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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-Guy LORANGER, Le rapport entre la pseudo-monnaie et la monnaie: de la possibilité à la réalité de la crise.” Un article publié dans la revue Critiques de l'économie politique, nouvelle série, no 18, janvier-mars 1982, pp. 114-132. [Autorisation accordée par l'auteur le 23 février 2009 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Jean-Guy LORANGER
Économiste, Université de Montréal

Le rapport entre la pseudo-monnaie et la monnaie :
de la possibilité à la réalité de la crise
”.


Un article publié dans la revue Critiques de l'économie politique, nouvelle série, no 18, janvier-mars 1982, pp. 114-132.

Introduction
I.   Le problème de l'inflation
II.  Le cycle du crédit
III. De la possibilité à la réalité de la crise
IV.  Lien entre monnaie nationale et monnaie internationale
Conclusion

Introduction

Cet article est divisé en quatre sections. Dans la première section je présente une définition de l'inflation tout en distinguant bien sa mesure empirique. Je donne brièvement l'explication monétariste de l'inflation avant de résumer les principaux points de ma théorie qualitative sur la monnaie et l'inflation.

L'objet de la deuxième section est de présenter plus en détail le fondement de mon approche qualitative à partir de l'examen du cycle du crédit. Grâce à la distinction introduite entre la, pseudo-monnaie et la monnaie, il est alors possible d'analyser les fonctions spécifiques dévolues à chacune d'elles dans la période d'antévalidation et dans la période de réalisation. On découvre alors l'importance de la fonction réserve de valeur qui existe entre la pseudo-monnaie et la monnaie.

Dans la troisième section, j'analyse l'origine des crises à l'époque de la convertibilité et à l'époque contemporaine de la monnaie à cours forcé en montrant que la diminution des réserves de valeurs, voire même la création de réserves fictives de valeurs par un refus de dévaloriser la pseudo-monnaie est à l'origine des crises et, en particulier, de l'inflation.

Enfin, dans la dernière section, j'analyse les liens entre la monnaie nationale et la monnaie internationale. Je souligne d'une part l'étroite liaison qui existe entre les liquidités nationales et les liquidités internationales et, d'autre part, le lien entre le taux d'inflation et le taux de change. Finalement, contrairement à la plupart des économistes de toutes tendances, je soutiens la thèse d'un lien entre le régime du taux de change fluctuant et l'or, fondé sur l'hypothèse d'un étalon invisible ou privé qui a succédé au régime d'étalon de change-or officiel depuis le début des années soixante-dix.

I. LE PROBLÈME DE L'INFLATION

Bien que je ne sois pas d'accord avec les monétaristes sur les causes de l'inflation, je partage avec eux cependant la même définition de l'inflation. L'inflation est définie comme une hausse générale de tous les prix nominaux ou, ce qui revient au même, l'inflation est une dévaluation du pouvoir d'achat de la monnaie. Le point commun que je partage avec les monétaristes est donc de faire une distinction très nette entre un changement de prix nominal et un changement de prix relatif ou réel. [1] Le changement de prix réel correspond dans la théorie marxiste de la valeur à un changement de la valeur de certaines marchandises, tandis qu'un changement de prix nominal peut provenir d'un mouvement général des prix (hausse ou baisse) qui entraîne une inflation (ou une déflation) par une dévaluation (ou appréciation) du pouvoir d'achat de la monnaie.

La pureté de cette définition de l'inflation ne doit pas être confondue avec sa mesure empirique qui est généralement le changement observé dans l'indice des prix à la consommation (ou ∆ IPC) par période. Or le prix nominal de certains biens ou services entrant dans la composition de l'IPC (pondéré selon la formule Laspeyres ou selon la formule Paasche) peut refléter et, de fait, reflète les deux types de changement :

- un changement dans la valeur réelle des marchandises ;
- une dépréciation du pouvoir d'achat de la monnaie.

On sait, selon la théorie marxiste de la valeur, que le progrès technique provoque des gains de productivité qui ont pour effet de diminuer la valeur des marchandises produites. En supposant une relation inversement proportionnelle entre le taux moyen des gains de productivité (x) et le changement dans la valeur réelle des marchandises (y), c'est-à-dire y = ∞x, avec ∞ < 0, si le taux d'inflation empiriquement observé est z, le taux net de dépréciation du pouvoir d'achat de la monnaie sera donc

(z - y) = (z - ∞x) = (z + ax), avec a > 0

En conséquence, le taux net d'inflation est habituellement supérieur au taux observé quand le taux moyen de productivité est positif. Il est donc inévitable que toute discussion sérieuse sur le taux d'inflation empiriquement constaté ne puisse être dissociée du taux moyen de productivité. Une hypothèse simplificatrice, qui est très souvent implicitement faite, est de supposer que le taux de productivité est nul (c'est-à-dire x = 0) ou que le progrès technique n'a pas d'effet immédiat sur la valeur des marchandises (c'est-à-dire a = 0). Alors, le taux d'inflation empiriquement constaté peut être une bonne approximation du taux d'inflation pure. Quelle que soit la mesure empirique choisie, le taux d'inflation auquel nous nous référerons dans le reste de cet article sera le taux net d'inflation (ou l'inflation pure) [2].

Si certains marxistes et monétaristes sont d'accord sur cette définition de l'inflation, les désaccords sont si profonds sur les causes qu'il existe un fossé pratiquement infranchissable entre les deux approches. L'approche des monétaristes, vieille de plus de trois siècles, démolie et reproposée à chaque génération, repose essentiellement sur une mauvaise interprétation de la direction causale de l'équation quantitative de Fisher

MV = PT

où M est la quantité de monnaie en circulation, V la vitesse de circulation de la monnaie, P le vecteur des prix nominaux et T le volume physique des biens et services en circulation (y compris les transactions financières). Réduite à sa plus simple expression, la théorie quantitative défendue par les monétaristes est de supposer que l'inflation ou la hausse du niveau des prix représentés par le vecteur P est causée par une trop forte augmentation de M, toutes choses étant égales par ailleurs quant à V. L'expression « trop forte augmentation » appelle la spécification d'une norme idéale d'augmentation que devrait suivre la banque centrale. Cette norme idéale est spécifiée par Milton Friedman comme la demande de monnaie ou la demande d'encaisses réelles (ou demande de monnaie dégonflée par l'indice des prix) désirées par les agents économiques. Cependant, cette demande d'encaisses réelles a une croissance très stable dans le temps puisque Friedman la rattache à la consommation qui est fonction du revenu permanent des agents. Pour compléter sa théorie, Friedman admet deux hypothèses additionnelles :

- la demande d'encaisses réelles est également influencée par la monnaie qui agit comme réserve de valeur et qui, de ce point de vue, ne se distingue pas des autres actifs financiers puisqu'on peut diminuer son encaisse réelle par le remboursement d'une dette, pour un débiteur, ou l'augmenter pour un créditeur ;

- l'offre de monnaie, mesurée par un agrégat arbitraire tel que M1 ou M2, est supposée exogène [3].

C'est principalement cette dernière hypothèse qui fait que la monnaie est une variable non neutre par rapport aux autres variables économiques et, en particulier, par rapport au système de prix P. En effet, soit Dm la demande de monnaie (ou demande d'encaisses réelles désirées) et Om l'offre de monnaie. Puisque Om est exogène, si Om n'est pas en équilibre avec Dm, en particulier si Om augmente plus rapidement que Dm, l'ajustement vers l'équilibre se fera par une augmentation correspondante du niveau des prix. Pour Friedman, le contrôle bancaire optimal est utopique et la meilleure façon de gérer la masse monétaire est de l'augmenter au même rythme que le mouvement réel de l'économie. Par exemple, si la croissance du revenu réel est de 4% par année, Friedman suggère de contenir la croissance de la masse monétaire à l'intérieur d'une fourchette autour de 4%. Cela suppose évidemment l'hypothèse d'un sentier de croissance équilibré de 4%. C'est ainsi que doit être comprise la politique monétariste suivie depuis 1975 par la Banque du Canada qui a cherché à contrôler la croissance de la masse monétaire (mesurée par M1) à l'intérieur de fourchettes de variations de plus en plus réduites, avec les conséquences que l'on connaît sur les taux d'intérêt et sur le taux d'inflation au Canada depuis cette date. Les deux taux ont atteint des niveaux records cette année. Malgré l'échec évident de cette politique, on semble à court d'imagination à Ottawa. On préfère le laisser-faire puisque Reagan semble savoir où il va !

Ce n'est pas le but de cet article de faire la critique des thèses monétaristes. D'autres l'ont déjà fait avant moi. Je me limiterai à présenter ici une esquisse d'une nouvelle théorie qualitative de la monnaie en réexaminant les différentes fonctions de la monnaie dans le cadre de l'analyse marxiste.

Contrairement à l'approche monétariste (d'inspiration néo-classique-keynésienne), où la valeur de la monnaie repose sur une théorie subjective de la valeur, je définirai la monnaie comme une contrainte de validation sociale des richesses créées par le travail. Je distinguerai la monnaie de la pseudo-monnaie en acceptant la définition de l'agrégat MI pour la monnaie alors que la pseudo-monnaie est toute créance qui rapporte de l'argent, c'est-à-dire tout capital-argent-porteur-d'intérêts. Bref, la monnaie est une valeur qui ne rapporte rien alors que la pseudo-monnaie est toute forme de capital financier qui semble grossir par lui-même [4]. Même si, par essence, monnaie et pseudo-monnaie sont de même nature, on ne doit pas les confondre d'une façon indifférenciée comme des actifs financiers à la manière des monétaristes. On démontrera en particulier que si la pseudo-monnaie peut remplir certaines fonctions de la monnaie, notamment agir comme moyen de thésaurisation et surtout comme mesure des valeurs-en-procès, elle ne peut pas remplir toutes les mêmes fonctions que la monnaie, en particulier celle d'étalon de valeur et surtout celle de moyen de paiement. Une analyse minutieuse du cycle du crédit nous fera découvrir la distinction fondamentale à faire entre crédit (ou créances) et monnaie de crédit, entre le cycle d'antévalidation et le cycle de la réalisation de la valeur. Certains pourront peut-être penser que cette distinction est une autre forme de la vieille dichotomie monétaire/réel si chère aux monétaristes, mais au lieu d'affirmer une exogénéité de la monnaie par rapport au réel, nous affirmerons une autonomie relative entre la circulation de la pseudo-monnaie et la circulation de la monnaie, laquelle est toujours fonction de la demande de monnaie. De plus, cette demande de monnaie n'a rien de stable dans le temps : elle évolue selon la conjoncture. En résumé, nous verrons que si le système bancaire est responsable de l'inflation, ce n'est pas parce qu'il émet trop de monnaie en circulation, mais bien plutôt parce que la pseudo-monnaie représentant des valeurs-en-procès ne peut être convertie intégralement en vraie monnaie, c'est-à-dire en valeur réalisée. La non-destruction ou le maintien en circulation de la pseudo-monnaie aura un effet négatif sur les réserves de valeur ou sur la monnaie comme réserve de valeur, ce qui pourra être assimilé à la création de réserves fictives de valeur pouvant conduire à la dévaluation de la monnaie ou l'inflation [5]. L'incapacité des monétaristes à distinguer d'une part la circulation de la pseudo-monnaie de la circulation de la vraie monnaie, et d'autre part les fonctions spécifiques assumées par chacune d'entre elles les oblige à réduire leur analyse à une seule dimension : la quantité d'actifs monétaires ou financiers en circulation mesurés par un agrégat du type M1, M2 ou M3. De plus, leur postulat d'exogénéité de l'offre de monnaie les empêche de saisir le caractère endogène des valeurs-en-procès (mesurées par la pseudo-monnaie) par rapport au mouvement réel du capital, lequel, pour se valoriser, doit nécessairement passer par la forme argent. C'est la contrainte monétaire qui impose à toute valeur qui doit se réaliser de passer par la forme monnaie. L'expression autonomie relative de la pseudo-monnaie par rapport à la vraie monnaie signifie seulement qu'il n'y a pas de postulat d'équilibre entre le cycle d'antévalidation et le cycle de la réalisation de la valeur. Voyons cela maintenant d'un peu plus près.

II. LE CYCLE DU CRÉDIT

Quel est l'intérêt d'analyser le cycle du crédit ? C'est parce que la monnaie de crédit est devenue la forme dominante de la monnaie, aussi bien à l'échelle nationale qu'à l'échelle internationale. La circulation métallique (pièces d'argent ou d'or), de même que la circulation des billets (exemple, le billet vert américain), n'a que très peu d'importance par rapport à la monnaie de crédit (tant au plan national qu'au plan international) dont la forme d'avenir sera commandée par la télématique, c'est-à-dire la monnaie de crédit électronique. Cependant, ce n'est pas parce que la forme de monnaie évolue avec le MPC qu'on doit ignorer ses différentes fonctions ou négliger d'analyser les fonctions spécifiques dévolues à chaque forme de monnaie ou de pseudo-monnaie. C'est ce que nous allons maintenant nous employer à démontrer.

Le cycle général du crédit peut être décrit par le modèle suivant :

A* - A - M - A' - A*

C'est la formule générale du capital de Marx encadrée par la pseudo-monnaie A* qui présente une créance détenue à l'actif de la banque B. Cette créance a habituellement la forme d'un prêt que la banque B a avancé à un agent C pour une période de temps limitée et à un certain taux d'intérêt. La valeur nominale stipulée sur la créance est un certain montant du capital argent plus les intérêts. Donc quantitativement parlant,

A* > A

où A est le montant d'argent (ou de monnaie) déposé au compte de l'agent C et apparaissant au passif de la banque B. C'est donc ce même montant A* (capital et intérêt) que l'emprunteur devra rembourser à la fin du cycle ou de la période de crédit. M est la marchandise à fabriquer ou à échanger et A' est la valeur de la marchandise vendue. Le cycle se décompose en deux sous-périodes

- le cycle d'antévalidation représenté par

A* - A - M

- le cycle de réalisation représenté par

M - A' - A*

Dans le cycle d'antévalidation, la pseudo-monnaie A* remplit la fonction de mesure de valeur-en-procès, car la banque et l'emprunteur font une anticipation sur la valeur à réaliser par cette opération de crédit. En effet, il est possible que l'emprunteur achète ou fabrique une marchandise M qui pourrait soit ne pas être vendue, soit l'être à perte. L'anticipation la plus normale est que le banquier espère que l'emprunteur pourra vendre sa marchandise avec profit, sinon le banquier comme l'emprunteur risquent de faire faillite, par exemple si le crédit est mal utilisé ou n'a aucune contrepartie dans le monde réel de la production et du commerce. D'autre part, l'emprunteur C utilise la monnaie A comme moyen d'achat ou moyen de circulation dans le cycle d'antévalidation en achetant la marchandise M qui représente des moyens de production et du travail vivant s'il s'agit d'un crédit industriel, ou simplement une marchandise à vendre s'il s'agit d'un crédit commercial. Ce qu'il est important de noter, c'est que la monnaie A qui entre en circulation à ce stade-là agit comme mesure des valeurs (à acheter) et comme instrument d'échange, mais nullement comme moyen de paiement (c'est-à-dire comme moyen d'effacer une dette). De plus, son temps de circulation est totalement indépendant de la longueur de la période de crédit, c'est-à-dire du cycle de la pseudo-monnaie. Il se peut en effet que l'agent D qui vend à C une marchandise M contre l'argent A le thésaurise plutôt que de le redéposer dans le circuit bancaire ; A remplit alors le rôle de réserve de valeur qui ne rapporte rien et qui est retirée de la circulation. Il se peut, d'autre part, que D se serve de A pour acquitter une dette envers un autre agent E ; A agirait alors tour à tour comme moyen d'échange et comme moyen de paiement. Il n'y a cependant aucune raison pour que le montant de la dette remboursée par D soit identique au montant de la dette de C [6]. Donc la quantité de monnaie A mise en circulation durant le cycle d'antévalidation a une existence et un temps de circulation relativement indépendants de l'existence et de la longueur du cycle de la pseudo-monnaie.

Dans le cycle de la réalisation, la monnaie A' que reçoit l'agent C en vendant sa marchandise va maintenant remplir la fonction de moyen de paiement, en plus de remplir la fonction de mesure des valeurs réalisées, car C doit rembourser sa dette A*. Si la vente se fait à un prix procurant le taux de profit moyen après paiement des intérêts, on a :

A' > A*

et A' - A* > 0 mesure le profit monétaire qui constitue une augmentation des réserves d'argent disponible soit pour la consommation, soit pour la reproduction élargie. Si l'agent C considère que la rentabilité n'est pas assez intéressante pour recommencer ses affaires sur une base élargie, il peut décider

- soit de conserver son capital argent disponible en dehors de la circulation monétaire, c'est-à-dire que la monnaie A' - A* remplit le rôle de réserve de valeur qui ne rapporte rien (ex. : conservation de billets sous le matelas ou achat d'or si on n'a pas confiance dans les billets) ;

- soit de transformer son capital argent (ou sa monnaie comme réserve de valeur) en capital financier disponible pour d'autres agents en achetant des titres financiers qui portent intérêts (ex. : dépôts à terme dans une banque du pays ou dans une banque étrangère, contribuant ainsi à l'expansion du marché des eurodevises). Dans ce cas, la monnaie A' - A* devient moyen d'achat d'un titre financier et la réserve de valeur se métamorphose en capital financier disponible pour d'autres agents.

Si, d'autre part, la vente de la marchandise M se fait à un prix qui provoque une perte plutôt qu'un profit on a

A' < A*

et A' - A* < 0 mesure le déficit monétaire qui signifie une diminution des réserves d'argent disponible. Pour que la monnaie puisse continuer à assumer le rôle de moyen de paiement, il ne suffit pas de la concevoir comme un flux créé ex nihilo et se réduisant à néant après qu'elle a assumé sa fonction de moyen de paiement [7] : la monnaie laisse des traces comme réserve de valeur et s'il survient un déficit dans le cours de la circulation monétaire, il faut que ce déficit soit comblé par prélèvements sur les réserves existantes. Quelles sont ces réserves de valeur existantes ? Ce sont les mêmes qui ont déjà été décrites dans le cas de la réalisation d'un profit : ce sont des réserves appartenant à l'agent C, qui peuvent exister soit à l'extérieur du système bancaire national (billets retirés de la circulation, lingots d'or ou devises étrangères), soit à l'intérieur du système financier national sous forme de dépôts à terme qui sont convertibles en monnaie courante ou dépôts à vue.

Mais les réserves peuvent-elles être, comme la monnaie de crédit, une création ex nihilo ? La réponse devrait être non, mais comme on le verra dans la prochaine section, le système bancaire peut permettre la création des réserves fictives de valeur qui sont à l'origine des crises modernes de réalisation de la valeur.

III. DE LA POSSIBILITÉ
À LA RÉALITÉ DE LA CRISE

Puisque la monnaie doit être l'étalon ultime de toute valeur réalisée (c'est la définition et le rôle de la contrainte monétaire), il est donc possible d'observer l'apparition de crises monétaires et réelles quand la circulation de la monnaie A combinée à son rôle de réserve de valeur n'est plus en adéquation avec la quantité de pseudo-monnaie en circulation. Pour empêcher une dévalorisation de la monnaie, il faudrait dévaloriser une certaine quantité de pseudo-monnaie, en mettant en faillite les affaires non rentables : c'est la logique implacable du système capitaliste. Mais c'est souvent le contraire qui se produit, en retardant l'élimination des « canards boiteux ». Qui doit être sacrifié : la monnaie ou les canards boiteux [8] ?

À l'époque de la monnaie convertible en or, le rôle des réserves détenues par les banques ou les individus était stratégique par rapport à la monnaie de crédit et par rapport à l'appréciation ou la dépréciation de son pouvoir d'achat. Qu'arrivait-il en effet si les valeurs réalisées étaient plus petites que les valeurs antévalidées (ou valeurs-en-procès) par l'opération de crédit, c'est-à-dire A < A* ? Dans ce cas, l'économie subissait des pertes réelles et ces déficits étaient financés par prélèvements sur les réserves financières détenues par les banques ou les individus qui possédaient le trésor national. En période de récession ou de contraction (comme c'est le cas quand le résultat net des opérations de tous les agents de l'économie est A < A*), il y avait une déflation de tous les prix monétaires, y compris ceux des actifs financiers ou de la pseudo-monnaie, si les réserves étaient insuffisantes, à moins que la crise fût si sévère qu'elle obligeât la banque centrale à suspendre temporairement la convertibilité de la monnaie. La suspension temporaire de la convertibilité équivalait à une reconnaissance implicite de l'insuffisance de réserves de valeur et ouvrait la possibilité d'une création de réserves fictives si la dévaluation des titres financiers restait en deçà du niveau réel de la valeur dans l'économie.

Si, au contraire, les réalisations étaient supérieures aux anticipations, c'est-à-dire A > A*, l'économie enregistrait un profit réel qui, s'il n'y avait pas d'opportunité immédiate d'investissement au pays ou à l'étranger, forçait la monnaie (et éventuellement l'or) à sortir de la circulation en refluant vers les banques ou les comptes de réserves des individus sur lesquels aucun intérêt n'était versé [9]. L'inflation pouvait cependant naître à partir d'une spéculation à la hausse sur les titres financiers, qui caractérisait habituellement la fin de chaque période d'expansion. La spéculation sur les titres, c'est-à-dire sur la pseudo-monnaie A*, correspondait à un accroissement fictif de capital qui transformait le sens de l'inégalité entre la monnaie et la pseudo-monnaie. On passait alors d'une situation initiale de A > A* à une nouvelle situation A* > A. Et la crise devenait inévitable.

Quelle est maintenant l'explication de la crise à l'époque de la monnaie à cours forcé ?

Nous avons déjà dit que la monnaie de crédit (ou la monnaie à cours forcé) n'est pas une simple création ex nihilo qui apparaît au début du cycle du crédit et disparaît à la fin sans laisser de traces. Au risque de se répéter, il faut avoir constamment à l'esprit que la monnaie remplit aussi une fonction de thésaurisation ou de réserve de valeur qui doit être analysée dans un modèle d'ajustement de flux et de stock de valeur en réserve. C'est la fameuse interdépendance dont Marx faisait état entre la monnaie qui agit comme instrument de circulation (moyen d'achat et moyen de paiement) et la monnaie qui est aussi un instrument de thésaurisation.

Reprenons notre modèle précédent où un agent C a contracté une dette A* auprès d'une banque B. A l'échéance de la dette, C doit rembourser la banque. Comment C remplira-t-il ses obligations ? Si C a réussi à accumuler suffisamment de réserves liquides à l'intérieur ou à l'extérieur du système bancaire, il efface simplement sa dette en puisant dans ses réserves. Alors la monnaie reflue vers le système bancaire pour être détruite.

Un cas plus intéressant est de supposer que C ne possède aucune réserve à l'intérieur ou à l'extérieur du système bancaire et qu'il est obligé de demander le renouvellement de son prêt. C'est le cas classique d'un refinancement de dette. Si le crédit de C est bon auprès de la banque, il n'y a pas de problème, le refinancement n'est qu'une simple formalité. Mais si le crédit de C est mauvais parce que la banque juge que les affaires de C sont non rentables ou mal administrées, la banque devrait mettre C en faillite. Si la banque accepte un refinancement de C, bien qu'il soit évident que les activités de C ne seront jamais rentables, elle permet alors le paiement d'une dette par une dette. La banque crée alors une réserve fictive de valeur ou un moyen de paiement fictif. C'est précisément la création d'une telle valeur fictive qui est responsable de la dévaluation potentielle de la monnaie. C'est comme si C pouvait éternellement payer une dette par une dette, ce qui détruit toute logique à la monnaie comme moyen de paiement. Plutôt que de supporter en partie ou en totalité la perte par la mise en faillite de C, la banque étend la perte sur l'ensemble de la société en permettant une dévaluation potentielle de la monnaie. J'utilise l'épithète « potentielle » pour bien souligner que des cas comme C ne sont pas uniques dans la société. Mais ces montants de réserves fictives doivent être compensés durant une période par des montants de réserves réelles de valeurs qui sont créés simultanément par d'autres agents qui, non seulement ont complété le remboursement de leur dette, mais ont aussi réussi à faire un profit net (après intérêts), profit qui constitue la substance des réserves réelles. Par conséquent, c'est le solde net négatif ou positif des réserves de valeurs qui sera la variable déterminante dans le changement de la valeur de la monnaie (dévaluation ou réévaluation).

On peut se demander comment le solde net des réserves de valeur au niveau national est lié avec le solde du compte réserves en or et en devises pour les paiements internationaux. On peut aussi s'interroger sur le lien entre la valeur de la monnaie au plan national et le taux de change fluctuant par rapport à la monnaie internationale. Cette dernière interrogation soulève la question du statut de la monnaie internationale par rapport à l'or et au développement du marché en eurodevises. Il serait trop long de répondre d'une façon détaillée à toutes ces questions. J'essaierai cependant d'esquisser dans la prochaine section quelques éléments de réponse, en particulier en ce qui concerne le lien entre la monnaie internationale et l'or.

IV. LIEN ENTRE MONNAIE NATIONALE
ET MONNAIE INTERNATIONALE

Existe-t-il deux types de réserves de valeur : l'une nationale en terme de liquidités nationales détenues dans les banques et les institutions financières d'un pays, et l'autre internationale en terme de réserves d'or et de devises étrangères ? La réponse est oui nominalement et non en réalité puisque avec le développement accéléré du marché de l'eurodevise et de l'internationalisation du système bancaire, s'il existe un excédent de liquidités nationales, celui-ci sera recyclé sur le marché international. Si, au contraire, il existe une pénurie de liquidités nationales, l'emprunt sur le marché international est un moyen couramment utilisé pour augmenter ses liquidités nationales et internationales. Bref, le rapport entre réserves liquides nationales et réserves liquides internationales doit être étudié à partir des taux d'intérêts de chaque pays et des mouvements de capitaux dans la balance de paiement. On peut également en mesurer certains aspects à partir du bilan des banques qui distinguent les opérations nationales des opérations internationales.

Quant au lien entre la valeur de la monnaie au plan national et sa valeur relative par rapport à la monnaie internationale, cette question consiste à analyser la relation entre le taux d'inflation à l'intérieur du pays et le taux de change par rapport à l'équivalent général international. Puisque le taux d'inflation représente un certain pourcentage de dépréciation de la valeur de la monnaie, ou bien le taux de change se déprécie dans le même sens, ou bien le taux de change est invariant ou varie dans le sens opposé. Si le taux de change varie dans le même sens et dans la même proportion, on peut supposer constants la valeur de l'équivalent général international et le niveau des réserves internationales possédées par le pays. Si le taux de change est invariant ou dans le sens opposé à l'inflation à l'intérieur du pays, on peut supposer :

- ou bien que la dévaluation de la monnaie internationale se fait au même rythme ou à un rythme plus élevé que la dévaluation de la monnaie nationale, ceteris paribus quant au niveau des réserves internationales du pays ;

- ou bien que le niveau des réserves internationales diminue pour soutenir le cours de la monnaie nationale, ceteris paribus quant à la valeur de la monnaie internationale ;

- ou bien que le niveau des réserves internationales diminue pour soutenir le cours de la monnaie nationale et que la valeur de la monnaie internationale diminue aussi mais à un rythme plus lent.

Jusqu'ici nous avons parlé de taux de change fluctuant. Le régime généralisé des taux de change fluctuants est né, comme on le sait, depuis la fin de la convertibilité en or de l'équivalent général international, le dollar américain. Nous nous sommes référés ci-dessus à la valeur de la monnaie internationale comme si son unité de mesure était clairement définie par rapport à un étalon. Officiellement le régime d'étalon de change-or a été aboli depuis 1971. Peut-on imaginer alors qu'en prenant cette décision historique, Richard Nixon a du même coup supprimé l'une des fonctions de base de toute monnaie, c'est-à-dire la fonction étalon de valeur ou étalon des prix ? Autrement dit, si la monnaie internationale n'est plus définie par rapport à un étalon, toutes les autres monnaies sont également dans la même situation puisqu'elles reposent sur une base inconnue.

Bien que Marx ait déjà dénoncé au XIXe siècle la confusion qui règne chez les économistes anglo-saxons entre la fonction mesure des valeurs et la fonction étalon des prix, il ne semble pas que cette confusion ait été dissipée, même chez certains économistes marxistes, surtout depuis les dix dernières années. L'erreur la plus répandue est de retenir une définition apparentée à l'équation quantitative de Fisher qui se substitue à la définition de l'étalon. Les protagonistes de cette thèse sont facilement reconnaissables à leur argument qui consiste à définir l'unité monétaire comme une fraction du PNB ou une fraction du travail abstrait. Ainsi ont-ils l'impression de relier la monnaie au réel et de ne plus avoir besoin de préciser quelle est la grandeur de cette fraction ni par rapport à quel réel exactement. J'ai déjà réfuté dans un autre article [10] cette position intenable puisqu'elle équivaut à faire un raisonnement circulaire sur la monnaie : la monnaie serait définie par la monnaie !

Au risque d'être dénoncé comme aveuglé par le fétichisme de l'or, je continue à défendre la thèse d'un régime d'étalon-or invisible ou privé puisqu'il n'est plus fondé sur une définition officielle du cours de l'or par rapport à la monnaie internationale, mais est fondé sur le cours libre de l'or défini par les forces du marché. Ce régime d'étalon invisible ou privé peut être décrit par la relation quantitative suivante qui définit la fonction étalon de valeur de la monnaie :

M = xq

où M est une certaine quantité de monnaie, q est une certaine quantité d'une marchandise particulière, en l'occurrence l'or, et x est le rapport définissant la quantité de monnaie par unité de q (en l'occurrence l'once). Ce rapport est fixé à chaque instant par le marché libre de l'or. Une telle définition de l'étalon est une relation purement quantitative, et ici il est vrai que si la quantité de monnaie double sans changement de q, il faudra réduire de moitié le rapport x. Cette relation quantitative ne devrait pas être confondue avec la théorie quantitative de la monnaie qui dit, comme tout le monde le sait, que si on double la quantité de monnaie, les prix doublent et, en conséquence, le pouvoir d'achat de la monnaie est réduit de moitié.

Mais quelle est donc la justification théorique de l'étalon si on veut éviter l'accusation de sombrer dans le fétichisme de l'or ?

La nécessité théorique de l'étalon découle de la nécessité d'accrocher la monnaie au réel et non de la concevoir comme une pure abstraction, parce que, fidèle à l'approche matérialiste de Marx, je refuse de faire de l'économie politique dans l'imaginaire, comme certains économistes le suggèrent. Pour moi, la coupure épistémologique entre le réel et l'abstrait (ou l'imaginaire) n'est pas aussi radicale que certains veulent bien l'affirmer. Je préfère ce type d'économie politique à celui d'une certaine économie pure qui se déclare incapable d'expliquer quoi que ce soit dans le monde réel tel que l'inflation, le chômage, le crédit, les crises, etc. [11].

Voyons maintenant ce que dit Marx au sujet de la forme équivalent quand c'est une marchandise qui assume cette fonction :

« ... l'équivalent... figure toujours dans l'équation comme simple quantité de chose utile... »

« L'observation superficielle de ce fait, que, dans l'équation de la valeur, l'équivalent ne figure jamais que comme simple quantum d'un objet d'utilité, a induit en erreur S. Bailey ainsi que beaucoup d'économistes avant et après lui. lis n'ont vu dans l'expression de la valeur qu'un rapport de quantité. Or, sous la forme équivalent, une marchandise figure comme simple quantité de matière quelconque précisément parce que la quantité de sa valeur n'est pas exprimée [12]. »

En somme, dans l'équation définissant l'étalon, l'once d'or (q) n'agit que comme simple quantum et la forme relative x ne fait qu'exprimer la valeur d'un dollar par rapport à l'or. Que signifie alors le cours de l'or puisque, considéré comme forme équivalent, la valeur de l'or ne peut être exprimée ? Il signifie simplement la valeur du dollar et non celle de l'or. C'est ce qui explique que le coût de production de l'or est, au Canada, d'environ 150 dollars US, alors que sa cote (ou la définition de l'étalon) se situe autour de 400 dollars US.

Bien sûr, on peut retourner l'argument et choisir le dollar comme forme équivalent, et dire que le dollar n'est qu'une simple quantité dont la valeur n'est pas exprimée. Le cours de l'or exprime bien alors la valeur de l'or. Mais il y a deux objections à ce raisonnement :

- le dollar n'est pas une marchandise
- l'or a deux valeurs bien que n'ayant qu'un seul prix de marché.

Cela indique bien la double valeur d'usage de l'or, dont l'une est comme marchandise ordinaire qui n'aurait aucune raison de dépasser la valeur de son prix de production si l'or ne jouait plus aucun rôle comme monnaie universelle ou comme forme équivalent par rapport au dollar. En somme, si l'or était complètement démonétisé, son prix de marché devrait tendre vers sa valeur exprimée par son prix de production.

L'abandon de l'or comme fondement matérialiste de la monnaie par A. Lipietz [13] m'apparaît comme l'abandon de la théorie de la valeur travail incorporé de Ricardo pour expliquer le prix d'une once d'or. En fait, parce que le prix de marché de l'or peut être aussi éloigné de son coût de production que peut l'être le prix d'un baril de pétrole, Lipietz relègue l'or au rang de marchandise ordinaire. D'où son rejet de l'or comme simple fétichisme qui a eu une grande importance historique mais qui n'est plus aujourd'hui qu'une simple marchandise.

Cependant, c'est dans les situations de menaces sérieuses d'effondrement partiel ou total du système monétaire international que l'on voit mieux apparaître la marchandise or comme monnaie universelle. On l'a bien vu au début de l'année 1980, quand la cote de l'or a grimpé jusqu'à 850 $ US et qu'un bon nombre de spéculateurs perdaient de plus en plus confiance dans la « valeur intrinsèque » du dollar. A l'inverse, on le voit encore très bien un an après avec la politique conservatrice de Reagan qui, pour défendre le dollar, a décidé de laisser grimper les taux d'intérêt à un niveau encore jamais atteint et de déprimer ainsi les taux de change de la plupart des monnaies des autres pays.

En résumé, le prix d'une once d'or n'exprime pas son coût de production mais correspond bien à la définition de l'unité monétaire internationale, c'est-à-dire qu'un dollar US est une certaine fraction d'une once d'or. Que cette définition se rapproche ou s'éloigne de son coût de production est une tout autre affaire. La seule chose qui importe du point de vue de la fonction étalon de la monnaie est qu'il y ait à la base une certaine quantité de marchandise connue et acceptée de tous comme moyen de paiement international. Que cette marchandise soit de préférence gardée en réserve plutôt que jetée dans la circulation ne change rien quant à la logique de sa fonction. Que certaines sociétés à certaines époques de l'histoire aient préféré garder en réserve des pierres trouées de taille plus ou moins importante ne change rien non plus à la nécessité logique de raccrocher le monétaire au réel incarné par ces pierres. Le coût d'extraction et de fabrication de telles pierres n'avait probablement rien en commun avec la définition de l'unité monétaire fondée sur ces pierres. Il ne faut donc pas confondre la théorie des prix de production de Ricardo avec la théorie de la forme valeur chez Marx, même si ce dernier n'est pas à l'abri de toute ambiguïté au sujet de la valeur de l'or utilisé comme monnaie.

CONCLUSION

Quel est l'essentiel à retenir des liens entre la pseudo-monnaie, la monnaie et l'or ? J'ai tenté, dans la première partie de cet article, de développer une nouvelle théorie qualitative de la monnaie dans le but d'expliquer la genèse des crises monétaires modernes qui sont caractérisées par l'inflation, plutôt que la déflation comme c'était le cas jadis. Le développement de cette théorie qualitative de la monnaie repose sur l'identification des diverses formes de monnaie spécifiques au stade actuel de développement du MPC. Il ne suffit pas de se limiter à dire, comme le fait A. Lipietz, que la forme dominante est la monnaie de crédit ou, comme l'affirment Benetti et Cartelier, que la monnaie de crédit est définie comme une unité de compte caractérisée par un procès de monnayage. Il faut analyser comment cette forme dominante est en rapport avec les autres formes de monnaie : pseudo-monnaie ou capital financier, réserves d'or ou de devises. Il faut, de plus, analyser comment chaque forme de monnaie remplit une ou plusieurs fonctions monétaires : unité de compte, mesure des valeurs-en-procès, mesure des valeurs réalisées, moyen de circulation ou moyen d'achat, moyen de paiement, réserves de valeur et étalon de valeur. La caractérisation de la monnaie dans ses diverses formes et ses fonctions tant à l'intérieur d'un espace national que dans l'espace international permet alors de découvrir toute la complexité de la forme valeur ; celle-ci est loin d'être aussi homogène que le supposent habituellement la plupart des économistes contemporains qui ont écrit sur le sujet.

En distinguant, comme je l'ai fait, la pseudo-monnaie de la monnaie, j'ai tenté de mettre en évidence le temps de circulation et la mesure de la valeur spécifiques à chacune de ces formes : l'une mesure des valeurs-en-procès tandis que l'autre mesure des valeurs réalisées. Le mouvement dialectique entre ces deux formes ne peut être assuré que par le jeu des réserves réelles ou fictives, lequel n'est intelligible que par la justification de la fonction réserve de valeur. En effet, c'est la fonction réserve de valeur qui donne une autonomie relative à l'argent, et donc rend possible la spéculation. Cela permet de comprendre comment le système bancaire-financier est à l'origine de la création de réserves fictives de valeur qui peuvent entraîner une dépréciation du pouvoir d'achat de la monnaie ou un relâchement de la contrainte monétaire.

Enfin, comme l'espace monétaire de chaque pays est ouvert à l'espace international par un régime de taux de change et de réserves d'or et de devises, j'ai avancé l'hypothèse que le régime actuel des taux de change fluctuants n'a pu se développer qu'à partir d'un changement dans le mode de régulation de la fonction étalon de valeur de la monnaie internationale : on serait passé d'une régulation officielle de l'unité monétaire internationale fondée sur l'étalon de change-or à une régulation privée définie par le marché libre de l'or. Ce changement de régulation n'abolit pas la fonction étalon de valeur de l'or mais le rôle de l'or dans sa fonction de monnaie universelle : l'or n'est plus une monnaie qui circule comme moyen de paiement international ; l'or est une marchandise dont le prix de marché n'exprime pas sa valeur mais simplement sa définition par rapport à une unité monétaire internationale. Aujourd'hui plus encore que jadis, cette définition (ou la cote de l'or) n'a rien à voir avec son prix de production. L'histoire de la dévaluation des monnaies est une très vieille histoire !



[1] J'ai déjà exposé en termes d'analyse dimensionnelle cette distinction entre système de prix nominaux et système de prix réels. Voir J.G. LORANGER, Money, Inflation and the Crisis, Cahier 8118, dépt. de Sciences économiques, université de Montréal, Montréal, mai 1981.

[2] La clarification de ma définition monétariste de l'inflation et de sa mesure empirique part d'une objection qui m'avait été formulée lors d'un séminaire au CEPREMAP à l'été 1981. Je remercie notamment Robert Boyer pour les critiques stimulantes qui m'ont été faites à partir de la première version de ce texte.

[3] Il y a ici une difficulté, car si la demande d'encaisses réelles désirées comprend la demande de titres financiers qui font également partie de l'offre mesurée par M2 ou M3 (ex. : les dépôts à terme), on ne sait plus pourquoi cette demande ne peut pas conditionner l'offre de monnaie, bien qu'il soit admis que la demande à court terme soit variable.

[4] Cette distinction semble évidente mais, en fait, elle repose sur le principe de la monnaie homogène dans les fonctions d'unité de compte (ou de numéraire) et de moyen de circulation. Dès qu'on envisage la monnaie dans sa fonction réserve de valeur, le principe d'homogénéité de la monnaie est menacé car c'est toute la question de l'argent qui se transforme en capital social qui doit être analysée.

[5] Cette thèse ne doit pas être confondue avec la thèse de A. Lipietz sur la pseudo-validation, qui consiste à soutenir que le système bancaire contrôlé par la banque centrale postvalide d'une manière « provisoirement définitive » tout ce qui a déjà été antévalidé, ce qui conduit invariablement à l'émission d'une trop grande quantité de monnaie, ce qui entraîne une dévalorisation de la monnaie ou une hausse générale des prix. Voir, en particulier, A. LIPIETZ, Crise et inflation, pourquoi ? Maspero, Paris, 1979 ; « La vraie monnaie doit-elle être une vraie marchandise ? », Interventions critiques en économie politique, no 5, 1980 ; J. G. LORANGER, « La monnaie et son rapport avec l'or », Interventions critiques en économie politique, no 8, décembre 1981.

[6] L'hypothèse de la pseudo-validation provisoirement définitive de Lipietz ne permet pas cette distinction, car Lipietz assimile quantitativement crédit et monnaie de crédit.

[7] C'est la thèse bien connue en particulier de B. SCHMITT, L'Or, le dollar et la monnaie supranationale, Calmann-Lévy, Paris, 1977, et de C. BENETTI, J. CARTELIER, Marchands, salariat et capitalistes, Maspero, Paris, 1980. C'est ainsi par exemple que Benetti et Cartelier sont obligés de conclure à la fin de leur livre à l'impossibilité d'intégrer les banques et les intermédiaires financiers dans leur construction théorique de la monnaie parce qu'ils refusent de reconnaître à la monnaie la fonction de réserve de valeur.

[8] Il est bien évident que cette logique capitaliste entre en contradiction avec les objectifs sociaux de plein-emploi, de permanence de l'emploi, etc., bref avec le maintien de la forme de certains rapports sociaux.

[9] La Suisse, étant un pays refuge de valeur, illustre encore assez bien une telle situation puisqu'un intérêt négatif est, en principe, demandé pour accueillir les capitaux étrangers.

[10] J. G. LORANGER, Money Inflation and the Crisis, op. cit., p. 9.

[11] Voir en particulier le débat entre J. FRADIN et B. GUIBERT dans les numéros 13 et 15/16 de Critiques de l'économie politique. C'est la question épistémologique de la définition de l'objet de l'économie politique qui est en cause dans ce débat : le social peut-il être appréhendé ou simplement postulé ?

[12] K. MARX, Le Capital, vol. I, ch. I, Éditions sociales, Paris, p. 70.

[13] A. LIPIETZ, « La vraie monnaie doit-elle être une vraie marchandise ? », op, cit., p. 197.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 7 mars 2009 7:56
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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