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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Jacques Lévesque, “La Chine et l'Indochine dans la politique soviétique”. Un article publié dans La politique étrangère soviétique à l'aube des années 90, pp. 109-118. 21e Congrès des relations internationales du Québec, les 28-29 septembre 1989, organisé par le Centre québécois de relations internationales (Québec), l'Institut canadien des affaires internationales (Toronto) et l'Université Laval. Québec : Le Centre québécois de relations internationales, Université Laval, 1990, 216 pp. [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 6 décembre 2003 de diffuser cette oeuvre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Jacques Lévesque * 

La Chine et l'Indochine
dans la politique soviétique
”. 

Un article publié dans La politique étrangère soviétique à l'aube des années 90, pp. 109-118. 21e Congrès des relations internationales du Québec, les 28-29 septembre 1989, organisé par le Centre québécois de relations internationales (Québec), l'Institut canadien des affaires internationales (Toronto) et l'Université Laval. Québec : Le Centre québécois de relations internationales, Université Laval, 1990, 216 pp.

 

 Il est clair que la visite de Gorbatchev à Beijing en mai 1989, a constitué l'acte final de la normalisation complète des relations sino-soviétiques. Si cette normalisation complète était intervenue il y a dix ans, plutôt que maintenant, il se serait agi d'un tremblement de terre ou d'un séisme politique extrêmement important dans le système international ; presqu'aussi important que l'avaient été les visites de Kissinger et de Nixon à Beijing en 1971 et 1972. 

S'il n'en va pas de même maintenant, c'est que le système international est actuellement largement dépolarisé du fait même des changements intervenus dans tous les domaines de la politique extérieure soviétique et dans la politique extérieure chinoise elle-même. De telle sorte que la visite de Gorbatchev à Beijing n'apparaît pas comme porteuse d'un nouveau renversement d'alliances comme cela avait été le cas de la première visite de Nixon à Beijing en 1972. 

Si elle est moins déstructurante pour le système international, cette visite est néanmoins Porteuse pour celui-ci d'effets potentiels et subtils plus diffus et peut-être plus difficiles à saisir. Jusqu'en 1995, la politique extérieure de l'URSS, tant à l'égard des États-Unis que de la Chine, était marquée par une extrême rigidité. Une extrême rigidité fondée d'abord et avant tout sur la surestimation par les dirigeants soviétiques de la puissance internationale de l'URSS, sur la conviction quasi-doctrinale que la corrélation des forces ou les rapports de forces internationaux se modifiaient lentement mais sûrement et constamment en faveur de l'URSS et du camp socialiste. 

En conséquence, les dirigeants soviétiques étaient convaincus que par la patience et la fermeté, ils pourraient amener les États-Unis et la Chine à composer avec eux à des conditions qui leur étaient acceptables. Ces conditions, d'ailleurs, auraient été plutôt réalistes si l'URSS avait été effectivement une puissance égale aux États-Unis, comme l'estimaient ses dirigeants d'alors. 

Après l'arrivée de Gorbatchev au pouvoir, cette rigidité s'est poursuivie sensiblement plus longtemps dans les rapports avec la Chine qu'avec les États-Unis pour la simple raison qu'au total, elle avait semblé donner de meilleurs résultats avec la Chine. Cette rigidité dans la politique soviétique à l'égard la Chine de 1980 à 1985 était d'autant plus frappante que durant ces quatre années, la Chine avait fait preuve d'une flexibilité considérable. Pour donner la mesure de cette flexibilité, il convient de rappeler en quelques mots le chemin parcouru par la politique chinoise entre 1981 et 1985. 

En 1980, la Chine était, à toutes fins pratiques, dans une situation de quasi-alliance avec les États-Unis. La Chine se voulait l'animateur d'une grande concertation stratégique entre l'Europe de l'Ouest, les Etats-Unis, le Japon et la Chine elle-même, pour encercler l'Union soviétique et faire échec à tous ses desseins internationaux, à l'échelle mondiale. En d'autres termes, la Chine était partie prenante à la confrontation Est-Ouest. Cette attitude cessa graduellement dans la politique chinoise à partir de 1980-1981. Il est intéressant d'en déterminer la cause car c'est sensible-ment pour des raisons similaires à celles de la Chine que Gorbatchev va modifier, en 1985-1986, la politique soviétique à l'endroit des États-Unis. 

Dans le cadre de la politique des quatre modernisations, les dirigeants chinois avaient décidé, vers la fin des années 1970, que le secteur militaire ne devait pas avoir la priorité. C'est-à-dire que 5 ou 6 ans avant la nouvelle direction soviétique, Deng Xiaoping avait compris que la puissance ne peut pas reposer essentiellement sur une base militaire mais, sur une base économique et technique beaucoup plus large. 

Dans ces conditions, les dirigeants chinois tirèrent la conclusion que le maintien d'un niveau de tension élevé avec l'URSS ne pouvait qu'alimenter les demandes des militaires chinois pour des ressources toujours plus grandes. En d'autres termes, pour les dirigeants chinois, la modernisation économique devait passer par une réduction unilatérale au besoin des tensions avec l'URSS. Bref, Deng Xiaoping réalisait que la Chine n'avait pas les moyens de se tenir sur la première ligne de la confrontation Est-Ouest. 

C'est pourquoi, lentement à partir de 1981, la Chine a commencé à prendre ses distances avec la politique des États-Unis pour s'orienter, lentement mais sûrement, vers une politique d'équidistance. Elle s'est dégagée de la confrontation Est-Ouest. Elle a réduit son vaste contentieux avec l'URSS à trois questions essentielles connues sous le nom des Trois obstacles qu'il faut résumer ici brièvement : 1) La Chine exigeait que l'URSS réduise son important dispositif militaire aux frontières sino-soviétiques pour créer un climat de confiance ; 2) Elle demandait aussi que l'URSS contraigne le Vietnam à se retirer du Cambodge ; 3) Elle exigeait, enfin, que l'URSS se retire de l'Afghanistan. 

Évidemment, à partir du moment où la Chine a commencé à faire baisser le niveau de tension avec l'URSS, les dirigeants soviétiques s'en sont montrés satisfaits. Il y a eu reprise des échanges économiques et des négociations de diverses natures àpartir de 1982. Mais sur les Trois obstacles, jusqu'en 1986, aucune concession soviétique tant soit peu significative ne fut accordée. 

Sur la question de la démilitarisation des frontières, la position soviétique consistait à dire : « S'il y a une présence militaire importante aux frontières sino-soviétiques, c'est qu'il y a un problème frontalier. Réglons d'abord le problème frontalier et ensuite disparaîtra la raison du maintien d'un dispositif militaire important à ces frontières ». En d'autres termes, les Soviétiques entendaient maintenir la pression militaire pour négocier les questions frontalières dans une position de force. Dans ces négociations, ils voulaient simplement la reconnaissance définitive de la frontière telle qu'elle existait. Aucune concession n'était offerte. 

Pour ce qui est du Vietnam et de l'Afghanistan, la position soviétique consistait à dire qu'il s'agissait de questions intéressant ses rapports avec des États tiers et ne concernaient donc pas les relations sino-soviétiques. 

En fait, à l'époque, le Vietnam était important pour l'URSS parce que les considérations militaires étaient omniprésentes dans la politique extérieure soviétique et les bases de Cam Ranh Bay et Danang étaient aussi considérées comme très importantes. L'URSS entendait en conséquence maintenir une alliance très forte avec le Vietnam. 

S'il n'y eut aucune concession de fond jusqu'en 1986 sur la question des Trois obstacles, c'est surtout parce que les dirigeants soviétiques considéraient que leur politique de force et de pression sur la Chine avait été rentable et que c'était grâce à celle-ci que Beijing avait progressivement désescaladé la confrontation avec l'URSS. Il n'y avait donc pas de raison de changer de politique, les Soviétiques étant convaincus que la normalisation allait ultimement se faire à peu près à leurs conditions. 

Il y a un parallèle intéressant à faire ici entre l'attitude de l'URSS à l'endroit de la Chine durant ces années et celle de l'Administration Reagan à l'égard de Gorbatchev pendant toute la période de l'Administration Reagan. Au fur et à mesure que Gorbatchev offrait des concessions unilatérales en matière de contrôle des armements et sur différentes questions, la position de l'Administration Reagan consistait à dire : « Tout cela est le résultat de notre politique de force, il n'y a pas de raison d'en changer, il n'y a qu'à attendre que l'URSS se rende progressivement à toutes nos conditions ». 

Cette politique peu imaginative a changé maintenant en URSS en ce qui concerne la Chine. Il y avait une autre raison importante qui rendait compte de l'intransigeance soviétique. A l'époque, la Chine affirmait qu'elle était prête à établir ses relations avec l'URSS sur la base des cinq principes de la coexistence pacifique. À l'époque de Chernenko, la presse soviétique répondait à ces propositions de la façon suivante : « Le§ principes de la coexistence pacifique s'appliquent aux relations entre États à systèmes sociaux différents et non entre États socialistes. Les rapports entre États socialistes doivent reposer sur l'internationalisme, être fondés sur l'internationalisme prolétarien et la coopération dans la lutte anti-impérialiste ». Cela voulait dire concrètement que l'URSS exigeait, pour la normalisation des relations sino-soviétiques, une entente minimale avec la Chine sur les grandes questions de politique internationale. L'URSS voulait amener la Chine à réduire ce qui restait de sa coopération politique et stratégique avec les États-Unis. 

L'URSS s'en tenait en fait à une vision essentiellement bipolaire du monde et sa politique fondée sur la bipolarité se reflétait dans la théorie des deux camps et dans l'idée selon laquelle l'évolution du monde dépendait de l'évolution de la contradiction entre le camp impérialiste et le camp socialiste. 

Dans cette conception bipolaire du monde, l'URSS n'était pas prête à reconnaître la Chine comme un égal véritable, pas plus qu'elle n'était prête à la laisser revenir inconditionnellement dans le camp socialiste où elle aurait pu contribuer à y introduire une plus grande fluidité, parce que dans la vision soviétique, le camp socialiste était la base même de la bipolarité et exigeait un minimum de cohésion internationale. La Chine, quant à elle bien sûr, tenait à demeurer totalement indépendante et ne voulait réintégrer le camp socialiste tel que conçu par l'Union soviétique. 

Tout ceci changea progressivement avec l'arrivée de Gorbatchev. Un des principaux changements à souligner est un changement général qui concerne non seulement les relations avec la Chine mais aussi les relations avec l'Europe et les États-Unis. Lentement, imperceptiblement mais de façon très claire, l'URSS avec Gorbatchev a cessé de promouvoir un système international fondé sur la bipolarité, et ce, pour une raison fort simple. La « nouvelle pensée » a d'ailleurs souvent consisté à se rendre à des évidences brutales et à partir de là, à en tirer radicalement les conclusions et les réorientations qui s'imposent. 

Pour pouvoir maintenir efficacement un système international essentiellement bipolaire, il faut des superpuissances relativement égales entre elles. Or, il est évident que Gorbatchev et son entourage se sont rendus à l'évidence que l'URSS et ses alliés n'avaient plus les moyens &'chercher à rivaliser avec les États-Unis et leurs alliés à l'échelle mondiale à tous les niveaux comme ses prédécesseurs avaient cherché à le faire. Non seulement ils se sont réconciliés avec la multipolarisation du système international, mais ils la favorisent maintenant très visiblement. 

Certes, un système multipolaire est plus imprévisible et moins contrôlable mais en contrepartie, il permet des options plus variées, un jeu politique plus complexe à une puissance décidée à s'y ajuster avec flexibilité. C'est le pari qu'a fait Gorbatchev et cela se traduit non seulement dans sa politique à l'endroit de la Chine mais aussi à l'endroit de l'Europe. 

L'acceptation définitive de l'indépendance réelle de la Chine a évidemment facilité le rapprochement sino-soviétique, mais cela ne suffisait pas concrètement à régler le contentieux des Trois obstacles. Un premier tournant important a été pris à cet égard avec le fameux discours de Gorbatchev à Vladivostok en juillet 1986. Pour la première fois un dirigeant soviétique a accepté de parler publiquement et ouvertement des Trois obstacles. Sur la question de la démilitarisation des frontières sino-soviétiques, il a annoncé un retrait partiel des troupes soviétiques de Mongolie, acceptant par là que la normalisation des rapports avec la Chine puisse affecter un État tiers. 

Il a été précisé que cette réduction allait porter sur 75% des troupes soviétiques en Mongolie extérieure et un peu plus tard la démilitarisation a commencé en d'autres points de la frontière. En 1987, l'URSS a accepté de démanteler tous les SS-20 en Asie pour créer un climat de confiance dans ses relations non seulement avec la Chine mais aussi avec le Japon. 

Sur la question des frontières, l'URSS a reconnu que la frontière doit passer par le chenal principal des fleuves frontaliers ; car c'était là une concession extrêmement importante du discours de Vladivostok. Ceci aura pour effet de faire passer des centaines d'îles du côté chinois. C'était là en fait une des revendications fondamentales de la Chine sur les frontières depuis le conflit frontalier de 1969. 

Les négociations frontalières ont depuis avance. On procède d'Est en Ouest parce qu'en partant du Pacifique, les choses sont plus faciles. Il y a même toute une série d'accords partiels qui ont été conclus en ce qui concerne les îles. On prévoit que les choses seront plus difficiles plus on ira vers l'Ouest, c'est-à-dire vers le Pamir, où il ne s'agit plus seulement d'îles, mais d'environ vingt mille kilomètres carrés de territoire. Les Soviétiques eux-mêmes affirment que ce sera plus difficile, mais se réjouissent du fait que les négociations progressent dans un climat serein qu'ils estiment prometteur pour l'avenir. 

Dans le discours de Vladivostok, Gorbatchev a annoncé un retrait partiel de l'Afghanistan, qui est apparu purement symbolique à ce moment-là. Mais sur la question de la présence du Vietnam au Cambodge aucune concession n'était faite. C'était le seul obstacle sur lequel Gorbatchev restait intraitable. 

Un autre tournant crucial, encore plus important que le discours de Vladivostok, est cependant intervenu au début de 1988 avec la décision soviétique du retrait d'Afghanistan. Précisons tout de suite que la question de l'Afghanistan était le moins important des Trois obstacles dans la perspective chinoise. Cependant, à cause des considérations qui l'entourent et de ses conséquences pour l'ensemble de la politique extérieure soviétique, la décision du retrait de l'Afghanistan a constitué un véritable tremblement de terre politique dont les conséquences n'ont pas encore fini de se faire sentir. Gorbatchev et les dirigeants soviétiques ont décidé qu'il était trop coûteux politiquement et économiquement de continuer à maintenir à bout de bras des régimes politiques incapables de se maintenir eux-mêmes par leurs propres moyens, devant leur propre société. Et ceci, par-delà les considérations traditionnelles de crédibilité de grande puissance, de crédibilité des engagements internationaux, de l'irréversibilité du socialisme. Gorbatchev a décidé de se rendre aux conséquences de cette constatation élémentaire. Ce qui est intéressant, c'est qu'elle ne s'est pas limitée à l'Afghanistan. 

Si l'URSS a décidé de se retirer de l'Afghanistan où son prestige était beaucoup plus directement engagé, elle n'allait pas continuer pendant très longtemps à payer le prix politique et économique du maintien du Vietnam au Cambodge et de Cuba en Angola. C'est pourquoi elle a poussé très diplomatiquement, très habilement, à un retrait du Vietnam du Cambodge et de Cuba en Angola. 

On a pensé qu'il y avait des limites très précises à cette politique, à cette décision de cesser de soutenir des régimes qui sont incapables de se maintenir par leurs propres moyens. On a pensé d'abord qu'elle se limitait aux États de la périphérie du système socialiste mondial, à d'autres États en transition vers le socialisme comme l'Afghanistan, l'Angola, le Cambodge, et l'Éthiopie. Mais voilà maintenant qu'elle s'étend au coeur même de ce qui était considéré comme le système socialiste mondial, c'est-à-dire l'Europe de l'Est. 

Il était devenu plus facile aussi pour Gorbatchev de pousser le Vietnam à se retirer du Cambodge du fait de la réduction très importante des considérations d'ordre militaire dans la politique internationale de l'URSS. Nous avons fait état précédemment de l'importance des bases soviétiques au Vietnam. Dans son discours à Mederka en septembre 1988, Gorbatchev a tout simplement offert de démanteler ces bases en échange du démantèlement des bases américaines aux Philippines. Les Soviétiques peuvent maintenant ironiser sur la question : « Il y a quelque temps, disent-ils, les Américains ne cessaient de dire combien nos bases du Vietnam étaient stratégiquement considérables, qu'elles changeaient l'équilibre dans la région et qu'elles étaient les plus importantes bases soviétiques hors du Pacte de Varsovie. Maintenant que nous avons offert de les échanger, les Américains nous affirment que finalement ces bases ne sont pas si importantes et que ce serait un échange inégal que de démanteler contre elles, leurs bases aux Philippines ». 

Dès 1988, on s'orientait donc vers la levée du plus difficile des Trois obstacles, c'est-à-dire la question du retrait du Vietnam du Cambodge. L'URSS réclamait en conséquence, avec de plus en plus d'insistance, un sommet sino-soviétique. Mais même si la coopération et les échanges de toutes sortes se multipliaient et s'accéléraient, les Chinois n'étaient pas pressés d'avoir un sommet Deng Xiaoping-Gorbatchev. Ils cherchaient plutôt à en retarder l'échéance. S'ils voulaient continuer le processus d'amélioration des relations, ils ne voulaient pas aller trop vite. C'est qu'ils ne voulaient pas effrayer les États-Unis et éviter de susciter des inquiétudes excessives et des réactions défavorables aux Etats-Unis, au Japon et dans le monde occidental. Dans la dernière phase, c'était donc plutôt la Chine qui cherchait à mettre les freins à l'accélération du rapprochement et à retarder la visite de Gorbatchev à Beijing. 

Je me trouvais à Moscou en février 1989 au moment de la visite de Chevarnadze à Beijing au cours de laquelle furent finalisés les arrangements pour le sommet Deng Xiaoping-Gorbatchev. J'ai pu interviewer des spécialistes qui avaient préparé la visite de Chevarnadze. La Chine acceptait alors que la visite de Gorbatchev soit l'occasion du rétablissement des relations de Parti à Parti entre la Chine et l'URSS. Mais les Chinois insistaient pour qu'il soit clairement stipulé que les relations de Parti à Parti concerneraient seulement les échanges d'expériences sur les réformes économiques et sur la politique intérieure des deux pays et ne toucheraient pas aux questions de politique extérieure. 

Finalement les choses sont allées plus loin parce que dans la déclaration commune du sommet Deng Xiaoping-Gorbatchev, les relations de Parti à Parti ont été rétablies et on y a parlé de coopération générale, sans restrictions. La partie chinoise exigeait qu'il n'y ait aucune concertation stratégique, qu'il n'y ait aucun commerce d'armements justement pour ménager les susceptibilités américaines et préserver par là, de bonnes relations avec les États-Unis. 

Dans ces conditions, on peut se demander quel était l'intérêt de Gorbatchev d'aller à Beijing ? Il y a effectivement des intérêts communs importants, que les dirigeants soviétiques dans leurs discours, ne manquent pas de souligner. Tout d'abord, on insiste constamment sur le fait que l'URSS et la Chine sont les deux plus grands États socialistes du monde. C'est la question de l'identité des régimes. Cela peut paraître flou et non significatif, mais c'est cependant potentiellement important, surtout après les événements de la Place Tian an Men et la crise de légitimité qu'a vécue le régime chinois. Celui-ci a davantage besoin de retrouver, de redéfinir son identité. Sur la question de Taïwan, les Soviétiques ne cessent d'indiquer qu'ils soutiennent entièrement et à fond la position de la Chine. Sur toute une série de questions de désarmement, notamment sur « la guerre des étoiles », les Soviétiques et les Chinois ont des vues communes. La Chine, tout comme l'URSS est beaucoup plus pressée que les États-Unis de voir se concrétiser des mesures de désarmement entre les deux superpuissances. Ceci pourrait créer des zones de coopération commune entre les deux grands États communistes, aux Nations Unies notamment. Es ont tous les deux intérêt à s'opposer à la remilitarisation du Japon et là aussi cela pourrait être un domaine de coopération. 

Il y a donc plusieurs domaines de coopération limitée qui pourraient se dessiner. Évidemment, il y a quelques années, l'URSS aurait voulu bien davantage qu'une collaboration « à la pièce » mais dans la mesure où c'était impossible, du fait du refus de la Chine, le fait de se réconcilier avec cette réalité donne à l'URSS des avantages limités sans doute, mais des avantages qui lui avaient fait défaut pendant les vingt dernières années. 

Tel qu'indiqué au début, on s'oriente maintenant vers un jeu de politique internationale beaucoup plus complexe. Depuis longtemps on parlait de triangle Washington-Beijing-Moscou mais il ne s'agissait pas d'un véritable triangle, dans la mesure où la Chine et l'URSS n'avaient pratiquement pas de relations. Un véritable jeu à trois est maintenant établi et cela rend beaucoup plus complexes les relations entre les trois partenaires. 

On peut donner deux exemples en terminant. Si les événements de la Place Tien an Men étaient arrivés il y a quelques années, dans la situation de quasi-alignement de la Chine sur Washington, les Etats-Unis n'auraient pas osé prendre de sanctions contre Beijing. Dans la mesure où la Chine a maintenant pris quelques distances vis-à-vis des États-Unis, ceux-ci ont pris des sanctions. Il s'agit de sanctions très modérées, justement parce qu'elles sont intervenues dans le contexte de la visite de Gorbatchev à Beijing et que Washington prend garde à ne pas trop pousser la Chine du côté de l'URSS. 

C'est la même chose pour ce qui se passe actuellement dans le Sud-Est asiatique. Dans le contexte de la quasi-alliance sino-américaine, les Etats-Unis avaient carrément aligné leur politique sur celle de la Chine à l'égard du Cambodge, notamment en ce qui concerne le soutien aux Khmers rouges. C'était la Thaïlande, un allié des Etats-Unis, qui avec le plein accord de Washington, faisait transiter tous les armements chinois contribuant au renforcement des Khmers rouges. Maintenant que la Chine a pris ses distances vis-à-vis des Etats-Unis, ceux-ci peuvent eux-mêmes prendre quelques distances à l'endroit de leur partenaire, et on assiste maintenant à un changement dans la politique de Washington qui se sent plus libre de chercher à exclure les Khmers rouges d'un règlement au Cambodge. La Chine est de plus en plus isolée sur cette question. 

Voilà quelques exemples qui montrent comment on a affaire maintenant à un jeu international plus subtil et plus complexe qui, selon la conjoncture et selon son habileté diplomatique, peut offrir à l'URSS, mais aussi aux deux autres partenaires, des opportunités nouvelles.


*    Professeur, Département de science politique, Université du Québec à Montréal.


Revenir à l'auteur: Jacques Lévesque, politologue, UQAM. Dernière mise à jour de cette page le jeudi 6 décembre 2007 7:12
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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