvoient avec insistance à leur contraire : l'incertitude, le risque et la complexité. Plus s'étendent les moyens rationnels de la gestion, plus s'accroissent les interrogations quant aux limites et à l'imperméabilité de cette logique : comment rationaliser l'incertitude ? comment gérer le risque ? 

Aussi ce numéro de Sociologie et sociétés ne pouvait-il porter exclusivement sur la gestion du social, au sens restrictif du terme. Nous voulions qu'il porte un regard attentif et rigoureux sur ce qui déborde l'ordre géré des choses, sur les ambiguïtés et les paradoxes qui, ultimement, échappent à la logique rationnelle du social planifié. Nous tenions même à ce qu'il explore le plus systématiquement possible les processus et les acteurs qui se placent en marge du social géré, qui résistent et s'opposent au social planifié et institué. 

Mais ce qui n'entre pas dans l'ordre rationnel, planifié, institué des choses lui serait-il vraiment extérieur ? Qu'est-ce que l'on gère et planifie au juste ? Les paradoxes et les ambiguïtés, jamais vraiment reconnus, par lesquels chemine la gestion du social, les résistances qui s'opposent à l'ordre institué et planifié des choses peuvent-ils d'emblée être classés parmi les effets inéluctables mais somme toute secondaires, parmi les bruits de fond et les séquelles, à toutes fins pratiques normales, de tendances irréversibles menant au développement de grandes organisations, à la structuration des sociétés administrées, à la mise en place d'un ordre planifié ? Ou sont-ils au contraire les traces, laissées dans le social même, de processus sociaux ayant aussi leur propre logique et signification et aptes eux aussi à marquer nos sociétés ? 

Ce numéro de Sociologie et sociétés épouse le mouvement d'un balancier qui ne saurait entrer dans l'aire de la gestion du social qu'en revenant régulièrement, irrésistiblement, et même plus longuement faut-il dire, vers celle des multiples processus sociaux qui paraissent la déborder. Il entend alors faire écho à la riche complexité du social. Il s'inscrit pour ce faire dans une tradition de pensée et en tire des conséquences tangibles. Tradition de pensée qui veut que la constante gestation et constitution du social ne soit point réductible au social soumis à la gestion, structuré en système, cristallisé en ordre planifié des choses. Mais ce social soumis à la gestion, ce social des systèmes, ce social du dedans, par opposition à ce qui en déborde et porte souvent les marques de I'exclusion et du refoulement, ne doit aucunement être négligé pour autant.


Retour au texte de l'auteur: Gérald Fortin, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le jeudi 15 février 2007 8:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref