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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-François Lisée, “Quand les brutes parlent de dette, c'est pas net!Le blogue de Jean-François Lisée, L'Actualité.com, 2 mars 2010.

Jean-François Lisée

Quand les brutes parlent de dette,
c’est pas net!


Le blogue de Jean-François Lisée,
L’Actualité.com, le 2 mars 2010.


RAID Classiques:Users:jmt:Desktop:lisee_JF:Dette_publique.jpgL’économiste Mathieu Laberge écrit régulièrement des études pour le très conservateur Institut économique de Montréal. Je vais d’abord citer ce qu’il disait dans une récente entrevue :

« Si vous voulez faire peur à vos enfants, prenez la dette brute par habitant, elle ne tient pas compte de la capacité de payer, ni des actifs du gouvernement. »

Faire peur aux enfants... que nous sommes ?

Or voilà précisément ce que vient de faire, dans un document honteux, le ministère québécois des Finances. Utilisant des chiffres de l’OCDE sur la dette brute des pays, et comparant ce chiffre bonhomme-sept-heures à la richesse globale de chaque pays (le PIB), le document offre cette conclusion :

« Avec un ratio de 94,0 %, le Québec se classe au 5e rang par rapport aux pays de l’OCDE, après le Japon, l’Italie, la Grèce et l’Islande. La dette du Québec est plus élevée que celle du Canada, des États-Unis et de la moyenne des pays de l’OCDE (78,4 %). »

Voilà la seule comparaison internationale utilisée dans le document. La dette brute. Elle permet de dire que le Québec est un cancre, une des nations les plus endettées au monde. Dans le même groupe que la Grèce, dont l’endettement risque de plonger l’Europe tout entière dans la crise. Quand on nous dit qu’on est nul, on n’y va pas avec le dos de la cuillère.

Mais pourquoi ce chiffre, de la dette brute, est-il si trompeur ? Stéphane Gobeil qui, comme ex-conseiller de Gilles Duceppe, a suivi ce dossier pendant dix ans, répond à la question dans un texte légitimement furieux, publié sur Cyberpresse :

« Indiquer la dette brute d’un pays sans offrir le portrait global, ça n’a aucun sens. La Norvège, par exemple, avait une dette brute à 56 % de son PIB en 2008. Mais elle avait aussi accumulé une cagnotte de plusieurs centaines de milliards, ce qui fait qu’en réalité, la dette nette de la Norvège est à moins 125% de son PIB.

Pour prendre un autre exemple, imaginons que Jean a contracté une dette de 50 000 $ et qu’il en gagne autant par année. On dira qu’il a une dette brute à 100% de son revenu, ce qui semble inquiétant. Sauf que dans son compte en banque, Jean a 40 000 $. Sa dette nette, de 10 000 $, est donc à 20% de son revenu.

Pourquoi le ministère des Finances agit ainsi ? C’est bien simple, en prenant en compte la dette nette, impossible de faire peur au monde, car le portrait change complètement. En 2008, la dette nette était, selon mes calculs, à 43% du PIB, le Québec se situant alors au 11e rang, tout juste au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE. »

Dette: Le Québec proche de la moyenne des pays industrialisés ! Cela fait effectivement moins peur que la manchette obtenue plus tôt cette semaine par le ministère des Finances. L’OCDE, qui n’a pas pour mandat d’effrayer le public, publie de toute évidence les deux tableaux : ce que les pays doivent (la dette brute) et ce que les pays devraient s’ils vendaient leurs actifs (la dette nette). Ce blogue ayant un objectif de service public, je me fais un plaisir d’offrir aux statisticiens des Finances le lien internet qui mène aux deux tableaux (32 et 33).

Je les renverrai aussi à un document pas si vieux, de 2005, du groupe d’économiste  du CIRANO. On y lisait :

« La dette de l’ensemble des gouvernements au Québec est comparable aux données publiées par l’OCDE, le Québec se situe près de la moyenne de l’OCDE et au sein d’un groupe de pays incluant l’Espagne, la France, les Pays-Bas, les États-Unis, l’Autriche et l’Allemagne. [...] La bonne position relative du Canada (et du Québec) dans ce classement international est en fort contraste avec la situation qui prévalait au début des années 1990. »

Un des auteurs du document est Claude Montmarquette, soit un des quatre économistes conseils du ministre des Finances. Il aurait pu, lui, expliquer aux auteurs du document ce qu’est la dette nette, puisque c’est celle qu’il a utilisée pour comparer le Québec aux pays de l’OCDE. On pourrait dire que ces chiffres de 2005 ne reflètent pas la situation de 2010. En effet, l’endettement des autres pays de l’OCDE, et de nos voisins ontarien et américain, est beaucoup plus forte que la nôtre en 2009 et 2010. Permettez -moi de citer encore Stéphane Gobeil :

« Selon l’OCDE, en 2010, l’endettement net des États-Unis atteindra 65% de son PIB, une augmentation de 38%. Au Royaume-Uni, la dette nette aura augmenté de 79% en deux ans et en Irlande de 90% ! [...] Dernière remarque à propos des comparaisons Québec – Ontario. Au cours des 5 prochaines années, il est prévu que l’Ontario cumule les déficits à hauteur de 100 milliards de dollars, dont 25 milliards pour la seule année  2009-2010. La dette ontarienne atteindrait alors 277 milliards. »

J’ajoute une dernière remarque sur ce point. Si, comme je le propose depuis quelques années, on permettait à notre principal actif, Hydro-Québec, d’augmenter ses tarifs au niveau de ceux de l’Ontario (tout en redonnant ces revenus supplémentaires aux citoyens sous forme de baisses d’impôts et d’augmentations de prestations), cela augmenterait la valeur d’Hydro-Québec de façon telle que la dette nette du Québec serait de… zéro dollar !


Pour effrayer le contribuable:
affaiblir la position historique du Québec



Ce n’est pas tout. Pour comparer la dette du Québec à celle de pays souverains membres de l’OCDE, on doit évidemment estimer quelle serait la part de la dette canadienne que le Québec devrait assumer. Même principe : on ne peut dissocier la dette des actifs. Bref, si le Québec doit assumer sa part de la dette canadienne, il doit aussi obtenir une part équivalente de tout ce que possède l’État canadien.

En 1990, la commission Bélanger-Campeau avait établi à 18,5% la part des actifs canadiens présents sur le territoire canadien. Donc, la part équivalente de la dette qui revient au Québec devrait être le même. Cette proportion a été réitérée en 1992 par de nouvelles études sous le gouvernement Bourassa, puis en 1995 par d’autres sous le gouvernement Parizeau.

Or voici que, dans sa campagne de peur, le ministère des Finances modifie dans un document officiel cette proportion et applique la part québécoise de la population canadienne, soit 23,3%. De combien ce changement de calcul (4,8 points de pourcentage de plus) augmente-t-il la dette du Québec ? De 25,3 milliards de dollars !

(Ajout:) D’autres économistes ont, au cours des années, du faire ces calculs. Voici ce qu’en dit un document conjoint Desjardins/Cirano de 2006 :

La dette du Québec est calculée à partir de la dette du gouvernement du Québec à laquelle on ajoute la part du Québec de la dette du gouvernement fédéral. La quote-part du Québec de la dette fédérale est estimée entre 16% et 24% avec une cible à 20%.

Bref, le document des Finances a délibérément utilisé le haut de la fourchette pour noircir le portrait. (Fin de l’Ajout)

Il ne fait aucun doute que si on devait un jour négocier la dette d’un Québec souverain, les négociateurs canadiens utiliseraient le document des Finances comme preuve que le chiffre de 18,5% est trop bas, donc pour affaiblir la position québécoise. J’aimerais voir les auteurs du document répliquer alors qu’ils réclament en échange 4,8% des actifs canadiens qui ne sont pas sur le territoire québécois. Une partie des Rocheuses ? Les ambassades canadiennes en Europe ? Les sous-marins ? (Surtout pas !)


D’autres entourloupes

Vous le savez déjà, il y a la «bonne dette» — l’hypothèque sur votre maison, si votre revenu est suffisant pour en faire les paiements. Puis il y a la « mauvaise dette » — ce que vous avez accumulé sur votre carte de crédit en dépenses courantes ou frivoles.

Pour l’État, la bonne dette a servi à construire des routes, écoles et hôpitaux. La mauvaise est le cumul des déficits des dépenses courantes. Dans ses documents précédents, le ministère a indiqué que les deux tiers de notre dette est mauvaise, et seulement un tiers est bonne. C’est bien la preuve que nous avons extrêmement mal géré nos affaires pendant des décennies. Que nous sommes, donc, nuls !

Dans un récent texte publié dans Le Devoir, l’économiste de l’UQAM Louis Gill note que la réforme comptable de 1997 a fait passer, comme par magie, une grande partie de ce qui était auparavant une bonne dette en dorénavant mauvaise dette. Sans que vous et moi ne profitions d’une seule gabegie supplémentaire! Pour Gill, lorsqu’on retire cette fiction, la réelle proportion aujourd’hui est de 60% de bonne dette contre 40% de mauvaise. Soit l’inverse de ce qu’on nous dit, pour nous culpabiliser.

Ajout : Je découvre que Louis Gill a lui aussi réagi au document des Finances. Il réitère ses objections, note plusieurs lacunes (le ministère compare l’endettement des autres pays de 2008 à celui du Québec de 2009) et refait le calcul international comme suit :

« Sur le plan de l’endettement net, dont le ministère ne parle pas, le Québec se situe au 11e rang, derrière l’Italie, le Japon, la Belgique, la Grèce, les États-Unis, la Hongrie, le Portugal, l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne. »

Autrement dit, en termes d’endettement net, le Québec fait mieux que 6 des pays du G7. Cela ferait un bon titre, non ? (Et Gill calcule pour le Québec 20% de la part de la dette fédérale !) Fin de l’ajout.


La dette : un sujet important

Qu’on me comprenne bien. L’endettement du Québec est un sujet important. Le principe de précaution exige que nous prenions les moyens raisonnables nécessaires pour la faire reculer. Quels que soient les débats sur la dette brute ou la dette nette, il nous faut assumer, chaque année, le service de la dette, c’est-à-dire en payer les intérêts et le renouvellement. Lorsque les taux d’intérêts vont augmenter, ce qui est inéluctable, l’augmentation du service de la dette va exercer une pression néfaste sur notre capacité de financer les vrais services de l’État.

Pourquoi notre propre gouvernement ne peut-il pas nous expliquer ces choses posément, sans insulter notre intelligence et miner sa propre crédibilité ?

Même le CIRANO et Desjardins ne suivent pas les Finances, ici en 2006.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 9 mars 2010 16:23
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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